« Bob Ogden » tentait de se remémorer Angela. Albus Dumbledore avait prononcé ce nom, précisant par-là-même que le souvenir était très précieux, avant de l'entraîner dans les limbes du passé.
Pourtant, à elle ce nom n'évoquait absolument rien tandis qu'elle chutait à une vitesse vertigineuse, rien à part une appartenance probable à une quelconque société anglophone.
Bref, elle était à la fois décontenancée et intriguée par la demande inhabituelle de son illustre homologue. Et d'ailleurs, pourquoi la faire venir si tard auprès de lui ? Craignait-il donc à ce point d'être surpris par un membre du Ministère alors même qu'ils se trouvaient dans une pièce inviolable pour quiconque n'avait pas l'autorisation de rentrer ?
Soudain le sol se rapprocha brusquement, la lumière l'éblouit et Angela Walter-Klein roula à terre en étouffant un cri de frayeur.
La nuit n'aurait pas pu être plus avancée. Pourtant, pendant que Gilda Marty et Ignacius Malefoy se perdaient dans leurs états-d'âme respectifs en cherchant désespérément un repos qui s'était résolu à les fuir l'un autant que l'autre, Albus Dumbledore et Angela Walter-Klein étaient de leur côté parfaitement réveillés. Et aussi différentes que puissent paraître leurs activités au premier abord, tous avaient en commun cette nuit-là de se plonger dans de mystérieux, douloureux ou inquiétants souvenirs.
Il faut dire que le vieux directeur savait parfaitement que leur quête d'informations n'aurait pu tolérer qu'il prenne le moindre repos, d'autant que le séjour de sa jeune homologue n'était pas appelé à s'éterniser et qu'elle repartirait deux jours plus tard.
Or Albus avait besoin d'elle, le simple visionnage de cette fiole durant l'après-midi l'en avait fermement convaincu.
A présent que lui et Angela venaient de plonger au sens propre, chutant sur ce qui semblait être des centaines de mètres après avoir basculé tous les deux par dessus les rebords de la Pensine, il se surprenait pourtant à douter. La jeune femme pourrait-elle véritablement le renseigner et lui apporter les éléments de réponse qu'il attendait ?
Mais dans tous les cas, Albus savait qu'il ne pouvait éviter de mettre quelqu'un d'autre dans la boucle de l'information. Car si Lord Voldemort gagnait la guerre qu'il était en train de mener, si le Royaume Uni tombait sous sa coupe et si Harry échouait, l'Europe sorcière toute entière basculerait très vite dans les mêmes idéologies et tout le travail d'ouverture et les gains en matière de liberté, durement gagnés après la chute de Grindelwald, disparaîtraient.
Et Albus, au-delà de tout ses états-d'âme ne pouvait pas envisager une seule seconde de laisser faire une chose pareille. Il ne voulait pas le retour de ce monde dont il avait déjà eu tant de peine à se libérer.
L'atterrissage avait été soudain et chaotique, mais non douloureux à leur grand soulagement même si Angela se tourna aussitôt vers son vieil homologue pour la santé duquel une telle chute l'inquiétait.
- Vous allez bien ? Lui demanda t-elle sur un ton alarmé, presque paniqué.
- Aucun problème Angela, répondit-il. Rassurez-vous, je suis habitué à vivre dangereusement.
Par Merlin, il en avait de bonnes ! Songea en retour la directrice du Blocksberg, non sans une certaine exaspération.
Cela dit, les gestes alertes du vieil homme qui se redressait comme d'un rien la rassurèrent immédiatement. Il n'y avait pas de soucis à se faire de ce côté-là. Albus Dumbledore semblait plus fringant que jamais et son regard féroce indiquait sans aucune ambiguïté qu'il était parfaitement déterminé à mener cette mission-là à bien.
- Je suis habitué à ces entrées en matières Angela, répéta t-il d'une voix douce. Ne vous inquiétez pas.
Rassurée et à présent curieuse, la sorcière jeta un œil autour d'elle.
- Regardez, murmura soudain le vieux sorcier qui comme elle observait les environs d'un œil de rapace tandis qu'ils essuyaient leurs habits après s'être relevés sur cette route en plein soleil au milieu de laquelle la Pensine les avait conduits.
Plus qu'une route, et pour être honnêtes, ils pouvaient dire qu'ils étaient arrivés sur un chemin de campagne, absolument pas goudronné mais bordé en revanche de hautes haies touffues à l'aspect presque sauvage. Diverses essences végétales dont les nuances du vert au brun-noir jouaient en plaques de lumière sous un ciel d'été d'un bleu azur, étincelant sous l'effet de l'astre du jour et illuminant l'espace presque tout entier. Seul le couvert des buissons restait frais et obscurs, donnant à Angela une furieuse envie de s'y blottir.
Et lorsqu'on venait de quitter le bureau de Dumbledore de nuit et en plein hiver, inutile de dire que cela faisait plutôt bizarre de se retrouver au beau milieu d'une nature ensoleillée, d'autant qu'Angela avait toujours eu du mal à supporter ce genre de soleil de plomb.
Cela dit, l'étrangeté de la situation ne s'arrêtait pas là et elle l'avait remarqué rien qu'en levant les yeux. A trois mètres d'eux en effet, juste avant que la route se mette à faire des zigzags, un petit homme replet portant des lunettes extraordinairement épaisses était debout, planté immobile sur le bord de la route et Angela le regardait déjà avec intérêt.
