Chapitre 3

« Franchement Ran, je suis heureuse que tu aie accepté de m'accompagner. Depuis le temps que je te dis de te changer les idées ! Ce n'est pas en restant toute la journée chez ton alcoolique de père que tu le feras ! »

La jeune fille acquiesça timidement. Même si elle savait que Sonoko essayait avant tout de lui remonter le moral, elle avait du mal à entendre quelqu'un parler de son père comme elle le faisait.

« Allez, haut les coeurs ! Peut-être que nous rencontrerons un garçon qui sera plus digne de toi que ce maudit maniaque de Sherlock Holmes… »

Shinichi… Cet idiot n'avait pas cessé de la harceler jour et nuit avec ses maudits romans policiers… Elle comprenait bien que c'était une manière de la distraire de la tristesse occasionnée par la séparation de ses parents, mais est-ce qu'il ne pouvait pas s'y prendre autrement pour la soutenir ?

« Tu sais, leur journée de cours a été interrompue à cause de la police qui est venu interroger chaque personne du lycée… Une des élèves a disparue depuis une semaine… c'est effrayant, hein ? J'espère que c'est juste une fugue… Oui, ça doit être ça, elle ne devait plus pouvoir supporter ses parents et… »

Sonoko laissa la fin de sa phrase se perdre dans le silence en se mordillant les lèvres devant sa bêtise. Elle avait amené Ran dans ce lycée pour lui présenter ses amies et lui faire oublier son malheur et voilà qu'elle remuait le couteau dans la plaie sans s'en rendre compte…

« Peut-être que mon père qui participe à l'enquête… »

La fille du policier sourit doucement à son amie pour lui faire comprendre qu'elle n'avait pas besoin de se sentir coupable. Elle était capable d'affronter ses problèmes.

Lorsqu'elles arrivèrent enfin à destination, Sonoko s'empressa de présenter la nouvelle championne départementale de karaté à ses amies.

Ran s'efforça de faire bonne figure et de répondre poliment aux questions des lycéennes admiratives dont elle faisait connaissance mais son esprit demeurait ailleurs.

Levant discrètement les yeux par-dessus l'épaule de ses interlocutrices, elle examina le groupe de policiers qui interrogeait les élèves. Elle espérait tant voir son père se remettre de la déchéance et du laisser aller dans lequel le départ de sa femme l'avait poussé à s'enfoncer… C'était le policier qui l'avait toujours fait rêver quand elle était enfant qu'elle voulait voir, pas l'alcoolique capricieux qui végétait toute la journée dans l'appartement qu'il partageait avec sa fille.

Son père n'était pas parmi les policiers…

Poussant un soupir, elle détourna les yeux, et croisa ainsi le regard d'une jeune fille à peine plus âgée qu'elle.

Un frisson parcourut l'échine de la lycéenne devant le regard glacial et méprisant qui la dévisageait. Elle ne l'avait jamais vu auparavant, alors pourquoi semblait-elle ressentir une telle haine à son égard ?

L'instant d'après, les yeux de l'inconnue se détournèrent d'elle pour se poser sur un autre groupe d'étudiant, sans perdre pour autant leur expression froide et dénuée d'humanité.

Sa haine et son mépris s'étendait-elle au monde entier ?

Percevant la trouble de la jeune fille, l'une des amies de Sonoko se tourna dans la direction de son regard.

« Oh, ne t'inquiète pas pour elle… Elle a peut-être l'air effrayante mais elle n'a jamais fait de mal à personne…Enfin pour l'instant… »

« Qui est-ce ? »

La lycéenne haussa les épaules.

« Personne ne cherche à se souvenir de son nom… En fait, personne ne cherche à faire attention à elle, elle n'a peut-être pas d'ennemi mais elle n'a pas d'ami non plus… »

Une lueur de compassion brilla dans les yeux de Ran.

« Elle doit être trop timide pour essayer de se faire des amis… Peut-être que je devrais aller lui parler, après tout, comme je ne suis pas du même lycée qu'elle… »

Les yeux des amies de Sonoko s'écarquillèrent d'horreur.

« Tu ne devrais pas essayer… Elle est…Enfin on raconte que.. »

« Qu'est ce qu'on raconte ? »

Il fallu aux jeunes filles gênées beaucoup de sous entendu et de mots à double sens pour faire comprendre à la nouvelle venue ce qu'elles avaient en tête.

Loin de la dissuader de son projet, cela ne fit que renforcer sa détermination, elle ne supportait pas de voir quelqu'un être mis à l'écart sans raison valable, s'il pouvait seulement y en avoir…

Elle se dirigea d'un pas décidé vers la jeune fille sans prêter attention aux signes discrets de celles qui l'entouraient de renoncer à sa tentative.

