Escapade enfumée
Il en avait tant rêvé. Tant rêvé de se retrouver là, tant rêver de cet instant. A présent, il y était, et pourtant, il ne savait pas ce qu'il ressentait. Un sentiment de liberté? Il ne saurait dire, il se sentait comme cloîtré. Il n'y avait pourtant pas de quoi.
Castiel remua légèrement ses chevilles, fermant les yeux. Le vent frais joua avec ses cheveux, caressant tendrement sa joue pour repartir finalement ébranler doucement les branches de l'arbre voisin. L'enfant rouvrit les yeux et admira le spectacle. Les branches de l'arbre, il ne saurait lequel est-ce, se balançaient légèrement, s'échapper des pétales d'une rose pâle. Ces pétales semblaient flotter dans l'air, puis se laissaient entraînés par l'entêtante danse du vent, un ballet somptueux mais discret, une petite merveille de la nature. Les pétales volaient juste au-dessus du trottoir, puis se soulevaient brusquement dans les airs et redescendaient lentement, en planant.
Le garçon entendit deux femmes discutant non loin, sur le trottoir. Elles parlaient de leurs jardins, racontant que les soudaines bourrasques abîmaient les fleurs. Elles semblaient dédaigneuses, hargneuses. Castiel songea qu'elle ne devait sûrement pas voir le spectacle des pétales tel qu'il le voyait.
Castiel regarda autour de lui. Il était dans un parc de la ville, seul coin de nature dans les environs. Il ne se sentait pas à l'aise parmi les immeubles de vente de l'agglomération, il préférait de loin les quelques fleurs jonchant les massifs mal entretenus, près de la fontaine d'où s'écoulait une eau verdâtre. L'enfant était assis sur l'herbe, près d'un buisson, en face de la fontaine. A sa gauche, il y avait le fauteuil roulant dans lequel il était censé rester. Sur le siège trônait un parapluie.
L'enfant attendait. Il lui devait bien ça, après tout, il devait normalement pas dû sortir de l'hôpital.
- Castiel!
Le garçon regarda à sa droite. Une jeune fille dans un manteau noir courait vers lui, un sachet en papier marron dans une main, une petite fleur dans l'autre. Elle vint s'agenouiller près de l'enfant, posa la fleur sur une de ses cuisses et entreprit ouvre méticuleusement le sachet. Elle en sortit deux biscuits, un au chocolat noir et l'autre à la praline.
- Tiens, gros dur!, Sourit-elle en tendant un cookie au garçon. Praline, comme tu me l'avais demandé!
Castiel prit le biscuit doucement, l'observant comme s'il n'en avait jamais vu. Ça faisait si longtemps qu'il n'avait pas mangé… Il regarda la jeune fille, perdu. Elle lui souriait, et tout de suite l'enfant se sentit un peu mieux. Faisait trois semaines qu'il ne voyait pas vu, depuis la dispute qu'ils avaient eu, et ce matin-là, elle avait débarqué en lui annonçant qu'elle avait réussi à faire céder sa mère et les médecins pour qu 'il peut sortir.
Ainsi, Castiel se retrouvait assis sur l'herbe en compagnie de la demoiselle au parapluie, dans le petit parc de la ville, un étrange sentiment lui nouant l'estomac. Il se sentait libre et enfermé à la fois. A bien y regarder, ça n'était pas son estomac qui était noué. Il était bien libre, mais son cœur était comme enfermé.
Une longue main aux courbes douces le tira de ses rêveries. Elle tenait du bout des doigts une petite fleur blanche, une pâquerette.
- Tiens!, Lança la jeune fille. Cadeau!
Alors que Castiel prenait la fleur, la demoiselle reprit:
- Je préfère les marguerites, mais il n'y en a pas ici. Les pâquerettes, c'est joli aussi.
L'enfant aurait bien aimé lui répondre que des pâquerettes, on en sort partout, mais il répond tout de même, faiblement: «Merci. », Puis grignota son cookie. La jeune fille sourit et balança le haut de son corps de-ci, de-là, légèrement. L'enfant termina son biscuit et dit:
- Je pensais que tu ne reviendrais pas.
