Chapitre 15

La chimiste hébétée demeura figée face au regard de celle qui lui retenait doucement sa main dans la sienne… Pour une fois, c'était le regard de son amie qui lui apparaissait plus énigmatique et indéchiffrable que jamais… Oui, les rôles avait été définitivement inversé…Non, elle avait définitivement inversé les rôles…Et Shiho ne ressentait guère l'envie de reprendre la place qu'elle avait cédé à Ran…

« …pardon… »

Pardon ? Ce mot sonnait faux à ses propres oreilles, tout comme à celles de la personne à qui il s'adressait… Après tout, elle ne regrettait absolument pas ce qui venait de se passer… La seule chose qu'elle regrettait c'était justement que ce moment de tendresse était passé…Définitivement passé…

« Non…C'est à moi…de…Après tout, j'aurais du savoir que… »

Shiho écarquilla légèrement les yeux. Elle-même n'aurait jamais pu prévoir ce qui venait de se passer alors comment est ce que son…amie…aurait pu ?

« Savoir que quoi ? »

Ran détourna son regard sans pour autant relâcher la main de la scientifique.

« Tes…camarades de classe m'avaient bien dit que… Je croyais que ce n'était que de la médisance alors… »

La chimiste mit quelques instants à sortir de son étonnement pour comprendre où la lycéenne voulait en venir.

« Oh…Tu parles de ces stupides rumeurs…Ces idiots avaient commencés à les répandre après m'avoir vu enlacer ma sœur et je n'ai jamais pris la peine de les détromper…Enfin, ce n'était qu'un ragot né de leur ignorance et ça a fini par devenir… C'est ironique quand on y pense…que j'ai pu finir par correspondre à l'idée que mes imbéciles de camarades se faisaient de moi… »

D'ailleurs… C'était d'autant plus ironique de songer que c'était l'ignorance qui avait poussé ses camarades de classe à la traiter d'une manière qui correspondait à sa véritable nature…Après tout…Elle méritait d'être regardé comme une paria et une criminelle…Ils avaient eu entièrement raison de considérer qu'elle n'aurait jamais sa place parmi eux… C'était elle qui s'obstinait à rester dans l'ignorance et non ces imbéciles…

« Mais si ce n'était…qu'une rumeur…Alors pourquoi ? »

« Pourquoi est ce que je t'ai…est ce que j'ai fait ça ? »

Ran demeura silencieuse, ce n'était pas à cela qu'elle pensait…Enfin pas exactement…Mais elle n'osait pas pour autant clarifier sa question…

Les deux jeunes filles s'enfoncèrent dans le silence avant que la métisse ne le brise dans un soupir.

« Je n'en sais rien…C'est juste qu'à ce moment là… Ca ne t'est jamais arrivé ? De faire une chose simplement parce que tu sais, sans pour autant pouvoir expliquer pourquoi, que c'est ce que tu dois faire… »

Pendant un court instant, ce n'était plus la main de Shiho que Ran sentait au bout de la sienne mais une autre…Celle d'un vieillard aux cheveux argentés…

« Oui…Une fois… »

« Ah…Et est ce que tu as ressenti…des regrets après ça ? Ou bien est ce…tu n'as rien regretté alors que tu avais toutes les raisons du monde de le faire ? »

L'amie de la scientifique resserra l'étreinte autour des doigts qu'elle gardait prisonnier dans sa main… Elle n'avait jamais regretté d'avoir sauvé ce vieillard…Même au moment où il était sur le point de la remercier de son geste en l'assassinant froidement en même temps que…Shinichi…

« Non…et je ne regrette pas non plus…ce qui vient de se passer…alors que…pourtant… »

Ce regard que lui adressait la chimiste…Le même que cet assassin quand il leur avait demandé pourquoi ils lui avaient sauvé la vie…

« Ran…Est-ce que…tu as déjà été amoureuse ? »

La lycéenne tressaillit face à la question inattendue de celle qui baissait timidement les yeux tandis que son visage commençait petit à petit à perdre sa pâleur.

« Pourquoi…est ce que tu me demande ça ? »

« Pour moi…L'amour n'était qu'un mot…Un concept vide puisque je n'avais rien de concret à quoi le rattacher…C'était juste quelque chose dont j'entendais parler autour de moi sans pouvoir comprendre réellement ce que c'était…La seule personne pour qui j'ai jamais eue de l'affection, c'était ma sœur…Je n'ai jamais eue d'ami avant de te rencontrer…et a fortiori aucune personne que ne verrais ni comme une soeur, ni comme une amie… »

Un soupir franchit les lèvres de la scientifique tandis qu'elle continuait d'essayer de trouver les mots adéquats pour retranscrire sa pensée.