« Bonjour, je m'appelle Ran Mouri. »

Celle dont Ran essayait d'être l'amie l'examina d'un air indifférent comme si elle faisait face à un meuble.

La gêne qu'elle éprouva, autant devant le silence glacial que le regard méfiant auquel elle devait faire face, fit légèrement toussoter la fille du policier.

Pendant un court instant, elle envisagea de renoncer mais elle reprit très vite son air résolue. A quoi est ce qu'elle s'attendait ? Cette inconnue avait dû faire face au mépris et à la méfiance généralisée durant plusieurs mois, pourquoi devrait-elle agir autrement avec les autres du jour au lendemain ?

Il fallait qu'elle trouve un moyen de briser la glace… Mais lequel ? Elle venait de se présenter mais celle auquel elle faisait face ne semblait pas le moins du monde décidé à lui rendre la pareille…

« C'est un sac à main de chez Prada… Le dernier modèle… »

Ran baissa les yeux vers le sac que Sonoko lui avait offert il y a quelques jours. Bon, elle ne s'attendait pas à ce que leur conversation commence de cette façon, mais c'était un début comme un autre…

« Je ne sais pas… Peut-être, c'est un cadeau… »

« Ah…Je vois… Toutes mes camarades rêvaient d'en avoir un, une seule y a réussi… Mais à ce qu'on raconte, elle a dû se prostituer pour ça. »

Il n'y avait même pas la moindre trace d'ironie ou de sarcasme dans sa voix, elle se contentait d'énoncer un fait.

« Tu ne devrait pas écouter les rumeurs… Après tout, je suit sûre que… »

Qu'elle n'aimerait pas qu'on murmure de telle chose sur son compte dans son dos ? C'était déjà le cas… Ran se retint de pousser un soupir de découragement, c'était loin d'être gagné…

« Objectivement, ses parents n'avaient pas les moyens de lui offrir ce genre de caprice du jour au lendemain, donc ça me paraît être l'explication la plus vraisemblable. »

Même pas la jouissance malsaine de salir la réputation d'une personne sans qu'elle soit là pour se défendre… Elle aurait pu se mettre à évoquer le temps pluvieux qui régnait sur Tokyo en employant le même ton.

« Eh bien, dis toi qu'elle a peut-être une amie qui a les moyens de lui faire ce genre de cadeau. Comme c'est son cas à elle. »

Sonoko avait fini par porter secours à son amie.

« Qui est-tu ? »

La jeune femme réajusta ses cheveux blonds d'un air triomphant.

« Sonoko Suzuki, la fille de… »

« Suzuki. Le conglomérat le plus important du Japon. La valeur de leurs action à la bourse de Tokyo à augmenté de 2,5 pour cent, suite à l'OPA qu'ils ont effectué sur Aramaki inc… »

L'amie de Ran écarquilla légèrement les yeux.

« Oui, c'est cela… Enfin tu comprends qu'avec une amie comme moi, Ran a largement les moyens de se faire offrir ce genre de cadeau. »

L'inconnue renifla.

« Je ne voit pas où se situe la différence avec ma camarade de classe. Lorsque tu auras atteint ta majorité, tes parents te marieront au fils d'un riche industriel pour accroître leur capital. Toi aussi, tu t'es vendu à un homme pour obtenir ce genre de petits plaisirs, la seule véritable différence c'est qu'on ne t'a pas laissé le choix au début. Mais tu as fini par accepter, sinon ton amie n'aurait pas eue droit à ce cadeau. »

Sonoko plissa les yeux dans un regard qui fit tressaillir Ran, elle savait quel pouvait être les conséquences de la colère de son amie quand on la poussait à bout.

« Mes parents ne me forceraient jamais à… »

« Les êtres humains ne dépensent pas tant de temps et d'argent pour élever leurs enfants par amour ou par bonté d'âme… C'est juste un investissement qu'ils font pour leur avenir. En fin de compte c'est à leurs intérêts et pas à ceux de leurs enfants qu'ils songent. »

« Mes parent ne sont pas comme ça ! »

« Tout le monde est comme ça. Tout le monde… »

Ran se demanda si c'était son imagination ou si elle avait eue un ton plus mélancolique que blasé lorsqu'elle avait prononcé ces derniers mots. Avait-elle autant de problèmes avec ses parents qu'elle en avait au lycée ?

