Chapitre 3 : Je t'aime.
« A propos de cette conversation que nous avons eu l'autre soir… »
Jean-Paul jeta un coup d'œil à son petit ami lorsque celui-ci prit la parole. C'était leur anniversaire – six mois depuis leur premier rendez-vous – même si Jean-Paul n'en avait pas la moindre idée avant que Spencer ne lui rappelât. Ils étaient retournés au Royal York pour dîner, et marchaient à présent sur le quai, près de l'appartement de Spencer.
« A propos du sirop d'érable ? »
Il lui avait fallu du temps pour s'accoutumer au fait qu'il ne pouvait plus aller en boîte chaque fois qu'il voulait de la compagnie, mais c'était agréable de se réveiller régulièrement à côté du même visage.
Spencer sourit et enroula un bras autour de celui de Jean-Paul. « Non, pas celle-là. Au sujet de ton emménagement chez moi. Y as-tu repensé ? »
Jean-Paul fronça les sourcils. Il y avait repensé, et bien sûr, il n'avait aucune raison de ne pas le faire, mais il aimait pousser Spencer à le supplier.
Spencer s'arrêta et le poussa contre le garde-fou, une main de chaque côté de lui, les lèvres cherchant avidement son cou. « T'es chez moi la plupart du temps, de toute façon. » dit-il entre ses baisers. « Tu vis pratiquement chez moi, maintenant. » Spencer l'embrassa sur les lèvres avant de le pousser en retrait jusqu'à croiser son regard. « Tu n'aurais plus à payer un loyer pour un endroit où tu n'es jamais. »
Jean-Paul sourit lorsqu'il leva les yeux pour rencontrer ceux de Spencer, si bleus. « D'accord », dit-il. « Peut-être qu'à la fin de la semaine, je regarderai pour déménager mes affaires. »
Spencer rayonna et déposa un petit baiser sur les lèvres de Jean-Paul avant de se retourner vers l'immeuble. « Pas besoin. Je les ai fait déplacer ce soir.
- Quoi !
- Considère-le comme ton cadeau d'anniversaire pour moi, puisque tu as malencontreusement oublié.
- Mais tu peux pas… »
Spencer enlaça Jean-Paul, et baissa les yeux pour croiser son regard. « Jean-Paul. Je peux le faire et je l'ai fait. Est-ce que tu veux être avec moi ou pas ? »
Jean-Paul ne répondit pas, contenant sa colère bouillonnante.
« Ecoute, je ne te force pas à rester avec moi, mais je ne veux pas perdre de temps en étant loin de toi quand ce n'est pas ce que nous voulons. »
Jean-Paul se libéra de l'étreinte de Spencer en le fusillant du regard. Spencer avait ses arguments, mais il ne pouvait pas s'empêcher de se sentir piraté. Dans son esprit, le pour et le contre livraient bataille, jusqu'à ce qu'il décidât finalement que Spencer pouvait peut-être obtenir ce qu'il voulait, mais cela ne voulait pas dire qu'il allait apprécier ce qu'il obtenait. Jean-Paul était déjà parfaitement conscient qu'il était difficile à vivre, surtout au quotidien. Il sourit intérieurement, il aurait tout le temps pour faire regretter à Spencer sa décision.
« Tu dors sur le canapé, ce soir » murmura-t-il en s'éloignant, retournant à leur appartement.
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Jean-Paul était assis sur le canapé et mangeait un sandwich en regardant les résultats sportifs quand Spencer revint à la maison. Il pendit son manteau dans le placard, embrassa Jean-Paul, et enclencha le répondeur pour faire défiler les messages.
« Salut Jean-Paul, c'est David. On s'est rencontré l'autre soir au Vertigo. Oh, appelle-moi. J'adorerais avoir de tes nouvelles… »
Spencer passa le message en accéléré, tout en lançant à Jean-Paul un regard noir.
