Disclaimer: Les personnages de Harry Potter ne m'appartiennent pas, mais l'histoire, si!

Couple: Harry / Draco.

Evaluation: M.

Bonsoir tout le monde !

Lys : Bonsoir :-) Nous sommes désolées pour le retard, mais nous avons eu des petits soucis…

Mais vous ne pouvez pas vraiment nous en vouloir, vu que nous avons posté deux chapitres au lieu d'un seul en décembre !

Lys : Sortez vos bazookas les jeunes, ça va chauffer !

Lys : Et nous remercions Lily Joke, notre nouvelle bêta, pour ses corrections !

Moui T.T

Bonne lecture !


Chapitre 26

Les volets empêchaient la lumière du soleil de pénétrer dans la chambre, qui demeurait sombre, bien que le jour se soit levé. Habitué à ce que l'obscurité soit la première chose qu'il voit le matin, Draco appuya machinalement sur son réveil. Il ne se souvenait pas d'avoir abaissé les volets électriques, la veille, il ne le faisait pas tout le temps. D'un autre côté, il avait été plutôt perturbé, et les seules choses dont il se souvenait, c'était du goût amer de la trahison qui lui était resté dans la bouche quand il était rentré chez lui, puis cette nuit inoubliable qu'il avait passé avec Harry.

Au moment où il effleura son réveil, ce dernier s'alluma, apportant une faible lumière pâle à la pièce. Draco regarda l'heure : neuf heures trois. Il arqua un sourcil en se demandant s'il avait vraiment autant dormi, ce qui était étonnant de sa part. La main toujours posée sur le réveil, il baissa les yeux vers le jeune homme qui dormait sur lui.

La tête posée sur son épaule, le visage serein et les yeux clos, Harry dormait profondément, son souffle régulier et profond caressant sa peau à chaque expiration. Le blond appuya sur un bouton, de façon à ce que la lumière du réveil demeure sans jamais s'éteindre. Elle n'était pas assez forte pour réveiller quelqu'un, à peine assez puissante pour permettre à ses yeux de voir le contour du visage du tatoueur.

Cela lui suffisait bien. Il n'avait pas besoin de plus pour pouvoir admirer la beauté de son visage, de ses traits. Quand Harry dormait, on aurait presque dit un enfant, tant il semblait serein. Comme si rien ne pouvait l'atteindre.

Caressant ses cheveux noirs par des gestes lents et peu appuyés, Draco se remémora la nuit dernière. Ou, plutôt, ce qui l'avait poussé à en venir jusque là. il ne savait pas vraiment, dans le fond. En rentrant chez lui, il avait eu mal. Se sentait trahi, blessé par le comportement de Harry. Jamais il n'aurait pensé qu'il puisse accepter un rendez-vous de Seamus à son issu et demander à un de ses amis de le couvrir. Une chance qu'il ait appelé Hermione pour prendre de ses nouvelles et qu'elle l'ait informé qu'elle rendait visite à Ron pour passer la soirée avec lui, sinon il n'en aurait peut-être rien su.

Voilà ce que c'était que de faire confiance à quelqu'un, on finissait toujours trahi. Pourtant, Draco éprouvait une confiance aveugle envers son petit ami, il pouvait tout lui dire sans craindre qu'il le répète à quelqu'un et il savait que Harry ne le tromperait pas : si un jour quelque chose n'allait plus entre eux, Draco s'était toujours dit que le brun jouerait franc-jeu mais il ne fréquenterait jamais un autre en même temps que lui. Et comprendre que Harry était avec Seamus, en cachette, cela lui avait fait plus mal qu'il ne l'aurait jamais pensé.

Il en était même venu à avoir les larmes aux yeux, et malgré la colère qui bouillonnait en lui, il ne parvenait pas à en vouloir à Harry. Il ne parvenait pas à l'insulter, le maudire. Il avait juste eu envie de le chopper, lui crier dessus. Comprendre. C'était sans doute pour cela que, quand le brun l'avait appelé pour tout lui expliquer, il lui avait dit de venir. Parler au téléphone ne rimait à rien, c'était se cacher. Face-à-face, c'était plus douloureux mais plus vrai, aussi.

Après cela, tout était parti en vrille. Draco l'avait attendu dans l'entrée, les dents serrées et le corps tendu au possible. Il était nerveux, ne sachant comme cela se finirait. Il avait eu mal, il voulait que quelqu'un paie. C'était cela qu'il avait craint en tombant amoureux, qu'on joue avec son cœur, qu'on se joue de lui. Il s'était fait avoir, comme tous les autres, et il exigeait des réparations. Mais en voyant le visage de Harry, ses yeux verts innocents… Mais en sentant ses mains sur ses joues, ses lèvres sur les siennes, ses bras puissants autour de lui… Quelque chose avait fait taire ses cris, ce besoin qu'il avait de se venger. Quelque chose avait fait taire cette colère en lui, cette douleur. L'amour que Harry lui avait apporté, lui avait ressentir, se livrant à lui corps et âme, lui avait fait oublier l'espace d'un instant qu'il lui avait menti.

Car, pendant cet instant, Harry n'avait été qu'à lui. Il n'avait aimé que lui, leurs regards liés, leurs corps unis, comme s'ils n'étaient qu'une même chaire, une même âme. Le sommeil les avait emportés, ensuite, et maintenant que Draco était réveillé, il ne savait pas comment il réagirait. Il ne savait pas comment il parlerait à Harry quand ce dernier se réveillerait, il ne savait pas ce qu'il dirait quand le brun lui expliquerait la situation. Il ne savait pas comment évolueraient les jours à venir.

Ce qu'il ne savait donc pas, c'était que Harry mettrait peu de temps à se réveiller. Qu'il ouvrirait les yeux, les frotterait avec ses mains, avant de rougir sous le regard scrutateur de son petit ami. Qu'il lui expliquerait pourquoi il avait accordé ce rendez-vous à Seamus, qu'il lui en aurait parlé après, bien sûr, aujourd'hui même. Qu'il lui dirait comment ça s'était passé, qu'il aimait Draco plus que tout et que, jamais, il n'avait voulu lui faire de mal.

Ce qu'il ne savait donc pas, c'était que Harry lui referait l'amour, se glissant à nouveau en, sans bouger de sa place sur le corps de son petit ami, afin de faire taire tous les doutes qui l'assaillaient encore. Qu'il lui ferait l'amour le plus lentement possible, y mettant tout ce qu'il y avait de bon en lui. Juste pour qu'il arrête de douter, qu'il arrête de le regarder avec cette douleur dans les yeux.

Ce qu'il ne savait évidemment pas, c'était que, de longues minutes plus tard, Draco pousserait Harry sur le lit et monterait sur lui, afin de lui faire payer cette nuit de luxure de façon passionnée mais quelque peu brutale. Il ne savait pas que le brun se laisserait faire, le bras au-dessus de sa tête, criant par moments, les yeux entrouverts. Et qu'il s'endormirait, après, en tenant vaguement le corps chaud et moite de Draco entre ses bras, caressant ses cheveux blonds, jusqu'à ce que les parents de ce dernier rentrent à la maison.

Pour le moment, Draco ne pouvait que regarder le visage de Harry, des questions tournoyant dans son esprit, en attendant que le brun se réveille. Et que la confrontation ait lieu.

OoO

« Si on m'avait dit que je serai un jour pris en flagrant délit par ma propre mère, jamais je ne l'aurais cru.

- T'exagères, on n'était pas dans une position compromettante. Si elle était arrivée un quart d'heure avant, là, tu aurais la honte de ta vie.

- De la tienne aussi, Potter, je ne pense pas que te faire voir en pleine action par ta belle-mère fasse partie de tes fantasmes.

- Ça, c'est certain.

- De plus, sans vouloir être vulgaire, l'odeur laissait à désirer. »

Au lieu de rougir outrageusement, Harry gloussa. Les poings sur les hanches, Draco leva les yeux au ciel en se demandant ce qu'il avait fait pour mériter ça. L'odeur de la sueur n'était pas réputée pour sentir bon, ça se saurait, et c'était encore moins le cas pour l'odeur du sexe, facilement reconnaissable. Et c'était dire qu'ils l'avaient fait plusieurs fois en quelques heures, il en sentait encore les effets, à la fois un peu de fatigue et une zone particulière de son corps le lançait…

« Tu veux du lait ?

- J'aime pas le lait. Harry, est-ce que tu m'écoutes ? Soupira Draco de dépit.

- Plus ou moins.

- Ma mère m'a surpris dans mon lit !

- Et alors ? Fit Harry, la main sur la porte du réfrigérateur. T'étais pas à poil, tu dormais. Enfin, plus ou moins. Je te rappelle qu'elle a changé ta couche, ta mère, et tu n'es pas venu par la volonté du Saint-Esprit, mais de l'union entre un homme et une femme.

- Harry, ta tante a un très mauvais effet sur toi. C'est gênant, pour moi ! Ça t'a gêné, toi aussi, quand Isaline nous a surpris dans la salle de bain ! Répliqua Draco, presque énervé.

- Pas au point d'en faire une maladie, et je ne suis pas un chaud lapin, moi, glissa Harry en farfouillant dans le frigidaire.

- Moi, un chaud lapin ? Je crois que tu inverses les rôles, Harry.

- Oh moi je ne crois pas : si je l'ai fait autant de fois, c'est parce que tu aimes ça. Moi, je suis crevé. »

Dans le fond, il n'avait pas tord : Harry ne semblait pas du tout au meilleur de sa forme, Draco devait le reconnaître. Déjà que quand ils le faisaient, d'habitude, Harry en ressentait les effets le matin, là, ce n'était pas mieux. D'un autre côté, ils ne le faisaient pas quatre fois, et encore moins le matin après avoir fait l'amour pendant la nuit. Et cela avait été particulièrement intense.

« En gros, tu n'en as rien à faire que je suis gêné parce que ma mère m'a surpris dans mon lit avec mon amant ?

- Tu exagères un peu, je trouve. Elle n'a même pas fait un pas dans la chambre, Mr Dobby l'a empêchée d'entrer, répliqua Harry en pensant avec un sourire à cette affaire urgente que le majordome devait absolument soumettre à sa maîtresse. Bon, qu'est-ce qui te ferait plaisir pour le petit-déjeuner ?

- Il est presque midi, Harry, fit remarquer Draco, les bras croisé, boudeur.

- Je fais des crêpes ? »

Harry interrogea le blond des yeux, ce dernier haussa les épaules : qu'importe. Un vrai gamin, songea Harry. il sortit ce dont il avait besoin, fouillant dans les placards. L'épouse de Mr Dobby, Winky, était malade donc elle ne pouvait préparer les repas pour la famille Malfoy et faire le ménage. La maîtresse de maison ne lui en tenait pas rigueur, ses meubles et ses sols survivraient bien une journée sans être nettoyés. Au pire, elle appellerait une autre femme pour faire le ménage en attendant. Quant aux repas, ils en étaient réduits à aller au restaurant.

Ainsi, ignorant son petit ami qui boudait, Harry se mit à préparer de la pâte à crêpes. Il avait une envie de crêpes et les émotions de la nuit et du matin lui avaient donné faim. Tout à sa tâche, il attendit patiemment que son petit ami cesse de faire l'enfant, jusqu'au moment où le blond se rapprocha de lui pour le regarder faire. Puis, il engagea la conversation. Lui parlant d'un sujet banal. L'hôpital. Blaise et Luna. Millicent qui se cherchait une robe pour l'anniversaire de Gregory.

Ce simple rapprochement soulagea Harry. Depuis le matin, l'atmosphère entre eux était relativement détendue. C'était plutôt agréable. Draco se montrait certes assez réservé, il n'était pas comme d'habitude, mais ça aurait pu être pire. Harry se demandait même s'il ne s'en voulait pas de lui avoir fait l'amour presque violemment quelques heures plus tôt. Harry avait été trop soufflé pour lui dire d'arrêter, fatigué et prisonnier de ses émotions. Et là, il ne pouvait pas dire que la douleur était pire que celle qu'il avait ressentie lors de leur première fois. Et puis il n'était pas d'humeur à chipoter : tout s'était plutôt bien terminé, il n'allait pas faire le difficile.

La preuve : quand il eut terminé sa préparation, Draco prit Harry contre lui et le serra dans ses bras un long moment. Cette étreinte lui fit un bien fou. Puis, sans attendre la pâte se repose parce qu'il avait vraiment trop faim, Harry se mit à faire ses crêpes, sous le regard attentif de son amant qui s'était assis sur le plan de travail. Le blond le regardait faire sauter les pâtes fines et circulaires en se demandant si elles n'allaient pas atterrir par terre, ce qui n'arriva jamais. Ça lui rappelait quand Isaline les faisait, c'était limite si elle ne jonglait pas avec. En même temps, elle n'avait pas deux bouches à nourrir, mais bien plus…

« Confiture, chocolat… miel ?

- Tu es d'un sans-gêne, c'est fou…

- Tu ne sais pas cuisiner, Draco, ce n'est pas le peine que je te demande où sont les choses, répliqua Harry en ouvrant les nombreux placards de la cuisine. Whaaa, c'est quoi toutes ces épices ? Rangées par ordre alphabétique, en plus…

- Sucre, s'il te plait. »

Harry sucra une crêpe et la tendit à son cher et tendre qui mordit dedans alors que son petit ami repartait à sa tâche. La pâte était bonne, même si elle n'avait pas reposé. Draco mangeait rarement ce genre de pâtisserie. En fait, il mangeait rarement de pâtisseries tout court. Et ça l'amusait de voir Harry jouer avec les casseroles, jusqu'à arriver à une petite pile de crêpes. Harry se servit et en prépara une pour Draco qu'il lui tendit.

« Je vais à un anniversaire samedi soir, tu veux m'accompagner ?

- L'anniversaire de qui ?

- Un ami des jumeaux, Lee Jordan.

- Tu veux que je t'accompagne, maintenant ?

- Je sais que tu l'as mal pris quand je ne t'ai pas emmené la dernière fois. »

Harry attendit avec une petite moue que Draco confirme ses dires mais le blond était trop fier pour le faire. D'un autre côté, il aurait vraiment été étonné si l'autre avait été d'accord avec lui. Néanmoins, il attendit une réponse de sa part.

« Je vais m'ennuyer ? Demanda Draco en écartant les jambes pour que Harry puisse s'y loger.

- Je pense que oui. Tu ne bois pas, tu ne fumes pas, tu danses peu… Énuméra le brun en comptant sur ses doigts.

- J'ai l'air d'un rabat-joie.

- Tu en es un, Dray. C'est pas toi qui vas te déguiser lors d'une soirée costumée.

- Attends une minute…

- Oui, tu as bien compris, mon cœur, répondit Harry en papillonnant des yeux, un sourire niais aux lèvres. C'est une soirée costumée.

- Je n'y vais pas.

- Tant pis, je suis donc condamnée à inviter des jolies filles à danser et à me faire draguer au passage.

- Il y a un thème précis ?

- J'adore quand tu paniques.

- Potter, sois sérieux deux minutes, grogna Draco alors que son petit ami se roulait une crêpe au sucre. Il est hors de question que je me ridiculise.

- Moi non plus. C'est une soirée « travesti ». Je te laisse imaginer le tableau. »

Non, Draco n'avait pas du tout envie d'imaginer le tableau. Ni même d'essayer d'imaginer Harry déguisé en femme. En fait, il eut peur et son visage était tellement hilarant que Harry fit de gros efforts sur lui-même pour ne pas exploser de rire.

« Harry, rassure-moi, tu ne comptes pas y aller ?

- Si tu me trouve une raison en béton pour ne pas y aller, aucun problème. Mais en béton armé, parce que ça fait bien trois jours que les jumeaux me harcèlent pour que je vienne. Ron cherche toujours, lui.

- Je continue à penser que tu as de très mauvaises fréquentations, Harry.

- On choisit ses amis, pas la famille de ses amis. »

Draco soupira et se pencha pour se rouler une crêpe, alors que Harry lui racontait que, un an auparavant, le nouvel an avait été organisé chez les Weasley sous forme de soirée costumée. Tout le monde avait donc dû jouer le jeu.

Isaline s'était déguisée en Marilyn Monroe, cachant ses cheveux sous une perruque blonde platine et elle avait passé sa soirée à tenter de garder sa robe bien en place, vu que des petits farceurs voulaient absolument voir sa culotte. Ayant prévu le coup, elle avait mis un petit short, qu'elle finit par exhiber en soulevant sa robe aux vicieux de service. Cela déçut beaucoup Sirius et les jumeaux. Sirius, quant à lui, s'était déguisé en Elvis Presley, ce qui était un tantinet ridicule. Draco pouffa en imaginant ce grand dadais déguisé ainsi. Il ouvrit de grands yeux quand Harry lui raconta que même Severus s'était déguisé, mais en vampire. C'était sobre, mais il avait fait un effort.

Nymph' était bien plus originale, portant une tenue d'infirmière rose très courte, avec des collants en résille et des talons hauts. Avec ses cheveux fuchsia, elle était sexy et belle comme tout. Remus portait un costume de Lucky Luke, se qui tranchait avec le déguisement de sa femme. Teddy avait fièrement enfilé un costume de Spiderman rembourré, ce qui lui donnait un aspect musculeux.

« Il devait être mignon.

- Je te montrerai des photos ! »

Ron, quant à lui, avait enfilé un costume de gladiateur, ce qui avait fait beaucoup d'effet. Les jumeaux non plus n'étaient pas passés inaperçus, Fred s'était habillé en Dark Vador, sabre laser à la main, et Georges en Chewbacca. Harry avait été un peu plus discret, s'était déguisé en ninja, sous l'insistance de ses meilleurs amis qui l'avaient forcé à mettre un haut laissant voir sa musculature. Ces quelques mots éveillèrent les yeux de Draco qui ne diraient pas non à quelques photos. Théo, quant à lui, avait fait un gros effort et, avec l'aide d'Isaline et Nymph', il se retrouva en Joker.

« Il avait une vraie tête de sadique ! »

Draco leva un sourcil. Il était toujours assis sur le plan de travail, Harry debout entre ses jambes, l'assiette de crêpe près d'eux. De façon discrète, il referma ses jambes autour de la taille de Harry qui poursuivait son récit, les yeux brillants et la voix chaude, joyeuse. Comme d'habitude.

Il avait retrouvé son Harry, celui qu'il aimait et qui ne lui faisait pas de mal. Comment avait-il pu imaginer que Harry le trahirait, qu'il lui ferait des cachotteries ? Il ne savait pas mentir. Cacher les choses, oui, mais il ne mentait pas, et il lui aurait dit à un moment ou à un autre. Il s'était inquiété pour rien. Encore une fois.

OoO

Il était dans une impasse. Très clairement. C'était la première fois qu'il ressentait cela, et pourtant, il en avait eu, des petites amies. Enfin, pas des masses, mais quand sa femme l'avait quitté, il avait tenté de trouver une nouvelle compagne, et cela ne lui avait jamais paru aussi compliqué de présenter une nouvelle femme à ses parents.

Il fallait dire que la situation de Rémi était assez particulière. Il avait connu son ex-femme quand il était allé dîner avec ses parents chez le copain de sa petite sœur, et deux mois plus tard, ils sortirent ensemble. Ainsi, les deux familles étaient devenues très liées. Du moins en apparence. En effet, son épouse, Ségolène, était une femme assez stricte et sévère, voire même renfermée. Elle était professeur de français et elle tirait sûrement ce caractère du fait que son père, étant militaire, les avait forcés à vivre pendant trois ans en Suède, à Stockholm, quand elle avait treize ans, ce qui l'avait arraché à tout ce qui faisait son identité.

Ce qui l'avait attiré chez cette femme, c'était ce petit quelque chose de fragile qu'il y avait en elle, ce besoin qu'elle avait de se montrer forte alors qu'elle voulait être protégée. Elle n'était pas spécialement belle, mais c'était une jolie femme, presque banale, ce qui avait plu à Rémi. Certes, elle n'était pas toujours facile à vivre, très jalouse par moments tandis que, à d'autres, elle était étonnement libérée. Mais il l'aimait. C'était un fait indiscutable.

Jusqu'au jour où il avait appris qu'elle le trompait. Qu'elle voulait le quitter, pour un autre. Plus beau, plus riche, moins taciturne et pris par son travail. Blessé au-delà des mots, trahi comme jamais, Rémi avait tout fait pour garder son fils. Il en résultait qu'un combat perpétuel opposait le médecin et son ex-femme. Surtout depuis que cet homme qu'elle avait épousé avait demandé le divorce.

