One-shot écrit dans le cadre de la cent-trente-neuvième nuit d'écriture du FoF (Forum Francophone), sur le thème "Noble". Entre 21h et 4h du matin, un thème par heure et autant de temps pour écrire un texte sur ce thème. Pour plus de précisions, vous pouvez m'envoyer un MP ! Texte écrit en 1h30.


Gilles avait pris soin de se mettre à observer son frère dès que des choses un peu plus "officielles" avaient commencé à se dérouler dans la cour du château. Ces gens, ces nobles, ils étaient du même rang que Robin, ils obéissaient à des règles et des codes bien précis, et lui… lui, il avait envie de comprendre comment ils fonctionnaient. Même s'il avait grandi dans la fange avec les cochons, il n'avait jamais douté de son ascendance noble ni du fait d'avoir droit à une place au milieu de ses gens-là. Il aimait tellement son père malgré son abandon… et il était si fier d'être son fils. Il ne voulait pas faire défaut à cette ascendance et encore moins décevoir son frère maintenant qu'il l'aimait aussi.

Pendant toute sa vie, il s'était dit, avec une mauvaise foi certaine, qu'être noble devait mener à une vie oisive et facile. C'était vrai, quoi ? Ils ne s'occupaient pas aux travaux des champs, ne fabriquaient rien de leurs mains, n'étaient pas obligés de réparer leur chaumière sans cesse pour ne pas mourir de froid, préparer leurs repas, coudre leurs vêtements… Alors qu'est-ce qu'ils faisaient d'autre à part s'amuser, manger, donner des ordres à leurs cerfs ? Oui, Gilles avait toujours été persuadé qu'ils avaient beaucoup moins de travail qu'ils voulaient le faire croire. Mais maintenant qu'il regardait son frère amadouer les seigneurs, leur parler de leurs familles alors que ça aurait été normal qu'il ne les connaisse pas après tout ce temps, s'enquérir de l'état économique, militaire, politique du royaume… maintenant qu'il le voyait faire tout ça, le jeune voleur en avait le vertige.

C'était beaucoup de travail. C'était beaucoup trop de travail.

« Ça va ? lui demanda gentiment Robin pendant une accalmie en lui posant une main sur l'épaule.

-Je crois que… je vais avoir besoin de quelques jours sans plus réfléchir à rien pour me remettre de ces discussions, admit le jeune voleur avant d'accepter le verre de vin que son frère lui tendait.

-Je m'en serais douté. C'est beaucoup plus fatiguant qu'on pourrait le croire.

-Tu dis ça parce que je t'ai souvent accusé d'être un paresseux et de n'avoir aucun mérite dans quoi que ce soit ? »

L'archer sourit et lui tapota la nuque, se souvenant des blessures encore vives dans son dos.

« En partie, avoua-t-il avec ce sourire enfantin qu'il avait très facilement. Mais surtout parce que c'est la vérité. »

Il ne poursuivit pas et retourna vers les religieux qui l'attendaient. Il ménagea une place à son frère pour qu'il puisse l'accompagner mais ne l'aida pas à s'intégrer dans la conversation, le laissant simplement observer et se rendre compte. Il ne leur dit même pas que le jeune homme blond qui se tenait à ses côtés était son frère.

Les semaines suivantes, quand il s'agit de prêter main-forte aux paysans et à leur donner des directives, il s'en chargera également avec Marianne et ne donna pas plus d'explications à son cadet, ne lui demanda même pas son aide. C'était presque aussi fatiguant et compliqué que de négocier avec les autres nobles : généralement, les paysans s'attendaient à ce qu'il règle rapidement leurs problèmes, sauf que Robin n'avait aucun pouvoir sur la météo ou la violence des mercenaires rebelles qui essayaient de venger le Shérif. Et encore, comme c'était un héros, ils étaient admiratifs et respectueux et ne le pressaient pas trop.

Ces quelques semaines apprirent beaucoup de choses à Gilles. Il voyait bien maintenant à quel point noble était un statut difficile. Bien plus difficile qu'il l'aurait jamais imaginé, lui qui avait toujours rêvé à la vie qu'il aurait pu avoir depuis le début, en tant que fils reconnu de Lord Locksley, comme quelque chose d'oisif et de facile. Il avait surtout pensé à la douceur d'avoir un père, un toit au-dessus de sa tête, de la chaleur, de la nourriture…

Et il savait que tout cela, il pourrait l'avoir sans aucune contrepartie avec Robin comme frère. L'archer le laisserait s'abriter, manger, se réchauffer auprès de lui sans rien lui demander en échange, maintenant qu'ils étaient ensemble.

C'était vraiment tentant…

« Alors, qu'en penses-tu ? lui demanda Robin en venant s'accouder près de lui, sur la rambarde de la cabane dans les bois où, en attendant leur retour en grâce auprès du roi, les hors-la-loi étaient retournés se réfugier. De la vie de noble ? Est-ce que tu penses qu'elle est faite pour toi ? »

Gilles jeta un coup d'œil à son frère. Quelle que soit sa réponse, il savait que Robin le considèrerait toujours comme appartenant lui aussi à la classe nobiliaire et de plein droit. Mais il comprenait le vrai sens de sa question. Il voulait savoir s'il était prêt pour ça, pour toutes les difficultés, les sacrifices, le devoir qui lui était donné par le sang.

« Oui, Robin, répondit-il donc en levant franchement son regard vers son aîné. Oui, je sais désormais ce que ça implique vraiment d'être noble et je suis prêt à tout faire pour être à la hauteur de ce rôle. »

L'archer sourit et posa sa main sur celle de son cadet.

« Merci, Gilles. Je ne doute pas une seule seconde que tu le seras, souffla-t-il. »