Chapitre 20
S'adossant de tout son poids à la porte qu'elle venait de refermer, la chimiste ferma les yeux en espérant de tout son cœur que celle dont elle n'était séparée que par quelques centimètres de bois ne ferait pas voler en éclat les minces protections qu'elle avait intercalés entre elles, que ce soit une planche de bois ou un visage faussement serein… D'ailleurs, la championne de karaté n'aurait certainement pas eue à aller jusque là, il lui aurait suffit de frapper timidement au couvercle de sa future tombe pour qu'il s'entrouvre…Oui, elle aurait été suffisamment forte pour accomplir ce miracle que l'organisation souhait tant concrétiser, pousser les morts à se relever du fond de leur tombe…
Quel ironie qu'une pauvre idiote soit capable de réussir là où un des plus puissants syndicats du crime avait échoué jusque là… Oui, elle aurait pu ressusciter une morte en lui démontrant simplement qu'elle pouvait encore vivre…vivre et être heureuse…En lui démontrant qu'elle n'était pas morte mais vivante…Que Sherry n'était pas le tombeau au fond duquel l'âme de Shiho dormait d'un sommeil éternel… En fait… En fait non, Shiho dormait toujours…Ce n'était qu'au cours de son sommeil qu'elle avait jamais pu trouver le bonheur de toutes façons… Au fond de son sommeil et des rêves qui le peuplaient…Des rêves où elle vivait heureuse avec sa sœur, des rêves où l'organisation avait été relégué un moment dans le monde de ses cauchemars…Des cauchemars qu'elle faisait éveillé… Des cauchemars où elle portait un nom qui n'était pas le sien et voyait dans son miroir un visage qu'Akemi n'aurait pas pu reconnaître…
Mais il était temps qu'elle s'éveille pour de bon…de ses cauchemars…comme de ses rêves…y compris celui où elle avait trouvé le bonheur avec une autre personne que sa sœur… Une personne qui était infiniment plus forte qu'elle ne le serait jamais, et pas seulement physiquement…Une personne qu'elle entendait doucement s'éloigner de son appartement au lieu de frapper à sa porte…Finalement, elle n'était pas si forte que ça…Elle n'avait pas été assez forte pour forcer le couvercle de cette boite de Pandore où une criminelle avait enfermé ses espoirs pour qu'ils ne s'échappent plus…et finissent par y mourir… Oui, elle avait été trop faible pour la sauver…Assez faible pour la croire…Ou assez forte pour lui faire confiance alors qu'elle avait toutes les raisons du monde de ne pas le faire…Qu'est ce que cela pouvait faire de toutes façons ? Le résultat serait le même…
Shiho allait mourir, la seule chose qui restait en suspens était la manière dont Sherry allait s'y prendre pour la tuer…
La chimiste se dirigea vers sa cuisine jusqu'à ce qu'elle parvienne au placard où se trouvait rangé les détergents et les produits de nettoyage divers auquel elle avait eue recours….pour nettoyer son appartement après sa dernière expérience… Après tout, elle avait toujours cru qu'un simple coup de chiffon imprégné de détergent pouvait suffire à faire disparaître ce qui lui posait problème… Un graffiti sur la table à laquelle elle était installée au lycée, les derniers résidus d'une innocente qu'elle avait froidement assassiné, l'odeur que ses meurtres avait laissé sur ses mains…une criminelle dont elle ne pouvait plus supporter la présence…
Refermant ses doigts autour du bouchon d'une des deux bouteilles de détergents qu'elle avait extirpé de son placard, la scientifique s'interrompit au beau milieu de son geste… Le mélange d'un produit à base de chlore et d'un produit à base d'acide entraînait un dégagement de gaz chlorique… Un gaz extrêmement nocif qui pouvait faire passer un être humain de vis à trépas en l'espace de quelques instants…Que ce soit elle…ou Ran lorsqu'elle reviendrait le lendemain…Non, les risques pour que les vapeurs toxiques ne se soient pas dissipées étaient trop grands…Il fallait trouver autre chose…
Quittant sa cuisine, Shiho se dirigea vers sa table, la table sur laquelle se trouvait son carnet d'esquisses, deux tasses de thé…et ses échantillons d'apotoxine…L'apotoxine… Elle n'avait toujours pas fait parvenir le résultat de ses recherches au département scientifique du syndicat… Trois innocents étaient déjà morts à cause de ce maudit poison…Tris morts inutiles… mais qui pouvaient devenir terriblement utile à l'organisation si elle mettait la main sur les rapports qu'elle avait rédigé…