Il était en train de lire (visiblement avec une grande peine) un panneau indicateur en bois vermoulu planté dans les ronces, juste sur le côté gauche de la route. Et à sa mine déroutée et vaguement désorientée, on ne pouvait douter qu'il s'agissait là d'un bleu du Ministère de la Magie anglais.
Peut-être même avait-il été envoyé là par pur bizutage.
- C'est Bob Ogden, pas vrai ? Demanda Angela.
- Oui, répondit Albus Dumbledore qui le fixait aussi avec attention. Il s'agit bien de lui, c'était il y a bien longtemps.
Angela grimaça imperceptiblement. En effet, elle n'avait eu qu'à lui jeter un œil pour se faire une idée de la personne à qui elle avait à faire. Au premier regard, elle savait déjà que le type faisait partie de la frange communautariste des sorciers, et cela n'avait rien d'étonnant puisque c'était la faction largement majoritaire en Angleterre.
Comment savait-elle cela ? Et bien parce que Bob Ogden arborait un étrange assortiment vestimentaire issu de tous les horizons, et malheureusement très fréquent chez les sorciers inexpérimentés qui voulaient se fondre parmi les Moldus. Dans le cas présent, il s'agissait d'une redingote et de guêtres passées par-dessus un maillot de bain à rayures, autrement dit une tenue indiquant sans aucun équivoque sa méconnaissance totale du monde magique.
- Baba Yaga ! Souffla Angela mortifiée, après s'être assurée qu'elle ne rêvait pas. Mais quelle horreur !
- J'admets que cet accoutrement est pour le moins… éclectique… Répondit Albus Dumbledore d'une voix douce tandis qu'il observait également l'homme face à eux.
- Vous comprenez maintenant, pourquoi au Blocksberg nous militons pour une connaissance et une intégration dans le monde des moldus ? souffla à nouveau Angela, pas encore véritablement remise de sa surprise.
- Oui, répondit le directeur de Poudlard. Je comprends tout à fait. Et pour tout vous dire, je trouve que c'est une très bonne idée. Les sorciers de votre région ont la chance de pouvoir évoluer dans un milieu culturellement plus ouvert. Cela dit, ne jugez pas trop vite ce pauvre homme je vous prie.
Angela se le tint pour dit même si la remarque la vexait un peu. Elle regarda un peu plus l'homme et reprit brusquement ses esprits. Pourquoi diable parlait-elle chiffons ?
Était-ce la démarche de son vieil homologue qui la perturbait à ce point ?
Mais d'abord, que faisaient-ils là tous les deux à zieuter un représentant du Ministère ayant vécu plus de 70 ans auparavant ? Cela remontait à tellement loin que, à cette époque, Grindelwald était même encore au pouvoir ! Quant-à elle, elle était encore bien loin de naître…
Comme Angela y pensait, elle ressentit un regain d'intérêt pour l'affaire qui les occupait. Cependant, elle se sentait toujours profondément surprise et intriguée.
Dumbledore attendait-il un décryptage de sa part ? Mais par Merlin, en quoi pourrait-elle bien le renseigner, lui qui savait tant de choses et n'en déduisait pas moins ?
Elle n'eut guère le temps d'y réfléchir davantage cependant. Bientôt, l'homme aux habits azimutés s'éloigna d'un bon pas le long de la route. Albus Dumbledore et Angela Walter-Klein le suivirent, ce qui n'était pas très difficile car il ne marchait pas si vite que cela.
Le directeur de Poudlard gardait les yeux fixés sur leur cible tandis qu'Angela, nerveuse, observait distraitement son vieux collègue qui jouait avec la topaze d'une de ses bagues.
Est-ce qu'il espérait vraiment en tirer quoi que ce soit ? Non, c'était sûrement un geste machinal et un peu nerveux.
Angela adorait la minéralomencie qu'elle pratiquait depuis son plus jeune âge, mais en cette soirée d'hiver elle ne se sentait pas vraiment d'humeur à laisser les énergies la guider vers l'azur des astres.
Cet endroit ne lui disait rien qui vaille malgré son aspect agréable sous l'effet du soleil éclatant. Et elle savait d'expérience que, pour tout ce qui touchait à la magie noire, les apparences pouvaient clairement être trompeuses.
Quant-au panneau indicateur de bois que Bob Ogden avait si longuement regardé et auquel elle jeta également un regard intrigué, il était composé de deux flèches dont une qui pointait droit vers la lignes de collines qui se découpaient dans l'horizon.
- « Great Hangleton, huit kilomètres », lut à voix haute Angela en ôtant ses épais gants de laine pour avoir moins chaud.
L'autre panneau cependant, tout en pointant dans le sens où marchait Bob Ogden, signalait : « Little Hangleton, un kilomètre et demi » et dessus semblait être dessinée une fleur semblable à une azalée qui laissa la directrice du Blocksberg un peu songeuse.
- Pourquoi donc une fleur ? Murmura t-elle entre la surprise et l'inquiétude.
Albus Dumbledore hocha la tête en signe d'ignorance, ce qui ne la rassura guère.
Ils se mirent en marche et parcoururent une courte distance sans rien voir d'autre que les haies qui bordaient la route, l'immense ciel d'azur au-dessus de leurs têtes et la silhouette de Bob Ogden qui filait devant eux en zigzagant, vêtue de sa redingote et de son maillot à rayures.
Puis la piste décrivit une courbe vers la gauche et descendit soudainement en pente raide au flanc d'une colline, leur offrant une vue inattendue sur toute une vallée qui s'étendait sous leurs yeux... Et notamment sur plusieurs champs de fleurs qui pouvaient expliquer la présence de l'azalée peinte sur le panneau.
