BONUS 1
Cet endroit appelé paradis.
Plusieurs années auparavant, sur une planète bien lointaine, dans un cadran inexploré de la galaxie…
Le vent portait un silence sec et inhospitalier, se faufilant entre les pierres et abattant parfois violemment les zones recouvertes d'herbes.
Un orage grondait au loin, sans pour autant que la moindre humidité puisse être sentie dans l'air. C'était une tempête de sable et de roc, d'éclairs et de foudre, sans que la moindre trace de pluie ne puisse se former.
Poussière.
Tel aurait pu être l'autre nom de cette planète oubliée de tous.
Parfois, les dunes formées dans les grandes étendues dénuées de roches révélaient à leur bon vouloir des vestiges d'un autre temps. Des murs de briques, des structures en métal, ou encore ce qui aurait pu être une nouvelle possibilité aux yeux de certains. Pourtant, si ces ruines étaient encore là, ceux qui les avaient habitées n'étaient plus là depuis bien longtemps.
Désolation.
Tel aurait pu être un troisième nom, pour cette planète abandonnée par tous.
Il n'y avait pas âme qui vive en surface. Pas d'animaux, pas d'êtres humanoïdes. Seul le grondement sourd qui parcourait l'intérieur de la croûte terrestre, et parfois, si on tendait l'oreille, quelques bruits de pas, légers et fantomatiques. Aucune trace ne dérangeait cette scène immobile où d'étranges créatures avaient depuis longtemps remplacé les occupants originaux de cette planète, pour en dévorer les débris et en boire l'eau pourrie. Tout ce qui restait, en plus d'un monde inhospitalier, c'était le calme et l'apaisement.
Paradis, tel aurait pu être son quatrième et dernier nom, si on avait demandé à la jeune femme de nommer Kouan selon son ressenti.
Les habitants de cette planète l'avaient aussi appelé comme cela, à un moment donné. Avant que tout ne se termine brutalement, dans la fureur et la peur. C'était un mot qui se retrouvait dans beaucoup de cultures à travers l'univers, et elle ne lui avait jamais prêté beaucoup d'importance.
Sa conception du Paradis, après tout, était solitaire et grise.
La lumière du jour avait toujours du mal à percer à travers l'épais nuage de poussière qui englobait l'atmosphère, aussi faisait-il toujours plus froid que chaud, malgré les allures désertiques de ces terres. Les seuls moments où les étoiles perçaient enfin à travers cette épaisse couche de débris, c'était soit quand elle jouait avec eux, soit quand…
Le rugissement lointain d'un moteur hyperspatial la sortit de ses pensées.
Oui, le seul autre moment où cela se produisait, était quand des étrangers faisaient naufrage, ici la puissante poussée de leurs moteurs dispersant les nuages.
Elle se demanda si ces gens étaient eux aussi venus mourir ici, comme tous ceux avant eux, ou s'ils espéraient encore pouvoir en repartir.
Après tout, le gardien de cette planète silencieuse en avait réclamé la possession, rejetant tout élément extérieur.
Le sol se mit à gronder, signe qu'ils étaient en train de se déplacer pour aller à la rencontre des nouveaux arrivants. Ce serait sûrement encore une fois terminé rapidement, et elle trouva cela plutôt ennuyant et inintéressant.
Sur cette planète que tant d'entre eux avaient tenté de reprendre, les 108 têtes d'Orochi avaient toujours eu le dessus, même face aux occupants originaux de cette planète, le clan le plus fort de l'univers. Ce n'était donc pas surprenant que le bruit et les cris soient brefs et non renouvelés.
Kouka préférait cela. Le calme et la solitude étaient son paradis, et Orochi son seul compagnon.
Une grosse onde de choc se propagea dans le sol, et un vieil immeuble au loin se pencha sur le côté avant de tomber, soulevant dans sa chute un énorme nuage de poussière.
Plissant les yeux, elle aperçut une des têtes de l'immense serpent dragon penchée vers le sol.
Quelqu'un lui avait-il asséné un coup suffisamment puissant pour lui faire perdre connaissance ?
Comme pour répondre à cette question, elle aperçut une silhouette humanoïde virevolter dans les airs avant de donner un puissant coup de poing à la créature déjà en mauvais état. La puissante attaque délivrée à sa cible, cette personne bondit en arrière, pour atterrir sur la terre ferme une arme bien reconnaissable à la main.
'Ces fous n'ont toujours pas abandonné ?' pensa-t-elle en observant le Yato qui se tenait à plusieurs centaines de mètres de là.
Les tentatives étaient devenues rares ces dernières années, mais il y avait toujours un idiot pour venir ici et semer le chaos, avant de repartir les mains vides.
Orochi les écrasait toujours sans aucun scrupule, tandis qu'elle observait la scène de loin.
Néanmoins, l'agitation soudaine de l'immense créature dût la forcer à bouger.
L'immense serpent dragon attaquait avec voracité, sans pour autant parvenir à terrasser cet ennemi nouvellement arrivé. Les dernières ruines encore debout se voyaient détruites une par une, soit par les attaques de la créature, soit par les répliques du Yato qui lui faisait face.
Cependant, cet ennemi ne semblait pas être tant une cible à abattre, qu'un soudain camarade de jeu, et Kouka ne put réprimer une pointe de jalousie en elle.
Une des têtes d'Orochi émergea sur sa gauche, à quelques mètres de là, et tandis que la créature décrivait un arc dans les airs en avançant, elle lui décocha un regard avant de plonger à nouveau dans la terre et le sable.
'Quoi ? C'est si amusant que cela ?' pensa-t-elle en observant la même tête ré-émerger du sol plusieurs dizaines de mètres plus loin.