Pour une femme plus belle, plus facile, moins jalouse et occupée par des futilités. Une femme qui pourrait lui donner un fils. Une femme non stérile.

Le caractère renfermé et rebelle de Ségolène avait amené ses parents à se montrer assez indifférents avec elle. Oh, ils l'aimaient, leur fille, mais ils en avaient assez de recevoir des critiques, donc ils faisaient comme s'ils n'entendaient rien. Et quand elle quitta son mari pour un autre, après une douzaine d'années de mariage, ils se montrèrent hostiles à sa nouvelle union, rencontrant son nouvel époux sans l'accepter complètement : la douleur avait été trop forte pour Rémi qui, dans le fond, ne s'en était jamais remis. Ses beaux-parents l'aimaient comme s'il s'agissait de leur fils.

Et là se trouvait la difficulté. Le fait qu'il fréquente une femme et qu'il n'en parle quasiment pas, et, surtout, qu'Allan ne s'en plaigne pas, avait plongé les parents et les beaux-parents de Rémi dans l'interrogation et la curiosité. Au point qu'ils voulaient, tous les quatre, absolument rencontrer Isaline, cette femme qui avait su se faire accepter un minimum par Allan, réputé pour repousser chaque prétendante de son père. Rémi se demandait même si ses beaux-parents ne voulaient pas la voir, histoire de se venger de leur fille : cette dernière, tout juste divorcée, s'était réfugiée chez eux et leur menait la vie dure, luttant pour essayer de récupérer son fils, se plaignant à longueur de journée contre son ex-époux et son manque cruel d'argent.

Évidemment, le problème était qu'Isaline n'était pas d'accord. Déjà, rencontrer les parents et les ex-beaux-parents de se Rémi l'intimidait, mais alors rencontre son ex-femme, c'était encore pire. Ils avaient dîné ensemble quelques jours auparavant et la tatoueuse lui avait laissé l'image d'une femme non pas sûre d'elle, comme d'habitude, rieuse et les pieds sur terre, mais plutôt incertaine, comme si elle craignait que le fragile équilibre qu'elle venait de trouver ne s'effondre.

Et cela faisait réfléchir Rémi. En effet, jamais il n'avait pensé à présenter une de ses petites-amies aussi peu de temps après leur mise en couple. Car il fallait se rendre à l'évidence : même s'ils ne vivaient pas ensemble, même s'ils n'avaient jamais partagé le même lit, ils formaient un couple. C'était discret, à peine visible. Mais il y avait des gestes, des sourires, de baisers volés qui montraient qu'ils étaient ensemble. Rémi s'était trop attaché à Isaline, à son besoin de le toucher, que ce soit son bras, son épaule ou sa main, sa tendresse naturelle, son sourire et sa façon de parler avec calme et sagesse à la fois, avant de sortir une énormité quelques secondes plus tard. Rémi tombait amoureux, si c'était pas déjà le cas.

D'une tatoueuse, qui lui avait montré chacun de ses tatouages sans pudeur. Une femme aux cheveux teints, mal habillée et un peu rude par moments. Une mère célibataire qui avait vécu à travers un enfant qui n'avait aucun lien avec elle, hormis le fait qu'elle gérait les affaires de ses parents décédés, parce qu'ils avaient été amis à une époque.

Dans le fond, s'il voulait la présenter à sa famille, c'était peut-être aussi par vengeance. Quand il était avec elle, il prenait conscience qu'il avait eu une vie, mais qu'à présent, il était prêt à tirer un trait dessus. Isaline acceptait son fils, elle lui avait même dit que cela lui paraissait évident : il était là avant elle, le rejeter serait déplacé. Rémi voulait montrer qu'il était capable de refaire sa vie, lui aussi. Avec une tatoueuse mal habillée aux cheveux teints et tatouée. Avec un cœur gros comme une maison et posé au creux de ses mains.

Mais encore fallait-il la convaincre, et ça, c'était une autre paire de manches. Ses parents ne cessaient de le relancer et même sa sœur et son beau-frère insistait. De plus, Allan lui avait que ses cousins et cousines voulaient voir connaître Isaline, parce que Harry était comme son fils et qu'il était super sympa. Ah celui-là, un charmeur, comme sa tante…

« Allan ! Mets tes chaussures, on y va !

- On va voir quoi au ciné ? Demanda l'adolescent en arrivant dans l'entrée d'un pas traînant.

- Je ne sais pas, on verra, répondit évasivement Remi en mettant son manteau. Avant tout, on va essayer de convaincre Isaline de dîner chez les grands-parents.

- Elle est relou, pourquoi elle est pas d'accord ? Ils vont pas la manger.

- C'est comme ça.

- Je comprends pas, avoua Allan en mettant ses chaussures. Ils sont pas méchants et ce serait bien qu'ils la connaissent, elle est sympa.

- Pense qu'elle a le même âge que moi et que ça fait… un mois que nous sommes ensemble.

- C'est tout ?! Et elle est si vieille que ça ?! »

Rémi lui jeta un regard mauvais, les poings sur les hanches et son fils lui fit un sourire innocent, jusqu'à ce que son père soupire : il n'était pas si vieux que ça, quand même ! Tout juste quarante ans… Le même âge qu'Isaline…

« T'es sérieux, elle a quarante piges ?

- Elle te l'a dit, il me semble, non ?

- Je croyais qu'elle rigolait, moi ! »

C'était vrai qu'Isaline ne faisait pas son âge, Rémi avait du mal à se faire à l'idée qu'ils étaient de la même année. Cela dit, le fait était qu'elle était un peu plus âgée que son ex-femme, et aucun doute que cela ferait mouche…

Quelques minutes plus tard, ils furent dans la voiture, au parking. Rémi en sortit et conduisit jusque chez Isaline. Allan alluma la radio et bidouilla, tombant un moment sur Diam's avant de virer sur Cindy Sander. Ils écoutèrent quelques secondes avant que, arrêté à un feu rouge, le médecin ne tourne la tête vers son fils.

« Ne me dis pas que tu écoutes ça.

- Je me demande comment les français ont pu tomber aussi bas. »

Allan semblait tout simplement atterré par la bêtise de cette chanson et, pour une fois, Rémi était bien d'accord avec lui. Il écoutait attentivement Le secret de nous, cherchant le sens profond de cette chanson, avant de changer brutalement et tomber sur Tokyo Hotel. Il grogna de frustration et éteignit la radio, boudeur.

« Quand on cherche, on trouve.

- C'est ça, ouais… Y'a que de la merde à la radio.

- Avoue que ça t'embête de chercher. »

De façon extrêmement mature, Allan lui tira la langue puis ouvrit la boite à gants. Il chercha une pochette où se trouvaient des CD gravés par ses soins pour son père et il inséra Depeche Mode. Un peu plus tard, ils arrivèrent dans une petite rue, où Rémi se gara, juste devant la porte du garage, comme il le faisait d'habitude, à moins que quelqu'un ne se soit garé là. C'était rare, pourtant. C'était soit Draco. Soit Sirius.

A cette pensée, son regard s'assombrit. Sirius était ce qu'on pouvait appeler un ennemi, bien que leur relation ne soit pas aussi mauvaise que cela. A vrai dire… c'était assez étrange. Il avait rencontré Sirius peu de fois, mais assez pour se faire une opinion sur lui. Leur dernière rencontre remontait au dîner qu'il avait organisé sur un coup de tête avec Isaline, le rencontrant alors qu'il allait la chercher, juste devant chez elle.

Autant dire que ce ne fut pas idyllique. Isaline, par la suite, eut beau insister sur le fait qu'il était de mauvaise humeur ces derniers temps à cause de récentes disputes avec sa moitié, Remi sentait que l'écrivain était hostile à leur relation. Dans sa façon de lui parler, de le regarder de haut en bas, de lui poser des questions et de rire, Rémi sentait que quelque chose n'allait pas avec lui. Il était contre leur couple, contre cette relation qui se développait au fil des jours. C'était clair comme de l'eau de roche, et cela ne pouvait qu'assombrir le point de vue que Rémi avait sur l'écrivain, si séduisant et libre, dans sa façon de bouger ses mains et parler, ses cheveux noirs suivant le mouvement gracieux de sa tête, ses yeux sombres brillant de malice.

Le genre d'homme à vous faire avoir des préjugés sur les homosexuels.

Ils sortirent du véhicule, puis marchèrent le long de la rue. Ils voulaient entrer par la boutique, encore ouverte à cette heure, et non par la porte d'entrée. Quelques minutes plus tard, ils contournèrent la rue et ne tardèrent pas à passer la porte vitrée de la boutique. et ils trouvèrent un spectacle… relativement hallucinant.

En plein milieu de la boutique, alors que Harry était penché sur le ventre le bras d'une cliente morte de rire, Isaline, Nymph' et une chinoise en mini-jupe et petit-haut étaient en train de danser activement la Macarena, tout en gueulant la chanson en rythme. Allan éclata de rire en les voyant remuer les hanches puis sauter sur le côté et redémarrer leur danse, alternant des gestes aussi connus que ridicules. Sauf que cette musique sembla lasser le rouquin posté devant la chaîne hi-fi alors il arrêta la musique. Aussitôt, les filles lui crièrent dessus.

« Remets la musique, Ronny !! » Ordonna Nymph'.

Le rouquin changea la fréquence et…

« Les sirènes du port d'Alexandrie, chantèrent-elles en bougeant les bras en l'air. Chantent encore la même mélodie…

- Mais c'est quoi cette radio ?!

- La lumière du phare d'Alexandrie… »

La musique changea à nouveau et, pour une raison obscure, ce fut Rammstein qui se mit à gueuler dans la boutique. Nymph' et Isaline se mirent à chanter le refrain dans un allemand approximatif tandis que Harry était littéralement écroulé de rire. Rémi avait la main devant la bouche, tentant de calmer son fou rire, alors qu'Allan s'était posté derrière Harry, les mains sur ses épaules, et riait alors que, à présent, la chinoise folle dingue et les deux tatoueuses partaient dans un remix de Papillon de lumière, gesticulant en rythme.

Le médecin avait les yeux rivés sur Isaline, qui semblait avoir recouvré une nouvelle jeunesse. Quand il la voyait ainsi bouger et chanter, délirant avec les deux autres femmes, il avait l'impression qu'elle n'avait pas d'âge, vive et belle comme le jour.

Il n'avait jamais vu sa femme danser, ni même chanter. Encore moins sourire de cette façon, libérée et joyeuse. Il était habitué à son caractère taciturne, renfermé et calme, ou colérique. Isaline était rafraichissante, revigorante, parce cette joie de vivre qui l'entourait. C'était sans doute pour cela qu'il se prenait à espérer refaire sa vie, d'une façon ou d'une autre : elle était dynamique, et cela semblait le ressourcer.

Elle parut enfin remarquer sa présence quand elle se jeta sur lui, souriante comme jamais. Elle planta un baiser rapide sur ses lèvres, ce qui fit chavirer le cœur du médecin. Puis, la musique à fond la caisse baissa un peu, la chinoise s'effondrant sur un siège, épuisée, tandis que la tatoueuse aux cheveux roses partait chercher des rafraichissements.

Isaline enroula ses bras autour de sa taille et il passa le sien sur ses épaules, en un geste tendre. Il chercha le regard de son fils qui le regardait en coin, chuchotant quelque chose à l'oreille de Harry, ce qui le fit glousser.

Rémi eut un sourire, avant de déposer un baiser dans les cheveux blonds et bruns d'Isaline.

OoO

« Hakuna Matata.

- Mais encore ?

- Réfléchis sur la profondeur de ce que je viens de dire et viens me parler après.

- Théo, arrête un peu et…

- Hakuna Matata. »

Seamus poussa un soupir de dépit, alors que Théo quittait la cuisine, son assiette dans une main et ses couverts dans l'autre, en direction du salon. L'irlandais se massa le front. Il se sentait fatigué, aussi bien physiquement que moralement. Un peu comme s'il tournait en rond, vivant un mauvais rêve dont il ne voyait pas la fin.

C'était ainsi depuis son rendez-vous avec Harry. Son rejet, à la fois calme et franc, l'avait réellement blessé. il avait espéré l'espace d'un instant que Harry pourrait lui accorder une chance, ou au moins un autre rendez-vous. Il s'était montré ouvert, lui parlant comme d'habitude, sans jamais le repousser, et d'un coup, dans le petite espace illuminé de la voiture, il lui balançait ses vérités à la figure, de façon nette et précise. Et ça faisait mal. D'être rejeté. De cette façon.

De plus, il avait vu Draco dans la journée. En fait, le blond était venu à sa rencontre et l'avait emmené dans un coin tranquille, afin de le menacer. Il ne voulait plus jamais qu'il s'approche de Harry. Il savait qu'ils étaient allés dîner. Il lui avait fait comprendre que Harry n'était qu'à lui, et qu'il était hors de question que l'irlandais retourne à la boutique, qu'importe la raison. Si jamais il apprenait qu'ils s'étaient vus, aucun doute qu'il ferait tout pour que sa vie s'approche de sa conception de l'Enfer.

Autant dire que Seamus ne prit pas sa menace à la légère, les yeux bleus de Draco lançaient des éclairs et semblaient lire en lui. Il n'était pas suicidaire, et une sorte de résignation mêlée à la douleur traînait dans son être depuis ce dîner. Pourtant, il tenta de se défendre, essayant dans une veine tentative de faire douter Draco. Mais ce fut pire encore : le blond insinua que Harry l'avait contacté, après, et qu'ils s'étaient retrouvés chez Draco. Pas besoin de plus pour qu'il comprenne ce qui s'était passé entre eux.

A cette pensée, Seamus sentit ses yeux piquer et sa gorge se nouer. Il ne pensait pas que ça se finirait comme ça, il ne pensait pas que Harry irait chez Draco, juste après leur rendez-vous, pour faire une partie de jambes en l'air. Il l'avait pris pour un abruti, il s'était joué de lui.

Sans qu'il ne puisse se retenir, Seamus se mit à pleurer. Des larmes coulèrent le long de ses joues, des sanglots se mirent à secouer son corps. Les lèvres tremblotantes, il appuya son dos contre le mur de la cuisine et cacha son visage entre ses mains. Il se trouvait complètement ridicule et stupide, s'étant laissé mené en bateau par un homme qu'il aimait.

Soudain, deux mains se posèrent ses épaules, puis il se retrouva bloqué entre deux bras, contre un torse. Nerveusement, il posa ses mains main sur le pull de Théo et ses doigts se crispèrent sur la laine sombre. Le jeune homme pleura de plus bel, consolé maladroitement par son colocataire qui caressait ses cheveux, en un geste qu'il voulait apaisant. Et qui avait un doux effet sur l'amoureux.

« T'es vraiment chiant, tu sais. Tout est compliqué, avec toi. Tu pourrais pas garder tes histoires pour toi et me laisser tranquille deux minutes ? D'une, tu veux qu'on aille au cinéma, ensuite tu me demandes de l'aide pour un devoir, et enfin tu chiales… Mais quelle prise de tête, ce mec, c'est pas possible… »

Le visage caché dans son cou, Seamus souriait. Malgré les larmes qui coulaient sur ses joues, son corps qui tremblaient et ses mains crispées, il souriait. Parce que Théo était là. Il n'était pas tout seul.

« Tu sais, Seam'… Harry m'a appelé. Il se doutait que Draco essaierait de te choper dans un coin.

- Il m'a… dit… qu'ils avaient… après…

- Ouais bah Harry m'a dit que, en fait, Draco est passé pendant qu'il était avec toi et il a compris. Il était vraiment pas bien et Harry l'a appelé pour lui expliquer. Draco a exigé qu'il vienne chez lui. Et après c'est parti en vrille… Mais tu sais, Harry, il s'est pas foutu de toi. Il voulait te faire comprendre. C'est pas un salaud. Il m'a dit au téléphone qu'il était désolé et qu'il ne voulait pas te faire de mal. »

Seamus l'écoutait, s'abreuvant de ses paroles. Il en voulait terriblement à Harry, et en même temps, il ne pouvait se résoudre à l'idée qu'il se soit foutu de lui, même si cela lui paraissait évident. Harry n'était pas un connard fini. Draco non plus, d'ailleurs…

« Il aime Draco. Il ne veut pas le perdre. C'est pour ça qu'il lui obéit : Draco est une vraie tête de mule et je suis sûr que leurs disputes doivent être extrêmement bruyantes. »

Et destructrices. Même si Harry avait tendance à se laisser mener, il avait son caractère, et il était têtu, autant que pouvait l'être Draco. Un jeune homme qui en avait vu de belles, un étudiant qui avait toujours eu ce qu'il voulait.

« Il vaut mieux que tu oublies Harry, tu sais. »

Seamus secoua faiblement la tête, blotti dans les bras de Théo, qui avait fermé les yeux. Un peu comme si cette étreinte le réconfortait un peu. Lui aussi.

OoO

Le couteau fendit l'air et s'abattit sans la moindre douceur sur la viande rouge et fraîche, la tranchant en deux. Teddy fronça le nez, regardant d'un œil méfiant ce gros couteau couper la viande sans aucune pitié, tout en dessinant sur sa feuille.

« Tata ?? T'es où ??

- Dans la cuisine, Ryry, je congèle ma viande. »

Le jeune homme arriva dans la pièce et soupira en voyant sa tante s'attaquer à un banal bout de beefsteak, la mine contrariée. Il était sûr que, dans son for intérieur, elle devait bouillonner. Il alla jusqu'au réfrigérateur, prit une boite de Kinder surprise dans la porte et l'ouvrit. Enfin, il prit un œuf et le donna à un Teddy joyeux. L'enfant retira le papier, brisa l'œuf entre ses mains puis tendit le cadeau à Harry pour qu'il puisse l'ouvrir et le construire. Quand Harry lui tendit un mini Obélix avec un menhir, le petit garçon quitta la cuisine pour montrer son cadeau à sa maman dans la boutique. Alors Harry s'assit sur la chaise et regarda sa tante, attendant que cette dernière se décide à lui parler.

« Tu sais, dit-il finalement, je pense pas que ce soit utile de prendre un couteau aussi gros pour couper un bout de viande.

- Les grands couteaux, c'est la classe. Tu peux pas comprendre.

- C'est sûr que couper du pain avec le plus gros couteau du tiroir, c'est la classe… Soupira Harry. Bon, Nymph' m'a dit que tu étais de sortie, ce soir.

- Ce crétin de médecin à la gomme m'a eu, répondit-elle, pour ne pas dire autre chose.

- Fais pas cette tête, Tata… C'est une bonne chose que tu rencontres sa famille. Ça montre qu'il tient vraiment à toi. Arrête de te faire du souci, ils savent que tu es tatoueuse, Rémi n'est pas du genre à cacher ce genre de choses. Et s'ils veulent te recevoir, c'est qu'ils acceptent ce fait.

- Si c'était aussi facile…

- Je suis sûr que tu te prends la tête pour pas grand-chose, affirma le brun.

- Je le pense aussi, ajouta Nymph' en arrivant dans la cuisine avec son fils dans les bras. Je viens de fermer la boutique, Ryry, faudra juste penser à aller chercher des boucles d'oreilles dans la cave.

- Okay.

- Comment le toubib a réussi à te faire céder ? » Demanda la tatoueuse à sa patronne, s'asseyant à côté de Harry sur une chaise, son fils sur les genoux en train de manger son chocolat.

Soudainement, les joues d'Isaline s'embrasèrent et elle tourna la tête dans une vaine tentative de cacher son visage. D'abord surpris, Harry et Nymph' explosèrent de rire, pliés en deux, alors qu'Isaline leur gueulait qu'il n'y avait rien de marrant. Vexée, elle posa son couteau et rangea sa viande dans des sachets plastiques, direction le congélateur. Mais son visage était toujours aussi rouge et les deux dindes derrière elle n'arrêtaient pas de glousser. C'était si rare de la voir rougir de cette façon, c'était mignon.

« Vous allez arrêter, oui, les supplia-t-elle, après s'être lavée les mains. C'est pas marrant…

- Qu'est-ce qu'il t'a dit ? Lui demanda Harry, relativement calmé.

