Hello there !
Nouveau chapitre. C'est marrant comme, après avoir écrit un chapitre qui m'a beaucoup plût et tenu en haleine pendant toute l'écriture, le suivant sera toujours un peu en deça.
J'espère que vous aimerez quand même, on approche de quelques rebondissements :)
Bonne lecture !
Sugarfree : Haha, je pense qu'à terme, on peut compte sur Otsu pour laisser traîner sa béquille dans le passage du caporal ;)
LilieMoonlightchild : En effet, elle n'est pas au bout de ses peines la pauvre !
Chapitre 22
La sueur roulait sur son front, inlassablement. Otsu n'avait plus de mouchoirs pour s'éponger. Trop sale, trop humide, et pas le temps. Le sortir de sa poche, le remettre. Son avant-bras faisait très bien l'affaire.
Les forges de l'usine Altonen ne s'éteignaient jamais. Il y faisait une chaleur infernale, étouffante, et les ouvriers trimaient huit heures dans la fournaise, sans s'arrêter. Ils arrivaient propres, frais et reposés, mais très rapidement, la sueur recouvrait leur corps, la suie collait leur peau, leurs poumons s'emplissaient de fumée qui les faisait toucher et cracher. Et les porteurs d'eau sillonnaient l'atelier de long en large, un lourd tonneau attaché dans leur dos, muni d'un robinet auquel ils approchaient les gobelets des travailleurs pour les remplir d'une eau tiède parfumée à la menthe et à la lavande.
Il n'y avait pas de pause pour les porteurs, pas de roulement dans la journée. Une équipe de jour, une équipe de nuit, et c'était tout.
Otsu ne pouvait travailler nulle part ailleurs. Ses laissez-passer et ses faux papiers ne lui octroyaient aucune compétence pour rejoindre une équipe d'ouvriers ou d'ingénieur, pas plus qu'elle pouvait espérer un emploi de bureau. Dans les forges par contre, elle s'était trouvé une place sans difficulté. Les porteurs d'eau ne faisaient jamais long feu, et personne ne leur prêtait d'attention. C'était néanmoins une chance qu'on l'ait accepté, avec sa patte boiteuse. Pour passer plus inaperçue, la brune s'était débarrassé de sa canne avant d'entrer dans la cité industrielle - elle s'en retrouverait bien une plus tard - mais sa démarche claudicante n'était pas simple à dissimuler.
Otsu travaillait au premier niveau de la forge, là où les ouvriers recevaient l'acier à recycler. Une fois trié, et nettoyé, ils le faisaient fondre et couler vers un autre atelier, où le métal retrouverait une forme de lame. Aucune interruption dans ce travail, les demandes étaient trop importantes.
Depuis trois jours, la prostituée faisait exactement ce qui lui était demandé. Et le soir, elle regagnait le dortoir où, patiemment, elle attendait que les autres porteurs s'endorment, tout en luttant elle même contre le sommeil. Puis elle ressortait, parcourait les couloirs qui lui étaient accessibles, invisible et à l'affût. A défaut de voir du pays, Otsu entendait beaucoup de choses. Le récent décès du patriarche Altonen était dans toutes les bouches. L'homme, presque aussi vieux que les Murs – presque – avait succombé à une énième attaque cinq jours avant son arrivée dans la cité industrielle, et une semaine plus tard, les employés en parlaient toujours. De l'enterrement qui aurait lieu dans la capitale, de la cérémonie improvisée qui avait eu le soir même, dans l'usine, où tous les employés s'étaient arrêtés de travailler pour rendre hommage au grand patron. Du moins, tous ceux qui pouvaient se le permettre.
Depuis, paraitrait-il que son fils, nouveau grand patron à la tête des usines Altonen, prenait son travail très au sérieux et passait presque tout son temps dans son bureau, au sommet de l'entreprise. Sauf qu'évidement, Otsu ne l'avait pas encore rencontré, ni même vu, ni même aperçu. Rien d'étonnant à ça. Un homme comme lui, bardé de responsabilités, n'irait certainement pas se salir dans les forges, où trimaient les ouvriers.
Mais puisqu'il ne viendrait pas à elle, c'était elle qui viendrait à lui.
Alors, au bout de trois jours, Otsu décida qu'il était temps de passer à l'action.
Le soir venu, la brune, fourbue, se pinça la peau et se tira les cheveux pour s'empêcher de dormir. Elle attendit, de très longues minutes, que le dortoir s'emplisse des ronflements et des respirations paisibles de ses collègues chanceux puis, sur la pointe de ses pieds nus, gagna le couloir et, plus loin, plus haut, le hall de l'usine d'où partait un large escalier tapissé de blanc, et un ascenseur dont les portes étaient perpétuellement fermées, et gardées. L'ascenseur privé d'Altonen. La prostituée l'avait remarqué dès son arrivée, et la femme qui l'avait emmené dans ses nouveaux quartiers lui avait vaguement expliqué qu'il s'arrêtait à tous les niveaux de l'usine, mais que seul le patron pouvait l'emprunter. Un tel luxe n'était pas pour les employés, évidemment. Encore moins pour les ouvriers et les catins qui se faisaient passer pour des porteuses d'eau.