« Les rares personnes qui se considéraient comme amoureuses que j'ai eue l'occasion de rencontrer…ne m'ont pas donné l'impression que l'amour était plus qu'un simple mot vide que les gens répétaient parce qu'ils n'arrêtaient pas de l'entendre autour d'eux…Mais maintenant…Je ressens quelque chose…Une émotion…que je ne comprends pas…alors je voudrais savoir…Dans quel catégorie je doit la ranger…Avec quel mot je dois la désigner…Je voudrais savoir ce que l'on ressent quand on est amoureux d'une personne… »

Ran demeura interloquée face aux paroles de la chimiste tandis qu'elle ne savait pas comment elle devait y réagir, ni même quelle réponse elle devait donner à la question qu'elle contenait…

« Une personne dont tu est amoureuse…c'est une personne dont la simple présence te rend…heureuse…Pas seulement sa présence quand elle est auprès de toi…Mais simplement le fait que…cette personne est présente…quelque part dans le monde, même si c'est loin, très loin de toi…C'est une personne grâce à laquelle…tu ne te sens plus seule…même quand elle n'est pas auprès de toi… »

Les lèvres de l'amie de Shiho s'étirèrent en un sourire mélancolique.

« Mais ça peut être aussi…une personne qui te rend plus malheureuse…parce que tu réalise, grâce à elle, à quel point tu était seule avant de la rencontrer…A quel point tu te sens seule quand cette personne dont la seule présence te rend heureuse…n'est pas présente auprès de toi…Une personne qui te fait te sentir seule…même quand elle est près de toi… Une personne qui te fait peur parce que tu n'oses pas lui dire…qu'il n'y a qu'elle pour combler le vide qu'elle a creusé dans ton cœur sans même le savoir…Un vide que tu préfère combler avec ton imagination plutôt que de savoir avec certitude…qu'il ne sera jamais comblé par quelque chose de réel… »

C'était la même tristesse qui se reflétait dans les deux regards qui se faisait face…

« Je sais que je m'expliques mal…mais c'est comme ça que…Pardon de ne pas pouvoir être plus claire… »

Shiho secoua doucement la tête.

« Non…je comprends très bien ce que tu veux dire parce que…c'est exactement ce que je ressens…Quand même…être tombé amoureuse…de ma seule amie… »

La tristesse qui illuminait les yeux de la scientifique se noya dans un océan de mélancolie.

« Une amie…Ca représente tellement de choses…Bien plus que tout ce que j'avais pu imaginer jusque là…et en même temps ça représente finalement si peu…Trop peu…Et même ce peu de choses…je ne pourrais pas le garder… »

« Pourquoi est ce que tu dit ça ? Nous pourrons toujours être…amies…même après… »

Ran s'avéra incapable d'achever sa phrase…Pourquoi ? Pourquoi est ce qu'elle n'arrivait pas à croire à ses propres mots ? Elle ne ressentait pas de répulsion ou de peur vis à vis de Shiho après ce qui venait de se passer…Bien au contraire…Alors pourquoi ?

« Même après avoir vu ce que j'étais vraiment ? »

Le sourire plus désabusé que narquois de la scientifique acheva de décontenancer la lycéenne.

« Shiho… »

Ran s'interrompit quand elle sentit le doigt de son amie se poser brusquement sur ses lèvres.

« Tu ne comprends pas…Bien sûr que tu ne comprends pas…Je ne parle pas de…ce qui vient de se passer…Et j'imagine que tu n'as pas compris que c'est de moi que je parlais tout à l'heure quand je te demandais si tu pouvais être l'amie d'une criminelle…Non…D'une meurtrière… »

Un frisson parcourût l'échine de la championne de karaté avant qu'elle ne se reprenne suffisamment pour écarter le doigt de la chimiste, en refermant doucement son autre main sur celle qu'elle avait laissé libre…

« De quoi est ce que tu parles ? »

Shiho soupira.

« Bon…J'imagine que la première fois que tu es venu dans mon lycée, tu devais savoir que les cours avait été interrompu parce que la police enquêtait sur la disparition d'une de mes camarades, non ? »

Ran acquiesça timidement tandis qu'elle sentait une peur insidieuse se frayer dans sa conscience.

