Chapitre 4 : I Love New York.
Note de l'auteur: Les phrases en caractères gras sont tirées de la chanson I'm gonna be strong Je vais être forte par Cindy Lauper, qui tournait en boucle un millier de fois quand j'ai écrit ce chapitre.
I can see, you're slipping away from me.
Je le vois bien, tu me glisses entre les doigts
« Où étais-tu, hier soir ?
- Sorti. »
Spencer poussa un grand soupir : « Tu ne pouvais pas appeler ?
- T'es quoi ? Ma mère ?
- Bon dieu, Jean-Paul. Ce n'est pas… tu ne crois pas qu'après tout ce temps, je mérite au moins un coup de fil si tu as l'intention de ne pas rentrer de toute la nuit ?
- Je croyais qu'après tout ce temps, tu me ferais suffisamment confiance pour t'en passer. »
Spencer pâlit : « Je… je te fais confiance. J'étais seulement… j'avais peur qu'il te soit arrivé quelque chose. »
Jean-Paul ressentit une pointe de culpabilité qu'il repoussa immédiatement et efficacement. C'était exactement pour cela qu'il n'avait jamais voulu une relation stable et établie. Il ne devrait pas avoir à expliquer ses actes ou demander la permission d'agir. « Hé bien, maintenant tu sais que je vais bien, et je vais me coucher.
- Jean-Paul… » Il pouvait entendre la supplication non dite poindre dans la voix de Spencer, mais il choisit de l'ignorer et ferma la porte de la chambre derrière lui.
And you're so afraid that I'll plea with you to stay.
Et tu as si peur que je te supplie de rester.
Spencer se glissa dans le lit à côté de lui. Son dos reposant contre lui, il sentit des mains chaudes et des bras puissants s'enrouler autour de lui, rapprochant leur corps, alors que des lèvres humides lui caressaient l'épaule. Il savait qu'il aurait dû dire « non » bien plus tôt. En fait, cela faisait des semaines qu'ils n'avaient rien fait, alors que pendant un an et demi, ils ne s'étaient pas tenus éloignés l'un de l'autre plus de deux jours. Mais il n'était pas d'humeur depuis la dernière fois, cela ne lui disait rien depuis et il n'avait pas du tout envie à présent. Il espérait que Spencer le devinerait d'après son corps crispé, mais les baisers et les caresses continuèrent jusqu'à ce qu'il n'en puisse plus.
« Pas ce soir », déclara-t-il calmement. Il entendit Spencer soupirer.
- Qu'est-ce qui ne va pas, Jean-Paul ?
- Rien.
- Ne me dis pas ça. Tu ne me parles en français que lorsque quelque chose va de travers. Cela fait des semaines que nous n'avons pas fait l'amour. »
Et c'était ça le problème. Il n'aimait pas Spencer. Non. Il ne pouvait pas faire l'amour parce que c'était bon pour les hommes amoureux. Il voulait seulement baiser.
« Tu me manques », acheva Spencer en lui donnant un autre baiser sur l'épaule.
- Je suis là, Spencer. » Il n'y avait aucune chaleur contenue dans sa voix ; Spencer le libéra en roulant sur le dos, et soupira.
« Ouais, mais pour combien de temps encore », grommela-t-il. Jean-Paul ne répondit pas.
Well I'm gonna be strong. I'll let you go your way.
Bien, je vais être fort. Je vais te laisser vivre ta vie.
Jean-Paul fut soulagé quand peu de temps après, Spencer lâcha prise. Il cessa de demander à Jean-Paul où il était lorsqu'il ne rentrait pas à la maison. Il cessa de lui demander de faire l'amour mais semblait immensément reconnaissant les jours où Jean-Paul le sautait dans le salon, ou la cuisine, ou la salle à manger, ou le bureau, mais jamais dans la chambre. Il pouvait toujours se dire que cela restait de la baise, si ce n'était pas dans la chambre.
