Swimming in the paradise

- Que… Gé… Génial ?

- Oui ! J'en suis sûre !

Castiel regardait la jeune fille, la fixait. Il ne savait plus quoi penser. Comment pouvait-on trouver la mort génial ? Comment pouvait-on souhaiter la mort ? L'enfant ne se sentait pas bien. Il n'était plus protéger par cette sérénité quand il voyait cette jeune fille, il n'avait plus cette couverture qui le protégeait de son véritable état. Son cœur battait de plus en plus vite, il était essoufflé.

- Pourquoi ? Pourquoi dis-tu ça ?, implora Castiel. Comment peux-tu dire ça ?

Le sourire de la jeune fille s'élargit.

- Je suis sûre qu'il y a des mangues de l'autre côté !

L'enfant ne la regardait plus. Il fixait le drap de son lit. Il avait mal à la poitrine, son cœur battait si vite… Mais il écoutait tout ce qu'elle disait.

- Des… Des mangues ?

- Oui, des mangues ! Et des kiwis ! Et des ananas ! Des tas de fruits exotiques !

Castiel releva les yeux sur la jeune fille. Il ne comprenait décidément plus rien, et la tête lui tournait.

- Il y aurait des palmiers, des bananiers… Une mer turquoise, un superbe soleil qui brille matin et soir, et s'il y a nuit, des étoiles à ne plus en compter ! Ça serait toujours la fête ! Tout le monde serait heureux, que de la joie ! Ah, et des parapluies ! Plein de parapluies ! Plein de choses comme ça… Hum, on n'aurait plus ni faim ni soif, plus fatigué, on n'aurait même plus besoin de dormir ! Ça ne serait pas génial ? Rester éveillé toute la journée, toute la nuit ! Il y aurait des tas d'immeubles, des vieilles maisons hantées, des répliques de Paris… Venise ! Il y aurait Venise, et on pourrait aller dans des musées et voir toutes les œuvres qu'on veut ! Léonard de Vinci, Victor Hugo… Euh, mais lui, c'est un écrivain, c'est vrai… Lire tout ce qu'on veut, regarder tout ce qu'on veut, faire tout ce qu'on veut… Aucunes limites ! Même pas la maladie !

Les bips du rythme cardiaque s'accéléraient. La jeune fille semblait ne pas s'en rendre compte, mais Castiel, lui, si. Il ne voyait plus rien, il transpirait, haletait, dans sa tête défilaient des images embrouillées. Mais il écoutait toujours. Et chaque parole rendait sa douleur à la poitrine plus intense. Il voulait crier, dire à cette fille d'arrêter de parler et d'appeler une infirmière au lieu de raconter des bêtises. Mais rien ne sortait de sa bouche. Juste un bruit étouffé, une radio cassée. Il était brisé. Mais était-ce la maladie ? Ses battements de cœur trop rapides étaient-ils réellement provoqués par ses problèmes cardiaques ? Ou par les paroles de la demoiselle au parapluie ?

- Pour… Pourquoi tu dis ça ?, demanda Castiel, à bout de souffle. Tu… Tu veux vraiment que je meurs ?

- Pourquoi je dis ça ?, répéta la jeune fille, outrée. Castiel, tu me demandes pourquoi je te dis ça ? Eh bien, crétin, je vais te répondre ! Parce que tu ne dois pas mourir. Tu entends ? Il ne faut pas que tu meurs !

Elle lui répétait ces paroles, mais l'enfant n'en pouvait plus. Oui, il entendait parfaitement. Mais non, il ne comprenait toujours pas. Il avait de plus en plus mal, il sentait son esprit divaguer. Il allait s'évanouir. Mais d'une voix rauque, il dit quand même :

- Pourquoi ? Quel est le rapport ? Tu… Tu vantes les mérites de la mort et… Tu me harcèle en disant qu'il ne faut pas que je meurs ?

