Disclaimer: Les personnages de Harry Potter ne m'appartiennent pas, mais l'histoire, si!
Couple: Harry / Draco.
Evaluation: M.
Kikou les gens ! :D
Lys : Yo o/
Bon, déjà, désolée pour certaines à qui je n'ai pas pu répondre, j'ai eu PLEIN de bug et je crois que tous mes messages ne sont pas parvenus, ou du moins pas comme je l'aurais voulu… Donc PARDON les filles T.T
Lys : Je crois que tes lecteurs t'en voudront plus si tu fais mourir Harry plutôt que si tu oublies de répondre…
Mais quand même é_è
Lys : Bref :p. Voici un nouveau chapitre de Papillon qui fait un peu avancer les choses !
Oué, c'est déjà un peu plus gai, on va dire…
Lys : Bah il finit bien ! Ca fait changement…
C'est pas faux :p J'espère que ce chapitre vous plaira, bien que la fin soit assez abrupte. J'espère pouvoir vous proposer un nouveau chapitre d'ici la fin du mois d'août.
Lys : Ah, et une dernière chose…
Par PITIE ! Que celles qui m'envoient des reviews anonymes ESPACENT les termes de leur adresse mail : séparez l'arobase et les points ! Les adresses ne passent pas dans vos coms, donc pensez à le faire s'il vous plait _ c'est frustrant de ne pas pouvoir vous répondre…
Bonne lecture !
Sectumsempra, mon amour ?
Comme vous le savez peut-être , je suis en train de fonder un fanzine yaoi HPDM avec quelques copines.
Un fanzine est un magazine produit par les fans, comportant par exemple des illustrations ou autres. Notre fanzine sera composé d'OS illustrés ainsi que de quelques rubriques (par exemple des rubriques à propos des acteurs que nous avons rencontrés) et nous le complèterons de goodies, comme des cartes, posters, marques-pages, et autres !
Je vous invite donc à venir nous rejoindre sur notre page facebook ou sur notre forum, pour nous aider à créer notre fanzine ! (cf ma page de profil) Toute aide est la bienvenue, quelle qu'elle soit ! Un site est en cours de création, je vous tiendrai au courant ). Si vous avez des questions, n'hésitez pas.
Je vous informe également que, pour les intéressés, je vends des tomes de ma fic Existence dont le bénéfice reviendra à l'association (et n'ira donc pas dans mes petites poches).
Bon…
Ceci étant dit…
Je fais maintenant ma petite annonce perso ! Dans notre fanzine, je vais écrire un OS INEDIT portant sur le couple Théo/Seamus. En effet, dans cette fic, vous savez que ces deux-là vont finir ensemble, mais leur mise en couple ne sera qu'évoquée (et oui XD). Je vais donc écrire un OS qui traitera de leur mise en couple et qui ne sera publiée que dans notre fanzine :).
Donc, pour les intéressés…
Voilà voilà !
Chapitre 34
Café noir. Toujours, quand il sortait d'une opération difficile, ou quand il avait le moral dans les chaussettes. Rémi Petit détestait le café. Il ne buvait que du chocolat chaud, mais se méfiait toujours des sachets de cacao et de lait en poudre des distributeurs. Alors il prenait du thé. Un peu d'eau chaude, un sachet et du sucre, et ça le revigorait.
Mais quand ça n'allait pas, c'était café noir. C'était dégueulasse, mais il n'y échappait pas. C'était une sorte de rituel. Il en avait beaucoup bu, après son divorce, pendant cette espèce de dépression qui l'avait poursuivi pendant des mois. Il avait fini par se remettre au thé, et ne faisait quasiment qu'en boire, depuis qu'il fréquentait Isaline.
Mais en cette triste après-midi de mai, Rémi ne pouvait échapper à une dose de ce liquide âcre et exécrable. Assis devant une table vide, son gobelet devant ses yeux, il luttait pour ne pas croiser ses bras et y enfouir sa tête, et dormir… s'évader d'ici, quitter ce monde, oublier cette terrible journée…
Le médecin en avait vu, des malades, dans sa vie. Il en avait vu, des familles éplorées, aussi. Il avait vu des condamnés à mort, des blessés légers, des hommes qui ne ressemblaient plus à rien… Il avait vu des mères souffrant le martyr, des enfants regarder sans comprendre disparaitre sans rien n'y faire, des amis sanglotant dans la salle d'attente, pâle d'inquiétude, leurs mains crispées autour d'un gobelet de mauvais café… Oh oui, il en avait vu du malheur. Il en avait tant vu que, chaque jour, il priait pour que jamais son fils ne passe sous ses mains, que jamais il ne se retrouve comme tous ces gens sur une table d'opération, entre la vie et la mort. Par bonheur, Allan était en bonne santé et n'avait jamais eu de soucis. Ségolène non plus. Ses parents, sa sœur, aucun membre de sa famille n'avait jamais eu de problèmes de santé non plus.
Il avait la sensation égoïste que seule sa famille importait, que ces personnes qu'il traitait chaque jour n'étaient que des étrangers qu'il ne reverrait plus jamais, que dans le fond, tout ceci ne le concernait pas. C'était une carapace qu'il s'était forgé au fil des années, voyant la maladie et les accidents comme des choses banales qui pouvaient arriver à tout moment, mais que du moment que sa famille n'était pas touchée, tout allait bien.
C'était le genre d'idée tenace qu'il gardait en lui pour ne pas perdre la tête.
Aujourd'hui, il y avait eu de l'agitation. Il sortait d'opération, épuisé mais content de lui, quand soudain il entendit des cris. Il reconnut avec horreur la voix stridente d'Isaline, alors qu'il se rendait à la cafétéria. Il s'était alors précipité vers l'origine des cris, non loin de l'entrée des urgences. Une ambulance était garée non loin de la porte, et Isaline criait, ceinturée par deux médecins qui l'empêchaient d'entrer, pendant que deux autres poussaient un brancard vers l'intérieur.
Son visage pâle et tiré laissait voir ses yeux clairs grands ouverts qui regardaient avec horreur le brancard s'éloigner d'elle. Elle pleurait, le visage reflétant une douleur sans nom. Rémi avait alors senti son cœur devenir lourd et se serrer dans sa poitrine. Il eut envie de pleurer.
Harry avait eu un accident. Sans doute était-il en train de mourir, ou peut-être était-ce déjà terminé pour lui. Le regard vide, il avait vu Isaline s'évanouir, maintenue par les deux médecins. Elle fut transportée dans une chambre, veillée par une infirmière. Elle s'était réveillée plus tard, et Rémi, qui l'avait veillée un long moment, avait essayé de la réconforter. Mais recroquevillée dans le lit blanc, le visage mal et les lèvres tremblantes, elle s'était mise à trembler, baragouinant des paroles sans aucun sens, se cachant les yeux, comme pour les protéger de ce qu'ils avaient vu.
Rémi savait ce qui s'était passé. Son collègue lui en avait parlé. Et ce poids dans son cœur s'était soudainement alourdi, au point de l'empêcher de respirer…
Harry avait sauté.
Il avait fait le saut de l'ange.
Ce n'était pas la première fois que l'hôpital accueillait des patients ayant tenté la mort, loin de là. Pourtant, jamais Rémi n'avait essayé d'imaginer ce que cela faisait, de mettre fin à ses jours, et encore moins quand il s'agissait de sauter par la fenêtre. Au fonde de lui-même, il avait toujours trouvé cet acte égoïste et lâche.
Pourtant, l'espace d'un instant, alors que son collègue lui racontait les faits, il avait imaginé Harry, debout au bord de la fenêtre, sauter en bas, comme un ange dont on aurait coupé les ailes. Il l'imaginait s'écraser sur le sol, tel Icare voulant se rapprocher trop prêt des dieux. Et étrangement, il n'avait pas pensé un seul instant que cette tentative de suicide ait été une geste égoïste. Plus… une envie de recouvrer sa liberté.
Comme un papillon enfermé dans un bocal…
Et Isaline se cachait le visage, les yeux, devant lui. Elle ne réagissait pas à ses mots, l'image de Harry, son pupille, son neveu, son fils sautant dans le vide repassant sans cesse derrière ses paupières, tandis que les sanglots secouaient son corps. A quoi bon prononcer des mots sans aucun sens, alors qu'elle allait perdre son bébé ? Son fils, sa joie de vivre, le centre de son univers depuis tant d'années ? Ce gamin qu'elle avait emmené chez elle et qu'elle avait élevé comme son propre enfant, qu'elle avait chéri et qui avait été sa raison de vivre, qu'elle aime plus que tout…
Elle était en train de perdre son enfant…
Un enfant qu'elle n'avait pas mis au monde, l'enfant de deux de ses amis, qui devaient pleurer, eux aussi, quelque part…
Rémi Petit avait envie de pleurer. Il se retint, parce qu'il avait appris à ne pas se laisser aller à ses sentiments à l'hôpital. La colère, oui, mais pas les larmes. Il ne fallait pas pleurer. La bataille n'était pas perdue : Harry n'avait pas sauté de très haut, et il était retombé sur une de ses jambes, pas sur les deux. L'une était donc quasiment intacte, mais l'autre avait subi de sévères dommages. Il s'en remettrait. Peut-être ne parviendrait-il plus jamais à marcher correctement avec ses deux jambes, mais il survivrait.
De ce point de vue là, oui. Mais le problème le plus inquiétant, c'était ce choc qu'il avait subi à la tête. Cédric l'avait frappé si fort qu'il avait valdingué et son crâne avait rencontré un meuble, l'assommant et le blessant. Et ceci ajouté à sa chute ne pouvait pas améliorer son état.
Pourquoi Harry avait-il sauté ? Etait-il lucide, quand il l'avait fait ?
Si c'était le cas… Si ce n'était pas le fruit d'une soudaine impulsion…
Alors il était entre la vie et la mort. Car si les possibilités de s'en remettre étaient vraies, son réveil ne pourrait être motivé que par son envie de vivre…
OoO
Cette image le hantait. Jour et nuit, elle parasitait ses pensées, le mettant dans un état de nervosité assez avancé, basculant d'un calme déprimé à l'angoisse qui vous empêchait de fermer les yeux, en passant par la colère, si forte, que c'était comme si elle vous bouffait le cœur.
Lunatique, diraient certains. Dépressif, diraient les autres.
Draco Malfoy était comme une bombe à retardement. Il oscillait entre différentes émotions, différents états, retenant ses larmes un instant, et quand quelqu'un lui disait de ne pas s'en faire, il entrait dans une colère noire et en devenait presque hystérique. Jamais Blaise ne l'avait vu dans un tel état. Il ne savait pas comment réagir, comment gérer son meilleur ami. Lui dire de ne pas s'en faire, que Harry allait guérir, ou bien le plaindre, ou encore le provoquer pour crever l'abcès ne fonctionnaient pas, car à chaque fois, Draco avait une réaction différente, et à chaque fois, l'abcès se crevait, puis s'infectait à nouveau, et cette douleur dans sa chaire demeurait, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle ne soit plus supportable…
Comment gérer un homme d'habitude si paisible, si fier, alors qu'il venait de voir la personne qu'il aimait sauter par la fenêtre et s'écraser sur le sol ? Comment faire face à ses peurs, ses angoisses, ses accès de colère, alors qu'on n'était même pas capable d'imaginer le centième de ce qu'il devait ressentir…
Blaise se sentait aussi stupide qu'inutile, car il était incapable de venir en aide à son ami, son frère, alors que ce dernier souffrait comme jamais. Harry n'allait peut-être pas y survivre, et il avait sauté. La dernière fois qu'ils s'étaient parlés, tous les deux, Draco lui imposait un ultimatum. Certes, le blond ne lui avait pas imposé un choix qui incluait une séparation, il ne comptait pas s'éloigner de son amant. Mais… la dernière vision qu'il avait de Harry, c'était celle de ses yeux tristes.
Et il avait sauté. Il l'avait vu sauter, par la fenêtre, comme un ange dont on aurait coupé les ailes. L'espace d'un instant, il était devenu ce qu'il avait tant désiré être à une époque : un papillon. Mais les ailes qu'il avait dans les dos ne s'étaient pas matérialisées derrière lui, et l'insecte sur son cœur ne lui en était pas venu en aide. Il n'était qu'un être humain, même si, l'espace d'un instant, il avait pensé être autre chose…
Et cette image le hantait. C'était comme un vieux film tournant au ralenti. C'est en se forçant à ne pas penser à quelque chose que notre esprit finit par se focaliser dessus. Et toutes les pensées de Draco revenaient au suicide de l'homme qu'il aimait. Et quand il cauchemardait, le souvenir s'allongeait, le torturant sans cesse un peu plus : il se voyait avancer vers Harry, le corps disparaissait et il le cherchait, ou bien il s'envolait, loin de lui…
Tout ceci s'était passé la veille. Mais cette attitude, entre deux eaux, entre deux feux, le poursuivrait pendant plusieurs jours. Il en était de même pour ses cauchemars, qui n'avaient jamais la même issue, pour la bonne et simple raison qu'il s'était évanoui quand le corps de Harry avait touché le sol. Il s'était réveillé à l'hôpital. Blaise était prêt de lui, sa peau de métis avait un peu pâli. Le blond avait alors paniqué, le cœur au bord des lèvres, espérant du plus profond de son cœur que tout ce qu'il avait vu n'était que le résultat d'une imagination un peu trop fertile, d'un cauchemar qu'il avait fait…
Mais le visage de Blaise s'était figé. Et Draco avait sombré dans l'hystérie.
Il avait pleuré, crié. Il avait appelé Harry. Il entendait à peine Blaise lui dire qu'il était vivant, que ça irait mieux, parce que Draco savait que, non, Harry n'était pas vivant, et que ça n'irait pas mieux.
Et même quand il apprit que le jeune homme était vivant, que sa jambe était en piteux état mais qu'il devrait survivre, son esprit ne pouvait pas s'apaiser, car il savait pertinemment que Harry était dans un état critique, et que son réveil ne dépendait que de lui, et des compétences des médecins.
Harry allait mourir.
Il l'avait vu sauter.
Et cette image le hantait chaque jour, chaque nuit. Et elle le hanterait longtemps, très longtemps…
OoO
Le lendemain de la tentative de suicide de son otage, il avait été arrêté en pleine rue. Il ne savait pas où il avait trouvé la force de s'enfuir la première fois, puis la deuxième. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il avait couru comme un dératé, au milieu de la circulation, sans apercevoir le tram qui, étant parvenu à s'imposer au milieu des voitures, entrait enfin dans le chemin bordé d'herbe qui lui appartenait. Il entendit simplement les hurlements de policiers, qui le firent ralentir. Et quand il vit le tram venir vers lui, ses jambes se paralysèrent, et la rame le cogna.
Ses blessures n'étaient pas importantes : le tram ne roulait pas bien vite et le conducteur avait eu le temps de ralentir, mais il s'était quand même cassé la jambe et il avait mal à son bras. Il s'était blessé à la tête aussi, dans sa chute, mais pas de quoi en faire tout un plat. Un peu amoché, certes, mais pas en danger de mort.
Pas comme Harry.
Cédric avait séjourné à l'hôpital, le temps qu'on lui fasse son plâtre et qu'on lui bande le bras et la tête. Toute l'énergie qu'il avait dépensée à s'enfuir l'avait quittée. Il n'avait même pas essayé de se faire la malle à l'hôpital et n'avait témoigné aucune résistance quand la police l'avait emmené au commissariat pour la garde-à-vue.
Il n'avait plus aucune envie de se battre. Et alors qu'il se trouvait dans une cellule du commissariat, à attendre le moment où on l'interrogerait à nouveau, Cédric se demandait encore comment il avait pu avoir la force de fuir. Car si cela pouvait être perçu comme un acte lâche, il avait nécessité une force dont il ne se serait jamais cru capable.
Au téléphone, Isaline avait remué des choses qu'il aurait préférées oublier. Il était au plus mal et son plan pourtant parfait, ne fonctionnait pas, et il voyait Harry mourir à petit feu, dans sa petite chambre. Il pensait que son idée marcherait, que Draco finirait pas devenir un lointain souvenir, mais il fallait croire que cet amour qu'il avait tant sous-estimé était en fait plus fort qu'il ne l'avait cru. Tellement fort que Cédric en était venu à ne plus savoir quoi faire.
Devait-il relâcher Harry ou le garder ? Devrait-il fuir éternellement ou se rendre ?
Il n'avait pas su quoi faire. Car quoi qu'il fasse, il serait de toute façon retourné en prison. Il savait pourtant à quoi s'attendre, il l'avait déjà vécu une fois. Enlever Harry le replongerait dans cet Enfer. Mais contrairement à la fois précédente, il avait été plus lucide, car il avait rapidement compris que récupérer Harry, ce serait quitte ou double. Ça passe ou ça casse. Et ça a cassé.
Et Cédric s'était retrouvé dans une impasse qu'il ne savait comment détourner ou franchir. Il avait envisagé de relâcher Harry. Il y avait vraiment pensé.
Mais Harry avait trouvé ce téléphone. Et Cédric, ses yeux virant au rouge, était entré dans une colère noire. Il l'avait frappé. Son visage rempli d'horreur et ses yeux terrifiés avait été comme un appel à cette violence que la défaite rendait plus puissante encore.
Ses yeux verts, sans lunettes, qui le regardaient droit dans les yeux, ce portable à la main…
Sa rage, montant du plus profond de son cœur, guidant ses mains et son corps…
Et sa tête percutant le meuble, son corps qui s'affaisse, et qui ne se réveille plus…
Le reste avait été comme un vaste brouillard. Dans le salon, au rez-de-chaussée, il avait pris sa tête dans ses mains. Harry était vivant mais il était blessé à la tête. Hors de question d'aller à l'hôpital, ou du moins pas tout de suite… Ou peut-être, si, justement, s'en aller maintenant, avant que la police arrive… Si jamais elle arrivait…
Peut-être qu'au fond de lui, il avait espéré que les flics arrivent et l'attrapent. Peut-être. Sinon, il ne serait pas resté comme une larve dans le salon à attendre l'inéluctable, à attendre que son téléphone sonne.
Il y avait eu la voix d'Isaline, ses mots. Puis, elle avait crié. Et sous ses yeux terrifiés, le portable près de l'oreille, il avait vu le corps de Harry tomber.
Et cette image le hantait depuis, qu'il soit éveillé ou endormi. Il se revoyait devant cette putain de fenêtre, à regarder dehors, et soudain le corps de Harry tombant par terre.
Il rêvait.
Harry ne pouvait pas avoir sauté.
Il avait failli tout lâcher, sortir, faire quelque chose, mais l'horreur de ce qui venait de se passer devant ses yeux le prit aux tripes et il s'était enfui. Il avait fui ce qui s'était passé, cette maison où il l'avait séquestré, Harry qui avait sauté… Il avait tout fuit. Absolument tout.
Où avait-il pu trouver la force de s'en aller, comme ça, alors qu'il avait envie de vomir et de crever sous une voiture ? Il ne savait pas. Pas plus qu'il ne savait comment il avait pu fuir cet hôtel où la police avait réussi à le retrouver.
Tout ce qu'il savait, c'était qu'il n'était qu'un salopard malade, en plus d'être un assassin. Car c'était de sa faute, tout ça. Il savait que Harry avait sauté, que ce n'était le gars à la fenêtre qui l'avait poussé. Ce n'était pas pour rien qu'il n'avait jamais laissé la fenêtre ouverte, la première fois qu'il l'avait enlevé. Il avait toujours peur qu'il fasse une connerie. Et il avait suffi de quelques erreurs pour que Harry fasse le saut de l'ange, échappant au bras de ce type qui voulait simplement le retenir à l'intérieur…
C'était de sa faute.
Cédric n'aurait pas dû fuir, il aurait dû mourir. Sauter, lui aussi, et ne jamais se relever. Tout ça, c'était de sa faute, et l'idée que Harry puisse mourir à cause de lui bouffait son cœur. Il savait pourtant que ce qu'il faisait était dangereux, qu'il lui avait fait du mal. Il le savait, tout ça. Mais il y avait quelque chose de malade en lui, et toute l'horreur de ses actes lui revenaient en pleine figure. Il n'était qu'un monstre. Et il le savait.
On l'avait interrogé une fois, et il n'avait rien dit. On l'avait menacé, et il s'était tu, muet comme une tombe. Il ne voulait pas leur parler. Ils ne comprendraient pas. Ils ne comprendraient pas qu'il était amoureux fou de Harry, qu'il le voulait pour lui, qu'il lui avait fait du mal mais que c'était pour son bien, qu'il regrettait, qu'il savait qu'il n'était qu'un assassin et qu'un pourriture, qu'il voulait juste que Harry soit heureux…
Il voulait être heureux…
Avec Harry…
Mais ils ne comprendraient pas. Ils ne comprendraient jamais ça.
Il aurait voulu avoir Isaline devant lui. Il aurait voulu qu'elle soit là, qu'elle le regarde dans les yeux. Et il lui aurait tout dit. Il lui aurait dit tout ce qu'il avait fait, comme on murmure ses péchés au prêtre dans le confessionnal. Tout, il ne lui aurait rien caché…
Mais elle n'était pas là.
Ça passe ou ça casse.
Il avait cassé Harry, à force de trop tapé dessus.
Il avait cassé Isaline, son cœur, sa voix, son enfant…
OoO
Théo rentrait à la maison. Allongé au fond de son lit, Seamus l'entendit ouvrir la porte d'entrée et la refermer. Il jeta un œil à son réveil : il n'était pas loin de minuit. Théo travaillait pour son patron quelques jours dans la semaine, ainsi que le week-end. Il se levait donc aux alentours de trois heures, quatre heures du matin quasiment tous les jours et rentrait vers seize heures à la maison.
Et il était minuit. Et Théo avait encore passé la soirée chez Ron. Il passait son temps chez lui, dernièrement. Seamus aurait pu se sentir jaloux s'il ne savait pas pourquoi son colocataire s'y rendait aussi régulièrement.
Ron faisait une dépression. Ce fait aurait pu paraître stupide, au vue des circonstances, mais c'étaient précisément ces circonstances qui rendaient son état plus dramatique encore.
