Le docteur Steven Strange fut le premier à la voir venir.
Infiniment loin de l'ancienne Galaxie jadis régie par la Force, à des millards d'années-lumières de là, une petite planète bleue orbitait autour d'une naine jaune en périphérie de la Voie Lactée : la Terre. Une petite planète très intéressante par ailleurs, à cause de sa position stratégique : de nombreuses reliques ancestrales avaient été entreposées là au fur et à mesure des millions d'années, puisque personne ne voyait en les habitants de ces contrées une menace sérieuse. Les humains, la seconde espèce indigène à y avoir bâti une civilisation, étaient tout juste bon pour garder un œil sur quelques unes de ces reliques et protéger leur monde de potentiels pilleurs de tombes.
L'une de ces reliques n'était nulle autre que la Pierre du Temps, l'une des six singularités à l'origine de l'Univers. Un ordre de mystiques locaux – les Sorciers – s'était créé des milliers d'années auparavant dans le seul but de la conserver sur place et de cacher sa présence sur Terre. Agamotto, l'être venu des étoiles pour dissimuler la Pierre des griffes d'un ennemi aussi ancien que la vie elle-même, leur avait offert une partie de ses pouvoirs en contrepartie de leur absolue loyauté. Depuis, les Sorciers servaient sa volonté et protégeaient la Pierre.
Strange – comme son nom pouvait subtilement l'indiquer – était une anomalie au sein de l'Ordre. Ambitieux, avide de savoirs, peu fiable et insouciant, il était loin de représenter la solide honnêteté et le sérieux sans failles de ses confrères ; et pourtant, on l'avait nommé Sorcier Suprême. Son génie intellectuel et sa maîtrise extraordinaire des arts mystiques le rendaient indispensable pour protéger la Terre d'invasions de plus en plus fréquentes. Ainsi, malgré ses excentricités, on le tolérait, le respectait et le tenait en haute estime parmi les Sorciers.
Ce jour, pour la première fois depuis longtemps, une terreur glaçante s'empara de Strange lorsqu'il leva les yeux vers les étoiles.
Elles disparaissaient.
Encore une planète pleine de vie, pleine de souffrances...
L'entité s'avança inexorablement vers sa prochaine victime : un monde ridiculement petit et centré sur lui-même comme s'il représentait le centre de l'Univers, vaniteusement appelé « Terre » par ses propres habitants.
Ce n'était que la bordure de cette galaxie en forme de spirale, la première planète sacrifiée avant de nombreuses autres dans ce coin de l'Univers. Comme toujours, les cris de centaines de trilliards d'organismes à travers les étoiles résonnèrent en son sein, comme s'ils l'imploraient tous de venir les libérer de leur peine. Comme toujours, miséricordieuse, elle tendit ses bras pour les accueillir dans le Néant.
Et pourtant...
« Qui es-tu ? » retentit soudain une voix inconnue.
Tous ses sens en alerte, l'entité se concentra pour percevoir avec netteté la singularité qui osait lui adresser directement la parole.
Il ne s'agissait que d'un homme, seul. Il se tenait au sommet d'une tour humaine, comme pour être plus proche des étoiles qu'elle dominait. Sa tunique était bleue, comme l'eau de sa planète, et une cape antique d'un rouge sanglant ceignait ses épaules étroites. Sa silhouette, plutôt grande pour un humanoïde, semblait taillée à la hache, un peu comme son visage aux pommettes saillantes et aux yeux pâles.
L'entité remarqua également un autre détail, et pas des moindres : à son cou, l'homme portait une Singularité, emprisonnée dans une amulette ornée de symboles complexes. Oh. C'était donc de là qu'il devait tirer sa force. Surprenant pour un humain. Elle avait déjà croisé quatre autres de ces Singularités au cours de son voyage – réparties dans d'autres galaxies – et elle les avait absorbées en même temps que les étoiles. Celle-ci ne lui faisait donc pas peur.
« Je répète, parla de nouveau cet impertinent. Qui es-tu ? »
L'entité, très intéressée par cet interlocuteur impromptu, tenta de se glisser dans son esprit pour y lire ses souvenirs : en vain. Ce n'était pas de la résistance, ce qu'elle rencontra dans sa tête : cela s'apparentait davantage à une forme de... réalité alternative, indéchiffrable pour ses sens.