En pleine floraison les rhododendron, puisqu'il semblait bien s'agir de cela, coloraient l'horizon d'un rose profond magnifique mais, étrangement, Angela frémit avec inquiétude.
- Vous pensez que ce sont les fleurs qui intéressent Bob Ogden ? Demanda t-elle instinctivement à Dumbledore qui secoua la tête en fixant le petit homme qui marchait toujours devant eux un peu bizarrement, comme s'il avait été soudain intimidé.
- Non, répondit-il. De ce qu'il a pu me révéler, il n'en a jamais été question...
Il n'y avait pas à dire, leur destination ne le rassurait pas le moins du monde, de ce qu'elle pouvait en voir.
- En fait, ajouta Albus Dumbledore après un bref silence. D'après que Bob Ogden m'a dit, il avait à voir une famille sorcière assez problématique dans ce village, une branche de la dynastie Gaunt.
Angela, d'instinct, reporta son regard sur le champs de fleurs et elle observa ensuite longuement le village et ses alentours immédiats. Little Hangleton se détachait au milieu de plusieurs champs d'azalées qui l'intriguaient et la mettaient mal à l'aise.
Après avoir affronté plusieurs fois de redoutables formes de Magie Noire, en particulier des inferis, elle savait qu'il ne fallait jamais ce fier aux apparences dans ce domaine.
La localité n'était pourtant qu'une petite bourgade nichée entre deux collines escarpées, son église et son cimetière restant clairement visibles au milieu des couleurs chatoyantes et gaies de ce qui semblait être un début d'été.
De l'autre côté de la vallée, sur la colline opposée qui se découpait dans un morceau d'azur, Angela pouvait même distinguer un élégant manoir entouré d'une vaste pelouse soyeuse d'un vert très tendre. Elle n'en frémit que de plus belle.
- Va t-on marcher jusque là-bas ? Demanda t-elle à Albus Dumbledore en désignant la demeure.
- Je ne crois pas répondit le vieil homme tandis que le chemin se mettait brusquement à descendre.
La pente raide avait obligé le bleu du ministère à accélérer l'allure malgré lui, et Angela constata avec agacement qu'il s'essoufflait quand-même très vite, manquant de toute évidence d'activité physique.
Décidément, le monde sorcier britannique était dans un état de délabrement bien triste à voir !
Dumbledore aussi allongeait le pas à présent et Angela fit de même, veillant cependant à rester à sa hauteur car il n'était plus tout jeune malgré une forme extraordinaire pour son âge et elle s'attendait à tout instant à le voir s'essouffler.
Il allait falloir qu'il tienne le coup pourtant. Surtout si le chemin continuait à s'escarper ainsi jusqu'au village !
Angela ne doutait pas en effet que Little Hangleton constituait leur destination finale, et elle se demandait donc avec appréhension laquelle de ces maisons finirait par accueillir Bob Ogden et ce qu'ils allaient y trouver. Si une famille sorcière récalcitrante à l'ordre vivait là en effet, ainsi que le directeur de Poudlard le lui avait expliqué, il y avait fort à parier que la dissimuler aux yeux des moldus devait être difficile.
Se pouvait-il qu'ils habitent le manoir de la bourgade ? Si tel était le cas, il y avait de quoi s'inquiéter sachant que les Gaunt étaient connus pour les mauvais traitements très nombreux qu'ils avaient fait subir aux moldus.
Ce village dans son ensemble ne lui disait rien qui vaille et, pour ne rien arranger à son anxiété, ces fleurs qu'elle voyait plantées au loin lui rappelaient de mauvais souvenirs, de très mauvais même.
« Pourvu qu'il n'y ait pas d'inferis », pensa t-elle une nouvelle fois, la gorge nouée par l'anxiété.
L'idée qu'elle se trouve dans un simple souvenir, et donc totalement hors de danger, ne l'effleurait même pas tellement elle avait peur à présent.
Ceci dit, Angela comprit bientôt qu'elle s'était trompée en croyant prendre la direction du village de Little Hangleton. Car le chemin tourna brusquement vers la droite et, lorsqu'ils en eurent passé la courbe, ils virent le bas de la redingote d'Ogden disparaître dans une ouverture de la haie.
- Qu'est-ce que cela veut dire ? Pensa t-elle à voix haute en accélérant instinctivement le pas pour éviter de perdre leur cible de vue.
Maintenant qu'ils avaient quitté la route, le paysage était en train de changer nettement. Angela et Albus Dumbledore suivirent le bleu du Ministère sur un autre chemin de terre, encore plus étroit, très inégal et bordé de haies plus hautes et plus sauvages que celles qu'ils venaient de quitter. Le sentier, sinueux, caillouteux, parsemé de nids-de-poule, descendait lui aussi à flanc de colline et, tout en se rétrécissant à vue d'oeil. Et de ce qu'elle pouvait en voir, il semblait mener à un bosquet d'arbres sombres plantés en désordre un peu plus bas, dans un genre de combe mal exposée.
Paradoxalement, Angela se détendit un petit peu à la vue de ce décors beaucoup plus rustre et sauvage, mais aussi moins inquiétant à ses yeux après ce qu'elle avait vécu durant ses premières années d'exercice, période durant laquelle elle avait maintes fois affronté le danger dans les décors les plus raffinés possibles.
Ici, l'ambiance lui paraissait plus familière et l'air semblait même un peu moins malsain.