La demoiselle regarda le garçon avec des yeux ronds, puis avec tristesse.
- Je voulais que tu médites un peu mes paroles, retiens-elle. Mais il est vrai que… J'étais… Occupée.
Ses mains serrèrent sa jupe, la froissant gagner. Le garçon haussa un sourcil mais n'ajouta rien, considérant la conduite de la jeune fille comme habituelle. Cette dernière fronça le nez et toussa un peu.
- Qu'est-ce que tu as?, Demanda l'enfant, alarmé.
Une étrange fumée lui arriva en plain visage, comme pour répondre à une question. L'odeur qui s'en dégag luieait rappela alors un vieux souvenir, celui d'un homme à la carrure plutôt imposante, adossé au mur, tirant sur sa cigarette, près de la fenêtre. Son père. Castiel se mit alors à tousser, tousser, crachant ses bronches et s'arrachant les poumons, affolant son cœur. Il sentit une main lui tapotant doucement le dos, et il se calma. La jeune fille soupira, soulagée.
- NON MAIS ÇA NE VA PAS! , hurla-t-elle à l'intention du fumeur. Je déteste la cigarette!, Reprit-elle plus pour elle-même. Non, vraiment, à quoi sert ça de se tuer la santé pour avoir l'air cool!
- Tu n'as jamais essayé?, Demanda innocemment l'enfant, un peu secoué.
- Euh…
La demoiselle entortilla ses mains, les emmêla d'une manière frustrée. Elle avait l'air gênée, et elle ne regardait plus le garçon en face.
- Bah, euh… Oui, j'ai essayé… Plus ou moins…
- Tu as été une fumeuse?
- Bon, oui, ça va, j'avoue! Mais j'ai arrêté, et je ne supporte plus cette fumée.
Castiel sourit et leva les yeux au ciel, alors que la jeune fille prenait un air courroucé. L'enfant se mit alors à rire. Il ne savait pas pourquoi, mais il rit. Peut-être à cause de la moue de la demoiselle, ou bien à cause de l'étau pressant son cœur qui se desserrait.
- Ce n'est pas drôle!, S'exclama-t-elle.
- Ah, si! Je ne sais pas pourquoi, mais c'est trop drôle!
La jeune fille croisa les brais fermes, mais sans conviction réelle. Une fois que Castiel eut fini de rire, elle murmura faiblement, avec une pointe de faux-agacement:
- C'est la première fois que je te vois rire.
L'enfant écarquilla les yeux et fit un grand sourire.
- Ça t'embête?
- Non, non!, Répliqua aussitôt la jeune fille. C'est juste que… C'est bizarre de ne pas te voir me tirer une tronche de déterré…
- Bientôt, je serais un déterré, ou plutôt un enterré.
- Ne raconte pas de bêtises!
Castiel haussa les épaules. La demoiselle soupira, puis eut l'air de se rappeler quelque chose.
- Il me semble que… Ah!
Subitement, elle se leva et plaça sa main juste au-dessus de ses yeux plissés, comme pour tenter de distinguer une silhouette au loin.
- Il y a Maurice!, S'exclama-t-elle.
- C'est qui Maurice?
- Un épicier, sympathique. Attends-moi ici, je dois lui dire un truc.
- Lui dire quoi?
- Rah, tu m'énerves!
Sur ces mots, elle courut vers un homme dans la cinquantaine vêtu d'un marcel moulant son ventre bedonnant, de l'autre côté de la route, sur le trottoir.
- Bonjour…
Castiel sursauta et se retourna. Une fillette se tenait devant lui, une petite brune aux cheveux bouclés retenus en deux couettes symétriques, de chaque côté de la tête, portant une salopette en jean. Elle avait un pansement sur le haut de la joue. La première a choisi que le petit garçon vit chez elle ce fut ses yeux. Des yeux d'un gris clair, presque translucide. Des yeux mornes, dépourvus de vie.
Cette petite ne semblait ni triste ni joyeuse. Abattue, peut-être. Elle tenait un journal daté de quelques semaines où on pouvait lire comme gros titre: «Tragique accident de la route, un bus scolaire et une moto: 28 morts, dont 25 enfants. Un seul survivant ». Castiel contempla une nouvelle fois le visage de son interlocutrice et répondre:
- Bonjour.
