Bonjour ici !
Un peu plus tardivement qu'à l'habitude, voici le chapitre 11
Mon rythme de publication sera sûrement plus lent à l'avenir, mais je ferai de mon mieux pour ne pas laisser trop d'attente :)
Sur ce, bonne lecture !
Chapitre 11
Dame Yukari rappela les consignes, pour, probablement, la millième fois de la soirée. A sa table, Otsu souriait toujours, de ce petit sourire, à la fois timide et mutin, qui plaisait tant à ses clients, et qui à force lui faisait terriblement mal aux joues.
Une semaine que le caporal l'avait choisi comme favorite, et la nouvelle depuis, s'était répandu comme... Comme se répandent toutes les rumeurs à l'Oeillet, en fait. Presque sans un bruit, insidieuses et reptiliennes.
Depuis, Otsu n'avait plus un instant pour elle sitôt l'Etage Privé ouvert.
Certains des clients les plus répugnants, ou les plus avides (ce qui, souvent, allait de pair), et ils étaient nombreux, se bousculaient presque pour jouir de sa compagnie, elle, que le plus grand soldat de l'humanité honorait de ses faveurs.
Ils voulaient tous la voir, effleurer sa peau, goûter ses lèvres, se lover entre ses cuisses, comme lui le faisait. Mais la plupart d'entre eux ne voyaient pas Otsu, ils ne voyaient pas la professionnelle du salon de thé, ils ne voyaient que la courtisane du héros, son objet de plaisir personnel.
Se seraient-ils jetés avec la même ferveur sur ses bottes maculées de boue et de sang, Otsu était à deux doigts de le parier. Le caporal suscitait après tout bien des sentiments, de l'admiration à la plus extrême adoration. Otsu le savait, l'humanité engendrait ses propres monstres, et il y avait bien quelque chose de monstrueux dans le comportement des plus fanatiques. Certains vénéraient les murs. A une époque, d'autres glorifiaient les Titans. Maintenant, les plus faibles d'esprits se trouvaient des idoles parmi les soldats, divinités accessibles, concrètes, que l'on pouvait honorer de bien des façons.
Payer pour être le premier à répandre sa semence derrière le caporal chef devait être une de ses prières d'un nouveau genre, à en croire Monsieur. Car depuis qu'il s'était aperçu de l'engouement palpables chez quelques clients, anciens comme nouveaux, pour la petite Otsu, il était bien décidé à en tirer profit autant que possible.
Elle n'était plus vierge, sa récente recrue, mais qu'à cela ne tienne, il la vendrait aux enchères, tout comme si.
Alors, depuis une semaine, le « carnet de bal » de la jeune femme ne désemplissait plus. Monsieur faisait en plus jouer les enchères en précisant qu'il n'y avait pas de dates d'échéance. Le plus gros payeur serait tout simplement prévenu par coursier dès la venue du caporal chef. Ainsi, il n'aurait plus qu'à attendre son tour, pour passer sitôt derrière lui. Et peu importait qu'Otsu n'ait rien fait avec Livaï, ça, les clients n'avaient pas à le savoir.
Difficile alors pour la jeune femme de remplir son nouveau rôle d'espionne. Elle essayait, chaque soir, de guetter une information, un détail, quoi que ce soit qui satisferait son employeur. Il y en avait pourtant, des ragots diffamatoires, des anecdotes écœurantes et parfois criminelles
Mais comment trier le grain de l'ivraie ? Smith serait-il vraiment intéressé par les tortures infligées aux serviteurs en guise de punition, ou de divertissement ? Se souciait-il du commerce de viandes rares au marché noir, où de la récente guerre que se menaient deux modistes pour avoir choisis le même tissus carmin ?
Ce n'était sûrement pas pour ce genre d'informations qu'il l'avait fait recruter...
Et maintenant que de nouveaux clients se bousculaient pour un moment en sa compagnie, Otsu ne pouvait pas laisser ses oreilles traîner et sa concentration s'égarer vers ses sœurs et leurs tablées.
Cela dit, elle y trouvait une certaine tranquillité.
Plus d'alcôve pour elle, comme le stipulait Dame Yukari à tous ceux qui se pressaient pour la voir. Ni de contact trop intime. Une caresse sur les mains, sur le visage, mais certainement pas plus bas. Pas de baiser, ni même de mots doux. Il s'agissait seulement de faire connaissance, officiellement, et pour Otsu, de faire monter son prix.