Le chemin, de son côté, plongea bientôt directement dans le petit bois avant de s'ouvrir brusquement sur une clairière à l'aspect exigu. Albus Dumbledore et Angela Walter-Klein s'immobilisèrent presque aussitôt derrière Bob Ogden qui s'était arrêté et avait sorti sa baguette magique.
En dépit du ciel sans nuages, il ne faisait pas très clair ici. Les vieux arbres projetaient des ombres noires, froides et profondes, et il se passa quelques secondes avant qu'Angela ne distingue une maison à moitié cachée dans l'enchevêtrement de la végétation…
...Ou alors était-elle partiellement dissimulée par un médiocre sortilège de repousse-moldus. Oui, ce fait était bien possible maintenant qu'elle y réfléchissait et, surtout, qu'elle observait plus attentivement l'habitation.
- Une Heimerhexe ? Demanda t-elle aussitôt à Albus Dumbledore, pensant reconnaître la marque de ces sorcières telles qu'elles étaient classées dans la typologie germanique : des femmes d'un rang modeste, voire carrément miséreux, mais maîtresses en leur foyer et généralement rétives à toute forme d'encadrement ministériel.
Quoique rarement dangereuses, elles avaient une fâcheuse tendance à provoquer tout un tas de problèmes avec les moldus et constituaient de véritables souches de rébellion au sein du monde magique d'Europe centrale.
- Je ne crois pas, répondit cependant Albus Dumbledore sur un ton mesuré qui n'augurait rien de bon.
Pour n'importe quel moldu, l'endroit aurait sans doute semblé très étrange et surtout bien trop inhospitalier pour y construire une habitation. Ou alors, il aurait sans doute trouvé très bizarre qu'on ait laissé pousser à proximité des arbres qui empêchaient la lumière de passer et bloquaient la vue sur la vallée, en plus d'humidifier considérablement le lieu, au point de le rendre malsain et d'attirer des insectes volants qu'elle entendait à présent bourdonner.
Angela elle-même se demandait à présent si quelqu'un habitait encore véritablement ici. Après tout, en Forêt Noire où ce genre de demeures était resté très fréquent dans toute la première moitié du vingtième siècle, elles avaient peu à peu disparu après la chute de Grindelwald et, aujourd'hui, nombre de masures abandonnées avaient un peu la même allure que celle-ci, hébergeant à l'occasion les marginaux et les réprouvés qui vagabondaient sur tout le continent.
Les seuls faits qui faisaient encore parler d'elles étaient des accidents dus à la magie résiduelle qu'elles contenaient encore souvent, ou ceux provoqués par leurs occupants temporaires.
Pour ne rien arranger, Angela avait déjà eu de nombreuses fois maille à partir avec ce genre d'individus et nombre d'entre eux s'étaient révélés problématiques voire franchement dangereux pour l'école du Blocksberg et ses pensionnaires.
Elle en avait aussi recueilli quelques-uns qu'elle était fière d'avoir pu plus ou moins réinsérer dans la société, ou réorienter parmi les moldus.
« Je suis bête par Merlin ! » pensa t-elle soudainement. « Cette scène a eu lieu il y a soixante-et-dix ans ! Grindelwald n'était même pas encore véritablement au pouvoir ! »
Oui, c'était l'époque où le mage noir terrorisait les populations du continent, cherchant à les dominer. Ce qu'elle voyait n'était pas d'aujourd'hui et il ne fallait pas qu'elle l'oublie. Tout devait rester dans son contexte et Angela frémit à cette idée, à présent franchement mal-à-l'aise alors qu'elle observait toujours la maison.
Les murs de l'habitation, faits de briques et décrépis par places, étaient couverts de mousse et des tuiles étaient tombées du toit en si grand nombre qu'on voyait la charpente par endroits. Il devait forcément pleuvoir à l'intérieur.
Dans cette atmosphère humide et renfermée, des orties avaient poussé tout autour de l'habitation, leurs hautes extrémités atteignant les fenêtres couvertes de crasse au point qu'on ne pouvait rien distinguer au travers.
Quant-aux racines des arbres, On pouvait presque jurer qu'elles menaçaient les fondations tant elles s'étaient développées.
- Pensez vous vraiment que...
Angela n'eut pas le temps de finir sa phrase. Soudainement et sans prévenir, une fenêtre s'ouvrit avec fracas sur la façade et un filet de vapeur ou de fumée en sortit, comme si quelqu'un à l'intérieur faisait la cuisine.
- Oh ! Souffla la sorcière surprise en constatant que, de toute évidence, quelqu'un vivait bien là. Je n'ai rien dit.
Une odeur de soupe ou alors de ragoût un peu brûlé parvenait à ses narines et lui rappelait désagréablement les expérimentations culinaires hasardeuses de Schwester Gretel, lorsqu'elle tentait de fabriquer des rations militaires pour les vivernières.
Bob Ogden de son côté s'avançait, sans bruit et très prudemment d'après ce qu'elle pouvait en voir, preuve qu'elle ne s'inquiétait peut-être pas à tort après tout.
Lorsque les ombres des arbres le recouvrirent, le sorcier à lunettes s'arrêta à nouveau, observant la porte d'entrée sur laquelle était cloué un serpent mort. Il semblait hésiter à signaler sa présence. Angela l'imita et frissonna imperceptiblement, Albus Dumbledore à côté d'elle ne semblait pas beaucoup plus emballé.
