Quand je n'ai pas écrit sur eux depuis trop longtemps et que c'est scandaleux.
Ce n'était pas parce qu'il était le frère du chef que Gilles s'était soudain retrouvé à pouvoir se prélasser dans la paresse et l'oisiveté. Il exécutait sa part de corvées, comme tout le monde.
Aujourd'hui, ça consistait à surveiller l'une des frontières de leur territoire, en bordure de la rivière, et d'arrêter les riches qui essaieraient de passer sans taxe. Ce n'était pas désagréable, surtout quand il faisait chaud comme cette après-midi-là. Il pouvait ôter ses chausses et tremper ses pieds dans le courant; ce n'était pas comme s'ils avaient énormément de passage depuis que la rumeur de leur bande de hors-la-loi détroussant les voyageurs s'était répandue dans tout le royaume.
Pourtant, le jeune homme perçut soudain le bruit de sabots de chevaux qui écrasaient la végétation sur la berge opposée. Il y avait le grincement d'un chariot, aussi… plutôt imposant, s'il en croyait les chocs sur les cailloux et le frémissement des feuilles. Étonné, Gilles fronça les sourcils et se redressa.
Progressivement, il distingua une silhouette se dessiner sur l'autre rive. C'était un homme armé qui menait un convoi, aussi richement décoré et imposant que le cadet des frères de Locksley l'avait supposé. Le lourd rideau cramoisi qui dissimulait l'une des fenêtres était légèrement entrouvert et le noble regardait à l'extérieur. Gilles saisit l'extrémité de la corde qui devait faire tomber les gens dans le courant et attendit que le soldat de tête pénètre dans l'eau.
« Nous savons que vous êtes là, rebelles, lança alors l'homme en question. Nous vous sommons de nous laisser passer sans faire d'histoires ! Autrement, il vous en cuira. »
Le jeune voleur ne répondit pas. Il se contenta d'attendre que le soldat avance; même s'il avait une arbalète, il ne pourrait pas l'atteindre à cette distance et il ne le distinguait certainement pas, au milieu des feuilles. Mais l'homme, encore une fois, adopta un comportement qu'il n'avait pas prévu : il chargea son arme et la pointa vers lui.
Gilles sentit tout le sang quitter son visage. Comment pouvait-il savoir qu'il se trouvait à cet endroit précis ?! Ce n'était pas possible ! C'était le fruit du hasard, non ? Oui, c'était forcément ça.
Sauf que l'arbalétrier ne bougeait pas et semblait sûr de ce qu'il faisait. Le jeune voleur avait beaucoup trop hésité avant de se réfugier à l'abri et il le vit approcher son doigt du détenteur de son arme.
Mais soudain, une flèche siffla près de l'oreille de Gilles et se ficha dans le bras du soldat, qui lâcha son arme en poussant un cri. Le cœur battant, le jeune homme se retourna et rencontra le regard bleu de son frère, incisif et déterminé, qui fixait, l'arc bandé, leurs ennemis sur l'autre berge.
« Je vous défends de faire du mal à mon frère ou à n'importe lequel de mes hommes, lâcha-t-il froidement. Et maintenant, reculez ! Ou je vous ferai goûter à mes flèches.
-Vous n'oserez pas, comte de Locksley, répliqua le noble qui était toujours à la fenêtre de sa voiture. Détrousser des aristocrates est une chose, assassiner un Shérif tyrannique passe encore… Mais tuer un duc en voyage !
-Les ducs en voyage n'ont aucunement le droit d'essayer de tuer mon frère, rétorqua Robin en s'avançant jusqu'à son cadet. Recule, Gilles, ajouta-t-il doucement avant de positionner son bras devant lui pour le protéger et le faire passer dans son dos. »
Il haussa la voix et conclut :
« Partez d'ici ou bien acquittez-vous de notre taxe. Si vous refusez, c'est nous qui vous le ferons regretter. »
Gilles jeta un coup d'œil à son aîné et ne put s'empêcher de se rengorger qu'il soit si fort et si sûr de lui. Depuis qu'ils s'étaient réconciliés, il était tellement fier d'être son frère.
« Vous n'êtes pas en état d'exiger quoi que ce soit, comte de Locksley, protesta le duc depuis sa portière.
-Je n'exige rien, je vous laisse le choix, rétorqua Robin avec ce sourire enjoué qui lui allait si bien. Mes hommes sont là, en embuscade. Vous pouvez nous jeter l'une de vos bourses ou bien attendre que nous venions vous dépouiller.
-Et mon frère n'aime pas attendre, renchérit Gilles avec un rictus que leurs opposants ne pouvaient pas voir mais qui agrandit le sourire de son aîné. »
Il lui donna une petite tape dans l'épaule et se re-concentra aussitôt sur l'autre berge quand un roulement de galets se fit entendre. Un autre soldat vint apporter une bourse pleine, qu'il jeta sur les pierres émergées devant les deux voleurs et, après un hochement de tête de Robin, le convoi s'engagea sur le gué qui traversait le courant. Rapidement, le duc et son escorte disparurent de la vue des deux frères.
« Je suis heureux d'être arrivé à temps, lâcha l'aîné en posant sa main sur l'épaule de son cadet. Ce couard cupide aurait pu te tuer.
-Oui… Mais j'ai plus souvent fait face à ce genre de situation que tu sembles le croire, rétorqua Gilles. Son arbalétrier n'avait pas encore tiré. J'avais le temps de me mettre à l'abri.
-Oui, j'imagine, soupira Robin avant de lui passer la main dans les cheveux puis de lui donner une petite tape sur la nuque. Mais je préfèrerais que tu sois en binôme avec quelqu'un quand tu surveilles la frontière.
-Robin, ne recommence pas, feignit de le gronder le jeune homme. Tu ne peux pas m'empêcher de faire tout ce qui te paraît dangereux.
-Je sais, sourit son frère.
-Par contre, je veux bien que tu sois mon binôme toutes les fois que je monterai la garde ici. »
Le sourire de l'archer s'agrandit et il se baissa pour délaisser ses propres chausses et s'assoir à son tour au bord de l'eau. Il y trempa les pieds et, sans attendre, Gilles vint le rejoindre.
« Ce serait avec grand plaisir, répondit le frère aîné. On passe un petit moment ensemble ?
-Oui, ça me plairait bien, fit valoir le jeune voleur avec un rictus frondeur, avant d'appuyer sa joue contre l'épaule de l'archer. »
Robin sourit, passa le bras autour de lui et profita du doux murmure de la forêt, de la présence de son frère et de l'eau qui s'écoulait.
