Défilé

Entre passé, réalité et futur

Souvenirs

On se rappelle des meilleurs souvenirs quand on en a besoin.

Malheureux, qui ne peut se réfugier dans ses souvenirs. J. Chardonne

A quoi ressemblaient mes conversations avec lui ? Nous avons échangé tant de mots, et si peu en même temps. C'était sa particularité. Une fois seulement il m'a mit en gêne. En fait… non. C'est moi qui me suis mis dans une drôle de position. C'était juste avant qu'on sorte ensemble. Un jour. Un jour avant qu'il s'aperçoive que je voulais beaucoup plus de lui. Un jour avant qu'il sache que je l'aimais, avant qu'il sache qu'il avait autant envie de moi autant que j'avais envie de lui. Un jour avant qu'il me découvre tel que je voulais être, tel que j'étais. Un jour avant qu'il découvre ce que c'était d'aimer. Nous avons échangé tant de mots, et ce jour là, nous en avons échangé trop. C'était particulièrement marrant quand j'y repense, mais quand j'y étais, je sentais mon sang couler au rythme que mon cœur battait, je le sentais dans mes veines, dans mes tempes. Il fit soudainement trop chaud, mes vêtements me collaient trop à la peau. Je ne sais plus par quoi nous avons commencé, mais nous avons dévié à ce sujet où je le taquinais des fois.

« Bon, il faudrait peut être que tu te trouve une copine un jour !

-Pourquoi ? Aucune ne m'intéresse.

-Alors un mec.

Fis-je en rigolant.

-Non plus.

-Pfff qu'est ce que t'es difficile. Je ne te parle pas de tomber amoureux. Je te parle d'un flirt qui pourrait bien tourner.

-A t'entendre, on dirait que pour se préserver il vaut mieux sortir avec quelqu'un avec qui on a flirté plutôt que de tomber amoureux.

-Et tu as tout compris. Tomber amoureux, c'est l'enfer et le paradis. Mais quand on perd, on perd tout.

-Encore faut-il trouver quelqu'un qui nous plait.

-Tu n'éprouves aucun désir physique envers personne ?

-Si tu parles de coucher avec…

-Non, non, ne va pas trop vite !

La discussion m'amusait au début. C'était une sorte de flirt très léger avec lui, trop pour qu'il ne comprenne quoi que ce soit.

-Alors quoi ?

-Mais… enlacer une personne, et l'embrasser !

-Je ne te suis pas.

-Quoi, tu vas pas me dire que t'as jamais toucher à personne… ?

-Non.

-Et… tu as déjà embrassé quelqu'un ?

-Non plus.

Le fait qu'il n'ait jamais roulé une pelle à personne n'était pas choquant. A 18 ans, tout le monde n'avait pas expérimenté le baiser. Mais lui, LUI, si beau, si parfait, lui que tout le monde courrait après qui n'avait jamais embrasser personne, je ne comprenais pas. C'était impossible. Pourtant sa célébrité et surtout son physique le lui permettaient largement. Il pouvait se faire une nana par semaine, ça ne dérangerait personne, au contraire, toute les filles ferraient la queue et attendrait son tour, pour être à ses cotés, pour être qualifiée d'officielle copine. Même pour trois jours. Elles seraient fières. Mais j'étais éberlué.

-C'est pas vrai… ?

-Si, pourquoi pas ?

-Mais enfin… tu as vu tout ce monde qui attend pour sortir avec toi ? Qui attend jalousement ?

-Oui, tu me l'as déjà dis. Mais ça ne m'intéresse pas d'embrasser, c'est tout. Ca me parait… pas… enfin bref.

-Qu'est ce que t'en sais, tu n'as jamais essayé !

-Ca ne me plairait pas.

-Mais qu'est-ce-que-tu-en-sais ? Tu ne peux pas en juger puisque tu ne l'as jamais fais.

Nous étions dans ma cuisine, et il était venu chez moi juste au moment où j'avais pris la bonne résolution de laver la vaisselle. Alors je l'ai invité à boire un thé avant que je lave tout. Nous étiez assis côtes à côtes à la petite table, il ne buvait que par petites gorgées alors que moi je me servais de ma cuillère.