Il y eut un bruissement juste au dessus d'eux, un craquement de bois, et soudain un homme vêtu de haillons tomba d'un arbre proche en atterrissant juste devant Ogden. Celui-ci fit un bond en arrière si brusque qu'il marcha sur les basques de sa redingote et trébucha, manquant bien de finir le nez au sol.
- Vous n'êtes pas le bienvenu, siffla t-il.
Du moins, c'est ce qu'Angela pensa avoir compris après une seconde de stupeur et le temps de se concentrer.
« Ce taré parle fourchelang ! » pensa t-elle aussitôt. « Mais où sommes-nous ? »
« Taré » n'était peut-être pas un mot flatteur, mais Angela n'en avait pas d'autre pour décrire la créature qui venait de se laisser tomber de son arbre : L'homme qui se tenait devant elle et Dumbledore avait des cheveux épais et broussailleux, si maculés de saleté qu'on n'arrivait plus à en distinguer la couleur. Il lui manquait plusieurs dents et ses petits yeux sombres regardaient dans des directions opposées. Tout ceci ne l'empêchait pas cependant d'afficher une mine à la fois agressive et déterminée.
L'effet général était à la fois grotesque et effrayant et Angela comprenait très bien qu'Ogden recule encore de plusieurs pas avant de s'adresser à lui:
- Heu... bonjour, dit-il d'une voix peu assurée. Je viens de la part du ministère de la Magie…
- Vous n'êtes pas le bienvenu, répondit l'homme, encore en Fourchelang.
- Heu... je suis désolé... je ne comprends pas ce que vous dites, déclara Ogden, visiblement très mal à l'aise.
Cela dit songea Angela, si le langage de l'homme était incompréhensible, le message qu'il semblait vouloir faire passer restait très clair, d'autant plus qu'il brandissait d'une main une baguette magique et de l'autre un petit couteau à la lame ensanglantée.
- Comprenez-vous ce que ce jeune homme raconte, Angela? dit Dumbledore à voix basse.
- Oui, bien sûr, répondit la sorcière. Pour l'instant ça va...
Mais lorsque son regard se posa à nouveau sur le serpent mort cloué à la porte, tout devint clair.
- Ils parlent tous Fourchelang ici ? Demanda t-elle. C'est une communauté ?
- Plutôt une famille, répondit gravement Dumbledore. En Angleterre, personne ou presque ne pratique le fourchelang, si ce n'est de manière innée, et à l'époque il en était déjà de même. Nous ne sommes pas en Grèce ici…
Mais l'homme vêtu de haillons s'avançait à présent sur Ogden, sa baguette magique et son couteau toujours menaçants.
- Ecoutez..., commença l'employé du Ministère de plus en plus effrayé.
Mais il était trop tard.
Il y eut un grand « bang ! » et Bob Ogden roula par terre après avoir été projeté en arrière, se tenant le nez à deux mains tandis qu'une horrible substance visqueuse et jaunâtre s'écoulait entre ses doigts.
- Morfin ! lança une voix sonore.
Un homme d'un âge assez avancé s'était précipité hors de la maison, claquant la porte derrière lui. Sous le choc, le serpent mort et visiblement bien sec se balança pitoyablement à son crochet et les murs de la baraque parurent trembler.
Le nouveau venu était plus petit que le sauvage tombé de l'arbre et bizarrement proportionné. Il avait des épaules très larges et des bras trop longs, de petits yeux bruns et brillants, des cheveux courts et drus et un visage ridé qui lui donnaient l'air d'un vieux singe autoritaire.
Quoi qu'il en soit, ces deux êtres biscornus et très peu engageants faisaient un échantillon très représentatif des méfaits de la consanguinité, songea aussitôt Angela avec accablement. A présent la situation commençait à s'éclairer pour elle.
- Ce sont les Gaunt ? Demanda t-elle.
- Oui, répondit Albus Dumbledore. Et cela fait peine à voir.
Le vieil homme s'arrêta à côté du dénommé Morfin qui gloussait d'un petit rire aigu en voyant Bob Ogden par terre.
- Le ministère, c'est ça ? Dit-il sur un ton bourru, son regard plein de morgue fixé sur l'employé.
- Exact ! répondit Bob Ogden avec colère en s'épongeant le visage. Et vous, vous êtes Mr Gaunt, sans doute ?
- Tout juste, confirma le dénommé. Il vous a eu en plein dans la figure, pas vrai ?
- En effet ! répliqua sèchement Ogden qui ne semblait pas apprécier la fierté à peine dissimulée de celui qui semblait être le patriarche de la demeure.
- Z'auriez pu nous prévenir, non ? grogna Mr Gaunt sur un ton hargneux. C'est une propriété privée, ici. Faut pas croire qu'on peut entrer comme on veut. Mon fils sait se défendre.
- Se défendre contre quoi ? demanda Ogden en se relevant péniblement.
- Les fouineurs, les casse-pieds, les Moldus, la racaille…
- Racaille toi-même… Souffla Angela dont les joues s'empourpraient sous l'effet de l'indignation.
Bob Ogden pointa sa baguette sur son nez d'où une sorte de pus jaune s'écoulait toujours en abondance et le flot s'arrêta aussitôt. Le fait qu'il n'ait pas eu besoin de prononcer la moindre formule indiquait clairement qu'au delà de son aspect un peu grotesque, il s'agissait sans nul doute d'un sorcier chevronné.
Angela de son côté était horrifiée par la scène qui se déroulait sous ses yeux, quoiqu'elle comprenne mieux la situation à présent qu'elle connaissait le nom de cette famille.