« Salut. Ce message est pour Jean-Paul. Jean-Paul, c'est Nick. Appelle-moi si tu ne fais rien ce week-end… »
Spencer accéléra la bande à nouveau. « C'est quoi ce bordel ? »
Jean-Paul haussa les épaules et monta le son de la télévision.
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« Nom de dieu, Jean-Paul, ouvre cette putain de porte avant que je la fracasse ! »
Jean-Paul garda le silence pendant un long moment avant de répondre calmement : « Il y a un drap et un oreiller sur le canapé. C'est parfaitement confortable. » Il le savait d'expérience, des nuits innombrables qu'il avait passé là, trop en colère pour partager un lit avec Spencer. Ce n'était pas l'une de ces nuits. Il avait simplement décidé qu'il voulait la chambre pour lui-seul.
« Je ne peux pas croire que tu m'enfermes à l'extérieur de ma propre chambre !
- Notre chambre !
- Je jure devant Dieu que je vais balancer toutes tes affaires dans le lac demain matin.
- Bien. Tu sais combien j'aime magasiner. »
Il s'installa confortablement au milieu du large lit deux places et ouvrit son livre au marque-page. Spencer restait silencieux, Jean-Paul pensait qu'il avait renoncé quand une voix douce lui parvint de l'autre coté de la porte. « Au moins, dis-moi ce que j'ai fait. » Jean-Paul poursuivit sa lecture. « Putain, Jean-Paul, ne commence pas à jouer les garces avec moi. Je ne peux pas lire tes pensées. Dis-moi ce que j'ai fait. »
Jean-Paul soupira bruyamment. « Rien » dit-il doucement, puis plus fort : « Tu n'as rien fait. C'est juste que je veux la chambre à moi tout seul ce soir. Maintenant, fiche le camp. »
Jean-Paul ignora le coup sur la porte, que Spencer frappa de frustration. « Salaud ! Aucun autre homme sur la planète ne supporterait ton comportement de con. Tu le sais, ça ? »
Jean-Paul sourit et replongea dans son livre.
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Jean-Paul était en train de soulager Spencer de ses vêtements quand le téléphone sonna. Il continua son œuvre, ignorant la sonnerie insistante. « Laisse », insista-t-il alors que Spencer voulut l'atteindre. « Le répondeur prendra l'appel. »
Spencer ne semblait avoir aucun désir de désobéir, alors que la langue de Jean-Paul caressait son torse.
« Hé, salut. Jean-Paul, c'est Steve. On s'est rencontré au Chapters. Appelle-moi, peut-être qu'on pourrait passer le week-end ensemble… »
Spencer lui lança un regard noir. Jean-Paul sourit d'un air penaud.
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Jean-Paul se blottit dans les bras de Spencer, le dos contre le torse de Spencer, qui était appuyé contre le dosseret du lit. « Tu dois vraiment y aller ce week-end ? » demanda-t-il, et Jean-Paul pouvait entendre la déception poindre dans sa voix.
« Oui », répondit-il. Quel genre d'entraîneur serait-il s'il n'assistait aux compétitions ?
Spencer resta silencieux quelques instants. « Si je payais, tu resterais ?
- Quoi ? » Jean-Paul se retourna dans les bras de Spencer et celui-ci saisit l'occasion de changer de position, afin de se placer au-dessus de Jean-Paul.
« Si cela pouvait te faire rester ici tout le week-end », expliqua-t-il en embrassant le cou de Jean-Paul. « Je serais heureux de te payer pour rester.
- Tu veux me payer pour me baiser ?
- Tu resterais si je le faisais ?
- Dégage ! Me touche pas ! » Jean-Paul repoussa Spencer et rampa vers le bord du lit.
- Quoi ? Qu'est-ce qui ne va pas ?
- Je ne suis pas une pute, ici pour ta volupté !