Malgré toutes ses pérégrinations à travers l'Univers, l'entité n'avait jamais croisé de galaxies où existait un phénomène semblable à la Force de sa Galaxie d'origine. C'était comme si elle n'avait été qu'une exception à la règle générale, une anomalie au sein de milliards de congénères semblables...
Ceci ne s'apparentait nullement à la Force, ni à rien de ce qu'elle connaissait : c'était comme si cet homme possédait des connaissances au-delà des limites de son imagination. En apparence, chose impossible.
« Je suis..., répliqua-t-elle après une pause significative. Je suis... »
Elle se rendit compte qu'elle était incapable de répondre à cette simple question. Elle décida alors de changer de tactique.
« On m'a donné des noms, jadis, mais ces noms sont désormais oubliés, perdus dans les ténèbres. J'ai été un être qui te ressemble, mais la puissance d'une galaxie a effacé cette futile identité. Je suis celle qui erre parmi les étoiles, le fantôme qui parcourt l'Univers en aidant au passage ceux qui ressemblent à ce qu'il a été. Je suis l'anti-vie, celle qui annihile chaque souffrance et apporte la délivrance ultime. Et une fois ma mission accomplie, je serai le Dernier des Fantômes. »
Strange haussa un sourcil.
« Ok, je vois. On peut dire que t'es le méchant, alors...
« Le méchant ? s'étonna l'entité. Qui es-tu, toi, qui as assez de courage pour venir me parler en ces termes ?
« Je suis le type qui va te botter le cul si tu ne quittes pas immédiatement la périphérie de cette planète », répliqua Strange en prenant une pose de combat.
L'entité réfléchit. Elle n'était pas mauvaise par nature, elle désirait seulement aider... Cet homme étrange, c'était comme s'il était fractionné en une infinité de versions de lui-même. Elle n'avait jamais encore vu une chose pareille.
Prudemment, elle tenta une attaque pour le jauger.
Un véritable tsunami d'énergie cosmique déferla sur le docteur Strange.
Agile, il esquiva le plus gros de l'impact ; la ville de Londres derrière lui fut frappée sans qu'il ne puisse l'empêcher.
C'était donc ça, l'arme de l'Entité... À présent qu'il l'avait jaugée, il était prêt. Ils étaient prêts.
Parmi l'infinité de Steven Strange à travers le Multivers, quelques chanceux avaient appris à se servir des arts mystiques. Chacun d'entre eux était le même Steven Strange – mais chacun différait pourtant de tous les autres.
Malgré leur connaissance des réalités parallèles, ils ne se croisaient que très rarement. Le caractère de Strange était remarquable par son imprévisibilité : il était fréquent pour chaque voyageur de faire de mauvaises rencontres en souhaitant parler à celui qu'il ne considérait que comme son double. Des meurtres et des batailles inter-dimensionnels avaient déjà eu lieu à une infinité de reprise ; Strange n'était pas toujours le protecteur de la Terre : parfois, il était aussi son bourreau. Il représentait à la fois la meilleure aubaine et la pire des menaces pour son monde d'origine – et parfois aussi pour des mondes voisins.
Ce Strange-ci était pourtant spécial – aussi spécial qu'un Strange parmi des infinités d'autres Strange peut l'être, certes, mais il avait tout de même une caractéristique que rares de ses alter-egos possédaient : il avait appris l'art de communiquer avec ses « semblables » et, à l'occasion, à exploiter leur force grâce à des alliances. C'était le Strange Médiateur – celui que ses doubles savaient écouter et sollicitaient lorsqu'eux-mêmes avaient des ennuis. Autour de son monde, toute une poche composée d'innombrables univers était en liaison presque permanente, coopérant, s'entre-aidant en situation de danger.
Dans son univers, Thanos avait été tué avant même qu'il ne débute sa quête pour trouver les Pierres d'Infinité. Pourtant, ce Strange connaissait très bien le titan fou : dans de nombreux univers voisins, ses confrères l'avaient appelé à l'aide lorsqu'ils s'étaient fait attaquer. Il avait négocié avec d'autres doubles, créé des alliances, monté une armée de Strange pour combattre un à un les Thanos des univers voisins. En échange de son aide, de nombreux Strange l'aidaient régulièrement et partageaient avec lui leurs pouvoirs. Ensemble, ils formaient la Coalition de l'Étrange.
