Chapitre 56
Diagnostique funèbre
La fête du citron prit fin quand les premiers rayons du soleil balayèrent l'île de Vexford.
Alors que la plupart des habitants étaient allés dormir depuis un moment, seule une jeune femme restait bien éveillée au point d'abattre fastidieusement son marteau sur un clou afin de maintenir une planche de bois à sa place. Les rayons du soleil pénétrèrent dans le hangar, dévoilant qu'elle était en train de travailler sur un sloop de guerre possédant deux mats et une tête de proue d'une raie manta, la coque au bois sombre ornait de multiple écaille au reflet turquoise possédait aussi de nombreuses trappes laissant présager la puissance de feu du navire. Détail qui plaisait particulièrement Cylia qui avait fabriqué ce navire toute seule et qui comptait bien le revendre afin d'en tirer un maximum de profit. Après tout, tout le monde recherche un moyen de se protéger de toutes les menaces possibles.
La jeune Whiteman sourit en caressant la coque et en songeant à l'avenir qu'elle pourrait réserver à son petit bijou d'armement.
- Il est magnifique.
Entendant la voix de sa grande sœur, Cylia se tourna vers cette dernière et répondit fièrement :
- Tu sais que je l'ai construit moi-même ?
- Combien d'arme possède-t-il ?
- Vingt canons au total et toute la cale est aménagée pour être un atelier de fabrication.
Célène glissa un regard à sa sœur et demanda :
- Un atelier d'armement, je suppose ?
Mais la question fut laissée sans réponse. La plus grande s'approcha et demanda sérieusement :
- Capacité à résister au dégât ?
Comprenant que sa sœur voulait savoir si elle avait tout prévue, Cylia commença à énumérer d'une voix toute aussi sérieuse.
- Elevée, il a été entièrement fabriquer en bois issue des mangroves de Shabaody et recouvert d'une couche de vernie le rendant incombustible.
Un détail fit réagir Célène et elle ne cacha pas sa surprise.
- Pourquoi utiliser les mangroves de Shabaondy ?
- J'ai une idée de projet mais je dois encore le peaufiner, car s'il fonctionne alors je suis certaine qu'il sera l'un des meilleures navires à pouvoir semer ses poursuivants.
Célène adressa un sourire confiant à sa sœur avant de lui frotter énergiquement les cheveux.
- Et je suis sûre que tu y arriveras, tu es une des meilleures dans ce domaine.
- C'est plutôt toi la qui reste la meilleure, contra Cylia dans un rire.
- Charpentière sûrement, mais pas dans tout ce qui concerne les armes. Pour ça, tu me dépasse largement et je sais que tu accompliras ton rêve sans problème.
Cylia offrit un sourire heureux à sa grande sœur qui admirait le navire d'un regard fier. Mais Cylia remarqua aussi la ceinture de cuir ornée de multiple outil à la taille de sa sœur.
- Tu vas aller réparer un navire ?
- Plutôt rendre visite aux pirates qui nous ont rendue visite hier.
- Les Dragons Force ? Méfie-toi, elles ont mauvaise réputation, prévint la plus petite avec inquiétude.
- Mais quel pirate n'a pas mauvaise réputation, répliqua seulement Célène.
Elle baisa rapidement les cheveux de sa sœur avant de quitter le hangar et se diriger vers l'endroit où était accosté le navire des Dragon Forces. Elle ne prit qu'une trentaine de minute à la rejoindre et, d'un œil expert, elle ne pouvait que déplorer l'état pitoyable du bois.
Elle s'approcha du navire pour l'étudier plus attentivement. De l'index, elle parcourut le bois usé et appuya légèrement dessus. Le bois se brisa dans un bruit sourd, attirant une personne en particulier.
- Dois-je vous rappeler que votre tâche est de réparer notre navire et de ne point le détruire ?
Célène plongea son regard dans celui d'Animerya qui la surplombait, un verre de vin rouge à la main. Enfin, ce que Célène pensait être du vin.
- Clara est la propriétaire du navire ?
- Il se trouve que j'ai bien plus vogué dessus que ma très chère capitaine.