« Il y en a eu deux autres entre temps…En tout et pour tout, trois de mes camarades ont disparus… Et on ne les reverras jamais plus…Pas même au jour de leur enterrement…Tout simplement parce que j'ai consciencieusement fait disparaître leurs cadavres, ou plutôt le peu qu'il en restait, après les avoir froidement assassiné… »

La chimiste pouffa d'un rire enfantin devant celle qui percevait bien que ce rire était dépourvu de joie.

« Mes parents…Avant de m'abandonner…Ils ont eu la gentillesse de me confier le projet auquel ils avaient consacrés toute leur vie, pour que je l'achève après leur mort…Et comme je suis une scientifique bien moins compétente que ma mère, j'ai été incapable d'y parvenir…Et au lieu d'essayer de corriger mes erreurs, j'ai pris un malin plaisir à m'y enfoncer en pervertissant leurs travaux…mais c'est tellement plus facile de détruire la vie que de la prolonger…Et un poison réussi arrangeait bien mieux mes professeurs qu'un élixir de jouvence raté…Alors ils se sont montrés très compréhensifs avec moi…Trop… »

Il n'y eut plus que de la tristesse pour se refléter sur le visage de la chimiste, qui avait définitivement repris sa pâleur.

« Et cette seringue dont tu m'avais si naïvement demandé la nature du contenu…C'était ce poison qu'elle contenait… Et depuis notre première rencontre, c'était dans ton bras que je voulais l'enfoncer…Oui, si je t'aie fait venir chez moi, à trois reprise, c'était uniquement pour faire ça en toute tranquillité…Et la seule raison pour laquelle je ne l'ai pas fait quand j'en aie eu l'occasion, il y a tout juste quelques heures…C'était parce que j'ai finalement estimé qu'une autre de tes amies serait un meilleur cobaye que toi… »

N'ayant aucun mal à se dégager de l'étreinte de son amie, la chimiste se retourna pour ne plus croiser le regard terrifié de celle qui avait failli être sa quatrième victime.

« Une autre…de mes amies ? »

« L'idiote qui est juste devant toi… »

Un silence glacial s'installa dans la pièce…Un silence qui s'obstinait à perdurer…Si le baiser comme la confession de Shiho avaient été tout deux des éclairs qui étaient venu lézarder un ciel auparavant serein, le premier s'était dissipé trop tôt tandis que le silence qui avait suivi le second demeurait bien trop longtemps… Aussi bien pour celle qui attendait que le tonnerre finisse par le briser que pour celle qui demeurait dans un état catatonique face à celle dont le teint plus pâle que jamais lui faisait évoquer celui d'un spectre…

« Pourquoi… »

« Pourquoi est ce que j'ai voulu tuer cette idiote ? Je dois t'avouer que là encore, je n'en sais rien…Après tout, cela fait tellement longtemps que je l'ai assassiné…Mais peut-être…que ce n'était pas cette idiote que je voulais tuer mais sa meurtrière…Pour éviter qu'elle n'assassine une autre idiote…Qu'est ce que ça change de toutes façons ? Que je sois une idiote ou une criminelle, je voulais me suicider…L'idiote dont tu voulais être l'amie est morte…La criminelle que tu as sauvé sans le savoir, tu ne pourras jamais la voir comme une amie…Alors…Qu'est ce que ça change, dis moi ? »

« Non…pourquoi…est ce que tu as tué…tout ces gens ? Pourquoi est ce que tu voulais me tuer, moi ? »

Ran se mordilla les lèvres… Pourquoi est ce qu'elle n'avait pas réussie à formuler sa question de la bonne façon ?

« Qu'est ce qu'on t'as fait subir pour que tu fasses autant souffrir les autres ? »

« Pourquoi ? Mais quelle importance ça peut avoir ? Tu crois vraiment qu'il y a une raison qui puisse justifier un meurtre ? »

Le sourire attristé de la chimiste…Il était identique à celui de Shinichi quand il avait répondu à ce vieillard…

« Tu ne voulais pas tuer ces gens, non ? Alors pourquoi… »

Ran s'interrompit devant la haine qui avait déformé les traits de la scientifique…Une haine qui ne lui était pas adressé…

« J'ai voulu qu'ils meurent, et j'ai concrétisé cette pensée en toute connaissance de cause…Ce n'est certainement pas un regard attristé et implorant qu'ils ont vu, juste avant de fermer les yeux pour ne plus jamais les rouvrir…En tout cas, ce n'est pas ce que j'ai vu se refléter sur leur visage…Tout ce que j'y ai vu, c'était de la terreur et du désespoir… »

