Famille Whiteman
L'ombre jaune, en roller, qui avait manqué de percuter Emma avisa sa montre et ses yeux noisette s'écarquillèrent. Elle s'exclama, paniquée :
- J'suis trop en retard ! CHAUD DEVANT !
Elle bifurqua avec rapidité et inconscience en direction d'une des rambardes de terre, qui servait de balcon à la cité de couleur.
- 'Tention en bas ! J'ARRIVE !
Elle fit basculer ses jambes par-dessus ces dernières et faillit percuter de plein fouet une blonde trop joyeuse qui ne regardait pas devant elle. Son amie lui agrippa le col et la fit brutalement reculer, évitant une collision qui aurait pu être problématique. Elle se redressa sur ses rollers et lâcha un sourire soulagé à la jeune femme à la peau diaphane.
- Désolée, mais je suis grave en retard !
Puis, d'un puissant coup de roller et faisant tinter ses pistolets contre ses hanches, elle s'éloigna tout en sautant par-dessus une rivière sous les regards surprit des passants qui durent piler par ne pas provoquer d'accident.
- Elle avait l'air trop cool ! S'extasia Clara les yeux brillants.
- Les jeunes de nos jours ne respectent vraiment plus rien, maugréa Animerya de son côté.
- Roh ! Soit pas rabat-joie ! Contra Clara avec un sourire d'idiote.
La vampire ne releva pas la dernière phrase de sa capitaine et remit correctement le sac en toile contenant la totalité de leur trésor contre son épaule avant de demander.
- Sommes-nous loin des hauteurs de la ville ?
Un peu plus éloignée d'elles, Alice indiqua alors les bâtiments qui se trouvaient à une vingtaine de mètre d'elles.
- Je dirais que nous serons là-bas en quarante minutes.
- Alors pressons le pas, je ne souhaite point m'éterniser ici.
Les deux humaines hochèrent la tête et ne tardèrent pas à rejoindre les hauteurs les plus luxueux de la ville où d'innombrable boutiques de luxe se côtoyaient au restaurant des plus classiques. Ce fut le signal pour appâter une vampire qui lâcha prestement le sac en toile.
- Attention ! Avertit Alice en vérifiant que la toile n'était pas abimée.
La vampire, dont les yeux étaient rivés sur un sac en cuir noir à travers la vitrine du magasin de luxe, reprit :
- Me demandez-vous de faire attention alors que cette beauté n'attend que ma sainte personne ?
Les filles auraient pu jurer avoir déceler une pointe d'excitation dans la voix de la vampire qui se dirigeait vers l'entrée du magasin.
- Veuillez m'attendre, je n'en ai point pour très longtemps.
- M-Mais tu n'as p-pas d'ar-argent, balbutia Alice.
- Ne me sous-estimez point.
Elle leur adressa un sourire joueur avant d'entrer, Alice serra le sac dans ses bras en soupirant tandis que Clara se laissa tomber, les fesses la première, contre les dalles en pierres, nullement inquiétée par les passants qui pestaient devant peu de manière. Les minutes passèrent pendant laquelle Clara avait toujours les yeux rivés sur la porte d'entrée.
- C'est looooooong, gémit Clara en soupirant.
- E-Elle a dit qu'elle n-n'en avait pas p-pour longtemps.
Un autre soupir à fendre l'âme franchit les lèvres de la capitaine quand Animerya finit par ressortir de la boutique les bras chargés de plusieurs sacs portant le logo de la marque au contenu inconnu.
- Toujours aussi peu de classe, très chère Clara, souligna Animerya en voyant sa capitaine assise sur le sol.
- C-Comment tu as f-fait pour a-acheter tout ça ?!
Pour toute réponse, la vampire fourra les six sacs à la dimension disproportionnée dans les mains d'Alice, tout en récupérant le sac en toile. La navigatrice en fut si surprise qu'elle tituba sur plusieurs pas sous le poids non négligeable. Elle tentait de reprendre correctement la hanse des sacs tandis que la vampire mit une paire de lunette qu'elle venait d'acheter sur son nez avant de pousser le sac en toile contre Clara.
- Veuillez ne point me sous-estimer. De plus, je vous prierai de porter cette immondice à ma place, je ne souhaiterais pas ruiner ma magnifique manucure.
Puis, elle tourna les talons en direction du bureau de change qui se profilait à quelque mètre devant elle, tandis que les deux autres pirates s'adressaient des regards surpris pour l'une et amusé pour l'autre.