- Combien de temps ?
- Je dirais deux siècles, annonça la vampire en essuyant du pouce le liquide rouge qui se trouvait à la commissure de ses lèvres.
Une réponse qui fit grimacer Célène car elle comprit que l'usure préoccupante de ce navire était en partie dû au temps passé sur les mers.
Un rictus qui n'échappa pas à Animerya.
- Un problème à déplorer ?
- Puis-je monter sur le navire pour mieux examiner les dégâts ?
La vampire s'écarta avant de laisser tomber une échelle en corde, permettant la charpentière de monter. Une fois sur le pont, Célène ne perdit pas de temps et se pencha pour mieux laisser ses doigts examiner le bois et le constat fut le même. Il était beaucoup trop fragilisé par les brusques changements de température comme pouvait l'attester la fine couche humide qui recouvrait le pont.
- Auriez-vous un début de verdict ?
- Il faut que j'aille faire un tour dans la cale.
- Je crains devoir vous en refuser l'accès car mes compagnons y dorment à poing fermé.
Comprenant que son travail est repoussé à plus tard, Célène acquiesça à cette réponse et s'étira longuement les bras.
- Pourrais-je avoir du café ?
- Il se trouve que notre seconde adore ce type de boisson, alors ce sera avec plaisir.
D'un mouvement du bras, la vampire indiqua la cuisine à leur invitée qui la suivit à l'intérieur et prit place sur une chaise, devant la table en bois. Pendant qu'Animerya préparait la boisson chaude, Célène fit parcourir ses doigts fins sur la table qui s'effritait sans effort, confortant Célène dans son diagnostic. Bien trop préoccupée par ses pensées, elle fut surprise quand Animerya posa une tasse fumante devant elle.
- Ne vous perdez point dans vos pensées, ou le café risque de refroidir.
- Merci.
La charpentière porta la boisson fumante à ses lèvres pour déguster silencieusement le liquide amer. Ani demanda après l'avoir observé un moment.
- Je suppose que vous n'avez point de bonne nouvelle à nous annoncer une fois la cale libérée ?
Célène posa la tasse sur la table et demanda curieusement en notant l'expression neutre de son interlocutrice :
- Tu en serais ravi ?
- Disons que ce navire mérite de finir dans l'eau.
Cette phrase lui arracha une grimace et elle se leva en demandant sèchement :
- Dois-je comprendre que tu as fait exprès de ne pas en prendre soin ?
- Vu les horreurs qu'il a traversées, je crois qu'il mérite d'avoir le repos.
- Comment peux-tu avoir si peu de considération pour un compagnon ? Tu n'en as que faire du klabauterman ?
- Ce ne sont que des fables futiles pour amuser les simples d'esprit répondit Ani d'un ton qui clôturait la conversation.
Célène s'apprêtait à répondre avec véhémence mais se força à se calmer pour prendre conscience de quelque chose.
- Qu'as-tu subi pour avoir ce genre de pensée ?
Les yeux d'Animerya se perdirent dans le vide pendant de longue seconde avant de répondre froidement :
- Rien qui ne te concerne.
Puis, glissant son regard de l'autre côté des hublots, où la journée avançait, la pirate se leva aussi et lissa son blazer par la même occasion.
- Allez donc examiner la cale, je transmettrais aux autres que vous viendrez nous communiquer les résultats.
Comprenant que la discussion était terminée, Célène se dirigea vers la cale tout en prenant soin à ne pas réveiller les autres pirates qui dormaient paisiblement et des fois ronfler bruyamment, certains ronflements furent si forts que Célène en sursauta et se demandait sincèrement si des porcs ne se cachaient pas entre deux caisses.
Mais elle ne perdit pas de vue son objectif et examina le bois avant d'extraire une ou deux planches, arrêtant temporairement des ronflements sûrement surpris par le bruit jusqu'à qu'un bruit sourd retentit derrière elle.
Curieuse, Célène se retourna et vit que Clara était tombée de son hamac mais nullement réveillée. Elle se roula même en boule et termina sa nuit en poussant un ronflement sonore qui fit discrètement rire Célène avant qu'elle ne retourne à son travail. Bien que le diagnostic fût sans précédent.