Un désespoir qu'elle voyait à présent sur le visage de celle qui posait doucement sa main sur la sienne…

« Pourquoi…Pourquoi voulait-tu qu'ils meurent ? »

« Pourquoi… Pour rien…Parce que c'est vrai qu'en un sens, je ne l'ai jamais voulu…Oui, je n'ai jamais voulu faire ça mais je me suis pourtant forcé à le faire…Non, en fait même pas…Je l'ai fait comme si c'était la chose la plus naturelle du monde…Pour survivre au milieu de…des autres…je me suis efforcé de faire semblant d'être devenu comme eux… »

« Les autres ? De qui est ce que tu parles ? De tes camarades ? »

Allait-elle la détromper ? Non, il ne valait mieux pas lui parler de l'organisation… Elle avait peut-être pu échapper à Sherry…Mais personne ne pouvait échapper à Gin…Ou à tout les autres…Et du reste…Ces camarades, que ce soit aux Etats-Unis ou ici…Ils n'avaient pas fait grand chose pour la convaincre que ceux qui étaient en dehors du syndicat valaient mieux qu'eux…Et elle avait toujours estimé que cette bande de corbeaux ne méritait que de mourir dans les souffrances les plus atroces…

« Les autres…Tout les autres…je ne voulais pas qu'ils me tuent et qu'ils tuent ma sœur comme ils avaient déjà tués mes parents… Alors je me suis dit…qu'en faisant semblant d'être comme eux…Ils me laisseraient tranquille, et surtout laisseraient ma sœur tranquille…Ma sœur…C'est en la revoyant que j'ai fini par me rendre compte…que je ne faisait plus semblant…J'étais devenue comme les autres…Enfin si, je faisais semblant d'être toujours sa petite sœur…La petite sœur que je lui ai arraché… La petite soeur qui lui briserait le cœur si elle voyait ce qu'elle était devenue…La petite sœur qui ne mérite que de disparaître…La petite sœur qui as déjà disparu de toutes façons…Cette criminelle que j'ai créé n'as jamais existé…La petite sœur d'Akemi n'existe plus…Alors qu'est ce que je suis, hein ? »

Celle qui venait de murmurer ces derniers mots d'une voix éteinte manqua de défaillir quand elle sentit la main de son amie se promener doucement sur sa joue en suivant le sillon tracé par…des larmes ?

Shiho existait encore ? Ou bien est ce que Sherry pouvait pleurer ?

La main de Ran remonta doucement jusqu'à la source des larmes qu'elle essuyait, avant de se glisser dans la chevelure écarlate de celle qu'elle serra doucement contre elle en refermant son autre bras autour de sa taille.

« Tout ce que je sais…C'est que tu es quelqu'un dont je regretterais l'absence…Pas seulement l'absence auprès de moi, mais l'absence tout court…Quelqu'un que je ne regrette pas d'avoir sauvé… »

Un hoquet s'échappa des lèvres de la chimiste tremblotante.

« Comment est ce qu'on pourrait regretter l'absence de…quelqu'un comme moi ? »

Ran resserra son étreinte autour de celle qui sanglotait dans ses bras avant de finalement la relâcher pour l'écarter doucement d'elle…avant de se pencher légèrement pour que leurs yeux soient à la même hauteur…et leurs lèvres les unes en face des autres…

La chimiste poussa un léger gémissement quand elle sentit son amie lui rendre la monnaie de sa pièce…Un gémissement qui finit par se dissoudre dans le silence…Un silence qui perdura…Mais cette fois, aucune des deux personnes qui étaient emprisonnés dans ce monde silencieux ne voulait qu'il se dissolve trop vite, comme une bulle de savon qui aurait fini par éclater…Un monde silencieux qui continua de perdurer lorsque les lèvres de la lycéenne se détachèrent doucement de celles de la chimiste dont elle continuait de caresser doucement les cheveux.