C'était pour cela que l'entité ne parvenait pas à lire dans ses pensées : il n'était pas seul, il était légion. Et il attendait encore des renforts.
L'entité vit très vite que cet adversaire lui donnerait du fil à retordre.
Il pouvait se déplacer n'importe où, grâce à ses portails. Il pouvait invoquer des chaînes et des lances – pas que cela l'affecte outre mesure, mais c'était désagréable et cela lui faisait perdre sa concentration. Il ne pouvait pas être manipulé. Elle ne savait pas s'il souffrait.
Leur combat prit rapidement des dimensions titanesques. Malgré tous les efforts de Strange, il ne parvenait pas à emprisonner l'entité dans la Dimension Miroir : les dégâts faits sur la Terre étaient cataclysmiques. Il avait tout de même réussi à joindre les autres Sorciers pour qu'ils édifient un bouclier protecteur autour des grandes villes. Mais malgré cela, les victimes se comptaient déjà par milliers.
Tandis qu'une partie de la Coalition l'aidait à combattre cet ennemi surpuissant, quelques autres Strange disséminés à travers le Multivers recherchaient des recrues. Beaucoup de Strange se montraient hostiles, mais dans le lot, certains acceptaient bien de venir les aider.
L'un d'entre les rabatteurs finit par tomber sur une configuration inédite : un minuscule univers de poche, dans lequel était coincé un seul être : Steven Strange.
Lorsque ce Sorcier solitaire leva les yeux sur son alter-ego, l'autre comprit immédiatement que quelque chose n'allait pas...
« Qui es-tu ? l'interrogea le Strange de l'univers de poche d'une voix basse et rauque.
« Je suis... toi, répondit le nouveau-venu, mal à l'aise. Enfin... une version alternative de toi. Que s'est-il passé, ici ? »
Le Strange autochtone leva les yeux et entrouvrit les bras en soupirant. Son teint était affreusement pâle, ses joues grisâtres et ses yeux injectés de sang. Même sa cape de lévitation était noire et dorée au lieu d'être rouge vif.
« J'ai tenté de la sauver..., gémit-il, au bord des larmes. J'ai tenté de modifier un point fixe dans le temps... Ma réalité a été entièrement consumée par le paradoxe. »
Horrifié, l'autre Strange contempla avec fascination les limites étroites de cet univers de poche. Il y avait tout juste la place pour trois ou quatre personnes – tout au plus. Mais Strange était le seul occupant.
« Et... tu es resté en vie ? questionna-t-il prudemment cet étrange double. Comment...? Comment as-tu trouvé la puissance pour modifier un point fixe ? »
Une ombre sinistre passa dans les yeux de son alter-ego. Le nouveau-venu eut l'image fugace d'un hybride, d'une abomination sans nom, d'un patchwork d'êtres magiques venus de toutes les dimensions, absorbées et lentement digérées par...
... Strange.
« Oh, souffla-t-il lorsqu'il eut compris. Donc tu as... mangé des dragons ?
« Oui, soupira l'autre. Toutes sortes de créatures. Même un Cthulhu. »
Silence.
« Eeeet... doooonc... si je comprends bien, tu es extrêmement puissant ? »
Son double haussa les épaules.
« Si on veut. Ça ne m'a servi à rien. Je suis seul, à présent. J'ai tout détruit. »
Second silence, plus long que le premier.
Enfin, le visage du nouveau venu se fendit d'un large sourire narquois.
« Eh bien, si tu te sens seul et si tu as des remords, je pense que j'ai la solution parfaite !»
« EH, les gars ! Je crois que j'ai trouvé notre version Suprême ! »
À travers le lien télépathique que les Strange de la Coalition partageaient, ils laissèrent filtrer leur étonnement.
Le Strange Médiateur – celui plongé en plein combat pour le moment sans issue envisageable avec l'entité – fut le premier à réagir :
« Ah ouais ? Dans ce cas, est-ce que ce serait possible de me l'envoyer ? Je galère un peu, là... s'il est vraiment aussi puissant, ça pourrait aider !
« Quoi, l'envoyer physiquement ? s'étonnèrent plusieurs Strange.
« C'est risqué, objectèrent quelques autres.