Le rouquin n'avait pas assisté au drame, comme Draco et Théo, qui avaient été aux premières loges. Mais il savait ce qui s'était passé, et quand il l'avait appris au téléphone, le bras en écharpe et la tête pleine d'idées noires, il s'était effondré. Ses jambes avaient cédées sous lui, et alors que Neville reprenait le combiné, répondant à un Olivier pâle et inquiet, Ron s'était mis à pleurer, et depuis deux jours, c'était comme s'il ne s'était jamais arrêté.
Un homme, ça ne pleure pas. Mais un homme qui s'est fait agressé dans la rue, qui a vu des hommes enlever son meilleur ami, et apprendre qu'au terme de huit jours d'enfermement, le jeune homme sautait par la fenêtre et se retrouvait à l'hôpital… cet homme-là ne peut demeurer de glace, debout, fier et ravalant sa douleur. Pas Ron, du moins, à fleur de peau depuis l'enlèvement, qui imaginait Harry sauter par la fenêtre à pieds joints.
Son ami, si souriant, si gentil… Toujours aimable, toujours loyal, toujours…
Seamus eut un frisson d'horreur quand l'image du tatoueur faisant le saut de l'ange passa sous ses paupières. Une boule se forma dans sa gorge et il eut envie de pleurer. Théo était déjà allé voir Ron la veille, même s'il savait que cela ne servait à rien. Le rouquin se sentait coupable et ces relents de déprime qui demeuraient en lui s'étaient mués en dépression, qui l'empêchait de se nourrir, affalé à longueur de journée dans le canapé ou sur son lit, ressassant sans cesse ses idées noires… Et Théo y allait, car Ron était à l'image de ce qu'il était intérieurement : un homme brisé.
Car quelles que soient les apparences, quelque chose s'était brisé en Théo. Contrairement à Draco, il ne s'était pas évanoui. Mais il était demeuré là, hébété, comme dans un rêve, emprisonné dans une sorte d'état second qui l'empêchait de percevoir et accepter la réalité : son ami avait sauté par la fenêtre, il s'était écrasé sur le sol comme un oiseau mort.
Cela faisait deux jours que Harry était à l'hôpital, entre la vie et la mort, et Théo ne parvenait pas à s'en remettre, à accepter cette image qui trainait dans son esprit, revenant à chaque fois qu'il refusait d'y penser. Elle le poursuivait au travail, et l'après-midi, il allait s'enivrer des souffrances de Ron, et enfin il rentrait à l'appartement, épuisé et incapable d'aligner deux pensées. A sa façon, il déprimait aussi. Sans trop le montrer. Mais la pâleur de son visage, ses yeux qui partaient dans le vague et s'humidifiaient, les cernes sous ses yeux, tout indiquaient qu'il n'allait pas bien.
Que quelque chose s'était cassé en lui. Et que cela ne pourrait se réparer que si Harry rouvrait les yeux et que leurs regards se croisent, même l'espace de quelques secondes seulement.
Seamus préférait ne pas penser à Harry. Il se disait que le jeune homme n'aurait sans doute pas aimé qu'on souffre pour lui. C'était peut-être une pensée égoïste, mais c'était ça, ou se trainer comme une âme en peine, et Théo avait besoin de tout, sauf de ça. Penser à Harry et à son état faisait trop de mal à Seamus. Il lui suffisait de voir le visage de son ami le matin et le soir pour que le drame lui revienne en pleine figure et lui torde les tripes, à lui donner mal au cœur. Mais il contenait ses larmes et ses vertiges. Pour Théo. Parce qu'il ne voulait pas être mal devant lui. Il n'avait pas besoin de ça.
Personne n'avait besoin de ça…
L'irlandais l'entendit marcher dans le couloir et aller dans sa chambre, puis dans la salle de bain. Il écouta l'eau couler dans la douche, les yeux clos. Il ne se sentait pas bien. Il avait envie de se lever et de le rejoindre, se blottir contre lui, contre son torse trop plat et ses bras secs et durs. Il avait envie de se plonger dans son étreinte et oublier cette désagréable sensation de saut dans le vide, que son esprit le forçait à imaginer sans cesse…
Il avait envie d'arrêter de penser à Harry qui sautait, à la sensation que cela ferait si jamais il faisait comme lui…
Théo sortit de la douche. Il entendit ses pieds nus sur le lino du couloir. Puis, il cessa de bouger. Comme une hésitation. Surmontant son mal de ventre, Seamus rejeta les draps et se leva. Il ouvrit la porte de sa chambre, alors que Théo se décidait à entrer dans la sienne.
« Théo ? »
Le couloir était plongé dans la pénombre, mais Seamus parvenait à percevoir sa silhouette dans l'obscurité. Il s'avança donc vers lui, à l'aveuglette. Il lui toucha l'épaule. Théo ne bougeait pas. Ne disait rien. Alors Seamus fit ce qu'il avait envie de faire depuis de longues minutes : il se blottit dans les bras de son ami, enlaçant sa taille, se serrant contre lui. Et au lieu d'obtenir un rejet, il sentit les bras de Théo se refermer dans son dos, sur ses épaules.
Théo le serrait contre lui, et Seamus sentit une sorte de bouffée de chaleur monter en lui.
Il pensa à Harry, à la sensation qu'il devait éprouver quand il se blottissait contre son amoureux.
Il pensa à Draco, à la sensation que cela faisait, de voir l'homme qu'on aimait sauter par la fenêtre.
Il imagina Harry, regardant en bas, et sauter à pied joints dans la mort…
Il imagina Draco, regardant son avenir se briser devant ses yeux, son univers vaciller et s'effondrer…
Seamus pleura.
Il s'était retenu la veille, dans le noir, alors que Théo le serrait fort contre lui.
Mais pas ce soir.
Ce soir, il craquait. Il pleurait pour deux. Puisque Théo n'en était pas capable…
OoO
Il ne savait pas vraiment ce qui l'avait réveillé. Peut-être le fait que la place à côté de lui soit vide, ou bien le bruit que l'autre avait fait en se levant était enfin parvenu à son oreille. Severus n'avait pas le sommeil léger, ni même lourd. Il ne se réveillait pas quand Sirius quittait le lit à cause d'une insomnie, mais il ne pouvait rester sourd au boucan qu'il faisait quand, pris d'une envie subite, il s'enivrait dans le salon.
Dans un sens, depuis le temps qu'ils vivaient ensemble, Severus avait développé une sorte de capacité qui lui permettait de ne se réveiller que lorsque le comportement de son compagnon se révélait dangereux pour lui-même. Et ce soir ne faisait pas exception.
Les yeux grands ouverts dans le noir, Severus regardait le vide, écoutait les bruits de la maison. Sirius n'était pas dans le couloir, ni dans la salle de bain, et il n'entendait rien dans le salon. C'était étrange. Il attendit un peu, mais toujours pas de bruit. Sirius ne remontait pas. La télévision n'était pas allumée. Il ne parlait pas tout seul.
Il était silencieux. Et c'était bien plus inquiétant que s'il faisait du bruit…
Alors Severus finit par se lever, rabattant les draps sur le côté. Il enfila ses chaussons, son peignoir, puis sortit de la chambre. Il écoutait toujours, et même une fois dans le couloir, il n'entendit rien d'étrange. Pas même les couinements de Saphira qui se plaignait de l'état lamentable de son maître, comme cela arrivait parfois. Alors Severus descendit les escaliers. Il y avait de la lumière, en bas, dans le salon. Il poussa un léger soupir, un peu rassuré. Une fois en bas, il entra dans la pièce, et trouva son compagnon affalé dans le canapé, une bouteille de whiskey à moitié vide sur la table basse, son verre au bord des lèvres.
Son cœur se serra un peu quand il le vit ainsi dans leur salon, les yeux dans le vague et ce maudit verre au bord des lèvres. Il y avait peu d'alcool à la maison, mais Severus ne les avait pas tous jetés. Après sa tentative de suicide, oui. Mais pas après. Pas que Sirius en avait ramené, en cachette. Car le professeur ne voulait pas de cachotteries. Il ne voulait pas de tabous. Il ne voulait pas que Sirius boive en cachette de l'alcool rangé au fond des placards. C'était un problème qu'ils devaient affronter à deux, sans faux-semblants, et Severus le connaissait bien trop pour ne pas deviner quand il était bourré, ou quand il avait bu la veille.
Severus s'avança vers lui et s'assit sur le canapé. Sirius lui jeta un regard vague. Il n'avait pas bu grand-chose, la bouteille était simplement bien entamée, mais il avait déjà un bon coup dans le nez. Severus ne savait pas quoi lui dire. Il avait simplement envie de lui retirer son verre et de le ramener au lit. Il était toujours parvenu à maîtriser Sirius et à lui faire entendre raison, qu'il soit dans un état léthargique ou bien dans une colère noire, les sens brouillés par l'alcool. Mais ce soir, il ne savait pas quoi faire. Comme depuis quelques jours, d'ailleurs. Il se sentait démunis, ne sachant quels gestes, quels mots pourraient apaiser son compagnon.
« Tu comptes vider la bouteille ?
- J'en sais rien. J'ai mal à la tête.
- Boire ne soulagera pas ton mal.
- Je sais. Mais ce n'est pas une aspirine qui me fera oublier. »
Il y avait des moments dans votre vie qui restaient à jamais marqué dans votre mémoire, ou sur votre rétine. En dépit d'un long travail sur lui-même qui l'avait mené petit à petit à regarder son univers avec indifférence, Severus n'avait jamais été capable d'oublier certains accès de colère de son père, qui frappait si fort sa mère qu'il s'était longtemps demandé comment les voisins, qui entendaient ses cris, avaient pu rester silencieux si longtemps.
Sirius, lui, n'avait jamais vu sa mère se faire battre. C'était lui qu'elle battait. Et si ce genre de souvenirs demeurerait toujours en lui, ce n'étaient pas ceux-là qui le faisaient souffrir ce soir.
C'était la vision de son filleul, de son fils, de l'enfant de son meilleur ami sautant par la fenêtre qui hantait ses nuits, et ses jours.
Severus n'était pas là, mais il aurait sans doute donné beaucoup pour assister à la scène à la place de son amant. Il voyait dans quel état se trouvait Sirius : il basculait à nouveau dans la dépression, et s'il restait raisonnable avec l'alcool, nul doute qu'il ne tarderait pas à faire des excès et à s'enfoncer dans les idées noires.
Le professeur ne savait pas ce que c'était que de voir quelqu'un mourir sous ses yeux. Voir des patients agoniser, il le savait. Mais voir quelqu'un mourir, sauter par la fenêtre et venir s'écraser en bas, il ne pouvait pas l'imaginer, tout comme il n'avait jamais pu penser qu'un jour un garçon aussi plein de vie pourrait tenter la mort de cette façon. Bien qu'il ait été traumatisé par la tentative de suicide de Sirius, Severus ne pouvait en voir que les traces sur ses poignets, ces traces rouges qui cicatrisaient petit à petit. L'écrivain avait essayé de mourir, mais c'était… moins violent. Imbibé d'alcool, il s'était ouvert les veines. Harry, lui, avait sauté. Et les séquelles qu'il garderait sans doute à vie n'étaient pas que de banales traces sur ses poignets.
Sirius n'était évidemment pas le seul à souffrir comme un dingue. Draco était mal au point, Blaise le lui avait dit au téléphone, et il était incapable de le gérer. Théo avait également assisté à la scène et il avait du mal à s'en remettre. Sans doute tous deux ne s'en remettraient-ils jamais… Surtout si Harry venait à ne jamais se réveiller.
Mais la personne qui ne parvenait pas à surmonter ce qu'elle avait vu, c'était Isaline. Autant Sirius faisait des efforts pour encaisser, autant Isaline n'en faisait absolument aucun. Elle restait chez elle, sans ouvrir sa porte à personne, et passait ses journées à se lamenter. Elle ne sortait qu'une fois par jour, pour aller à l'hôpital. Nymph' avait prit sa chienne chez elle pour s'en occuper. La patronne n'était plus bonne à rien.
Elle s'était même réfugiée dans l'alcool. C'était Nymph' qui le lui avait dit. Cela avait beaucoup surpris Severus, qui n'avait jamais vu Isaline comme quelqu'un qui pourrait se laisser aller à ça, tant elle avait vécu de malheurs sans jamais y céder. Et pourtant, Nymph', le cœur au bord des lèvres, lui avait assuré qu'elle avait rempli ses placards et qu'elle se laisser glisser dans l'alcoolisme.
Elle était perdue. Complètement perdue. Ce qu'elle avait vu, c'était comme la goutte d'eau qui fait déborder le vase. Elle avait vu Sirius avec les veines grandes ouvertes, et à présent elle voyait Harry sauter par la fenêtre. La vie s'acharnait contre elle, contre ceux qu'elle aimait. Et elle était perdue. Elle aurait pu se faire aider, mais les psychologues ne pouvaient avoir d'effet sur une femme qui était à peine capable de se lever de son canapé, et si Nymph' venait régulièrement la voir, la mort dans l'âme, elle ne pouvait faire grand-chose pour elle. A part la prendre dans ses bras et pleurer avec elle. Mais jamais elle ne parviendrait à lui arracher cette vision cauchemardesque de ses yeux.
Elle était dans une impasse. Comme Sirius, comme Draco, comme Théo.
Et Severus ne savait pas quoi faire. Lui aussi avait la sensation d'être dans un cul de sac, ne sachant quoi faire pour apaiser les souffrances de son compagnon. Le voir dans un tel état lui faisait mal, d'autant plus que cela ranimait ses propres angoisses vis-à-vis du jeune homme. Il intériorisait ses peurs, cette souffrance due à la perspective de perdre ce garçon qu'il avait appris à apprécier et aux séquelles qu'il porterait à vie, mais ces idées, il ne pouvait les taire indéfiniment, pas avec Sirius dans cet état-là, ses doutes et ses paroles, ses larmes, voire ses colères…
Et cet alcool qu'il ingurgitait, sans cesse…
« L'alcool n'arrangera pas tes problèmes, Sirius. Ça ne fait que les aggraver. Et tu le sais.
- Mais ça me fait du bien.
- Sur le coup.
- J'ai envie de mourir, Sev'. »
Le professeur ferma les yeux douloureusement.
« Quand je sais où il est et dans quel état il est, ça me donne envie de me foutre en l'air.
- C'est ce que tu feras s'il ne sort pas du coma ?
- Non. Isaline ne s'en remettrait pas. »
Comment réagirait-elle si jamais Harry ne se réveillait pas ? Parviendrait-elle à faire son deuil ?
« J'ai l'impression que c'est de ma faute. Si j'avais été là, si j'avais fait plus attention…
- Ce n'est pas de ta faute, Sirius…
- Je ne sais pas. Je voudrais tellement être à sa place… Ne plus qu'il souffre… »
Severus prit le verre de ses mains et le posa sur la table basse. Sirius le regarda, les yeux vitreux. Des yeux de chien battu, mouillés. Lentement, Severus l'attira à lui, tout en s'allongeant sur le canapé. De façon naturelle, Sirius se blottit dans ses bras et ferma les yeux quand il sentit la main de son compagnon dans ses cheveux. Il se sentait en sécurité, un peu comme si rien ne pouvait plus lui arriver, les brumes de l'alcool l'étourdissant, lui donnant envie de dormir. Alors il plongea tête la première dans cette étreinte, un fort sentiment d'amour pulsant dans sa poitrine.
« Je t'aime.
- Moi aussi, Sirius. Ne pense pas à mourir. Je sais que tu as mal. Mais Harry ne voudrait pas que tu sois dans un état pareil.
- C'est comme mon fils, Sev'… C'est le fils de James et Lily… Tout ce qui me reste d'eux…
- Ce n'est pas de ta faute. Ce n'est de la faute à personne. Il s'en remettra.
- Et si jamais…
- Il s'en remettra, Sirius. Laisse-lui le temps. Ne meurs pas à petit feu pour lui. Il ne voudrait pas ça. Jamais. »
Et il le berça, dans ses bras, allongé sur le canapé du salon. Il ferma les yeux, repensant au passé. A James, gamin turbulent et insupportable, à Lily, si gentille et douce. Il se rappela de sa rencontre avec Sirius, des années plus tard, le temps et la prison ayant fait mûrir les traits de son visage. Et Harry, timide et réservé Harry, avec la mort au fond des yeux, un sourire factice sur les lèvres…
Vis, Harry…
OoO
Le lendemain de la tentative de suicide de son otage, il avait été arrêté en pleine rue. Il ne savait pas où il avait trouvé la force de s'enfuir la première fois, puis la deuxième. Tout ce qu'il savait, c'était qu'il avait couru comme un dératé, au milieu de la circulation, sans apercevoir le tram qui, étant parvenu à s'imposer au milieu des voitures, entrait enfin dans le chemin bordé d'herbe qui lui appartenait. Il entendit simplement les hurlements de policiers, qui le firent ralentir. Et quand il vit le tram venir vers lui, ses jambes se paralysèrent, et la rame le cogna.
Ses blessures n'étaient pas importantes : le tram ne roulait pas bien vite et le conducteur avait eu le temps de ralentir, mais il s'était quand même cassé la jambe et il avait mal à son bras. Il s'était blessé à la tête aussi, dans sa chute, mais pas de quoi en faire tout un plat. Un peu amoché, certes, mais pas en danger de mort.
Pas comme Harry.
Cédric avait séjourné à l'hôpital, le temps qu'on lui fasse son plâtre et qu'on lui bande le bras et la tête. Toute l'énergie qu'il avait dépensée à s'enfuir l'avait quittée. Il n'avait même pas essayé de se faire la malle à l'hôpital et n'avait témoigné aucune résistance quand la police l'avait emmené au commissariat pour la garde-à-vue.
Il n'avait plus aucune envie de se battre. Et alors qu'il se trouvait dans une cellule du commissariat, à attendre le moment où on l'interrogerait à nouveau, Cédric se demandait encore comment il avait pu avoir la force de fuir. Car si cela pouvait être perçu comme un acte lâche, il avait nécessité une force dont il ne se serait jamais cru capable.
Au téléphone, Isaline avait remué des choses qu'il aurait préférées oublier. Il était au plus mal et son plan pourtant parfait, ne fonctionnait pas, et il voyait Harry mourir à petit feu, dans sa petite chambre. Il pensait que son idée marcherait, que Draco finirait pas devenir un lointain souvenir, mais il fallait croire que cet amour qu'il avait tant sous-estimé était en fait plus fort qu'il ne l'avait cru. Tellement fort que Cédric en était venu à ne plus savoir quoi faire.
Devait-il relâcher Harry ou le garder ? Devrait-il fuir éternellement ou se rendre ?
Il n'avait pas su quoi faire. Car quoi qu'il fasse, il serait de toute façon retourné en prison. Il savait pourtant à quoi s'attendre, il l'avait déjà vécu une fois. Enlever Harry le replongerait dans cet Enfer. Mais contrairement à la fois précédente, il avait été plus lucide, car il avait rapidement compris que récupérer Harry, ce serait quitte ou double. Ca passe ou ça casse. Et ça a cassé.
Et Cédric s'est retrouvé dans une impasse qu'il ne savait comment détourner ou franchir. Il avait envisagé de relâcher Harry. Il y avait vraiment pensé.
Mais Harry avait trouvé ce téléphone. Et Cédric, ses yeux virant au rouge, était entré dans une colère noire. Il l'avait frappé. Son visage rempli d'horreur et ses yeux terrifiés avait été comme un appel à cette violence que la défaite rendait plus puissante encore.
Ses yeux verts, sans lunettes, qui le regardaient droit dans les yeux, ce portable à la main…
Sa rage, montant du plus profond de son cœur, guidant ses mains et son corps…
Et sa tête percutant le meuble, son corps qui s'affaisse, et qui ne se réveille plus…
Le reste avait été comme un vaste brouillard. Dans le salon, au rez-de-chaussée, il avait pris ta tête dans ses mains. Harry était vivant mais il était blessé à la tête. Hors de question d'aller à l'hôpital, ou du moins pas tout de suite… Ou peut-être, si, justement, s'en aller maintenant, avant que la police arrive… Si jamais elle arrivait…
Peut-être qu'au fond de lui, il avait espéré que les flics arrivent et l'attrapent. Peut-être. Sinon, il ne serait pas resté comme une larve dans le salon à attendre l'inéluctable, à attendre que son téléphone sonne.
Il y avait eu la voix d'Isaline, ses mots. Puis, elle avait crié. Et sous ses yeux terrifiés, le portable près de l'oreille, il avait vu le corps de Harry tomber.
Et cette image le hantait depuis, qu'il soit éveillé ou endormi. Il se revoyait devant cette putain de fenêtre, à regarder dehors, et soudain le corps de Harry tombant par terre.
Il rêvait.
Harry ne pouvait pas avoir sauté.
Il avait failli tout lâcher, sortir, faire quelque chose, mais l'horreur de ce qui venait de se passer devant ses yeux le prit aux tripes et il s'était enfui. Il avait fui ce qui s'était passé, cette maison où il l'avait séquestré, Harry qui avait sauté… Il avait tout fuit. Absolument tout.
Où avait-il pu trouver la force de s'en aller, comme ça, alors qu'il avait envie de vomir et de crever sous une voiture ? Il ne savait pas. Pas plus qu'il ne savait comment il avait pu fuir cet hôtel où la police avait réussi à le retrouver.
Tout ce qu'il savait, c'était qu'il n'était qu'un salopard malade, en plus d'être un assassin. Car c'était de sa faute, tout ça. Il savait que Harry avait sauté, que ce n'était le gars à la fenêtre qui l'avait poussé. Ce n'était pas pour rien qu'il n'avait jamais laissé la fenêtre ouverte, la première fois qu'il l'avait enlevé. Il avait toujours peur qu'il fasse une connerie. Et il avait suffi de quelques erreurs pour que Harry fasse le saut de l'ange, échappant au bras de ce type qui voulait simplement le retenir à l'intérieur…
C'était de sa faute.
