La chanson du hérisson

Elle était sûre de l'avoir déjà vu. Cette fille, sur la photo. Elle l'avait vu quelque part, elle le savait ! Mais où, quand et pourquoi, Ambre était incapable de s'en souvenir.

La jeune fille était adossée au mur du couloir, une moue coincée profondément sur son visage. Li et Charlotte étaient encore aux casiers et cherchaient leurs affaires en discutant maquillage. Ambre, elle, avait déjà pris toutes ses affaires et ruminait des souvenirs lointains.

En cherchant dans le vaste chaos de sa mémoire, Ambre se remémora ces temps oubliés, l'époque où elle n'était qu'une petite fille jouant dans le bac à sable. Elle aurait pu sourire, mais elle ne le fit pas. Elle avait appris, au fil du temps, à sourire quand il fallait. Elle se revoyait sur le toboggan, sa couette blonde volant dans tous les sens. Et son frère qui l'agrippait fermement, faisant souffrir atrocement le cuir chevelu de la petite. Son sourire diabolique. Les pleurs de la petite fille, à genoux devant sa poupée cassée. Et puis un petit garçon, brun aux yeux gris, qui venait vers elle et qui s'accroupissait. Ses yeux fixant avec concentration le visage du jouet alors qu'il le réparait. Et son visage solennel lorsqu'il tendit la poupée à la petite fille. Alors son cœur se mit à battre. Elle prit la poupée, et alors qu'il l'aidait à se relever, elle le contempla. Il était mignon et avait l'air un peu gêné, mais elle sentait qu'il était plus doux que le miel. Sinon, pourquoi l'aurait-il aidé ?

Ambre soupira. Elle n'aurait jamais cru quiconque à l'époque si on lui avait dit que Castiel deviendrait un délinquant. Jamais. Et pourtant…

- Ambre ?

C'était Charlotte. Toutes les deux se connaissaient depuis la maternelle et restaient inséparables. Mais avec le temps, Ambre s'était endurcie et Charlotte l'avait suivie.

- Quoi ?, demanda Ambre.

- Tu peux me passer ton gloss ? Il est si brillant…

- Tiens.

La blonde tendit à son amie un petit bâton coloré. La brune le prit en inclinant la tête pour la remercier et demanda à Li de lui prêter le miroir qu'elle ne quitte jamais.

La sonnerie retentit. Ambre grimaça et jeta un coup d'œil à la salle des délégués. Car son passe-temps préféré était de faire enrager son cher frère, ce cher Nathaniel. Elle se décida donc à marcher d'un pas pressé vers la pièce où son frère aîné trifouillait dans ses dossiers. Devant la porte, elle demanda à Li et Charlotte de rejoindre Mr. Faraize en cours alors qu'elle entrait.

- Salut, Nath' !

- Bonjour, Ambre.

Nathaniel, son tendre frère, était encore là. Il allait ranger un dossier lorsqu'il entendit la voix stridente de sa sœur, et se retourna donc et la regarda droit dans les yeux.

- Que veux-tu ?

- Oh, rien, je passais juste comme ça. Tu ne vas pas en cours ?

- Si, et tu devrais faire de même.

La jeune fille désigna du menton la chemise en carton que tenait Nathaniel.

- C'est qui ?, demanda-t-elle.

- Qui, qui ?

- Bah, à qui est le dossier dans ta main ?

Nathaniel jeta un coup d'œil à ce qu'il tenait dans les mains et soupira.

- Ah, ça ? Je l'ai encore sur moi ? Hum, confidentiel…

- Aller…, incita Ambre de sa voix la plus enjôleuse. Tu peux bien me le dire, je sais garder un secret… C'est celui de Castiel, c'est ça ?

- Non…

Ambre perdit son sourire. Elle s'approcha de son frère et le jaugea sérieusement. Elle voulait savoir à qui était ce dossier et ce n'était pas son idiot de frère qui allait l'en empêcher. Ce dernier soupira.

- Une nouvelle élève… Emilie… Emilie… Emilie Bégnaire ! Voilà, donc elle arrive… aujourd'hui, tiens, elle est en retard… Eh, Ambre ! Toi aussi !

- Relax, Max ! J'y vais ! Je veux juste savoir d'où elle vient.

- Une Rémoise, je crois. Mais elle habitait ici il y a quelques années.

- Merci frérot, à plus ma puce !

Nathaniel fronça les sourcils et jura qu'il n'était pas une puce, mais Ambre était trop loin pour l'entendre. Emilie Bégnaire… Intéressant. La jeune fille sourit. Ce lycée était vraiment chanceux de compter Peggy parmi ses élèves.

- Et donc, le roi soleil avait pour dramaturge Molière, ah ! Notre bien-aimé Molière, auteur et comédien écrivant et jouant de nombreuse pièces, symboles de notre patrimoine français encore aujourd'hui.