« Je sais que celle qui m'a embrassé…Celle que je vient d'embrasser…Cette personne timide et vulnérable dont je sentais qu'elle avait peur d'être blessée en étant rejeté par celle qu'elle aimait…Cette personne qui avait peur de blesser celle qu'elle aimait en lui montrant ce qu'elle était vraiment…mais qui lui a pourtant fait confiance au point de se dévoiler…Cette personne, je ne voudrais pas qu'elle disparaisse… »

Tout en parlant, Ran avait délicatement refermé de nouveau ses bras autour de la scientifique, pour la serrer doucement contre elle…

Le silence revint sans que personne ne songe à l'interrompe…Le temps passa doucement…Très doucement…Et petit à petit, la lycéenne sentit son amie cesser de trembler…Au bout d'un moment, elle finit même par s'effondrer doucement comme une délicate poupée de chiffon qu'une petite fille aurait serré dans ses bras pour s'endormir…

Baissant un regard attendri vers celle qui semblait avoir sombré dans un sommeil paisible, Ran installa doucement sa tête sur ses genoux, avant de ramener délicatement ses jambes sur le lit pour les y étendre…

Promenant doucement ses doigts sur les joues humides de celle qui semblait être redevenu une petite fille, pour en essuyer les dernières traces de larmes, la jeune femme les glissa ensuite doucement dans ses cheveux écarlates pour en apprécier la douceur…

Elle demeura ainsi…Longtemps…Très longtemps…Jusqu'au moment où elle entendit le grincement de la porte de l'appartement où elle vivait avec son père…

Lorsqu'un visage mal rasé se glissa dans l'entrebâillement de la porte de sa chambre, après avoir été précédé par le pas mal assuré d'un ivrogne, Ran manqua de défaillir…Si Kogoro Mouri avait été dans un meilleur état, il n'aurait pas manqué de s'étonner du regard coupable que sa fille essayait de lui dissimuler en baissant timidement des yeux apeurés…

« Bonsoir…Ran… »

Le policier examina d'un air vaguement intrigué celle qui était endormie sur les genoux de sa fille.

« Oh…Tu as invité une amie à la maison… »

Se mordillant les lèvres, la lycéenne acquiesça timidement.

« Oui…Ca ne te dérange pas si…elle dort ici, ce soir… »

Le père de la jeune fille haussa les épaules d'un air indifférent.

« Bien sûr que non…Ce n'est pas comme si tu m'avais ramené cette imbécile de détective à la maison…D'ailleurs, si c'était ce petit crétin que j'avais surpris sur tes genoux, il aurait passé un mauvais quart d'heure, crois moi… »

Ran sentit ses joues prendre une teinte aussi écarlate que celle des cheveux dans lesquels sa main était figée… A cause de la scène que les paroles de son père lui avait fait imaginer ? Ou bien parce que la situation ne lui apparaissait pas si différente de celle évoquée par le policier ?

Le policier…

« Papa…Je voudrais te…demander quelque chose ? »

Kogoro haussa légèrement les sourcils.

« Quoi ? »

Ran baissa silencieusement les yeux vers le visage serein…de celle qui lui avait fait confiance…

« Tu veux toujours devenir détective ? »

Le père de la jeune fille eût un rictus satisfait.

« Non ma fille…Je le suis déjà...J'ai collé ma démission au nez de ces imbéciles, aujourd'hui…Dès demain, j'ouvre mon cabinet de détective dans cette maison… Tu ne pourras plus te plaindre que tu ne voit presque jamais ton père à la maison parce qu'il est soit au commissariat, soit dans un bar…Une nouvelle vie commence pour nous, demain… »

Ran eut un sourire attendri face à celui de l'ivrogne qui s'appuyait contre le mur pour ne pas s'écrouler.

Malgré ses défauts et la tristesse qu'il lui faisait ressentir parfois…c'était toujours le père qu'elle aimait…Et malgré ce qu'elle avait pu faire…Shiho resterait toujours…son amie ?Ou bien…

« Je suis contente…que tu te soit enfin décidé à le faire…Papa… »

« Au moins autant que moi, j'espère…Bon, pas la peine de me faire le repas, je vient de fêter mon départ avec quelques uns de mes ex-collègues…Et je ressort du restaurant le ventre plein…J'ai bien essayé de te prévenir mais personne ne savait où tu était…Enfin bon…Je crois que là, je vais aller m'écrouler dans mon lit et dormir…Bonne nuit, Ran… »

« Bonne nuit…Papa… »

Lorsque la porte de sa chambre se fût refermée derrière le nouveau détective, sa fille laissa son regard errer à travers la vitre de sa fenêtre…

La nuit était déjà tombée depuis longtemps et elle venait tout juste de s'en rendre compte…

Soulevant délicatement la chimiste dans ses bras, Ran entreprit de l'allonger doucement sur son lit avant de s'y installer à ses côtés…

Dans la mesure où son lit n'était pas plus spacieux que celui de Shiho, elle eût une raison supplémentaire de se blottir contre cette dernière tandis qu'elle s'enfonçait doucement dans le sommeil…