Ils étaient en effet devenus tristement célèbres pour des raisons tour à tour pitoyables et effroyables :
La famille Gaunt était en effet une très ancienne famille de sorciers au Sang-Pur réputée dans toute l'Europe, des descendants directs et avérés de Salazar Serpentard, et une lignée connue dans toute l'Europe pour sa pratique de la Magie Noire ainsi que les méfaits auxquels certains de ses membres s'étaient livrés au fil du temps.
Les Gaunt étaient aussi connus pour une certaine disposition à l'instabilité et à la violence, qui s'étaient développée et aggravée au cours des générations, en raison d'une fâcheuse habitude de se marier entre cousins dans le but de conserver argent et dons magiques au sein de la famille.
D'autres comme les Malefoy avaient eu des stratégies beaucoup plus intelligentes dans le même but, mais pas les Gaunt, et leur famille avait ainsi périclité au fil des siècles.
Leur tentative de garder leurs richesses avait incontestablement causé leur perte car ce manque cruel de discernement avait fait que la fortune de la famille s'était dilapidée petit-à-petit avec le temps. La forte consanguinité était due à un goût excessif de la grandeur mais, surtout, elle avait pour but de préserver la pureté de leur sang et de leur lignée, ainsi que la faculté de parler et de comprendre le Fourchelang : don qui leur venait de leur grand ancêtre, Salazar Serpentard lui-même et dont ils étaient extrêmement fiers.
A présent, et alors qu'elle les croyait disparus depuis le dix-neuvième siècle, une partie des Gaunt vivait donc dans cette petite masure à environ un kilomètre et demi de la sortie de ce petit village d'Angleterre ? Pouvaient-ils avoir un lien avec ces champs d'azalées qu'elle avait aperçus ?
Peu probable songeait-elle en voyant la misère de ces deux hommes, mais la coïncidence restait troublante tout-de-même.
Angela pensait auparavant que la branche irlandaise de la famille était celle qui avait le plus longtemps survécu, avant de s'éteindre vers dans les années 1850. Il était clair à présent qu'elle s'était totalement trompée...
Mais d'un côté songea t-elle, cette supposition était idiote depuis le départ et un simple fait aurait du l'alerter : La famille Gaunt était l'une des vingt-huit familles anglaises inscrites Registre des Sang-Pur, écrit par Teignous Nott. Cela voulait dire qu'elle existait forcément encore dans les années trente, à l'époque où ce souvenir semblait remonter d'ailleurs...
Pendant qu'elle réfléchissait à tout cela, Mr Gaunt parlait à Morfin en Fourchelang et du coin des lèvres :
- Retourne dans la maison, disait-il dans un sifflement sinistre où perçait cependant une certaine urgence. Ne discute pas.
Angela comprit que cette langue était celle qu'il employaient habituellement dans la sphère privée et elle frémit : c'était donc vrai, cette famille avait toujours parlé ainsi !
Tout en comprenant tant bien que mal ce qui se disait, à condition de rester concentrée, elle percevait le sifflement bizarre très caractéristique de la langue des serpents que Bob Ogden entendait sans en saisir le moindre sens.
D'ailleurs pour elle-même continuer à suivre la conversation était aussi une épreuve et elle devinait que son vieil homologue n'était pas forcément beaucoup plus à l'aise qu'elle.
Morfin Gaunt parut sur le point de désobéir, mais lorsque son père lui lança un regard franchement menaçant, il changea d'avis et s'éloigna lentement vers le cottage d'une étrange démarche chaloupée qui sentait bien son atavisme. Il claqua la porte derrière lui et à nouveau, le serpent se balança tristement.
- C'est votre fils que je suis venu voir, Mr Gaunt, dit alors Bob Ogden qui essuyait de sa redingote les dernières traces de pus. Il s'appelle Morfin, n'est-ce pas ?
- Oui, Morfin, c'est bien lui, répondit le vieil homme avec indifférence et une certaine dose de mépris à l'adresse de son visiteur.
Il se tut un bref instant et ajouta soudain sur un ton agressif :
- Vous êtes de sang pur ?
- La question n'est pas là, répliqua froidement Ogden, et Angela en éprouva pour lui un plus grand respect.
De toute évidence, le père Gaunt ne partageait pas du tout ce sentiment. Il fixa Ogden avec condescendance, en plissant les yeux, puis marmonna d'un ton qui se voulait nettement offensant :
- Maintenant que j'y pense, j'en ai vu qui avaient la même tête que vous, au village.
- Ça ne m'étonne pas, ils ont dû croiser votre fils, répliqua Odgen sans se démonter et sur un ton ironique qui surprit positivement Angela. Mais peut-être pourrions-nous poursuivre cette conversation à l'intérieur ?
- A l'intérieur?
- Oui, Mr Gaunt. Je vous ai déjà dit que j'étais venu pour Morfin. Nous avons envoyé un hibou…
- Je n'ai pas besoin de hiboux, trancha Mr Gaunt avec mépris. Je n'ouvre pas les lettres.
Savait-il au moins lire ? Angela ne l'aurait pas juré à le voir aussi buté.
- Dans ce cas, vous ne pouvez vous plaindre qu'on ne vous ait pas averti de ma visite, lança Ogden d'un ton acerbe. Je suis venu à la suite d'une grave violation des lois de la sorcellerie qui a eu lieu ici, aux premières heures de la matinée…
- D'accord, d'accord, d'accord ! Rugit soudain Mr Gaunt, comprenant visiblement qu'il ne congédierait pas son interlocuteur comme cela. Entrez donc dans cette fichue baraque et grand bien vous fasse !
