Chapitre 23
Ran demeurait devant la porte depuis plusieurs minutes, la main figée à quelques centimètres de l'innocente paroi de bois, essayant de donner une forme tangible à la peur insidieuse qui lui comprimait la poitrine. La peur de se retrouver face à une porte close, une porte qui demeurerait close si elle y frappait. La peur d'être environnée par le silence qui engloutirait le nom qu'elle murmurerait timidement, dans l'espoir de voir la personne qui le portait lui renvoyait en écho le sien.
Mais il y avait pire que le silence, les regrets. Les mêmes regrets qui s'étaient accumulés au fil des mois, des mois à être rongée par les remords parce qu'elle n'avait pas osé franchir une simple porte comme celle-ci.
Un sourire mélancolique plissa les lèvres de la lycéenne tandis qu'elle laissait ses doigts effleurer la peinture blanche qui imprégnait le couvercle de cette boite où se trouvait ses espoirs. Une boite dont elle craignait de découvrir qu'elle était vide.
Pourquoi se faire des illusions à ce sujet ? La petite Haibara était parti loin, très loin et ne reviendrait sans doute jamais plus, alors qu'est ce qu'elle espérait trouver dans cette chambre où elle avait vécu ce qui avait du être les mois les plus heureux de sa vie ? Qui est ce qu'elle espérait y trouver ? La même personne qu'elle avait serrée dans ses bras lors de la fête qu'elle avait organisé pour son départ ?
Sonoko s'était gentiment moqué d'elle ce soir là. Qu'est ce qu'elle lui avait dit déjà ?
« Tu sais, Ran, en vous voyant, on se serait demandé si vous n'aviez pas échangé vos places. Celle qui avait l'air d'une petite fille suppliant sa grande sœur de rester avec elle, ce n'était pas cette petite que tu as pris dans tes bras. »
Sa camarade de classe n'avait pas manqué de lui faire remarquer que les habitudes avaient la vie dure lorsqu'elle avait vu Ran se diriger vers la maison du professeur Agasa le lendemain après les cours. Pourquoi faire cela alors qu'elle n'avait plus personne à y raccompagner après l'école ? L'air attristé de la lycéenne face à ses mots n'était pas passé inaperçu à sa meilleure amie, aussi avait-elle essayé de changer de sujet.
« A moins que ce ne soit pas la maison du professeur qui t'intéresse mais celle de son voisin ? L'insupportable maniaque des enquêtes qui t'as négligé tout ces mois avant de revenir ce matin, pour te présenter ses excuses d'un air de chien battu ? »
L'absence de réaction de la victime de sa provocation avait effacé instantanément le rictus narquois de Sonoko. Et ni les réponses évasives de Ran à ses question, ni le sourire rassurant qu'elle s'était efforcé d'afficher, n'avait réussi à faire disparaître l'inquiétude qui se reflétait dans les yeux de son amie d'enfance.
La jeune fille avait préféré ne pas insister et attendre que Ran lui confie d'elle-même ce qui la troublait tant, mais la question qu'elle lui avait innocemment posée malgré son air moqueur ne s'était pas éloigné avec elle, au détour de la rue où elles s'étaient séparées. Elle avait persisté dans la conscience de la lycéenne tandis qu'elle avait franchi le seuil de la maison du savant et elle se présentait maintenant sous la forme d'une porte.
« Qu'est ce que je suis venu faire ici ? »
Retrouver une personne dont la présence lui manquait ? Une personne qu'elle ne pourrait jamais revoir tant que la petite Haibara serait auprès d'elle, mais qui n'allait pas réapparaître pour autant si cette dernière disparaissait…
Ran finit par trouver la force de répondre à cette question et de faire ce qu'elle aurait du faire il y a de cela plusieurs mois. Ouvrir cette porte que la personne qu'elle aimait avait refermée derrière elle.
La jeune femme s'était mentalement préparé au pire, aussi manqua-t-elle de défaillir quand elle se rendit compte que son espérance se trouvait encore dans cette boite où elle s'était enfermé tout ce temps…
Serrant les dents pour étouffer le cri qu'elle sentait monter du fond de sa gorge, la lycéenne fixa d'un air éperdue cette hallucination qui persistait à demeurer à quelques mètres d'elle, sur cette chaise où elle s'était si souvent installé, une petite fille timide sur les genoux.
