En tant que future princesse régnante de Dorne, Arianne Martell avait toujours été consciente qu'il lui faudrait se marier un jour. Son futur époux, elle l'avait rêvé beau et courageux, un grand chevalier imposant au terrifiant regard sombre, et elle avait prié les Sept sans répit de lui accorder la beauté en grandissant – car quel chevalier ténébreux voudrait d'une épouse grassouillette, maladroite et prompte à se couvrir de boutons ?

Et puis son père lui avait annoncé qu'en fait de mari, il lui faudrait épouser le neveu de l'homme responsable de la mort de Tante Elia et de sa petite cousine Rhaenys et de bébé Aegon. La réaction immédiate d'Arianne avait été de courir pleurer sur son sort dans les bras de sa mère – et si le neveu imitait Robert Barathéon et décidait de lui faire du mal ? Plutôt devenir une sœur du Silence et rester vieille fille !

Bon, elle savait maintenant que c'était davantage elle qui risquait de faire du mal à son fiancé, et ce pendant au moins plusieurs des années à venir – parce qu'il était tellement plus jeune qu'elle qu'il était pratiquement un bébé, et ce n'était pas franchement brillant non plus comparé à un potentiel bourreau qui la brutaliserait, au moins un bourreau n'aurait pas eu besoin qu'elle lui change les couches – mais à l'époque, elle ignorait tout de ça, elle avait donc sangloté furieusement tandis que Mère lui caressait les cheveux et lui susurrait des riens rassurants.

Ça avait provoqué une énorme dispute entre ses parents ; Arianne avait entendu une chambrière raconter que Lady Mellario avait crié si fort après le prince Doran que ça pouvait s'entendre du haut en bas de la tour du Soleil, et peut-être même dans le Palais Vieux entier. Mère avait apparemment menacé d'emmener Arianne à Norvos, seulement pour que Père menace de l'envoyer au donjon pour enlèvement de l'héritière de Dorne, ce qui… Arianne ne voulait pas croire que son père ferait ça. Père aimait sa mère, et vous ne faisiez pas de mal aux gens que vous aimiez, même pas en menace.

Après ça, Mère avait boudé la compagnie de Père pendant la moitié d'un an, se calfeutrant dans ses appartements avec Arianne et Quentyn et refusant d'adresser la parole aux serviteurs et aux gardes que lui envoyait son mari. Il avait fallu qu'Areo Hotah accepte de jouer les intermédiaires pour qu'elle se montre un peu moins intransigeante pour ce qui était de communiquer avec son mari, et encore cela avait-il sollicité trois autres mois et une quinzaine de jours pour que les choses redeviennent comme avant la querelle.

Malgré cette fin heureuse, Arianne n'en sentait pas moins comme une ombre tendue planer entre ses parents, ce qui ne contribuait pas à calmer ses peurs regardant son promis : allait-elle se quereller aussi amèrement que ça avec lui ?

Cette terreur continuait de lui grignoter le ventre alors que sa femme de chambre la coiffait et l'habillait, que Mère la jugeait présentable et l'amène dans la salle du trône où Père l'avait fait se tenir à côté de lui afin de recevoir son futur mari et beau-père.

L'apparition de Bruce Barathéon dans la salle ne l'apaisa aucunement au contraire, elle sentit ses yeux s'écarquiller.

Ce sera ça, mon beau-père ? Mais c'est une montagne !

L'homme était immense, au moins six pieds et demi, estima-t-elle, avec de larges épaules lui conférant l'imposante allure d'un mur de forteresse, lourd et impossible à renverser. Ses épais cheveux sombres impitoyablement tirés en arrière était d'un noir intense, pareil à une nuit sans lune, un noir que ses habits tentaient en vain d'imiter, mais le degré qu'ils parvenaient à atteindre rappelait un nuage d'orage prêt à crever et dégorger trombes d'eau et tonnerre, affreusement intimidant.

Le pire restait ses yeux, cependant : bleu incandescent, perçant et impérieux, Arianne voulait disparaître du moment que ce regard ne s'abattait pas sur elle ou elle allait mourir sur place. Pourquoi Père ne faisait-il rien ?

« Lord Barathéon » articula enfin le Prince de Dorne, et Arianne en aurait pleuré de soulagement si les princesses ne pleuraient pas là où tout le monde pouvait les voir, « soyez le bienvenu à Lancehélion. »

Le terrifiant Lord inclina la tête, reconnaissant Père comme un Prince mais pas un degré de plus.

« Je vous remercie de votre hospitalité, Prince Doran » fit-il, d'une voix étrangement douce qui contrastait abjectement avec son apparence – on se serait plutôt attendu à ce que son timbre sonne comme un fracas de galets. « Comme promis, je suis venu avec mon fils Timo afin de le présenter à votre fille aînée et héritière. »

Et – ah, elle ne l'avait pas remarqué, caché comme il l'était derrière la jambe de cette montagne humaine lui tenant lieu de père. Non, impossible qu'il s'agisse de son père, l'enfant était absurdement petit, même pour l'âge qu'il était supposé avoir. En fait, il avait les dimensions d'une poupée – Arianne aurait pu le prendre dans ses bras et le promener avec elle une journée entière sans attraper mal au dos, elle en était certaine.

« Timo Barathéon » énonça Père, sa voix un peu moins princière, sonnant davantage comme celle avec laquelle il s'adressait à Quentyn en train de cauchemarder, « c'est un honneur de vous avoir sous mon toit. »

Timo Barathéon ne répondit pas, préférant se cacher le visage dans les replis des chausses de son père. La montagne humain entreprit de s'accroupir avec une grâce troublante pour un homme de son envergure, posant sur la tête brune de l'enfant une main menaçant de l'engloutir.

« Tim » fit Lord Barathéon, à la manière d'un palefrenier cajolant une monture effrayée, « tu connais tes bonnes manières. »

Un reniflement, et ledit Tim se tourna enfin vers le dais sur lequel se tenait les Martell. Dans son petit visage pâle encadré de longues mèches noires brillaient deux larges yeux très bleu, étincelant comme le ciel en été, et il avait encore plus l'air d'une poupée maintenant qu'Arianne pouvait les voir – elle sentit l'envie fugace de l'étreindre et de le coucher dans son lit pour le bercer.

« Bonjour » fit-il d'une petite voix, presque un souffle qui lutta pour quitter sa bouche et parvenir jusqu'aux oreilles de ses interlocuteurs.

La bouche de Père frémit aux commissures, indiquant qu'il était sur le point de sourire, tandis qu'oncle Oberyn fronçait le nez, l'air confus – pour quelle raison ?

« Bonjour, jeune homme. Voici ma fille Arianne. »

Arianne savait ce qu'elle était supposée faire à ce moment, et elle le fit : elle sourit, poliment, comme une princesse de la lignée Nymeros Martell.

La touche qu'elle y ajouta, ce fut un peu de chaleur : il ne s'agissait pas que Timo fonde en larmes. D'une part, ça lui briserait le cœur, d'autre part, son immense et terrifiant futur beau-père la casserait en deux en guise de rétribution.

À voir le sourire hésitant qui se forma sur le visage de son minuscule interlocuteur, elle avait réussi. Et vu le sourire approbateur que Père s'était autorisé, elle avait bien fait d'agir ainsi.

Finalement, peut-être qu'elle pourrait s'accoutumer à son petit mari. Surtout s'il ne devenait pas aussi grand et effrayant que l'auteur de ses jours une fois mature.