Une épaule dénudée dans un geste malheureux, ça arrivait après tout. Et si certains hommes repartaient, les joues un peu échauffées et les yeux brillants, ce n'était que parce qu'ils s'étaient mépris sur le sens de ses paroles. Un regard brûlant, une lèvre sucée entre les dents, discrètement, loin des yeux de Dame Yukari, et le client repartait en surenchérant. Et la maquerelle de sourire à sa fille, si prompte à suivre ses consignes.
Depuis une semaine, Otsu maudissait Livaï, le salon de thé, les clients, et sa propre personne.
Quand la soirée s'acheva, la jeune femme ne sentait plus ses joues, son haleine avinée faisait briller ses yeux, et du coton lui emplissait le cerveau. Toutes ses conversations futiles l'abrutissaient.
De retour dans sa chambre, la jeune femme sortit le petit carnet où elle notait ce qui parvenait à son ouïe chaque soir. Elle s'était creusé la tête, avait fouillé sa mémoire, pour noter aussi tout ce qu'elle avait entendu depuis son arrivée à l'Oeillet.
En se vidant ainsi la tête, la brune pouvait à loisir observer de loin toutes ces paroles éparses, raviver les regards et les rires. Il y en avait peu toutefois, de ces morceaux de conversations, tirés de leur contexte et qui probablement n'avaient pas la moindre importance.
Otsu, comme chaque soir relut ses notes.
Querelles entre deux modistes
Cachot chez le couple qui vient voir Hono une semaine sur deux – Quelle utilité ?
Commerce viandes rares
Tournois chez Jails
Vols de bijoux chez Haroun
Tortures pour punir les serviteurs ou s'amuser
Cette dernière aurait pu l'interpeler plus que les autres, mais non, ce n'était pas le cas. Pas celle là.
Commerce de viandes rares.
Otsu venait de Shiganshina, pour elle, toute viande était rare. Elle n'en mangeait pas d'ailleurs, même si on en servait à l'armée et au salon de thé, la brune ne s'était tout simplement jamais accommodé au goût, et à la lourdeur dans l'estomac, après.
Mais pour ces riches nobles et bourgeois, qu'est ce que c'était, une viande rare ?
En fait, plus elle y pensait, jour après jour, et plus Otsu sentait que quelque chose n'allait pas. C'était une pierre dans son ventre. Ses yeux, indépendants de ses pensées, qui ne cessaient d'y retourner. Ses doigts qui tapotaient tout ce qu'ils trouvaient, à chaque fois que son esprit ressassait ces quatre mots.
Otsu ne pouvait pas s'y tromper, son instinct lui soufflait que c'était là qu'il fallait creuser en priorité. Mais pour l'instant, elle ne pouvait rien faire. Ce n'était pas ses clients qui s'étaient un jour égarés dans cette discussion, mais ceux de Emi... Toutefois, la jeune femme n'était pas totalement sans ressource. Otsu avait capté, plusieurs fois, les regards furtifs de l'un d'eux lorsqu'elle accueillait un nouveau client venu tâter la marchandise. Ce serait peut-être là, sa solution.
Le jour suivant, elle demanda à Emi une nouvelle danse, quelque chose de langoureux, voir même, d'érotique, qui pourrait plaire au caporal-chef. Cette demande surprit toute la maisonnée, et la réjouit encore plus. Enfin, Otsu semblait prendre à cœur son rôle de favorite d'un si grand héros.
Immédiatement, Emi lui mit un éventail dans une main, et lui montra une chorégraphie qui avait toujours fait merveille lorsqu'elle la présentait. La danse obligeait les deux courtisanes à se tenir très proches l'une de l'autre. Entre chaque consigne, Otsu pouvait laisser librement s'échapper ses murmures, à l'abri dans la bulle que formaient leurs deux corps.
« Merci de m'aider Emi.
- Me remercie pas. C'est un cadeau empoisonné que je t'offre là. Je serai contente quand ton petit caporal te sera tombé entre les cuisses, mais on sait bien ce qu'il va t'arriver après.
- Haha, j'imagine que c'est ça, le revers de la médaille ? Mais tu sais, je ne me plaindrai pas si le client suivant est plaisant...
- Tiens donc ? Et tu en as remarqué un ?