De son côté, l'ombre jaune finit par arriver à son point d'arrivée en sautant depuis un mur de plusieurs mètres avant de stopper sa course folle en roller à l'entrée d'un hangar. Elle posa ses mains sur ses genoux et tenta de reprendre sa respiration d'avoir roulé dans toute la ville comme si elle avait le diable à ses trousses.
- Cylia ?
L'ombre jaune releva la tête et essuya d'un revers du bras la sueur qui perlait à son front. Elle plongea son regard noisette dans celui de la jeune femme avec qui elle partageait des traits communs.
- Célène, répondit Cylia.
Âgée de vingt-cinq ans et frôlant le mètre quatre-vingt, Célène avait des cheveux châtains, qu'elle avait lissé et retenu en une haute queue de cheval, et était habillée d'un simple débardeur blanc, mettant en valeur sa peau métisse, et d'un pantalon en toile beige, qui lui donnait un air décontracté.
- Est-ce que je peux savoir ce que tu fais dans la réserve de bois ?
Cylia donna un coup de talon au sol, transformant ses rollers en une simple paire de chaussure, les roues rentrant dans la semelle par un mécanisme assez ingénieux.
- J'aime bien admirer la qualité du bois qu'on vient de recevoir.
Elle sortit de la réserve, faisant voler ses cheveux bouclés qui lui collaient à la peau dû à sa transpiration, en dépassant la plus âgée.
- Grand père n'apprécie pas ton retard, je ne pourrais pas toujours te couvrir, prévint Célène d'un ton sévère.
Cylia se stoppa et, laissant fleurir un sourire goguenard sur ses lèvres, dit :
- Mais je sais que ma grande sœur chérie ferait toujours le nécessaire pour me couvrir ! En plus, je suis en train de mettre au point une petite pépite.
- Que j'espère ne nous explosera pas en pleine figure comme les autres fois.
Cylia se retourna tout en marchant en arrière, elle reprit l'air de rien :
- Je ne voie pas de quoi tu parles, toute mes créations sont des réussites.
Son dos rentra en collision avec un torse baraqué. Une voix âgée et sévère s'éleva :
- J'espère pour toi que tu as compté les six fois où tu as fait exploser mon atelier.
Cylia s'écarta rapidement du nouvel arrivé et répondit, une pointe de panique dans la voix :
- Grand père Narcis !
- Ou étais-tu donc passé, Cylia ?
Le grand père des deux jeunes femmes était un homme âgé possédant une certaine prestance sans doute liée à son âge, il avait de courts cheveux blancs ainsi que le même regard noisette que ses deux petites-filles.
- J'étais en train de regarder la réserve, répondit la plus jeune priant pour qu'il croit à son mensonge.
- Tu n'étais pas en train de trainer aux écrous de Vexford, par hasard ? Demanda Narcis.
Voyant la plus jeune en train de se faire démasquer dû à son piètre son mensonge, Célène intervint :
- Cylia était au magasin parce que je lui ai demandé.
- Et pour quelle raison l'aurais-tu envoyé là-bas, ma chère Célène ?
- J'avais besoin d'un morceau de métal en particulier pour finir un travail et Cylia a une aisance à reconnaître la qualité des métaux, grand-père.
Il planta son regard dans celui de la troublion, qui renchérit vivement :
- C'est exact ! Je sais que tu déteste que j'aille là-bas parce que tu considères que c'est une perte de temps mais Célène en avait besoin, alors je t'ai menti pour ne pas te fâcher.
L'homme soupira devant l'alliance des deux jeunes filles et abdiqua.
- À vrai dire, j'aurais préféré que tu t'y rendes toi-même, Célène. Le jeune Kendrick est un beau parti pour toi.
- Ok, la suite, c'est sans moi, lâcha aussitôt Cylia.
- Pas si vite.
Cylia soupira avant de se tourner au ton dur de son grand-père.
- On en a déjà parlé, on ne veut pas penser à ça.
- Mais quand y penserez-vous ? Vous êtes dans la fleur de l'âge, il est donc normal que vous trouviez quelqu'un rapidement.
- Grand-père, ce que veut dire Cylia, c'est que pour l'instant, nous n'avons pas la tête à ça. On préfère se consacrer à notre travail plutôt que de nous marier et fonder une famille, termina Célène.
- Les jeunes de nos jours.