Quant aux endroits où Jean-Paul s'évadait... Il ne savait généralement pas où il allait lorsqu'il partait, il n'avait tout simplement pas envie de rester à la maison quand Spencer y était. Parfois, il marchait, courait ou volait toute la nuit ou presque, parfois il partait à Ottawa rendre visite à sa sœur, la plupart du temps il restait assis dans un café, sans boire de café, pas même un déca, et lisait. Parfois cependant, quand il se sentait particulièrement brave, il se trouvait dans un bar jusqu'à sa fermeture. Buvant plus qu'il ne devrait, mélangeant des choses qu'il ne devrait pas associer, pour obtenir seulement ce que d'autres obtenaient en descendant trois bières. Il se perdait dans l'anonymat de ces activités. Dansait avec un étranger, plus proche qu'il ne devrait. Se répétant que s'il aimait Spencer il n'agirait pas ainsi, mais incapable de sauter le pas pour se le prouver.
Love is gone. There's no sense in holding on.
L'amour est parti. Le retenir, ça n'a pas de sens.
Jusqu'à ce soir.
L'homme qu'il choisit avait un physique avantageux mais n'avait rien en commun avec Spencer. Les cheveux blonds étaient remplacés par des noirs, les yeux bleus par des verts. Un mètre quatre-vingt trois était maintenant passé à un mètre soixante-douze, et les allures viriles par des traits efféminés ciselés. Jean-Paul le leva dans le bar où il avait rencontré Spencer. L'homme avait un sourire plaisant et causa alors qu'ils marchaient le long de la route jusqu'à un hôtel. Jean-Paul tenta de ne pas penser à ce qu'il faisait, sauf pour se rappeler qu'il n'aimait pas Spencer. S'il l'aimait…
Ce fut la pire expérience sexuelle de sa vie, mais ce n'était pas la faute de son partenaire. Mais, bien sûr il essayait de se prouver quelque chose qui n'était pas vraie et il le savait. Il voulut en finir au plus vite et en cela, il y parvint. Il ajouta l'insulte à la blessure en quittant la chambre d'hôtel une demi-heure à peine après y être entré. Il parvint à trouver une excuse à peine plausible, mais l'homme ne semblait pas tenir à ce qu'il reste de toute façon.
And your pity now would be more than I could bare.
Et ta pitié serait plus que je ne pourrais supporter.
Il ne retourna pas à la maison cette nuit-là. Comment pouvait-il ? Comment pouvait-il dire à l'homme qu'il aimait ce qu'il avait fait ? Bien sûr, c'était ce qu'il était parvenu à se prouver. Exactement ce qu'il avait essayé de nier. S'il n'aimait pas Spencer, alors pourquoi se sentait-il comme une merde ? Pourquoi son cœur s'était-il brisé en deux ? Pourquoi regrettait-il de ne pas pouvoir remonter le temps et changer la réponse qu'il avait faite à Spencer il y avait quatre mois, la nuit sur le balcon ? Pourquoi n'avait-il pas pu dire tout simplement « Je t'aime aussi. » A présent il ne pouvait plus le dire. Il avait perdu ce droit et il avait perdu le droit de l'entendre.
Il regarda Spencer partir avant de retourner dans leur appartement et quand Spencer revint à la maison tard dans la nuit – il rentrait toujours tard ces temps-ci – il se rendit compte qu'il ne pouvait plus regarder Spencer dans les yeux.
So I'm gonna be strong, I'll pretend I don't care. I'm gonna be strong, and stand as tall as I can. I'm gonna be strong, and let you go along, and take it as a man.
Alors je vais être fort, je vais faire comme si je m'en fichais. Je vais être fort et rester aussi grand que je peux. Je vais être fort, et te laisser partir, et réagir en homme.
« Comment s'est passée ta soirée ? » demanda Spencer en l'embrassant sur la joue.
Jean-Paul pouvait lui dire qu'il avait eu une dure journée, et prévoyait de travailler dans son bureau. En guise de réponse à la question de Spencer, Jean-Paul haussa les épaules.