-Hn…

-Pourquoi tu n'essayes pas ?

-Hein ?

-Juste essayer. De toute façon tu ne peux pas passer à coté de ça.

-Oui, et je vais demander au premier venu s'il veut bien m'embrasser !

-Ben… ouais.

-Ah ouais, et de quoi je vais avoir l'air ? On va me dire comme toi 'Quoi ? Tu n'as jamais embrassé ?' Et là, ma réputation dont tu me parles si souvent elle tournera à quoi ?

-Si c'est une fille elle serait ravie.

-Ben oui, une fille, pas autre chose…

-Ah mais je ne sais pas, tu dis 'au premier venu', ça peut être un garçon ! Mais tu es libre de faire ce que tu veux avec qui tu veux…

-Ah bah avec un mec ça serait le comble.

-Ah bon, tu crois ça ?

-Et tu crois vraiment qu'il accepterait ?

-Ben oui !

-Et qu'est ce qui te fait croire ça ?

-Parce que le premier venu, c'est moi.

J'avais décidé de me lancer. C'était dangereux, mais je savais que quoi qu'il arrive je pouvais toujours dériver la discussion.

-…QUOI ?

-Oh ! Ecoute, il faut que tu réfléchisses avant de parler. Moi je te prends au pied de la lettre.

-Et tu me dis ça, comme ça…

Je lui lançais un regard dubitatif. Il avait sa réponse. J'étais imprévisible, comme lui, et il le savait. C'est pour ça qu'on ne s'engueulait jamais.

-Non, ça ne me fait rien comme je vois que tu te poses la question. Parce que franchement, c'est vrai que je te vois mal devant le ou la première venue si tu lui demandes de l'embrasser pour essayer. Alors que moi, tu sais bien que je t'initie à la société et aux comportements en société.

J'étais presque moqueur. Ce fut mon salut.

-Ouais ouais ouais…

-C'est dommage que tu ne connaisses pas la sensation qu'on a quand on embrasse. Je te jure, tu rates quelque chose.

-Et si à la limite je te demande à toi, est ce que tu accepterais ?

-C'est un défis ?

-Un pari.

-Tu paris que je ne pourrais pas le faire ?

-Oui.

-Qu'est ce que tu accepterais de perdre cette fois ci ?

Il devait s'amuser intérieurement lui aussi. C'était un jeu dont nous avions souvent l'habitude de nous livrer, les défis et les paris. Un jour, il a parié que jamais je ne pourrais dire 'Je vous aime' à un professeur. Il a perdu évidement.

-Ma dignité.

-Parce que tu te seras fait embrasser par un mec ?

-Et par toi, qui plus est.

-Ah bon. Je ne te ferais pas essayer si tu pars avec cet esprit là.

-Alors je ne sais pas.

-Moi, si. Si tu aimes, et je n'en douterais pas, interdiction de toucher à qui que ce soit pendant un mois.

-Ok.

-Ce ne te fait pas peur ?

-J'ai tenu pendant 18 ans. Un mois de plus ou de moins ça ne changeras rien.

-Oui mais 18 ans d'ignorance. C'est facile de se retenir quand on ne sait pas. C'est comme la drogue…

On se regardait dans les yeux, lui n'attendait que ce que je lui avais promis, mes lèvres sur les siennes. Moi j'attendais autre chose. Nos mains enserraient les mugs où le thé fumait encore un peu. Je m'approcha de lui pour entrer en contact avec ses lèvres, pour les presser contre les mienne. Je les sentis enfin, après 6 mois d'attente, j'étais parvenu à ce que je voulais… enfin presque. Puis je m'aperçu que tout ceci ne rimait à rien. Je m'enlevais vivement.

-Non.

Il était étonné, et c'était compréhensible.

-Quoi ?

-Je ne peux pas.

-Qu'est ce que tu viens de faire, là ?

-Rien, justement. Tu as gagné.

-Tu as mentis alors, je n'ai rien ressenti.