Alors que Mr. Faraize continuait son cours sur Louis XIV et que Li et Charlotte s'échangeaient leurs fards à paupières, Ambre gribouillait des silhouettes sur son cahier en pensant à tout ce qu'elle pourrait faire subir à la nouvelle. Alors qu'elle songeait à une sublime technique de torture, la porte claqua et une jeune fille essoufflée apparut dans l'embrasure de la porte. Une brune, un peu enrobée, taille normale. Elle avait des yeux d'un gris tellement clair qu'on aurait pu se regarder dedans comme dans un miroir. Ambre ne l'avait jamais vu.

Mr. Faraize se tourna vers la nouvelle venue en fronçant les sourcils.

- Mlle. Bégnaire, je présume ?

- E ... Exact.

- Vous êtes en retard.

- Oui.

- Alors ça commence bien, pour un premier jour de cours. Allons, présentez-vous !

La jeune fille s'avança dans la salle de classe et se tourna vers les élèves. Elle n'avait pas l'air très sportif : elle avait le visage rouge, elle transpirait et haletait comme un chien.

- Emilie… Emilie Bégnaire, dix-sept ans, je viens de Reims.

- Rejoignez votre place à côté de Lysandre.

Et la jeune fille s'assit sur la chaise à droite du garçon au style victorien, au fond de la salle dans la colonne du milieu. C'est-à-dire juste à la gauche d'Ambre. Emilie tourna la tête dans la direction de la table de la blonde et sourit alors légèrement à cette dernière. Ambre le lui rendit en lui jetant un regard noir. Message reçut, et la nouvelle reporta son attention sur le tableau.

Castiel avait passé toute l'heure du cours de mathématiques à écrire sa partition de musique. La prof l'avait bien remarqué, mais elle ne se fatiguait plus à renvoyer le jeune homme ; après tout, il ne dérangeait personne.

Ainsi, le faux roux était devant son casier à penser à autre chose quand Ambre passa sous ses yeux. Cette dernière se dirigeait droit vers lui.

- Tu ne devineras jamais !, commença la jeune fille, toute fière.

- Qui sait ? Tu es voyante ?, répondit Castiel sur un ton sarcastique.

- Allez, devine !

- Tu viens de dire que je ne pouvais pas.

- Mais tu as dit que tu pouvais !

- J'ai dit que tu ne pouvais pas savoir si je pouvais où non, hors je ne peux pas !

- Bon… Alors qu'est-ce qui pourrait me mettre dans cet état !

- Ta nouvelle coiffure.

- Oui… Mais non.

- Le nouvel album de Rihanna.

- Euh… Oui, mais ce n'est pas ça.

- Nathaniel est célibataire à vie.

- Oui ! Euh, non !

- Une nouvelle élève ?

- Dans le mille !

Ambre attendit patiemment la réaction de Castiel… vainement. Castiel retourna à ses moutons, sans se soucier de ce que venait de dire la jeune fille.

- Bah, ça ne t'étonne pas ?, demanda Ambre.

- A quoi elle ressemble ?, fit distraitement le jeune homme en regardant par la fenêtre.

- Brune, yeux gris, mais pas comme les tiens ! Clairs et moches par-dessus le marché. Les tiens sont si beaux…

Castiel leva les yeux au ciel et la blonde jura dans sa barbe. Raté.

- Ses cheveux sont longs, bouclés et un peu gras, elle a des fesses de bœufs et elle porte des vêtements de « sport » XXL.

Le jeune homme n'écoutait ceci que d'une oreille : les descriptions d'Ambre n'étaient jamais très objectives.

- Hé oh, Castiel ! Allô ! Ça ne t'étonne pas ?

- Je me serais décroché la mâchoire si tu m'avais dit qu'une fille blonde aux yeux noirs et au manteau de la même couleur avec un vieux parapluie rose dans les mains était arrivée. Hors, ça n'est pas le cas.

- Un parapluie ?

- Oui.

- Mais il fait beau !

- Là est toute la subtilité.

Un parapluie rose passé… Ambre eut soudain un flash. Une jeune fille dans un couloir, un parapluie de cette couleur à la main. Elle la revoyait, l'accostant et lui demandant de transmettre une enveloppe à quelqu'un… A Castiel ? Ambre n'arrivait pas à s'en souvenir. Quand au contenu…

- Cette fois c'est toi qui es dans la lune, remarqua le roux.

La jeune fille secoua la tête et considéra ce que le jeune homme avait dit.

- Tu… Tu t'occupes de ce que je pense ?, demanda-t-elle, charmée.

Castiel grimaça.

- Pas la peine de chercher bien loin pour deviner que tu cherche un stratagème pour faire souffrir cette nouvelle qui ne t'a rien fait !