Tout en s'efforçant de maîtriser le tremblement de la main qui agrippait la poignée qu'elle s'était enfin décidé à abaisser, Ran fit de son mieux pour résister à la tentation de murmurer le nom de celle qu'elle aimait, de peur que cette fragile illusion qui faisait battre son coeur à tout rompre ne se dissipe dès l'instant où elle aurait brisé le silence qui l'environnait.
Après s'être abandonnée longtemps à la contemplation de ce visage qui ne lui était longtemps apparu qu'à travers le miroir du temps, un miroir qui ne lui montrait celle qui s'y reflétait que sous la forme de cette petite fille fragile qui avait disparu il y a dix ans de cela, la jeune femme se décida à faire un pas en direction de celle qui avait enfin pris la place de son reflet. Un pas qui fut suivis d'un autre, puis de huit autres encore, avant qu'elle ne parvienne à son but.
La chimiste était demeuré hypnotisée par le regard de cette personne qui portait enfin le même nom qu'elle, aussi n'avait-elle pas remarqué l'arrivée de celle qui venait de briser sa transe en refermant doucement ses bras autour d'elle.
Pour autant, il n'y eut pas la moindre expression de surprise pour se refléter sur ce miroir où Ran contemplait à son tour celle dont elle sentait les cheveux caresser sa joue tandis qu'elle s'était penchée vers elle.
Fermant les yeux, la lycéenne murmura doucement la question qui lui brûlait les lèvres à l'oreille de celle qui l'avait suscité.
« Tu m'attendais ? »
La seule réponse que perçût jeune femme fût le silence, la chaleur de celle qui ne se décidait pas à le briser, et la douce caresse de la main qu'elle laissait glisser le long du visage de celle qui attendait qu'elle le fasse. Au fur et à mesure que le temps passa, la question s'enfonça dans la tendresse qui avait submergé Ran, si bien qu'elle avait totalement disparu de sa conscience quand la scientifique se décida à ne plus la laisser en suspens..
« Non. J'espérais que tu viendrais mais je ne m'attendais pas à ce que tu le fasses…. »
Cela faisait si longtemps qu'elle n'avait plus entendu cette voix, même si ses intonations mélancoliques avaient fait vibrer pendant des mois celle d'une fillette. Une voix qui semblait se confondre avec le silence tant elle s'y glissait avec aisance, après avoir effleuré en un souffle la conscience de celle à qui les paroles qu'elle exprimait s'étaient adressées. Une voix que ne semblait faire vibrer aucune émotion, sauf à ceux qui avaient une oreille suffisamment attentive pour en capter les nuances.
« J'ai hésité à venir, tu sais. J'avais peur… »
« De quoi est ce que tu avais peur, Ran ? »
Son propre nom devenait étrangement poétique tandis qu'il était prononcé par cette voix aussi douce que timide.
« J'avais peur de t'imposer ma présence. Je voulais que tu restes libre de l'accepter…ou de la refuser… »
Ecartant sa main de la joue de celle qui l'étreignait, Shiho la referma délicatement sur le bras qui entourait ses épaules avant de le lever doucement mais fermement vers son visage.
« j'avais peur, moi aussi. »
Ran sentit un frisson parcourir la peau sur laquelle elle laissait glisser ses doigts, obtempérant ainsi à la requête silencieuse de son amie.
Demeurant les yeux fermés, la jeune femme n'en contempla pas moins le visage qu'elle voulait tant revoir, ce visage dont elle sentait la délicatesse des traits, mais lorsque sa main effleura doucement ses lèvres, elle fût incapable de se contenter de l'admirer de cette façon.
Ouvrant timidement les yeux, Shiho se retrouva face, non plus à son reflet, mais au regard de celle qui s'interposait à présent entre elle et son miroir. Si la tendresse qui se reflétait dans les yeux de la lycéenne était déjà la plus douce des caresses pour la chimiste, elle ne fût cependant pas suffisante au goût de Ran. Posant de nouveau ses mains sur le visage de la scientifique, la jeune femme se pencha vers elle avant de laisser doucement ses lèvres effleurer les siennes.
Cela faisait longtemps, si longtemps qu'elle voulait contempler celle qui se dissimulait derrière la petite Haibara, dans tout les sens du terme. Si longtemps qu'elle voulait voir et sentir de nouveau cette personne qui avait continuellement peur de faire souffrir les autres. Cette personne dont elle sentait qu'elle faisait tout son possible pour ne pas la brusquer tandis qu'elle l'embrassait doucement, timidement, avec une tendresse et une délicatesse telle que Ran souhaitait de tout son cœur que cette communion si intime se prolonge le plus longtemps possible, même si la scientifique ne faisait rien pour s'imposer auprès d'elle. Non, elle ne faisait rien pour cela, et c'était précisément la raison pour laquelle la jeune femme voulait se fondre dans cette présence et non pas seulement la sentir auprès d'elle.