La jeune fille prit un air encore plus en colère.

- M'as-tu écouté ? As-tu fais attention à ce que j'ai dit ? J'ai dit qu'on n'aurait plus soif. Ni faim. On ne pourrait plus manger. Toutes les saveurs, tout ce qu'i manger, on ne pourrait plus en profité. Tu as vraiment goûté à tout ? Je paris que tu n'as jamais mangé d'escargot ! Et les mangues, les kiwis dont je t'ai parlé ! Tu as déjà mangé une mangue ? C'est si bon… Dans l'au-delà, est-ce que tu pourras y goûter ? Auront-elles le même goût ? Et si on n'a plus besoin de dormir, comment pourrait-on rêver ? Un monde sans rêve… Quant à Paris, Venise, pourquoi ne pas y aller en vrai ? Et les parapluies, on peut en acheter. Les maladies, certaines se soignent. On peut faire plein de choses ici. En vie. Pourquoi gâcher ça ? Et le bonheur ? S'il n'y a plus de malheur, peut-on vraiment être heureux ? Peut-on vraiment être joyeux tous les jours ?

- Tais-toi ! Tais-toi !

Castiel se bouchait les oreilles, effrayé.

- Non, Castiel, dit la jeune fille en secouant la tête, rancunière. Non, je ne me tairai pas.

Alors elle prit les poignets du garçon et les plaqua contre le mur, de sorte à ce que Castiel l'écoute. Celui-ci, essoufflé, rouge, regardait fixement une poussière sur le tissu blanc.

- Tu crois que je n'avais pas remarqué que tu faisais une crise ? Que je suis si bête que ça ? Calmes-toi, bougre d'idiot, et regarde-moi. Dans les yeux.

- Non ! Je ne t'entends pas, ne t'écoutes pas ! Vas-t-en, je ne t'aime pas, pars loin, loin, loin !

- Tu ne fais que fuir la réalité, Castiel !, gronda la jeune fille. Regarde le danger en face ! Pauvre lâche, regarde-moi dans les yeux !

- Non !

L'enfant, les yeux fermés, secouait la tête, se débattait. Il avait mal. Il pleurait. Cette fille, bien qu'elle soit chétive, sans aucune force physique, le torturait avec ses mots. Les mots. Ne pouvait-elle donc pas se taire ? Atténuer le supplice ? Alors Castiel pensa à ce qu'il pensait toujours, depuis qu'il était dans cette chambre. La mort. Il voulait mourir. Tout quitter, pourvu que ça cesse. Il avait mal, mal, bon sang, elle était aveugle ?

- Regarde-moi !

- Non ! Tu n'es qu'une écervelée prétendant tout savoir, une imbécile qui ne sait rien de la vie, de ce que je ressens !

- Parce que je ne sais rien de la vie ? Parce que tu crois que j'ai acquis ce sourire comme ça, d'un coup ? Parce que tu crois que je n'ai pas lutté pour obtenir ce masque de joie ? Tu ne me connais pas, Castiel ! Ne me juge pas ! Eh oui, au passage ! Je suis bien une imbécile, et écervelée si tel est ton opinion !

- Pitié…, supplia Castiel, en larmes. Arrête…

- Non, Castiel, reprit la jeune fille, plus doucement. Je n'arrêterai pas. Pas tant que tu ne m'auras pas regardé dans les yeux, pas tant que tu n'auras arrêté de fuir.

Alors, Castiel, doucement, en tremblant, releva la tête. C'était difficile, la souffrance devenait insupportable. Il allait comme exploser. Mais finalement, ses prunelles rencontrèrent celle de la jeune fille, alors que sa tête était encore un peu penchée vers le bas. La colère transpirait dans les yeux de l'enfant. Son cœur battait de manière irrégulière, sa respiration était saccadée. Mais dès qu'il vit les yeux de la jeune fille, dans sa tête tout s'arrêta. La colère, la haine, le mensonge, la lâcheté, tout. Il n'y avait plus que les yeux noirs de la demoiselle.

