One-shot écrit dans le cadre de la cent-trente-huitième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Frangin". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP ! Texte écrit en plus d'une heure.

Ce recueil d'OS a dépassé les 100 reviews. Alors merci infiniment, c'est de très loin ma publication avec le plus de retours. Et puisque c'est mon fandom préféré depuis trois ans, ça me rend d'autant plus heureuse.


« Hé ! Salut. Alors, comment tu vas, ce soir ? »

Robin se retourna, encore tout étourdi par le bruit de la musique et des exclamations joyeuses de ses compagnons, ajouté au tourbillon de la fête qui durait depuis deux jours, avec son lot de nourriture, de danses, de chants, d'heures de repos beaucoup trop rares et qui lui embrumaient un peu l'esprit. Il ne savait pas si c'était à cause de la fatigue, mais le grand sourire de son frère lui parut un peu bizarre. Gilles paraissait vraiment enchanté, mais en même temps, ses yeux verts étaient un peu vagues. Il devait avoir sommeil, lui aussi… À moins que ça n'ait un rapport avec la chope de bière qu'il tenait à la main.

« Combien en as-tu bues ? s'enquit le grand frère en essayant de voir la quantité de liquide qu'elle contenait encore.

-Robin, je suis un paysan ! rétorqua son cadet. Je ne sais pas du tout compter. Pas du tout.

-Je sais très bien que si, lui rappela Robin en le prenant délicatement par le coude, de plus en plus conscient de son état.

-Ah… Dans ce cas, c'est que j'ai oublié. C'est que ça en fait beaucoup, depuis le début de la fête pour célébrer la mort du Shérif.

-Gilles… Cette fête-là s'est déroulée il y a plus d'un an. Ce soir et depuis le soir d'avant, c'est mon mariage, tu te souviens ?

-Oui, oui, c'est ce que je voulais dire. Ma langue a juste fourché. »

Le jeune voleur soupira et jeta un coup d'œil dans sa chope, avant d'en basculer d'un coup tout le contenu dans sa gorge. Après quoi, il s'essuya le menton avec la manche de sa belle chemise blanche et se mit visiblement à se demander quoi faire de son récipient.

« Tu devrais arrêter la boisson pour aujourd'hui, proposa Robin sans le lâcher et en lui enlevant la tasse des mains. Ce n'est pas très bon de se soûler comme ça, tu sais. Crois-moi.

-Oh, mais pourquoi ? protesta Gilles en essayant de lui reprendre sa chope. »

Comme il n'y parvint pas, il se contenta de laisser basculer son poids en avant, contre la poitrine de son frère, et de lui coller une petite tape sur le torse.

« T'es mon frangin, lui rappela-t-il en posant sa tête sur son épaule. Tu devrais couvrir mes frasques au lieu de m'empêcher de les faire… non ?

-Pas quand elles sont mauvaises pour toi, coupa fermement Robin en le tirant par le bras. Allez viens. Je vais te mettre au lit. La soirée est bien avancée et je gage que tu n'as pas beaucoup dormi hier.

-Ha, et toi alors ? Qu'est-ce que tu faisais avec Marianne ? Pendant votre nuit de noces ? Hummm ?

-Gilles, j'aime toujours te voir enthousiaste, tu le sais, mais je crois qu'il est grand temps que tu te calmes un peu. »

Comme la fête se déroulait en plein milieu de leur campement, au cœur des bois de Sherwood, il n'y avait que peu de cabanes qui étaient suffisamment éloignées du bruit pour que le repos soit possible et agréable. Heureusement, c'était utile, à ces occasions-là, d'avoir été un paria. La masure dans laquelle Gilles habitait se trouvait largement à l'écart de tout ce tintamarre.

D'un œil attentif, Robin regarda son frère le précéder le long de l'échelle de cordes et parvenir tant bien que mal, après quelques oscillations qui le firent se précipiter au cas où il tomberait, sur la plateforme qui marquait le seuil de sa maison. Rapidement, le chef des voleurs le rejoignit et l'agrippa par le bras pour le faire entrer à l'intérieur. Comme il n'y avait pas de torches, il n'y voyait presque rien mais il parvint quand même à localiser la couche de son frère et à le faire tomber dessus. Gilles grommela mais se roula rapidement en boule, comme un enfant frigorifié.

« Attends, l'arrêta doucement Robin en écartant un de ses bras pour le débarrasser de sa cape. Déshabille-toi, d'abord. Tu seras mieux.

