Le voilà enfin !
En vérité, ce chapitre aurait dû sortir beaucoup, beaucoup plus tôt
Sauf que suite à une mauvaise sauvegarde, j'ai perdu tout ce que j'avais écrit de cette histoire.
Donc il m'a fallu un peu de temps pour trouver le courage de tout refaire.
Mais ça y'est, le voilà, et j'espère qu'il vous plaira ! J'avais tellement hâte d'attaquer cette partie !
Bonne lecture :)
Sugarfree : Et voilààà, grande réponse à tes questions ci-dessous, j'espère que tu ne sera pas déçue ^^
LilieMoonlightchild : Tu vas le savoir très vite ^^ et promis, la prochaine apparition du caporal sera bien moins courte !
Chapitre 20
Au début, Otsu crut qu'elle allait s'évanouir. Comme si elle pouvait se le permettre. La bouche acide, la prostituée s'essuya le menton en crachotant. Peut-être, si elle faisait vite, profitant de cet état proche du sommeil dans lequel l'obscurité les plongeait... Non, c'était peine perdue... Ou alors.. Si, peut-être ? Mais le monstre était intouchable, adossé comme il l'était au mur de pierre, sa nuque inaccessible. Ses yeux, eux, restaient fixés sur ce petit morceau de chaire qu'on lui avait offert.
Otsu recula le plus loin possible, la main solidement cramponnée à son poignard de bambou d'acier. Les spectateurs nichaient à une dizaine de mètres de la fosse, ce qui signifiait forcément que le monstre ne pouvait les atteindre à cette hauteur, ni en levant les bras, ni en sautant s'il en était capable. Et de ce qu'Otsu en voyait, le titan n'était pas immense. Même si sa position allongée pouvait fausser sa perception, le monstre appartenait clairement au rang des petits gabarits. Plus de trois mètres, c'était certain, mais moins de cinq.
Mais y-avait-il, dans toute l'histoire de l'humanité, une preuve que l'on pouvait triompher de ces horreurs, sans équipement tridimensionnel, et seul ? Car seule, Otsu devait bien admettre qu'elle l'était. Elle n'avait eu aucune nouvelle des deux soldats qui avaient acceptés de se plier à son plan. Plan qui avait lamentablement échoué. Pas étonnant que Hansi et Livaï aient disparus, ils avaient d'autres choses à faire que d'observer son séjour dans la belle demeure campagnarde de bourgeois à la con. Infiltrer les plus hautes strates de la noblesse pour mieux dénoncer le terrible trafic humain auxquels certains se livraient, c'était bien altruiste de sa part, mais c'était surtout complètement stupide. Elle qui espérait ainsi en apprendre plus sur le sort de la pauvre Yumi...
Yumi... Oiran... Est-ce qu'elles aussi, elles avaient finis ainsi, jetées en pâture à un titan, au sein même des murs, pour l'amusement des plus opulents ?
Non Otsu, ce n'est pas encore fini...
Elle allait se battre.
Serrant encore plus sa prise sur l'arme, Otsu se plaqua contre le mur. Là bas, le titan commençait à bouger, très lentement. Alors la prostituée ne réfléchit pas plus longtemps et, d'un bond assuré, courût vers le monstre qui décollait à peine sa tête du mur de sa prison. Ses yeux ne la quittaient pas malgré sa vivacité. Mais Otsu non plus ne le lâchait pas. Et le titan restait amorphe. Elle pouvait lui sauter dessus, s'appuyer sur son abdomen distendu et atteindre sa nuque. Elle pouvait le faire, tant qu'il n'avait pas encore totalement émergé.
Otsu accéléra, leva son arme, choisit un point dans le sol, prête à bondir au bon moment, se prépara à bander ses muscles, quand elle aperçut le bras du monstre tressaillir. Aussitôt l'ancienne soldate se laissa tomber dans une glissade et roula sur le côté, tout juste hors de portée de la main du monstre qui se referma dans le vide. Elle se remit aussitôt debout et fonça vers l'extrémité du terrain, le souffle coupé par la panique. Mais le titan ne la suivait pas. Il avait eu assez d'énergie pour essayer de l'attraper, mais n'était pas encore capable de se mettre debout. Otsu avait été trop confiante... Comme si elle était capable d'affronter un vrai titan, alors que les seuls qu'elle avait jamais pourfendu étaient de bois et de cartons !