Personne ne pourrait jamais ressusciter les morts, ni l'organisation, ni elle…Elle ne pourrait jamais racheter ses fautes en rendant à ses trois victimes la vie qu'elle leur avait arraché…mais elle pouvait faire de leur mort…une tragédie aussi grotesque que désespérante dans son absurdité et sa stérilité…la base à une quantité innombrables d'autres meurtres…ou le sacrifice qui avait été nécessaire pour ouvrir les yeux à une idiote cynique, et sauver par avance l'infinité d'autres victimes potentiels de l'horreur qu'elle avait conçu…
L'horreur qui devait disparaître avec elle et dont elle devait emporter le secret dans sa tombe...Une tombe qui ne devrait surtout pas s'ouvrir…Oui, finalement c'était sans doute mieux que Ran ne soit pas parvenu à ouvrir cette tombe dans lequel elle était enfermée, cette tombe qui était véritablement une boite de Pandore…Une boite de Pandore qui contenait leurs espoirs d'une vie heureuse…mais aussi le plus effroyable de tout les maux qui aurait pu s'abattre sur l'humanité…
Elle avait beau être la fierté de la dernière génération de scientifiques du syndicat, elle avait longtemps cru qu'elle ne parviendrait jamais à concrétiser les théories de ses parents…que ce soit pour le bonheur ou le malheur de l'humanité, que ce soit pour créer un poison ou un remède…Ce n'était que fort récemment qu'elle y avait réussi…Si elle disparaissait, peut-être…Peut-être que les travaux de ses parents sombreraient définitivement dans l'oubli…Un oubli qui n'était pas si injustifié après tout…L'humanité ne devait pas croquer au fruit de l'arbre de la connaissance…Une connaissance qui aurait pu faire de l'homme l'égal de Dieu…et du Diable… Une connaissance qui lui aurait donné le pouvoir d'empêcher les gens de mourir…mais aussi de vivre…
Se dirigeant calmement vers sa cuisine de nouveau, la chimiste fit le tri des produits chimiques qui y était entreposé… Bien, il y avait largement assez de substances hautement inflammables pour qu'elle puisse réduire en cendres tout ce que contenait son appartement…Son ordinateur et les données qu'il contenait, les poupées que lui avait offert sa sœur, les diagrammes qui étaient fixés sur son panneau de liège, les portraits des deux personnes les plus cher à son cœur qui les surmontaient, ses échantillons d'apotoxine, la créatrice de ce maudit poison…Tout partirait en fumée…Oui, tout…
L'odeur méphitique du cadavre de sa dernière victime avait commencé à flotter de nouveau dans l'atmosphère après le départ de Ran, au bout de quelques instants, elle avait fait place à une autre puanteur, celle, rassurante, des produits chimiques qui imprégnaient le sol comme une partie des murs qui l'entouraient…
Relâchant la bouteille de détergent vide qu'elle serrait entre ses doigts, la criminelle la regarda rouler sur le plancher pour aller rejoindre les autres récipients vides qui y étaient éparpillés… Bien, à présent, il ne lui restait plus qu'un seul geste à faire pour que tout soit consommé…ou plutôt consumé… Un geste infime mais pour l'accomplissement duquel était nécessaire plus de force qu'elle ne l'avait cru…Craquer une allumette…
Shiho serait probablement resté figée encore quelques minutes, à fixer la tige de bois imprégnée de phosphore qu'elle tenait d'une main tremblante, si un léger grincement ne l'avait pas tiré de sa rêverie…Le grincement de sa porte d'entrée…Ainsi son idiote avait été plus forte ou plus faible qu'elle ne l'avait cru… La chimiste demeura paralysée par la peur et la honte, jusqu'à ce qu'une voix ne brise le silence pesant qui environnait les lieux de ce qu'elle pensait être son dernier crime… Une voix qui n'avait pas été à laquelle elle s'était attendue…
« Laisse-moi te dire que si tu pense faire disparaître les dernières traces de ton crime en agissant ainsi, tu t'y prends de manière un peu trop radicale… J'ai déjà vu beaucoup de meurtrier faire disparaître les preuves comme les témoins de leur crime, mais la plupart en épargnait au moins un…Eux même… »
La chimiste interloquée se tourna d'un air éberlué vers le lycéen qui se trouvait à quelques mètres d'elle et qui la dévisageait avec un petit sourire arrogant.
