À l'occasion de la Journée mondiale des câlins (21 janvier), je ne pouvais pas me passer d'écrire sur ces deux petits cœurs.
Gilles était stressé et Robin n'avait pas besoin de posséder un instinct de frère surdéveloppé – ce qu'il avait pourtant – pour le sentir.
Il fallait dire que le milieu de l'hiver était rude. Les récoltes n'avaient pas été très bonnes l'hiver précédent et le grain commençait à manquer. Leurs gens avaient besoin d'eux sans cesse et, si Robin, malgré toute sa douceur et son altruisme, avait été habitué depuis l'enfance à ne pas pouvoir sauver tout le monde, Gilles, lui, prenait ces échecs comme une preuve qu'il n'était pas assez bien pour être noble. Il essayait sans arrêt de faire son maximum pour les paysans qui dépendaient d'eux, mais ce n'était pas facile. Et ce n'était pas assez, ce qui était parfaitement normal. Comment un jeune homme de dix-neuf ans pouvait-il avoir la moindre influence sur la météo, la qualité du grain ou la cupidité – voire le simple désespoir – des pilleurs qui s'en prenaient sans vergogne aux populations affamées ? Rien, il ne pouvait rien faire du tout… et il avait du mal à l'accepter. De nombreuses fois, son frère l'avait surpris à veiller tard pour chercher des solutions ou se lever avant l'aube pour tenter de minimiser les dégâts. Il avait attendu qu'il comprenne seul son impuissance et que son entêtement finisse par se fissurer… mais ça n'avait pas marché.
Un soir, il en eut plus qu'assez. Il était rentré tard de la grande ville la plus proche où ils pouvaient acheter des produits frais venant de la France, qui était un peu moins en difficulté qu'eux. Il avait dîné avec Marianne sans forcer Gilles à se joindre à eux mais, à minuit, le jeune homme n'était toujours pas descendu. Robin l'avait attendu longtemps depuis la banquette d'un petit salon qui jouxtait la salle à manger principale, position stratégique pour le voir descendre les escaliers. Mais aucune lumière n'avait éclairé les marches de toute la soirée et il avait fini par monter à la chambre de son cadet.
« Gilles, il est plus de minuit ! lança-t-il sévèrement en ouvrant la porte. Délaisse ces papiers et viens manger ! Tu ne gagneras rien à t'épuiser comme ça.
-Attends, protesta le jeune homme, le nez dans ses livres, attends… Ça marchera peut-être avec ce type d'engrais… Les plantes ne sont pas assez fortes pour repousser après un hiver aussi rigoureux, mais si on commence à la fortifier dès maintenant…
-Gilles, ça suffit. »
D'un geste sec, Robin referma le traité de botanique que son frère lisait. L'ancien voleur leva vers lui un visage déjà prêt à protester mais dont les yeux étaient rougis par la fatigue et le stress.
« Robin, se défendit-il, tu ne comprends pas que je n'ai plus le temps de…
-Gilles, tu ne te rends pas compte que tu es presque à bout de forces ? le coupa sévèrement l'archer. Regarde tes mains !
-Quoi, qu'est-ce qu'elles ont, mes mains ?
-Elles tremblent. »
Décontenancé, Gilles baissa les yeux et, effectivement, dut constater que des tressaillements agitaient ses doigts. Et pas que ses doigts : ses bras, ses épaules, ses jambes… Il était tellement fatigué que son corps était au bord du craquage. Vaincu, il baissa la tête avec apitoiement et ses épaules s'affaissèrent. Robin soupira.
En un seul mouvement, l'archer se rapprocha de son frère et le prit dans ses bras. Gilles ne se défendit pas une seule seconde et même demeura résolument inerte, les bras ballants et le nez enfoui dans la veste de son aîné au niveau de son épaule. Il poussa juste un petit son entre le soupir et le gémissement. Ce bruit fissura le cœur de Robin et il resserra très fort son étreinte.
« Pourquoi te fais-tu du mal comme ça ? murmura-t-il contre la chevelure blonde qui s'était mise à sentir la poussière et la terre à force de surmenage constant, bien loin de son odeur douce de plantes habituelle qu'on devinait à peine sous la surface. »
Gilles n'avait visiblement pas de réponse à cette question ou bien il était trop épuisé pour la donner. Tout juste se contenta-t-il de hausser les épaules sans cesser de trembler imperceptiblement.
« Je vais arranger ça, souffla l'archer en descendant les bras pour les nouer autour de sa taille. Tu me promets de te reposer, au moins pendant quelques jours ?
-Oui, marmonna Gilles, les yeux fermés. Oui… Je crois que je ne pourrai plus me remettre au travail maintenant que tu m'as arrêté, de toute manière. »
Robin n'avait aucun mal à le croire. Il n'avait jamais senti son frère être aussi mou dans ses bras. Il lui frotta doucement le bas du dos avec ses doigts en espérant l'apaiser. En réponse, le jeune homme se pelotonna contre lui en s'arquant en avant pour pouvoir se couler totalement dans ses bras. Robin sourit et donna doucement un petit coup avec son nez contre sa tempe.
« Tu veux vraiment rester debout après toutes ces émotions ? plaisanta-t-il en savourant la douceur de cette étreinte, de ce réconfort qu'il lui donnait et de ce petit frère serré contre sa poitrine.
-Oui, maintenant que tu me tiens tu ne peux plus me lâcher non plus, décréta son cadet, dont les bras s'enroulèrent fort autour de sa taille. Je me sens vraiment trop bien, dans tes bras...
-Oui, moi aussi, sourit Robin en enfouissant son visage dans son cou. »
Mais, doucement, il recula pour entrainer son frère vers le lit et les faire assoir. Les jambes de Gilles qui continuaient de trembler ne le rassuraient pas vraiment sur sa capacité à rester debout plus longtemps.
« Tout va bien, petit frère, assura-t-il une nouvelle fois en lui frottant longuement le dos à deux mains. Tu n'es en rien responsable de la survie de tout le monde. Où est passé le Gilles l'Écarlate si fataliste que j'ai connu ?
-Essaye de le demander un autre jour, marmonna son cadet en laissant son visage s'enfoncer encore davantage dans l'épaule de son frère.
-Je vois, souffla Robin, plein de compassion. »
Il appuya sa tête contre celle de Gilles et l'embrassa sur la tempe pour l'apaiser. Puis, comme ça arrivait à de nombreuses occasions, les deux frères de Locksley partagèrent un long câlin qui dura encore plusieurs minutes. Gilles n'était pas le seul à en avoir besoin. Robin aussi.