Angela et Albus suivirent les deux hommes et pénétrèrent dans la masure dont le patriarche venait de pousser rageusement la porte.
Apparemment, elle comportait trois pièces minuscules et très sales. Deux portes étaient aménagées dans la pièce principale qui servait à la fois de cuisine et de living-room et semblaient mener à deux chambres..
Morfin lança à Bob Ogden un regard insolent, comme s'il était sûr de son impunité. Il s'était déjà assis dans un fauteuil miteux, à côté d'un feu qui fumait dans la cheminée. Et il tordait entre ses doigts épais une vipère vivante qu'il avait trouvé on ne sait où, et à laquelle il susurrait une chanson encore en Fourchelang :
Siffle, siffle, petit serpent,
Glisse, glisse silencieus'ment
Et avec Morfin sois très doux
Sinon, à la porte il te cloue.
Angela frémit de dégoût tout en songeant qu'elle ne l'avait pas encore entendu parler anglais. Rien n'était moins sûr qu'il maîtrise cette langue et à présent elle en avait conscience.
Elle entendit soudain un bruissement, du côté de la fenêtre ouverte et, se retournant dans cette direction, intriguée, vit qu'il y avait quelqu'un d'autre dans la pièce.
C'était une jeune fille dont la robe grise en lambeaux avait exactement la même couleur que le crépis moisi et gondolé du mur, juste derrière elle. Presque invisible et cherchant sans doute à le demeurer, elle se tenait debout devant une marmite fumante posée sur un fourneau noir et crasseux et cherchait quelque chose sur une étagère encombrée de casseroles d'une saleté repoussante, et rouillées d'une manière plutôt répugnante.
Un coup à tomber gravement malade.
La fille de Mr Gaunt, car il ne pouvait s'agir que d'elle, avait des cheveux raides, ternes, et un visage banal au teint pâle et sans aucune beauté ou presque, même si s'arranger un peu aurait pu améliorer cela. Ses yeux, comme ceux de son frère, étaient affectés d'un strabisme divergent.
Bref, une pauvre gamine comme celles que l'école du Blocksberg s'étaient longtemps battue pour accueillir, éduquer et sortir de la misère.
L'adolescente paraissait un peu plus propre et soignée que les deux hommes mais son air de soumission faisait vraiment peine à voir et la réalité qu'elle vivait était sans doute insoutenable. Angela n'osait même pas y penser.
- Merope, ma fille, dit Mr Gaunt de mauvaise grâce en voyant Bob Ogden lui jeter un regard franchement interrogateur.
- Bonjour, dit aimablement l'employé du Ministère.
Sans répondre, elle lança un coup d'oeil apeuré à son père, puis tourna résolument le dos à la pièce en continuant de remuer des marmites et des casseroles sur l'étagère du fond, redoutant visiblement plus que tout d'être impliquée dans ce qui allait suivre.
Angela ressentit une certaine tristesse et pensant aux familles de certaines de ses élèves.
Celle de la petite Lili Kronauer notamment aurait presque pu rivaliser avec les Gaunt et Angela frémit en pensant au destin affreux que la fillette aurait pu connaître, et que la jeune Merope connaissait visiblement de son côté.
- Mr Gaunt, reprit Ogden, venons-en directement à la question qui nous occupe : nous avons des raisons de croire que votre fils Morfin a fait usage de magie devant un Moldu, la nuit dernière.
Il y eut un grand bruit métallique derrière eux. La jeune Merope avait laissé tomber une des marmites.
- Ramasse-la ! lui cria Gaunt d'une voix agressive.
La jeune fille s'empressa de s'accroupir :
- C'est ça, gronda son père avec mépris. Traîne-toi par terre comme un sale Moldue ! Et ta baguette, elle te sert à quoi, espèce de bonne à rien, sac à fumier ?
- Mr Gaunt, s'il vous plaît ! protesta Bob Ogden complètement choqué.
Angela n'en pensait pas moins. Un type comme cela, elle n'hésitait pas à le traîner devant le Département de Protection des jeunes sorciers et sorcières en temps normal. Alors se savoir totalement impuissante ici la remplissait de dégoût.
Merope qui avait déjà ramassé la marmite devint écarlate, les larmes lui montant aux yeux, les joues marbrées de plaques rouges. Elle tressaillit de la tête aux pieds et la marmite lui échappa à nouveau des mains. D'un geste tremblant, elle sortit sa baguette magique de sa poche, la pointa et marmonna précipitamment une formule inaudible qui envoya la marmite à l'autre bout de la pièce où elle s'écrasa contre le mur opposé et se cassa en deux.
Morfin gloussa d'un rire de dément qui la fit rougir encore un peu plus.
- Répare-la, espèce de grosse empotée ! Hurla son père. Allez, vite !
Merope traversa la pièce d'un pas trébuchant mais, avant qu'elle ait eu le temps de lever sa baguette, Bob Ogden décida d'arrêter les frais. Il saisit la sienne et dit d'un ton ferme :
- Reparo.
Angela était de plus en plus horrifiée par la scène, cependant le jeune homme lui apparaissait à présent nettement plus sympathique qu'au début. De toute évidence, elle l'avait mal jugé.