Les mains sur les genoux, Otsu reprenait son souffle sans baisser sa garde pour autant. L'attaque frontale ne serait pas efficace, surtout sans équipement, elle allait devoir se débrouiller autrement. Peu à peu, le titan s'éveillait. La prostituée dardait sur lui ses yeux grands ouverts, le cœur battant si fort que même les spectateurs devaient l'entendre. Elle essuya son front couvert de sueur en tremblant. Quand le monstre se leva enfin, Otsu déglutit difficilement, sentant une masse trop lourde s'écraser dans son estomac. Il n'était pas immense, la brune avait vu juste. Moins de cinq mètres, très clairement. Mais toujours plus de trois. Plutôt maigre si ce n'était ce ventre rond, protubérant. De grands yeux gris, de longs cheveux blonds qui lui arrivaient sous les épaules, un sourire béant, révélant des dents qui devaient faire la taille de son pouce, blanches, éclatantes, carrées, prêtes à écraser tous les membres qu'elles pourraient attraper. Il avait de longs membres fins battants sur ses flancs, et Otsu eut un instant à l'esprit l'image d'une monstrueuse araignée, perchée sur de longues pattes, traînant derrière elle son abdomen proéminent. Aucune araignée ne serait aussi dangereuse que la pâle imitation d'être humain qui s'approchait d'elle à pas affamés. Sa démarche lui évoqua celle d'un bambin qui veut saisir son hochet, et Otsu se voyait sans mal faire office de jouet pour le monstre.
Malgré tout, malgré la peur qui courait le long de ses muscles, qui lui donnait encore envie de vomir, qui répandait des larmes sur ses joues et faisait trembler ses lèvres, Otsu ne bougea pas. Elle laissa le titan s'approcher, levant les yeux de plus en plus haut au et fur et à mesure de son avancée. Puis, quand le monstre tendit les bras, Otsu se déploya. Elle courut vers lui, son arme levée au dessus de sa tête. Elle visa la paume tendue, ferma les paupières moins d'une seconde et sentit le poignard s'enfoncer dans la chaire du monstre. La sensation n'avait rien de comparable avec le bois et le carton, ni même avec de la vraie peau. C'était à la fois dur, mou, vide et plein, et de la fumée sortit sur toute l'estafilade qu'elle avait réussit à infliger au monstre. Plutôt profonde, comme elle le constata en reculant vivement, presque en sautant pour échapper à la deuxième main.
La lame avait complètement tranchée la paume et l'avant-bras dans la longueur, et le membre blessé retomba, temporairement inoffensif.
Bien.
L'autre maintenant.
Assez éloignée du titan, Otsu longea le mur dans le sens opposé du monstre qui, même avec un bras en moins, cherchait toujours à l'attraper. Brusquement, il se mit à presser l'allure, et Otsu, paniquée, accéléra pour lui échapper, avant de s'arrêter subitement. Elle le laissa approcher, un peu, encore un peu puis, lorsqu'il fut assez près, la prostituée courut dans l'autre sens, plantant le monstre sur place. Plus grand, plus lourd, il n'allait pas aussi vite qu'elle, mais ses enjambées étaient plus grandes. Otsu n'avait que peu d'avantages à lui opposer. Et pendant qu'elle tournait dans le dos du titan, son bras se réparait. Elle devait trouver une ouverture très vite avant qu'il ne reprenne toutes ses forces.