- En fait, oui et non... »
Otsu se tût à cet instant, fit mine de se concentrer sur ce mouvement qui dévoilait un peu plus que la cheville tout en cachant la poitrine avec l'éventail, et qui, à cet instant, semblait particulièrement difficile à reproduire. A ses côtés, Emi pouffa.
« Otsu ! Mais, dis m'en plus enfin ! »
Ce fut au tour de la jeune femme de coincer un gloussement entre ses lèvres. La minauderie lui venait si facilement.
« Chhhht. Garde ça pour toi bien sûr. C'est un de tes clients, il est venu deux fois cette semaine, avec ses amis. C'était il y a deux jours, dès le début de la soirée, et ils t'ont accaparé un long moment.
- Oui, je vois très bien. C'est lequel ?!
- Un jeune blond aux grands yeux verts, à l'air un peu...
- Hagard ?
- J'aurai dis rêveur.
- Ouais, hagard. Ecoute, il est charmant, mais un peu... A part ?
- Tiens donc. Je dois apprécier ce genre d'homme alors, du genre particulier, entre lui et le caporal...
- Ca veut dire que tu apprécie notre héros alors ?! »
Otsu en lâcha l'éventail. Merde. Voilà une erreur stupide, la jeune femme avait répondu sans réfléchir, et peu importe comment elle se rattraperait, Emi serait forcément convaincu que finalement, la petite Otsu était ravie d'être la cible du soldat. Autant jouer le jeu alors.
« Mais non voyons... Enfin, bien sûr, il est très plaisant à voir lui aussi mais... Tout de même... »
Elle papillonna des cils, retint un sourire, baissa les yeux. Qu'elle avait tant appris en travaillant à l'Oeillet.
« Oui bon, il me plaît. Mais je te l'ai dis, il n'est vraiment pas sympathique. Ton jeune blond me semble d'une bien meilleure compagnie, il a un air très gentil. J'apprécierai beaucoup, je crois, de passer du temps avec lui, surtout si c'est après une heure de silence avec le caporal-chef.
- Hmm. Tu sais, ton petit caporal vaut cher. Et aujourd'hui, ceux qui sont capable de monter jusqu'à ton prix sont aussi les plus stupides. Fisherman a pas inventé la poudre, mais il a pas d'argent à lui. Et papa n'a pas les moyens de suivre tes enchérisseurs. Mais écoute, je lui soufflerai l'idée de venir te conter fleurette. Pour le garder, tu te débrouilleras bien.
- Oh, merci Emi. Tu sais, depuis que Livaï m'a pris comme favorite, ça me semble nettement plus facile de séduire ces messieurs !
- Tu m'en diras tant ! Et avec ma danse, aucun ne pourra plus te résister ! »
Et, d'une tape de son éventail sur les fesses d'Otsu, Emi l'enjoignit à reprendre la pose, leurs rires étouffés dans leurs manches.
Quelques soirs plus tard, Otsu pu découvrir l'honnêteté sans faille de sa sœur. Emi n'avait pas traîné à vendre les mérites de la jeune femme, car il vint sans tarder se joindre à la file de ses enchérisseurs. Par chance, celle ci s'était enfin tarie, et Otsu reçut rapidement sa cible. Elle pouvait faire traîner un peu la rencontre, pas assez pour soutirer les informations voulues, mais suffisamment pour l'inciter à la revoir très vite.
Il y'eut à sa table bien plus de rires et de sourires que d'habitude, mais tout de même pas trop, pour ne pas attirer l'attention sur son jeune client. Certes, ses yeux étaient peut-être plus hagards que rêveurs, mais il avait le bon mot facile s'aperçut Otsu, pour peu qu'on lui en laisse l'occasion comprit-elle. Et plus la jeune femme riait, plus Fisherman semblait prendre en confiance. Quand il repartit, Otsu garda derrière ses lèvres pincées la certitude de le revoir bientôt.
Au creux de la nuit, la jeune femme repensa de sa discussion avec Emi. Fisherman, comme elle le disait, n'avait clairement pas inventé la poudre. Mais gentil, il en avait l'air et les manières, en plus d'une langue habile aux jeux de mots et plaisanteries. C'était agréable, et parmi tous les hommes qu'elle avait reçu depuis sa mise en vente, le hasard faisant bien les choses, il était finalement son préféré.
Des balivernes proférées ce jour là, il lui en revint deux. Son faible pour le caporal-chef, et son intérêt pour le jeune blond. Elle s'endormit en se disant distraitement que l'un de ces deux mensonges n'en était plus un.