- Bah… Heu… Hésita-t-elle, se tordant les mains. Il m'a dit qu'il… m'aimait bien. »

Ses joues étaient toujours aussi rouges, mais ils ne riaient plus. Au contraire, ils regardaient le visage d'Isaline, ses yeux brillants et son visage embarrassé, comme celui d'une enfant à qui on a fait un compliment. Harry et Nymph' échangèrent un sourire de connivence, attendris.

« Donc voilà, j'ai cédé. On verra bien ce soir…

- Moi aussi je sors, dit Harry, histoire de changer de sujet, ce dont sa tante semblait avoir besoin. J'ai réussi à convaincre Draco de sortir.

- Il te fait encore la tête ? S'étonna Nymph'.

- Plus que jamais.

- Roooh, c'est bon, là… Il t'a bien fait du mal quand y'a l'autre conne… zut, son nom… ah ouais, Pansy, c'est pas ça ?

- Oui, mais on n'était pas ensemble à ce moment-là. Toute façon, j'ai pas envie de me battre. On passe la soirée ensemble, ça devrait bien se passer. »

C'était du moins ce que Harry pensait.

OoO

Mais tout ne se passa pas comme prévu, aussi bien pour Harry que pour Isaline.

Draco arriva à l'heure, à bord de sa voiture, et récupéra Harry. Il avait été prévu qu'ils dînent au Septième ciel avant d'aller au cinéma. De quoi passer une soirée de détente et se retrouver un peu.

Pourtant, ce ne fut pas aussi idyllique que Harry le pensa. En effet, il sentait que Draco était d'humeur calme, réservée, comme s'il contrôlait chacune de ses paroles et chacun de ses gestes. Pas vraiment de tendresse dans ses mains, dans son regard. À peine l'avait-il embrassé quand il était monté dans la voiture.

Ce froid gênait Harry au plus haut point et il ne savait pas comment réagir. Piquer une crise était aussi stupide que malvenu : il était coupable et ce n'était pas en se disputant avec Draco que la situation s'arrangerait, loin de là.

Ainsi, il supporta l'humeur de Draco jusqu'à ce qu'ils arrivent au restaurant. Là, ils s'installèrent dans un coin tranquille et, le temps que le serveur leur amène leurs entrées, Harry fit tout pour détendre Draco et il y parvint. Le blond commençait à sourire et son regard s'adoucissait. Quand les plats de résistance arrivèrent, il parvint même à le faire rire, avec les aventures amoureuses d'Isaline, qui devait actuellement être en train de dîner chez les parents de Rémi.

Draco en vint à parler de lui-même, sans que Harry n'ait à lui tirer les vers du nez. C'était des sujets banaux, tels que sa journée ou encore Blaise qui se lamentait de ne pouvoir voir Luna, bien qu'il soit monté à Londres le week-end dernier. Le voir sourire rassurait Harry, il sentait l'atmosphère se détendre.

Mais il y avait toujours un petit quelque chose. Draco ne lui touchait pas la main et demeurait réservé. Quand vint le dessert, Harry ne savait pas s'il devait lui faire comprendre que quelque chose n'allait pas ou s'il devait continuer, à faire comme si de rien n'était. Il décida de poursuivre, mais quand Draco insista pour payer, il en eut assez. Il attendit que la note soit réglée et qu'ils soient sortis du restaurant pour se lâcher.

« Draco, il faut qu'on parle, commença Harry de but en blanc.

- Qu'est-ce qui t'arrive ?

- Arrête de faire comme si de rien n'était, c'est exaspérant. Il est où, le problème ?

- Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit Draco de façon neutre.

- Draco, arrête de me prendre pour un idiot. Tu n'es pas comme d'habitude. Et je sais qu'il y a un problème. Tu m'en veux encore, c'est ça ? »

Le blond poussa un soupir et passa une main dans ses cheveux, alors que Harry se mordillait la lèvre nerveusement. Il sentait la dispute venir. Il se dit qu'il valait mieux crever l'abcès maintenant plutôt qu'attendre et faire empirer le mal.

« Harry, tu veux vraiment qu'on parle de ça ?

- Parce que tu trouves qu'on passe une bonne soirée, là ? Je sais que tu m'en veux et moi je ne supporte pas quand tu es comme ça avec moi. Je sais que c'est de ma faute, Draco. Je le sais.

- C'est pas ça…

- Tu ne eux même pas savoir à quel point je m'en veux, le coupa Harry, dans sa lancée. J'y pense depuis ce week-end, depuis que j'ai passé la nuit chez toi. Je m'en veux, je sais que je t'ai fait du mal, que je t'ai trahi. A ta place, je t'en voudrais aussi. Mais… je ne sais pas quoi faire pour que tu… je ne sais pas… soupira le brun. J'ai envie que tout redevienne comme avant…

- Moi aussi, je n'arrête pas d'y penser. Et moi aussi, je veux que ça redevienne comme avant. »

Mais il avait été trahi. Pas dans son amour pour Harry, car dans le fond, le brun n'avait rien fait pour nuire à leur couple. C'était plutôt dans la confiance qu'il accordait à Harry. Il avait été blessé que son petit ami agisse de cette façon, qu'il fasse cela sans l'avoir prévenu. Il se sentait tellement ridicule à présent. Sortir avec Harry l'avait comme enfermé dans une bulle qui venait d'éclater : il avait à nouveau les pieds sur terres et il se rendit compte des ravages que sa relation avec lui avait causés, en lui. Draco se sentait dépendant de Harry, il avait besoin de lui, de le sentir à lui. Cela ne lui était jamais arrivé auparavant, et les cachotteries du brun avaient encore plus d'effets…

« Qu'est-ce qui t'en empêche ? Tu as peur que je recommence ?

- Non, tu ne le feras plus. Enfin j'espère. Mais tu m'avais promis de ne rien me cacher…

- Je t'avais promis d'essayer, nuança Harry. Écoute, Draco, je te demande pardon, encore une fois. Si… Si je peux faire quelque chose pour te rassurer, demande-le moi. Je ferai n'importe quoi pour toi. »

Ce qui lui faisait encore plus mal, c'était de voir le visage de Harry tellement sincère… Il avait envie de le prendre dans ses bras, de l'embrasser, et son amour pour lui, son besoin de l'avoir contre lui le rebutait. Quand était-il devenu aussi dépendant de lui ? Depuis quand agissait-il en fonction de lui, en fonction de ses désirs, et non des siens propres ? Depuis le début. Il avait changé pour le séduire, il avait fait des efforts pour lui convenir. Et, tombé amoureux, il avait besoin d'être en accord avec lui et non embrouillé pour pouvoir dormir sereinement.

Sauf que cela faisait plusieurs jours qu'il ne parvenait pas à dormir. Parce qu'il en voulait à Harry, et en même temps, il voulait faire taire tous ses doutes et son orgueil, et vraiment lui pardonner.

Soudain, Harry poussa un soupir et fourra ses mains dans ses poches.

« Allez, ramène-moi à la maison.

- Mais on devait aller au cinéma…

- Draco, arrête. T'es pas d'humeur et moi non plus.

- C'est pas comme ça qu'on va s'en tirer, Harry…

- A quoi ça sert ? Depuis le début de la soirée, t'es pas bien. Et moi je ne veux pas supporter ça.

- On devrait faire une pause. »

Draco vit l'effarement sur le visage de Harry et la terreur dans ses yeux. Cela lui fit mal au cœur et il ouvrit la bouche pour revenir sur ses paroles, mais son petit ami baissa les yeux, les traits tendus mais résignés.

« Oui, pourquoi pas. »

Harry déglutit et partit vers la voiture. Il avait les larmes aux yeux, à la fois de tristesse et de colère. Cela faisait d'autant plus mal que Draco n'essayait même pas de rattraper le coup, à croire qu'il se laissait volontairement s'enfoncer dans la défaite.

Il fut rapidement rattrapé et, sans un mot, ils retournèrent à la voiture. Ils s'y installèrent et partirent en direction de la boutique. Harry serrait les dents et luttait pour ne pas laisser ses larmes couler. L'idée de la rupture ne l'avait même pas effleuré, ni la pensée qu'ils puissent faire une pause. Draco, au contraire, y avait pensé, et pour cela, Harry voulait à tout prix rentrer chez lui. S'enfoncer dans son lit. Et oublier cette soirée.

Draco se gara juste devant la porte du garage. Il poussa un soupir et tourna la tête vers Harry, qui lui souhaita une bonne soirée et ouvrit la porte. Aussitôt, le blond attrapa son bras et voulut le tirer vers l'intérieur.

« Harry, attend !

- Lâche-moi.

- Écoute, pour tout à l'heure… »

Mais Harry repoussa son bras brutalement et sortit de la voiture, claquant la porte. Draco ouvrit sa portière et sortit à son tour. Le temps qu'il arrive à la porte d'entrée, Harry était déjà rentré et avait fermé la porte. Il sonna, l'appela, et voulut même l'ouvrir, mais elle était verrouillée.

« Harry ! Harry, ouvre-moi ! »

Mais le silence accueillit ses appels.

Harry ne lui avait même pas jeté un seul regard. Blessé.

Draco passa sa main sur son visage en maudissant sa bouche de vipère.

Au lieu de lui dire ça, il aurait dû l'embrasser. Le prendre dans ses bras.

Et lui dire que ce n'était pas grave.

A la place, il se retrouvait devant cette porte close, comme un crétin. Sans savoir si Harry était malheureux ou en colère, là-haut.

OoO

Un silence gênant régnait dans le véhicule. Allan était silencieux, écoutant vaguement la musique qui émanait des enceintes, un peu fatigué par toutes ces émotions. Quant à Rémi, il se concentrait sur la route, encore nerveux. Quant à Isaline, elle avait la sensation que sa vie n'était qu'une succession de problèmes…

La soirée avait été désastreuse, mais Isaline ne parvenait pas à savoir qui était le vrai coupable de cet échec. Certes, elle avait ouvert sa bouche et autant dire que cela eut un effet retentissant, mais ce n'était pas elle qui avait commencé les hostilités.

En fait, tout avait plutôt bien commencé. Rémi était venu la chercher et l'avait emmenée chez ses parents, qui vivaient dans une petite maison avec leur petite fille, Kimiko, âgée de treize ans. Il lui avait déjà raconté que son frère Denis était mort de chagrin quand sa femme, mannequin, l'avait quitté pour un homme plus riche que lui. Sa fille unique le vit se saouler tous les soirs et devenir violent, jusqu'au jour où il fit le saut de l'ange. Depuis, l'enfant vivait chez ses grands-parents.

Là, Isaline fit la connaissance de la petite sœur de Rémi, Suzy, qui était avocate. C'était une femme charmante avec laquelle elle s'entendit tout de suite très bien, tout comme avec son mari, mais ce fut un peu moins le cas avec les parents et beaux-parents de Rémi. Le père du médecin était un militaire, le visage sévère et la voix sèche, tandis que l'autre était aussi un militaire et il semblait assez taciturne. Néanmoins, il n'y avait aucune hostilité, juste une certaine indifférence, une neutralité dans leurs propos. Mais Isaline sentait que ces deux hommes se méfiaient un peu, tout comme leurs épouses, qui semblaient chercher leurs mots pour lui parler dans un langage simple et correct. Comme si elle ne savait pas parler…

En dépit de ce comportement, Isaline sut se montrer amicale et tranquille, bien droite sur sa chaise, retirant ses coudes de la table et naturelle au possible. Elle fit semblant de ne pas voir l'ex-femme de Rémi, Ségolène, qui lui jetait des regards de travers. En effet, Allan rentra un peu tard du tennis avec son cousin Mathias, du même âge que lui. Tous les adultes étaient déjà à table, l'entrée étant servie. Dès qu'il arriva dans la salle à manger, l'adolescent embrassa son père et enroula ses bras autour du cou d'Isaline, avec un naturel qui sembla stupéfier la tablée. La tatoueuse ignora leurs regards aussi surpris que curieux, embrassant les joues d'Allan qui lui raconta qu'il s'était battu contre le plus fort du groupe et qu'il avait réussi à le mettre en difficulté, même s'il ne l'avait pas battu.

Isaline était surprise. Honnêtement. Jamais elle n'aurait pensé que Rémi aurait épousé une femme comme Ségolène. Peut-être sa présence avait cet effet-là sur elle, mais cette femme était réservée, un peu froide et strict. Elle pouvait imaginer de la douceur en elle, une part cachée qui avait dû charmer Rémi. Mais tous les deux étaient diamétralement différentes, alors qu'est-ce qui avait pu amener Rémi à être attiré par Isaline ? La tatoueuse était ouverte, elle riait et plaisantait, tandis que Ségolène semblait avoir un humour assez particulier, vu que le mieux qu'on pouvait tirer d'elle était un sourire.

D'ailleurs, l'idée même qu'elle soit présente lui paraissait saugrenue, mais bon, elle n'était pas d'humeur à critiquer, elle devait juste faire avec. C'était ce qu'elle se disait, jusqu'à ce qu'Allan, en plein milieu du repas, fasse une énorme bourde : il laissa entendre qu'il avait eu une note pitoyable en mathématiques. Aussitôt, Ségolène explosa et se mit à lui crier dessus, l'invectivant joyeusement. Rémi intervint et voulut la calmer mais ce fut contre lui qu'elle se retourna. La famille eut beau leur demander de se calmer, la dispute avait déjà démarrée et, totalement hallucinée, la fourchette au bord des lèvres, Isaline les regardait s'attaquer comme des loups en manque de viande, tandis que leur fils quittait la table, les larmes aux yeux, allant s'enfermer dans une chambre à l'étage.

Alors, la femme souriante, chaleureuse et naturelle disparut, laissant place à une personne sérieuse, froide et cynique. D'une voix calme, elle se mit à balancer les quatre vérités à Ségolène, ne cédant jamais à la colère, alors que cette femme se mettait à insulter son métier et tout ce qui faisait d'elle une femme.

« Madame, je n'ai jamais été mariée et je n'ai jamais eu d'enfant à moi, lui avait-elle dit. Mais j'ai élevé mon neveu comme s'il était mon propre fils, et jamais je n'ai hurlé après lui parce qu'il avait une mauvaise note, et s'il m'est arrivé de le gronder, ce n'était pas devant une assemblée de personne. Comment voulez-vous que votre fils vous respecte et qu'il fasse des efforts si vous l'humiliez devant toute sa famille et que vous vous engueuliez avec votre mari ? Vous êtes aussi empotés l'un que l'autre. »

Même Rémi en avait pris pour son grade. Personne ne disait mot, il n'y avait plus que Ségolène, humiliée, qui tentait de se défendre, et Isaline qui la descendait de minute en minute.

« Quand j'ai rencontre votre fils, je lui ai dit, mot pour mot, que je n'étais pas là pour être sa mère. C'est pas mon boulot, ça. Je n'ai pas mis ce gosse au monde et je ne l'ai pas élevé. Ça, c'est votre travail, et celui du père. Mais quand je vous vois tous les deux à gueuler comme des porcs qu'on égorge, je plains Allan d'avoir de tels boulets comme parents. »

Après ces mots, elle s'était levée et était montée à l'étage. La porte de la chambre était fermée à clé, elle menaça Allan de la défoncer si jamais il ne lui ouvrait pas dans la minute qui suivait. Et quelques secondes plus tard, elle était assise sur le lit, ses bras autour des épaules de l'adolescent qui, les larmes au bord des yeux, maudissait sa mère et son père.

Comme tous les ado' de cet âge-là.

Pendant de longues minutes, elle essaya de le consoler, mettant un doigt sur ses difficultés et voyant comment il pourrait les pallier. En anglais, elle pourrait l'aider, étant donné que c'était sa langue maternelle. En mathématiques et en physique, elle pourrait demander à Draco. Il lui ferait sûrement un prix. Peu à peu, elle l'apaisa, lui proposant des solutions simples, sans parler de ses parents. Elle paierait les leçons, elle le prendrait chez lui quelques heures pour le faire travailler, et nul doute que Harry l'aiderait volontiers dans sa tâche.

Quand tout fut réglé, elle sortit de la chambre avec lui. Rémi et Ségolène s'avancèrent vers leur fils qui leur jeta un regard mauvais, repoussant leurs attentions. Isaline dit qu'elle voulait partir, elle s'excusa auprès de la famille pour son comportement et pour cette soirée qu'elle avait gâchée. Puis, elle prit son manteau et partit. Allan et Rémi la suivirent, malgré les protestations des grands-parents.

Et ils se retrouvaient là, dans la voiture. Allan somnolait à l'arrière et Isaline se demandait comment cette histoire allait se finir : pas sûr que la famille de Rémi veuille à nouveau la recevoir, vu le foutoir que son intervention avait causée. En même temps, bien que cela ne la regarde pas, elle n'avait pas pu se taire : c'était aberrant de regarder une mère engueuler son fils de cette façon devant toute la famille, sans que celle-ci n'agisse. Elle n'était pas une fine psychologue, elle n'était pas une mère hors pair, mais quand même… Jamais elle n'avait disputé Harry de cette façon et il lui avait pourtant déjà ramené des notes peu fameuses.

Ils arrivèrent devant la boutique. Isaline regarda derrière elle et vit qu'Allan avait les yeux fermés, somnolant. Elle jeta un regard incertain vers Rémi.

« Tu veux rester dormir ?

- Je ne veux pas te déranger.

- Tu m'en veux, hein ?

- Pas du tout. Ça fait du bien de voir quelqu'un remettre Ségolène à sa place. »

Il lui fit un léger sourire, puis posa sa main sur son genou, en un geste rassurant. Puis, il poursuivit.

« Je ne t'en veux pas, au contraire. Ça nous a évité de rentrer à nouveau dans un dialogue de sourds.

- Vous êtes des boulets. »

Rémi eut un léger rire : ça, il le savait. Puis, il se pencha vers Isaline pour l'embrasser tendrement sur les lèvres. Elle lui fit un joli sourire puis lui dit de couper le moteur : qu'ils viennent dormir chez elle, Harry sera d'accord pour dormir avec Allan. Il réveillèrent donc l'adolescent qui se montra heureux de pouvoir dormir chez Isaline : ça lui évitait de faire tout un chemin jusqu'à chez lui en voiture et il avait vraiment envie de dormir.

Donc ils entrèrent dans la maison et furent accueillis par une Liloute joyeuse. Ils retirèrent leurs chaussures et Isaline monta à l'étage, suivie par Allan et Rémi. Elle toqua puis ouvrit la porte de la chambre de Harry. qui était vide. Elle fronça les sourcils.

« Il est où, Harry ? Demanda Allan.

- Je ne sais pas. Peut-être qu'il n'est pas… »

Mais soudain, elle sortit de la pièce et fila jusqu'à sa propre chambre dont elle ouvrit la porte. La lumière du couloir dissipait l'obscurité et lui permettait de voir la silhouette allongé dans le lit, les cheveux noirs presque entièrement cachés par la couette. Elle s'avança dans la chambre et s'assit sur le lit : Harry lui tournait dos, dormant profondément. Elle décida de ne pas le réveiller, même si elle était un peu inquiète. Elle sortit de la chambre et en ferma la porte. Rémi et Allan était juste devant, ne comprenant pas ce qui se passait.

« Je crois que… Harry a eu un problème.

- Avec qui ? S'étonna Rémi.

- Draco.

- C'est son pote blond ? Pourquoi il dort ton lit, je comprends pas ? »

Isaline et Rémi échangèrent un regard puis elle leur fit signe de la suivre dans la chambre de Harry. Quand elle fut dans la pièce, elle posa ses mains sur ses hanches et poussa un soupir.

« Allan, je vais t'avouer un truc et je te prierais de ne pas crier, Harry dort à côté.

- Quoi ?

- Harry sort avec Draco. »

Rémi pouffa quand il vit le visage halluciné de son fils, bouche bée, comme s'il ne parvenait pas à croire ce qu'Isaline lui racontait.

« Mais bon, c'est pas parce qu'il est gay qu'il va te tripoter ou d'embrasser, hein… Faut pas avoir peur, il va pas te manger.

- J'y crois pas…

- Bah si.

- Et qu'est-ce qu'il fait dans ton lit, exactement ? Demanda Rémi en fronçant les sourcils.

