Always the sun
Rugueux, usé. Ce sont les premiers mots qui vinrent à l'esprit de Castiel lorsqu'il caressa le tissu rose passé du parapluie. La matière était sèche et ancienne, un peu sale. Le petit garçon le contempla sous toutes ses coutures. Il se demandait comment une antiquité pareille pouvait protéger quoi que ce soit de la pluie…
- Coucou !
Le garçon leva la tête. Un visage encadré de cheveux blond passa l'embrasure de la porte, un sourire aux lèvres. La demoiselle entra et enleva son fameux manteau noir.
- Tu arrives tard, commenta Castiel.
- Mm, rumina la jeune fille. Disons que j'ai eu un empêchement.
L'enfant tendit le parapluie à la visiteuse. Cette dernière le pris, distraite. Elle avait l'air un peu vaseux…
- Merci…
- Pourquoi tu n'es pas venue le chercher ?
Alors la jeune fille retrouva son sourire rayonnant.
- Ton infirmière est une psychopathe ! Jamais je n'aurais oublié mon parapluie, alors je suis retournée le chercher, mais… Euh, quand j'ai voulu aller dans ta chambre… Il y avait l'infirmière qui arrivait d'un pas… pressé. En brandissant un manche à balais.
- Ah…
- Comme tu dis, soupira la demoiselle.
Alors elle s'assit sur une chaise et se laissa aller contre le dossier, la tête en arrière, les yeux clos. Castiel l'observa pendant plusieurs minutes, et commença à se demander si elle ne dormait pas…
- Dis, mademoiselle ?
L'interpellée ouvrit brusquement les yeux et regarda Castiel avec étonnement.
- Décidément, je ne m'habituerai jamais à ce surnom. Je t'écoute.
- Pourquoi tu as toujours un parapluie ? Il a fait beau toute la journée hier, non ?
La demoiselle sourit.
- Excellente question, Castiel. Dis, à quoi ça sert un parapluie ?
Le garçon ricana. Elle le prenait vraiment pour le dernier des idiots. Il avait des problèmes de cœur, pas de neurones !
- Bah, à se protéger de la pluie !
- Exact. Et à quoi doit-on l'associer ?
- A la pluie !
- Non.
Le garçon en resta bouche bée. Ah.
- Non ?
- Non.
- Bah, euh… Au mauvais temps ?
- Non.
- Aux nuages ?
- Non.
- Euh… Au vent ?
- Alors ça c'est vraiment bête ce que tu viens de dire !, se fâcha la jeune fille. Le vent ça détruit les parapluies.
- Désolé…
Castiel était devenu tout rouge. Finalement, il était moins intelligent qu'il ne le pensait.
- Alors, tu donnes ta langue au chat ?
- Oui, avoua le garçon.
- C'est le soleil.
L'enfant retira tout de suite ce qu'il avait pensé : cette fille était la personne la plus idiote qu'il ait jamais rencontrée.
- Ha, ha, commenta le garçon. Très drôle.
La jeune fille fronça les sourcils. Elle paraissait mécontente.
- Ah oui, tu crois ça ? Moi, je pense qu'il est outrageux d'associer la pluie au parapluie ! Le parapluie sert à s'en protéger, pas à l'attirer ! Une personne qui a un parapluie sur lui, c'est quelqu'un qui se tient près à défier le ciel s'il ose pleurer. Un parapluie, ça soutient le soleil dans sa lutte contre la pluie.
- Mais qu'est-ce que tu racontes ? Tu es sortie d'asile psychiatrique ou quoi ?
- Non. Si je porte un parapluie, c'est parce que justement je n'aime pas la pluie. Je suis adepte des rayons UV, j'aime sentir la vitamine D s'incruster dans mes pores. Et toi Castiel ? Préfères-tu le soleil ou la pluie ?
Le garçon ne répondit rien. Il trouvait la discussion futile, inutile, et elle l'était sûrement. Seulement, l'insistance et la passion avec lesquelles la jeune fille avait tenu ce discours ne put que toucher l'enfant. Pourquoi ? Parce qu'il l'enviait. Lui aussi il voulait avoir un parapluie. Il voulait pouvoir sauter dans l'herbe mouillée par les averses estivales, pouvoir jouer sur la plage. Et courir sous la pluie dans l'espoir du retour de l'astre solaire.
- J'aimerais répondre, dit finalement l'enfant. Mais je ne peux pas me le permettre.
- Et pourquoi ?, demanda la jeune fille, agacée.
- Parce que je ne peux voir ni l'un ni l'autre.
Les traits déformés par la colère de la demoiselle se détendirent. Elle se sentait coupable. Elle venait de rappeler à un enfant malade que peut-être il ne reverrait jamais plus la véritable lumière du jour. Alors elle baissa la tête. Une larme roula le long de sa joue.
- Alors, chuchota-t-elle, je te les montrerais.
Castiel observa le silence. Il regardait la fenêtre. Il pensait à plein de chose. A Ambre, surtout. Ça faisait bien trois mois qu'il ne l'avait pas vu. Il se la représenta jouant dans l'herbe grasse, de la terre maculant une de ses robes roses. Il l'imaginait riant aux éclats, sautillant dans les flaques de boue. Avec son frère… Et il pensa finalement à lui-même. Qui n'était pas là pour jouer avec eux.
- Dis-moi, mademoiselle. Que penses-tu de la mort ?
Il l'avait dit en la fixant droit dans les yeux. Il s'était dit qu'elle réagirait comme sa mère, qu'elle éclaterait en sanglots. Mais au lieu de cela, la jeune fille releva vivement la tête et sourit d'un sourire plus rayonnant que les étoiles elles-mêmes.
- Je suis sûre que c'est génial !
Et Castiel, en entendant cette phrase, sentit son cœur se brisé au son de ces mots qu'il n'avait jamais espéré entendre.