Pour la simple et bonne raison qu'elle désirait faire disparaître cette solitude et cette tristesse qu'elle sentait dans la peur comme dans la retenue de sa compagne, lui faire comprendre qu'elle désirait la voir vivre et être heureuse, mais aussi lui faire comprendre qu'elle-même désirait être heureuse grâce à elle.
Lorsqu'elle sentit le contact brûlant d'une larme sur la main qui était imprégné de la douce chaleur de son amie, Ran ouvrit les yeux avant de détacher doucement son front de celui de la chimiste.
Mordillant ses lèvres tremblotantes, la scientifique les entrouvrit doucement, en levant vers la lycéenne un regard rendu humide par les larmes qu'elle avait de plus en plus de mal à retenir.
« Ran, je…je… »
S'efforçant de redonner un rythme normal à sa respiration, Shiho étouffa un hoquet.
« Je suis…Je…suis… »
Qu'est ce qu'elle était ? Qu'est ce qu'elle ressentait ? Elle avait déjà été plusieurs fois dévorée par un sentiment si intense qu'il avait fait voler en éclat la façade qu'elle maintenait entre elle et ses émotions, entre ses sentiments et les autres, le désespoir d'avoir été séparé de sa sœur. Mais ce sentiment qui lui resserrait le cœur à l'instant présent, cette émotion qui la faisait frissonner devant le regard éberlué de son amie, ce sentiment n'était en aucune façon lié à une séparation, il avait été au contraire suscité par l'absence de toute séparation entre elle et la personne qu'elle aimait. Oui, il n'y avait plus rien pour s'interposer entre elles, ni l'organisation, ni le détective qui avait provoqué sa chute.
Pour la première fois, elle ne ressentait ni la présence terrifiante de ceux qui l'avaient oppressé toute sa vie, ni celle rassurante du détective qui l'avait protégé, le détective qui s'était interposé entre elle et son bonheur, de la même manière que le syndicat s'était interposé entre elle et sa sœur. Cet imbécile qui avait été la personne la plus proche d'elle pendant des mois, une personne qui lui avait donné envie de vivre, mais qui la maintenait éloigné de celle qui pouvait lui donner envie d'être heureuse, celle qu'elle avait envie de voir trouver le bonheur avec une personne digne de le lui apporter…
Non, la seule présence qu'elle sentait auprès d'elle maintenant, était celle de la jeune fille qui la serrait doucement dans ses bras en lui caressant doucement les cheveux.
« Pleure… »
Ce n'était pas un ordre qu'elle lui donnait, elle avait formulé sa requête d'une voix aussi douce que compréhensive.
Le tremblement de la chimiste s'accentua sans qu'elle parvienne à comprendre le sens de la demande qui lui était faite.
« Pleure si tu es heureuse, pleure si tu es malheureuse, pleure si tu es aussi heureuse que malheureuse, pleure si tu as envie de pleurer…Mais s'il te plait Shiho, cesse de souffrir, cesse d'avoir peur de te montrer telle que tu es. Cesse de tout garder pour toi, tes malheurs comme ton bonheur. »
Le regard que la scientifique leva vers la lycéenne était plus éperdu que jamais, avant que celle-ci ne reprenne la parole en souriant tristement malgré la tendresse qui pouvait se lire dans ses yeux comme dans ses caresses.
« Je veux te voir malheureuse, pour pouvoir te consoler. Je veux te voir heureuse, pour être heureuse à mon tour. Je veux te voir, toi. Je veux voir cette personne qui m'a embrassé, je veux la voir ne plus avoir peur ni de blesser les autres, ni d'être blessée par les autres. Je ne veux plus te voir avoir peur de tes sentiments et de ce que les autres peuvent en penser. Je…Je veux…je ne veux plus cacher ce que je ressens à ceux que j'aime, je ne veux plus souffrir en faisant cela, et je ne veux plus te voir souffrir en faisant la même chose. »
Et face à la chaleur des sentiments comme du corps qu'elle sentait à travers la chemise qu'elle agrippait faiblement d'une main tremblante, Shiho cessa de retenir les larmes comme les émotions qu'elle gardait au fond d'elle-même depuis des mois. La tristesse d'avoir perdu sa seule famille. La rancœur à l'égard du détective qui n'avait pas pu sauver sa sœur comme à l'égard de la criminelle qui avait été responsable de sa mort, et de celles de tant d'autres innocents. La joie de se sentir encore en vie quand elle s'éveillait chaque matin depuis sa fuite hors du syndicat. Le bonheur d'être environnée par la sollicitude d'un vieux savant, le courage d'un lycéen fanatique de Sherlock Holmes et l'innocence de ces trois enfants qui lui avaient offert leur amitié. Tout ces souvenirs, toutes ces souffrances comme toute ces joies, tout cela se mélangeait dans les larmes que Ran essuyait doucement en passant sa main le long du sillon qu'elles creusaient.