- Disons que, quand il était petit, il n'était pas bien dans sa peau donc je le prenais dans mon lit. Il a gardé cette habitude de dormir avec moi quand il ne va pas bien. Et je pense que leur rendez-vous de ce soir s'est mal passé. Je vais aller faire le lit dans la chambre d'amis. »

Quelques minutes plus tard, le lit en bas était fait et les garçons s'étaient changés pour la nuit. Allan ne s'était toujours pas remis de la nouvelle. En fait, il était choqué : jamais il n'aurait pensé que Harry puisse être homosexuel, et qu'il puisse en plus sortir avec un type comme cet étudiant blond. Mais en même temps, il n'éprouvait pas tellement de dégoût : Harry avait toujours été super gentil avec lui, il avait une trop bonne image de lui pour se sentir écœuré. Pourtant… il ne parvenait pas à y croire !

« Allez, bonne nuit mon grand ! Fit la tatoueuse en prenant l'adolescent dans ses bras. Fais de beaux rêves et pense à ce que je t'ai dit dans la chambre.

- Qu'est-ce qu'elle t'a dit ?

- Occupe-toi de tes oignons, répondit Isaline en le prenant aussi dans ses bras pour lui dire bonne nuit. Dormez bien tous les deux. A demain. »

Puis, elle quitta la chambre et monta les escaliers jusqu'à l'étage. Là, elle traversa le couloir, pénétra dans la salle de bain pour se changer puis entra dans sa chambre, où Harry dormait toujours. Elle était un peu inquiète qu'il mais décida de laisser ses craintes de côté. Elle s'allongea dans le lit et ferma les yeux, après une dernière caresse dans les cheveux noirs de Harry.

OoO

Il se sentait ridicule. Vraiment. Cela faisait longtemps qu'il ne s'était pas senti aussi ridicule. Et pourtant, Dieu savait comme il avait été idiot autrefois, et combien de bêtises il avait pu faire.

A croire qu'il les enchaînait, en ce moment. Quand il se disait qu'il arrêterait de faire sa tête de mule, il faisait une bourde encore plus grosse que la précédente. La dernière en date était une dispute avec Severus, qui s'était terminée par le claquement de la porte de leur chambre. le message était clair : Sirius dormirait sur le canapé ce soir-là, en compagnie de Saphira, le labrador.

Et c'était le cas : l'écrivain était allongé sur le canapé, un plaid posé sur lui. Saphira devait être dans son panier, installé pas loin de la porte. Ce n'était pas le fait qu'il dorme sur le canapé qui l'embêtait, car dans le fond, ce n'était pas la première fois que cela arrivait. Ce qui était déjà plus ennuyant, c'était la dispute puérile qui avait été déclenchée avec Severus, le menant à faire chambre à part pour cette nuit.

Sirius ferma les yeux. Les disputes, il les enchaînait. Surtout avec Severus. Ce dernier ce montrait assez froid ces derniers temps, réservé et secret. Il y avait des moments, comme ça, où il était moins ouvert, où il tentait de prouver qu'il n'était pas enfermé dans leur vie de couple, qu'il était libre de faire ce qu'il voulait. Il voulait faire comprendre à Sirius qu'il n'était pas sa bonne, qu'il avait eu une vie avant lui et qu'il était libre de faire ce qu'il voulait, et que ce n'étaient pas ses petites crises existentielles qui changeaient les choses.

Crises existentielles, qu'il disait… Si cela n'était que ça… Comme si c'était facile de ne pas céder à cette angoisse qui lui étreignait le cœur aussi facilement… Sirius en voulait à Severus de juger ses états d'âme de façon aussi simpliste, aussi cynique.

Severus connaissait son passé, et Sirius savait qu'Isaline lui avait parlé de ses nombreuses crises d'angoisse, de son alcoolisme… Il s'était arrangé avec le temps, mais à une époque, il buvait beaucoup et il arrivait qu'Isaline aille le chercher dans des bars pour le ramener à la maison. Il ne faisait plus cela depuis longtemps, se saouler sur un comptoir et attendre qu'un ange bienfaiteur vienne le récupérer. Mais ce n'était pas pour autant que ses crises étaient inoffensives, bien au contraire. Elles étaient douloureuses, destructrices.

Pourquoi Severus agissait-il de cette façon ? Pourquoi se moquait-il des souffrances de Sirius ? De ces crises, de ses états d'âme ? En avait-il marre de lui ? Sirius ne préférait pas y penser. Il aimait profondément son compagnon, il serait capable de lui décrocher la lune à sa simple demande, mais par moment, il doutait que ses sentiments soient réellement réciproques. Bien que Severus aimât la tranquillité, il demeurait libre, et le savoir dehors, entouré d'hommes et de femmes qu'il ne connaissait pas, remplissait Sirius d'incertitudes et d'inquiétudes. Ce dont Severus ne prenait peut-être pas pleinement conscience.

Il y avait des moments comme ça, dans un couple, où les murs tremblaient un peu. Il fallait laisser le temps calmer les choses. Sauf que, chez Sirius, cela se répercutaient sur ses autres relations, notamment avec Isaline. Oh, il ne se montrait pas exaspérant avec elle, mais plutôt avec son nouveau prétendant, Rémi Petit. C'était bien simple : au lieu de faire preuve d'un minimum d'ouverture, de tolérance, il rejetait la présence de ce médecin à la gomme en bloc. Il ne voulait pas que cet homme fasse du mal à la seule femme qu'il aimait, la seule qui comptait réellement pour lui. Son amie, sa sœur, presque sa mère. Toujours là quand il a eu besoin d'aide. Aujourd'hui encore. Et il avait la sensation que ce type lui volait Isaline.

C'était sans doute ça le pire : Rémi Petit lui volait Isaline. Il la prenait souvent le soir, l'emmenant dîner, lui faisant découvrir un autre monde que le sien. Il était jaloux, c'était indéniable, et il en avait conscience. Mais à qui pourrait-il parler de ça ? A Nymph' ? A Harry ? Non, ils ne comprendraient pas. A Severus ? Il se moquerait de lui. Il passait son temps à se moquer de lui, en ce moment. De ce qu'il écrivait, de la façon dont il s'adressait à Saphira… Tout, quoi.

Sirius ouvrit les yeux et sentit les larmes lui monter aux yeux. il faisait sombre dans le salon, la pièce était silencieuse, et Sirius se retint de se lever pour aller se chercher un verre et une bouteille de Whisky. Il ne comptait pas s'enivrer, mais juste boire un ou deux verres, histoire de pouvoir s'endormir sans trop réfléchir. Il en avait assez de se prendre la tête avec toute cette histoire, qui ne rimait à rien. Severus lui faisait la tête, ils avaient eu une énième dispute, et il était le seul à être malheureux. Aucun doute que le professeur, là-haut, devait dormir sur ses deux oreilles.

Sans penser que des larmes coulaient sur les joues de son compagnon. Sans songer qu'il serrait les poings pour se retenir de se lever et chercher une bouteille. Sans imaginer qu'il serrait les cuisses pour ne pas se lever et monter dans la chambre, pour lui demander pardon, et dormir contre lui.

Oui, il était jaloux. Jaloux de ces gens qu'il fréquentait, de cette femme trop proche de lui, de cet homme trop familier avec lui. Oui, il avait gueulé et avait sous-entendu qu'il le trompait. Oui, il avait des crises d'angoisse où il buvait comme un trou au point de ne plus savoir qui il était. Oui, il…

« Va te coucher, Saphira. »

Sirius sursauta violemment et rouvrit les yeux qu'il avait fermés. Avec stupeur, il vit la silhouette de son compagnon, au-dessus de lui, soulever le plaid étendu sur son corps. Puis, il s'allongea sur lui, son corps se posant parfaitement contre celui de Sirius qui retenait sa respiration. Comme s'il rêvait. Comme s'il rêvait que Severus s'allongeait sur lui, posant sa tête sur son épaule, son front contre son cou.

« Dors, sale cabot. »

Sirius serra les dents et tenta de refouler ses larmes. Tendrement, il referma ses bras autour de Severus qui poussa un léger soupir. Un léger sourire rassuré aux lèvres, Sirius put enfin trouver le sommeil…

OoO

« Tu cherches vraiment la merde, toi.

- Blaise…

- Je savais que t'étais con, mais là, t'as encore fait fort. C'est vraiment de ça que vous aviez besoin, tous les deux !

- T'es pas dans notre situation…

- C'est sûr. A ta place, jamais je n'aurais proposé à Harry une pause. Il est vraiment gentil ce mec : si j'avais été lui, je t'aurais foutu une claque.

- Il m'a trahi !

- Genre Seamus avait une chance de l'avoir… T'as de la merde dans les yeux ou quoi ? »

Draco n'aimait pas quand Blaise lui parlait de cette façon. Pour être franc, il détestait ça. Qu'il se moque de lui, passe encore, mais qu'il soit aussi moqueur dans sa façon de prononcer les mots, dans sa façon de le regarder le mettait hors de lui. Dans ces moments-là, il avait vraiment l'impression de passer pour le dernier des crétins.

« Tout ce que tu veux, Draco, c'est lui faire du mal. Avoues le, au moins ! Il t'a blessé dans ton orgueil donc tu veux lui faire payer au centuple. Sauf que c'est pas comme ça que ça va s'arranger, Draco Malfoy. Je ne suis pas un fin psychologue, mais quand même ! »

Blaise regardait son meilleur ami d'un œil sévère. Il était d'accord sur le fait que le rendez-vous de Harry avec Seamus n'était certainement pas la meilleure des solutions, mais cela n'avait pas été fait dans le but de tromper Draco, et encore moins de le blesser. Blaise estimait qu'il pouvait être pardonné : Seamus ne l'approchait plus, il semblait même malheureux, et Harry semblait reconnaître ses erreurs et les assumer. Mais Draco, au contraire, ne cherchait pas à lui accorder son pardon, bien au contraire.

Ce qui était à la fois étrange et compréhensible connaissant Draco, c'était qu'il avait besoin de blesser Harry pour se venger de la douleur qu'il avait ressentie, alors que son seul désir, c'était d'être auprès de lui. Il avait de légères cernes sous les yeux, signe qu'il dormait mal, et Blaise ne mettait pas cela sur le dos du travail ou d'une possible insomnie. Ou s'il y en avait une, elle était due à sa mésentente avec Harry. En somme, Draco faisait bêtise sur bêtise et en payait les conséquences.

« Franchement, vous avez mal géré cette histoire, dit Blaise en soupirant. Toi tu t'es montré jaloux et colérique comme pas deux, lui il a tout nié en bloc, et résultat, après qu'il ait fait une jolie connerie, tu lui proposes de faire une pause. Moi qui vous voyais comme le couple de l'année, solide malgré vos différences…

- Je ne sais pas ce qui m'a pris, avoua Draco. Je n'aurais pas dû lui dire ça, je le sais. Mais j'ai l'impression de tourner en rond…

- Vous avez tous les deux de forts caractères. Toi, tu es le dominant dans le couple, mais Harry ne donne pas sa part au chat. Enfin bref. Maintenant, vous êtes tous les deux comme des cons : Harry refuse de répondre à tes appels et t'arrive même plus à dormir.

- Je dors !

- Dommage que tu ne sois pas une fille, tu aurais pu cacher tes cernes avec du maquillage. »

De mauvaise foi, Draco tourna la tête sur le côté en poussant un grognement mécontent. Oui, il avait du mal à dormir, toute cette histoire le préoccupait, mais il n'aimait pas qu'on lui rappelle cela. Nullement étonné par son comportement peu mature, Blaise reposa les yeux sur la photo d'Angelina Jolie dans Oops. Elle était belle, certes, mais loin de le faire fantasmer. Elle ressemblait plus à une poupée Barbie© qu'à autre chose. Certes, Luna n'avait rien d'une actrice d'Hollywood, mais il l'aimait quand même.

« Ça fait trois jours que je n'ai pas de nouvelles.

- Tu ne peux t'en prendre qu'à toi-même.

- Quand je l'appelle sur son portable, continua Draco sans prendre en compte la remarque de Blaise, il ne répond pas, et quand j'appelle sur le fixe, Isaline me répond qu'il n'est pas là.

- Même à neuf heures du soir ?

- Je sais qu'il est chez lui, Isaline n'est pas très convainquante, et c'est pas comme si elle voulait vraiment me convaincre.

- Tu es passé à la boutique ? Demanda Blaise en tournant la page, tombant sur Lindsay Lohan en maillot de bain.

- Oui, mais il m'a dit qu'il était occupé et qu'il ne voulait pas me voir. Les pauses, sont faites pour réfléchir chacun de son côté, pas pour se voir.

- Et t'es parti ?!

- T'as déjà vu Harry de mauvaise humeur ?

- Non.

- Alors tu ne peux pas comprendre. »

C'était simple : quand Draco était arrivé, Harry lui avait jeté un regard sombre et peu avenant. Quand il eut terminé avec son client, il l'emmena dans la cuisine et lui demanda de partir, il ne voulait pas le voir. Draco avait essayé de riposter, mais Harry, avec cynisme, lui avait précisé qu'ils faisaient une pause, comme le blond l'avait gentiment proposé, ce qui signifiait qu'ils ne devaient pas se voir pendant plusieurs jours. Donc Harry voulait qu'il s'en aille et tout de suite. Draco n'avait pu que hocher la tête et s'en aller, blessé dans le fond de son cœur.

« Je vais peut-être repasser.

- Ce serait bien.

- J'apprécie ton soutien, Blaise.

- A ton service. »

Mais cela serait plus compliqué que cela en avait l'air. Draco connaissait Harry, il savait qu'il l'avait blessé, que cette histoire n'avait ni queue ni tête et qu'ils tournaient en rond. Il faudrait bien sortir de ce cercle infernal, se mettre une baffe et se réveiller. Sauf que Harry était têtu, et Draco orgueilleux…

OoO

Harry poussa un soupir à fendre l'âme. Il posa son téléphone portable sur son bureau de façon assez brusque. Déjà qu'il avait du mal avec ses propres histoires de cœur, voilà que Ron venait lui faire part des siennes…

D'un autre côté, Ron ne pouvait pas parler à grand monde de ses histoires d'amour. Il avait toujours été assez réservé, côté sentiments, et il ne parvenait à se dévoiler qu'avec Harry. Peut-être parce qu'il savait qu'il ne le jugerait pas… C'était bien possible. Enfin, le fait était qu'il venait de l'appeler pour lui faire part de ses angoisses : l'ex de Hermione, Viktor Krum, était revenu en France et il avait contacté l'étudiante. Apparemment, ils se seraient vu un midi pour déjeuner et Ron acceptait très mal ce genre de rapprochement.

En effet, il avait rencontré ce fameux bulgare quand il était allé chercher Hermione à sa fac. C'était un homme bien bâti, musclé et bien campé sur ses jambes, comme si rien ne pourrait l'ébranler. Il avait des cheveux noirs coupés courts, des sourcils broussailleux et un regard perçant. Le genre d'homme solide dont pas mal de filles rêvaient, car il était protecteur, fort et mystérieux. Ron aurait pu l'apprécier s'il n'avait pas été l'ex petit-ami de Hermione. Il se disputa avec elle quand il compris qu'elle le voyait de temps en temps, vu qu'il passait à la fac, et il voyait ses yeux se troubler quand elle parlait de lui.

C'était pourquoi il avait appelé Harry : Hermione ne répondait pas sur son portable et il était persuadé qu'elle était avec Viktor Krum. Il avait appelé Millicent et elle avait paru gênée au téléphone, tentant vainement de sauver sa copine des doutes de son petit ami. Mais trop tard, Ron avait compris, il était sûr qu'elle était avec le bulgare.

Exaspéré, en se disant que cette situation avait un air de déjà-vu, Harry éteignit son ordinateur puis quitta sa chambre, descendant tranquillement les escaliers avant d'arriver dans l'entrée. Il passa devant la porte ouvert de la cuisine, où se trouvaient Isaline et Sirius : il avait déjeuné avec eux et ils étaient en train de boire du café.

« Ryry, tu sors ? Lui demanda Isaline.

- Oui, je serai là dans une heure.

- N'oublie pas ton rendez-vous, mon cœur.

- T'inquiète pas. »

La porte d'entrée ne tarda pas à être claquée puis verrouillée. Isaline et Sirius soupirèrent : Harry n'était guère gracieux, aujourd'hui, et il était comme ça depuis son dernier rendez-vous avec Draco. Il avait refusé de lui expliquer ce qu'il s'était passé, c'était Draco qui lui avait raconté, en espérant que, ainsi, elle lui passerait Harry au téléphone, ce qu'elle n'avait pu faire : Harry lui gueulait qu'il n'était pas là, et aucun doute que Draco avait perçu le message. Il avait réessayé d'appeler mais Harry s'était montré tout aussi têtu : les pauses, c'était fait pour réfléchir, pas pour se voir.

« Il lui en veut vraiment, dit Sirius en se réservant une tasse de café.

- Oui. Enfin, je pense que c'est surtout parce qu'il ne comprend pas Draco. Il ne comprend pas son envie de faire une pause et de vouloir le voir tout de suite après. Moi non plus, je n'appelle pas ça « faire un break ».

- Tout simplement parce que Draco a besoin de lui, et qu'il fait ça pour se venger. C'est un homme fier et il a été blessé dans son orgueil.

- Moi, je dis juste que ce sont des gamins. »

Sirius pouffa tandis qu'Isaline se resservait aussi une tasse de café et y ajoutait un petit bout de sucre. Elle fit tourner sa cuillère dans le liquide noir, puis leva les yeux vers Sirius.

« Et toi, comme ça va avec Severus ?

- Pas terrible, répondit Sirius d'un air sombre.

- Pourtant, l'autre jour, tu m'as dit que…

- Isaline, soupira l'écrivain. Je suis sûr qu'il me trompe.

- Ne dis pas de bêtises ! »

Sirius secoua la tête. Il la regarda dans les yeux, la mine sombre, et lui expliqua ses doutes. Déjà, leurs disputes se faisaient de plus en plus nombreuses et sur des sujets de plus en plus ridicules. Ensuite, Severus rentrait tard, ou du moins assez pour prétendre dîner avec ses collègues, ce qu'il faisait peu auparavant. Pas autant qu'en ce moment, en tout cas. De plus… il ne savait pas trop… mais Severus se montrait bien plus réservé avec lui, il était encore moins tendre qu'auparavant et, sans vouloir entrer dans les détails, leur vie sexuelle était quasi inexistante.

« Et tu lui as parlé de tout ça ?

- Ça vire en dispute. Tu le connais : je parle de sexe, il me traite d'obsédé, je parle de tendresse, il me traite de midinette… Je ne sais pas ce qu'il a. Et comme on se dispute souvent, j'ose pas trop mettre les pieds dans le plat… Pour être franc avec toi, j'ai peur. Peur qu'il me quitte, qu'il en ait marre de moi… J'en ai rien à faire de la maison. Ni du Pacs. C'est… je l'aime et… je ne veux pas qu'il s'en aille… »

Sirius avait le regard perdu dans le vague et humide, comme si les larmes étaient prêtes à couler. Mais elles ne dévalèrent pas ses joues, même quand il abaissa ses paupières fatiguées. Il en avait assez de chercher à comprendre, car dans le fond, il ne voulait pas savoir. Severus représentait une part importante de sa vie, une sorte d'avenir qu'il n'aurait plus jamais. S'il le quittait, ce serait la fin de tout, et rien qu'à cette idée, il avait mal dans tout le corps : son cœur battait trop vite, sa gorge se nouait, son corps se tendait…

Tendrement, Isaline prit sa main dans les siennes et la caressa du bout des doigts.

« Sirius, arrête de te prendre la tête comme ça. Ce n'est pas la première fois que Severus agit de la sorte, et en général, ça ne dure jamais très longtemps.

- Mais je ne me sens pas bien, tu sais… Je suis allé voir Remus hier, il me dit aussi de ne pas m'inquiéter, mais…

- Si Remus le dit, tu dois l'écouter. Il est plus clairvoyant que moi. »

Sirius hocha vaguement la tête. Il était angoissé et il avait hâte que Severus cesse de le faire tourner en bourrique de cette façon. Il s'était bien calmé, et peut-être que son compagnon voulait lui donner une leçon, vu qu'il pensait que Sirius l'avait trompé. L'écrivain ferma les yeux un court instant en se disant que sa vie sentimentale était vraiment prise de tête…

« Au fait, avec Rémi, ça s'est arrangé ?

- M'en parle pas…

- Isaline, fit Sirius avec un sourire charmeur. Raconte-moi tout.