Elle remit la planche en bois proprement et caressa avec tendresse le bois du navire en murmurant un simple :
- Je suis désolée pour toi.
Puis, elle remonta et se rendit dans la cuisine. Notant la mine grave de la charpentière, Animerya se contenta pourtant de préparer le petit déjeuner pour le reste de l'équipage qui s'éveilla avec plus de facilité pour certaine.
- Mauvaise nuit, Emma ?
- Parle pas si fort, marmonna-t-elle en se tenant la tête.
Claire sourit discrètement en voyant l'épaisse paire de lunettes de soleil qui cachait une gueule de bois d'enfer tout en glissant un anti douleur sur la table qu'Emma avala rapidement avec une grimace.
- Et pourquoi elle est là ? Demanda la seconde en désignant Célène.
- Je suis venue pour examiner votre navire.
- Chouette ! Alors combien de temps ça va prendre ?! S'exclama joyeusement Clara.
- Pas si fooooort, se plaignit Emma.
Heureusement pour elle, mais malheureusement pour l'excitation de Clara, Célène conserva le silence faisant subtilement comprendre que quelque chose n'allait pas. Toutes attendaient le verdict quand Animerya prit la parole.
- Je suppose que c'est plus critique que nous le pensions ?
- L'entièreté de votre bateau est fichu, annonça alors Célène.
Elle poussa un léger soupir et entreprit des explications.
- Pour faire simple, tout le bois est rongé par la moisissure et l'humidité, l'eau a aussi gondolé certain endroit.
- Alors il suffit de le changer ?! Demanda Clara avec ahurissement.
- La quille est aussi attaquée et, pour faire simple, la quille représente la colonne vertébrale de votre navire, et quand celle-ci est attaquée, tout le reste est fichue.
- Impossible, souffla Alice avec tristesse.
- Que se passerait-il si nous reprenons la mer avec notre navire ? Demanda Claire d'un ton docte.
- Il y a de forte chance qu'il ne survive pas au prochain voyage car le bois se brisera sous le moindre vent violent.
Un silence pesant prit place sur le navire tandis que chacune tentait de digérer la triste nouvelle, Célène fit le choix de partir tout en informant :
- Si vous repassez à l'entrepôt, nous avons des navires à vendre pour un excellent prix.
Puis, elle quitta définitivement les pirates car elle savait que c'était un choix douloureux à faire. Enfin c'est ce qu'elle pensait.
- C'est impossible, souffla Emma en enregistrant finalement les infos.
- On ne peut pas se séparer du Santa..., déglutit Alice.
- Et pourquoi donc ? Demanda Animerya en servant une tasse de café depuis le bar.
- Je veux dire, il nous a porté jusqu'ici, ce serait injuste de se séparer de lui maintenant, retourna Alice.
- Vous avez bien entendu la charpentière, il est trop abimé pour continuer la route.
Tout les regards se braquèrent sur la vampire qui reprit, toujours aussi insensible :
- Sa route s'arrête ici, inutile de gaspiller notre salive.
- Donc, pour toi il mérite de finir au fond de la mer parce qu'il est inutile ?! S'insurgea Alice.
Les pirates furent surprises du ton colérique employé par la navigatrice, elle qui était toujours un naturel calme et timide.
- Exactement, ce n'est qu'un bateau après tout
- Mais tu t'entends parler !?
- Et toi donc ? Tu souhaiterais continuer avec un navire qui nous enverrait au fond des océans pour le principe aussi ridicule que la compassion ?
Ani posa son regard acéré sur la navigatrice et continua d'un ton hautain :
- Je te savais idiote mais point à ce point.
- Ani ! Siffla Clara.
La vampire soupira avant de se tourner vers la blonde.
- Je ne m'excuserais point pour mes propos mais qu'une chose soit claire capitaine, je ne prendrais point le risque de finir au fond de l'océan pour sauver le Santa Cruz.