« Qui…est tu ? »
« c'est vrai que je ne me suis pas encore présenté…Shinichi Kudo, détective lycéen de son état, pour te servir… »
Même si ses yeux s'écarquillèrent un court instant face à ce nom, ils se plissèrent bien vite pour retrouver l'expression méfiante qui lui était coutumière tandis que ses lèvres s'étirèrent en un sourire narquois qui n'avait rien à envier à celui du détective.
« Oh…Je m'attendais à faire face à une idiote…et c'est un idiot qui est venu… »
« C'est celle qui s'apprête à commettre pour la seconde fois la pire bêtise qui soit qui me traite d'idiot ? »
« La quatrième fois si tu veux tout savoir…Mais je serais curieuse de savoir comment tu pouvais être au courant pour au moins l'une de celles qui l'a précédé…J'étais certaine d'avoir fait disparaître jusqu'à la moindre parcelles de mes victimes… »
Les paroles de la chimiste firent disparaître un court instant le petit sourire triomphant de son interlocuteur, jusqu'à ce qu'il se reprenne et lève à la hauteur de son visage confiant un foulard écarlate qui lui était on ne peux plus familier…Il était identique à celui de son uniforme scolaire…
« Je vois…C'est on ne peux plus logique que le seul crime après lequel je n'avais pas brûlé les vêtements de ma victime soit celui qui me perde…Mais tu n'avais pas besoin de me rappeler ma seule erreur…Tu es très bien placé pour voir que je ne la commettrais pas une seconde fois…. »
« En effet…puisqu'il n'y aura pas de quatrième crime… »
« Tu arrives un peu trop tard pour m'empêcher de le commettre…Pour cela il aurait fallu que tu sauve ma toute première victime…et même si tu l'avais fait, il était déjà trop tard à ce moment là de toutes façons… »
Pendant quelques secondes qui semblèrent durer des heures, les deux adolescents partagèrent le même sourire attristé.
« Il n'est jamais trop tard pour sauver quelqu'un, tu sais… »
« C'est vrai…Il n'est pas trop tard pour que je sauve les deux personnes qui payeraient pour mes crimes à ma place si je restais en vie… »
Le détective avait totalement perdu son arrogance tandis qu'il promenait son regard sur la pièce à la recherche de l'outil adéquat qui aurait pu lui permettre de sauver une meurtrière en même temps que sa future victime… Il en trouva au moins deux… Deux portraits qui lui étaient on ne peux plus familier…
« Tu crois vraiment que c'est ce que ces deux personnes désireraient que tu fasses ? »
Shiho jeta un bref coup d'œil dans la direction que lui avait désigné le lycéen, et si les deux regard attendris qu'elle croisa ébranlèrent quelque peu sa résolution d'en finir, ils ne furent pas suffisant pour lui faire relâcher l'allumette qu'elle maintenait contre la paroi de la boite dont elle l'avait extirpé.
« Non…Je ne crois pas que qu'elles aimeraient que je fasse ça…Mais elles souffriront moins si je meurt que si je reste en vie…Je sais en tout cas que je souffrirais plus de rester en vie si elles meurent, que de mourir en sachant qu'elles continueront de vivre… »
« Si tu ne voulais pas qu'elles souffrent, c'était avant qu'il fallait y penser…Avant de commettre ces trois meurtres… »
La chimiste adressa un sourire mi-intrigué, mi-sarcastique au détective.
« Tu as une bien curieuse façon d'essayer de sauver une criminelle du suicide, toi… »
« Navré mais la seule manière que je connaisse d'empêcher une idiote de reproduire ses erreurs et de lui montrer en quoi elles consistent… »
Il n'y avait pas besoin d'être une grande psychologue pour deviner que la façade arrogante du lycéen était en train de se fissurer et qu'il devait fournir des efforts pour la maintenir en place.