Cédric n'aurait pas dû fuir, il aurait dû mourir. Sauter, lui aussi, et ne jamais se relever. Tout ça, c'était de sa faute, et l'idée que Harry puisse mourir à cause de lui bouffait le cœur. Il savait pourtant que ce qu'il faisait était dangereux, qu'il lui avait fait du mal. Il le savait, tout ça. Mais il y avait quelque chose de malade en lui, et toute l'horreur de ses actes lui revenaient en pleine figure. Il n'était qu'un monstre. Et il le savait.
On l'avait interrogé une fois, et il n'avait rien dit. On l'avait menacé, et il s'était tu, muet comme une tombe. Il ne voulait pas leur parler. Ils ne comprendraient pas. Ils ne comprendraient pas qu'il était amoureux fou de Harry, qu'il le voulait pour lui, qu'il lui avait fait du mal mais que c'était pour son bien, qu'il regrettait, qu'il savait qu'il n'était qu'un assassin et qu'un pourriture, qu'il voulait juste que Harry soit heureux…
Il voulait être heureux…
Avec Harry…
Mais ils ne comprendraient pas. Ils ne comprendraient jamais ça.
Il aurait voulu avoir Isaline devant lui. Il aurait voulu qu'elle soit là, qu'elle le regarde dans les yeux. Et il lui aurait tout dit. Il lui aurait dit tout ce qu'il avait fait, comme on murmure ses péchés au prêtre dans le confessionnal. Tout, il ne lui aurait rien caché…
Mais elle n'était pas là.
Ca passe ou ça casse.
Il avait cassé Harry, à force de trop tapé dessus.
Il avait cassé Isaline, son cœur, sa voix, son enfant…
OoO
Elle venait le voir tous les jours. Jamais en même temps qu'Isaline, qui passait chaque matin. Nymph' savait que la patronne restait un long moment dans la chambre de Harry, puis elle passait voir Rémi. Il l'attendait dehors, un point de rendez-vous. C'était lui qui le lui avait imposé. Elle savait qu'Isaline ne l'attendait jamais longtemps, les infirmières prévenaient le médecin qu'elle avait quitté la chambre, et Rémi s'en allait la rejoindre. Elle ne savait pas vraiment ce qu'ils faisaient, ni ce qu'ils se disaient. Elle ne savait pas si ça lui faisait du bien. Sans doute que si, sinon il ne serait pas la seule personne qu'elle verrait en dehors de chez elle.
Enfin, Nymph' la voyait régulièrement car elle passait tous les jours chez elle et Isaline tolérait sa présence. Elle ne voulait pas voir ni Sirius, ni Remus, ni qui que ce soit d'autres. Elle ne voulait voir personne, et son état lamentable la poussait à rester retrancher chez elle. C'était donc un miracle que Rémi puisse l'approcher. Un soulagement, aussi. La savoir seule à affronter tout ça lui faisait peur, à elle comme à Sirius, et aux autres.
Bien qu'elle soit forte, Isaline restait un être humain comme les autres et elle était ébranlée, mais son orgueil la poussait à rejeter toute aide, même celle de ses amis, de sa famille. La médiocrité de son état la menait vers une sorte d'enfermement intérieur, puis extérieur. Elle fuyait les autres et savoir que Rémi parvenait encore à l'atteindre les rassurait. Surtout elle. Car Nymph', en dépit de l'aide qu'elle apportait à sa patronne et ses visites quotidiennes, était incapable de toucher Isaline. Physiquement, oui. Emotionnellement, non.
La seule chose que la tatoueuse pouvait faire, c'était rendre visite à Harry, et briser ce Dieu qu'elle avait tant sollicité autrefois, quand sa mère était morte, et que personne ne venait la chercher, alors qu'elle avait tant besoin d'aide. Elle priait pour qu'il vive, pour qu'il s'en sorte avec de moindres maux. Qu'il ne soit pas paralysé à vie, qu'il remarche à nouveau, que ses yeux s'ouvrent encore une fois sur le monde et qu'ils la regardent, avec cette espèce de tendresse qu'il avait continuellement au creux des prunelles…
Elle avait besoin de le voir. C'en était presque viscéral, tant elle en avait besoin. Harry était son petit frère, un gamin qu'elle avait vu grandir. Rencontré alors qu'il n'avait que huit ans, elle l'avait vu pousser comme un jeune plan et atteindre sa maturité, partageant mains moments avec lui, que ce soit des disputes, de grosses colères, des éclats de rire et des étreintes aussi tendres que complices. Elle se souvenait de ce petit garçon trop maigre qui parlait mal, qui grignotait des gâteaux au bord de la mer, tout humide d'eau salée, qui se mettait à trembler quand il faisait une bêtise, refermant ses bras autour de lui, comme pour se protéger… Oh oui, elle se souvenait de cet enfant qui avait du mal à se faire des amis, qui s'était mis à la musculation à cause de ses complexes, pleins de secrets et de réserve derrière son air jovial…
Un enfant avec lequel elle avait grandi, l'écrasant sur le canapé quand il la battait à un jeu de combat quelconque sur la Playstation©, le calant dans ses bras quand ils partaient en vacances chez la tante d'Isaline, lui filant un petit billet quand il grandit pour aller au cinéma avec ses copains… Cet enfant était devenu un homme, une sorte d'égal qui demeurait encore son petit frère, mais qui avait assez de maturité pour pouvoir la contredire et la disputer. Tellement de maturité que, jamais, elle n'avait envisagé que ce cauchemar qu'ils avaient vécu quatre ans auparavant puisse se reproduire…
Et quand elle le voyait, seul, dans son lit d'hôpital, endormi et pâle, elle ne pouvait s'empêcher de penser à autrefois. Elle pensait au petit garçon qu'elle soulevait dans ses bras, à l'adolescent complice, au jeune adulte avec lequel elle partageait ses journées de travail… et elle repensait à ce lit similaire dans lequel il était allongé, autrefois, aussi pâle et immobile, avec cet air qu'ont les hommes qui n'attendent plus rien de la vie, si ce n'est qu'elle les laisse tranquille…
Assise près du lit du malade, elle en venait à penser à sa propre famille. Elle savait que Remus souffrait de la situation. Il n'était pas très proche de Harry, mais sa souffrance était similaire à celle de sa femme. Leur relation avait d'ailleurs toujours été curieuse pour la jeune femme, qui n'avait compris les relations qui liaient son mari à Harry. Le premier était tendre, conciliant, le second respectueux, espiègle. Autant Harry faisait preuve d'une certaine maturité en présence de Sirius qui n'avait jamais perdu son côté gamin, autant le jeune homme adoptait un comportement plus… enfantin avec Remus, plus en accord avec son âge. Et même si Harry et Remus n'éprouvaient pas spécialement le besoin de se voir, tous deux étaient plus qu'heureux quand ils passaient un moment ensemble. Nymph' n'avait jamais compris comment les deux hommes pouvaient avoir une telle complicité, une telle tendresse mutuelle, tant leur situation était particulière.
Dans un sens, elle n'avait jamais été tout à fait capable de comprendre son mari. Certes, cela ne faisait pas si longtemps que ça qu'ils étaient ensemble, s'étant mariés peu de temps après leur rencontre et devenant rapidement parents d'un petit garçon qui était à présent le centre de leur univers. Mais Nymph' était rapidement parvenue à cerner Remus, apprenant à le connaître petit à petit, s'imprégnant de lui et tombant à chaque fois un peu plus amoureuse de lui. Mais il y avait des détails qu'elle ne comprenait pas. Qu'elle ne comprendrait sans doute jamais. Car Remus avait des parts d'ombre qu'il ne partageait pas avec elle. Des parts d'ombre que seuls certains, comme Harry ou Sirius, connaissaient.
Cela dit, en dépit de sa douleur, Remus demeurait près d'elle et la soutenait. Il s'occupait beaucoup de Teddy, aussi. Ah, Teddy… Leur Teddy. Il lui suffisait de voir son fils pour qu'un frisson d'horreur lui traverse le dos. Elle avait l'atroce sensation de devenir, l'espace d'un instant, Isaline. Elle regardait son fils comme la patronne aurait regardé Harry, avec son regard de maman. Et Nymph' pensait au futur, à son fils qui grandirait, qu'elle protègerait de toutes ses forces… Les mêmes pensées qu'Isaline avait dû avoir, autrefois. Et, le regard posé sur son petit garçon, elle se sentait comme dans un flash-back. Un regard tourné vers le passé.
Et si, plus tard, il lui arrivait la même chose ? Et si Teddy se retrouvait dans une sensation similaire, et qu'il souhaitait mourir, laissant derrière lui tout ce qui avait été son univers ?
Harry avait été le fils unique d'Isaline. Teddy serait le fils unique de Nymph'.
Leurs destins pourraient être similaires…
Elle n'en dormait plus la nuit. Elle avait parfois des crises d'angoisse, comme quand elle avait seize ans et que son avenir était incertain. Et les bras de Remus autour d'elle étaient semblables à ceux d'Isaline, autrefois. Mais ce n'était pas la même chose. Et Nymph' savait que, d'elles deux, celle qui avait le plus besoin d'aide était Isaline, et non elle.
Or, Isaline ne voulait l'aide de personne. N'ouvrait la porte à personne.
Elle se contentait de s'enfermer, et t'attendre.
Parce qu'elle n'était bonne à rien d'autre…
OoO
Il était allé voir Harry dans la matinée. Son visage pâle et paisible, ses yeux clos, sa jambe plâtrée et sa tête enturbannée l'avait rempli de douleur et d'horreur. Oh non, ce n'était pas la première fois qu'il voyait ce genre de choses. Il avait vu des corps blessés de façon bien plus grave, mais ce corps qui s'était trouvé devant ses yeux ce matin-là n'était pas celui d'un inconnu, mais de l'homme qu'il aimait et avec lequel il voulait partager sa vie.
Draco avait réussi à échapper à la surveillance de Blaise. Par miracle, son meilleur ami n'était pas là quand il était parti. Afin qu'il ne le cherche pas partout et qu'il ne le harcèle pas au téléphone, le blond avait demandé à sa mère de dire au black, si jamais il venait, qu'il était passé à l'hôpital et qu'il rentrait ensuite à la maison. Un peu plus tard, Blaise l'avait appelé et Draco s'était contenté de lui répéter son message. Son ton calme, un peu las, avait dû rassurer son ami, qui avait souligné le fait qu'il ne lui avait pas répondu avec colère. Draco lui avait alors répliqué qu'il ne se sentait pas bien, donc, une fois qu'il aurait rendu visite à Harry, il rentrerait tout de suite chez lui. Il l'appellerait une fois rentré.
Blaise l'agaçait prodigieusement, au point qu'il en vienne à le haïr, d'être aussi proche, tolérant, inquiet pour lui. Il ne voulait pas qu'on l'aide, qu'on le touche, qu'on le prenne en pitié. Et paradoxalement, savoir son presque frère près de lui permettait de garder les pieds sur terre. Draco n'avait jamais aimé être seul et, en dépit de son désir de solitude, sentir la présence de Blaise près de lui le rassurait. Ne l'apaisait pas, mais le rassurait. Bien plus que d'avoir sa mère sur le dos.
Le matin, il était donc allé voir l'homme qu'il aimait. Cela ne lui faisait ni du bien, ni du mal. A la fois cela le faisait souffrir de le voir dans un tel état, et en même temps, ne pas lui rendre visite lui paraissait égoïste, sans compter qu'il avait besoin de le voir. Même s'il était dans un état lamentable, incapable de lui répondre, Draco avait besoin de le regarder, l'entendre respirer, toucher sa main froide mais indéniablement vivante. Il avait besoin de lui parler, en sachant qu'il ne lui répondrait pas, lui dire qu'il l'aimait, qu'il regrettait ses mots, la dernière fois qu'ils s'étaient vus, qu'il aurait tant voulu le protéger de ce fou… Il lui parlait avec son cœur, comme il ne l'avait jamais fait. Non pas parce qu'il se doutait que l'autre ne l'entendait pas, mais parce qu'il devait dire tout ça, il devait prononcer ces mots, car si leur histoire avait une fin, il les garderait pour lui et regretterait toujours de ne jamais les avoir prononcés devant Harry.
Mais ces visites n'aggravait pas son mal, tout comme il ne le soulageait pas. Il sortit de cette visite complètement lessivé, ne sachant quoi faire ni où aller. Assis dans sa voiture, cela faisait bien dix minutes qu'il était assis derrière son volant, incapable de se décider. Il avait envie de rentrer chez lui, et en même temps, l'idée de rencontrer sa mère et ses yeux emplis de pitié, ou encore de voir Blaise qui allait encore lui prendre la tête. Il ferma les yeux et chercha dans sa tête dans quel endroit il avait envie d'aller. Un endroit où il se sentait bien, qui le soulagerait un peu.
Il pensa soudain au Louvre. Il fronça les sourcils, se demandant pourquoi il pensait au château. Puis, il serra les dents, revoyant Harry s'extasier devant les statues de marbre blanc, ces corps sculptés et peinturlurés travaillés par la pluie au point qu'ils leur étaient parvenus blancs.
C'était sans doute pour cela que voir le corps de Harry dans un tel état le remplissait d'amertume et de douleur. Il avait connu son petit ami dans tous les états, que ce soit la joie, la colère ou encore la tristesse. Il l'avait vu pleurer, rire à gorge déployée, lui crier dessus… Et le voir avec ce visage pâle, tel une statue de marbre blanc, faisait ressurgir des souvenirs d'autrefois. Il imaginait son visage se mouvoir, ses yeux s'ouvrir, sa bouche s'étirer en un sourire paresseux…
Oui, c'était sans doute cela qui faisait le plus mal : regarder la personne mourir, disparaître, sans savoir quoi faire pour la sauver…
Ses paupières se soulevèrent, révélant ses yeux bleu gris et humides. Il savait où il voulait aller.
Chez Isaline.
OoO
Depuis le jour de l'accident, il n'était jamais venu la voir, sans doute parce qu'il n'en avait pas la force. Mais aussi peut-être parce qu'il ne voulait pas lui imposer sa présence, son visage torturé et ses mains tremblantes qui cherchaient du réconfort, sans jamais oser l'atteindre.
On pouvait dire que la maison était silencieuse, mais ce n'était pas comme si, d'habitude, elle était plus bruyante. Il suffisait qu'un être que l'on aime disparaisse pour que la ville se dépeuple, et c'était le cas dans ce petit quartier, dans cette petite rue, où les voitures ne semblaient plus circuler. En venant, Draco avait vu que la boutique était fermée. Un mot était scotché devant la porte. Sûrement Nymph' qui l'avait mis là, pour prévenir les clients. Cela lui avait mis un coup au cœur, et à présent qu'il se trouvait devant la porte de cette maison dont il ne possédait pas les clés, Draco se demandait si c'était vraiment une bonne idée de venir ici.
Il n'avait pas prévenu Blaise, et il ne comptait pas le faire. Il allait sûrement s'inquiéter, mais il n'avait pas envie de lui dire qu'il était venu voir Isaline. Il savait par lui qu'elle refusait d'ouvrir à sa porte à qui que ce soit, même à Sirius, et si Nymph' parvenait à entrer, c'était seulement parce qu'elle avait les clés. Pourquoi Isaline lui ouvrirait-elle sa porte, à lui ? Lui, le petit ami de Harry, qui lui rappellerait immanquablement celui qu'elle aimait comme son fils ?
Elle ne le ferait sans doute pas. Mais Draco devait sonner et espérer qu'elle lui ouvre. Maintenant qu'il était planté devant la porte, il se trouvait égoïste : il n'était jamais venu la voir, depuis tout ce temps, et peut-être lui en voulait-elle. Ou peut-être pas. Elle avait sans doute compris. Il ne savait pas…
Il sonna, puis attendit. L'attente lui parut bien longue, et au bout de quelques minutes, il se dit qu'elle ne lui ouvrirait pas. Quand il se décida à s'en aller, il entendit le cliquetis du cadenas et son cœur fit un bon dans sa poitrine. La porte s'ouvrit et Isaline apparut.
Elle avait maigri. Ses yeux rougis par le manque de sommeil, les larmes et sans doute l'alcool lui jetèrent un regard paresseux, mais il y eut comme une petite étincelle au fond de ses prunelles. Elle devait être un peu contente de le voir. Sinon, elle ne lui aurait pas ouvert…
« Bonjour, Draco.
- Bonjour. »
Sa voix s'étrangla dans sa gorge et toute la tension qu'il avait accumulée dans la voiture pendant le trajet lui tomba dessus sans prévenir. Les bras d'Isaline qui s'enroulèrent autour de ses épaules furent la goutte d'eau qui fit déborder le vase. Son monde flancha et il explosa en sanglots dans ses bras.
Il avait déjà bien pleuré, mais sentir l'odeur si familière de cette femme et ses bras se refermer sur lui fit éprouver une étrange sensation de bien-être qui s'exprima par une crise de larmes. Une de ces crises qui vous fait du bien, qui vient du fond de votre être, une sorte d'eau stagnante dont vous vous débarrasser une bonne fois pour toute, pour qu'elle cesse de vous empoisonner.
Draco resta un long moment dans l'entrée, Isaline contre le mur, le tenant toujours contre elle, et lui le visage blottit dans son cou. Il fallut qu'il arrête de sangloter pour se rendre compte qu'elle pleurait aussi, ses larmes coulant dans son cou. Mais elle ne tremblait pas. Ça sortait, c'était tout, comme depuis plusieurs jours.
Leur étreinte s'était donc étendue, infiniment. Draco se sentait bien, ses bras enserrant la taille d'Isaline, et cette dernière sentait une sorte de soulagement couler en elle. En entendant sonner, elle s'était levée puis trainée dans les escaliers jusqu'au premier étage pour voir qui venait lui rendre visite, n'ayant toujours pas installé d'œillère à sa porte, et Dieu savait à quelle point elle voulait qu'on la laisse tranquille. En voyant Draco en bas, elle était descendue puis lui avait ouvert, sans vraiment réfléchir. Lui, elle voulait bien qu'il vienne la voir. Elle était d'accord. Car elle savait qu'il avait besoin d'aide. Il était jeune, et il avait vu son homme sauter par la fenêtre. Il devait être traumatisé, déprimé. Il n'arrivait sans doute pas à s'en sortir, à comprendre, à savoir quoi faire. Elle ne pouvait pas lui infliger le châtiment de la porte fermée, alors qu'il venait vers elle, perdu qu'il était.
Ils finirent par se séparer. Isaline l'invita à venir boire quelque chose dans la cuisine et Draco l'y suivit. Il y vit l'état lamentable de l'évier remplit de vaisselle, les bouteilles qui trainaient sur le plan de travail… Il avait déjà compris qu'Isaline s'était mise à la boisson et il lui suffisait d'un coup d'œil pour comprendre pourquoi elle ne l'avait pas invité à s'assoir dans le salon, son état étant sûrement pire que celui de la cuisine.
Maladroitement, Isaline fit bouillir de l'eau chaude, engageant la conversation. Elle lui avait proposé un café, mais Draco en avait trop bu et préférait du thé. Elle sortit donc deux tasses, lui demandant comment il allait, ce qu'il faisait depuis le drame, dans des termes qui n'évoquaient jamais ce qu'avait fait Harry à la villa.
« Je ne sors quasiment pas. Je vais voir Harry tous les jours. Je lui parle, même si je sais que ça ne sert à rien.
- Peut-être qu'il nous entend.
- Peut-être. Peut-être pas. Je trouvais ça ridicule de parler à un malade dans le coma, mais maintenant je ne peux plus m'en passer. Si je ne le faisais pas, je ne tiendrais pas cinq minutes dans sa chambre.
- Pas plus que moi, beau blond. »
Ce petit surnom lui réchauffa le cœur, alors qu'Isaline sortait du placard un paquet de gâteaux qu'elle mit sur une assiette.
« Ça fait mal d'aller le voir. Mais rester chez moi à l'imaginer dans son lit est encore pire. Je préfère aller le voir et lui parler, en espérant qu'il m'entende. C'est pas comme si j'étais capable de faire autre chose de mes journées, de toute façon. Tu as des nouvelles des autres ? Théo, comment va-t-il ?
- Je ne l'ai pas vu, mais Blaise me dit qu'il ne va pas bien du tout. Apparemment il a appelé chez lui pour prendre de ses nouvelles et il est tombé sur Seamus. Théo passe ses journées dehors, entre le travail et l'appartement de Ron. »
Draco la regarda sortir sa boite de thé et la lui présenter pour qu'il prenne un sachet.
« Pourquoi Ron ?
- Depuis qu'il sait ce qu'il s'est passé, il déprime. Il se croit coupable. Tout ça, quoi. Les autres, je ne sais pas comment ils vont. Cho ne sort plus de chez elle. Luna va descendre sur Paris. Tu sais comment va Sirius ?
- Nymph' m'en a vaguement parlé. Je sais que ce n'est pas gentil, mais je m'en fous. J'ai tellement mal que je m'en fous. »
Elle se tourna vers la table et remplit les tasses d'eau chaude.
« On a vu la même chose, tous les deux. Il doit prendre sur lui, tout comme je dois prendre sur moi. Apparemment, il y arrive mieux que moi. Elle m'a dit que Cédric ne voulait pas parler et que, demain, la police allait faire intervenir Sirius, en espérant qu'il crache le morceau. C'est Sirius qui leur a demandé.
- Ce n'est pas une mauvaise chose…
- Non, Sirius a raison de le faire. Je n'en suis pas capable. Je pense qu'il essaie de surmonter le traumatisme en collaborant avec la police. Ça lui donne la sensation d'être utile. Il doit se détester autant que moi. On ne réagit pas de la même façon. Moi je fais pitié.