C'était vrai. Il ne la connaissait pas. Et pourtant, lorsqu'il regarda profondément les pupilles de son interlocutrice, il vit tout. Ce désire de vivre, cette résistance contre le monde extérieur, ce monde cruel vous infligeant les souffrances les plus atroces. Il vit ces souffrances dans les yeux de cette fille. Il vit tout ce qu'elle avait enduré pour arriver jusqu'ici. Tout ce qui lui était arrivé, comment elle s'était battue contre l'injustice de ce monde. Comment elle s'était convaincu que la vie méritait d'être vécue. Que tout finit par s'arranger.

Castiel vit comment la jeune fille le voyait, lui. Il se vit avec les yeux de la demoiselle, et se trouva petit, faible et lâche. Méchant par-dessus le marché. Il se vit recroquevillé sur lui-même, attendant la fin sans se battre, sans émettre de résistance. Il se sentait sale, minable. Tellement minable. Il ne méritait pas l'intérêt que lui portait cette jeune fille. Pourquoi allait-elle le voir alors qu'elle avait réussi à être heureuse ? Pourquoi rendre visite à un idiot coincé dans un hôpital, à essayer de lui faire comprendre que la vie, pour la garder, il fallait se battre, et non pas attendre que ça se passe ?

Le regard de la jeune fille se fit plus doux en observant la réaction du garçon. Ses yeux étaient encore un peu rouges, sa respiration encore un peu difficile, mais il se tenait droit, la fixant sans sourciller. Son rythme cardiaque était redevenu régulier mais ses sourcils restaient froncés. Alors, la demoiselle dit :

- Si je te dis ça, Castiel, c'est pour te faire comprendre que la vie, ce n'est pas si mal, et que la mort, on ne sait pas ce qu'il y a après. Dans le doute, la vie, on n'en a qu'une, et ça serait bête de ne pas en profiter ou de la gâcher, non ?

Le garçon ne dit rien. La jeune fille desserra sa prise sur les poignets de l'enfant et lentement, baissa les bras. Ils se regardaient toujours, mais désormais, il n'y avait plus aucune animosité dans leurs regards. Il n'y avait plus que de la froideur. Ils se jaugeaient l'un l'autre, mais sans colère, sans jugement. Un long silence plana.

- Toc, toc, toc !

- Entrez.

Une toute petite tête aux cheveux blonds et bouclés retenus en queue de cheval entra dans la pièce. Une petite fille en robe rose et en bottes en caoutchouc se balançaient sur un pied, les bras derrière le dos. Elle regardait timidement le petit garçon couché dans le lit, regard qui lui était rendu avec étonnement.

- Ambre ?

- Coucou Castiel…

Le regard de la petite fille se porta sur la jeune fille assise sur une chaise qui la fixait elle aussi.

- Et… Euh, vous êtes ?, demanda Ambre.

- Ne t'en fais pas, sourit la demoiselle. Je te le laisse.

Alors la jeune fille se leva et quitta la pièce. La petite fille s'approcha en trottinant vers le bord du lit et se hissa sur la pointe des pieds pour voir Castiel. Constatant que cette tentative était vaine, elle poussa une chaise, monta dessus et s'agenouilla pour regarder le petit garçon dans les yeux.

- Castiel…

- Ça fait des mois que je ne t'ai pas vu, Ambre. Pourquoi tu es là ?

La crainte se lisait clairement dans les yeux de la petite fille. Elle n'osait pas regarder son « ami » directement. Elle avait peur. Castiel, quant à lui, était calme. C'était étrange, toute cette sérénité qui s'emparait de son corps. Comme si le fait d'avoir pleurer, crier avait évacué toute la haine, toute la souffrance que son corps trop jeune avait contenue.

- Castiel…, murmura la petite. Je… Mais tes yeux sont rouges ? Tu as pleuré ?