« Qu'est-ce qu'on sait sur lui, au juste ? Ne risque-t-il pas de représenter une menace ? »
Par le passé, la Coalition avait déjà eu à lutter contre des versions maléfiques de Strange qui souhaitaient prendre possession du Multivers.
Le recruteur voulut répondre, quand soudain, une voix puissante et vibrante retentit à travers tout le réseau télépathique, manquant au passage de le briser par sa simple force :
« J'ai déjà détruit un univers et j'ai eu des siècles pour le regretter. Vous m'offrez ma seule opportunité de me racheter. Alors, de grâce, si je n'ai pas pu protéger mon univers, laissez-moi vous aider à sauver le vôtre. »
Silence. Son intervention, d'une puissance mal maitrisée, avait refilé une sale migraine à tous ses doubles.
« Eh bien, moi je dis, intervint enfin le Strange Médiateur, qui subissait pendant ce temps les assauts de l'entité, si tu veux nous aider, c'est maintenant ou jamais ! »
Le visage maladif du Strange Suprême s'illumina d'un sourire.
Oh. Un nouveau venu. D'où pouvait-il bien provenir ? L'entité observa le Strange Suprême d'un œil curieux. Contrairement à l'autre Strange, elle parvenait à ressentir sa souffrance. C'était un être terriblement seul et terriblement triste. Vite, vite, elle se précipita pour le guérir...
... et fut repoussée par la puissance d'un dragon céleste !
Oh. Elle comprenait mieux, désormais. Cet être lui ressemblait bien davantage que tous les autres. Tout comme elle, il avait dévoré, absorbé, digéré des créatures et des galaxies, desquelles il tirait à présent toute sa puissance. Autrement dit : enfin un adversaire de taille...
À présent, des tentacules destructeurs s'insinuaient en elle pour rompre sa structure, tandis que l'autre Strange – celui de cet univers – voltigeait autour d'elle pour la distraire en multipliant ses faibles assauts. Intelligent, pour un humain. Mais face à une entité cosmique, cela n'était rien : elle pouvait voir tous ses souvenirs.
Sournoise, elle s'insinua dans son esprit.
« Bonjour, dit-elle, préférant se borner à une formule de politesse classique pour signaler son intrusion. Qui es-tu, et que fais-tu si loin... de chez toi ? »
Oh. Elle comprenait, à présent. Contrairement à ce qu'elle avait cru jusque-là, il n'y avait pas qu'un seul Univers, pas qu'une seule Réalité : il y en avait de multiples, chacune abritant de la vie, chacune habitée par la souffrance.
Oh, elle allait avoir encore bien du travail...
« N'y songe même pas ! cria mentalement le Strange Suprême. Je te détruirai de mes propres mains s'il le faut, mais tu ne toucheras plus à un seul cheveu d'un seul être vivant ! Tu comprends ?
« Oh, tu m'en empêcheras, vraiment ? susurra malicieusement l'entité en renforçant son emprise sur l'esprit du Sorcier. Et comment comptes-tu t'y prendre... destructeur d'Univers ? »
Certes, il était puissant : ses actes avaient eu pour conséquence l'effondrement de sa réalité d'origine. Mais cela n'avait été qu'un malheureux accident, ce n'était nullement intentionnel de sa part. Elle savait bien qu'il n'était pas prêt à réitérer un exploit de cet ampleur, fût-ce même pour l'arrêter : le prix à payer était trop grand.
« Oh, mais je ne compte pas te frapper à mort, loin de là ! répliqua Strange sur le même ton. Ce serait parfaitement idiot de ma part... C'est toi-même qui te détruiras, toute seule, comme une grande !
« Quoi ?
« C'est simple : sache, mon cher Obi Wan Kenobi, que si tu peux lire dans mon esprit comme dans un livre ouvert, je peux te faire exactement la même chose. En pénétrant dans ma tête pour me dérober mes secrets, tu as du même coup livré les tiens. Et sache, si cela peut te complimenter, que je trouve tout ceci extrêmement intéressant ! »
L'entité émit un gémissement à en déchirer les tympans de tout humain à cent kilomètres à la ronde, et sortit en trombe de l'esprit de Strange. Il n'avait pas le droit... pas le droit ! User de ce nom tant haï pour la désigner était le sacrilège suprême, l'hérésie qui méritait une destruction immédiate et absolue !