« Je ne veux pas déclencher une nouvelle dispute, Jean-Paul, mais j'aimerais beaucoup que tu ne passes pas toute la nuit dehors », dit-il en se dirigeant vers la cuisine.
- D'accord », répondit calmement Jean-Paul.
Spencer s'arrêta et se tourna vers Jean-Paul : « Hein ?
- Je ne resterai plus dehors.
- Oh. »
Spencer recommença à marcher vers la cuisine, son visage revêtit un air contemplatif. Jean-Paul se demanda s'il savait, ou du moins se doutait de quelque chose.
Ils firent l'amour cette nuit-là, et à plusieurs reprises Jean-Paul voulut prononcer les mots, mais jamais autant qu'après, lorsqu'il se trouvait une fois de plus enserré par des bras forts et chaleureux. Il garda les mots en lui, se rappelant combien il ne méritait pas cela.
When you say it's the end, I'll hand you a line.
Quand tu diras que c'est fini, je t'enverrai un message
« Spencer ». Il ne pouvait pas vraiment croire qu'il était en train de faire cela. Il voulait seulement partir, disparaître, laisser Spencer se demander ce qui lui était arrivé. Mais il ne pouvait pas faire ça, il s'était déjà passé trop de choses, il avait déjà trop d'un lâche pour lui dire. Au moins pourrait-il être honnête à ce propos : « Il faut qu'on parle. »
Spencer ne leva pas les yeux de son bureau. La lampe diffusait une lumière brillante sur ses papiers. Le reste de la pièce était sombre. Depuis combien de temps était-il assis là, à travailler ? Jean-Paul n'en avait aucune idée. Les six derniers mois, le nombre d'heures que Spencer passait sur son lieu de travail ou dans son bureau avait lentement mais considérablement augmenté jusqu'à ce que Jean-Paul ne le voie pratiquement plus que dans cette pièce de l'appartement. Il se demanda si c'était ainsi que Spencer vivait avant leur rencontre, s'il avait changé pour Jean-Paul même si celui-ci n'en avait jamais rien su, ou si c'était Jean-Paul qui l'avait changé.
« Je n'ai pas vraiment le temps, là. Je dois rendre ça demain matin et…
- Je déménage. Je vais vivre à New York. »
Spencer ne lui accorda pas un regard mais son stylo s'immobilisa brutalement. « Tu t'en vas ce soir ?
- Non. A la fin du mois.
- Alors nous pourrons en reparler demain, d'accord ? »
Jean-Paul acquiesça et ferma la porte, mais s'appuya contre elle. Le stylo ne reprit pas sa course, ne griffonna plus rien. Au lieu de ça, il entendit Spencer quitter son fauteuil puis la porte du bar s'ouvrir. Il ne voulut entendre rien de plus, il n'attendit pas plus longtemps. Il alla se coucher. Spencer ne vint pas le rejoindre, et il ne se releva pas pour aller le chercher.
I'll smile and say, "don't worry it's fine."
Je sourirai et te dirai de ne pas t'inquiéter, tout va bien.
Spencer l'aida à déménager, ainsi que Jeanne-Marie, qui lui lançait des regards noirs la plupart du temps, et quand Spencer était suffisamment éloigné pour ne pas l'entendre, elle ne cessait de lui demander ce qu'il était en train de faire. Jean-Paul ne lui répondait pas.
Ils passèrent trois jours à meubler l'appartement, défaire les cartons, et acheter tout ce dont Jean-Paul avait besoin et qui lui manquait. Spencer souriait et plaisantait avec les jumeaux, mais n'essaya pas une fois de faire changer Jean-Paul d'avis. Quand l'appartement fut à son goût et qu'elle fut totalement convaincue que Jean-Paul ne reviendrait pas à une décision plus sensée, Jeanne-Marie embrassa son frère et lui dit au revoir en lui répétant une dernière fois qu'il faisait une bêtise.