C'était bien la première fois qu'elle voyait le gardien de Kouan aussi agité, ce qui piqua sa curiosité.
Résolue, Kouka se mit à bondir de rocher en rocher, suivant de près les nouvelles têtes qui convergeaient vers l'endroit où se tenait l'intrus.
Puis, une fois arrivée à portée, fit un grand saut dans les airs pour percuter à pieds joints une des têtes d'Orochi se tenant encore devant elle.
Il ne lui en tiendrait pas rigueur si elle l'utilisait comme marche pieds, vu comme il l'avait délaissée pour aller jouer avec cet inconnu.
Face à sa force démentielle, la créature n'opposa aucune résistance, et s'écrasa lourdement au sol, révélant que l'intrus était un Yato de sexe masculin avec une énorme crinière de cheveux noirs.
'Les hommes n'ont toujours pas appris à se coiffer, à ce que je vois…'
Lentement, elle retira sa capuche, et observa de son regard inexpressif l'homme en face d'elle.
'Est-il aussi fort que ça, pour plaire à Orochi ?' Se demanda-t-elle intérieurement.
Le Yato, d'apparence jeune, ne semblait pas faire le moindre geste ni prononcer le moindre mot.
Se rendait-il compte enfin de la folie que c'était, de revenir, seul, sur la planète d'origine des Yato ?
« T-Toi... » Dit-il enfin après quelques secondes de silence. « Je n'aurais jamais cru qu'il puisse y avoir quelqu'un ici… Sur cette planète de la mort. »
Ah.
Planète de la Mort. C'était bien un autre nom possible, mais Kouka détestait celui-ci.
En un instant, elle avait perdu tout intérêt pour ce nouvel arrivant, et même mis de côté sa jalousie.
Sans même lui accorder une seconde de plus, elle lui tourna le dos.
« Hé ! Attends ! » L'appela-t-il.
Elle s'arrêta un instant. Cela faisait longtemps qu'elle n'avait pas adressé la parole à quelqu'un, aussi prendrait-elle le temps de le rectifier dans ses propos.
« Cette planète… N'est pas morte. » Dit-elle lentement mais suffisamment fort pour qu'il puisse l'entendre. « La terre est complètement sèche, l'eau pourrie, et les gens ne peuvent plus vivre ici. Mais ceux qui mangent cette terre sèche sont vivants. Ceux qui boivent cette eau pourrie sont vivants. »
Puis, tournant son regard acéré vers lui, elle ajouta avec calme :
« Je suis vivante. »
Comment, après tout, pouvait-elle qualifier autrement cette existence qu'elle ne contrôlait plus depuis bien longtemps ?
Elle n'était pas libre de mourir, ni de quitter cette planète, sûrement aussi par peur de mourir. Et la quitter pour quoi faire, au juste ?
Les gens qu'elle avait pu connaître n'étaient plus là depuis longtemps, et même s'il n'y avait plus rien ici, cela ne voulait pas dire qu'il ne restait vraiment rien à protéger.
« Ce n'est juste qu'une espèce parmi toutes celles qui peuplaient cette planète, les 'gens', qui s'est éteinte. Tu ne devrais pas estimer une planète en te basant uniquement sur tes propres standards. » Dit-elle avec amertume.
Le Yato aux longs cheveux noirs ne disait plus rien, et Kouka sentit que son message était passé.
Elle se décida alors à agir pour retrouver le calme si particulier de son paradis.
« Tu devrais partir. Je ne veux pas effacer une autre vie de ce monde pour le bien d'un intrus. » Dit-elle en bondissant vers les nouvelles têtes d'Orochi apparues en face d'elle. « Il va falloir que je les apaise. »
Cet homme allait sûrement partir maintenant, s'il avait compris ce qu'elle avait dit. Il ne lui restait donc plus qu'à calmer le grand serpent dragon pour que tout redevienne comme avant.
« H-Hé ! Att- ! » Entendit-elle crier derrière elle, suivi d'un énorme bruit d'impact. « JE T'AI DIT D'ATTENDRE BORDEL! »
Il aurait beau crier, lui dire de l'écouter, la poursuivre jusque sur le corps d'Orochi, elle ne lui répondrait pas tout simplement parce qu'elle n'y voyait pas le moindre intérêt. Il finirait sûrement par abandonner, et par partir, comme tous les autres avant lui.
C'était là la dure réalité de cette planète.
« H-Hé M-Mademoiselle ! » Lui cria-t-il en arrivant enfin à son niveau. « Plutôt que de calmer ces Orochi, tu voudrais pas plutôt calmer l'Orochi dans mon pantalon ? »
Il n'y avait visiblement pas que la réalité qui était dure ici, et peut-être qu'un peu de plomb remettrait les idées en place à cet idiot.
Sans même daigner lui accorder un regard, elle dirigea le canon de son ombrelle vers lui, et appuya sur la gâchette.
L'idiot tomba au sol avant de revenir à l'assaut, et Kouka se mit à maudire la constitution si particulière des Yato.
Cependant, une autre pensée fit son chemin dans l'esprit de la jeune femme, qui décocha alors un regard à l'une des têtes d'Orochi à proximité.
'Je pense comprends à présent, pourquoi tu trouves ça si amusant.'
Le paradis qu'elle habitait était solitaire et tranquille, mais parfois, il suffisait d'un rien pour semer le doute dans votre esprit.
Peut-être que sans s'en rendre compte, certaines choses lui avaient manquées toutes ces années, et que ce paradis était incomplet, et donc imparfait.
Pourquoi pas… Les 'gens' aussi étaient imparfaits, après tout.
FIN DU BONUS 1