A nouveau, Otsu s'arrêta, attendit que l'ennemi approche, de plus en plus vite, sa main entière lancée devant lui pour attraper sa proie. Elles n'étaient pas grandes, ses mains. Pas assez pour l'empoigner entièrement, pour la presser comme un fruit trop mur et l'enfourner dans sa bouche. Même la gueule béante ne risquait pas de l'avaler en une seule bouchée. Mais ça ne rendait pas le monstre moins dangereux. Otsu pouvait faire un pari risqué... Alors elle s'arrêta, elle attendit. Et se laissa saisir dans la poigne du titan. Elle sentit chaque doigt serrer son flanc, ses côtés, sa poitrine, la douleur fusa, ses poumons se bloquèrent sous la main du monstre, mais Otsu n'était pas piégée, elle se le répétait inlassablement : elle pouvait encore s'échapper si son plan échouait. Concentrée, elle se mordit la lèvre inférieure. Du sang coula sur son menton.
La jeune femme se laissa porter jusqu'au visage du titan, jusqu'à sa bouche ouverte et dégoulinante, jusqu'à ses dents qu'elle voyait se rapprocher, lentement et trop vite, vite et lentement, et Otsu saisit le manche de son poignard entre ses dents, s'appuya sur la main du monstre pour gagner en hauteur, et son genoux s'enfonça entre les mâchoires du monstre. Elle sentit les crocs carrés se heurter à ses os et un cri de douleur lui échappa, mais elle serra les dents et d'un seul geste planta son arme dans l'oeil du titan, la retira fermement puis frappa l'autre. Aveugle, la créature cherchait toujours à dévorer sa proie, et Otsu cherchait maintenant à atteindre sa nuque, cramponnée d'une main aux cheveux, ses pieds, ses genoux, ses cuisses s'appuyaient partout où ils le pouvaient, son corps se tordait dans des positions douloureuses qui lui coupaient le souffle, mais elle ne sentait rien, toute occupée à viser le seul point faible du monstre.
Et soudain, une deuxième main jaillit d'un nuage de vapeur et vint pour enfoncer cette chose récalcitrante dans sa gueule. Otsu hurla, poussa de toute ses forces sur ses jambes, sur sa main libre, s'éloigna assez de la mâchoire du monstre et frappa avec son arme, frappa, frappa, frappa. Elle trancha les doigts qui s'approchaient d'elle, trancha les doigts qui la tenaient, trancha l'air et le vide et s'écrasa au sol dans un craquement. Un cri étouffé lui échappa. Elle s'était peut-être cassé quelque chose, peut-être pas. La jeune femme ne savait plus où commençait son corps et où il s'arrêtait. Elle ne savait pas plus où elle avait mal, tout était confus et emmêlés.
Otsu rampa à toute vitesse hors de portée du monstre qui tâtonnait autour de lui. Plongé dans l'obscurité, il laissait un peu de répit à la prostituée qui, à plusieurs mètres, put reprendre son souffle et essuyer les larmes brulantes sur ses joues. Otsu sentait du liquide coller sa robe à sa jambe, mais elle refusait de regarder. La douleur n'existait pas, elle n'existait plus. Entièrement dédiée à sa seule survie, rien d'autre ne comptait.
Allongée dans la terre battue, les yeux brillants, la brune oscillait entre la joie d'être encore en vie et la certitude que son heure était arrivée, que c'était inutile de continuer à se battre.
Au dessus de sa tête, là haut, elle discernait le ciel bleu à travers les fenêtres du plafond. Le soleil brillait et la lumière scintillait sur les vitres. C'était un joli spectacle. Il y avait pire comme façon de mourir, songea-t-elle. Après tout, Otsu avait fait son chemin. Et elle s'en était plutôt bien sortit dans la vie, malgré tous les sentiers sombres et tortueux qu'elle avait pu prendre, après son père, après Shiganshina.
Survivante, militaire, courtisane... Otsu n'y avait jamais songé, mais après tout, elle avait déjà déjoué la mort, longtemps auparavant. Il était peut-être temps qu'elle paie sa dette. Une ombre fugace passa devant ses yeux, voila le soleil un instant. Otsu plissa les paupières. Un nuage ? Pas exactement. Se redressant sur les coudes, la survivante prête à mourir chercha ce qui l'avait obscurci un instant. Sans rien trouver cependant. Mais quand elle redescendit sur terre, sur cette fosse où des dizaines de spectateurs attendaient de la voir dévorer vive, Otsu sentit une vague de chaleur la parcourir, et son cœur battit plus vite, et plus fort, et la fatigue reflua, et la douleur diminua.