Lorsqu'elle n'eût plus de larme à verser, Shiho ferma doucement les yeux en se blottissant contre celle qui avait resserré son étreinte. Ce sentiment ne s'était pas dissipé en même temps que les larmes qu'il lui avait fait verser, au contraire il semblait gagner en intensité au point de la faire presque suffoquer mais petit à petit, ses souffrances se dissipèrent tandis que ce sentiment indéfinissable perdurait. Le fardeau qu'elle avait senti peser sur elle s'était évanoui, au point qu'elle se sentait à présent légère, si légère qu'elle aurait pu s'envoler dans les airs si son ange gardien n'avait pas maintenu contre lui cette âme qu'il avait libéré de ses peurs comme de ses crimes.
Au moment où elle leva doucement ses paupières pour adresser un regard de bonheur et de gratitude à celle qui continuait de faire glisser ses doigts le long de ses joues, que les larmes avaient rendues humides, la chimiste sentit le rythme des battements du cœur contre lequel elle avait posé son oreille gagner en intensité. Refermant sa main autour de celle de Ran, la chimiste la fit glisser doucement le long de son corps jusqu'à la poser délicatement sur son propre cœur, qui avait commencé à s'harmoniser avec cette merveilleuse musique qu'elle continuait d'entendre.
Le léger rougissement qui avait coloré le visage de la lycéenne arracha un sourire attendri à la scientifique. De longues minutes s'écoulèrent tandis que les deux jeunes filles continuaient d'écouter leurs deux cœurs battre à l'unisson, de longues minutes avant qu'une voix timide ne résonnent au sein de la plus douce et la plus silencieuse des mélodies.
« Shiho, je…je voudrais que tu…Est-ce que tu pourrais… »
« Oui ? »
Ran ferma les yeux d'un air gêné en murmurant sa requête.
« Est-ce que tu pourrais…me serrer dans tes bras ? Cela faisait si longtemps que je voulait que ce soit toi qui le fasses…qui puisse le faire… »
Se dégageant doucement de l'étreinte de la lycéenne, la scientifique se leva avant de poser délicatement les mains sur les épaules de son amie pour la forcer à s'asseoir sur la chaise qu'elle venait de quitter.
Ce n'était pas la première fois que la jeune femme s'installait devant ce miroir, mais auparavant elle avait toujours eue une petite fille sur ses genoux quand elle le faisait, une petite fille dont elle brossait délicatement les cheveux, de la même manière que l'avait fait sa grande sœur avant elle.
Mais aujourd'hui cette fillette avait définitivement disparue pour laisser la place à celle qui l'entourait tendrement de ses bras, tout en laissant ses doigts glisser lentement le long de la chevelure d'un noir de jais sur laquelle elle frottait doucement sa joue.
Après avoir écarté avec délicatesse les longs fils sombres dont elle sentait le contact soyeux contre la peau de son visage, la chimiste déposa doucement ses lèvres sur le cou qu'elle venait de dévoiler.
Si ce simple baiser avait déjà suffit à faire frémir Ran, elle contempla son propre visage devenir écarlate quand elle vit celle qui l'étreignait défaire le premier bouton de sa chemise blanche, avant d'y glisser doucement sa main.
Le murmure suppliant de la jeune femme mourut sur ses lèvres devant la délicatesse des doigts qui parcouraient doucement son corps dénudé. Du reste la scientifique interrompit très vite son exploration lorsqu'elle sentit le cœur de celle qu'elle aimait contre la paume de sa main.
Baissant doucement ses paupières, la chimiste se laissa envahir par la douceur et la chaleur qu'elle découvrait, avant de se laisser doucement bercer au rythme de la respiration irrégulière de son amie. Et chacune des oscillations qui soulevaient sa main lui rappelait que celle qu'elle étreignait était en vie et à quel point elle était heureuse de pouvoir constater ce simple état de fait : celle qu'elle aimait plus que tout au monde vivait encore. Elle était là, elle demeurait là, elle n'était pas seulement présente auprès d'elle, mais présente quelque part dans ce monde qui l'avait tant fait souffrir.