La jeune femme baissa les yeux, le cynisme dont Sonoko avait été victime avait rouvert brutalement sa plaie. Pourquoi est ce que ses parents s'étaient séparés alors qu'elle leur avait supplié de rester ensemble ? Pourquoi n'avaient-ils pensé qu'à leur fierté au lieu de penser à elle ?

Le silence glacial qui s'était installé se prolongea durant de longues minutes, chacun des trois lycéennes ayant ses raisons de se murer aux autres, ou au moins à l'une d'elle.

Levant la tête au moment où Sonoko lui fit un coup de coude discret pour lui signaler qu'elles devraient partir, Ran croisa de nouveau le regard de celle dont elle ignorait le nom.

Il n'avait plus rien de méprisant mais il demeurait empreint d'indifférence, et pourtant il demeurait fixé sur elle.

L'amie d'enfance de Shinichi commença à éprouver une certaine gène.

« J'ai quelque chose sur mes vêtements ? »

« Ce type de corps est bon pour la reproduction. »

L'étonnement fit hausser les sourcils à Ran, avant que la compréhension ne la fasse rougir jusqu'aux oreilles.

« Pourquoi est ce que tu en as honte ? Tu devrais plutôt en être fière, non ? »

Là encore, ni moquerie, ni sarcasme, elle semblait juste curieuse face à la réaction que ses paroles avaient suscité.

« Ca…ça ne se dit pas ! »

« Oh, les japonaise sont si pudiques ? »

Sonoko fulmina devant le sans-gêne de celle qu'elle détestait de plus en plus.

« Tu es censé l'être autant que nous, non ? »

« Je n'habite ici que depuis quelques mois… J'ai vécu presque toute ma vie aux Etats-Unis.»

Ran poussa un soupir de soulagement. Elle avait vécue toute sa vie à l'étranger et venait d'arriver dans un pays qui lui était pratiquement inconnu. Tout s'expliquait, ses difficultés à se faire des amis, son attitude étrange, la méfiance qu'elle suscitait chez ses camarades. La fille du détective Mouri se rappelait de ses difficultés quand elle était allée rendre visite aux parents de Shinichi avec lui, celle qui lui faisait face devait les subir tout les jours… Regardant la jeune fille d'un œil neuf, Ran décida de refaire une tentative.

« Je ne connais toujours pas ton nom… »

« Et pourquoi est ce que tu aurait besoin de le connaître ? »

La méfiance lui avait fait légèrement plisser les yeux.

« Eh bien, je me disait que nous pourrions peut-être devenir amies et… »

« Mais qui voudrait être ton amie ? Certainement pas moi… »

S'interposant entre son amie et la métisse, Sonoko fixa cette dernière d'un regard qui aurait permis à n'importe qui la connaissant de se rendre compte qu'elle était à deux doigt d'exploser.

« Pourquoi est ce que tu la prend tellement de haut alors qu'elle essaye juste d'être aimable avec toi ? »

Levant les yeux au dessus de l'épaule de son interlocutrice, l'étrangère fit face à Ran pour lui donner la réponse à la question formulée par son amie.

« Parce que tu es typiquement le genre de fille que je déteste. Une idiote qui a toujours eue tout ce qu'elle voulait, qui aura le droit de devenir tout ce qu'elle voudra et a déjà celui d 'être tout ce qu'elle veut. Généralement le genre de personne à être les plus geignarde et les plus capricieuse quand la vie ne fonctionne pas comme elles le voudraient. Une petite fille bien sage à qui ses parents sont incapables de refuser un caprice, je parie… »

Elle venait inconsciemment de toucher Ran à son point le plus vulnérable, et Sonoko s'empressa de le lui faire comprendre en la plaquant violemment contre le mur du lycée.

« Ca fera bientôt dix ans que ses parents sont séparé ! Tu ne pourras pas faire preuve d'un peu plus de délicatesse lorsque tu es face à ceux que tu ne connais pas ? »

« Pourquoi est ce que je la plaindrait ? Ses parents se sont séparés ? Les miens sont morts… »

S'arrachant brutalement à l'étreinte de la lycéenne qu'elle venait d'estomaquer par sa révélation, la métisse se dirigea sans se retourner vers la voiture noire qui venait de stationner devant le lycée.

Refermant la portière derrière elle d'un geste brusque, elle n'accorda même pas un dernier regard aux deux jeunes filles.

Ce faisant, elle ne remarqua pas le regard inquisiteur de l'individu qui l'observait encore tandis qu'elle s'éloignait.

Un individu sinistre dont le visage inquiétant était surmonté d'un bonnet de laine noire.