- Bah disons qu'il me bassine pour que j'aille dîner à nouveau chez ses parents qui s'en veulent parce que tout s'est mal passé quand je suis allée chez eux. Ils veulent vraiment me connaître. Par contre, c'est l'anniversaire d'Allan… Donc son ex-femme sera encore là…

- Je ne pense pas qu'elle soit assez conne pour éclater son fils le jour de son anniversaire.

Isaline haussa les épaules : elle ne savait pas de quoi cette bonne femme était capable. Elle avait encore quelques jours pour réfléchir, l'anniversaire se passait le mercredi suivant. Harry était invité. Même si elle hésitait, aucun doute qu'elle y serait, même si elle n'en mourrait pas d'envie…

OoO

« L'amour, ça s'en va et ça revient…

- Tata, tais-toi.

- Okay. »

OoO

Draco était encore passé, ce jour-là. Il était rentré par la boutique, alors que Harry travaillait, dessinant un requin en motifs polynésiens sur la hanche d'un charmant jeune homme. Patient, le blond avait attendu au comptoir, assis sur une chaise, tout en discutant avec Nymph' qui attendait une cliente voulant se faire percer le nombril et une autre voulant acheter un écarteur plus grand.

Une demi-heure plus tard, Harry avait terminé la séance. Il partit donc dans le salon avec Draco et croisa les bras, attendant que son petit ami s'exprime. Cela se termina sur une dispute. Draco s'excusait pour ses paroles, faire une pause n'était pas la meilleure de ses solutions, et si Harry n'en voulait pas de ses excuses, ne jugeant pas que c'était à lui de se faire pardonner, il ne voulait pas non plus le revoir. Finalement, lui aussi avait besoin d'un peu de temps, histoire de faire le point. Il s'était embarqué dans une longue relation assez mouvementée, il avait une bêtise en accordant ce rendez-vous à Seamus, car il ne voulait plus que Draco soit jaloux. Tout cela reposait sur un manque de confiance mutuel. Même si cette décision faisait mal à Harry, il sentait que c'était essentiel : on devait tirer des leçons de nos erreurs.

Bien que cette décision paraisse sage à Harry, ce n'était pas du tout le cas pour Draco qui s'énerva rapidement. Il pensait que c'était une façon pour Harry se venger de ses mots, et même si le brun insista sur le fait qu'ils en avaient besoin, que d'aller de connerie en connerie sans en tirer de leçon était inutile, Draco fit sa tête de mule et prit très mal les paroles de Harry, au point qu'il s'en alla en claquant la porte. Le brun ne savait pas que son petit ami dormait très mal la nuit, qu'il pensait sans cesse à lui et qu'il était impossible pour lui de passer deux jours sans l'avoir devant lui, au téléphone ou sur MSN. Le fait de ne pas avoir de nouvelles de Harry le mettait de très mauvaise humeur et l'entendre dire qu'il fallait poursuivre ne pouvait évidemment pas lui faire plaisir.

A présent, assis sur son lit à jouer de la guitare, Harry ne savait pas s'il avait bien fait de lui dire ça. Draco lui manquait et les breaks étaient rarement une bonne chose dans les couples. En même temps, vu le nombre de fois où Draco tentait de le joindre depuis leur dernier rendez-vous, Harry ne pouvait pas appeler ça une pause, il pensait trop à lui et le voyait un peu trop souvent, même si c'était dans de mauvais termes. Et, honnêtement, il ne savait pas s'il pourrait tenir encore quelques jours sans aller le chercher à sa fac et le ramener chez lui pour l'embrasser comme un désespéré.

Harry se dit qu'il se donnait trois jours avant d'aller le voir. Il ne tiendrait pas plus, et peut-être irait-il avant cette limite. Le temps que Draco se calme et comprenne que cette histoire était sans queue ni tête : à tenter de faire comme si rien ne s'était passé, les erreurs de Harry demeureraient à leur place et Draco lui reprocherait cette trahison un jour ou l'autre. Il fallait que tous les deux fassent des efforts.

On sonna à la porte d'entrée. Étonné, Harry fronça les sourcils et cessa de jouer de la guitare, alors qu'Isaline criait dans le couloir qu'elle arrivait. Le jeune homme ouvrit la porte et entendit la voix de Rémi. Il paraissait énervé. Intrigué, il se cacha près de l'escalier et écouta les deux adultes parler.

« Je commence à en avoir assez !

- Rémi, du calme, s'il te plait…

- Il faut que tu lui dises quelque chose, ça devient urgent, là !

- Et que veux-tu que je lui dise ? Quand je lui parle de toi, il m'encourage, et quand il te voit, il te teste…

- Arrête un peu, tu veux ? Il ne me teste pas, il ne m'aime pas, c'est différent ! »

Pendant quelques secondes, Harry se demanda de qui ils parlaient avant qu'une ampoule ne clignote au-dessus de sa petite tête : Rémi avait sans doute rencontré Sirius en chemin. C'était vrai qu'il adoptait une conduite un peu particulière, mais pas différente de d'habitude : il ne décourageait pas Isaline, mais il ne se montrait pas particulièrement amical avec ses amants, les testant jusqu'à ce qu'ils aient fait leurs preuves. Ce que Rémi n'appréciait manifestement pas.

« Rémi… je t'ai déjà dit qu'il fait ça à chaque fois, il n'a rien contre toi…

- Pas étonnant que tu n'ai trouvé personne, vu comment il me parle !

- C'est méchant, ça !

- Isaline, soit réaliste : quand il me parle, je ne sais pas s'il se fout de moi ou s'il est sincère. Je n'aime pas son regard ni ce qu'il me dit. Je ne comprends même pas que tu fréquentes un homme pareil. Il est peut-être adorable avec toi, mais moi, il ne m'aime pas, et c'est un fait.

- Je vais essayer de lui parler… Calme-toi, Rémi, ça va te faire des rides.

- C'est le cadet de mes soucis, ça.

- Ah, les hommes… »

Harry les entendit entrer dans le salon. Il croisa les bras et fronça les sourcils. Qu'importe ce qu'Isaline pourrait dire, Sirius ne changerait pas ses habitudes. Il voulait être sûr que ce type était le bon, que ce n'était pas un crétin comme les autres. Il avait une méthode bien à lui pour le savoir, certes. Néanmoins, il ne fallait pas oublier que Sirius était inquiet à l'idée qu'un homme puisse entrer dans la vie d'Isaline : il pourrait lui faire du mal ou l'éloigner d'eux. Et, ça, c'était inconcevable pour lui. Égoïstement, il avait besoin d'être sûr qu'Isaline ne se détournerait jamais de lui. Un peu comme un gosse, qui ne voulait pas voir sa mère partir loin de lui. Tant qu'il ne serait pas rassuré, il agirait de cette façon. Isaline aurait beau gueuler, cela ne changerait rien. Et, comme elle, Harry tait sûr que Sirius n'avait rien contre Rémi en particulier, sinon il aurait clairement été invivable.

Harry se dit que cette famille était vraiment prise de tête. Et encore, ils avaient de la chance, Nymph' avait été convaincue par Rémi et ne se montrait pas trop difficile. Sinon… cela aurait amusant à gérer…

OoO

Septique, Nymph' regarda Isaline de haut en bas. Puis, elle baissa les yeux vers sa poitrine, fronça les sourcils, et regarda à nouveau sa patronne.

« C'est vraiment pas juste.

- Qu'est-ce qui n'est pas juste ? Demanda Isaline en se regardant dans son miroir, ajustant son haut.

- T'as une belle poitrine, toi. Moi j'ai des tous petits seins, répondit Nymph' en posant les mains sur sa poitrine. Les melons, c'est quand même plus joli que les mandarines.

- Refais-toi les seins, si ça te gêne tant que ça.

- Nan, Remus il veut pas. Il dit qu'il aime mes seins comme ils sont. »

Remus n'était vraiment pas compliqué, vu qu'il acceptait toutes les extravagances de sa femme. Quand il la fréquentait, au début, il avait un peu de mal à la suivre : elle était plus jeune, vive, et assez étrange. Mais il était amoureux et Nymph' avait fait des efforts sur elle-même, de façon à ce que leurs caractères si différents puissent s'accorder de façon relativement harmonieuse. Oh, il y avait des hauts et des bas, comme dans chaque couple, mais pas au point de brusquer dangereusement leur quotidien. Et ce n'était pas le léger complexe de Nymph' concernant sa poitrine peu généreuse qui allait chambouler leur vie.

« C'est quand même de l'arnaque. Je suis plus jeune et c'est toi qui a de gros seins. »

Isaline poussa un soupir, affichant une mine exaspérée. Elle jugeait que sa poitrine était de taille respectable, mais quand on voyait les petites oranges qui remplissaient le soutien-gorge de Nymph', oui, elle était bien roulée, effectivement. Et on ne pouvait pas dire que le haut qu'elle avait mis, noir, avec de larges manches et un décolleté discret, ne mettait pas en valeur sa poitrine.

Mais c'est quoi cette conversation ? Se demanda-t-elle soudain.

« Bon, Nymph', c'est pas que tu me déranges mais…

- … je te dérange ?

- Va voir ce que Harry fabrique pendant que je me maquille. »

Nymph' hocha la tête et sortit de la chambre pour aller dans celle de Harry. Alors qu'elle allait ouvrir la porte, elle faillit se faire percuter par ledit Harry qui ouvrit sa porte brusquement. Elle poussa un petit cri de stupeur, la main sur le cœur.

« Tu m'as fait peur !

- Tata !! Cria Harry en courant vers la chambre d'Isaline.

- Oui mon chéri ? Fit cette dernière depuis la salle de bain.

- J'ai un problème !

- Et on s'en fout de moi… Grommela Nymph' en croisant les bras.

- Je peux pas venir à l'anniversaire !

- Quoi ?! »

Isaline sortit de la salle de bain, affolée, alors que Harry lui expliquait qu'il ne pouvait malheureusement pas venir. Il venait d'apprendre que la voiture de Ron avait été percutée par une voiture et il avait rencontré un camion, donc il avait été emmené d'urgence à l'hôpital. C'était Neville, en panique, qui venait de l'appeler. Harry ne pourrait faire la fête alors qu'il savait son ami à l'hôpital, il devait aller le voir de toute urgence.

La patronne se mordilla la lèvre en voyant son neveu aussi nerveux. Inquiète, elle était prête à ne pas y aller non plus, mais elle savait qu'Allan le prendrait mal, vu comme il avait insisté pour qu'elle et Harry viennent. Elle poussa un soupir et dit à Harry qu'il pouvait y aller mais qu'il avait intérêt à lui donner des nouvelles rapidement.

« Tu t'excuseras pour moi, hein…

- T'inquiète pas, va. Fonce. »

Harry hocha la tête et dévala les escaliers afin de rejoindre son ami à l'hôpital, alors que Nymph' affichait un air contrarié et inquiet, tandis qu'Isaline poussait un soupir las.

OoO

Finalement, Allan ne l'avait pas si mal pris. Enfin, il avait été très déçu, mais il avait compris pourquoi Harry n'avait pas pu venir. Aussi, quand le tatoueur avait appelé pour donner des nouvelles à Isaline, vers la fin du repas, il avait parlé à l'adolescent au téléphone. D'après ce qu'elle avait compris, Harry lui aurait proposé de passer l'après-midi ensemble. En tout cas, il lui avait parlé de façon à lui redonner le sourire. Comme quoi, c'était tout un art de parler aux enfants…

En tout cas, Isaline était soulagée. Même si elle n'en montrait rien, elle était terriblement nerveuse depuis le début du repas, ne cessant de penser au rouquin. En fait, il s'en sortait plutôt bien. Il s'était cogné la tête sur le côté et son bras était cassé. Il se retrouvait donc en arrêt maladie forcé. Peut-être allait-il partir vivre chez ses parents, à qui Harry avait tenu compagnie, le temps de son rétablissement, mais le tatoueur en doutait : Ron préférerait sûrement vivre avec Neville, étant moins gêné de montrer ses faiblesses à son ami et colocataire plutôt qu'à sa mère qui le chouchouterait comme un bébé.

Savoir qu'il allait bien la soulageait. Déjà qu'elle était stressée à l'idée de rencontrer la famille de Rémi pour la seconde fois… Mais tout s'était remarquablement bien passé, à son grand étonnement. En fait, ils lui paraissaient bien plus amicaux que lors de leur première rencontre. Soit ils étaient moins tendus, soit ils avaient apprécié la petite altercation entre Isaline et Ségolène. Le fait est que le père de cette dernière se montrait bien plus bavard avec elle que la dernière fois. En fait, tout le monde était plus bavard. Et cela soulageait un peu la tatoueuse.

Il y avait aussi Rémi qui mettait son grain de sel : il était étonnement proche et familier avec elle, lui prenant naturellement la main ou passant un bras autour de sa taille, passait une main tendre dans ses cheveux. Il n'était pas comme ça la première fois et il ne semblait pas se rendre compte des gestes qu'il avait à son encontre. D'ailleurs, cela ne semblait gêner personne. Hormis Isaline, qui se demandait dans quelle famille de barjes elle était tombée. Bon, la sienne n'était mieux à côté, mais bon, jamais elle n'aurait eu de tels gestes avec Rémi si son ex-mari était présent dans la pièce. En même temps, jamais elle n'aurait invité son ex-mari pour une telle soirée, même si c'était l'anniversaire de leur fils… Toute cette histoire lui embrouillait la tête.

En tout cas, Ségolène ne lui adressa pas la parole de tout le repas. Pour être franche, Isaline devrait avouer qu'elle n'avait pas ouvert la bouche depuis qu'elle était arrivée, hormis pour avaler ses aliments. Elle boudait, sûrement. Cela n'intéressait pas la tatoueuse, au contraire : tant qu'elle avait la bouche fermée, elle n'aurait pas à s'en faire pour la soirée, qui avait si bien commencé. Il fallait dire qu'elle avait de l'effet avec le bouquet de fleurs qu'elle avait apporté à la mère de Rémi qui organisait l'anniversaire de son petit-fils.

Isaline était persuadée que son métier jouait en sa défaveur et que, lors du premier dîner, ils s'étaient attendus à voir une femme vulgaire et sans éducation. Les bons clichés typiques de tatoueurs, en somme. Ainsi, la voir, remettre Ségolène à sa place avec calme, apporter des fleurs pour les deux grands-mères et se montrer aussi agréable à table jouait en sa faveur. Certes, il y avait quelques allusions négatives à son métier, mais s'ils lui avaient ouvert les bras de bon cœur, elle aurait flippé. Déjà qu'ils soient aussi gentils avec elle, ça lui faisait vraiment bizarre…

Mais la tatoueuse se demanda si leur attitude n'était pas due, aussi, au comportement d'Allan. Depuis le début de la soirée, il semblait assez ouvert et il traînait dans les pattes d'Isaline, cherchant à deviner quel cadeau elle lui avait offert. Jamais il ne s'était comporté de cette façon avec les autres compagnes de Rémi, il les rejetait en bloc, sans chercher à les connaître. Isaline paraissait différente. Il y avait un petit quelque chose en elle, qui amenait Allan à venir l'embêter en sachant qu'elle l'enverrait balader avec le sourire aux lèvres.

« Ces gamins sont intenables, fit Manuel, le beau-frère à Rémi.

- On devrait amener le gâteau, dit sa mère. Ils vont nous tourner autour jusqu'à ce qu'Allan ait eu ses cadeaux.

- Où est passée Isaline ? Demanda soudain la sœur de Rémi.

- Les gamins l'ont emmenée, tout à l'heure. Je vais aller voir ce qu'elle fabrique. En attendant, préparez le gâteau ! »

Les femmes ne se le firent pas répéter deux fois et elles filèrent aux cuisines tandis que Manuel montait à l'étage voir ce qui se tramait dans la chambre de Kimiko, sa nièce, qui vivait chez ses grands-parents. Quand il redescendit, il était mort de rire et gloussait encore d'un fou rire difficile à contenir. La tablée l'interrogea, Suzy étant revenue avec sa mère pour débarrasser.

« Tu sais ce qu'elle fait ta copine, Remi ? Elle danse la Macarena avec tous les gosses là-haut. »

D'abord stupéfait, ils éclatèrent de rire à leur tour. Manuel s'éventa avec sa main et précisa que, quand il était descendu, elle chanterait Mein Herz Brennt de Rammstein avec les garçons qui baragouinaient un allemand approximatif.

« Ta copine est pleine de ressources, dis donc. Et c'était qu'elle avait l'air de bien connaître les paroles !

- Dans la boutique, ils mettent la radio ou écoutent des CD. Je suis déjà entré avec Allan pendant qu'elle dansait avec sa tatoueuse sur Alexandrie Alexandra. »

Manuel rigolait toujours, et ce fut lui qui monta à nouveau à l'étage pour leur demander de descendre. Quand il arriva, les jeunes se tapaient un délire monumental sur Ma meilleure amie de Lorie. Isaline était assise sur un lit, Kimiko assise entre ses jambes, riant toutes les deux à gorge déployée.

Pendant quelques secondes, Manuel regarda cette femme, si vive et joyeuse. Il comprenait pourquoi Rémi en était tombé amoureux. Elle était si loin de Ségolène, cette dernière demeurant trop étriquée dans son rôle de femme taciturne. Ce n'était pas qu'il n'aimait pas sa sœur, mais il la trouvait trop réservée et abusive, voulant toujours tout contrôler alors qu'elle n'était pas fichue de se faire respecter de son fils. Elle avait essayé de jouer à la rebelle en trompant son mari et en épousant un autre homme. Le résultat était qu'Allan la craignait et que Rémi s'était trouvé quelqu'un d'autre. Et qu'il paraissait heureux, sorti de son rôle de père, de médecin, d'homme triste et malmené par son travail.

C'était de ce genre de femmes dont Rémi avait besoin : une bout en train.

« Allez les jeunes ! On descend !

- C'est le gâteaux !!

- Vous ne pensez qu'à votre ventre… »

Les adolescents éteignirent la musique, la lumière puis passèrent devant Manuel pour ensuite dévaler les escaliers. Isaline le rejoignit en rigolant, alors qu'il lui faisait des compliments sur sa précédente interprétation de la Macarena. Le sourire aux lèvres, elle lui dit qu'il ne l'avait jamais vue danser la Danse des canards.

« J'ai hâte de te voir la danser.

- A ce moment-là, il n'y avait pas de boulot à la boutique et on s'ennuyait trop.

- Vous vous ennuyez pas !

- Faut s'occuper. »

Ils descendirent au salon, où tout le monde s'était rassemblé. On éteignit la lumière et la mère de Rémi apporta le gâteau, tandis que tous les invités chantaient la chanson traditionnelle en rythme. Allan tentait de rester sérieux mais l'émotion inévitable de l'anniversaire, du gâteau qu'on apporte avec la bougie allumée, le submergea et il souriait. C'était une grande tarte aux pommes qu'elle avait faite elle-même. La grand-mère déposa la tarte sur la table basse. Des flashs crépitèrent alors que l'adolescent se penchait pour souffler la bougie. Tout le monde applaudit quand ce fut fait.

Puis, les cadeaux furent distribués. Alors qu'Allan déchirait le papier, Isaline allait se réfugier contre Rémi avec lequel elle échangea un regard complice. Ils avaient décidé de faire un cadeau en commun et elle avait eu un peu de mal à le convaincre pour acheter ce qu'elle avait prévu. Finalement, il avait accepté et Harry avait participé également.

Les cadeaux furent distribués. Isaline regarda Allan ouvrit ses paquets, déchirant le papier. Elle eut un léger sourire quand il échange une brève étreinte avec sa mère et quand il embrassa ses grands-parents, oncle et tante. Enfin, il arriva eu dernier cadeau, une grosse boite avec un papier cadeau Winnie l'ourson. Allan leva les yeux au ciel.

« Isaline…

- Désolé mon grand, il me restait du papier cadeau de Noël. Tu sais que ça coute cher, ce truc-là !

- T'abuses… »

Il commença à déchirer le papier puis s'arrêta. Ses yeux s'arrondirent de stupeur et il leva la tête à nouveau vers le couple que formait son père et Isaline.

« Naaaaan, c'est pas vrai… T'as réussi à convaincre papa ?!

