Légende urbaine ?

Les filles attendirent la nuit tombée pour quitter la base, revêtues de tenue civile afin de se fondre dans la masse. Elles se déplacèrent avec discrétion et parvinrent à rejoindre sans problème les fortifications de la ville avant de se stopper.

- On ne va quand même pas rejoindre la sortie principale de la ville ? On va se faire repérer, fit remarquer Abby.

Mais sa comparse l'ignora et Liza s'engouffra dans une fissure présente dans l'un des murs. Abby la suivit de près et les deux jeunes femmes se retrouvèrent sur une petite falaise qui surplombait les hauteurs de la basse ville. Liza tendit le pied droit au-dessus du vide et déclara en accordant un sourire carnassier :

- Prête à me suivre ?

Puis, sans plus de cérémonie, elle se laissa tomber, disparaissant dans le nuage verdâtre.

- Je n'aurais jamais cru que tu étais suicidaire à ce point, susurra la voix.

Abby leva les yeux au ciel avant de reculer de quelque pas pour préparer son saut.

- Je ne veux pas t'entendre, je te l'ai déjà dit, il me semble.

Elle fléchit les jambes pour y prendre appuie avant de courir et de sauter à l'intérieur du nuage.

Elle se rattrapa de justesse à une corniche en pierre et se hissa dessus afin de mieux observer son environnement.

Une forte musique électro résonnait en contrebas, les nuages de fumée vert n'étaient pas que pour l'apparence et dégageaient une odeur nauséabonde, envahissant l'atmosphère entier et forçant Abby à se couvrir le nez, prise par surprise car ne s'attendant certainement pas à recevoir une attaque olfactive.

Les rues pavées et crasseuses étaient éclairées par des néons de tous les couleurs, affichant les nombreux habitants qui déambulaient et qui hurlaient des phrases incompréhensibles.

- Basse ville porte vraiment bien son nom, fit remarquer la voix de Liza.

Abby se retourna et la vit marcher tranquillement sur le toit en métal au-dessus d'elle. Quand elle sauta à son niveau, Abby remarqua à ses pieds plusieurs araignées s'écarter du chemin pour rejoindre des coins plus sombres et s'y terrer. Abby rejoignit son amie.

- Tu as une idée où aller se renseigner ?

Liza examina la ville avec minutie avant que son regard ne s'immobilise. Elle déclara en pointant un lieu du doigt :

- Le bordel juste-là, on dit que les meilleurs confidences se font sous l'oreiller.

- Je te suis, dans ce cas.

Liza eut un signe de la tête et les deux comparses partirent dans une suite de sauts acrobatiques pour rejoindre le sol crasseux où elles atterrirent sans mal. Elles se dirigèrent vers le bâtiment de métal tout en rabattant leur capuche afin de ne pas être démasquées par les hommes de l'araignée. Malgré l'animation des rues, elles parvinrent facilement à l'établissement de plaisir et Liza fut la première à entrer. Elle s'avança d'un pas décidé vers le comptoir.

- Que désirez-vous ?

Liza s'appuya contre la tranche du bureau tandis qu'Abby étudiait les alentours d'un œil suspect, la main portée sur la crosse de son pistolet.

- Mon amie et moi sommes de passage et on aimerait bien être détendue.

L'hôtesse, une vieille dame d'une cinquantaine d'année au regard creusé et fatigué, étudia longuement les deux jeunes femmes.

- Cela fera deux cents berry l'heure pour toute les deux. Le paiement se fait tout de suite. Une préférence ?

- Quelqu'un de douce si possible, demanda Liza d'une voix mielleuse en déposant l'argent sur le comptoir.

L'hôtesse saisit les pièces de sa main ridée et compta minutieusement avant de donner une clé portant le numéro douze. D'un coup de tête, elle désigna les marches pour les étages supérieures.

- Montez dans la chambre portant votre numéro, Rubis vous rejoindra dès qu'elle aura fini avec son précédent client.

- Merci.

Liza indiqua son amie de la suivre d'un signe de tête et elles montèrent le vieil escalier en bois qui grinça sous leur pas. Une fois en haut, l'étage dévoila un large couloir aux nombreuses portes closes et au papier peint rouge avec des touches d'or qui s'était écaillé avec le temps, preuve du nombre d'année écoulé.

- N'oublie pas de me filer cents berrys lors de ta prochaine paie, fit Liza.