But you'll never know darling, after you kiss me goodbye.
Mais tu n'en sauras jamais rien, chérie, après m'avoir embrassé pour me dire au revoir.
Embarrassé, Spencer se tenait dans le salon lorsqu'elle partit par le balcon, et était vraisemblablement sur le point de dire au-revoir lui-aussi, lorsque Jean-Paul fut soudain devant lui, l'embrassant fiévreusement, une main sur sa nuque et l'autre sortant sa chemise de son pantalon. Instantanément, Spencer répondit sur le même ton, chacun arrachant les vêtements de l'autre ; ainsi, lorsqu'ils atteignirent la chambre, ils étaient les deux nus et en érection, Jean-Paul tombant doucement sur le lit et Spencer bondissant sur lui.
Le rythme ralentit brusquement lorsque Spencer le pénétra, ondulant en caresses délibérément lentes qu'il savait rendre Jean-Paul fou de désir. Jean-Paul rejeta la tête en arrière, exposant son cou – Spencer sut en tirer profit, et se mit à l'embrasser avec assez d'ardeur pour lui laisser un suçon, mais aucun ne sembla s'en préoccuper. Jean-Paul sursauta lorsque la main de Spencer s'enroula autour de sa verge et il l'en éloigna vivement. Il aurait joui dans la seconde et ne le voulait pas. Il garda la main de Spencer dans la sienne, laissa une jambe l'enserrer alors que les coups de reins de Spencer devinrent plus sérieux. Trop tôt, Spencer lâcha sa main, un signe qu'il était sur le point de jouir et Jean-Paul devait être également prêt. Cette fois, Jean-Paul ne l'arrêta pas et juste avant que toutes ses pensées ne quittent son esprit, il se demanda si Jeanne-Marie n'avait pas raison.
Spencer se retira gentiment, tout en l'embrassant doucement. Il se mit en cuillère, derrière Jean-Paul, la position dans laquelle ils avaient dormi la plupart des nuits ces deux dernières années, un peu moins fréquemment depuis six mois, cependant. Ils restèrent ainsi plusieurs heures, sans échanger un mot, somnolant de temps en temps, avant que Spencer ne prenne enfin la parole.
« Il faut que je parte. » Il défit leur étreinte, se leva, rassembla ses vêtements éparpillés dans toute la chambre.
« Pourquoi tu ne me laisserais pas te raccompagner ? »
Spencer secoua la tête. « Non, à moins que tu reviennes vivre à la maison. » Jean-Paul resta silencieux, sachant qu'il ne pouvait pas faire ça. « Non je pense qu'il vaut mieux que je parte maintenant. J'ai de la route à faire. Je vais peut-être faire une halte pour dormir quelque part. » Il sourit tristement : « Et même rêver de toi. »
Jean-Paul se leva et trouva son caleçon et son pantalon, les enfila ; Spencer fit de même avec sa chemise. Ils restèrent debout en silence devant la porte.
« Je t'aime, Jean-Paul. Je ne retire rien de ce que je t'ai dit. » Il embrassa Jean-Paul avant de faire un pas hors de l'appartement. « Quand tu seras prêt, reviens à la maison, je t'attendrai. »
Jean-Paul se mit à secouer la tête : Spencer méritait mieux que lui. C'était probablement la décision la plus généreuse qu'il avait prise de toute sa vie, et la plus égoïste. Spencer lui immobilisa la tête dans les mains pour l'embrasser, et l'empêcher de parler.
« Je t'attendrai », répéta-t-il avant de laisser Jean-Paul dans sa nouvelle maison.
Jean-Paul revint dans sa chambre et prit la photo de lui et de Spencer que Jeanne-Marie avait placée à dessein près de son lit. Il n'avait pas l'intention de la laisser là, mais à présent, il n'était plus si sûr.
How I'll wanna break down and cry.
Comme je vais m'effondrer en larmes.