Cependant son geste n'avait pas plu à tous : pendant quelques secondes en effet, Mr Gaunt parut sur le point de se déchaîner contre lui mais il se ravisa et s'adressa plutôt à sa fille en lui lançant d'un ton moqueur :
- Une chance que le gentil monsieur du ministère soit là, pas vrai ? Peut-être qu'il va me débarrasser de toi, peut-être que ça ne le dérange pas, lui, les sales Cracmols…
Le ton était à la fois méprisant et menaçant et Angela sentit son propre cœur se briser lorsqu'elle entendit cette phrase. Comment un père pouvait-il parler ainsi à ses propres enfants ?
Hélas ce qui suivit ne fut pas plus à l'honneur des Gaunt et c'est avec horreur qu'elle assista à l'altercation qui opposa bientôt les deux hommes à Bob Ogden, puis à la fuite de ce dernier et à l'appel au Ministère.
Angela aurait voulut se trouver n'importe où ailleurs et elle tremblait encore lorsqu'elle sortit enfin de la Pensine :
- J'avais entendu parler de cette famille, répondit-elle d'une voix faible au regard interrogateur que Dumbledore lui adressait. Mais c'est pire que ce que je pensais… Ils sont terrifiants…
- En un certain sens oui, répondit Dumbledore. Mais bien peu ont pris leur menace au sérieux à l'époque, à cause de leur supposé atavisme… Pourtant, Corvinus Gaunt était un descendant direct de Salazar Serpentard et il a été élève à Poudlard au dix-huitième siècle avant de devenir un sorcier aussi brillant que dangereux. Tout comme ses ancêtres, il savait parler Fourchelang et ce n'était un secret pour personne. Nous avons de bonnes raisons de penser que c'est lui qui s'est assuré de protéger l'entrée de la Chambre des Secrets lorsque Poudlard s'est doté d'un système de canalisations et de sanitaires à la moldue.
Il ajouta après un temps de silence consterné :
- Quant-à ses descendants, ils n'étaient pas tous aussi attardés que ce que ce souvenir tend à nous laisser penser… Et loin d'être inoffensifs je pense. Marvolo Gaunt, que vous avez vu ici, a été le dernier de sa lignée à fréquenter Poudlard et il arrêté ses études en sixième année, décrétant visiblement que l'école ne le méritait pas.
Ses deux enfants n'ont jamais été correctement instruits, même si la jeune Merope semble avoir pratiqué la magie avec plus de facilité que ce souvenir nous le laisse penser.
- Et tous parlaient Fourchelang ? Demanda Angela.
- Je pense que la quasi-totalité des Gaunt maîtrisait ce langage Angela. Y compris la jeune Merope quoique je ne sois pas sûr qu'elle en ait eu pleinement conscience, du moins à l'époque de ce souvenir… Par la suite, je suis prêt à parier qu'elle a réussi à le pratiquer.
Angela frémit avec dégoût. Bien qu'elle-même ait appris à comprendre la langue des serpents (ce manière imparfaite cela dit) et qu'elle ait été aidée en cela par sa qualité de semi-ondine, cela la dégoûtait toujours autant. Elle détestait entendre ce langage que ses souvenirs associaient à beaucoup trop d'événements traumatisants.
Tous les serpents conversaient en Fourchelang, y compris les serpents magiques comme le Basilic ou le Runespoor. Cela dit, ils n'étaient pas les seuls à maîtriser cette langue… Ou plutôt cette famille de langues puisque les ondines et d'autres êtres de l'eau pouvaient également l'apprendre et le pratiquer dans la mesure où les langages de certaines créatures aquatiques étaient apparentés au fourchelang.
Angela ne se souvenait que trop bien des dangers que cela avait longtemps impliqué pour son école, dangers qui l'avaient conduite à tenter désespérément d'apprendre la langue des serpents, aidée en cela par sa cousine Federica qui avait appris avec elle et n'était pas mauvaise non plus à cet exercice.
Chez les sorciers, comprendre le Fourchelang restait une aptitude très rare. La pratiquer sans en posséder le don de naissance était à priori impossible (Dumbledore lui-même n'y parvenait pas, disait-on) et cela restait considéré dans tous les cas comme le signe que la personne s'était associée aux Forces du Mal.
Angela savait pourtant qu'il existait aussi des Fourchelangs chez des sorciers aux intentions parfaitement nobles, en tout cas elle voulait le croire, d'autant qu'elle se classait plus ou moins dans cette catégorie. Souvent cependant, il lui semblait qu'elle était la seule à soutenir une telle idée. Deux ans plus tôt notamment, un membre anonyme de la Ligue de défense contre la magie noire avait déclaré que toute personne parlant le Fourchelang devrait faire selon lui l'objet d'une enquête.
Face à son silence soudain, Dumbledore poursuivit :
- Les derniers représentants de la lignée des Gaunt ont été réduits à vivre dans la pauvreté et la misère la plus extrême, leurs ancêtres ayant dilapidé la fortune de la famille depuis bien longtemps. Le médaillon ayant appartenu à Salazar Serpentard et la vieille bague des Peverell que nous venons de voir, étaient visiblement les derniers signes de leur richesse passée.
- Vous pensez qu'ils auraient pu les ensorceler ?
- Plusieurs générations en arrière, je pense, répondit Albus Dumbledore. En tout cas, il s'agissait sans doute d'objets dotés de puissants pouvoirs, bien que Marvolo Gaunt n'en ait sûrement jamais eu véritablement conscience.
- Et maintenant ? Demanda Angela. Savez-vous où sont ces objets ?
Albus Dumbledore acquiesça gravement et lui répondit :
- En vérité Angela, au-delà de ce souvenir, c'est pour vous parler de tout cela que je vous ai demandé de venir.