Non.
Elle n'allait certainement pas crever là.
La jeune femme se releva en titubant, solidement accrochée à son poignard. Là, maintenant, c'était lui qui la gardait en vie.
De l'autre côté de la fosse, le titan cherchait encore sa victime, de la vapeur lui sortait toujours des yeux, mais plus pour très longtemps. Otsu longea le mur en boîtant jusqu'à se trouver derrière le monstre. Une grande inspiration, une grande expiration, et la prostituée se lança. Elle courût, aussi vite qu'elle le put malgré sa jambe blessée, prit appui et bondit sur le dos du titan. D'une main, elle réussit à empoigner des mèches de cheveux du prédateur et s'y accrocha fermement. Ses pieds glissèrent sur la peau du géant, et Otsu voulut tirer sur sa prise pour se hisser, mais le titan envoyait déjà ses mains derrière lui pour attraper l'intruse. Les mains du titan la frappèrent, la griffèrent, elle sentait les doigts qui s'enfonçaient dans sa chaire, broyer ses os, déchirer sa chaire, mais elle résista, solidement accrochée à sa prise.
Le titan se mit à tourner, vite, comme un chien fou cherche à attraper sa queue, mais Otsu ne lâcha pas. Elle tint bon malgré les dents qui claquaient furieusement trop proche de sa tête, de sa main accrochée aux cheveux. Une soudaine douleur la heurta dans le dos et l'arrière de la tête. Le titan l'avait violemment écrasé contre le mur. Des étoiles dansèrent devant ses yeux et Otsu crut vraiment qu'elle allait lâcher, mais quelque chose tapie très profondément en elle refusait de laisser tomber, d'écouter les souffrances de son corps, et elle ne lâcha rien. La prostituée restait solidement cramponnée, et elle continuait de se battre, malgré son dos meurtri, ses côtes brisées, sa tête qui lui tournait
Ne trouvant aucune prise pour maintenir ses pieds, la brune serra ses jambes autour du poitrail du monstre, au dessus de son ventre rond, là où elle pouvait serrer le plus fort possible pour se tenir en place. Le titan cessa aussitôt ses ruades et saisit le mollet ainsi offert. Otsu cria quand elle sentit sa jambe tordue portée à la bouche du monstre. Elle cria plus fort quand le souffle de la créature heurta sa peau, quand ses dents mordirent sa chaire. Elle hurla, cru vomir, tombe, s'évanouir et mourir dans cette fosse devenue floue, noire et glaciale, mais le poignard dans sa main pesait lourd, et Otsu posa le regard dessus, et elle vit la nuque du titan à portée, et elle vit sa main qui tenait l'arme, et la nuque, et le poignard, et son bras se leva, comme un pantin, et il s'abattit sur la nuque du titan. Une première fois. Une deuxième fois. Une troisième fois. Et le monstre tomba en avant, écrasant les jambes d'Otsu sous son poids. Des cris fusèrent, mais ils ne sortaient pas de la bouche de la jeune femme. Elle n'avait plus assez d'énergie pour ça.
Affalée sur le dos du monstre, entourée de vapeur qui chassait doucement le froid installé dans tous ses os, Otsu ferma les yeux sous le vacarme des spectateurs déçus. La jeune femme perçut qu'il se passait quelque chose, que les ombres en capuches descendaient de leurs loges pour venir finir le travail, mais elle ne pouvait plus bouger. Plus se défendre. Elle entendit les portes s'ouvrir à la volée, et savoura la lumière qui s'infiltra immédiatement dans la grange. Les cris se firent plus fort, et les ombres couraient maintenant dans la fosse, elle sentait la terre trembler sous leur cavalcade. Leurs ombres se rapprochaient, leurs cris résonnaient à ses oreilles. Une brutale explosion retentit alors, et le noir engloutit Otsu. Elle ne sentit que les entailles que les ombres lui infligeaient, mais la douleur resta loin, très loin. Au moment où Otsu allait enfin sombrer, elle crut distinguer des ombres vertes percer l'obscurité. Et plus rien. Elle se laissa emporter dans le noir et le froid.