- Ne dis pas ça…
- On ne peut pas comparer la douleur de deux personnes qui en aiment une autre de la même façon. Sirius a vu les mêmes choses que moi et nous souffrons autant l'un que l'autre. Lui arrive à se lever le matin et à aller au commissariat pour faire avancer les choses, et d'une certaine façon, pour se faire pardonner. Moi, je me contente de glander ici comme une conne à attendre que les jours passent. Quand Nymph' me parlait, je sentais qu'elle n'était pas spécialement contente…
- C'est-à-dire ? Elle n'approuve pas…
- Au Japon, la veuve ne doit montrer aucune émotion à la mort de son mari. C'est un signe de courage. Ici, cela passe pour de l'inhumanité. Et que Sirius soit capable de se lever chaque matin pour aller au poste peut être perçu comme un manque de sentiments. Mais s'enliser dans la douleur comme je le fais, je ne sais pas si c'est plus digne… »
Elle lui fit un petit sourire. Draco ne savait quoi penser. Il se détestait pour son comportement et ses mots avaient le don de l'apaiser, de lui faire comprendre qu'il n'était pas anormal et que tous ne réagissaient pas de la même façon à douleur. Isaline avait décidé comme lui de s'éloigner du monde. De se refermer sur elle-même comme une huître pour mieux se protéger…
Ils burent leur thé, dans une ambiance assez douce, presque détendue. Draco se nourrissait de ce calme, de cette conversation détendue. Un peu comme s'ils étaient hors du monde, à siroter du thé, dans cette petite pièce où ils avaient passé tant de bons moments… Tant de bons moments avec Harry, Nymph', Sirius…
Le premier dîner avec Isaline et Nymph'… La main de Harry dans la sienne, sa gêne quand ils avaient évoqué ses difficultés d'élocution étant petit…
« Je peux aller au toilettes ?
- Beau blond, t'es chez toi ici. »
Elle lui fit à nouveau un petit sourire. Draco le lui rendit puis sortit de la cuisine. Il voulut aller dans la salle de bain à l'étage mais préféra aller aux toilettes du rez-de-chaussée, sinon il serait tenté d'aller dans la chambre de Harry et son moral, un peu remonté, s'effondrerait. Alors qu'il allait rentrer dans les toilettes, son regard dévia vers le petit couloir qui menait au salon. Il hésita, puis y entra.
Il n'entra même pas dans le salon. Il resta sur le pas de la porte. Mais de là où il était, Draco pouvait voir l'étendu des dégâts dans la tête d'Isaline. Il lui suffisait de voir les couvertures sur le canapé, les oreillers parfois tombés par terre, les bouteilles qui s'accumulaient, les rideaux tirés, la télévision dont le volume était quasiment inaudible…
Soudain, ce fut comme une illumination.
Il avait pris sa décision.
OoO
La journée avait été bien longue pour Lucius. A vrai dire, dernièrement, toutes ses journées étaient longues. Trop longues. Depuis que Harry avait disparu de la circulation, en fait.
En étant honnête, Lucius s'était attaché à ce garçon. C'était bien le premier, d'ailleurs. Il avait déjà apprécié des copains ou copines de son fils, mais il ne s'était jamais attaché à aucun d'entre eux, mettant cela sur le fait qu'il n'avait qu'un seul enfant donc il était d'autant plus exigeant. De plus, son fils était bisexuel, donc si au final il se mettait en ménage avec un homme, sa seule consolation était que son beau-fils soit un garçon correct.
Mis à part le fait qu'il soit le pupille d'Isaline Anderson, Harry Potter n'était pas le genre de garçon que Lucius souhaitait pour son fils. Il était tatoueur, il n'avait donc pas un métier très gratifiant, et il venait d'un milieu modeste, donc il n'avait ni la même culture, ni la même éducation que Draco. Peut-être même le détournerait-il du droit chemin. Ou lui ferait-il du mal. Lucius ne savait pas quoi penser de Harry, mis à part qu'il n'était pas fait pour son fils.
Et pourtant, la vie lui avait montré que Harry était pile ce qu'il fallait pour son fils unique : un garçon certes mal habillé mais bien éduqué, avec de la conversation, attentif et aimant. Il devait certainement avoir des défauts, personne n'était parfait, mais il avait néanmoins la qualité d'être capable de tenir tête à Draco et de savoir s'occuper de lui. Le blond avait changé à son contact et pas de façon négative : son fils avait gagné en maturité. Il le trouvait moins froid, moins réservé. Plus impulsif, honnête. En somme, il était moins comme son père, et un peu plus comme sa mère…
A force de le voir dans cette maison, Lucius avait fini par s'attacher à ce garçon qui ne faisait rien pour se mettre trop en avant, se vanter et exhiber sa science. Harry savait rester humble et c'était un trait de caractère que Lucius aimait. Il avait toujours détesté les ex de son fils qui venaient dans sa maison en conquérants. Harry n'avait rien à lui prouver. Ils devaient juste se supporter, pour Draco. Et ils y arrivaient plutôt bien.
Lucius avait été attiré par sa femme le premier jour où il était venu et il avait eu tellement de mal à l'avoir que cette attirance, qui n'aurait dû se terminer que par une relation superficielle et de courte durée, s'était mué en un amour sans commune mesure. Narcissa lui avait résisté et c'était ce qui les avait conduits à créer une relation stable et solide. A cause de leurs parents, Lucius avait été amené à briser leurs fiançailles et, se sentant incapable de vivre toute sa vie avec une femme qu'il ne saurait aimer autant que Narcissa, il était revenu sur sa décision.
Et il n'avait jamais regretté son choix : sa femme lui avait fait un fils et avait rendu sa vie plus douce. Il avait toujours regretté de ne pas avoir plus d'enfants, et il savait que sa femme s'en était longtemps voulu de n'avoir été capable de lui donner qu'un seul fils. Son accouchement s'était mal passé et il aurait été trop dangereux pour elle de tomber à nouveau enceinte. Elle était prête à tenter le coup, mais Lucius ne voulait pas risquer la vie de son épouse alors qu'elle lui avait déjà donné un fils en bonne santé. Son petit Draco, qui illuminait ses jours, même s'il le voyait trop peu à son goût.
Il comprenait donc ce que son fils avait ressenti, d'abord quand Harry se faisait harceler, puis quand il avait été enlevé, et enfin quand il avait tenté de se suicider. Draco avait eu la sensation petit à petit de perdre l'homme qu'il aimait. Bien que Lucius ait toujours été quelqu'un de froid et réservé, il ne pouvait reprocher à son fils de souffrir et d'avoir des réactions aussi extrêmes devant Blaise. Cela dit, cela ne devait pas durer trop longtemps. Il fallait que Draco se reprenne et cesse de se laisser aller dans sa chambre, passant son temps à faire des allés-retours entra la maison et l'hôpital. Aller voir Harry lui faisait du mal et ce n'était pas en se lamentant pendant des jours et des jours que les choses iraient mieux. Il devait se bouger, voir autre chose.
Il allait devoir parler à son fils. Alors qu'il s'asseyait sur son canapé, Lucius se dit qu'il allait devoir prendre son fils à part et lui faire comprendre qu'il allait devoir se bouger un peu les fesses au lieu de se laisser aller comme il le faisait depuis plusieurs jours. A présent que Harry avait été retrouvé et qu'il était à l'hôpital, en dépit de son état catastrophique, Draco devait se calmer. Oui, il avait vu une scène horrible, mais il devait être fort, il devait prendre rendez-vous avec un psychologue et prendre sur lui. Lucius en avait vu des pires que ça, et il s'en était remis. Pourquoi pas son fils ?
Il entendit la porte d'entrée s'ouvrir. Dobby, qui s'était déjà rué sur lui pour l'accueillir, en fit de même pour souhaiter la bienvenue à Draco qui ne lui adressa qu'un vague bonsoir. Lucius entendit les petits talons de sa femme galoper vers l'entrée, passant devant les portes ouvertes du salon. Il tendit l'oreille, alors que Narcissa accueillait à son tour son fils.
« Draco, mon chéri, te voilà.
- Bonsoir, Maman.
- Où étais-tu ? Blaise a appelé à la maison il y a une heure ! Tu devais l'appeler une fois rentré à…
- Je sais. Je me suis baladé.
- Tu aurais pu l'appeler sur son portable, il s'est beaucoup inquiété ! Draco, je te parle, ne t'en va pas comme ça !
- Il n'est pas ma mère ! J'ai oublié, point barre ! »
Et Draco alla dans sa chambre. Sa mère la gonflait, Blaise le gonflait. Cela dit, une fois en haut, il envoya un SMS à Blaise en lui disait qu'il était désolé et qu'il le rappellerait plus tard. Puis, Draco ouvrit son armoire et prit sa valise la plus grande. Il dévalisa ses armoires : sa valise fut rapidement remplie de vêtements divers.
Le blond avait pris sa décision : il allait vivre chez Isaline. Il ne se sentait pas bien, et même s'il savait que ce serait dur d'habiter dans la maison de Harry, il savait que ce ne pouvait pas être pire qu'en être éloigné. De plus, Isaline avait besoin d'aide. Il se doutait que personne avant lui n'avait réussi à lui faire ouvrir sa porte, il pensait alors qu'elle ne serait pas contre le fait qu'il vienne vivre chez elle. Dans le cas où la tatoueuse refuserait, il irait demander asile à Blaise qui se ferait un plaisir de l'accueillir chez lui.
Draco allait ajouter des bouquins et quelques autres affaires quand, soudain, la porte de sa chambre fut ouverte. Il se retourna et vit son père dans l'encadrement de la porte. Il ne sut comment réagir, quoi dire quand il vit l'expression stupéfaite de son père quand ses yeux gris tombèrent sur la valise ouverte et pleine de vêtements. Il sut encore moins quoi faire quand ses sourcils se froncèrent et qu'il posa un regard froid sur lui.
« Eh bien, Draco… Tu pars en voyages ?
- Plus ou moins.
- Pourquoi fais-tu ta valise ? Sans nous en parler, qui plus est ?
- J'ai vingt-trois ans, et ce n'est pas comme si vous vous souciez beaucoup de mes allées et venues habituellement.
- Sauf qu'habituellement, ton petit ami ne saute pas par les fenêtres. »
Lucius choisit d'ignorer le regard soudain peiné de son fils qui se remplit aussitôt de colère et poursuivit sur sa lancée.
« Draco, il va falloir que tu te reprennes.
- C'est ce que je fais : je me reprends.
- Ah oui ?
- J'ai besoin de changer d'air. C'est pas en restant ici que je me sentirai mieux !
- Et où vas-tu ?
- Chez Isaline. »
Ce fut sans doute la chose à ne pas dire, car le visage de son père s'assombrit.
« Chez Isaline ? Tu vas t'enliser dans ta douleur avec elle, c'est ça ?
- Non, je vais…
- Si c'est ça que tu vas faire ! Tu vas aller chez elle, pour l'aider ou pour trouver du réconfort, et tu vas t'enliser dans cette dépression que tu traines depuis des jours. Il faut que tu te bouges, Draco, les choses ne vont pas s'arranger d'elles-mêmes. Je sais que c'est dur pour toi, mais Harry ne voudrait pas te voir dans un état pareil et ce n'est pas comme ça que tu pourras l'aider…
- Tu ne comprends rien !
- Ce que je comprends, c'est que tu es en train de faire ta valise et que tu te casses chez cette bonne femme !
- Elle a besoin de moi ! Elle ne va pas bien !
- Toi aussi tu as besoin d'aide ! Alors arrête un peu ton cinéma, va voir un psy et remets-toi du plomb dans la tête. Tu commences sérieusement à m'agacer. Non tais-toi Draco ! Tais-toi ! Qu'est-ce que tu vas faire chez elle ? Dis-moi ce que tu vas faire pour elle, à part lui cuire des pâtes et l'aider à faire le ménage ? Qu'est-ce que tu peux faire pour l'aider ? Rien ! Tu ne peux rien faire de plus que sa famille ! Tu ne sers à rien dans ce genre de situation, quoi que tu penses ! Ton problème, c'est que tu déprimes car tu as vu Harry sauter par la fenêtre et tu te sens inutile. Mais tu ne vas rien lui apporter, absolument rien. Vous allez juste déprimer à deux et ce sera pire encore.
- J'ai fait mon choix, Papa. »
Ce que lui disait son père lui fit plus mal qu'il ne l'aurait cru. Il avait l'impression d'être un gamin, de n'avoir aucune crédibilité face à cet homme qu'il avait toujours respecté et craint, une sorte de mur dans sa vie qu'il avait déçu maintes fois…
« Ah oui ? »
Cet homme qui l'avait toujours traité comme un gamin, et qui en cet instant, lui souriait avec ironie…
« Tu vas t'en aller, comme ça, avec cette valise et tous ces vêtements que tu t'es payé avec mon argent ? Tu vas aller chez cette femme avec tout ton petit confort, c'est bien ça ? Tu vis chez moi, Draco. Tu vis dans ma maison. Tu es nourri, lavé, habillé par nous. Je paye tes études et toutes tes petites escapades à l'étranger. Je t'ai tout payé, Draco, depuis que tu es petit. Tu as vingt-trois ans et tu dépends encore de moi, et ce sur bien des points. »
Ce ton calme, ses yeux froids, son maintien de roi…
« Donc ne me parle pas comme ça, et ne pars surtout pas comme ça. Tu ne nous en parles même pas et tu t'en vas comme un voleur. Tu te rends compte de ton comportement vis-à-vis de nous ? Nous, qui t'avons toujours tout payé, tout offert ? Tu n'es qu'un gamin trop gâté qui croit que le monde est à ses pieds. Tu as mal, Draco, mais ce n'est pas un mal incurable. Ce n'est pas un mal comparable à ce que doit ressentir en cet instant Isaline Anderson, et tous ces gens que tu rencontres à l'hôpital. Harry est vivant, mal au point mais vivant, donc reprends-toi et va te soigner. »
Draco ne savait même pas quoi répondre. En fait, il avait trop de choses à dire pour que quoi que ce soit puisse sortir de sa bouche. Il avait envie de lui dire qu'ils ne l'avaient jamais contrôlé, qu'il avait toujours pu aller là où il le voulait sans avoir à se justifier. Il avait toujours été libre, tellement libre que c'en était parfois blessant, car parfois, il aurait tant voulu que sa mère l'appelle pour prendre de ses nouvelles, ou qu'il soit obligé de les appeler. Pour les informer, pour prendre de leurs nouvelles, quand il était en voyage… Mais il n'y avait jamais rien eu de tel avec eux. Autant Blaise avait l'obligation d'appeler sa mère, autant Draco n'en avait pas l'utilité, car il savait que la sienne n'éprouverait rien de plus qu'un vague intérêt pour ce qu'il avait à lui dire.
Il avait envie de lui dire qu'il n'avait jamais été assez proche de ses parents pour leur demander de l'aide, qu'ils n'avaient rien fait pour qu'il aille mieux. Que quand il avait eu besoin qu'on lui tende la main, sans qu'il n'ait à le demander, ils n'avaient jamais rien fait. Il avait envie de lui dire qu'il allait chez Isaline pas seulement pour l'aider, mais surtout parce qu'il avait besoin d'être aidé, parce qu'il savait qu'il suffisait qu'Isaline le prenne contre elle ou qu'elle lui parle pour qu'il aille mieux, car chez elle, même les mots les plus durs étaient les plus bénéfiques. Il avait envie de lui dire qu'il voulait épouser Harry, qu'il l'aimait comme un dingue, qu'il était désolé de l'avoir déçu, qu'il n'était qu'un lâche trop gâté et complètement perdu dans un monde trop ordonné…
« Tu ne dis rien ? Tu ne sais pas quoi dire ? Tu sais que j'ai raison, n'est-ce pas ? Tu n'es qu'un ingrat, Draco. Un ingrat qui ne se rend pas compte de son égoïsme, de tout ce qu'on a fait pour lui. Maintenant, range-moi tout ça. Tout ce que tu as, c'est moi qui te l'ais offert. Cette chambres, tes meubles, tes vêtements, ton ordinateur… Tout ça, tu me le dois. Donc si tu dois quitter cette maison, tu n'as rien à emmener. Absolument rien. A moins que tu n'ais aucune fierté… Ce qui est bien plausible, remarque… »
Son père lui coula un dernier regard puis il quitta la chambre, fermant la porte derrière lui. Il avait gagné. Son fils allait se résonner, ranger ses affaires, sa valise, et se reprendre en main. Il était comme les gosses, il suffisait de le gronder un peu et il se remettait dans le droit chemin. Il était perdu, il avait besoin de ça pour se raisonner.
Alors qu'il traversait le couloir et descendait les escaliers pour rejoindre sa femme dans le salon, Lucius sentait les battements de son cœur s'apaiser dans sa poitrine. Quand il avait vu la valise sur le lit, il avait vraiment été surpris par l'initiative de son fils. Il ne devait pas quitter la maison, et surtout pas comme ça. Draco vivait sous son toit, il n'avait pas à le quitter, surtout si c'était pour mêler sa peine à celle de cette femme à demi détruite.
Dans le salon, Narcissa attendait sagement le retour de son mari qui se contenta de lui faire un léger sourire. Elle parut soulagée. Il s'assit près d'elle et lui raconta ce qui s'était passé plus haut. Bien évidemment, sa femme ne pouvait le contredire, surtout qu'elle aimait encore moins Isaline Anderson que lui. Cela dit, en dépit du calme de son époux, Narcissa était inquiète. Draco avait voulu partir, sans le leur dire. Et il avait si mal… Elle allait essayer de lui parler, le lendemain, quand il serait un peu plus calme, ou bien ce soir, en allant se coucher.
Mais un quart d'heure plus tard, ils entendirent la voix de Dobby dans le couloir qui demandait à Draco s'il avait besoin d'aide. Fronçant les sourcils, Lucius se leva et sortit du salon. La stupeur le paralysa sur le pas de la porte : Draco descendait les escaliers, son sac sur son épaule et son casque de moto dans la main droite, sa valise dans l'autre main. Il regardait en bas, déterminé. Lucius sentit la colère monter en lui. Il s'avança vers l'escalier, le corps tendu et les yeux noirs.
« Draco, je peux savoir ce que tu fais ?
- Ça ne se voit pas ?
- Tout ce que je vois, c'est que tu n'as rien compris à ce que je t'ai dit. »
Draco arriva en bas et s'arrêta devant lui. Il le regarda dans les yeux. Depuis quand était-il si grand ?
« Au contraire, j'ai tout compris. Bon journée, Papa. »
Et il continua son chemin. Lucius eut beau l'interpeller, Draco ne tourna pas la tête vers lui. Il avait déjà ses chaussures aux pieds, les ayant gardées en entrant. Il passa la porte et disparut.
Une fureur sans nom prit Lucius, mais il ne chercha pas un instant à récupérer son fils, ce qui ne fut pas le cas de Narcissa. Draco était stupide et ingrat. Il se dit qu'il valait mieux ne rien faire pour le moment, il aurait le temps d'agir une fois qu'il reviendrait ici, quand Harry irait mieux, et qu'il faudrait payer les frais de réinscription à la fac. Draco allait le sentir passer, à ce moment-là, quand il reviendrait la maison, la queue entre les jambes. Lucius pourrait alors se venger de ce sentiment de trahison qu'il ressentait.
Oui, ce n'était que temporaire. Mais c'était aussi un caprice, une faiblesse, un acte stupide… Draco le décevait. Beaucoup.
« Lucius, fait quelque chose !
- Que veux-tu que je fasse, Narcissa ? Que je le retienne ? Il est grand, il fait ce qu'il veut. »
Et il tourna les talons, montant les escaliers jusqu'au premier étage, sa femme sur ses talons. A grandes enjambées, il marcha jusqu'à la chambre de Draco dont la porte était ouverte.
C'était un peu comme si son cœur tombait par terre. Un poids lourd comme du plomb s'écrasa sur ses épaules, sur sa tête.
La chambre de son fils était pâle, les murs, les meubles, le sol lui donnant un aspect terne. La pièce était grande, mais bien aménagée. Une chambre d'homme célibataire, d'étudiant fortuné.
La couette était froissée, la trace de la valise apparaissant sur le drap bleu. Et, tout près de cette empreinte, des vêtements s'étalaient sur la couette et sur le sol. Beaucoup, sur le sol. Comme si Draco avait prit sa valise et qu'il l'avait renversée sur le côté pour la vider. Lucius ressentit son cœur battre à nouveau dans sa poitrine, alors que son regard parcourait cette chambre impeccable, sans fausse note, mis à part ces vêtements hors de prix étalés au milieu de la pièce sur le lit.
Lucius entendit vaguement la réaction de sa femme, son incompréhension puis sa panique. L'homme fit quelque pas et son regard tomba d'abord sur les étagères vidées de leurs livres, puis sur le bureau de son fils. Sur le bois du plan de travail, se trouvait une carte bleue. Il n'eut qu'à s'avancer un peu pour voir le petit papier blanc posé à côté, le code griffonné dessus.
Draco était parti. Il était parti avec ce qu'il possédait, ce qu'il s'était offert. Des choses prises dans l'armoire, ses bouquins, ses affaires de cours, son disque dur externe. Ses vêtements étalés sur le sol, son ordinateur sur un coin du bureau, sa carte bleue sur l'autre…
Il n'était parti qu'avec ses biens. Il avait laissé les autres dans sa chambre.
Il avait tout laissé.
Tout ce qui avait constitué sa vie.
Son argent…
Ses vêtements…
Sa chambre…
Tout ce qui avait constitué sa vie, tout ce qui façonnait la couche superficielle de son existence.
Il avait tout laissé, comme un serpent abandonnerait sa mue.
Et il était parti, laissant tout derrière lui.
Car même si pour certains cela sonnait comme un caprice d'adolescent, voire une fugue, Lucius connaissait assez son fils et l'orgueil qu'il lui avait légué pour savoir que Draco ne reviendrait pas en arrière.
Et ce constant lui fit plus de mal qu'il ne l'aurait cru.
OoO
Isaline était ivre. Ce constat la rendit légèrement plus lucide. Elle avait l'esprit toujours embrumé par l'alcool, mais elle était conscience de son état, et elle en éprouvait une sorte de soulagement un peu bizarre. Et en même temps, savoir qu'elle était bourrée la remplissait d'amertume et de honte. Ce qui ne l'empêchait pas de continuer, même si elle savait que ce n'était pas bien.