- Faut croire. Ouvre. »

L'adolescent découvrit la Wii avec stupeur. Ses cousins et cousines se jetèrent sur la boite. Isaline gloussa en voyant les regards plus que surpris de la famille de Rémi, qui ne devaient pas connaître la haute technologie. Tous les gamins rêvaient d'avoir une console et vu qu'Allan l'avait bassiné avec cette histoire de Wii…

Ce fut ce cadeau qui fit le plus d'effet, Allan se jeta littéralement sur elle pour la remercier. Quand il découvrit ensuite les jeux vidéos que Harry lui avait offert, au nombre de quatre, il se ligua avec ses cousins et cousines pour qu'on leur installe la console dans la chambre. Isaline, qui avait tout prévu, prit la machine et l'emmena dans la chambre où elle fit les différents branchages, tandis que les adolescents mangeaient un morceau de gâteau. Elle avait déjà fait charger les manettes, il ne restait plus qu'à s'amuser.

Quand elle revint, la mère de Rémi lui donna une assiette avec une part de tarte qui se révéla délicieuse. Elle s'installa sur une chaise, vu que le canapé était pris, juste à côté du médecin. Elle perçut le regard haineux de son ex-femme qui mâchouilla la tarte avec colère. Isaline se dit qu'elle devait être jalouse, vu qu'elle avait mis plus d'argent dans le cadeau d'Allan qu'elle, sans compter que la console avait fait plus d'effet que deux CD audio. Mais Isaline n'avait pas convaincu Rémi d'offrir un tel présent à son fils pour faire la femme généreuse et dans l'air du temps, mais plutôt pour faire plaisir à l'adolescent. S'il avait voulu des places de concert, elle aurait fait la queue, s'il avait voulu un DVD, elle serait allée l'acheter. Un anniversaire, c'était fait pour faire plaisir, et si on avait les moyens, autant faire fort. Et Isaline adorait faire des cadeaux, plus qu'en recevoir.

Les adolescents montèrent à l'étage pour jouer à leur console, laissant alors les adultes entre eux. Une coupe de champagne à la main et leur assiette sur les genoux, la discussion allait bon train et l'ambiance était aux rires. Manuel riait encore de la prestation d'Isaline de la Macarena et la défia de recommencer, ce à quoi la tatoueuse lui répondit que, si son plus grand fantasme était de la voir danser sur cette chanson, pourquoi pas. Sa femme Suzy répliqua que, si elle se mettait à danser, il viendrait la rejoindre et la maison serait sans dessus dessous, vu qu'il était maladroit comme pas deux. Isaline gloussa quand Manuel répondit à sa femme, faussement outré.

« Vous dansez beaucoup, Isaline ? Lui demanda le père de Rémi.

- On s'occupe comme on peut quand il y a peu de monde dans la boutique. Parfois on chante avec les clients, c'est dire.

- Ça fait longtemps que vous tenez cette boutique ? »

Isaline leva les yeux et compta sur ses doigts.

« Heu… J'ai vaguement commencé à 16 ans… on va dire que ça fait vingt-deux ans que je gère la boutique.

- Depuis que vous avez seize ans ? S'étonna la mère de Ségolène.

- C'est… une histoire assez longue.

- Racontez-vous.

- Mon père m'a toujours placée dans des établissements privés, raconta-t-elle après avoir bu une gorgée de champagne. Il voulait que je fasse de longues études, et j'étais plutôt bien partie. Mais… pour faire simple, ma mère m'a eu avec accident avec mon père et ils ont dû se marier. Résultat, ma mère ne m'a jamais vraiment porté dans son cœur, vu qu'elle a été obligée de se caser avec lui, un tatoueur. »

Isaline préférait résumer la situation, somme toute assez banale, vue et revue aujourd'hui. Elle préférait éviter de dire qu'elle l'avait maltraitée, lui avait fait payer sa naissance. La frappant quand son père avait le dos tourné, la détournant des loisirs, la forçant à s'enfermer dans sa chambre pour être tranquille…

« Donc elle en a fait voir de toutes les couleurs à mon père, au point qu'il est tombé malade. Il a laissé traîner les choses et son moral était au plus bas, sans compter qu'il avait des problèmes d'argent. Au final, j'ai dû choisir : mes études ou la boutique. J'ai choisi mon père. Ma mère est partie et j'ai fait de l'alternance entre des études de comptabilité, histoire de pouvoir gérer la boutique, et de tatoueuse. »

Autant éviter de dire qu'elle avait jeté sa mère de dehors, ne pouvant supporter toutes ses tromperies. Le divorce fut prononcé peu de temps après l'arrêt de ses études, sa mère lui en tint toujours rancune, et elle vécut seule avec son père.

« C'est comme ça que je suis devenue tatoueuse, conclut-elle.

- Quelle histoire, soupira la mère de Rémi. Vous avez donc trente-huit ans ? »

Isaline et Rémi se regardèrent, puis il pouffa alors qu'elle levait les yeux au ciel d'un air fataliste.

« Je fais si jeune que ça ? J'ai quarante ans, madame. »

Non, il fallait croire qu'elle faisait bien moins, vu la tête qu'ils tirèrent.

« En gros, j'ai l'âge de votre fils.

- Vous ne les faites pas du tout !

- On me le dit souvent… »

La conversation se poursuivit, sur la profession d'Isaline, qui suscitait curiosité et intérêt, mais aussi sur celles des autres membres de la famille, composée de militaires, d'avocat ou de médecin. Des professions atteintes grâce à des études plus ou moins longues, si on exceptait Manuel, qui tenait sa propre boulangerie. Isaline trouvait qu'elle faisait un peu tache, au milieu de ce qu'elle appelait des « intellectuels », mais elle se sentait à l'aise. Elle souriait et parvenait à les faire rire. La soirée était un succès, elle n'aurait pas pu mieux se dérouler.

C'était du moins ce qu'elle pensait.

Son téléphone portable était toujours allumé, même la nuit. Ce n'était pas très bon mais elle avait gardé cette habitude. Alors qu'elle écoutait une blague de Manuel, son mobile vibra dans sa poche. Elle s'excusa et répondit.

Aussitôt, son sourire tomba et son visage perdit toute trace d'amusement. Elle se leva et sortit du salon, se réfugiant dans la cuisine, tout en demandant en anglais à son interlocuteur de se calmer. Rémi regarda sa petite sœur, l'air inquiet. On murmura, se demandant ce qui se passait : y avait-il un problème ? Qui pourrait l'appeler à un moment pareil ?

Elle revint de longues minutes plus tard, embarrassée au plus haut point. Rémi se leva et lui demanda ce qui se passait, qui l'avait appelée.

« Je dois m'en aller.

- Pardon ?!

- Sirius m'a appelé, il va faire une connerie, il faut que je m'en aille. »

Son visage se voulait calme, mais son regard était pressant, presque implorant, et sa voix un peu haletante. Elle parvenait à retenir le tremblement de ses mains, mais tout en elle se secouait, lui hurlait de prendre ses jambes à son cou et de s'en aller. Le plus vite possible.

« Tu ne peux pas t'en aller !

- Il était ivre, il va faire une bêtise, je dois m'en aller. Je suis désolée Rémi, vraiment, mais…

- Il fait ça parce qu'il ne m'aime pas ! Parce que tu es là et parce qu'il ne veut pas que tu te rapproches de moi ! Il veut tout gâcher, Isaline… »

Elle ne l'écoutait pas. Dans son esprit, il n'y avait que la voix tremblotante de Sirius qui pleurait, qui lui disait qu'il allait faire une bêtise.

Severus l'avait quitté. C'était ce qu'il lui répétait, il l'avait quitté. Pour une femme. Une femme qu'il travaillait dans son université, qu'il voyait souvent, avec laquelle il dînait. Il le trompait et il venait de le quitter, claquant violemment la porte derrière lui, en lui disant qu'il en avait marre de lui, et qu'il ne reviendrait plus jamais.

Isaline ne savait pas ce qui était vrai et ce qui était faux. Quand il était bourré, Sirius se créait des histoires, amplifiait de simples détails. Mais une chose était sûre : dans son état, il allait faire une bêtise, et elle devait y aller le plus vite possible. Elle avait fait l'erreur de vouloir le calmer, en lui disant qu'elle était chez la famille de Rémi, et qu'elle ne pouvait pas se déplacer. Il avait besoin d'elle. Et peut-être croirait-il qu'elle ne viendrait pas, même si elle le lui avait assuré. Peut-être croirait-il qu'elle l'avait abandonné. Elle savait de quoi il était capable, surtout quand l'alcool coulait dans ses veines…

« Isaline ! Fit Remi en la prenant par les épaules, alors que les autres membres de sa famille se levaient pour la retenir eux aussi. Tu ne peux pas t'en aller comme ça. Pense à Allan…

- Remi, je…

- Laisse tomber, il essaie juste…

- Il va faire une bêtise… »

Sa voix était plaintive, ses yeux troublés.

« Il va vraiment faire une bêtise. Il ne m'aurait pas appelée, sinon. Je suis désolée, mais je dois y aller, j'ai appelé un taxi. »

Rémi reçut cette ultime réponse comme une gifle. Il était sûr que Sirius essayait juste de la reprendre, de la récupérer, vu qu'elle venait dîner chez eux. C'était ça, son but. Il n'aimait pas Rémi, et il savait qu'il était plus important que le médecin aux yeux d'Isaline.

D'un mouvement brusque, elle s'arracha à son étreinte et tourna les talons, se dirigeant vers l'entrée. Le père de Rémi protesta et voulut la retenir : ça ne se faisait pas de partir ainsi de chez les gens ! Mais il lut de la douleur dans son regard et une sorte de peur sur son visage : elle ne mentait pas, et il allait se passer quelque chose de mauvais chez son ami. Si elle n'y allait pas, et qu'un malheur arrivait, elle s'en voudrait toute sa vie. Mais le grand-père n'eut pas le temps de réfléchir davantage, les adolescents descendaient pour aller chercher de la boisson. Quand Allan vit Isaline avec sa veste dans la main, il paniqua.

« Bah Isaline, tu vas où ?

- Sirius est pas bien, il faut que je rentre.

- Quoi ?!!

- Il va faire une bêtise, il vient de m'appeler, je dois…

- Non !! »

Allan se jeta sur elle et lui attrapa le bras. Il lui ordonna de rester, les sourcils froncés et le visage tendu. Isaline s'extirpa de sa poigne. Il voulut la convaincre à son tour de rester mais rien ne semblait pouvoir la retenir : un taxi l'attendait dehors, elle devait y aller. Furieux, hors de lui, Allan cria de façon inconsidérée, alors qu'Isaline allait ouvrir la porte.

« Je te déteste !! »

Il ne savait pas que ces mots résonnèrent dans son esprit comme s'ils avaient été hurlés dans une grande salle vide, se répercutant sur les murs pour s'amplifier davantage. Elle sera les dents, se retourna pour lui jeter un regard blessé, puis sortit définitivement.

OoO

Finalement, il n'avait pas pu aller voir Draco. Il travaillait à l'hôpital, ce jour-là, et il finissait assez tard. Harry pensait donc aller le chercher, puis revenir juste à l'heure pour partir chez les parents de Rémi pour l'anniversaire d'Allan, mais vu que Ron avait eu accident de voiture, il n'avait pu le faire, et il ne s'était pas senti d'humeur à l'appeler. Il préférait l'avoir en face de lui.

Par chance, le rouquin s'en sortait bien. Il avait été chanceux. Même s'il ne l'avouait pas, Harry était sûr que Ron avait été négligent dans sa conduite à cause de cette histoire avec l'ex de Hermione, mais ça, il ne pourrait jamais le reconnaître. Dans le fond, il n'était pas coupable : une voiture lui était rentrée dedans, il ne l'avait pas vue venir à cause de ses tracas. Et puis, Hermione était arrivée en catastrophe, il ne pouvait dire ça devant elle.

Toute cette histoire s'était réglée assez tard et Harry se voyait mal arriver à la fin du repas comme une fleur. Il avait donc proposé à Allan de passer la journée avec lui : ils feraient ce qu'il avait envie de faire.

Soudain, on sonna. Étonné, Harry se leva et sortit de sa chambre, passant dans celle d'Isaline, qui avait une vue sur la rue. Un taxi aux phares allumés était garé juste devant leur porte. On se mit à sonner avec insistance et Harry fronça les sourcils : Isaline aurait-elle oublié ses clés ? Et pourquoi était-ce un taxi qui la ramenait ? Il ne voyait pas qui d'autre pourrait venir ici en taxi, et encore, ce n'était pas son genre de sonner de cette façon.

Harry descendit donc au rez-de-chaussée et ouvrit la porte. Catastrophé, un homme imposant se mit à lui parler précipitamment. Au fil de ses mots, le visage du tatoueur pâlit.

« Vite, votre tante Isaline a besoin de vous ! Je l'ai déposée chez quelqu'un, à quelques rues d'ici, et elle m'a dit de venir vous chercher ! Pour un don de sang, ou quelque chose comme ça… »

Harry était de groupe sanguin A-. Parmi ses proches, la seule personne à avoir le même groupe sanguin était Sirius.

OoO

Rémi se sentait trahi. Totalement trahi. Furieux, aussi.

« Grand frère, calme-toi… Peut-être que c'était vraiment grave, elle ne serait pas partie comme ça, sinon… »

Mais il ne décolérait pas. Il ne parvenait pas à se calmer. Il savait que tout ça n'était que de la comédie, Sirius ne l'aimait pas et il voulait les séparer. Voilà comment il voyait la chose. Il avait dû jouer au gamin capricieux au téléphone et Isaline était accourue. Voilà ce qu'il pensait, malgré ce que lui disaient sa petite sœur et sa mère.

Il pensait cela, sans se douter de la réalité de la chose. Sans penser qu'Isaline avait caché sa terreur, à l'idée que Sirius fasse une vraie bêtise, comme il en faisait rarement.

Allan aussi boudait dans son coin, énervé après Isaline qui avait osé partir comme ça le jour de son anniversaire. S'il avait été plus jeune, il aurait pleuré d'énervement, mais il était assez grand pour se maîtriser un minimum. Plus d'une fois, il eut envie d'envoyer balader sa mère qui semblait heureuse de savoir Isaline partie. Et, malgré lui, il eut envie plus d'une fois de défendre la tatoueuse, que ses grands-pères critiquaient : son départ aussi impoli qu'anormal, elle avait à peine expliqué ses raisons et s'en était allée comme une voleuse. Il aurait voulu la défendre, mais il lui en voulait trop. A elle et à Harry…

Au bout d'un moment, le téléphone portable de Rémi sonna. agacé, il le prit et regarda qui l'appelait : c'était un de ses collègues à l'hôpital. Étonné, il décrocha.

« Allô Rémi ? C'est Antoine. Je te dérange ?

- Heu non, pourquoi ?

- Bah en fait y'a un truc louche, là… on vient de recevoir un type qui a tenté de se suicider en s'ouvrant les veines dans sa baignoire.

- Et en quoi ça me concerne ?

- Je viens de parler à un flic qui a accompagné les ambulanciers et il m'a dit qu'il aurait été découvert par une certaine Isaline Anderson. C'est pas ta copine, ça ? »

Le visage de Rémi pâlit affreusement.

« Rémi ? Tu m'entends ?

- Tu peux répéter ?

- Bah il me semble qu'il a bien dit ça. Mais je me suis trompé, si ça se trouve…

- Et comment s'appelle le patient ?!

- Je sais plus… Black, c'est son nom, mais son prénom était bizarre… Je sais plus ce que c'était, il était brun, assez beau gosse, la quarantaine… »

Pendant quelques secondes, Rémi revit Isaline, son visage et ses yeux suppliants, comme si elle lui demandait de ne pas lui en vouloir. Elle l'imaginait avec le téléphone à l'oreille, alors que cet homme, ivre, la suppliait de venir, sachant qu'il était prêt à faire une bêtise.

« Elle l'aurait trouvé dans sa baignoire et il baignait dans son sang. Elle a eu l'intelligence de bander ses poignets, histoire d'arrêter un peu l'hémorragie. »

Il la voyait entrer dans la maison de cet homme, l'appeler, le chercher. Parcourir toutes les pièces, le salon, la chambre. Puis entrer dans la salle de bain, la peur au ventre, et le trouver endormi, les poignets ouverts par des lames de rasoir, un liquide carmin s'échappant de ses entailles…

Il imaginait son visage alors qu'elle découvrait son meilleur ami dans cet état-là, sa panique, ne sachant quoi faire… des bandages autour des poignets, des larmes sur ses joues, la main tremblant sur le portable…

« Y'a un gamin qui est venu, aussi, amené par un taxi. Enfin, un gamin… il doit avec la vingtaine. C'est le filleul du patient, ce serait la nana qui l'aurait envoyé ici pour qu'il donne son sang. Organisé, la p'tite dame…

- J'arrive tout de suite.

- C'est ta copine, alors ?

- Je crois, oui… »

Rémi raccrocha et prit sa respiration. Suzy l'interrogea du regard, inquiète : il était pâle, halluciné, comme si on venait de lui dire que les martiens débarquaient sur Terre.

« Rémi, qu'est-ce qui se passe ?

- Isaline a trouvé Sirius avec les veines ouvertes dans sa baignoire. »

Il eut un hoquet de surprise dans la salle. Même si les mots étaient dits, Rémi avait encore du mal à y croire, tant cela lui paraissait irréel. Et pourtant… pourtant ça concordait, et il voyait très bien Isaline appeler Harry pour qu'il aille à l'hôpital donner son sang à son parrain. Elle avait su gérer…

Mais dans quel état était-elle ?

OoO

Ils arrivèrent à l'hôpital où Rémi travaillait. Contrairement à ce qu'il aurait voulu, tout le monde le suivit, ou presque. Son ex-femme et les grands-mères restèrent à la maison avec les enfants, hormis Allan, qui voulut absolument les suivre : il avait dit du mal à Isaline et il s'en voulait.

Rémi était nerveux et il avait des remords : il n'aurait pas dû la retenir, au contraire, il aurait dû la laisser partir, l'emmener même, mais pas essayer de la retenir et de la faire culpabiliser. Il s'en voulait terriblement. S'il ne l'avait pas retenu, peut-être que son ami n'aurait pas tenté le diable…

Ils entrèrent dans l'établissement et montèrent directement dans les étages. Ils traversèrent les couloirs et, au détour de l'un d'eux, ils aperçurent le collègue qui avait appelé Rémi. Il les emmena dans la petite salle où le jeune homme avait été placé. Il était seul, Isaline n'était pas là, et c'était pour cela qu'il avait appelé Rémi, son absence l'étonnant beaucoup.

Ils trouvèrent un Harry pâle, les yeux rougis par des larmes qu'il avait dû verser auparavant et le corps tendu. Il avait encore la manche de son pull relevé et un bandage enserrait la zone proche de l'endroit où il avait été piqué, lors de la prise de sang. Il fit un pâle sourire aux arrivants, en particulier à Allan, qui s'avança vers lui avec précipitation, lui demandant comment il allait.

« Ça va, t'inquiète pas. C'est juste une prise de sang.

- On m'a dit que Sirius serait bientôt tiré d'affaire, lui dit Rémi.

- Heureusement.

- Où est Isaline ?

- Au commissariat, répondit Harry. Elle a appelé les pompiers et les flics sont venus, aussi. Je crois que c'était pour voir si c'était vraiment un suicide ou autre chose… enfin, elle a été emmenée pour donner son témoignage, et le taxi qui m'a emmené aussi. C'est lui qui l'a emmené chez Sirius et elle lui a demandé de m'amener à l'hôpital. »

Ses paroles semblaient difficiles à prononcer et il avait du mal à aligner deux pensées. Il semblait fatigué, à la fois par la prise de sang mais aussi émotionnellement. Rémi hocha la tête et lui demanda s'il voulait qu'ils le raccompagnent, mais Harry refusa poliment : le mari de Nymph' était en bas, parti lui chercher quelque chose à manger, et il le ramènerait.

« Allez voir Isaline, plutôt. »

Il leur donna l'adresse du commissariat, où Nymph' se trouvait. Et, un temps infini plus tard, ils furent au commissariat. Les deux grands-pères et Manuel les suivaient toujours, même si Rémi leur avait demandé de rentrer. Ils étaient inquiets pour elle, même s'ils parvenaient à masquer leur angoisse. Ils découvrirent Nymph' au commissariat, pâle et fatiguée, elle aussi. Elle avait les larmes aux bords des yeux et les informa que ça faisait des heures qu'Isaline était avec les flics pour faire sa déposition.

