One-shot écrit dans le cadre de la cent-trente-troisième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Sycomore". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP ! Texte écrit en une heure deux jours après la Nuit.
Gilles avait été un casse-cou toute sa vie, en partie par nécessité, quand il devait voler pour vivre et fuir toujours plus vite dans des endroits toujours plus dangereux pour ne pas se faire emprisonner. Mais même quand il était petit, il ne faisait pas partie de ces enfants sages qui demeurent en marge des jeux, ou qui ne prennent pas trop d'initiatives, ou qui restent carrément dans les jupes de leurs mères. Lui, il aimait courir, sauter des clôtures, patauger aussi loin que possible dans la rivière peu profonde, grimper aux arbres. Et, comme tous les enfants, il ne s'était jamais fait beaucoup de souci pour ses jeux parfois dangereux.
Sauf que maintenant qu'il surveillait les deux petites silhouettes aux cheveux châtains-roux, âgées respectivement de sept et quatre ans, qui grimpaient au tronc du gigantesque sycomore, il se disait qu'effectivement, c'était des jeux vraiment risqués. Qu'il avait dû donner beaucoup de sueurs froides à sa mère, et qu'il aurait peut-être dû être plus sage, dans le temps.
« Geoffrey. Pierre. Ne montez pas trop haut, ordonna-t-il à ses neveux en s'approchant de l'arbre. Ce sycomore est vieux et je ne voudrais pas qu'une branche abîmée se casse sous votre poids. »
Les deux enfants se retournèrent dans leur ascension pour le regarder. Ils avaient tous les deux les prunelles de leur mère, mais les yeux du cadet avaient la même forme que ceux de Robin. Pour autant, il avait le visage doux de Marianne, alors que Geoffrey tenait son air déterminé et téméraire de son papa. Gilles sourit en les regardant faire, le cœur soulevé d'une profonde vague d'amour. Il aimait tellement les enfants de son frère.
« Ne vous inquiétez pas, mon oncle, le rassura le plus grand en lui adressant un grand geste du bras. Je veillerai toujours sur Pierre ! »
Ces deux-là s'aimaient autant que Robin et Gilles s'adoraient, et ça faisait chaud au cœur. Pour autant, l'ancien voleur savait que tout l'amour du monde ne serait d'aucune utilité pour rattraper les deux enfants si jamais le bois cédait tout à coup, et d'ailleurs, les craquements de l'arbre ne lui disaient rien qui vaille.
« Descendez, les garçons, insista-t-il en leur faisant signe de rebrousser chemin. Je n'aime pas beaucoup la mine de ces branches. »
Les deux enfants avaient bien sûr entendu les histoires de la vie pas toujours rose de leur oncle, et il revêtait une aura d'autant plus impressionnante à leurs yeux. Alors, ils obéirent sans protester et commencèrent à redescendre. Cependant, à mi-chemin du sol, Pierre dut être pris d'une terreur soudaine, parce qu'il se figea et refusa de continuer à descendre alors même que son frère avait déjà atteint le sol.
« Pierre ? s'inquiéta ce dernier en réalisant qu'il était toujours là-haut, et Gilles jura dans sa barbe.
-Reste là, ordonna-t-il à son neveu avant d'empoigner les premières branches pour entamer l'ascension. Ne grimpe surtout pas ! Je vais chercher ton frère. »
Il avait eu raison de s'inquiéter, parce que les ramures craquaient de plus en plus. Elles commençaient même à ployer sous le poids du petit garçon de quatre ans, alors Gilles n'hésita pas : il sauta de sa branche, attrapa l'enfant dans ses bras au moment où son perchoir cédait en gémissant et le serra contre sa poitrine pendant qu'ils tombaient dans le vide. La dernière chose qu'il entendit, ce fut les cris terrorisés des deux petits garçons, et la dernière chose qu'il sentit, une douleur insupportable.
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«Oh, Père, est-ce qu'il va bien ? Vous êtes sûr qu'il va bien ?
-Il s'est fait tellement mal à cause de moi !
-Écartez-vous, tous les deux. Laissez-le respirer. »
Les voix qui retentirent autour de lui réveillèrent aussitôt le mal de tête de Gilles, mais aussi une sensation de soulagement indescriptible. D'abord, parce que son neveu allait bien. Ensuite, parce qu'il n'était pas mort, et que c'était toujours une bonne nouvelle. En plus, il sentait clairement le matelas et les couvertures de son lit autour de lui, le solide bandage autour de sa jambe et de ses côtes qui lui faisaient un mal de chien. Ça voulait dire qu'il allait s'en sortir.
« Gilles, tu m'entends ? l'appela la voix inquiète de son frère, tandis que sa main lui caressait doucement le front. Tu peux me répondre ? Fais-moi un signe !
-Rob… Je t'entends très bien…, murmura l'ancien voleur en prenant les doigts de son frère dans les siens pour qu'ils arrêtent de trembler. Je n'en suis pas à ma première chute, ne t'en fais pas.
-Bon sang, tu m'as fait tellement peur ! Tu nous as fait tellement peur, les garçons aussi étaient terrifiés. Comment tu te sens ?
-Mal partout…, soupira Gilles. »
Il battit des paupières et sourit à ses neveux, qui étaient serrés contre son lit et le fixaient avec de grands yeux pleins de larmes.
« Tout va bien, les garçons, les rassura-t-il en leur tapotant la tête tour à tour. Votre père m'a déjà vu tomber de hauteurs pires que celles-là. Pas vrai, Robin ?
-Oh, oncle Gilles, on était tellement inquiets ! s'exclamèrent mes deux enfants de concert en se jetant dans ses bras. On est vraiment désolés !
-Hé là, doucement, les reprit gentiment leur père en voyant Gilles grimacer à cause de ses côtes cassées. Vous voyez que votre oncle va bien. Pourquoi ne pas aller lui chercher de quoi manger dans les cuisines ? Vos petites péripéties ont dû lui ouvrir l'appétit.
-D'accord ! »
Geoffrey et Pierre se penchèrent tour à tour pour appuyer un baiser sur les joues de l'ancien voleur, puis, quand ils eurent déguerpi, ce fut à Robin de venir baiser le front de son frère avec tendresse.
« Tu as sauvé la vie de mon fils…, murmura-t-il en appuyant son nez contre ses cheveux. Merci… Merci… Mais je ne sais pas comment j'aurais fait si tu…
-Chut, c'est inutile de penser à ça, l'arrêta gentiment son frère en lui caressant la joue pour arrêter la larme qui y avait coulé. Je ferais n'importe quoi pour tes enfants, Robin, et je ferais n'importe quoi pour toi. C'est comme ça que marche la famille, n'est-ce pas ? »
Son aîné hocha la tête sans répondre et vint se glisser dans le lit avec lui.
« Geoffrey et Pierre n'ont pas le droit de me faire des câlins, mais toi oui ? plaisanta Gilles en se blottissant avec précaution contre lui. Ils vont protester, tu le sais, ça ?
-Et alors ? C'est toujours moi le chef, rétorqua Robin en souriant, et puis il lui posa un autre baiser sur le front.
-Tu es un tyran !
-Plains-toi ! Tu en trouveras beaucoup des frères comme moi !
-Inutile, celui que j'ai me suffit. »
Avec un soupir d'aise, Gilles enfouit sa tête contre la poitrine de son frère. Comme toujours, il se sentit bercé par les battements doux et réguliers de son cœur.