Celle dont elle sentait la main se poser doucement sur la sienne à travers le tissu de sa chemise était là, avec ses peurs, sa timidité et ses appréhensions certes, mais elle était là et surtout elle était heureuse d'être là, auprès d'elle.
« Merci…. »
Ran émergea doucement du monde de sensations nouvelles dans laquelle son amie l'avait plongé, un monde dans lequel elle désirait s'enfoncer un peu plus tandis qu'elle gardait ses yeux clos, un monde dans lequel elle s'attardait, au lieu de répondre aux doux murmure que lui avait glissé dans l'oreille celle dont elle n'avait jamais senti la tendresse de manière aussi intime qu'à l'instant présent.
« Merci de m'avoir donné envie de devenir une adulte. »
« Tu était déjà une adulte avant de me rencontrer. Tu as vécu tellement plus de chose que moi, tu as tellement plus souffert que moi… »
« Oui, les adultes souffrent et c'est bien pour ça que sans toi, j'aurais tout fait pour rester une petite fille…Pour ne plus souffrir et ne plus faire souffrir les autres. Mais c'est toi qui m'as appris que les adultes pouvaient aussi m'apporter le bonheur, que ma sœur n'était pas une exception. C'est toi qui m'as appris quel genre d'adulte je voulais devenir. »
La lycéenne se mit à sourire tendrement en laissant son autre main se poser sur celle qui lui caressait doucement les cheveux.
« Et tu es l'une des deux personnes qui m'as apprises à faire face à mes problèmes au lieu de toujours compter sur les autres pour les résoudre à ma place… »
Shiho se mit à sourire à son tour.
« Moi, il m'a fallu trois personnes pour apprendre cela. Une petite fille, un imbécile de détective…et toi… »
Pendant un court instant, les deux jeunes filles sentirent auprès d'elle la présence de celui qui les avait réunis sans le savoir, la seule personne qui était en mesure de les séparer aussi. Mais lorsqu'elle sentit la main de son amie presser doucement la sienne contre son cœur, la chimiste fût obligée de constater avec soulagement que le détective n'y avait pas la même place qu'elle.
« Ran, est ce que tu pourrais…m'aider…Est ce que tu voudrais…devenir totalement une adulte avec moi ? »
Ouvrant doucement les yeux, la lycéenne contempla le visage de son amie dans le miroir qui lui faisait face, un visage sur lequel se reflétait le même mélange de timidité, d'incertitude et de désir que sur le sien… Le désir de ne plus rien sentir entre elles, que ce soit des secrets que l'on gardait pour soi afin de protéger l'autre, la peur de perdre celle qu'on aimait, ou l'incertitude sur l'amour qu'on éprouvait pour elle.
Lorsqu'elle sentit la jeune femme écarter doucement sa main, Shiho retira la sienne de la chemise qu'elle avait entrouverte, permettant ainsi à celle qu'elle venait de libérer de son étreinte de se lever doucement de sa chaise, pour lui faire face autrement que par l'intermédiaire d'un miroir.
Entraînant doucement la scientifique vers le lit qu'elle avait plusieurs fois partagé avec une certaine petite fille, Ran invita silencieusement son amie à s'y asseoir à ses côtés.
Obtempérant à la requête de celle qu'elle aimait, la chimiste baissa timidement les yeux, hésitant à franchir d'elle même le seuil de ce monde qu'elle voulait explorer avec celle qui avait remplacé sa grande sœur, de toutes les façons possibles…
Lorsqu'elle sentit Ran l'enlacer tendrement, Shiho consentit enfin à lever les yeux vers elle, pour se perdre dans la tendresse qui se reflétait dans le regard compréhensif de celle qui se penchait doucement, de manière à ce que leur lèvres entrent en contact de nouveau.
Et ce baiser suffit à faire s'évanouir les dernières traces de la peur qui avait hanté la chimiste la majeure partie de sa vie, la peur de blesser les autres ou d'être blessé par les autres…De la même manière que ce baiser ôta à Ran les dernières traces de l'incertitude qui l'avait toujours rongé depuis la séparation de ses parents, l'incertitude de voir revenir la personne qu'on aimait. Que ce soit une mère, un ami d'enfance ou celle qui avait pris sa place dans son cœur…