« Oh ? Et quelle est l'erreur que j'ai commise selon toi ? En dehors du fait que je n'ai pas fait disparaître de la bonne façon les vêtements de ma dernière victime…. »
« C'est tout simplement de ne pas avoir pensé au conséquences de tes actes avant de les commettre…Aussi bien en jetant cet uniforme à la poubelle comme si c'était un détritus qu'en assassinant celle qui le portait… »
« Les conséquences de mes actes… »
« Oui, les conséquences de tes actes pour celle qui finirait tôt ou tard pour les apprendre…Je ne sais pas pour quel raison tu as pu tuer ces trois personnes, et à vrai dire, je m'en moque…Aucune raison ne peut justifier ça… Mais si tu avait pensé aux autres avant de penser à toi, tu n'aurais jamais commis ces crimes…Alors si tu prétends réellement penser à leur bonheur en ce moment même, tu ne devrais pas t'apprêter à en commettre un quatrième… »
La chimiste s'abandonna dans une expression rêveuse.
« Alors selon toi, j'ai pensé à moi…avant de penser aux autres…J'ai privilégié mon propre bonheur…à celui de mes proches comme de mes victimes… »
Dès l'instant où le murmure de la chimiste s'était évanoui dans le silence, les lèvres dont il s'était échappé se plissèrent en une expression méprisante.
« Franchement...Quel idiot…Comment un idiot comme toi peut-il prétendre m'aider ? J'ai pensé à moi…Mais, pauvre imbécile, si j'ai commis ces trois meurtres, si je m'apprête à en rajouter un quatrième à la liste, c'est précisément parce que j'ai pensé au bonheur des autres avant de penser au mien…Si tu veux tout savoir, on ne m'as jamais laissé penser à mon propre bonheur, une seule fois dans ma vie… »
Shinichi demeura silencieux un court moment avant de regarder son interlocutrice d'un regard qui avait perdu toute trace de présomption.
« Et si tu avais l'occasion d'y penser une seule fois dans ta vie…Qu'est ce que tu ferais ? Qu'est ce qu'il te faudrait pour trouver ton bonheur ? »
La scientifique fût prise de court par la question, avant de laisser échapper, dans un soupir désabusé, la réponse qu'elle lui donna après quelques instants de réflexion.
« Qu'est ce qu'il me faudrait pour trouver mon bonheur ? Que celles que j'aime soient heureuses…C'est tout ce dont j'ai besoin pour être heureuse à mon tour… »
« Et est ce que tu penses qu'elles le seront vraiment si tu fait ça ? »
« Si je meurt elles souffriront…Si je vis, elles souffriront aussi…Alors, monsieur le détective, dis-moi ce que je dois faire pour être heureuse...Tu as l'air si sûr de toi, tu dois donc forcément le savoir, non ? »
A la surprise de la chimiste, le lycéen secoua doucement la tête.
« Non…Je n'en sais rien…Je sais juste que ce n'est pas en te suicidant que tu apporteras le bonheur à tes proches… »
« Alors comment est-ce que je dois m'y prendre selon toi ? »
Un silence pesant retomba sur la pièce avant d'être dissipé par un léger soupir.
« On ne peux pas résoudre ses problèmes en les fuyant, ça je le sais… Et je sais aussi que celle qui a quitté cet appartement désire revoir la personne qu'elle y a laissée… Qu'elle continuera de l'attendre à la sortie de sa prison…Oui, elle l'attendra plusieurs années si c'est nécessaire…Elle continue encore d'attendre sa mère, tu sais…Même s'il n'y a pratiquement aucun espoir pour qu'elle revienne habiter chez son père avec elle… »
La scientifique eût un sourire mélancolique.