Apparemment, la scène était assez étrange, ce qui avait étonné les policiers. En effet, Sirius aurait appelé Isaline et aurait tenté de se suicider peu de temps avant qu'elle n'arrive chez lui. Son heure d'arrivée avait été fournie par le taxi qui avait emmené la femme chez lui et il avait dit qu'elle lui avait demandé de rester devant, elle lui avait même laissé une avance. Le problème résidait dans le fait qu'elle était restée un temps infini dans la maison, assez longtemps pour que Sirius ait le temps de se suicider. Pour qu'elle ait elle-même forcé le suicide. Il était impossible de dater à la minute près le moment où l'écrivain avait tenté de mettre fin à ses jours, cela aurait aussi bien pu se passer avant qu'elle n'arrive qu'au moment où elle était là. Et vu la quantité d'alcool qu'il avait dans le sang et ses idées morbides… pas compliqué de le convaincre de se donner la mort.

« Attends une minute, ils la soupçonnent ?!

- Non ! Mais ils trouvent toute cette histoire assez bizarre… il était seul, ivre, et il l'appelle avant de… voilà quoi… »

Sans oublier qu'elle avait mis du temps à contacter les pompiers. Nymph' pensait, à juste titre, qu'elle avait tellement paniquée qu'elle n'avait pas pensé à les appeler. Elle avait d'abord bandé ses poignets puis avait essayé de le réveiller, avec de l'eau froide ou des claques, avant de penser à appeler les secours. Enfin, elle s'était rappelée du chauffeur de taxi. Était-on rationnel quand on voyait une personne qu'on aimait à moitié morte dans une baignoire ?

« Vous voulez un café ? »

Nymph' secoua vaguement la tête. Le beau-père de Rémi revint avec un gobelet et le tendit à la tatoueuse qui semblait aller mal, et c'était compréhensif. Rémi s'assit près d'elle et passa un bras autour de ses épaules. Il revoyait Harry à l'hôpital, dans le même état. Sauf qu'un flic chargé de l'enquête passa et s'étonna de voir autant de monde. Finalement, les hommes furent aussi emmenés pour faire une déposition : ils avaient passé la soirée avec Isaline Anderson. Puis, ils revinrent dans la salle d'attente : ils n'avaient pas grand-chose à apporter.

Ils attendirent longtemps. Allan s'assit près de la tatoueuse et tripotait ses doigts nerveusement. Le commissariat et tous ces gens qui allaient et venaient le rendaient nerveux. Puis, vint le moment où un flic vint les voir et leur annonça que Mlle Anderson était mise en garde-à-vue, le temps que Mr Black se réveille. Nymph' eut beau hurler au scandale, criant que c'était grâce à elle qu'il était en vie, qu'elle avait toujours été là pour lui, les flics ne cédèrent pas : Mlle Anderson passerait la nuit au poste.

OoO

La maison était noire, et silencieuse. Il était épuisé, tout simplement. Moralement et physiquement, mais c'était surtout sa tête qui était fatiguée.

Harry retira ses chaussures, ignorant Liloute qui sautillait à ses pieds. Il ne savait pas quelle heure il était, et il ne voulait même pas le savoir. Remus venait de le déposer, il lui avait proposé de rester avec lui, mais Harry avait refusé : il valait mieux qu'il aille voir Nymph' au commissariat. Il avait bien vu que Remus était mal dans sa peau, nerveux, tendu, au bord des larmes. Mieux valait qu'il soit auprès d'elle qu'auprès de Harry.

Harry ne rangea pas ses chaussures et balança son manteau par terre. Puis, il se traîna à l'étage, montant difficilement chaque marche de l'escalier. Arrivé là-haut, il se dirigea vers sa chambre et se laissa tomber sur son lit.

Quand son corps toucha la couette, il éclata en sanglots. C'était incontrôlable, il avait déjà pleuré dans la voiture du chauffeur de taxi quand il l'avait emmené à l'hôpital, mais il ne pouvait arrêter ses sanglots, qui secouaient violemment son corps. Il n'avait même pas envie de les retenir, de se calmer. Il voulait juste tout oublier.

Oublier que son parrain avait essayé de mourir. Qu'il avait failli y laisser la vie, ce soir. Oublier qu'Isaline était au commissariat, et qu'elle n'en sortirait peut-être pas avant le lendemain matin.

Harry pleura un long moment, dans l'obscurité de sa chambre, encore vêtu de ses vêtements, le corps secoué de sanglots. Il pensa à Sirius, à Isaline, à Nymph' et Remus. A Teddy, aussi, qui dormait chez Mrs Weasley. Il eut des flashs, tous les bons moments qu'il avait passés avec Sirius : à la plage, à ses rentrées d'école, dans des concerts… ses anniversaires… son mariage…

Il avait failli mourir… il avait failli perdre la vie, ivre mort et désespéré… Cette sensation de perte, cette idée que la vie ne tenait qu'à un fil rendaient ses idées noires. Si Harry avait eu la force, il serait descendu boire une verre d'alcool, peut-être plus, pour oublier tout ça. Oublier qu'il avait failli se retrouver à nouveau orphelin, ce soir, ce que celui qu'il aimait comme un père avait failli s'en aller. Définitivement.

Qu'il ne serait pas allé fleurir une seule tombe. Mais deux.

Deux bouquets de fleurs.

Deux pierres.

Deux disparitions.

Il y aurait toujours Isaline, mais ce serait différent. Jamais elle ne se serait remise de cette mort, pas après tous les moments passés ensemble, pas après toutes ces années où il avait vécu chez elle. Et Harry non plus ne s'en serait jamais remis. Perdre un père, perdre l'homme qui avait tenu ce rôle toutes ces années, perdre cette complicité, c'était comme si toutes ces photos qui peuplaient son esprit et ses albums disparaissaient, se déchiraient en mille morceaux.

Son cœur lui faisait mal, son ventre aussi. Il alla vomir, passa un long moment près des toilettes, puis revint dans son lit, vaseux. Il voulut appeler. Quelqu'un. N'importe qui. Le nom de Draco et de Théo s'imposèrent à son esprit. Mais il n'appela ni l'un ni l'autre.

Pas envie de déranger. En pleine nuit. De les inquiéter.

Harry n'aimait pas parler de sa propre souffrance. Il ne voulait pas qu'on le voit dans un état pareil. Pâle, malade, le visage baigné de larmes et haletant, comme si les sanglots l'empêchaient de respirer.

Il passa une nuit horrible. Il eut même l'impression de ne pas dormir.

OoO

Rémi s'était levé tôt, ce matin-là. Il n'était pas de service, donc les internes furent surpris quand ils le virent dans les couloirs de l'hôpital, à dix heures du matin. Seul son collègue qu'il avait vu la veille ne parut pas étonné de le voir là.

Il lui demanda des nouvelles de Sirius et son collègue l'informa que les flics étaient passés pour l'interroger, ils étaient partis dix minutes auparavant. Un autre interne avait été présent durant l'interrogatoire : si Sirius Black s'était réveillé, ce n'était pas pour autant qu'il avait la force de subir un entretien trop long. Il était faible et avait besoin de repos.

D'après cet interne, quand les flics lui avaient fait comprendre que Mlle Anderson avait été mise en garde à vue, étant donné que toute cette histoire était très louche, le malade avait eu une crise d'hystérie. En larmes, il leur avait ordonné de la libérer, qu'il avait voulu mourir, ivre mort et désespéré parce que son compagnon l'avait quitté, mais que jamais elle ne lui avait fait de mal, que c'était grâce à elle qu'il était en vie. Puis, il s'était replié sur lui-même, se balançant d'avant en arrière, répétant sans cesse qu'elle ne devait pas aller en prison, que ce n'était pas un endroit pour elle, et qu'il était désolé.

« T'imagines son état, il était assez désespéré pour vouloir se suicider, et là on lui apprenait que sa meilleure amie était au poste. Ils sont très proches apparemment…

- Assez pour qu'il l'appelle en plein milieu de la nuit pour lui demander de venir… Donc il a fait ça parce que son compagnon l'a quitté ?

- Je ne sais pas trop ce qui s'est passé, tu sais, mais apparemment son compagnon a passé la nuit dehors, il n'est arrivé au commissariat que ce matin. C'est le flic qui me l'a dit, une amie serait parvenue à le joindre et il a filé au poste. Il doit encore y être, à tous les coups. Enfin, il est passé ici juste avant, mais les infirmières ne l'ont pas autorisé à entrer. Il parait qu'il était très inquiet… »

C'était une réaction somme toute assez compréhensible : Sirius avait failli mourir pendant la nuit à cause de lui. Tout en écoutant son collègue, Rémi se dit qu'Isaline n'avait pas dû avoir une vie simple, avec ce phénomène. Il le prenait pour un homme somme toute assez normal, mais il s'était lourdement trompé… C'était un homme torturé. Qui devait vraiment aimer Isaline, pour faire une crise de nerfs pareille parce qu'elle avait été arrêtée…

OoO

« Draco, t'aurais pas trois euros ?

- Sors ta carte bleue.

- Ils doivent pas la prendre à moins de dix euros.

- Tu es exaspérant… »

Blaise lui fit un joli sourire qu'il savait exaspérant, puis Draco soupira et lui dit qu'il payait le repas. Quel touriste, celui-là, à venir avec quatre euros dans son porte-monnaie…

Ce fut bientôt à leur tour de passer en caisse. Draco passa la commande et paya en liquide, tandis que Blaise pianotait sur son téléphone portable. Encore un SMS à Luna, à tous les coups… Ah celui-là, alors…

Une fois que la caissière eut disposé leur repas le plateau, il fit signe à Blaise de le prendre et ils rejoignirent les autres dans un coin du McDonald's. Il y avait Lavande Brown et Zacharias Smith, mais aussi Dean Thomas, Terry Boot et Seamus Finnigan. Draco n'était pas trop chaud pour manger avec eux mais Blaise avait une envie irrésistible d'hamburger et, pile ce jour-là, le groupe avait décidé de manger là aussi. Draco avait accepté sans faire de chichis, mais il ignorait Seamus. D'ailleurs, ce dernier ce faisait tout petit.

Draco s'assit puis posa son sac sur le sol, entre ses pieds, alors que Blaise posait son plateau entre eux sur la table. Il déballa son menu et commença à manger quand son meilleur ami fut installé. Les autres discutaient joyeusement, les uns parlant du cours qu'ils auraient dans une petite heure tandis que les autres se plaignaient d'un dossier à rendre, très compliqué à faire et qui avait nécessité une nuit entière de travail. Draco eut envie de leur dire qu'il suffisait de s'y prendre à l'avance et de ne pas tout faire à la dernière minute, mais il aurait plombé l'ambiance et il n'avait pas besoin de ça.

Et puis, il était de mauvaise humeur depuis quelques jours, faire porter le chapeau à ces idiots ne servirait à rien. En tout cas, ça ne le soulagerait pas. Il ne s'était toujours pas réconcilié avec Harry, son manque de sommeil, son manque de lui et son foutu caractère de cochon le mettait de mauvaise humeur. Quand il y réfléchissait, il se disait que Harry n'avait pas tord : ils devaient apprendre de leurs erreurs. Mais, de mauvaise foi et orgueilleux, il refusait de calmer sa rancune envers lui. Pourtant, il avait envie de le voir, que tout s'arrange. Il ne pensait même plus à ce rendez-vous caché, dans le fond. Ça, c'était une affaire réglée. Sa mauvaise humeur était aussi due au fait qu'il était vexé que Harry puisse se passer de sa présence aussi longtemps, mais bon, ça, c'était une autre histoire…

« Mange Draco.

- Pas faim.

- On va avoir trois heures de cours, là, alors mange. »

Draco grignotait plus qu'il ne mangeait. Quelques frites par-ci, un nugget par là… Pas très faim. Alors qu'il savait très bien que son ventre gargouillerait au prochain cours parce qu'il n'y avait pas grand-chose à l'intérieur. Draco se força donc à manger plus de la moitié de son repas, sous l'œil vigilant de Blaise.

Soudain, son téléphone portable vibra dans sa poche. Draco fouilla et l'attrapa, puis il regarda qui l'appelait : Harry. Il haussa un sourcil et décrocha.

« Allô ?

- Dray, c'est moi. Je te dérange ?

- Non, je suis en train de manger. Qu'est-ce que tu veux ? »

En face de lui, Blaise lui fit signe de se calmer avec ses mains : pourquoi commencer les hostilités alors que Harry l'appelait gentiment ? Ah, celui-là…

« Je peux venir te chercher aujourd'hui ? »

Sa voix était calme et basse. Draco fronça légèrement les sourcils, puis il se dit que ce n'était rien.

« Non, je dois passer à la bibliothèque et j'en ai pour un moment.

- Draco, s'il te plait…

- Harry, je viens de…

- S'il te plait, Draco ! »

Et il éclata en sanglots. Harry pleura au téléphone. Draco était tellement abasourdi qu'il ne sut quoi dire les secondes qui suivirent et il ne se rendit pas compte que les autres le regardaient.

« Harry ? Pourquoi tu pleures ? »

Stupéfait, Draco attendit une réponse, le ventre serré d'anxiété. Pourquoi Harry pleurait-il ? A cause de lui ?

« Draco, je veux te voir… S'il te plait…

- Harry, calme-toi, dit-il d'une voix apaisante. Dis-moi ce qui t'arrives…

- Sirius, il… il a voulu se suicider, hier soir… »

Le visage du blond pâlit quand il entendit ces mots, ainsi que ceux qui suivirent.

« Tata est restée au poste… pensaient que… qu'elle était… coupable…

- Harry, calme-toi…

- Il a failli… mourir… »

Harry pleurait toujours, sa voix était difficile, hachée. Cette situation lui paraissait irréelle, mais le fait était que Harry était mal dans sa peau et qu'il pleurait au téléphone. Draco réfléchit, se mordillant la lèvre. Il ne savait pas quoi faire : à la fois il voulait rentrer et consoler Harry, qui avait besoin de lui, et en même temps, il était là, il avait cours…

« J'arrive tout de suite. »

Et Draco raccrocha. Il lança un regard à Blaise qui semblait tout simplement stupéfait.

« Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Sirius a tenté de se suicider hier soir et Isaline a passé la nuit au poste. Faut que j'aille le voir. Tu peux rendre mon dossier ?

- Ouais bien sûr, file ! »

Draco ouvrit son sac et tendit son dossier à Blaise. Puis, sans un regard pour la tablée, il quitta le fast-food. A grandes enjambées, il fonça vers le parking et monta dans sa voiture. Il mit de la musique, histoire de se calmer un peu et de ne pas rouler comme un taré.

Dans sa tête, des idées et des sentiments tourbillonnaient. Il en voulait à Harry de ne pas l'avoir appelé avant, même en pleine nuit. Il serait venu, sans même réfléchir. Là encore, il loupait un cours, mais qu'est-ce que c'était par rapport à lui, qui souffrait dans son coin ? Qu'est-ce que Harry avait ressenti, seul chez, avec son parrain à l'hôpital et sa tante au poste de police ?

Il mit une éternité à arriver. Une fois la voiture garée devant la porte du garage, Draco sonna à la porte et attendit impatiemment que Harry vienne lui ouvrir. Il entendit une clé tourner dans la serrure, déverrouillant la porte, puis Harry apparut.

Draco faillit faire un pas en arrière, atterré. Le tatoueur était un peu pâle, comme s'il avait vomi ou qu'il était malade, des cernes soulignaient ses yeux rougis, signe qu'il n'avait pas dormi, ou peu. Il était mal. Vraiment mal. Et quand il vit Draco. Harry se jeta à son cou, passant ses bras derrière sa nuque, pour se blottir contre lui. Draco lui rendit son étreinte, enserrant sa taille, alors qu'il entendait Harry pleurer encore contre son cou. Des larmes silencieuses, mais belles et bien présentes sur les joues de son petit ami.

Draco le fit reculer un peu, sans le lâcher, de façon à pouvoir entrer, et il ferma la porte. Puis, il serra fort son petit ami contre lui, caressant son dos par des gestes circulaires, apaisants, embrassant ses cheveux noir corbeau. Le tenir ainsi dans ses bras lui avait manqué, et en même temps, le sentir trembler contre lui n'était guère agréable. Il ne savait pas quoi faire pour le calmer, sa présence et ses caresses ne semblaient pas être assez pour l'apaiser.

« Harry ? My angel…

- Désolé… je t'ai… dérangé…

- C'est pas grave, ça. Tu aurais dû m'appeler avant, et ne pas rester toute la nuit seul… »

Il l'imaginait seul dans son lit, les larmes aux yeux, incapable de dormir. La gorge nouée, Draco le garda un long moment contre lui, jusqu'à ce qu'il se calme un peu. Cela mit un long moment, Harry refusait de le lâcher et Draco ne pouvait pas le repousser. Mais finalement, Harry s'écarta un peu, le regard vitreux et humide. Alors Draco déposa ses lèvres sur les siennes, tendrement. La bouche de Harry était humide et salée à cause des larmes, mais cela lui fit un bien fou de l'embrasser. Le brun poussa un léger soupir et sembla se détendre dans ses bras. Un peu comme s'il était rassuré.

Puis, ils se séparèrent. Harry garda les yeux fermés. Il se calmait. Mais il avait toujours l'air aussi mal au point, et le voir ainsi faisait très mal à Draco. S'il avait su ce qui s'était passé hier, il serait venu… pourquoi Harry ne l'avait-il pas appelé ? Parce qu'il lui faisait la tête ? Il ne voulait pas déranger ? Pourquoi attendre aussi longtemps pour le contacter ?

Draco embrassa sa joue humide puis glissa à son oreille qu'il allait retirer son manteau. Harry s'écarta alors et passa sa manche sur ses yeux pour les essuyer. Draco retira ses chaussures, accrocha son manteau, puis il passa un bras autour des épaules de Harry. ils montèrent ensemble à l'étage et se retrouvèrent sur le lit. Harry se blottit contre Draco et s'excusa encore de l'avoir dérangé. Draco repoussa ses excuses, elles n'avaient même pas lieu d'être.

Avec une tendresse qu'il ne se connaissait pas, Draco berça Harry jusqu'à ce qu'il s'endorme d'épuisement dans ses bras.

OoO

Draco regarda Harry dormir, sans même penser à faire autre chose que de le tenir dans ses bras. Il ne pensait plus à ce cours qu'il avait manqué, le seul de l'année, ou encore à son travail à la bibliothèque. A travailler toujours à l'avance, cela lui permettait de pouvoir gérer quand il avait ce genre de contretemps. Et Harry était le genre de contretemps qui avait une place bien plus grande que trois misérables heures de cours.

Son petit ami se réveilla au bout d'un temps infini, et si Draco regardait l'heure, il verrait que cela faisait bien deux heures qu'il dormait. Pendant tout ce temps là, le blond avait somnolé, fermant les yeux pour se reposer un peu, vu que ses nuits étaient quelque peu difficiles. Il se réveilla totalement quand Harry gigota contre lui, quittant peu à peu son sommeil réparateur.

Draco regarda son amant se réveiller, son visage se tendre un peu, ses paupières papillonner avant de demeurer relevées, révélant des yeux vert émeraude. Des yeux qui lui avaient manqué. Ça ne faisait pas si longtemps qu'ils ne s'étaient pas vus, mais pour lui, cela avait duré des mois…

Harry lui fit un mince sourire, qui disparut sous les lèvres de Draco. Le brun ferma les yeux et laissa son petit ami butiner ses lèvres tendrement, jusqu'au moment où il eut besoin de plus : il ouvrit légèrement la bouche et fit sortir la pointe de sa langue qui taquina la commissure des lèvres du blond, qui répondit passionnément à son appel. Draco s'empara de la bouche tentatrice de Harry, caressant sa langue de la sienne langoureusement, sans se presser, tout en enserrant son corps dans ses bras. Le tatoueur se laissa faire, posa ses mains sur le visage de Draco, comme pour accentuer encore plus le contact, caressant ses joues, ses tempes, ses cheveux blonds.