-À vos ordres, Messire, marmonna son frère en ouvrant un œil pour essayer de ne pas s'endormir. »

D'un geste rapide, Robin le débarrassa aussi de son gilet, de sa ceinture et de ses chausses et le laissa se rallonger sur sa paillasse. Il prit aussi un peu d'eau dans la carafe qui trainait dans un coin, qu'il versa dans la chope dont il ne s'était toujours pas défaussé, pour faire boire son frère. Celui-ci saisit aussitôt la main qui tenait le récipient pour boire avidement et de l'eau lui coula sur le menton.

« Tu devais avoir vraiment soif, remarqua Robin en lui essuyant d'instinct le visage avec sa manche. Est-ce que tu as tout ce dont tu as besoin ? Un peu plus d'eau, une autre couverture ?

-Non, ça va…, soupira Gilles en se roulant en boule une nouvelle fois. Tu peux y aller.

-D'accord. Alors bonne nuit, petit frère. »

L'archer tendit les doigts et lui caressa la joue avec le dos de sa main et il allait se redresser quand un éclat dans les yeux de son frère l'arrêta.

« Qu'est-ce qui se passe ? s'inquiéta-t-il en voyant à quel point il paraissait triste. Il est arrivé quelque chose pendant la fête ?

-Non…, murmura Gilles avant d'ajouter : Enfin, à part le fait que tu te sois marié…

-Et alors ? Il s'est passé quelque chose qui t'a déplu ? Un moment de la cérémonie t'a mis mal à l'aise ?

-Non… C'est juste que… Tu n'as plus besoin de moi, maintenant…

-Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? »

Robin dévisagea son frère sans comprendre. Gilles semblait vraiment malheureux, d'un seul coup, mais il se contenta de lui donner une tape sur la cuisse et de soupirer :

« Allez, retourne à la fête, Robin. C'est bon, je me suis couché. Je ne risque plus de tomber dans une crevasse.

-Non, attends, j'ai toujours du mal à comprendre, insista l'archer. Pourquoi penses-tu que je n'aurai plus besoin de toi ?

-Une épouse… Un grand et beau château et une épouse à ton bras… À quoi sert un frère dans ces moments-là ? En plus, je suis un bâtard.

-Gilles !

-Tu auras forcément honte de moi. Pas parce que ça te dérange. Mais parce que c'est comme ça. Et puis avoir une femme fera qu'un frère, ça ne te servira à rien. »

Robin continua de fixer son cadet, incrédule. Ce n'était pas qu'à cause de l'alcool ? Gilles pensait vraiment tout ça ? Quelque part, ça ne l'étonnait guère, quand il y réfléchissait. Il avait toujours été abandonné. À cause de lui, en grande partie. Comment ne pas croire qu'il n'aurait plus du tout de temps à lui accorder une fois installé avec Marianne ? Robin savait très bien qu'il pouvait être un peu oublieux quand on concentrait l'attention sur lui. Une faille qu'il tentait de combler, mais ce n'était pas toujours facile. En plus, la vie de comte était tout le temps remplie de missions et d'obligations. Toutes les craintes de son frère étaient, en fait, parfaitement légitimes.

« Écoute, murmura l'archer en s'asseyant à côté de lui. Je sais que ce genre de vie te fait peur. Que tu as l'impression que tu ne seras jamais à la hauteur et que moi, je le serai trop. Mais tu ne devrais pas craindre que je t'abandonne juste parce que je suis marié. Toi et moi, nous partageons le même sang. Et ce genre de chose, c'est pour toujours. »

Gilles ne répondit pas, le regard obstinément fixé sur le sol. Robin lui prit doucement la main et la serra dans les siennes, avant de poser un baiser sur ses doigts.

« Nous sommes frangins, n'est-ce pas ? plaisanta-t-il en reprenant sa phrase. C'est l'une des plus belles choses qui me soient jamais arrivées, Gilles, je te jure que c'est vrai. Je ne peux pas oublier l'une des meilleures choses qui me soient jamais arrivées, pas vrai ? »

Il détacha l'une de ses mains de celle de Gilles et la fit glisser le long de sa joue. Même dans le noir, son frère était ému, il le devinait. D'ailleurs, une larme glissa sur son doigt et il l'essuya, avant de se coucher à côté du jeune voleur.

« Je vais rester un peu avec toi, murmura-t-il en le tirant dans ses bras. Tu as raison, je n'ai pas beaucoup dormi non plus, hier soir.

-Haha, je le savais, se moqua Gilles en essayant de gommer toute trace de faiblesse dans sa voix. »

Robin le sentit se coller à lui et il l'aida à glisser sa tête dans son cou. Puis, il les enroula tous les deux dans la couverture et laissa les bruits de la nuit les envelopper. Ce moment était tellement paisible et il aimait tellement son frère. Comment douter à cet instant que les frères de Locksley puissent être inséparables ?