Le petit garçon essuya ses joues et constata qu'elles étaient encore humides. Il eut un petit rire sans joie.

- Ouais, apparemment…

- C'est cette fille ? Qu'est-ce qu'elle t'a fait ?

Ambre, désormais, fixait Castiel droit dans les yeux, ferme mais inquiète. Alors, devant la situation, le garçon étira ses lèvres en un grand sourire.

- Rien, rien. Elle m'a… aidé, si on veut.

- Euh… Castiel ?, hésita Ambre, sceptique.

- Oui ?, répondit l'enfant, tout sourire.

- Tu… Tu… Euh…

- Je, je, euh ?

- Tu souris.

- Bah, oui, et ?

- Castiel, tu souris.

- Je ne vois pas où est le problème.

Ambre continuait de fixer le garçon, mais cette fois elle était décontenancée. Castiel prit alors un air un peu surpris. Il souriait. Et alors ?

- Castiel, tu n'as pas souris une seule fois, ne serait-ce qu'une seule fois depuis que ta mère a éclaté en sanglots le jour où elle a apprit que tu étais… que tu étais malade.

Le garçon ne répondit pas. Pourquoi ? Parce qu'il venait de se rendre compte qu'en effet, il venait de sourire. Ça n'avait rien d'extraordinaire. Ça lui avait parût naturel. Mais il repensa à toutes les fois où ses amis étaient venus le voir, et où à chaque fois il avait été plus froid qu'un cadavre. Il comprit soudainement pourquoi Ambre craignait tellement de lui faire face, et pourquoi son absence avait été si longue. En tous cas, la petite fille rayonnait de bonheur.

- Je ne sais pas ce que cette fille t'a fait, déclara Ambre, mais en tous cas, il faut absolument que je la remercie !

- Euh…, hésita Castiel.

- C'est vrai ! D'abord tu pleures, ensuite tu souris… Tu ressembles presque à un humain !

Le petit garçon eut l'impression qu'on lui enfonçait un poignard dans le ventre. Ambre avait toujours été directe et ses paroles, quoiqu'innocentes, faisaient parfois très mal.

- Mais, euh, Castiel… Pourquoi elle a un parapluie ?

- Bonne question…

Les deux enfants continuèrent à bavarder joyeusement, sans se soucier de la réalité. Ambre se sentait rassurée. Elle retrouvait enfin son ami qu'elle avait rencontré sur l'aire de jeux.

Arriva un moment où Castiel posa des questions sur le déroulement des cours, et la petite fille se rendit compte qu'il était très en retard ! Elle se fit donc un devoir de lui enseigner tout ce qu'il avait manqué. Castiel trouvait Ambre bien piètre professeur : elle était autoritaire, bornée, et le petit garçon se demandait si trois et trois faisaient vraiment cinquante-quatre…

Finalement, la petite fille s'en alla, et Castiel fut étonné de constater la venue de la demoiselle, qui s'était absentée le temps de la visite d'Ambre.

- Qui était-ce ?, demanda simplement la jeune fille.

- Ma meilleure amie, souffla le petit garçon.

Il y avait une certaine distance entre eux. La demoiselle regardait par la fenêtre, au loin, perdue dans ses pensées, alors que Castiel la fixait. Il se disait que ne pas voir cette fille sourire, ou de la voir en colère, était vraiment… Vraiment quoi ? Il ne savait plus trop où il en était.

Il se faisait tard, et la nuit était tombée. C'était l'hiver, le jour sombrait vite…

- Il n'y a pas un nuage, on peut voir les étoiles…, murmura la jeune fille.

Castiel ne vit pas la larme rouler le long de la joue de la demoiselle ; il s'était assoupi. Il ne vit pas non plus cette même jeune fille passer sa main dans ses cheveux noirs, ni la voir sortir de la pièce, sans bruit, tel un fantôme