La jeune femme n'avait jamais cédé aux appels de l'alcool, quelles que furent les circonstances. Mais la tentative de suicide de Harry était la goutte d'eau qui faisait déborder le vase. Elle en avait vu, dans sa vie, des choses terribles, que ce soit la dépression terrible qu'avait vécu Harry après son premier enlèvement ou bien Sirius avec les veines ouvertes dans sa baignoire. Elle en avait vécues, des choses difficiles, comme la mort de son père ou encore l'incendie de la boutique, quand la tatoueuse luttait pour garder Nymph' chez elle.
Mais voir Harry sauter par la fenêtre, c'était comme un cauchemar devenu réalité. Car même si les policiers lui disaient que c'était peut-être l'autre qui l'avait poussé, Isaline savait parfaitement que le jeune homme, qui était apparu dans l'encadrement de la fenêtre, n'avait pas poussé Harry dans le vide. Elle pensait au contraire, comme le lui avait dit Nymph', qui suivait l'affaire de près, que cet homme avait essayé de le retenir. Et même s'il avait voulu pousser Harry, ce dernier n'avait pas dû émettre beaucoup de résistance.
Leurs regards ne s'étaient pas croisés, mais la patronne le connaissait assez pour savoir que c'était lui qui avait sauté. Pourquoi ? Elle ne le savait pas. La déprime, le fait d'être enfermée, ce que Cédric lui avait dit, ses sévices ? Elle savait ce que c'était que d'être battu, elle ne pouvait donc pas nier les souffrances qu'avaient dû endurer Harry dans sa petite chambre, mais elle se demandait si cela aurait pu motiver son saut dans le vide. Harry avait été frappé par son oncle, puis par Cédric. Il n'avait jamais attenté à sa vie, et Isaline avait compris que ses envies de suicide étaient dues autant aux coups qu'à son enfermement, quatre ans auparavant.
Or, cela ne faisait qu'une semaine que Cédric l'avait enlevé, et même s'il l'avait frappé et enfermé, Harry avait des amis, un amant, une famille derrière lui. Les circonstances étaient différentes, son neveu n'avait pas été enlevé dans cet état de soumission qu'il possédait à l'époque, encore blessé par Cédric et affaibli par l'arrestation de sa tante. Mais cette fois-ci, Cédric avait agi alors qu'il n'avait pas du tout le dessus sur le tatoueur. Qu'est-ce qui avait bien pu le pousser à mettre fin à ses jours ?
Cette question la taraudait, elle en pleurait en imaginant ce que cette ordure avait pu lui faire. Harry lui avait tout dit, au compte-goutte certes, mais il ne lui avait jamais rien caché après ce mois de séquestration, et jamais il n'avait évoqué de sévices sexuels. Sa réaction face aux attentes de Draco confirmait sa virginité. Isaline ne pouvait donc pas imaginer que Cédric prenne de force ce qu'il n'était jamais parvenu à arracher à Harry. Mais à présent, l'idée qu'il ait abusé de son fils l'empêchait de dormir. Hantée par l'image de Harry sautant par la fenêtre pour des raisons obscures mais presque trop évidentes la remplissaient d'horreur.
Alors elle avait sombré dans l'alcool. Elle était arrivée au même point que Sirius, réagissant à la déprime par la consommation d'alcool. Isaline savait pourtant que cela n'arrangerait pas ses soucis et que cela lui ferait plus de mal que de bien, mais elle ne parvenait plus à lutter. Elle n'en avait même plus envie. Elle comprenait à présent ce qu'avait ressenti Sirius autrefois, enfermé qu'il était dans le cercle vicieux de l'ivresse. Oh Isaline ne l'avait jamais jugé. Elle avait beau le critiquer, pour qu'il se bouge les fesses et qu'il s'en sorte, elle ne s'était jamais permise, au fond de son cœur, de juger l'alcoolisme de son ami, car elle ne savait pas comment elle aurait réagi à sa place. Peut-être aurait-elle sombrée elle aussi. Mais son devoir avait été de le soutenir et de l'aider à s'en tirer.
Harry avait sauté depuis quelques jours et personne ne venait vraiment l'aider, car ils étaient tous dans l'attente de son réveil. Nymph' venait sans cesse mais n'osait pas lui en coller une pour qu'elle réagisse et Sirius se consacrait à l'enquête pour ne pas penser à sa propre douleur. Elle savait qu'il serait le premier à se ruer chez elle quand Cédric aurait parlé, car lui, il avait le courage de la secouer comme un prunier et de la remettre sur ses jambes. Mais pour le moment, elle s'enlisait dans la dépression, attendant que le ciel vienne aider Harry.
Et s'il ne se réveillait pas…
La porte d'entrée s'ouvrit. Isaline gémit en fermant les yeux, imaginant encore les yeux peinés de Nymph' en la voyant dans un tel état sur son canapé. Elle imaginait la honte lui serrer la gorge et crisper son ventre, les larmes monter à ses yeux.
Elle ne voulait pas qu'elle la voit comme ça. Encore.
Isaline avait hérité de son père la capacité de deviner qui passait dans le couloir et qui entrait dans sa chambre simplement en entendant ses pas ou la façon que la personne avait d'ouvrir la porte. Et quand elle entendit Nymph' rentrer dans la maison, elle se rendit compte que ce n'était pas elle, tant les pas étaient lents, assurés, presque trainants. Et le bruit des chaussures, aussi, pas des petites tennis précipitées. Plus… des chaussures d'hommes.
Sirius ? Peut-être. Elle écoutait, l'esprit à la ramasse.
La porte du salon s'ouvrit. Elle voulut ouvrir les yeux mais elle se sentait trop fatiguée pour ça. Elle entendit l'homme s'avancer vers elle, puis son poids juste à côté d'elle, s'asseyant sur un bout du canapé. Et alors elle sentit son odeur et elle en éprouva un léger soulagement. C'était vrai qu'elle lui avait proposé de prendre les clés de la maison, si jamais il avait encore envie de venir. Elle ouvrit les yeux quand il l'appela.
« Isaline ? »
Et leurs regards se croisèrent pour la seconde fois de la journée.
« Ça ne va pas ?
- Pas plus que d'habitude. Qu'est-ce que tu fais là, beau blond ? »
Sa langue était pâteuse, son esprit tournait au ralenti.
« J'ai quitté la maison.
- Pardon ?
- J'ai quitté la maison. Tu as besoin d'aide, Isaline. Moi aussi. Est-ce que je peux vivre ici ? »
Elle avait envoyé bouler Nymphadora. Il y a quatre ans, elle avait envoyé bouler Sirius aussi. Elle ne voulait personne avec elle. Elle voulait juste qu'on la laisse tranquille, qu'on la laisse souffrir en paix.
Alors pourquoi n'avait-elle pas la force d'en faire de même avec Draco ? Pourquoi se sentait-elle rassurée à l'idée qu'elle ne serait pas seule, qu'il ne serait pas dans un coin de Paris à maudire son impuissance ?
Elle referma les yeux. Elle avait envie de dormir.
« Je te l'ai déjà dit, beau blond. »
Elle lui avait laissé ses clés de maison. Ça voulait tout dire, non ?
« T'es chez toi, ici. »
Et elle s'endormit.
OoO
Cédric refusait toujours de parler, que ce soit avec des enquêteurs un tantinet agressifs ou bien avec des plus gentils. Il ne se laissait ni amadouer, ni impressionner. Ce fut pourquoi l'inspecteur en charge de l'enquête accepta que Sirius Black intervienne et essaie de lui tirer les vers du nez. Il aurait préféré que ce soit Isaline Anderson, étant donné qu'elle avait été capable de tenir une conversation, certes courte, avec le kidnappeur, et nul doute qu'elle serait parvenue à le raisonner. Mais l'écrivain avait insisté sur le fait qu'elle était dans un mauvais état et l'interrogatoire virerait au règlement de compte, ce qui braquerait Cédric Diggory.
Sirius venait de rentrer chez lui. Il était éprouvé, aussi bien physiquement que moralement. Severus était il ne savait où, et pour une fois, il était bien content que son compagnon ne soit pas là. Il avait sorti une bouteille de whiskey du placard et un verre. Il ne comptait pas se bourrer la gueule, mais quelques verres ne lui feraient pas de mal. Ils n'effaceraient pas cet interrogatoire de sa tête, mais ils apaiseraient ne serait-ce que quelques minutes ou quelques heures le mal-être qu'il trainait depuis sa sortie du commissariat.
Sirius avait toujours eu un avis assez mitigé sur ce garçon un peu trop propre sur lui mais qui parvenait à rendre son filleul heureux. Il n'avait jamais remarqué les coups sur le corps de Harry. En fait, il n'avait même pas compris que le jeune homme souffrait. Pourtant, Sirius savait ce que c'était que de subir de tels sévices, c'étaient à la fois des coups portés sur le corps mais aussi au mental, qui vous faisaient entrer dans un cercle vicieux de souffrances perpétuelles : la victime se croyait coupable, et le coupable se faisait passer pour la victime. Harry avait toujours su mieux garder ses sentiments que son parrain, qui n'y avait alors vu que du feu. Isaline aussi, d'ailleurs. Peut-être parce que, comme Sirius, elle n'aurait jamais pu imaginer que Harry puisse se laisser frapper.
L'avoir devant lui quatre ans plus tard avait réveillé cette espèce de haine qui avait germé en lui à partir du moment où Isaline avait pété un plomb et s'était retrouvée en détention, après avoir roué de coups Cédric Diggory. Une haine qui avait grandi en lui au fur et à mesure des jours, alors qu'ils passaient la majeure partie de leur temps à essayer de localiser Harry. Sirius avait la rancune tenace, autant qu'Isaline, mais de façon moins brutale. Ayant grandi dans la rue, Isaline avait souvent été obligée de ne raisonner qu'avec ses poings. Sirius était plus intellectuel, moins physique. Et cette haine qui avait sommeillé pendant toutes ces années, qui s'était apaisée quand les yeux verts de Harry avaient retrouvé leur lumière, lui revenait en pleine figure, alors qu'il regardait le visage pâle et… comment dire ? Peiné ? Plein de remords ? De ce garçon qui avait détruit une part de son filleul.
Sirius avait écouté toutes les recommandations des flics. Mais il n'en avait pas suivie une seule. Car dès qu'il fut dans la même pièce que l'ancien prisonnier, il se montra acerbe, cynique, mauvais. Cédric ne disait rien, ou quasiment rien, et sa tête se baissait un peu plus à chaque pique de Sirius. Il avait envie de le démonter, de le massacrer, pour ce qu'il avait fait. Non, il n'avait pas poussé Harry par la fenêtre, mais son comportement l'y avait poussé. Et l'idée qu'il ait pu violer son filleul le remplissait de dégout.
Contrairement à ce qu'il avait cru, Sirius ne fut jamais sorti de la salle d'interrogatoire. Il démonta Cédric, réduisit sa vie, son existence en bouillie, lui crachant à la figure tout son ignominie, avec un perpétuel sourire sur le visage et un éclat malveillant dans ses yeux. Il faisait penser à un loup, tournant autour de sa proie, l'attaquant sans jamais lui porter de coup fatal, ses yeux perçants posés sur elle et sa bouche avide de chaire fraiche.
Sirius l'avait tant poussé dans ses retranchements que Cédric finit par craquer et tout avouer. Explosant en sanglots, il avait avoué son crime. Ou, plutôt, ce qu'il avait fait à Harry, dans cette petite chambre du dernier étage, et qui l'avait poussé à sauter.
Le but premier était de faire céder Harry. Pour ne pas qu'il s'échappe, il l'avait enfermé dans une chambre. Harry avait été difficile à calmer : bien que sa claustrophobie soit légère, les souvenirs de son précédent kidnapping avaient exacerbé ses peurs et il était ingérable, au point que Cédric en était rapidement venu à le frapper. C'était comme ne vieille habitude qui revenait. Il l'avait battu, plus d'une fois. Il l'avait harcelé, secoué, supplié. Mais Harry ne se montrait pas coopératif : il ne refusait de manger, de se laver, de lui parler… Il avait pris une chaise dans la chambre et l'avait balancée sur la fenêtre, brisant la vitre. Les autres l'avaient entendu et s'était précipités à l'étage. On lui avait fait changer de chambre dont on avait retiré tous les meubles pouvant être jeté contre la fenêtre, à la fois pour éviter qu'il s'échappe, mais aussi pour qu'il ne soit pas tenter de prendre un bout de verre et de s'amuser avec.
Le problème n'était pas que Harry veuille s'enfuir, c'était qu'il lui résiste autant. Cédric avait beau tout faire pour essayer de le faire céder ou au moins créer une sorte d'entente, Harry était complètement sourd à ses demandes, et même quand Cédric le frappait, même s'il pleurait et le suppliait de ne pas lui faire de mal, Harry ne cédait pas. Et alors l'ancien prisonnier se retrouva avec un problème de taille : un Harry insoumis qui refusait d'entendre raison et la police française qui le recherchait activement, tous leurs doutes portés sur lui, qui avait déjà commis un crime similaire. Il devait donc faire céder Harry au plus vite. Au moins, le rendre coopératif. Et la solution à son problème finit par arriver…
Un jour, Harry lui dit : « Tu ne m'auras jamais, Cédric. Quoique tu fasses, tu ne m'auras jamais. Tu peux prendre mon corps, ici et maintenant. Je te le laisse, si c'est vraiment ça que tu veux. Mais mon cœur appartient à Draco. »
Le problème était là : Harry aimait Draco. Il avait un adversaire. Et comme Harry refusait de l'oublier, il devait s'en débarrasser.
Alors que Cédric lui avouait l'organisation de l'accident de voiture dont Draco et Théo avaient été les victimes, Sirius se dit que c'était étonnant que Cédric ait voulu les tuer, mais qu'ils s'en doutaient tous. Mais le plus étonnant fut que le jeune homme lui dit qu'il ne voulait pas tuer Draco, car même s'il le haïssait, il ne voulait pas aggraver son cas en mettant fin à ses jours. Et Sirius comprit, peu à peu, la gravité de ce que Cédric avait essayé de faire pour récupérer Harry : tuer son amant.
Cédric avait tué Draco. Faisant appel à un de ces complices, il avait causé un accident de voiture qui avait tué Draco. Le blond était mort dans ce putain d'accident de voiture…
La tête baissée, la voix tremblante, comme un enfant, Cédric lui avait donné le coup de grâce en avouant enfin qu'il avait utilisé les photos de l'accident, publiées sur Internet, et qu'il avait, à l'aide d'amis, falsifié la Une d'un journal. Harry reconnaitrait forcément la voiture. Et plus encore les noms de Draco Malfoy et d'Isaline Anderson.
C'était pour ça qu'il n'avait pas appelé chez elle, ce jour-là, mais chez Sirius. Il savait que personne ne lui répondrait.
Sirius avait fermé les yeux, alors que la voix mouillée de Cédric lui racontait comme Harry avait réagi quand, refusant de croire à leur mort, il avait exigé des preuves. Le journal alors étalé devant lui, sur le lit, l'avait rempli d'effroi. Son visage avait pâli, ses yeux grands ouverts s'étaient embués de larmes, et son corps s'était mis à trembler.
Il hurla.
Il pleura.
Il craqua.
Toute la journée, Harry gémit dans son lit et refusa de se lever et de manger. Il serrait parfois le journal contre lui, refusant de lire l'article et de revoir la voiture de Draco défoncée. Il passa la journée à se lamenter. Son monde s'écroulait.
Cédric passa du temps avec lui. Harry se laissait approcher. Il refusait qu'il le prenne dans ses bras, mais il le laissait lui toucher l'épaule, lui donner à boire, lui caresse les cheveux. Une sorte de tendresse s'installa entre eux, du moins Cédric l'imaginait-il : Harry était désespéré, il ne pouvait donc pas repousser les marques de soutien de son kidnappeur. Dans le fond, il en avait besoin aussi. Dans sa tête, Cédric était devenu un soutien comme un autre, le seul témoin de sa souffrance et de ce deuil qu'il ne ferait jamais.
Les choses auraient dû changer. En proie à la douleur, Harry aurait dû non pas se détourner de Draco mais chercher du réconfort, essayer d'oublier. Mais le jeune homme restait prostré dans son lit, sans rien faire de ses journées, pleurant de temps en temps, gémissant en les appelants. Il ne dormait pas de la nuit, de lourdes cernes soulignaient ses yeux. Il était dans un état pitoyable.
Cédric pensa alors qu'il serait temps de le remettre d'aplomb, donc il se fit plus tendre encore avec lui, pour lui montrer qu'il le soutenait, qu'il était là pour l'aider. Cela lui permettait d'oublier à quel point son acte atroce tuait Harry à petit feu. Il en était venu à se demander s'il n'aurait pas dû juste couper les ponts avec Draco et non pas avec Isaline, mais l'ancien tolard se rappelait très bien de son comportement quatre ans auparavant : Harry n'avait tenu que parce qu'il savait que sa tante viendrait le chercher. Il était évident que dans une telle situation, il appellerait Isaline de toutes ses forces. Et pourtant, c'était ce qui allait le perdre, il le comprit plus tard : il avait touché à sa mère, c'était sans doute le plus insurmontable pour Harry.
Mais il ne comprit qu'il avait fait une erreur qu'un jour où son ex, sentant la main de Cédric sur sa cuisse, s'était retourné dans le lit et l'avait regardé droit dans les yeux. Toute peine, toute larme avait disparu de ses yeux verts. Et il lui avait parlé distinctement, sans que sa voix ne vibre ou se brise.
« Tu peux me faire l'amour si tu veux, Cédric. Je n'ai plus rien à perdre, de toute façon. »
Ses yeux verts, si francs, sa voix, si claire…
« Mon cœur appartient toujours à Draco. Et il sera toujours à lui. Alors fais ce que tu veux de moi. »
Son corps ne lui appartenait plus, en quelque sorte. Et Cédric n'avait pas eu le courage de prendre ce qui ne lui avait jamais appartenu.
Les jours suivants se ressemblèrent. Harry passait ses journées à ne rien faire et attendre, et Cédric se maudissait pour sa bêtise, sa lâcheté, sa cruauté. Il aurait pu lui dire la vérité. Oh oui il aurait pu. Mais il était dans une impasse, il était perdu. Il ne savait plus quoi faire : arrêter, continuer, lui mentir, tout lui avouer ? Alors il laissait trainer les choses.
Et il laissa trainer son portable.
Et la situation bascula.
Et Harry parvint à s'échapper par la fenêtre, ouverte pour laisser entrer un peu d'air, quand il avait été blessé à la tête.
Sirius n'avait su s'il devait pleurer, le frapper, hurler ou encore sortir sagement pour exploser dehors. Devant lui, Cédric s'était mis à pleurer. Il se rendait enfin compte, à la lumière du néon, de toutes les atrocités qu'il avait fait subir à Harry. Tout ça, c'était de sa faute. Entièrement de sa faute.
Harry était un papillon. Mais il n'avait plus d'ailes. Cédric les lui avait arrachées, le jour de cet accident de voiture.
Comment je vais lui raconter ça ? S'était-il demandé, en pensant à Isaline, qui devait sans doute attendre des nouvelles. Ce fut sa première pensée. Après, il avait regardé Cédric, qui avait fini par lever les yeux. Il avait fait une grimace. Sirius ne savait même plus quelle expression avait pris son visage. De la colère, de la peine ? Quelque chose proche de la haine ?
Sans un mot, Sirius était sorti de la pièce. Puis, il avait erré dans Paris, avant de rentrer chez lui. La maison était vide. Un peu comme lui. Il se sentait vide de l'intérieur.
Comment allait-il lui raconter ça ? Comment lui dire tout ce qu'il avait entendu sans lui-même se mettre à pleurer, tous ces sentiments qu'il avait intériorisé pendant l'interrogatoire explosant en lui et se déversant entre eux ?
Comment allait-elle réagir ?
OoO
« Et comment Nymph' a réagi ?
- Très mal.
- A ce point-là ?
- Il parait, oui. J'étais pas là, Théo est venu me chercher avec Seamus et Ron, il avait besoin de changer d'air. Isaline m'a dit qu'elle s'était disputée avec elle.
- Je vois…
- Elle m'a dit que Nymph' ne comprenait pas pourquoi Isaline m'avait laissé, moi, rester chez elle. Je ne fais pas partie de la famille et pourtant elle me tolère chez elle. Je comprends sa réaction, Isaline ne lui a jamais ouvert sa porte, elle ne peut entrer chez elle que parce qu'elle a ses clés.
- Et Isaline lui a dit quoi ? Enfin, comment elle s'est justifiée ?
- Apparemment elle a pas mal discuté avec elle. Je ne sais pas ce qu'elle lui a dit, elle a été assez vague sur le sujet. »
Ce qu'il ne savait pas, c'était qu'Isaline avait essayé de lui expliquer que Draco avait besoin qu'on l'aide, elle ne pouvait donc pas le laisser seul. Elle, elle avait besoin de compagnie, même si elle se refusait à l'admettre. Quand les larmes de Nymph' perlèrent au coin de ses yeux de colère, Isaline finit par lui avouer que se présenter aussi misérable aux membres de sa famille la remplissait de honte et de dégout. Elle n'avait jamais été le modèle ni le soutien de Draco, elle n'avait rien à lui prouver, elle ne pouvait le décevoir. Et ça rendait le contact avec Draco plus facile.
Pas d'apparences à sauver, pas de visage et de vices à cacher…
« Elle n'est pas passée, aujourd'hui. J'ai forcé Isaline à se lever pour faire le ménage avec moi.
- Elle était d'accord ?
- Je ne lui ai pas laissé le choix. Ça ne l'a pas empêchée de rester dans le canapé tout l'après-midi, mais au moins elle s'est levée. On est aussi allé voir Harry ce matin. »
Ils avaient d'abord rendu visite à Harry et étaient restés un temps infini dans sa chambre. Puis, Isaline était sortie, pour aller voir Rémi, et ils s'étaient retrouvés dans le hall d'entrée. Draco avait conduit la voiture au retour, Isaline n'avait ni le moral, ni la force de tenir un volant. Même si elle était à jeun, elle ne se sentait pas d'attaque. Elle s'était alors laissée conduire par le blond, et ils étaient rentrés à la maison.
« D'accord. Et tu dors où cette nuit ? Dans la chambre d'amis ?