Puis la vampire sortit de la cuisine, plongeant la pièce dans un silence pesant.
Du côté de Cylia, cette dernière était restée enfermée dans son atelier d'armement en train de peaufiner sa nouvelle invention quand la porte de son atelier s'ouvrit.
- Quoi de beau ?
La plus jeune se retourna en enlevant ses lunettes de protection pour y voir sa sœur accoudée contre l'embrasure de la porte.
- L'une des pirates m'a donné une idée de dingue de prothèse !
- Tu me fais voir ?
- Viens !
Célène s'approcha pour s'assoir à côté de sa sœur qui lui montra ladite prothèse qui semblait normale au premier abord.
- Je suppose qu'il y a quelque chose de caché ?
- Ouaip ! Y'a un canon à impulsion d'air ! Et en plus je pense que je pourrais lui vendre à un sacré bon prix !
- Et comment tu recharges le canon ?
- Regarde de plus près.
La plus grande obéit et remarqua que la prothèse était faite dans un métal au reflet bleuté.
- Du métal d'Askyx, comprit-elle.
- Un métal à la fois léger mais extremement résistant et ayant la particularité de pouvoir capter les vents pour recharger les batteries de ce petit bijou.
- Incroyable, commenta Célène impressionnée.
La plus grande caressa les cheveux de sa sœur et lui couvait un regard plein de tendresse quand une voix résonna à la porte.
- Je vois que tu n'as pas abandonné tes idées idiotes.
Les deux sœurs se tournèrent vers leur grand-père qui les fixait avec sévérité. Célène se releva pour faire face à son grand père.
- Grand père, Cylia me montrait juste ses dernières créations.
- Des créations qui peuvent tuer quelqu'un.
- Je te jure que je fais attention, se défendit-elle.
- Oh non, jeune fille, je me souviens encore de la fois ou tu as fait exploser une de tes bombes sur la place de l'île.
- C'était un accident.
- Aussi la fois ou tu as fait exploser plusieurs ateliers ?
- C'était un défaut de fabrication !
- « De fabrication » ? Cesse tes enfantillages irresponsables !
Cylia planta un regard noir sur son parent tandis que Célène lui intima de se taire d'un regard déterminé.
- Mes enfantillages irresponsables ?! C'est ma passion !
- Tu vas finir par tuer quelqu'un avec ta passion destructrice !
- Pourquoi tu ne fais pas la même réflexion à Célène ?! Il n'y en a toujours eu que pour elle de toute façon !
- Célène a au moins la décence de travailler pour faire vivre l'entreprise ! Tu n'as toujours pensé que pour toi et tes fichues armes qui ne causent que des dégâts !
- Grand-père ! Cria Célène pour calmer le jeu.
Les larmes aux yeux, Cylia quitta le hangar en hurlant de tout son soul :
- Je me tire ! Au moins tu ne m'auras plus dans les pattes !
- Cylia !
Mais trop tard, la porte fut claquée avec violence tandis qu'un orage venait d'éclater, Célène souffla devant cette dispute et se tourna vers son grand père avec désapprobation.
- Tu aurais pu au moins laisser couler, tu sais comment Cylia peut réagir.
Elle ne laissa pas le temps au plus âgé de répondre qu'elle sortit à son tour de la maison. La pluie battante rendait la visibilité compliquée et l'inquiétude monta en elle pensant que la maladresse de sa sœur pourrait lui causer du tort sous un tel climat.
- Cylia !
Célène appela sa sœur à plusieurs reprises, sans grand succès.
Mais cette dernière était déjà loin et elle ne souhaitait pas retourner auprès de sa famille où elle ne sentait pas à sa place. Or elle fit à peine quelque mètre qu'elle sentit qu'on l'attrapait soudainement par derrière pour plaquer un linge malodorant contre sa bouche et nez. Elle poussa un cri qui ne traversa pas le tissu et tenta de se débattre mais sentit perdre ses forces alors que le produit lui montait au cerveau. Alors qu'elle sentit sa conscience s'évanouir, elle capta la paire de yeux turquoise la fixer et un sourire narquois sur les lèvres.