- Bordel de merde, J.-P. » Spencer se laissa retomber sur le lit, un bras recouvrit son visage en signe d'exaspération. « Je viens d'avoir la pire semaine possible au boulot, et tu me balances une remarque agressive en français. Tu sais que je ne parle pas français. »
Les yeux de Jean-Paul s'étrécirent ; il se leva du lit et le regarda avec colère : « Ne m'appelle pas J.-P. Jean-Paul n'est pas plus difficile à dire que J.-P. Et tu viens juste de me proposer de l'argent pour baiser. Ne crois-tu pas que cela mérite une remarque agressive ?
- Si j'avais pensé que ça en méritait une, je ne l'aurais pas suggéré. »
Jean-Paul grogna de colère, saisit son oreiller et tira l'édredon du lit : « Je n'y crois pas ! Tu parles sérieusement ! » hurla-t-il en traînant l'édredon hors de la chambre jusqu'au salon. « T'es prêt à mettre combien ? deux-cent dollars pour une pipe, cinq-cent pour baiser ? »
Spencer se leva et poussa un grand soupir. Revêtant un caleçon, il suivit Jean-Paul dans le salon : « Tu ne crois pas que tu te surévalues ? Tu es hors de prix !
- Qu'est-ce que ça peut te faire ? Tu as les moyens.
- Jean-Paul, tu tombes dans le mélodrame. Tu sais que ce n'est pas ce que je veux dire. Ce que je disais, c'est que tu n'as pas besoin de travailler. Ma paie peut subvenir à nos besoins.
- Je crois que ce que tu disais, c'est que tu veux me payer pour que je sois ta pute.
- C'était censé être un compliment.
- Ouais, ben, c'en était pas un. »
Jean-Paul jeta son oreiller et sa couverture sur le canapé, et refusa de poursuivre la conversation.
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« Salut, Jean-Paul, c'est Marc. Appelle-moi…
- Tu ne pourrais pas au moins leur donner un faux numéro ? » grogna Spencer avant de claquer la porte de la chambre.
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Jean-Paul nota que la couleur quitta le visage de Spencer quand il entra dans le restaurant, l'air satisfait et suffisant. Il sourit et interpella son petit ami irrégulier d'une voix probablement plus forte que nécessaire.
Lorsque l'ensemble des convives autour de la table se retournèrent pour voir le nouveau venu, Spencer se couvrit les yeux d'une main et jura, un geste que Jean-Paul connaissait trop bien.
La tablée se retourna vers lui lorsque Jean-Paul s'approcha et Spencer effaça la colère de son visage, la remplaçant par un sourire plaisant. Il se leva et permit à Jean-Paul de serrer la main qu'il tendait.
« Spencer Thomas ! C'est merveilleux de te revoir ! » Jean-Paul jeta un coup d'œil à la femme assise à côté de Spencer. « Ce doit être ton adorable petite amie ». Il sourit à ce boudin, cette garce à la gomme et se souvint que ce n'était pas sa faute, mais celle de Spencer pour continuer cette comédie. Ils s'étaient disputés auparavant, car Spencer refusait de sortir du placard au travail, mais Jean-Paul n'était pas parvenu à faire avancer les choses. Peut-être cela allait-il retenir son attention.
« Ah… oui. », dit Spencer avec hésitation. « C'est ma petite-amie, Tanya. » Il se tourna pour faire les présentations : « Euh… Tanya, c'est… une vieille connaissance. Jean-Paul Beaubier.
- Salaud ! » pensa Jean-Paul, mais conserva son sourire parfait, lorsqu'il nota que Spencer n'utilisait même pas le mot « ami. ». Probablement trop proche de « petit ami ».
- Cela fait longtemps que vous êtes ensembles ? » demanda Jean-Paul, désinvolte.
- Oui, répondit Tanya.
- Non », répondit Spencer en même temps.
Tanya lança un regard en coin à Spencer, essayant de rattraper la bévue : « Un an, chéri.
- Ce n'est pas si long, mon amour.