- Bien sûr ! Hors de question que je dorme dans la chambre de Harry.
- Tu n'y es toujours pas entré ?
- Non. Et je n'entrerai pas dedans tant qu'il ne sera pas réveillé.
- Et tes parents, ils t'ont appelé ? »
Ils avaient appelé sur son portable mais il n'avait pas répondu. Le numéro de leur téléphone fixe ne cessait de le harceler. Très certainement sa mère. Il voyait mal son père décrocher le téléphone du salon pour le joindre. Il utiliserait plutôt son téléphone portable. Et il n'avait jamais essayé de le joindre.
« Ton père doit beaucoup t'en vouloir. Je n'en reviens toujours pas que tu te sois barré comme ça !
- Blaise, contrairement à ce que tu penses, je suis encore capable de te surprendre.
- Nan mais là, c'est plus que surprendre… T'as tout plaqué, Dray. Tu te rends compte, un peu ? T'as tout laissé là-bas ?
- Mon père m'a provoqué. Il me parlait comme il l'aurait fait avec un gamin. J'avais l'impression d'être un boulet dans son existence. J'ai toujours suivi le chemin qu'il m'a imposé…
- Draco, ton père aurait voulu que tu fasses du droit ou de l'économie…
- Il m'a toujours forcé à rester dans les rangs, à travers les galas et autres soirées dans ce genre, et j'ai fait de hautes études, parce que je veux être médecin, mais aussi pour qu'il soit fier de moi. Je ne suis pas parti parce que j'ai été vexé, Blaise, mais parce que j'ai été blessé. Je t'en ai parlé, hier. Au lieu de me soutenir, il a nié ce que je ressentais. Le mieux était que je m'en aille.
- Tu as trop d'orgueil.
- Non. Mon père m'a traité comme un bon à rien. J'ai agi en conséquence : j'ai pris mes responsabilités. J'ai mené un train de vie qui m'a toujours convenu : j'aime avoir de l'argent, des vêtements, faire ce qui me plait. »
Mais ce qu'avait fait Harry avait changé son regard sur les choses. Tout ce qui lui avait paru important, essentiel ou bien normal était devenu superficiel : à quoi bon avoir son compte en banque plein alors que la personne que vous aimiez était en train de mourir sous vos yeux ? Ce qu'il devait faire, c'était quitter sa maison et aller soutenir Isaline. Son père n'avait vu là qu'un caprice comme un autre, une sorte de fuite, au lieu de regarder les choses en face et d'aller consulter. Alors que, précisément, Draco n'avait que trop conscience de la situation…
« Vous vous êtes mal compris, Draco…
- Mon père n'a pas essayé de me comprendre, Blaise. Je te l'ai dit hier. Et c'est en partie pour ça que je suis parti. Ça m'a fait mal. Mon père n'a jamais essayé de me comprendre… Même quand c'est devenu sérieux avec Harry, il n'a pas essayé ! J'ai plus discuté de notre relation avec Isaline qu'avec mon propre père et ma propre mère. Tu es proche de ta mère Blaise, même si parfois tu ne t'en rends pas compte, mais moi, mes parents ne me parlent jamais, ils ne prennent jamais de mes nouvelles, c'est comme si je savais tout gérer tout seul. J'ai vu mon copain sauter par la fenêtre…
- Tu ne veux pas qu'on t'aide, Draco ! Tu n'as jamais voulu qu'on t'approche…
- Mais t'es quand même venu me faire chier, Blaise ! Tu m'as pas lâché, même quand je te traitais de tous les noms ! »
A l'autre bout du fil, Blaise fermait les yeux de douleur. Combien de fois avait-il maudit Narcissa pour son manque de tact et Lucius pour son absence, alors que, manifestement, leur fils avait besoin d'eux, même s'il refusait de l'avouer ?
« Pourquoi je serais resté chez moi alors que j'ai aucun soutien ? Tu sais comment je suis, Blaise, je ne suis pas du genre à toujours me plaindre, je vais de l'avant… Mais là… J'ai le droit d'être égoïste, non ? J'ai le droit de…
- Oui, Dray. Oui, t'as le droit d'avoir mal et de le dire. Excuse-moi…
- Je ne veux pas que tu t'excuses. »
Mais ta voix est mouillée, Draco…
« T'y es pour rien. C'est moi qui perds la tête. J'en peux plus, Blaise… Je suis chez Isaline depuis hier, j'ai la sensation d'aller un peu mieux, et pourtant…
- Tu n'as pas à avoir de remords, Draco. Tu as fait ton choix. Cette situation n'est pas définitive…
- Je ne rentrerai pas chez moi. J'ai trop d'orgueil pour ça. Je sais que ça te parait stupide, que la situation prend une ampleur démesurée, mais je ne peux pas rentrer chez moi. Sinon, je subirai le regard de mon père, ses remarques… Je l'aurai toujours sur le dos. Ma mère, aussi. J'aurai l'impression d'être un fils à papa rentrant chez lui la queue entre les jambes.
- Mais Draco, qu'est-ce que tu vas faire, alors ? Où est-ce que tu vas vivre ?
- Je ne sais pas. J'attends que Harry se réveille. Je pense que je vais demander à Isaline de m'accueillir chez elle quelques temps, pour que je m'occupe de lui. Et puis… Je vivrai sûrement seul. J'ai quelques économies, je vais chercher un travail. J'ai des relations, ce ne sera pas compliqué.
- T'en serais capable ?
- Tu en doute ?
- Je ne sais pas. Tu as changé, Draco.
- Harry m'a changé. »
Harry lui avait fait voir autre chose. Lui avait présenté ses valeurs, et il en avait adoptées quelques-unes. Et même si Draco savait que ce serait dur pour lui, il n'avait pas peur d'entamer cette nouvelle vie. Où il serait obligé de se priver et de revoir ses priorités. Mais il serait soutenu. Il aurait Harry, qui se fichait bien du prix de sa chemise et du restaurant où ils iraient dîner. Il aurait Isaline, qui l'inviterait trop souvent à manger à la maison. Et ses amis, qu'ils s'étaient fait pendant cette année, et qui vivaient modestement…
« C'est un mal ?
- Non. Mais j'ai peur pour toi. J'ai peur que tu regrettes, que tu ne t'en sortes pas…
- On a vécu dans des milieux trop aisés, toi et moi, Blaise. Ça va te paraître cliché, dis comme ça, mais vivre au contact de Harry m'a fait réaliser qu'on peut s'en sortir même avec peu de moyens. Je regretterai peut-être ma décision, un jour. Mais là, tout de suite, tout ce que je veux, c'est que Harry se réveille et quitte l'hôpital. Je veux le retrouver. On verra plus tard.
- D'accord. Dray, tu sais que si tu as un problème…
- Je sais, Blaise…
- Quand tu t'en iras de chez Isaline, et si tu ne rentres pas chez toi, on vivra ensemble, okay ?
- Tu serais prêt à te priver de l'amour de ta mère pour moi ?
- Je serais prêt à tout pour toi, beau blond. »
Un éclat de rire, qui lui réchauffa le cœur.
« Je vais te laisser, ma mère est en train de me faire une déclaration d'amour dans les escaliers.
- Elle n'a rien trouvé d'autre pour te convaincre d'aller déjeuner ?
- Plus elle vieillit, et plus elle manque d'imagination. On se rappelle demain ?
- D'accord. A demain.
- Ciao. »
OoO
Le soir même, Draco sortit avec Théo et Seamus, comme il l'avait fait dans la matinée, avec Ron. Ils s'étaient contentés d'aller au ciné puis de déjeuner ensemble. Quand Sirius avait quitté la maison, Draco s'était empressé d'appeler Blaise, mais il ne lui avait pas répondu. Il avait alors appelé Théo, exigeant presque qu'il vienne le chercher pour le divertir. Sans chercher à comprendre, Théo s'était rendu chez Isaline, Seamus dans le siège passager. Draco était entré dans la voiture, un pli soucieux sur le front et il avait l'air nerveux. Théo voulut lui poser des questions mais la main de son colocataire sur son avant-bras l'en dissuada.
Ils s'étaient rendus au McDonald's pour dîner. Manifestement, Draco n'allait pas bien et Théo ne voulait pas les enfermer dans un restaurant où le dîner s'allongerait dans la durée. Ils avaient pris leur repas, s'étaient installés dans un coin, et les deux colocataires avaient essayé de dérider Draco. Puis, le blond craqua et sortit en trombe du fastfood. Les deux autres s'étaient précipités à sa suite et Théo resta comme deux ronds de flan en voyant Draco sangloter contre le mur du bâtiment jouxtant le restaurant. Ne sachant quoi faire, il avait regardé Seamus prendre le blond dans ses bras et le serrer fort contre lui.
Ils étaient rentrés à leur appartement. Draco avait dormi dans le lit de Théo, restant un long moment avec Seamus. Que s'étaient-ils dit ? Théo ne le sut que quand l'irlandais le rejoignit dans le salon, pâle et les yeux humides. Il n'avait pas pleuré mais il semblait à deux doigts de le faire. Il s'était alors assis dans le canapé et s'était blottit contre Théo, qui l'avait accueilli contre lui. Et Seamus dut le consoler, un peu comme il l'avait fait avec Draco auparavant, ravalant ses larmes. Finalement, ils s'étaient couchés dans le lit de Seamus.
Isaline, elle, avait passé la nuit chez Rémi. Le récit de Sirius l'avait plongé dans un état de détresse que Sirius ne lui avait pas connu depuis longtemps. Depuis la veille, il se sentait terriblement mal dans sa peau, et à présent qu'il lui avait raconté la vérité sur la tentative de suicide de Harry, il n'avait qu'une envie : rentrer chez lui et se cacher sous son lit. Cependant, le brun lui avait proposé de rester, mais Isaline avait refusé. Il s'était alors échappé du salon où il l'avait longtemps tenue dans ses bras et avait appelé Rémi, qui par miracle ne travaillait pas ce jour-là. Sirius quitta la maison et rentra chez lui, alors que le médecin passait chercher Isaline.
L'écrivain n'avait pas réussi à lui arracher la promesse qu'elle passerait la soirée avec Rémi, mais le médecin, qui lui avait promis au téléphone de l'appeler si jamais elle refusait de rester avec lui, parvint à la sortir de chez elle et à l'emmener dans son appartement. Il ne parvint pas à la dérider de la soirée, mais être au contact d'autres gens lui fit du bien. Rémi la gardait constamment contre lui, sans que jamais elle ne rejette ses attentions, et Alan, même s'il passait la majeure partie du temps à jouer sur sa console de jeu portable, il restait dans le salon et participait de temps en temps à la conversation.
Cette nuit-là, Seamus et Rémi furent des bras chaleureux et des oreilles attentives, Théo et Allan se contentèrent de regarder et d'encaisser sans trop savoir quoi faire. Ils mettraient du temps à encaisser le choc.
OoO
La tête dans les mains, Théo regardait fixement sa tasse de café posée devant lui. L'appartement était silencieux, seul le bruit de la douche que Seamus utilisait parvenait aux oreilles du jeune homme. Il se sentait perdu. Tout un tas de facteur le plongeaient dans un brouillard dont il ne parvenait pas à s'extirper. Il avait la désagréable impression de faire du sur-place.
La réaction de Draco la veille l'avait bouleversé. Il l'avait senti nerveux et cela l'avait étonné : il n'allait pas spécialement bien le matin mais il était encore capable d'esquisser de légers sourires. Mais pas hier soir. Et soudain, alors que Seamus racontait une connerie, il craquait et sortait du fastfood pour céder aux larmes.
Théo ne l'avait jamais vu pleurer et, en étant honnête, il ne l'avait même jamais vu triste. Le voir dans cet état l'avait bouleversé. C'était comme voir Harry pleurer, ce n'était… pas normal. Draco n'était pas quelqu'un qui pleurait. Et quand Seamus lui avait raconté tout ce que le blond lui avait dit, son cœur avait chaviré et le peu de bonne humeur qu'il avait réussi à accumuler ce matin avait disparu pour laisser place à un nuage noir. Et il s'était lui aussi mis à pleurer.
Alors qu'il était assis dans le canapé, blotti contre Seamus qui essayait en vain de le consoler, Théodore Nott avait essayé d'imaginer son meilleur ami enfermé dans une chambre, pleurant la mort de ceux qu'il aimait tout en regardant la fenêtre. Il imaginait ses souffrances, alors qu'il imaginait les corps de Draco et Isaline percuter le par-prise, les fenêtres, leurs ceintures enfoncées dans le corps et le sang auréolant leurs têtes. Il imaginait le vide dans sa tête, dans sa vie, le vide qui allait l'attendre une fois qu'il serait sorti…
Son univers qui bascule…
« Théo ? »
Deux mains se posèrent sur ses épaules, puis glissèrent sur son torse. Il sentit Seamus coller sa poitrine contre son dos et le prendre ainsi dans ses bras. Théo n'avait ni la force ni l'envie de le repousser.
« Tu sais quelle heure il est ?
- J'en avais marre de tourner en rond dans le lit.
- Même les jours de repos, tu te lèves tôt. Tu devrais en profiter pour rester au lit…
- Avec ce que tu m'as raconté hier ?
- Théo, je te signale que j'ai dormi dans le même lit que toi. T'es insupportable quand t'es nerveux. »
Le jeune homme poussa un soupir. Il n'avait pas beaucoup dormi et il se doutait que Seamus non plus, vu qu'il avait passé son temps à tourner en cherchant une position confortable. Il avait fallu que Seamus le plaque de force sur le matelas et se couche sur lui pour qu'il arrête enfin de bouger et trouve le sommeil. Enfin, il y avait été bien obligé : il était minuit passé et il savait que son colocataire piquerait un scandale si jamais il le réveillait encore…
Seamus se décolla de son dos et lui dit qu'il allait se laver, tout en passant une main dans ses cheveux foncés. Alors que l'irlandais sortait de la cuisine, Thé se retourna et ne put s'empêcher de le reluquer : le jeune homme portait un débardeur et un caleçon, révélant ses jambes blanches, fines et imberbes. Le rouge lui monta aux joues et se détourna de Seamus, se traitant intérieurement de tous les noms.
Depuis que Harry avait disparu, une étrange complicité, encore inconnue, s'était crée entre eux. Seamus se montrait plus gentil, plus affectueux, plus… tactile. Et Théo devenait trop sensible à ses attentions, cessant de le repousser quand son ami le prenait dans ces bras. Ils avaient dormi ensemble la veille et cela avait été comme une évidence. Etre aussi proche de l'irlandais devenait une évidence, que Théo refusait d'admettre.
Sa grande excuse était qu'il avait besoin d'affection, de soutien, étant donné qu'il vivait un moment difficile. Mais était-ce vraiment une excuse, lui qui avait toujours repoussé ce genre d'attentions, que ce soit des filles ou bien de ses amis ? Bien qu'il apprécie énormément Harry, dormir en sentant son corps contre le sien avait toujours été un peu gênant, mais le fait que ce soit son ami et que le tatoueur ne le fasse pas exprès rendait la chose anodine. Mais ave Seamus, c'était différent. Sentir son corps, à lui, sur le sien, ne lui avait fait aucun effet, et le matin, il avait été rempli d'une gêne d'autant plus insupportable qu'elle n'était due qu'au fait qu'il appréciât leur position.
Tout comme il appréciait le fait que Seamus soit constamment dans ses pattes quand il était à la maison.
Mais ce qu'il n'appréciait pas du tout, c'était que cela remettait complètement en cause sa sexualité, réveillant des envies qu'il avait étouffées des années auparavant. Non, Théo n'avait pas envie de coucher avec Seamus, ni avec lui, ni avec aucun autre homme. Là était le problème avec lui : le côté sexuel d'une relation avec un homme ne l'attirait pas du tout, et le fait qu'il n'ait jamais eu une libido débordante n'arrangerait pas les choses. Mais échanger des gestes, des attentions… embrasser un homme n'était pas quelque chose qui le répugnait, et ça, il avait mis des mois et des mois à l'intérioriser et l'oublier.
Ce qui le rendait homophobe, c'était la sexualité. Pas l'affection mutuelle. C'était sans doute pour cela qu'il s'était toujours très bien entendu avec Harry : ils ne parlaient jamais de ses envies ou de ses expériences sexuelles, et le voir tenir la taille ou embrasser Draco ne lui faisait ni chaud ni froid. Mais Seamus avait débarqué dans sa vie en couple et il passait son temps à roucouler avec Dean, ce que Théo ne pouvait pas supporter, à l'époque.
A présent, les choses avaient changé : Seamus ne couchait plus à droite et à gauche, il prenait soin de lui, et sans le vouloir, il avait pris une grande place dans sa vie, faisant ressurgir des choses que Théo aurait préféré ne jamais savoir.
Et il se maudissait pour ça. Il se maudissait d'éprouver de pareilles choses, déjà vis-à-vis de lui-même, car il se savait incapable de mener une vie d'homosexuel : il ne pourrait jamais passer sa vie à se cacher, il ne voulait pas que des portes se ferment devant lui, et l'aspect sexuel de ce genre de relation le terrifiaient. Et vis-à-vis de Seamus, qui demeurait son ami, qui ne se doutait de rien, et qui, si jamais il se montrait intéressé, ne serait jamais heureux avec un abruti comme lui qui ne serait jamais capable d'assumer.
Théo n'était qu'un pourri. Un vrai pourri…
« Encore en train de déprimer ? Tu vas finir par me faire pleurer.
- Seamus, tu peux pas te la fermer, des fois ?
- Ça m'arrive, parfois. Sois pas grognon, mon chéri. Encore du café ? »
Théo leva les yeux vers lui et lui coula un regard noir, à l'entente de ce petit surnom, ce qui fit glousser l'irlandais. Il lui prit sa tasse et la remplit de café, puis la reposa devant lui. C'est alors que Draco apparut dans l'encadrement de la porte, dans un pyjama que Théo lui avait prêté la veille. Le sourire que Seamus fit en regardant derrière lui incita l'étudiant à se retourner et il fit un gentil signe de tête.
Le blond le leur rendit timidement. Il avait les yeux rouges, les cheveux dans tous les sens, et l'air perdu des enfants qui ne savent pas où ils se sont réveillés. Il entra dans la cuisine. En vérité, il ne savait pas où se mettre. Il ne savait pas quoi penser de ce qui s'était passé la veille. Le blond se doutait que ni Théo ni Seamus ne le jugeraient, mais il était trop fier pour s'assoir comme si de rien n'était à table et prendre son petit déjeuner. Alors, il s'excusa.
« Je suis désolé, pour hier.
- Ne t'excuse pas, lui répliqua Théo avec un sourire avec un vague geste de la main. Les amis, c'est fait pour ça.
- Je sais mais…
- Draco, si ça peut te rassurer, je n'étais pas dans un meilleur état que toi quand Seamus m'a raconté ce que tu lui as dit, et contrairement à toi, je n'ai pas eu tous les détails que Sirius a dû te donner. Donc on ne va pas te juger.
- Tu te sens mieux ? Lui demanda Seamus. Enfin, façon de parler.
- Ça va un peu mieux. J'avais…
- Tu avais besoin de craquer, termina pour lui Théo. Et les amis, c'est fait pour ça.
- Allez, assis-toi et mange quelque chose, ça va te faire du bien. »
Seamus le prit par les épaules avec un sourire pour le guider vers une chaise. Leurs regards se rencontrèrent. Un regard complice. Draco lui disait « Merci » avec ses yeux, alors que Seamus lui répondait « De rien ».
Alors que le blond prenait place autour de la table, l'irlandais sortait une tasse du placard. Il la remplit de café et la posa devant Draco.
« Je ne sais plus, tu prends du sucre ?
- Oui.
- Ah bon ?
- C'est moi qui n'en prends pas.
- Ah, sûrement. »
Draco eut un léger sourire alors que Théo levait les yeux au ciel. Seamus rouspéta en lui répliquant qu'il ne pouvait pas retenir les préférences de tout le monde, son colocataire lui répondit que ça faisait presque un an qu'ils vivaient ensemble, ce serait bien qu'il commence à intégrer certaines choses…
« Oh mais avec toi, je me prends pas la tête : je pose ta tasse, le sucrier, et tu te sers.
- L'autre fois, tu m'as fait un thé aux fruits rouges, et tu sais que je déteste ça.
- Tu n'avais qu'à le faire toi-même ! »
Assis sur sa chaise, devant un café qu'il venait de sucrer, Draco écoutait paisiblement Théo et Seamus se prendre gentiment la tête. Cela détendit un peu l'atmosphère, et, à lui, cela lui fit un bien fou. Il se sentait bien. Il avait un peu mal à la tête et le mal-être qu'il trainait depuis des jours ne l'avait pas quitté, mais en cet instant, rien n'aurait pu l'arracher à son siège.
Le petit-déjeuner s'étira dans le temps. Théo ne travaillait jamais le lundi. La veille, il avait pris un jour de congé, notamment parce que Seamus avait appelé son patron pour lui dire qu'il n'allait pas bien du tout et qu'il devait se reposer, donc Théo n'avait pu dire non quand son chef lui avait ordonné de rester au lit au lieu de vendre ses patates. Il travaillait le lendemain, par contre, et la conversation dériva sur son réveil qui allait sonner à une heure pas possible, réveillant l'irlandais au passage. Un livreur s'était cassé le bras, il ne pouvait donc pas se charger du camion donc Théo le remplaçait et le jeune homme avait encore un peu de mal avec les itinéraires. Mais un marché reste un marché, donc travailler sur des stands différents ne le dérangeait pas plus que cela.
Seamus, lui, allait commencer son job d'été le premier juin. Il allait travailler dans une bijouterie grâce à une connaissance qui l'avait pistonné. Draco aussi allait travailler mais dans une banque. Il n'avait prévu de faire qu'un seul mois mais il avait appelé la veille la personne qui recrutait les auxiliaires de vacances et elle lui avait trouvé une place pour juillet mais dans un autre bureau. L'employée était une connaissance de son père, elle n'avait donc pas posé de question et avait rapidement réglé la question. Draco ne savait pas vraiment quoi faire quand Harry irait mieux, il valait donc mieux qu'il ait un peu d'argent sur son compte.