Elles passèrent devant plusieurs portes où des soupirs et autres bruits charnels s'en échappaient. Liza s'arrêta devant une des portes en bois sombre et abimée et l'ouvrit rapidement avant de laisser son amie s'engouffrer à son tour et refermer derrière elle.

- Je sais pas toi, mais je trouve la déco immonde, critiqua Liza.

La pièce de bonne taille au parquet foncé offrait un immense lit à baldaquin noir mat, tandis qu'un petit salon prenait place à quelque mètre à peine autour d'un canapé. Abby en profita pour explorer la pièce et découvrit la salle de bain où une fine couche de poussière prenait place sur les meubles sur lesquels Abby y passa son doigt.

- Qu'est-ce que tu fais ?

- J'explore un peu le lieu à la recherche d'indice.

Abby d'apprêtait à avancer vers la baignoire quand elle manqua de peu d'écraser une araignée qui alla se réfugier sous un meuble.

- Faudrait qu'il pense à faire un petit coup de ménage, je ne pensais pas qu'il y avait autant d'araignée qui pullulaient ici.

Mais Liza ne lui répondit pas, forçant Abby à quitter la salle de bain et la rejoindre. Son regard rencontra le corps svelte d'une jeune fille à peine majeure au long cheveux blanc, ses vêtements se composaient d'une simple robe légère aussi blanche que ses cheveux. Tout dans son être respirait l'enfance.

- Je suis Rubis.

Elle s'avança pour refermer la porte, puis, elle se dirigea vers le lit et se tourna vers les deux jeunes femmes qui l'observaient d'un regard surpris, mais Liza la stoppa en la voyant porter sa main à la bretelle de sa robe.

- Attend ! On n'est pas venue pour ça !

Rubis s'immobilisa soudainement, surprise par l'éclat de la violette avant de se tourner vers Abby.

- On est pas venue passer la nuit avec toi, on est venue te poser des questions.

Le regard surpris de la prostituée devint rapidement horrifié et elle étudia chaque recoin de la chambre d'un regard apeuré.

- Vous devriez quitter cet établissement !

- Nous sommes des marines, on est venue te parler de l'araignée, calma Abby en s'approchant.

Mais la prostituée se rebiffa et reprit encore apeurée :

- Elle sait que vous êtes là.

- Personne ne sait que nous sommes là, même pas nos supérieurs.

- Alors regagnez la haute ville, sur le champ ! Vous n'avez pas idée des ambitions et du pouvoir de l'araignée !

- Dis-nous juste ou elle se trouve, lui demanda Liza.

Mais quelque chose d'étrange se déroula.

La prostituée aux cheveux blanc ouvrit la bouche pour ne pas en sortir des mots mais un flot de sang en jaillit. Rubis s'écroula lourdement au sol, faisant bouger les deux marines. Abby se précipita à son chevet pendant que Liza ouvrit la porte à la volée.

- FAITE VENIR UN MEDECIN ! IMMEDIATEMENT !

- Rubis ! Reste avec moi !

Du regard, la brune vit une araignée se réfugier sous le lit tandis qu'une marque violacée était présente au-dessus du coude droit de la blanche.

- A-Attends, prononça Rubis entre deux crachats de sang.

La prostituée lui saisit la main pour la serrer et murmurer avec peine :

- P-Personne n-ne v-vous aidera... E-Elle... tue t-toute personne qui t-tente quelque c-chose...

- Garde tes force Rubis, tu vas t'en sortir.

Mais alors que le couloir devenait bruyant à cause du remue-ménage provoqué par les hurlements de Liza, Abby vit seulement le regard de la blanche s'éteindre tandis qu'une larme coula sur la joue de la fillette.

Comprenant son destin funeste, Abby ferma les yeux de la petite et ferma les siennes pour émettre une prière silencieuse tandis que sa main se resserra autour de la défunte. Elle ne les rouvrit qu'une fois avoir entendu Liza s'exclamer derrière.

- C'est pas vrai !

Abby posa le corps de la défunte au sol avec précaution et indiqua au médecin qui accourait dans la chambre :

- C'est inutile, elle est morte. Prévenez sa famille.

Le médecin ferma les yeux en soupirant, il saisit un des draps de la chambre et recouvrit le corps de Rubis afin de lui octroyer un peu d'intimité. Il se releva et déclara sombrement.