Des gestes tendres qui lui avaient manqué. Des mains chaudes qui éveillaient ses sens, une bouche demandeuse et tendre qui demeurait passive pendant leurs baisers. Son être, tout simplement, qui avait le don de le détendre, le rassurer, lui faire oublier ses soucis. Harry avait cette faculté de tout apaiser, en lui. Et il ne savait pas qu'il avait exactement même effet sur lui…

Quand ils se séparèrent, haletant, Draco ferma les yeux quelques instants avant de les rouvrir sur le visage doux de Harry, qui semblait admirer son visage. Le blond glissa une mèche rebelle derrière son oreille et lui posa la question qui lui brûlait les lèvres depuis son coup de téléphone.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? »

Alors Harry lui raconta. Il lui parla de Sirius qui aurait eu une violente dispute avec Severus, qui l'aurait trompé avec une femme, apparemment, et le professeur était parti en claquant la porte, mettant ainsi fin à leur relation. Draco haussa un sourcil, trouvant cette attitude étrange de la part de Severus, mais écouta Harry poursuivre. Sirius, bourré et prêt à faire une bêtise, avait appelé Isaline, qui dînait chez la famille de Rémi. Elle lui aurait fait comprendre qu'elle ne pouvait pas venir, puis elle lui avait dit qu'elle arrivait. Peut-être ces mots avaient-ils eu un effet sur Sirius, peut-être que non. Ils étaient persuadés que lui : Sirius s'était senti abandonné, ce qui était le pire pour lui, et il s'était ouvert les veines dans la baignoire.

Harry avait les yeux baissés vers le cou de Draco et ce dernier ferma les yeux quand Harry lui dit qu'Isaline avait trouvé le corps vivant mais blessé de l'écrivain dans la salle de bain. il imaginait la tatoueuse entrer, caresser la tête de Saphira, parcourir la maison en appelant Sirius, hurlant son nom dans chaque pièce. Vide. Silencieuse. Sombre. Jusqu'au moment où ses yeux se tourneraient vers la porte de la salle de bain, que sa main pousserait le battant, et qu'elle trouverait le bel homme endormi. Avec du rouge sur la main. Deux traits rouges, et profonds.

Isaline n'avait pas agi de façon cohérente, bandant les poignets de Sirius et tentant de le réanimer au lieu d'appeler aussitôt les secours. Enfin, elle avait bien géré la situation, essayant de sauver Sirius malgré l'angoisse, la panique et la peur de le perdre. Mais aux yeux de la police, elle n'avait pas été cohérente : elle avait passé trop de temps dans la maison avant d'appeler les pompiers, elle avait contacté son neveu juste après par l'intermédiaire du taxi qui l'avait emmenée… au point que les flics, après avoir recueilli sa déposition, la mirent en garde-à-vue.

Le matin-même, Sirius avait clamé haut et fort qu'il avait tenté de se suicider et qu'elle l'avait sauvé. Elle fut donc libérée. Nymph' et Harry vinrent la chercher avec Rémi, qui était à l'hôpital en même temps qu'eux, venant prendre des nouvelles du malade.

Des larmes apparurent dans les yeux verts de Harry quand il raconta ce moment. Au commissariat, dans l'accueil, Harry et Nymph' avaient attendu un bon moment avant qu'Isaline ne soit relâchée. Son visage pâle, fatigué, aux traits tirés lui avait broyé le cœur de douleur. Ses yeux étaient cernés, signe qu'elle n'avait pas dormi de la nuit, et elle semblait prête à s'écrouler. Pourtant, elle esquissa un petit sourire.

Tout petit.

Tout petit sourire.

Comme pour leur dire que tout allait bien…

Puis Nymph' avait couru vers elle pour la prendre dans ses bras et Isaline s'y était presque effondrée, enserrant son cou de ses bras. Les doigts crispés sur son manteau, ses ongles s'enfonçant dans le tissu. Les larmes sur son visage, les sanglots qu'elle retenait… puis elle s'était redressée, avait séché ses larmes rageusement avec sa manche, et avait quitté le commissariat au pas de course, repoussant la main de Rémi qui avait voulu la retenir en lui prenant le bras. Nymph' les avait emmenés à l'hôpital.

Là Isaline, était montrée dans les étages et avait ouvert la porte de la chambre de Sirius. Sans faire attention aux médecins qui l'entouraient, elle lui avait sauté dessus pour le prendre dans ses bras, le serrant fort dans ses bras, à l'étouffer. L'écrivain avait éclaté en sanglots, lui demandant pardon, la voix humide et les mains tremblantes.

Il ne la méritait pas.

Il ne méritait pas ses étreintes, son amour, ses larmes.

Il ne méritait pas toute cette attention qu'elle lui portait.

Il ne méritait pas sa peur, sa douleur…

Il ne méritait rien de tout ce qu'elle avait à lui offrir, de tout ce qu'elle lui avait donné, et de tout ce qu'elle lui donnerait…

« Finalement elle est restée là-bas, elle dort avec Sirius. Les médecins n'étaient pas très chauds, mais ils ont laissé faire. Moi, je suis rentré…

- Et tu m'as appelé trop tard. Pourquoi tu ne l'as pas fait hier soir, merde ?!

- J'osais pas… voulais pas te déranger…

- Mais Harry… »

Il fut coupé par la main du brun posée sur sa bouche. D'un regard, il lui demanda de se taire. Il ne voulait pas rentrer dans les détails. Il ne voulait pas qu'il s'énerve. Pas maintenant. Draco embrassa ses doigts et Harry les retira, les joues rosées.

« N'attends pas, la prochaine fois, lui dit Draco, très sérieusement.

- Je t'ai fait louper…

- C'est pas grave, ça, Harry ! Si tu ne m'avais pas appelé du tout, je t'en aurais vraiment voulu.

- Tu m'en veux ? S'étonna le brun.

- Évidemment ! Tu aurais dû m'appeler. »

Harry rougit, ne sachant quoi dire. Il était plus gêné qu'autre chose d'avoir cédé à la tentation d'appeler son petit ami. Draco se pencha vers lui et embrassa sa tempe, puis sa joue. Harry ferma les yeux et poussa un léger soupir de contentement. Alors que le blond baisait son cou, Harry murmura quelques mots à son oreille. Quelques mots d'amour, qui firent trembler le cœur de Draco. Il lui répondit, soufflant au creux de son oreille.

Puis, il lui dit qu'il lui avait manqué. Qu'il lui était impossible de passer une journée sans devoir lui parler ou le voir. Harry murmura qu'il en était de même pour lui, qu'il avait besoin de sa présence, que ces quelques jours sans lui n'étaient pas une pause, mais une déchirure.

Il avait trop besoin de lui, de sa présence, de sa voix. Draco confirma ses doutes, ayant ressenti exactement la même chose que lui. D'un accord silencieux, ils décidèrent d'oublier tout ça, préférant se concentrer sur eux-mêmes, plutôt que sur des détails insignifiants…

OoO

La nuit était tombée depuis longtemps. Peu à peu, l'obscurité s'était emparée de la maison, réduite au silence. Seul le salon était éclairé, et encore, seul l'halogène était allumé. Saphira, le labrador noir, s'était recroquevillée dans son panier. Elle n'avait pas adressé un seul regard à Severus depuis qu'ils étaient rentrés, et même s'il ne s'agissait que d'un animal, le professeur en était blessé.

Sa journée avait été une succession de coups de couteaux qu'on lui aurait planté dans le corps, à chaque fois un peu plus profondément. A présent, épuisé et le cœur ensanglanté, il était écroulé sur le canapé, les yeux posés sur le plafond, dans un état émotionnel misérable.

Depuis plusieurs semaines déjà, il se disputait avec Sirius, pour des motifs plus ou moins intelligent. Le dernier en date était sa paranoïa : Sirius semblait persuadé qu'il était infidèle. Severus mettait cela sur le dos de ses fréquentes sorties avec ses collègues, mais son compagnon ne semblait pas voir qu'il avait besoin de liberté, besoin de sortir et de s'aérer la tête. Il avait quarante ans, il avait passé la plus grande partie de sa vie seul. Certes, il avait vécu avec des hommes, mais jamais assez longtemps pour qu'il appelle cela « une vie de couple ». Dans le fond, il avait passé toutes ces années dans la solitude, sans jamais parvenir à se fixer sur quelqu'un. A oublier son amour d'adolescent.

Vivre avec Sirius, qui passait ses journées entre la salle de sport, la maison ou la boutique d'Isaline, l'incitait à mener une vie plus réglée, dans leur maison, le privant peu à peu de toute liberté. Orgueilleux, il refusait de croire qu'il était à ce point attaché à cette maison, aux bons vouloirs de Sirius, alors il se rebellait un peu, sortant le soir, côtoyant d'autres gens que son compagnon et sa famille.

D'accord. Il avouait. Il l'avait avoué à Remus. Cette femme, qu'il voyait régulièrement, était un vrai garçon manqué et il était d'accord sur le fait qu'elle l'attirait. Il lui était déjà arrivé d'être attiré par des femmes, il avait sauté le pas une fois. Par pur provocation, il était vrai qu'il avait laissé Sirius penser ce qu'il voulait. C'était histoire de lui remettre un peu les idées en tête : ils étaient mariés mais ce n'était pas pour autant que Severus se plierait à ses règles, il était libre de faire ce qu'il voulait, rien n'était acquis, et surtout pas ses sentiments pour lui.

A la réflexion, cette réaction était puérile. En même temps, Severus n'avait jamais vécu longtemps avec qui que ce soit, Sirius était le compagnon le plus long qu'il ait eu dans sa vie, et celui pour qui il éprouvait de véritables sentiments. Et il arrivait qu'il ait peur de cela, de cet attachement pour lui. et, si Severus était honnête envers lui-même, il avouerait qu'il avait besoin que Sirius le séduise, qu'il ne se contente pas de réclamer des câlins et de faire la femme au foyer jalouse comme pas deux.

La dispute de la veille avait démarré parce que Severus, corrigeant des copies dans le salon, avait reçu un appel de cette collègue. En mec jaloux, Sirius avait explosé et la dispute avait démarré. Exaspéré et écœuré par son comportement, Severus avait confirmé ses doutes et était parti en claquant la porte.

Severus passa la nuit à traîner. Il se balada dans pari, dîna dans un restaurant coréen, seul. Peu à peu, sa colère envers Sirius s'était apaisée, il s'était dit qu'il était idiot et que cette histoire ne les mènerait à rien. Pourtant, son orgueil lui interdisait de rentrer tôt. A la fois parce qu'il savait qu'il avait tord et parce qu'il avait besoin de s'excuser, ce qui n'était pas du tout son genre. Il traîna donc, jusqu'à ce qu'il se rende compte qu'il était bien tard. Il loupa le dernier métro et tourna encore, attendant la première rame du matin. Ce genre de sortie, il en faisait autrefois, quand il était seul et qu'il se sentait mal. Paris lui donnait l'impression d'être libre, mais aussi d'être terriblement seul. Pourtant, il aimait marcher la nuit, comme un oiseau de nuit, jusqu'à ce qu'il soit temps de rentrer chez lui.

Il faisait ça quand il était jeune. Traîner dans les rues jusqu'à ce que le soleil se lève, et qu'il aille se coucher, s'échouer sur son lit après avoir tiré les rideaux de sa chambre. Il s'enfermait dans le sommeil, comme un vampire fuyant le soleil. Il évacuait son mal-être de cette façon.

Dans le fond, Severus Rogue n'avait jamais été très heureux, dans son enfance et son adolescence. Sa mère, Helen Prince, l'avait eu avec l'homme qu'elle aimait, Tobias Rogue. Sa situation était similaire à celle d'Isaline : cette grossesse imprévue avait forcé son père à épouser sa mère. Cependant, il n'avait pas été tendre avec elle, lui faisant regretter chaque jour le moment où elle avait conçu cet enfant, d'abord par des mots, puis par des gestes, ou encore par un silence buté. Il avait même été tenté de s'en prendre à son fils, un gamin misérable qui ne valait pas grand-chose.

Mais Tobias Rogue n'avait jamais posé la main sur son fils. Jamais. Jamais il n'avait levé la main sur lui, jamais il n'avait effleuré sa joue, ou n'importe quelle partie de son corps. A chaque fois qu'il levait le bras pour le frapper, son regard rencontrait les yeux noirs de l'enfant. Ces yeux si noirs, intenses, perçants, qui semblaient lire en lui.

L'enfant n'avait pas peur de lui. Ni de lui, ni de qui que ce soit. Cet enfant était intelligent. Il parlait peu, mais parlait bien. Et Tobias avait peur de ce môme, dont les notes étaient si bonnes à l'école que ses professeurs le forçaient toujours à payer l'école privée, les meilleurs professeurs, car il serait dommage de gâcher un tel talent. Et en grandissant, Severus n'avait pas changé, c'était même bien pire : il regardait son père droit dans les yeux, le défendant de l'approcher, de le toucher ou même de lui parler. Et ce fut ainsi jusqu'à ce qu'il quitte la maison.

Severus se rappelait de son père, de son corps mou et flasque, des bières qu'il buvait en rentrant du travail harassant qu'il faisait toute la journée, de ses cris quand il gueulait après son épouse, ou encore de ses lourds silences. Severus se souvenait de la voix plaintive de sa mère qui lui demandait de la protéger, de l'aider. De les sortir là, de cette merde où elle les avait enfoncés.

Severus n'avait jamais rien fait pour elle. Il passait peu de temps dans l'appartement, à cause des longs trajets et des heures passées à la bibliothèque pour travailler. Et ces nuits où il arpentait les rues de la capitale, essayant d'oublier à quel point son existence était misérable. Il était laid, il était pauvre, vivait dans un petit appartement de banlieue et se rendait tous les jours dans une école où les élèves vivaient dans des palaces. Une vie qu'il n'avait pas choisit mais dont il s'accommodait. Ce n'était pas comme s'il avait le choix, non plus.

Son calvaire trouva une fin quand il quitta la maison. Sa mère voulut l'empêcher de partir, le suppliant presque de renoncer à ce studio et de rester avec eux. Dans le fond, qu'est-ce que ça changerait ? Le trajet jusqu'à l'université serait plus court mais il devrait travailler à l'extérieur pour payer son loyer, il aurait donc moins de temps à consacrer à ses études… Mais malgré ses arguments, Severus partit sans un regard en arrière, fuyant son père alcoolique et, au fond de lui, malheureux, ainsi que sa mère perpétuellement à la recherche d'amour et d'espoir dans les bras d'autres hommes, qui finissaient tous par la quitter. Il n'osa jamais lui dire qu'il fuyait cet endroit, car il savait qu'il y passerait trop de temps, vu que les emplois du temps seraient allégés, et il voulait voler de ses propres ailes.

Peut-être avait-il été un mauvais fils. Peut-être. Peut-être qu'il aurait dû soutenir sa mère et comprendre son père. Mais, dans le fond, personne ne l'avait jamais aidé, lui. On lui avait payé de bonnes écoles, mais en même temps, ses parents n'avaient jamais essayé de le comprendre, de partager ses joies et ses peines. Ils l'avaient laissé partir et ne prirent quasiment jamais de nouvelles de lui. Les seules fois où il vit son père, c'était quand ce dernier exigea des remboursements pour toutes les années où il avait payé des établissements privés. Severus lui jeta son argent à la figure et ne le revit plus jusqu'à sa mort, lors d'un accident de voiture. Quant à sa mère, quand elle atteignit l'âge de la retraite, il la plaça dans une maison où elle connut, comme toujours, des amourettes douces mais fictives. Ça faisait quatre ans qu'elle était morte de maladie.

Il s'était donc retrouvé orphelin assez jeune, et ce qui lui avait fait le plus de mal, c'était que ça ne changeait pas grand-chose à sa vie : il était toujours seul, avec un trou à la place du cœur, et des espoirs envolés. Sirius avait su colorer son existence, lui donner de la substance. Vivre avec lui, honnêtement, n'était que du bonheur. Mais Severus ne croyait pas au bonheur, pour lui, toute chose était éphémère. Il n'agissait pas comme les autres, ne pensait pas comme les autres. Parce qu'il n'avait pas eu une enfance comme les autres. Pas d'amis sur lesquels compter, pas de parents sur lesquels s'appuyer… Il était un homme blessé intérieurement mais qui avait toujours fait avec. Parce que c'était comme ça. point barre.

Cette virée dans Paris lui avait plus ou moins remis les idées en place et il était rentré chez lui vers huit heures du matin. et là, il vit que sa maison était fermée, avec du ruban en plastique jaune et rouge. Aussitôt, il appela Isaline, qui ne répondit pas, puis Harry. ce dernier, d'une voix froide et tranchante au possible l'informa que Sirius avait essayé de se suicider.

En entendant ses mots, c'était comme si son cœur était tombé. Comme si le ciel s'effondrait sur sa tête, brisant son crâne et tout son vieux corps de professeur. La gorge nouée, les yeux grands ouverts de stupeur et l'esprit paniqué, il demanda des détails au jeune homme qui lui donna juste l'adresse de l'hôpital et celle du commissariat où Isaline était retenue.

Severus passa à l'hôpital, paniqué et le cœur au bord des lèvres, mais les infirmières refusèrent de le laisser entrer. Néanmoins, elles l'informèrent que son compagnon s'était ouvert les veines dans sa baignoire, tard dans la nuit. Severus avait été à deux doigts de s'effondrer, ses jambes supportant mal le poids de cette nouvelle. Il voyait Sirius boire, s'enivrer, jusqu'à perdre rationalité parce qu'il pensait que son compagnon ne reviendrait plus jamais. Il le voyait se traîner dans la salle de bain et s'ouvrir les veines.

Mais comment diable avait-il pu survivre ? Avait-il appelé Isaline ? Que faisait-elle au commissariat ?

Il fila là-bas pour donner sa déposition, signalant ses activités de la nuit passée et put donner un ou deux témoins qui auraient pu se souvenir de lui. Puis, il retourna à l'hôpital et un médecin, un certain Dr Petit, lui dit qu'Isaline et Sirius dormaient dans la chambre. Qu'il allait bien. Il lui expliqua rapidement ce qui s'était passé la veille, mais il refusa de le laisser entrer.

Severus alla alors chez Remus et Nymph'. Il avait envie d'aller se coucher, se dire que tout cela n'était qu'un mauvais rêve. Il avait envie de plonger la tête dans une bassine, hurler de colère, prendre une douche froide, pleurer… il avait envie de tout effacer et de tout recommencer. De prendre Sirius dans ses bras, de lui demander pardon. De lui dire qu'il l'aimait plus que tout, qu'il n'était qu'un abruti. Que sans lui, il n'était rien. il n'existait pas.

Il l'aimait. Plus que tout. Il ne voulait pas qu'il meurt, surtout. C'était con à dire, mais… il était l'homme de sa vie. De sa triste et misérable vie.

Chez Remus, Severus subit les hurlements hystériques de Nymph' qui le gifla violemment, les yeux emplis de larmes, avant de s'enfuir dans sa chambre. Puis, il parla à Remus, sonné et halluciné par tout ce qui s'était passé. Il lui raconta tout ce qui s'était passé, ce qui l'avait mené à claquer la porte. Le professeur resta peu de temps, Remus se mettant lui aussi à lui faire des reproches. Severus ne pouvait pas lui en vouloir : Sirius avait manqué de mourir et il se sentait coupable comme jamais. Il récupéra donc Saphira, puis rentra chez lui.

Mollement, Severus posa son bras sur ses yeux. Puis, peu à peu, des larmes coulèrent sur ses joues. Le sentiment atroce de la culpabilité lui rongeait le cœur. Surtout depuis qu'il était revenu de l'hôpital, après sa troisième visite de la journée. Là, il avait trouvé Sirius éveillé, pâle et fatigué, mais réveillé. Severus aurait voulu l'étreinte, s'excuser, se mettre à genoux s'il le désirait. Qu'importe. Il avait failli le perdre, tirer un trait sur son existence, qui ne tenait qu'à un fil.

Mais Sirius avait repoussé sa main. il s'était mis à pleurer et lui avait demandé de partir.

Il ne voulait pas le voir.

Pas après ce qui s'était passé la nuit dernière. Pas après avoir vu le visage d'Isaline, pâle, cerné, humide de larmes.

Pas après avoir fait cette bêtise irrationnelle.

Il ne voulait pas le voir. Ni lui ni personne.

Alors Severus partit, sans un mot de plus. Il rentra à nouveau chez lui. S'écroula sur son canapé. et pleura un long moment, regrettant son comportement, cette porte qu'il avait claquée. Regrettant d'avoir laissé Sirius seul, alors qu'il le savait fragile et capable de tout.

Il se maudit. Lui et son caractère. Lui et la vie, qui leur en faisait voir de toutes les couleurs…


Merci de m'avoir lue ! J'espère que ça vous a plu !