Car il n'avait plus rien. En laissant la carte du compte que son père lui avait ouvert pour lui donner son « argent de poche » ainsi que le numéro du compte, Draco avait tiré un trait sur un fabuleux pactole. Il lui restait tout de même quelques comptes bien remplis, mais clos : c'étaient des investissements pour l'avenir, Draco ne pouvait y toucher. Il n'avait plus que son compte courant et son livret A dont l'argent était directement issu de son travail, de quoi tenir un petit bout de temps mais pas éternellement. Quelqu'un d'avisé aurait fait attention à laisser plus d'argent sur son compte avant de rendre la carte bancaire. Mais Draco ne voulait pas de l'argent de son père, il n'y avait donc pas pensé.
Vers dix heures, ils se décidèrent enfin à mettre les voiles. Draco devait rentrer chez lui et le frigidaire était vide, des courses s'imposaient. Le blond alla donc prendre une douche et en sortit avec des vêtements prêtés par Théo, qui faisait la même taille que lui, puis ce dernier alla faire un brin de toilette. Draco retrouva donc Seamus dans l'entrée qui attendait les deux jeunes hommes. Il lui fit un sourire en le voyant arriver.
« J'ai mis tes affaires dans ce sac, lui dit-il en lui montrant un sac plastique bleu foncé. Comment tu te sens ?
- Ça va. Ça pourrait être pire. Merci, pour hier.
- Je t'en prie. On est amis, non ? »
Seamus le regardait franchement, sans la moindre ambigüité. Comme ses gestes de la veille. Alors que Draco lui racontait tout, son ex l'avait pris dans ses bras et l'avait bercé, sans que jamais sa main ou sa bouche ne dévie. Il s'était comporté en ami, en confident. Il l'avait même disputé, lui faisant comprendre que Harry ne voudrait pas le voir ainsi, et quand le blond lui avait répondu qu'il le croyait mort, Seamus s'était emporté. Il n'avait jamais vu Draco dans un état pareil et il ne le supportait pas. Il devait se reprendre, aller de l'avant, et l'irlandais ne voyait pas qui aurait pu lui secouer les épaules, mis à part Blaise, qui avait un minimum d'autorité sur lui. Seamus le connaissait, pas autant que Harry, mais bien assez pour être capable de le remettre à sa place et lui faire comprendre, sans le blesser, que se lamenter sur son sort ne résoudrait rien : Harry avait besoin de lui, il ne devait pas baisser les bras et, surtout, laisser Cédric lui pourrir encore un peu plus l'existence.
« Oui. On est amis. »
Cela avait fait du bien à Draco, surtout venant de Seamus, qu'il avait réappris à apprécier et dont il ne craignait à présent plus les sentiments. L'irlandais l'avait oublié et le considérait à présent comme un ami, et rien de plus. Et il lui avait dit ce qu'il devait entendre, ne craignant pas de lui faire du mal, comme ça avait été le cas avec Blaise.
« Les choses n'ont pas l'air d'avancer avec… »
Draco ne prononça pas son nom mais le regard furtif qu'il jeta derrière lui voulait tout dire. Le sourire de Seamus se crispa et disparut. Il se mordilla la lèvre, regarda le sol puis revint à Draco, qui regretta d'avoir mis ce sujet sur le tapis. Il voulut retirer ce qu'il venait de dire, ou plutôt de supposer, quand le brun esquissa un maigre sourire en soupirant.
« Et ça restera au point mort pendant longtemps.
- Ne dis pas ça.
- J'ai trop à perdre. »
Alors il avait bien supposé. La conversation qu'il avait eue avec Seamus pendant la fête d'anniversaire de Blaise l'avait toujours turlupiné et il n'avait jamais osé penser que Théo pourrait être le cœur de l'irlandais, mais à voir Seamus aussi familier avec l'étudiant, le toucher et le taquiner, avait réveillé des doutes.
« Mais tu aurais beaucoup à gagner aussi.
- Tu rigoles ? Même dans le cas où j'arriverais à l'intéresser, il ne parviendrait pas à assumer. Ce serait trop de boulot et ça ne tiendrait jamais. Rien que lui faire admettre qu'il pourrait être attiré par un homme serait trop compliqué. Je n'ai pas envie de perdre tout ce qu'il m'offre tous les jours.
- Tu regretteras, un jour, Seamus, le prévint Draco.
- Peut-être. Mais je préfère regretter de ne pas avoir tenté ma chance plutôt que de voir son regard changer, et qu'il me fuit. Avec toi et Harry, dans un sens, je n'avais rien à perdre. Là… j'ai la sensation que je vais tout perdre. Pour une fois que je me sens bien dans ma peau et dans ma vie, je n'ai pas envie de tout foutre en l'air.
- Tu l'aimes ?
- J'en sais rien, répondit avec honnêteté l'irlandais après une courte hésitation. Mais ce que je sais, c'est ce que je veux son bien. Et son bien, il ne peut pas l'avoir avec moi. »
Draco voulut répliquer, l'encourager, mais il n'avait pas les mots pour ça, et il comprenait Seamus. Il ne connaissait pas assez Théo et il ne voulait pas donner de faux espoirs à l'irlandais qui, peut-être, tenterait sa chance et, sans doute, se verrait rejeté, repoussé, évité. Même avec toute l'amitié qu'il avait pour lui, Théo ne lui ferait pas de cadeaux, d'une parce qu'il n'était pas homosexuel, mais surtout, et Draco en était persuadé, parce que ça ferait plus de mal que de bien à Seamus d'être attiré par lui. Seamus était dans une impasse. Il essayait de voir le bon côté des choses.
« Bon les jeunes, on y va ?
- Mais on attend que toi, mon chéri.
- Putain Seamus, arrête avec tes surnoms de gonzesse, j'ai l'impression d'être un mouton.
- Curieuse comparaison, fit Draco en haussant un sourcil.
- J'allais le dire !
- Oh c'est bon, mettez vos pompes et arrêtez de me gonfler. »
Mais les deux garçons n'arrêtèrent pas une seule seconde de le gonfler tant qu'il n'eut pas déposé Draco chez Isaline, ce qui énerva prodigieusement l'intéressé : Seamus était terrible, mais quand Draco s'y mettait, c'en était fini de lui. Il avait presque oublié ce que c'était que de se faire charrier. Que de plaisanter dans une voiture, la musique emplissant l'habitacle, le volant dans les mains et les yeux sur la route.
Il avait presque oublié ce qu'était l'époque où Harry existait.
OoO
Luna était arrivée dans la journée. Blaise était allé la chercher à la gare. Il lui avait proposé de venir séjourner chez lui, pour la forme, mais elle avait refusé, car elle savait aussi bien que lui que sa rencontre avec Mrs Zabini aurait été tendue, d'une part parce que Luna n'était pas au meilleur de sa forme, et d'autre part parce qu'elle savait très bien qu'elle était spéciale et que le regard de la mère de Blaise serait biaisé par la haute estime qu'elle avait pour son fils et ses goûts en matière de femme.
Cho était effondrée depuis la tentative de suicide de Harry et Neville se voyait mal lui proposer de venir chez lui, vu l'état de Ron, et il était hors de question qu'elle aille chez les Weasley, elle n'avait jamais eu d'affinités avec Ginny et ils ne voulaient pas qu'elle subisse les attentions et la pitié de Mrs Weasley qui allait encore alourdir son moral déjà au plus bas. Finalement, Hermione, en apprenant qu'on lui cherchait un logement, lui avait proposé de venir chez lui. Blaise n'avait pas osé le lui demander, pas plus qu'à Millicent, qui accueillait actuellement une tante et ses enfants chez elle.
Bloqué dans un bouchon, Blaise était arrivé en retard. Il avait cherché un long moment Luna, et quand il s'était enfin décidé à essayer de l'appeler, il l'avait trouvée assise sur un banc, sa valise à ses pieds. Elle paraissait toute petite, le dos courbé, ses longs cheveux sagement nattés dans son dos, un gilet rose clair sur ses épaules. Une fois arrivé à sa hauteur, elle avait levé ses grands yeux bleus vers lui. Son teint pâle et son visage si sérieux lui avait fait comprendre à quel point elle était angoissée par toute cette histoire, et nul doute que, vu ses cernes, ses nuits devaient être agitées, ou blanches.
Luna s'était levée, puis ils s'étaient pris dans les bras l'un de l'autre. Blaise l'avait serrée tendrement contre son cœur, à la fois soulagé de la tenir contre lui et à la fois triste de la voir dans un tel état de souffrance intérieure. Il l'embrassa dans les cheveux, sans oser lui dire un mot, puis il l'avait emmenée chez Hermione. Cette dernière avait su la dérider avec un simple « bonjour ». Le black s'en alla, la mort dans l'âme, se maudissant de ne pas savoir quoi faire pour aider Luna.
A présent, roulant sur sa moto, il ne savait pas quoi faire. Il ne travaillait qu'à partir de juin, il ne voulait pas aller chez Isaline car il la dérangerait, il ne savait pas si Draco lui répondrait s'il l'appelait… En vérité, il était complètement pommé. Depuis que Draco avait quitté la maison de ses parents, Blaise se sentait perdu. D'autant plus que Narcissa ne cessait de l'appeler et, la seule fois où il lui avait répondue, elle l'avait presque suppliée de convaincre Draco de revenir.
Elle pleurait, au téléphone. Si au début sa voix était simplement pressante, elle n'avait pas tardé à se briser. Elle était malheureuse depuis que son fils unique avait quitté la maison, n'emportant que le strict minimum et après une dispute avec son père. Elle lui avait avoué que Lucius n'avait pas décroché un mot depuis que son fils était parti. Narcissa ne comprenait pas pourquoi il ne faisait rien, Blaise pensait, à juste titre, que Lucius avait conscience d'avoir blessé son fils et que le fossé qui s'était creusé entre eux au fil des années s'était tout à coup matérialisé. Blessé dans son orgueil, se sentant incompris et éprouvant le besoin d'être auprès d'Isaline et dans la maison de Harry, Draco était parti avec ses affaires personnelles. Acte d'arrogance, un peu puérile sur les bords, mais qui marquaient une sorte de rupture dans cette famille si peu fusionnelle, qui ne s'inquiétait jamais des allées et venues des autres, sauf au moment où le départ était définitif.
Blaise ne savait quoi penser de cette famille qui lui avait toujours parue normale mais dont les faiblesses lui sautaient à présent aux yeux. Le manque de preuves d'affection les avait éloignées les uns aux autres et cela avait été la goutte d'eau qui faisait déborder le vase : au moment où Draco était mal, vraiment mal, il avait fallu que son père enfonce le clou au lieu de l'aider à garder la tête hors de l'eau. Dans un sens, Lucius ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même, si son fils avait quitté la maison, s'il était capable de vivre seul, et s'il n'éprouvait qu'un attachement réduit pour sa maison et… pour ses parents. Qui restaient ses parents, mais qu'il n'avait pas besoin d'appeler ni de serrer dans ses bras pour se sentir bien dans sa peau.
En revanche, s'il avait un avis sur la relation de Draco avec ses parents, Blaise ne savait quoi penser de la situation de son meilleur ami. Bien qu'il n'en ait jamais parlé, car Draco était tout juste capable de faire tourner une machine et physiquement inapte à repasser une chemise, le blond avait toujours eu secrètement des envies d'autonomie. Son petit confort, et le fait qu'il soit du genre à vivre des histoires d'amour plutôt courtes, ne l'avaient pas poussé à quitter le domicile familial, mais Blaise savait qu'au fond de lui il aurait bien aimé vivre seul, surtout depuis qu'il connaissait Harry.
Un jour, alors qu'ils évoquaient ses moments d'intimité avec le tatoueur, le blond lui avait avoué que c'était parfois assez gênant de le faire. Ils le faisaient quasiment toujours chez Isaline car ils ne l'avaient pas sur le dos et Draco n'aimait pas vraiment le faire chez lui, car, étrangement, il trouvait ça plus gênant que Mr Dobby trouve ses draps souillés, qui devait sûrement le dire à sa mère, plutôt qu'Isaline qui, à sa plus grande horreur, l'avait déjà vu à poil en entrant sans toquer dans la salle de bain. Le fait que Draco lui raconte ce genre de détails et qu'il grimace un peu en évoquant ses parties de jambes en l'air dans sa propre chambre avait titillé Blaise, qui s'était vraiment rendu compte du besoin d'indépendance de son meilleur ami, de son envie d'avoir son propre logement pour accueillir Harry et ne pas supporter la présence de sa mère qui les attendait chaque matin au pied de l'escalier ou au garde à vous dans la salle à manger. Et faire l'amour à Harry seulement chez Isaline pourrait, selon lui, finir par la vexer.
Blaise, quant à lui, n'avait jamais vraiment songé à partir de chez lui car sa mère était trop protectrice pour le laisser partir dans la nature sans avoir un œil sur lui, et la seule chose qui pourrait la faire changer d'avis, ce serait soit une colocation avec Draco, soit une relation sérieuse avec une fille. Et à présent que Draco avait quitté la maison familiale, Blaise reconsidérait sa position et pensait que ce ne serait pas plus mal qu'il s'en aille aussi, bien qu'il doive encore et toujours dépendre de sa mère pour le loyer. Il pourrait alors inviter Luna chez lui, et quand leur relation irait plus loin quand ils passeraient par la case « lit », il n'aurait pas à payer une chambre d'hôtel pour le cacher à sa mère. Mais encore faudrait-il qu'Isaline n'accueillit pas Draco définitivement chez elle, et ça, en dépit de ce que pensait le blond, Blaise doutait que cela arrive. Il imaginait plus la patronne proposer à Draco de rester chez elle.
Mais ils n'y étaient pas encore. Pour le moment, Harry était à l'hôpital et Cédric en prison. Il était ou n'allait pas tarder à être transféré dans une prison. Neville l'avait appelé la veille pour le lui dire, Sirius étant venu les voir la veille. L'écrivain était parvenu à lui arracher des aveux et il lui avait raconté ce qui s'était passé, et en face, car il ne pouvait pas se permettre de lui en parler au téléphone. Abattu, le rouquin était resté silencieux et Neville, en dépit de ce qu'il ressentait, avait appelé certains amis pour leur parler de l'affaire. Sirius le lui avait demandé, s'il en avait la force, car il était épuisé émotionnellement et il n'avait pas la force d'en parler au téléphone.
Neville avait appelé Blaise et Cho. Il avait préféré éviter d'appeler Luna, jugeant qu'il valait mieux que quelqu'un lui en parle face à face. Il n'avait pas appelé Théo non plus, pour les mêmes raisons, d'autant plus que lui avait vu Harry sauter, donc le choc serait plus dur pour lui. il s'était contenté d'appeler les deux premiers, la gorge nouée et les larmes au bord des yeux. En réalité, Neville avait d'abord appelé Olivier, mais comme il n'était pas là, Cho lui avait répondu, et comme la chinoise l'avait menacé des pires sévices s'il ne lui disait pas ce qu'il comptait raconter à Olivier, Neville avait capitulé et lui avait dit tout ce qu'il savait. Autant dire qu'elle s'était effondrée, en larmes, et qu'elle s'était mise à gueuler en chinois ce qui devait être des insultes. Puis, une heure plus tard, le jeune homme, à peu près remis, s'était décidé à appeler Blaise, qui ne s'était pas effondré au téléphone mais qui avait cependant mal caché la souffrance qui avait perturbé son cœur.
Le black avait mal au cœur. L'idée que Harry ait passé plusieurs jours en pensant que sa mère et son amoureux soient morts, dans la situation où il était, avait rempli Blaise d'un étrange sentiment, entre amertume, colère, et tristesse. Cela avait été comme si son cœur, soudain transformé en pierre, était tombé dans son estomac. Il avait alors pensé à Draco, essayant de l'imaginer en apprenant la nouvelle. Et Blaise avait eu beau l'appeler, il n'avait pas réussi à le joindre. Il avait envoyé des SMS un peu à tout le monde, cherchant à savoir si le blond était chez quelqu'un, seul Seamus lui avait répondu. Dans la matinée, Blaise lui avait renvoyé un message, pour savoir si son meilleur ami était chez lui. L'irlandais lui avait répondu qu'ils l'avaient ramené chez Isaline. Le black lui avait alors demandé s'il était au courant, pour Harry. La réponse était oui.
Blaise ne savait pas quoi faire. Devait-il aller chez Draco, ou bien rentrer chez lui ? Le fait était qu'il avait besoin de voir le blond. Il avait besoin de le voir, de le prendre dans ses bras, de savoir comment il allait. Alors, au final, Blaise changea de direction : au lieu de rentrer, il se dirigea vers la boutique d'Isaline. Connaissant plutôt bien le chemin, depuis le temps, il ne tarda pas à arriver devant la porte d'entrée de la maison, de l'autre côté de la rue. Il gara sa moto devant la porte du garage, mit l'antivol, puis se présenta à la porte où il sonna.
Les secondes furent des heures pour Blaise. En général, on venait lui ouvrir tout de suite, mais peut-être que la peur qu'on ne lui ouvre pas ou qu'on lui claque la porte au nez l'effrayait-il tant que l'attente, pourtant courte, lui paraissait interminable. Finalement, le verrou fut tourné et le visage de Draco lui apparut. Soulagé, Blaise esquissa un sourire jovial, qui lui fut rendu pauvrement.
Blaise ne montra absolument rien. Mais quand il vit Draco, il fut réellement capable de comprendre à quel point son ami était dévasté par la tentative de suicide d'Harry.
Fini, les fringues de luxe, les pantalons si bien ajustés qu'on les croirait dessinés pour lui, les chemises et les ceintures hors de prix. Finis, les cheveux impeccablement coiffés. Draco avait mis tout ça au placard. Il portait un pantalon tout ce qu'il y avait de plus simple, qu'il avait très certainement dû prendre à Harry, ce qui n'était pas faux, même s'il était étonnement bien coupé quand on savait à qui il appartenait, ainsi qu'un tee-shirt noir. Il avait le teint pâle et des cernes sous les yeux, et l'air fatigué. Il était à peine coiffé. Draco était débraillé, tout simplement, ce qui lui arrivait trop rarement. Et le voir ainsi remua quelque chose en Blaise.
« Bonjour, Dray. Je ne te dérange pas ?
- Jamais. Entre. »
Blaise s'exécuta sans se faire prier. Il retira ses chaussures et sa veste, puis suivit Draco dans la chambre d'amis. Blaise fut un peu étonné que le blond ne l'emmène pas à l'étage ou bien dans le salon, mais il ne fit aucune remarque. De toute façon, son ami ne tarda pas à se justifier : Isaline dormait, ou plutôt cuvait, dans le salon, et quand il était venu s'installer, il n'avait pas osé mettre un pied dans la chambre de Harry.
« Donc tu t'es installé dans la chambre d'amis. »
La pièce n'était pas bien grande. Il n'y avait qu'un lit simple, un bureau et une commode. Le papier peint bleu était un peu passé et le plafonnier banal devait diffuser le soir venu une lumière tamise et douce. Il avait cru apercevoir une poignée de valise sous le lit, et sur le bureau, un entassement de livres, cahiers et autres affaires personnelles ou d'études. Ça changeait beaucoup de son ancienne chambre, bien plus spacieuse et pleine d'affaires bien rangées.
« Oui.
- C'est pas un peu petit ?
- La chambre de Harry n'est guère plus grande. Mais c'est plus supportable quand il est là. Je me sens un peu à l'étroit, c'est vrai.
- Et comment va Isaline ? Lui demanda Blaise en s'asseyant sur le lit tandis que Draco s'installait sur la chaise du bureau.
- Pas très bien. Elle attend que ça se passe. Mais j'ai l'impression qu'elle est un peu plus calme depuis que je suis ici. J'ai vu Nymph' juste avant que tu n'arrives et elle avait l'impression qu'Isaline allait un peu mieux. Enfin c'est vrai qu'elle se lève un peu plus et que je la fais manger, mais elle déprime toujours autant.
- Et toi, comment ça va ? »
Silence. Draco n'allait pas bien et ça se voyait aussi bien sur son visage que sur son allure. Le blond lui dit qu'il avait passé la soirée de la veille avec Théo et Seamus. Blaise ne put empêcher d'éprouver un élan de jalousie à l'idée que Draco n'ait pas passé la soirée chez lui, alors qu'il savait très bien que Draco l'avait appelé et qu'il n'avait pas répondu. Il écouta sans dire grand-chose le récit de son meilleur ami qui lui parlait de sa détresse, lui avouant qu'il avait craqué devant les deux colocataires et qu'il avait dormi chez eux. Cependant, le black haussa un sourcil méfiant quand Draco lui parla de Seamus.
« Tu as laissé Seamus te prendre dans tes bras et te réconforter ?
- C'était différent, Blaise. Il n'y avait pas d'ambigüité. Il n'a pas eu de gestes déplacés…
- C'est ton ex, Dray ! Et Harry…
- Seamus n'est pas du tout intéressé par moi, contra Draco.
- Putain Draco, tu faisais la gueule à Harry quand Seamus l'approchait et là, tu le laisses te prendre dans tes bars et… »
Le blond poussa un soupir las. Blaise avait conscience qu'il avait manqué un épisode.
« Blaise, avant cette nuit, j'ai déjà parlé avec Seamus. Et on va dire qu'il a quelqu'un d'autre que moi et Harry en tête.
- Et qu'est-ce qui te dit qu'il est honnête et que ce n'est pas une autre manière de t'approcher ?
- Je ne peux pas t'en parler, c'est personnel… J'ai d'excellentes raisons de croire qu'il ne me ment pas. J'en ai reparlé avec lui ce matin.
- Il vit encore une histoire tumultueuse ? Demanda Blaise, perplexe.
- Disons qu'il est encore amoureux de l'impossible. Enfin c'est un peu compliqué. Mais Seamus a l'air assez sérieux, et mal dans sa peau.
- C'est si impossible que ça, pour lui ?