- Ce n'était qu'une enfant qui n'avait probablement pas de famille.

- Mais elle était à peine majeure ! Rétorqua Liza dégoutée par le sort réservé aux filles de la ville.

Le médecin se tourna vers les deux jeunes femmes, il comprit rapidement d'un coup d'œil qu'elles n'étaient pas originaires de l'île. Il se dirigea vers la porte et la referma afin d'être un peu en privée avec les deux jeunes femmes. Une fois le silence de nouveau roi, il déclara :

- C'est le sort réservé aux enfants dans cette ville. La plupart des familles sont trop pauvres pour nourrir tout le monde alors dès qu'ils ont atteint sept ans, ils sont souvent payés à faire de petites tâches comme surveiller de la marchandise ou trainer leur oreille pour récolter des informations pour le compte de quelque dealers. Une fois les enfants approchant l'âge majeur, ceux nés hommes peuvent servir de gros bras, mais celles nées femmes sont alors-

- Elles sont destinées à grossir les bordels de la ville.

Le médecin hocha de la tête avant de reprendre :

- Elle s'est fait piquer par une araignée ?

- Comment avez-vous su ? Demanda Liza.

- Vous n'avez pas l'air d'être originaires d'ici, sinon vous auriez su que quiconque commence à divulguer des informations compromettantes de l'araignée se fait automatiquement piquer par l'une d'elles.

- Il y a quelque chose que je ne comprends pas, pourquoi le peuple ne s'est pas révolté ?! On maltraite les enfants et un règne de terreur s'est mis en place alors pourquoi personne ne fait rien ? Demanda Liza sévèrement.

Le médecin ferma les yeux en songeant sans peine à cette nuit de massacre auquel il avait assisté.

- Parce qu'il est difficile de se rebeller face à des gens à qui il a fallu seulement une nuit pour massacrer la moitié des membres de chaque famille de cette ville.

- Raison de plus pour se rebeller !

- Les gens d'ici ne sont pas des combattants et il est facile de mettre en place un règne de terreur quand les gens sont déjà brisés.

Tandis que Liza exprimait sa rage et que le médecin tentait de ne rien divulguer de plus, Abby vit d'un œil avisé, une petite araignée se diriger vers le médecin. Brusquement, elle sortit son pistolet et tira plusieurs coups de feu en direction de l'animal qui ne survit pas à l'attaque faisant stopper l'échange houleux entre les deux protagonistes.

- Vous venez de tuée une araignée ? Demanda le médecin choqué par le geste.

- Je pense qu'elle allait vous piquer, répliqua platement Abby en rechargeant son arme.

- Alors vous devez quitter cette partie de la ville sur le champ.

- On ne partira pas sans avoir combattu l'araignée, répliqua Liza.

- Si vous ne partez pas, elle va vous retrouver et vous tuer. Vous avez commis un affront.

- J'ai juste tuée une de ces araignées !

- C'était la pire chose à faire, prévint le médecin sombrement.

Il ouvrit la porte et déclara simplement avec une pointe d'émotion.

- J'ai été ravi de faire votre connaissance et je vous souhaite de ne pas mourir dans cette ville que j'ai autrefois aimée.

Puis, il claqua la porte, laissant les deux marines face à face.

- J'espère que t'es pas phobique des araignées parce que j'ai bien l'impression qu'on va aller tout droit dans sa toile.

Abby sourit face au jeu de mot de son amie avant de la suivre pour quitter à leur tour la pièce grouillante. Elles quittèrent définitivement le bordel sous les regards suspicieux des autres clients.

Cependant, la mort de Rubis avait rapidement fait le tour du quartier car les habitants les évitaient à présent comme la peste.

- Nous voilà devenues des pestiférées, apparemment, fit remarquer Abby.

- On la trouvera sans doute plus facilement.

Mais alors que les jeunes femmes s'engouffraient dans une impasse, Abby ne sentit que trop tard une vive douleur lui traverser le corps depuis le cou.

- Aïe !

Elle claqua son cou de sa main et regarda sa main se teinter de rouge alors que Liza récupérait le cadavre d'une araignée qu'elle a tué dans ses cheveux.

- Abby...

Mais la brune sentait son corps s'engourdir et sa vision se brouiller.

- Et merde.

Ce fut les derniers mots soufflés avant que les jeunes femmes ne s'écroulent sur le sol, perdant progressivement connaissance.