« Oui…Cette idiote est suffisamment bornée pour enfermer son bonheur dans la cellule d'une criminelle, même si elle sait qu'elle doit attendre plusieurs années pour qu'il en sorte… »
« Tu n'es pas obligé de vivre dans la peur d'être démasquée, ni dans la culpabilité parce que tu n'ose pas assumer une bonne fois pour toutes tes crimes en les rachetant et surtout…Tu n'es pas obligé de mourir pour ne plus avoir peur…Tu peux faire disparaître ta peur sans avoir à faire disparaître ton bonheur en même temps… »
Un énième soupir accueillit les paroles du détective…Un soupir de lassitude…
« Tu ne comprends rien…Si je vais en prison, je mourrais de toutes façons…de même que celui qui m'y a envoyé, comme tout ceux que j'ai fréquenté dans ma vie…»
Shinichi prit le temps de réfléchir à toutes les implications possibles des paroles de celle qu'il voulait sauver…Il avait cru qu'il devait avant tout la sauver d'elle même…Apparemment il s'était trompé…
« Je vois…Quelqu'un t'as menacé pour que tu accomplisse ces crimes…Si tu me disais de qui il s'agissait… »
« Tu l'enverrait en prison lui aussi, c'est ça ? Mais personne ne le peux…En tout cas certainement pas un pauvre idiot dans ton genre…Et même si tu y arrivais, cette personne dont tu ne connais rien aurait largement les moyens de me faire payer ma trahison…et de la faire payer à ceux dont il jugera qu'ils en sont responsables… »
« Et si je te promets que je ferais tout pour que ça n'arrive pas jusque là ? Que je te protégerais comme je protégerais tout ceux que tu veux sauver en faisant cette bêtise ? »
Le sourire que la promesse fit naître sur le visage de la chimiste était aussi attendri que moqueur.
« Tu ferait ça ? Ce ne sont pas des paroles en l'air que tu oublieras dès que tu auras vraiment compris ce qu'elles impliquent ? »
« Si j'étais incapable de faire face à mes responsabilités, je serais mal placé pour dire aux autres de ne pas fuir les leurs… »
« Alors dans ce cas, fait face à des responsabilités qui sont à ta portée…Protège notre idiote du désespoir que je vais lui offrir…parce que dans quelques instants, elle n'aura plus personne à attendre…plus d'espoir trompeur pour la détourner du bonheur réel, qu'un idiot comme toi est bien plus apte à lui donner qu'une idiote comme moi… »
Il y avait plus de tristesse que de déception dans le regard désabusé du détective.
« Elle cessera d'espérer ce qu'elle ne pourra plus revoir…mais elle n'oublieras jamais ce qu'elle ne reverra jamais plus par ta faute, tu le sais… »
« Peut-être…ou peut-être pas…Tu sais, quand j'étais encore aussi idiote que notre amie commune, ma sœur m'avais appris que pour faire disparaître les mauvais souvenirs, il suffisait de les inscrire sur un bout de papier avant de le brûler… j'ai essayé un nombre incalculable de fois…Pour les mauvais souvenirs…comme pour les bons…qui finissent par te faire souffrir plus que les mauvais…parce qu'ils te rappellent ce que tu ne pourras plus jamais avoir….Ca n'a jamais marché…Mais maintenant j'ai compris…compris que je me trompais…Oui, j'ai enfin compris ce que je devais brûler… »
Sans laisser le temps au lycéen de réagir, la criminelle frotta l'allumette d'un geste sec avant de regarder d'un air fasciné la combustion du phosphore se prolongeait quelques instants avant de gagner le bout de bois qu'il imprégnait.
« Et si tu ne sors pas d'ici maintenant…tu ne pourras plus donner de bon souvenirs à ton idiote pour remplacer ceux que je vais brûler… »
La minuscule brindille enflammée décolla de la main de la scientifique pour aller s'écraser sur l'étagère dont elles avaient consciencieusement imbibés les poupées d'un produit d'entretien apprécié des ménagères…comme des pyromanes…
Shinichi leva instinctivement le bras vers son visage pour protéger ses yeux éblouis de l'éclat du brasier qui s'était élevé en l'espace d'un instant pour dévorer les dernières traces de l'enfance d'une criminelle…Lorsqu'il le rabaissa, ce fût pour avoir la désagréable surprise de constater que la scientifique avait extirpé de la poche d'une veste grisâtre qui lui était familière un objet qui lui était tout aussi familier…mais pour des raisons bien différentes… Un objet que Ran ne se serait jamais attendu à trouver si elle avait fouillé le placard de son amie lors de sa première visite à son domicile…Un objet dont la meurtrière avait prévu de faire usage après avoir trouvé le courage de craquer cette allumette…et le détective n'avait pas ébranlé sa résolution de le faire…
« Si tu reste ici, tes parents n'auront pas besoin de s'inquiéter des frais pour ta crémation…Si tu tente de m'emmener de force avec toi, j'ajouterais une cinquième victime à ma liste…alors tu ferais mieux de partir d'ici le plus tôt possible…et seul… »
La chimiste illustra ses paroles en relevant consciencieusement le chien de son revolver, mais le geste lourd de menace loin de dissiper la détermination du détective ne fit que l'accroître.