- Tu m'as l'air d'être un garçon chanceux. Cette fille semble vraiment gentille.
Le garçon fronça les sourcils. La petite fille eut un sourire qui lui paraissait comme mélancolique.
- Tu sais, reprit-elle, les bonnes personnes finissent toujours par disparaître.
- Qu'est-ce que tu veux dire?
- Tu m'as compris.
Castiel se leva avec difficulté, les jambes tremblantes.
- Que sais-tu de cette fille?, Demanda-t-il.
- Rien. Et toi?
Le garçon en resta bouche bée. C'était vrai, que savait-il-elle?
- Enfin, si, fit la petite fille. Je sais une choisi elle, ou deux. Mais c'est tout. Tu la connais bien?
- Un vrai dire…
- Tu ne la connais pas.
La fillette se balança sur un pied, les yeux fixés sur la pelouse.
- Toutes les bonnes choses ont une fin…, souffla-t-elle.
- Qu'est-ce que tu racontes! Qu'est-ce qui te permet de dire ça!
- Il y a tout un tas de choses qui me permettent de t'affirmer qu'elle va s'en aller. Et que tu ne la reverras pas.
- Menteuse!
- Rien ne te permet à toi, en revanche, d'affirmer que je suis une menteuse. Médites ce que je viens de te dire. Maintenant, je vais rejoindre Viktor.
Et la petite fille partit d'un pas lent en direction du passage pour piétons. Alors, Castiel cria:
- Viktor? Mais tu es seule!
La fillette se retourna et sourit.
- Non. Je ne suis jamais seule. Jamais.
Et elle disparut dans la foule que formaient les passants.
- Bougre d'idiot! Je t'avais pourtant dit de m'attendre!
Castiel se retourna. Les bras croisés, la demoiselle le fixait en tapant du pied, manifestement contrariée. L'enfant déglutit alors que la jeune fille soupirait. Elle se dirigea vers le fauteuil roulant et le poussa jusqu'au garçon et lui ordonna:
- Assied-toi.
Castiel s'exécuta sans poser de questions. Alors, la jeune fille fit rouler le fauteuil vers la sortie du parc et chuchota quelques mots à l'oreille de l'enfant.
- Il ne reste plus beaucoup de temps, je vais devoir te ramener à l'hôpital. Ça te dirait d'aller faire un tour à la plage?
- Mademoiselle?
- Mm?
Alors que Castiel s'apprêtait à parler, le cri d'une mouette lui coupa la parole. L'oiseau s'envola vers la ligne droite que formait l'horizon, le lieu de rencontre entre le ciel et la mer. C'était un spectacle magnifique, l'eau reflétant les milles couleurs du crépuscule en scintillant de tous ses feux. L'enfant inspira un bon coup l'air de l'océan, puis demanda:
- Peux-tu me faire une promesse?
- Ça dépend de laquelle…
L'enfant serra ses poings et formule ces mots avec peine:
- Promets-moi que tu ne partiras pas.
Un silence pesant plana, rompu par le roulement des vagues léchant le sable chaud. Finalement, un soupir fendit l'air.
- Je ne partirais pas. Pas tant que tu auras besoin de moi.
Un grand soulagement envahit le petit garçon. Il fut tellement heureux qu'il s'exclama vivement:
- A toi!
- Hein?
- Tu m'as fait une promesse, à toi de me demander d'en faire une!
- Eh bien…
La jeune fille éclata de rire.
- Je pourrais te demander la lune, mais… Tu penserais que je me fiche de toi. Il se fait tard, je vais te ramener.
- Assiste! Je veux admirer les derniers rayons du soleil.
Castiel contempla, émerveillé, la couleur dorée des nuages, le rose du ciel et le bleu de la mer. Alors que le soleil disparaissait sous l'eau, la jeune fille murmura:
- Promets-moi simplement que tu ne fumeras jamais.
- D'accord.
Sur cette promesse, le soleil se coucha, admettez les deux amis seuls dans le noir.