-C'est normal. 'Essayer' et embrasser sont des choses strictement différentes. Et je ne le savais pas, donc je n'ai pas menti.

J'étais déçu, mal à l'aise, et honteux.

-Pourquoi ?

-Parce que quand on embrasse quelqu'un, il faut que ça soit réciproque. Ce n'est pas de l'essaie.

J'avais dis quelque chose qu'il ne fallait pas. Qu'il ne fallait plus dire. Vite, je me reprenais.

-Celui qui donne, donne, mais celui qui reçoit ne doit pas attendre que ça se passe. Il faut qu'il aille aussi le chercher. Il ne faut pas qu'il soit passif. C'est un partage, un échange. Celui qui reçoit, donne aussi.

Comment expliquer ? Je m'étais aperçu qu'on ne pouvait pas 'essayer'.

-C'est quelque chose que tu voudras, et quand tu le voudras, tu le feras. Et là c'était pas le cas.

Je finis mon thé et me leva pour commencer à laver la vaisselle sale. Il fini le sien également. Je baissais la tête, en faisant semblant de n'être intéressé que par la vaisselle que je lavais. Il avait soupiré. J'essayais de me reprendre.

-Je ne sais pas ce qu'il m'a prit. Je suis désolé.

-Ne sois pas désolé, ça ne te ressemble pas.

Je ne me suis jamais senti aussi mal à l'aise de toute ma vie.

-Nan, mais…

Puis sans faire exprès, je me coupai entre le pouce et l'index avec la pointe d'un couteau qui dépassait de la mousse. L'entaille devait être profonde car le sang se mit très vite à couler. Une grosse goutte perla. De l'autre main toute pleine de savon, je tenais l'éponge, et l'eau du robinet continuait à couler aussi. Heero prit un torchon propre, le premier qui lui passait sous la main, pour enrober la mienne naturellement où le sang coulait déjà par terre à grosses gouttes. Ceci n'était pas une avance, je précise. Je lâchais l'éponge, passait mon autre main sous l'eau, et fermer le robinet d'eau. Heero et moi regardions le torchon qui commençait à s'imbiber de sang, puis en séchant ma main mouillée sur le bas du torchon, je dis, pour parler, pour combler le vide

-C'est stupide.

-Qu'est ce qui est stupide ?

Il se demandait comme moi, la main ou le pari ? Puis il releva les yeux. Et j'y vis autre chose. Il ne voulait plus 'essayer'. Il voulait. Ma main blessée entre nous me gênait. Il la lâcha. Nos têtes se rapprochèrent en peu de secondes et enfin j'eus ce que je voulais de lui. Nos bouches se pressèrent pour un vrai et total contact. Un instant que ni lui ni moi n'avaient jamais osé penser quand on s'est rencontré. Il mit ses mains sur mes hanches. Puis je me séparai de lui de quelques millimètres pour entrouvrir ma bouche et lui, automatiquement, la sienne. Le contact recommença, mais plus intensivement. Nos lèvres et nos langues se rencontrèrent, se caressaient, et petit à petit ses mains glissaient autour de ma taille, et je me retrouvai complètement enlacé par ses bras, mon bassin plaqué au sien. Je fis attention de ne pas poser ma main ensanglantée, dont je ne prêtais plus attention, sur ses épaules et son t-shirt, pour ne pas le tacher. Mes bras s'enroulèrent autour de son cou et ma main valide sur sa nuque pour approfondir le plus possible le contact. Tout son corps était collé au mien, et je glissais une de mes genoux entre ses jambes. Je senti son entrejambes sur mon genou, et ce nouveau contact le fit légèrement frémir et il m'embrassa encore plus intensivement, m'enlaçant encore plus fortement. Je le laissais explorer profondément ma bouche comme je l'avais fais avec la sienne en premier. Je le laissais découvrir de nouvelles sensations, en les partageant, et me surpris à me demander si ce n'était pas la première fois que j'emballais comme ça. Il me semblait que je redécouvrais le pur plaisir d'embrasser quelqu'un.