« Et si tu ne pars pas avec moi, il n'y aurait plus personne pour consoler celle dont tu veux brûler les derniers espoirs de voir une amie heureuse… »
Tout en parlant, le lycéen avait fait un pas vers celle qui le tenait en joue, elle ne pressa pas la détente de son arme pour autant…Il en fit un second, l'index de son ennemie commença à trembler sans pour autant presser la détente sur laquelle il était appuyé…Au troisième pas, son adversaire commença à reculer… Shinichi n'eût pas besoin de faire un quatrième pas, ce n'était pas seulement pour se rapprocher de la criminelle qu'il s'était avancé… Mais cette dernière ne s'en rendit compte que trop tard, à l'instant où elle découvrit que le monde du sport avait perdu autant que le monde des détectives avait gagné lorsque l'ami d'enfance de Ran avait embrassé définitivement sa vocation…L'instant où le pied du jeune homme percuta à une vitesse fulgurante la bouteille de détergent qui heurta la main de sa propriétaire l'instant suivant, envoyant voler à l'autre bout de la pièce le revolver dont elle n'avais pas osé faire usage…
La meurtrière hébétée n'eût pas le temps de se remettre de sa surprise que le lycéen s'empara de la main qu'il avait désarmé pour se précipiter vers la porte de l'appartement…avant de s'interrompre à mi-parcours devant le mur de flammes qui s'interposait à présent entre lui et l'air libre…Il était trop tard à présent, l'incendie s'était répandu dans la pièce comme une traînée de poudre et il barrait totalement la seule issue visible de ce qui s'annonçait comme étant leur tombeau…
« Finalement, on dirait que je ne suis pas la seule personne qui a été assez idiote pour avoir jeté au feu le bonheur de Ran…mais moi j'avais au moins une raison valable pour le faire… »
Se retenant d'exprimer sa façon de penser à celle qui le fixait d'un air plus sarcastique que jamais, le détective avisa la fenêtre qui était à quelques mètres devant eux tout en s'efforçant de se remémorer la configuration du bâtiment… Il se plaisait à répéter qu'au fond des ténèbres les plus obscure se trouvait toujours le même interrupteur capable de les dissiper quand on parvenait à le retrouver à force de tâtonner…Un interrupteur qui portait le nom de vérité…Et la vérité dans cette affaire qui pouvait bien être la dernière de sa carrière, c'était qu'il était improbable qu'ils ne trouvent pas la mort en contrebas s'ils traversaient cette fenêtre…mais qu'il était impossible pour eux de sortir de ce brassier par la porte de l'appartement…Et comme se plaisait à le répéter son idole…
« Quand vous avez éliminé l'impossible, ce qui reste aussi improbable soit-il… »
Le détective envoya son pied dans une seconde bouteille de produit d'entretien, faisant voler en éclat la mince paroi de verre qui s'interposait entre eux et le monde extérieur…Ne jugeant même pas nécessaire d'expliquer à la chimiste les raisons de son geste, il la souleva dans ses bras avant de sauter à travers l'issue qu'il venait de dégager…
Si les chances pour qu'un camion de livraison se soit arrêté sous les fenêtres de la scientifique à cet instant précis étaient déjà nulles, celles que son chargement soit entièrement composé de matelas étaient largement en dessous de zéro…Aussi les deux rescapés furent-ils on ne peux plus étonnés d'atterrir sur une surface suffisamment molletonneuse pour amortir une chute de deux étages… Leur étonnement fût d'ailleurs tel qu'ils mirent une bonne minute à se rendre compte de la position on ne peux plus compromettante dans laquelle ils se retrouvaient à présent…et dans laquelle aucun des deux n'aurait voulu que Ran ne les surprenne…
Shiho mit sur le compte du choc le fait qu'elle ne cherchait même pas à se dégager de l'étreinte du détective…Shinichi mit sur le compte du fait qu'il n'avait pas fermé les yeux en se précipitant dans le vide son incapacité à détourner son regard du visage de la chimiste…Un visage qui était presque aussi écarlate que les cheveux qui l'encadrait…
« Euh…tu n'as rien de cassé ? »
« Non…comme tu peux le constater j'ai eue la chance d'atterrir sur une surface aussi confortable que possible, ce qui m'a évité la moindre fracture…Enfin…J'imagine qu'elle n'est pas aussi confortable que celle sur laquelle tu est en train de t'appuyer de tout ton poids…. »
Le détective décontenancé baissa les yeux vers la poitrine sur laquelle la sienne était appuyé…avant de s'en écarter aussi vite que s'il avait reçu une décharge électrique…
Un silence gêné s'installa entre les deux adolescents étendus côte à côte avant que l'un d'entre eux ne se décide à le rompre.