Un déferlement de puissance brute frappa Strange Suprême de plein fouet. C'était une énergie suffisante pour anéantir une dizaine de galaxies d'un coup. Pourtant, le destinataire du coup se contenta d'ouvrir la bouche et de l'absorber – ses yeux s'illuminant comme deux braises lorsqu'il eut dégluti. Il n'avait subi aucun dommage.
Non... c'était impossible...
L'entité n'était pas la seule à demeurer sous le choc : à travers les yeux de Strange Médiateur, tous les autres Strange étaient bouche bée. C'était donc ça, leur réel potentiel ? C'était une puissance comme celle-ci – capable d'encaisser l'équivalent de milliards de supernovae – que l'Ancien avait évoquée lorsqu'elle les encourageait à poursuivre leur entrainement pour donner le meilleur d'eux-mêmes ? Il existait donc bien une réalité alternative à la leur dans laquelle ils avaient acquis le pouvoir d'un dieu ?
« Je te le répète, cria le Strange Suprême. Quitte cette galaxie, retourne là d'où tu viens, et restes-y ! Tu as déjà causé assez de souffrances comme ça !
« De souffrances ? s'offusqua l'entité malgré son choc de l'avoir vu survivre. Tu oses me dire à moi, la Libératrice, que j'ai causé des souffrances ?! Vermine d'humain, tu vas me le payer ! »
Ivre de colère, l'entité usa de toute sa puissance pour emprisonner son adversaire dans son esprit et l'y étouffer. En général, elle était miséricordieuse, cherchant toujours coûte que coûte à éliminer la douleur ; cette fois-ci, cependant, tout son art servit à provoquer le maximum de dégâts : elle fit ressasser en boucle d'atroces souvenirs, des pans de la mémoire de Strange qui avaient presque fini par détruire l'homme dans son univers d'origine. Bientôt, il perdit complètement la notion de la réalité, enchainé par sa propre mémoire.
Cet humain avait beau posséder le pouvoir d'une multitude de démons, il demeurait de chair et de sang malgré tout. Tant qu'un être vivant restait emprisonné dans un corps, jamais il ne pourrait devenir un dieu. Les souvenirs : c'était là l'unique bien mais aussi l'unique faiblesse du Strange Suprême.
Pendant ce temps, l'autre Strange – celui qui puisait son pouvoir de ses alter-egos du Multivers – continuait de tourbillonner autour d'elle, cherchant désespérément une faille. Il ne s'était pas encore aperçu de l'échec de son « double divin ».
Avec l'esquisse d'un sourire, l'entité tendit ses griffes acérées vers l'impertinent perturbateur.
« Tu devrais te rendre, lui murmura-t-elle d'une voix douce. Tu devrais cesser ce combat sans issue et aller dire adieu à tes proches, à ta... famille. »
Elle se sentit toute bizarre en prononçant ces mots, mais n'en tint pas compte davantage.
Le Strange Médiateur lui lança un regard surpris :
« Quoi, tu laisses tomber mon alter-ego ? M'est avis que c'est vers lui que devrait se porter ton attention... »
Son regard tomba alors sur son allié : étendu, inconscient, flottant mollement dans l'air grâce à sa cape noire.
Chaque muscle de son visage se décomposa pour l'affubler de la plus pure expression d'horreur et d'incrédulité : sa version suprême, capable de détruire des univers et d'avaler des explosions cataclysmiques... hors d'état de combattre ?! Non... non ! C'était impossible !
L'entité se contenta de ricaner d'un air mauvais :
« Nul parmi les êtres vivants n'est invincible ! Il n'y a que moi, ici, qui soit... inéluctable. »
Et elle fonça vers Strange, qui eut tout juste le temps d'édifier un bouclier lumineux autour de lui, aidé par les runes que certains de ses doubles avaient tracées sur ses vêtements.
« Steven... c'est inutile, tu vas juste te faire tuer ! cria l'un de ses alliés par leur lien télépathique.
« Je crée un Portail pour le ramener dans mon univers, ça ne servira à rien qu'il meurt, parla un autre.
« Et moi je ramène l'autre – le surcheaté, intervint un troisième en traçant le Portail. Diable, j'espère qu'il n'est pas cané, il a l'air plus mort que vif ! »
Et c'est ainsi que la Terre fut détruite : privée de son unique protecteur.