Sous le soupir résigné de leur grand-père, les deux sœurs se lancèrent un regard amusé. Le moment fut coupé par une question d'une étrangère.
- Excusez-moi, mais est-ce bien ici le point de commerce des charpentiers ?
Les trois membres de la famille se tournèrent vers la nouvelle voix et Cylia cria en les reconnaissant.
- Mais vous êtes ceux que j'ai failli percuter ?!
- C'est toi, la bombe jaune ?! Retourna Clara en la pointant du doigt.
Célène soupira mais reprit avec un air amusé :
- Toujours aussi maladroite, petite sœur. Pour vous répondre, oui, vous vous trouvez au commerce des Whiteman. Qu'est-ce qu'on peut faire pour vous ?
La jeune Célène détailla les trois jeunes femmes et alors que la jeune femme à la peau diaphane s'apprêtait à répondre, le hurlement de Cylia qui arrachait presque le fouet à la ceinture de l'une d'elles surprit tout le monde.
- Regardez-moi ce travail d'amateur ! Un cuir des plus classiques et mal entretenu, en plus ! Je vois un nombre incalculable de minuscule entaille qui ne vont pas tarder à couper en deux la lanière !
- Cylia...
Celle-ci appuya sur le bouton, dévoilant les piques sur la lanière qui finirent de la faire sortir de ses gonds.
- En plus, les piques ne doivent plus couper grand-chose ! Je vois même que certains sont effilés ! Franchement, à ce rythme, c'est de l'irrespect, voire même de la maltraitance ! Tu n'as pas honte ?!
- Euuuh, bah, e-en fait-
- Ne dis rien ! Ça vaut mieux pour toi !
- Cylia !
- Quoi ?! J'ai bien le droit d'admirer des armes ! Bon, même si celle-ci est dans un mauvais état, pesta Cylia.
Les mains sur les hanches, Célène soupira face à la passion de sa sœur pour les armes. Elle ne pouvait vraiment pas s'empêcher de couper court n'importe quelle conversation dès qu'elle apercevait la moindre arme mais Célène savait aussi que son admiration était liée à son rêve.
- Moi, à ta place, je changerais le cuir de la lanière pour un plus robuste.
- Du buffle, par exemple ? Proposa la propriétaire
- Oublie, c'est beaucoup trop utilisé et ça ne résistera pas dans le temps.
- Cylia, pouvons-nous revenir à la raison de leur venue ? Demanda Célène.
- Ah oui ! Désolée !
Cylia redonna alors l'arme à la pirate avant de se diriger vers un plan de travail, sa sœur étant plus à l'aise avec les clients qu'elle. L'ainée prit à nouveau la parole tandis que son grand père s'éloignait pour laisser la gérance à sa petite-fille.
- Que pouvons-nous faire pour vous ?
- Notre bateau aurait sans doute besoin de réparation, on voudrait que vous jetiez un œil.
- Ce soir ? Demanda Célène.
- Si possible, oui, répondit Animerya.
- Je suis désolée mais nous ne travaillons pas jusqu'à demain matin
- Pourquoi ? Demanda Clara avec surprise.
- Nous fêtons ce soir notre fête annuelle, la fête du citron.
- La fête du citron ? Demanda Alice et Clara en même temps.
- Exact, notre ville est parmi les premières exportatrices de citron au monde. Alors nous célébrons une fête tous les ans afin de clôturer les récoltes.
- C'est bien la première fois que j'entends parler d'une fête du citron, fit remarquer Animerya avec condescendance.
- Y'aura à manger et à boire ?! S'écria Clara le sourire aux lèvres.
- Oui, tout le monde est invité, bien entendu.
- Même les pirates ? Contra Animerya, d'une voix toujours aussi arrogante.
Mais Célène esquissa un sourire rassurant.
- Même les pirates, je serais d'ailleurs ravie de vous y voir pour discuter de votre bateau.
- Chouette ! On va trop s'éclater !
Voyant la mine réjouit de la capitaine, les deux autres pirates abdiquèrent et alors qu'elles reprenaient la route pour rentrer au navire, Célène leur donna des informations complémentaires pour l'événement à venir.
- Ça se passera sur la place, au dernier niveau de la ville. J'espère vous y retrouver.
- T'inquiète pas pour nous ! On dit jamais non à une fête ! Lui dit Clara.
Célène les vit s'éclipser et c'est avec un sourire apaisé qu'elle sentit qu'elle pouvait représenter son ticket pour partir à l'aventure et découvrir le monde.