- Non, en effet. » ajouta Jean-Paul d'un ton qui en disait long.
Mal à l'aise, Tanya changea de position puis se ragaillardit : « Je crois que je vous reconnais », s'exclama-t-elle. « Vous êtes skieur, n'est-ce pas ? »
Jean-Paul acquiesça : « Je l'étais. J'ai arrêté.
- Ah oui ! Je me souviens. » ajouta un autre membre de la tablée. « Vous nous avez ramené plusieurs médailles. En 2002, c'est ça ? » Spencer présenta Jean-Paul au nouvel interlocuteur, le patron de Spencer, Daniel Edwards. L'homme se leva et serra la main de Jean-Paul : « Pourquoi ne vous joindriez-vous pas à nous, monsieur Beaubier ? »
Jean-Paul ne s'attendait pas à cette chance. Il sourit joyeusement intérieurement mais déclina l'invitation de Mr. Edwards d'un air sombre. « J'adorerai dîner en votre compagnie et renouer avec Spencer, mais j'ai bien peur d'attendre quelqu'un. » Jean-Paul jeta un coup d'œil à l'entrée du restaurant et sourit quand il vit l'homme à qui il avait donné rendez-vous, qui le cherchait. « Ah, le voilà justement. »
Les regards se tournèrent vers l'homme qui se tenait debout dans l'entrée et souriait à Jean-Paul. Ce dernier observait Spencer, qui était clairement en train de fulminer mais tentait de le cacher.
« Une autre fois, peut-être. »
Jean-Paul les abandonna pour accueillir son invité d'un baiser poli sur la joue. Il avait déjà décidé qu'il ne retournerait pas à la maison ce soir.
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« Salut Spencer, c'est Ed. Nous avons discuté ce matin… » Spencer décocha un sourire suffisant à Jean-Paul qui se trouvait encore une fois sur le canapé. « Ouais, donc il faudra changer l'embrayage du Boxer. Tu auras à… » Spencer enfonça le bouton Stop du répondeur et lança un regard noir à Jean-Paul qui riait de lui.
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Ils étaient assis sur les chaises longues, l'un à côté de l'autre sur le balcon, séparés par la table basse qui portait leur verre de vin. Le balcon faisait face au Lac Ontario, et la nuit, le ciel était suffisamment clair pour le permettre de distinguer au loin les lumières de la petite ville de Sainte Catherine. Ils parlaient d'aller passer un week-end aux Chutes du Niagara, peut-être de rendre visite aux parents de Spencer ou peut-être aller voir une pièce à Stratford, avant de retomber dans un silence agréable. Spencer prit la main de Jean-Paul qui était retombée entre les deux fauteuils et l'éleva.
« Tu sais », commença-t-il, « Je veux dire, tu sais que je t'aime ? »
Jean-Paul le méprisa presque. Bien sûr qu'il le savait, mais Spencer n'était pas supposé le dire. Aucun des deux ne l'avait dit en un an et demi. Cela changeait bien des choses. Il ne savait pas vraiment comment ou pourquoi, mais cela changeait. C'était sur la table, à présent, au lieu de couver en dessus. Il essaya de ne rien laisser paraître de son inconfort.
« Oui, je sais. »
Spencer le regarda furtivement, les sourcils froncés. Jean-Paul lui pressa la main, pour le rassurer mais ne le regarda pas. Le silence n'était plus agréable, du moins, plus pour Jean-Paul. Quand il sentit qu'un temps suffisant s'était écoulé, il se leva et embrassa Spencer.
« J'ai envie de voler. Ça t'ennuie ? »
Spencer sourit : « Tu sais que j'adore te regarder voler. »
Jean-Paul lui retourna son sourire et lui tourna le dos pour quitter le balcon. C'était ainsi que cela devait être dit, pas en le disant vraiment. Le sourire de Jean-Paul disparut lorsqu'il prit son envol tel une colombe.