- Disons que j'ai deviné de qui il s'agissait et j'ai eu la confirmation ce matin. Il n'a pas le courage d'aller le voir. Tu sais bien que Seamus est incapable de créer de lui-même des relations stables et sérieuses…
- Sérieuses, oui, stables, j'en doute, en effet. Enfin, je te fais confiance, mais ne viens pas pleurer si…
- Quand Harry se réveillera, il aura d'autres soucis que de savoir qui m'a réconforté, Blaise, grinça le blond.
- Oui, excuse-moi. »
Le visage du blond s'était assombri. Draco n'avait commis aucune faute et il avait d'autres soucis en tête que de tromper, même de façon indirecte, son petit ami, qui lui-même porterait bien peu d'attentions à ce genre d'évènements. Harry n'était pas de nature jalouse et il avait toujours su faire la part des choses. C'était Draco qui avait toujours eu du mal et qui avait développé une sorte de jalousie assez présente et intense depuis qu'il sortait avec le tatoueur.
C'était étrange de penser à Seamus, à sa relation avec Draco, à sa jalousie et à son attirance pour Harry, alors que ce dernier était hospitalisé et que le premier était devenu au fil du temps un membre de leur groupe d'amis. Tant de choses avaient changé depuis le début de l'année, depuis que Harry était entré dans leur vie…
« Sirius nous a parlé des aveux de Cédric. Tu sais ce qu'il en est de ses acolytes ? »
Bien sûr qu'il était au courant. Cédric était venu en France accompagné de trois personnes : deux anciens camarades de prison et le cousin de l'un d'eux. Ils l'avaient suivi par amitié ou fidélité. Cédric leur avait promis de l'argent. En dépit des interdictions, les deux tolards ayant fait pire que de séquestrer quelqu'un, donc le voyage et leur tâche ne leur faisaient pas peur. L'un d'eux lui avait donc prêté la maison dans laquelle il vivait avant de quitter la France pour l'Angleterre et qu'il n'avait pu se résoudre à vendre. Il n'avait apparemment eu aucun problème moral quand le problème du logement s'était posé.
Apparemment, ils n'avaient jamais vraiment fait preuve de violence envers Harry. Cédric refusait qu'ils le touchent. Ils se contentaient de lui gueuler dessus quand le tatoueur leur prenait la tête ou bien de lui saisir le bras, par exemple, quand il faisait de la résistance et voulait sortir. Ce n'était pas vraiment le cas de Cédric, en revanche. Ses trois acolytes ne cachèrent pas la violence de l'ancien prisonnier à l'encontre du tatoueur, et bien qu'ils n'aient pas dit grand-chose quand il avait eu l'idée de donner un journal avec une fausse Une à Harry, ils n'approuvaient pas du tout le tournant que prenaient les choses. La seule preuve de bon sens qu'ils avaient manifestés, ce fut quand l'un des anciens tolard tenta de retenir Harry, quand il voulut sauter. Devant les policiers, il craqua et avoua qu'il s'en voulait de ne pas avoir pu le retenir. Il revoyait encore son corps allongé sur le béton.
Et ses ailes, dans le dos, quand il tombait…
Ces ailes tatouées sur ses omoplates et qui glissaient le long de son dos, demeurant recourbées derrière lui, au lieu de se déployer…
« Et qu'est-ce qu'ils risquent ?
- Oh j'en sais rien, j'y connais rien. Demande à Hermione, elle saura te répondre. Mais ils ont participé à l'enlèvement, à la séquestration… Ils risquent gros. Ce sera pire pour Cédric, évidemment.
- Il n'a pas encore essayé de se suicider, celui-là ?
- Draco !
- Il l'a bien fait pour attirer l'attention, il y a quelques mois, non ?
- Il sera jugé…
- Et relâché un jour ou l'autre. Une pourriture pareille… »
Blaise faillit lui dire que ce n'était pas à lui d'en juger, mais il se retint, sinon Draco allait se mettre en colère, ce qui serait compréhensible. Il changea donc de sujet, lui parlant de Luna qui était arrivée en Angleterre le jour même. Peu à peu, Draco se détendit.
Ils passèrent la journée ensemble dans la chambre, puis, vers cinq heures, Blaise s'en alla. Il ne vit pas Isaline et en fut soulagé : elle devait être dans un sale état et elle n'aurait sans doute pas aimé que quelqu'un extérieur à sa famille la voit dans un état si lamentable.
OoO
Elle s'appelait Carlotta Oran. Âgée de 44 ans, c'était l'infirmière qui s'occupait de Harry. En vérité, il n'avait pas vraiment d'infirmière attitrée pour sa chambre, mais Rémi lui avait demandé de s'occuper de ce patient et de prendre soin de lui. Carlotta était ce qu'on pouvait appeler sa « meilleure amie du travail ». Oh, il s'entendait bien avec d'autres collègues, très bien même. Mais dès qu'il était entré dans cet hôpital, la femme l'avait pris sous son aile, et une fois qu'il fut passé titulaire, elle continua à le considérer comme un petit jeune. Ainsi, quand Rémi lui avait demandé de prendre soin du jeune Potter, elle n'avait pu lui dire non.
Carlotta avait divorcé de son mari qui, après avoir perdu son emploi, avait préféré sombrer dans l'alcool plutôt que de chercher un autre travail, selon l'infirmière, qui avait préféré élever seule ses deux enfants plutôt que de supporter l'humeur de chien de son mari, ses cuites et tout l'argent qu'il dépensait à occuper ses journées. Née à la campagne et femme de caractère, elle portait un amour incommensurable à ses enfants, prenant le rôle à la fois de mère et de père. Elle avait donc imaginé sans mal la détresse de Rémi quand il avait dû gérer tout seul son fils de 11 ans, en plus de son propre mal-être. Elle avait vécu ça, car en dépit de sa rancœur pour son mari qui ne fit rien pour arranger sa situation, elle l'aimait, et se retrouver du jour au lendemain seule avec ses deux mômes avait été compliqué aussi bien pour elle que pour eux. Elle avait donc toujours relativisé la crise d'adolescence d'Allan, bien normale vu son âge et sa situation familiale.
Les choses ne pouvaient guère s'arranger avec les tentatives de Rémi de se remettre avec une femme. Allan ne pouvait pas accepter aussi facilement que son père remplace sa mère par quelqu'un d'autre, qui finirait, soit par être une autre mère pour lui, ou bien une ennemie. En somme, cette nouvelle compagne devenait une menace pour lui. Carlotta était donc persuadée que l'entente cordiale entre Allan et Isaline, la dernière petite amie en date du médecin, ne durerait pas longtemps. Quelle ne fut pas sa surprise quand elle constata que, non seulement l'idylle de Rémi durait, mais en plus qu'Allan semblait très satisfait de cette situation.
L'infirmière avait eu l'occasion de la rencontrer, à l'hôpital. Isaline et Rémi devaient dîner ensemble et elle était venue le chercher à l'hôpital en métro. Elle l'avait attendue dans le hall d'entrée et lui avait presque sauté dessus quand il était arrivé, rhabillé en civil, en compagnie de l'infirmière. Les joues du médecin avaient viré au rouge : il comptait s'habiller plus convenablement chez lui et, manifestement, il avait été très surpris de la voir là. Délicieusement embarrassé, il l'avait présentée à l'infirmière, qui n'avait su quoi en penser : en soit, son allure un peu débraillée ne l'ennuyait pas, mais le fait qu'elle soit tatoueuse biaisait son jugement. Mais sa politesse, son sourire, sa façon de lui parler avaient eu raison de ses doutes. Carlotta n'était pas conquise, mais elle avait sentit que cette femme n'était pas là parce que Rémi avait une bonne situation, parce qu'il était amoureux et donc un peu naïf, parce que c'était une séductrice.
Au final, ils étaient partis dîner tous les trois. Et Carlotta avait passé une excellente soirée. La meilleure, depuis qu'elle avait rencontré l'avant-dernière petite-amie de Rémi, une femme de 33 ans très gentille mais qui rêvait de fonder une famille. Non pas que Rémi fut contre, il aimait les enfants et il avait toujours voulu en avoir un second, mais Allan ne supportait pas l'idée que cette femme, qu'il n'aimait pas, pénètre dans leur vie par l'intermédiaire d'un enfant. Trop gentille, trop douce, trop bienveillante, elle avait essayé d'apaiser les tensions en prenant le rôle de la mère, alors que, manifestement, Allan ne voulait pas qu'on prenne la place de Ségolène.
Isaline, elle, avait agi autrement. Elle avait su trouver le juste milieu : elle ne s'immisçait pas dans leurs affaires de famille et savait être présente pour Allan sans pour autant se comporter comme une mère. Et Carlotta avait compris qu'elle avait su bien se comporter avec Allan en partie parce qu'elle avait su rester jeune dans sa tête, ayant élevé un enfant seule et vieillissant en même temps qu'il murissait. A l'issue de cette soirée, elle avait donc éprouvé une sorte de tendresse pour cette femme qui parvenait à rendre Rémi heureux, sans bousiller ses relations avec son fils et en l'aimant pour ce qu'il était : un médecin divorcé un peu coincé au lit et réservé au naturel, père d'un fils qu'il élevait seul.
Autant dire que voir cette femme souriante aussi effondrée l'avait ébranlée. Rémi était très affecté par ce qui s'était passé : assis à une table dans la salle de repos, il lui avait avoué beaucoup apprécier ce garçon si gentil qui avait été le premier à l'accueillir dans la famille d'Isaline, et que cette dernière considérait comme son fils. Harry avait pris une grand place dans la vie de Rémi Petit et de son fils, et le savoir touchait plus Carlotta qu'elle ne l'aurait cru. Elle n'avait donc pas pu dire non à Rémi quand il lui avait demandé de s'occuper personnellement du jeune homme.
Mais la situation ne s'améliorait pas vraiment. Carlotta était optimiste : son état n'empirait pas, c'était déjà une très bonne chose. Mais le fait était que Harry avait une jambe de défoncée, un bras cassé, une minerve autour du cou et le corps recouvert de bleus. Il était salement amoché. Cela dit, il était vivant et les séquelles qu'ils subiraient plus tard concerneraient très certainement uniquement sa jambe. On ne pouvait malheureusement pas en dire autant de son moral, qui en prendrait un sacré coup, même avec l'aide de sa famille et de son petit-ami, qui venait tous les jours le voir.
Tous les jours, elle voyait ce jeune homme blond aux yeux cernés rendre visite à Harry. Beau comme le jour, il venait quasiment à chaque fois à la même heure et restait un long moment dans la chambre du jeune homme, et quand il en sortait, Carlotta ne savait pas s'il se sentait mieux ou non. Sachant que c'était elle qui s'occupait de lui, le blond lui adressait un signe de tête à chaque fois qu'il la voyait, et parfois, quand il en avait le courage, il venait voir l'infirmière pour lui demander comment allait Harry. Et elle ne pouvait que lui dire que son état était stable. Carlotta se sentait impuissante, mais elle ne pouvait guère faire plus.
A présent, elle se trouvait dans la chambre du jeune homme. Elle savait que le joli blond n'allait pas tarder à venir et elle se doutait qu'il allait lui demander pour la énième fois comment son petit-ami allait. Elle ne savait quelle réponse lui donner. Ce qui l'embarrassait, surtout, c'était que ni le jeune homme, ni la tatoueuse ne la choppaient dans un couloir pour la harceler de questions. Ils étaient plus délicats. Le joli blond, surtout.
Harry lui faisait de la peine. Le visage blafard, le cou enserré dans une minerve, son bras et sa jambe emplâtrés, on aurait dit un oiseau blessé. Un oiseau qui avait sauté de son nid mais qui n'avait pas su prendre son envol, se brisant une aile et une patte dans sa chute. Ou, plutôt, on lui avait retiré ses ailes. Ses deux ailes. Draco et Isaline. Alors, quand il avait sauté, dépourvu de ce qui lui permettait de vivre, il s'était écrasé, désespéré.
Pauvre petit oiseau…
Carlotta, comme pour le consoler, ou se consoler peut-être, lui prit la main. Sa peau était douce, ni chaude ni froide, juste tiède. Elle était assise près de lui, les yeux rivés sur son visage calme, blessé par un œil au beurre noir et une lèvre éclatée, le front dégagé par le rasage de ses cheveux sur le côté droit du haut de son crâne. Une cicatrice en forme d'éclair se dessinait alors son front, la narguant à chaque fois qu'elle venait le voir : Rémi lui avait dit que c'était la seule séquelle physique qu'il avait eu de l'accident de voiture qui avait tué ses deux parents. Triste péripétie de sa vie, première d'une longue série…
On avait retiré ses piercings aux oreilles, aussi. On avait rasé sa barbe naissante. Nul doute qu'on finirait par lui raser la tête aussi, quand sa blessure cicatriserait et qu'il n'aurait plus besoin de bandage.
Pauvre garçon, songea-t-elle en lui caressant la main.
Une main qui, soudain, serra légèrement la sienne.
Cette sensation la paralysa. Telle une statue, elle ne bougea pas d'un pouce, jusqu'à qu'elle sente à nouveau cette légère étreinte, à peine perceptible. Elle riva ses yeux sur le visage endormi du malade. Elle vit ses paupières se plisser, un peu comme s'il avait envie de les ouvrir, mais sans y parvenir pour autant. Elle attendit, lui caressant toujours la main, les doigts du jeune homme les lui serrant, puis les relâchant. Il ne se réveillait pas. Ou, peut-être l'était-il, mais il n'avait pas la force de le faire.
Au bout de quelques interminables minutes, comprenant qu'il était conscient mais encore trop faible pour le témoigner autrement que par cette brève étreinte, Carlotta sortit de la chambre et fila dans ses vestiaires. Elle aurait pu aller à l'accueil mais ce fut plus rapide de se cacher dans cette pièce, ouvrir son placard, allumer son portable et appeler Isaline chez elle.
Elle ne lui répondit pas. Ce fut le joli blond qui le fit. Quelques minutes plus tard, l'infirmière fut à nouveau dans la chambre de son patient, lui tenant la main. Il la serrait toujours.
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Isaline était partie avec Sirius se balader. C'était la première fois depuis l'enlèvement de Harry qu'elle lui proposait une sortie. Il était venu la chercher, incertain, et il était reparti avec le sourire. Elle ne se sentait pas très bien, se remettant de son ivresse de la veille, et à peine était-il arrivé qu'elle avait exigé un câlin. Puis, la patronne était partie à son bras. Draco les avait regardés partir, attendri. Elle semblait aller un peu mieux depuis qu'il était là, et il mettait ça sur le fait qu'il la forçait à manger à des heures plus régulières, et qu'elle ne pouvait se permettre de dévaliser sa réserve d'alcool alors que Draco était dans le coin et qu'il allait nettoyer les dégâts.
En fait, elle avait vomi le jour où le blond était arrivé chez elle. Et elle avait été tellement horrifiée quand elle avait compris qu'il avait lui-même nettoyé les toilettes souillées qu'elle avait cessé de boire autant. S'il avait su que c'était si simple de la faire arrêter de boire, il serait venu plus tôt… D'ailleurs, Nymph' avait été hallucinée quand il lui avait raconté ça : elle ne s'était jamais permise de nettoyer car, à chaque fois qu'elle nettoyait quelque chose dans cette maison, Isaline l'engueulait. Elle faisait partie de ces mères qui refusaient que leurs enfants nettoient leur maison, ils auraient bien le temps de le faire quand ils en auraient une. Si elle avait su, elle les aurait nettoyés, ces chiottes…
Après le départ d'Isaline, Draco était allé dans la chambre qu'il s'était attribué et avait lu un peu dans son lit. Il mourrait d'envie de monter à l'étage pour aller se coucher dans le lit de Harry, calant les oreillers contre son dos et s'enveloppant dans sa couette, mais l'idée d'entrer dans cette pièce sans lui, lui donnait des frissons. Puis, le téléphone avait sonné. Il était allé répondre et une voix inconnue lui avait demandé si Isaline était là. Elle s'était ensuite présentée : Carlotta Oran. L'infirmière. Inquiet, il lui avait demandé ce qui se passait, vu comme sa voix était pressante.
« Votre ami m'a serré la main. Je la tenais toute à l'heure et il me l'a serrée, à plusieurs reprises. Je vais appeler Rémi pour être sûr de son état, mais je voulais appeler d'abord Isaline. »
Le cœur au bord des lèvres, Draco lui avait promis d'appeler la tatoueuse avant de raccrocher. Il avait ensuite couru dans sa chambre pour prendre son portable mais Isaline ne répondait pas : son téléphone était éteint. De même que celui de Sirius. Il laissa un message sur les deux portables, puis mis ses chaussures, sa veste, et monta dans la voiture de la patronne, roulant en direction de l'hôpital.
Ses mains moites tremblaient sur le volant. Il était stressé comme jamais, plein d'espoirs et terrifié à l'idée que tout ceci soit faux. Le voir éveillé, ce n'était même pas ce qu'il voulait : tout ce qu'il souhaitait, c'était sentir ses doigts se resserrer autour des siens. Il lui avait tant de fois tenu la main sans que jamais Harry ne réponde à son étreinte… Ses doigts le démangeaient, il ne rêvait que du moment où ils toucheraient ceux de son petit ami.
Il arriva à l'hôpital à une vitesse record. Il se gara comme un sagouin puis entra dans l'hôpital, montant les étages jusqu'à celui où se trouvait la chambre de Harry. Il y entra et y trouva Rémi, dos à lui, assis sur la chaise près du lit. En entendant la porte s'ouvrir, le médecin se tourna vers le visiteur et lui fit un sourire. Soudain intimidé, n'osant y croise, Draco s'avança vers lui.
« Tu as appelé Isaline ? Lui demanda-t-il en se levant.
- Oui, mais elle ne répond pas. J'ai laissé un message. »
Ses yeux étaient rivés sur Harry qui dormait, comme toujours, sur son lit. Trop blanc, trop bandé, trop plâtré…
« Je pense qu'il a repris conscience. Il est faible et il ne va sans doute pas se réveiller tout de suite. Mais c'est déjà un bon début. Assis-toi, je t'en prie. Je te laisse seul avec lui. Appelle-moi si tu as besoin de quoi que ce soit. »
Et Rémi sortit, alors que Draco prenait place près du lit. Le blond prit délicatement la main de Harry dans la sienne et caressa sa peau froide. Aussitôt, il sentit les doigts du brun se resserrer, très légèrement, sans aucune force ni conviction, mais ils bougeaient. Il n'entendait peut-être pas, il ne sentait peut-être pas sa présence, mais il serrait ses doigts.
Il était vivant.
Et ce constat le bouleversa. Il sentit les larmes lui monter aux yeux mais il ne pleura pas. Il se sentait soulager, revivre.
Harry allait bien.
Il leva les yeux de leurs mains liées au visage de Harry. Comme Carlotta l'avait rapidement évoqué au téléphone, ses paupières avaient tendance à se plisser, comme s'il voulait ouvrir les yeux, mais il ne semblait pas encore prêt à y parvenir. Draco trouva quand même assez bizarre que ses paupières se plissent autant, par à-coup, si manifestement il n'était pas capable de se réveiller. Il attendit de longues minutes, tenant au chaud la main libre de Harry, l'autre étant à demi emprisonnée dans un plâtre, regardant son visage.
Et ses paupières qui, soudain, se plissèrent vraiment.
Il luttait pour ouvrir les yeux.
Son cœur battait à la chamade dans sa poitrine et l'émotion le bouleversait. Son visage de marbre, mangé par le masque à oxygène, perdait enfin cette neutralité qui lui bouffait le ventre depuis des jours et des jours. Harry essayait d'ouvrir les yeux. Ce qui signifiait qu'il l'entendait… Qu'il savait qu'il était là… Draco aurait dû l'encourager, lui parler, mais sa gorge était trop serrée pour qu'il soit capable d'émettre le moindre son…
Et soudain, le miracle eut lieu.
Les paupières de Harry se soulevèrent, et il se réveilla.
Ses yeux verts lui furent enfin révélés, des yeux verts endormis, incertains, ouverts dans le néant. Un bonheur indescriptible lui réchauffa tout le corps tandis que l'idée qu'il soit amnésique lui tordait les entrailles, des larmes de soulagement montant à nouveau à ses yeux.
Les yeux du jeune homme bougèrent, allant à droite, puis à gauche. Et ils tombèrent sur lui.
Ils n'eurent aucune expression. Absolument aucune.
Puis, une larme coula sur sa joue. Et puis une autre, et encore une autre.
Harry, les yeux embués de larmes, le regardait, aucune expression ne pouvant se former sur son visage rigide, comme si rien, absolument rien n'aurait pu exprimer mieux ce qu'il ressentait à cet instant que ces larmes qui coulaient sur ses joues.
Alors les vannes furent ouvertes, et Draco se mit à pleurer aussi, sans jamais le lâcher du regard. Il porta sa main à sa joue et le pouce de Harry tenta de caresser sa peau, mais il ne parvint à bouger que de quelques millimètres.
« Tu es réveillé… »
Les larmes coulaient sur ses lèvres, salées, dégoulinant vers son menton.
« Il t'a menti… »
Il eut l'impression que les yeux de Harry se troublèrent, soudain.
« Je suis vivant… Isaline aussi… »
Draco ne pouvait plus s'arrêter de parler. Harry le regardait, l'entendit, le touchait…
« Je t'aime… »
Alors Harry ferma les yeux, comme si c'était trop douloureux de le regarder, ou bien était-il simplement fatigué. Draco se pencha vers lui, tenant toujours sa main contre sa joue, et effleura de ses lèvres sa joue. Léger mouvement de son pouce, contre sa peau. Il l'embrassa. Ses doigts appuyant un peu.
Harry était toujours conscient, juste fatigué. Il voulait surement économiser ses forces. Mais il ne resta pas longtemps réveillé. Draco lui parla à l'oreille, y glissant tous les mots d'amour qu'il connaissait, Harry manifestant aussi longtemps qu'il le put son réveil. Puis, ses doigts cessèrent de bouger. Il s'était endormi.
Et Draco demeura à demi allongé sur lui, sanglotant, libéré de l'angoisse et de la peur, le sol redevenant stable sous ses pieds…
Merci de m'avoir lue ! J'espère que ça vous a plu !