« Et maintenant…qu'est ce que nous allons faire ? Qu'est ce que tu vas faire ? »
Shiho se tourna vers Shinichi avant de fixer d'un air impénétrable son visage, dont le front avait été légèrement entaillé par les derniers éclats de verre de la fenêtre que son tir au but n'avait pas détaché… Si elle n'avait pas récolté une blessure identique, c'était sans doute parce que cet idiot l'avait serré contre lui au moment du grand saut…
Poussant un soupir la scientifique plongea la main dans la poche de la veste que lui avait offert une idiote…Elle y avait cherché un mouchoir pour stopper l'hémorragie d'un imbécile dont le sang imprégnait une partie de sa chevelure écarlate…elle y trouva la réponse à la question qu'il lui avait posé…Et elle se présenta sous la forme d'une disquette…Une disquette contenant l'essentiel de ce qu'elle voulait faire disparaître…
Shiho avait serré l'objet maudit dans sa main au moment de passer à l'acte, pour garder à l'esprit les motivations qui la poussait à mettre fin à ses jours et ne pas reculer au dernier moment…A présent, elle se demandait si Sherry ne s'était pas ménagé une porte de sortie… La criminelle n'aurait jamais pu retourner auprès des siens sans le résultat de ses recherches…Est ce qu'elle aussi souhaitait que Ran vienne la sauver de son double? Shiho connaissait la réponse… Oui, la scientifique cynique avait espéré jusqu'au bout qu'une idiote vienne la sauver de la tentative de meurtre d'une autre idiote…et c'était un idiot qui s'était porté à son secours…
« Qu'est ce que c'est ? »
« La clé d'une boite de Pandore…Une boite qui contient les espérances d'une criminelle…Une criminelle qui veut continuer à vivre… »
Le lycéen demeura silencieux avant d'adresser un faible sourire à celle qu'il venait de sauver.
« Dans ce cas…tu ferais mieux de t'en servir…et d'ouvrir la boite… »
« Est-ce que tu as la moindre idée de ce qui se passerait si je le faisais ? Elle contient les espérances d'une criminelle…mais aussi les pires maux qui puissent s'abattre sur une idiote comme moi…et peut-être même un jour un idiot comme toi si tu continue d'agir comme tu l'as fait… »
Shinichi observa le rectangle de plastique d'un air intrigué avant de sourire de nouveau.
« Si elle contient l'espérance d'une criminelle…et que l'espoir est tout ce qui lui manque pour vivre…Alors elle contient aussi mon espérance… »
Shiho soupira…Non, cet idiot n'avait pas la moindre idée de ce qu'il lui demandait de faire…Mais quelques mois plus tard, une certaine Ai Haibara finirait par se dire que les paroles d'un imbécile de détective avaient été beaucoup plus proches de la vérité qu'il ne l'aurait jamais cru…et qu'elle ne l'aurait jamais cru…
Après tout…Si elle avait détruit cette clé…Gin aurait éliminé un lycéen trop curieux…et Sherry une idiote trop naïve…