Otsu, plaquée contre un mur, avalée par l'obscurité du couloir, observait l'effervescence, sans bouger, respirant à peine, ses yeux voguant d'un point à un autre. Les deux hommes trop musclés qui se tenaient devant l'ascenseur lui attiraient peu de sympathie. Des vigiles, Otsu en voyait partout. Tant qu'elle restait à sa place, dans son rôle, et que ses faux papiers jaillissaient à chaque fois qu'on les lui demandait, la prostituée ne risquait rien. Mais un pas en direction de l'ascenseur interdit, ou même de l'escalier, attirerait indéniablement l'attention sur elle, et ça, ce n'était pas ce qu'Otsu voulait. Ni elle, ni Hange, Smith ou Livaï. La brune était là pour espionner après tout.
De retour au dortoir, Otsu se chaussa de ses immondes godillots réglementaires, et d'une veste trop grande pour elle. Une tenue plus adéquate pour sortir prendre l'air. Les gardiens à la porte principale la laissèrent passer sans poser de questions, ni même la saluer. Ils voyaient tant de visages, chaque heure, chaque jours. Ils n'avaient que faire d'une petite porteuse d'eau. D'ailleurs, Otsu se fit la remarque que son rôle dans usine devait leur être totalement inconnu.
Une fois dehors, la jeune femme s'engagea sur l'allée qui contournait l'usine. Là aussi, les fourmis grouillaient encore, et trouver un recoin isolé s'avéra plus difficile que prévu. Longtemps, Otsu marcha le long du bâtiment, immense, bien plus qu'elle ne le croyait. Le premier jour, Otsu, après avoir erré à travers le brouillard puant de la cité impériale, se bouchant le nez pour ne pas sentir les émanations indistinctes de charbon, de brûlé ou d'eau croupie. Elle avait filé tout droit vers la place centrale de la cité industrielle, véritable district dans le district, et une fois présenté aux gardes, Otsu n'était plus ressortie, trop occupée à désaltérer les ouvriers dans l'enfer des forges. Elle ignorait combien d'autres ateliers l'usine Altonen abritait. C'était un titan d'un genre nouveau que la jeune femme devait affronter, un monstre qui vous avalait et vous laisser croire que vous pouviez sortir de son estomac, regagner le monde extérieur et l'air pur. Mais c'était un monstre dans un monstre, et il n'y avait pas d'air pur dans la cité industrielle.
Avant de l'atteindre, plusieurs jours même avant d'en voir se dessiner ses murs, Otsu avait aperçut de lourds nuages gris dans son horizon. Elle savait maintenant que ça n'avait jamais été des nuages, et que le ciel lui même avait disparut au dessus de la cité. Otsu s'était demandé si un jour les usines déborderaient de leur district pour se répandre d'un bout à l'autre des murs, et elle en avait frémit. Ce serait comme le jour du titan colossal. Il avait ouvert la porte aux monstres de l'extérieur. Mais à l'intérieur des murs aussi, il y avait des monstres, et tous n'étaient pas faits de chaire.
Lorsque la prostituée déboucha au bout de l'allée, ce fut pour constater qu'elle se trouvait maintenant derrière l'usine, et qu'elle n'était pas plus avancée. Même si les rues se vidaient peu à peu, surtout dans ce coin là, il y aurait toujours des yeux pour la voir. Et quand bien même, Otsu devait être lucide. Les murs extérieurs de l'usine étaient entièrement lisse. Si des tuyaux et des cheminées crachotantes en jaillissaient de par et d'autres, elle ne trouverait pour autant aucune prise solide à laquelle s'accrocher pour tenter une escalade. C'était peine perdue. Alors sans s'arrêter, Otsu reprit sa marche et fit le tour complet de l'usine. Puis un deuxième, se sentant un peu godiche. De multiples scénarios tournaient dans sa tête, mais c'était des idées ridicules. Elle devait être lucide et s'avoeur vaincue. La solution ne viendrait pas de l'extérieur, c'était une perte de temps de rester là, les bras ballants, à rêver plutôt qu'à réfléchir. Ce fut en regagnant son dortoir que l'évidence lui sauta aux yeux.
L'ascenseur.
Elle ne pourrait pas l'utiliser, évidemment. Mais elle pourrait prendre le même chemin. Il passait par tous les niveaux de l'usine, lui avait-on dit. Les forges également, donc.
Oï, pourquoi t'y a pas passé avant ?
Va savoir. La fatigue ? La stupidité ? Comme tu préfère. Mais laisse moi réfléchir tranquille.
C'était nouveau, cette voix dans sa tête qui prenait les accents du caporal. Comme si elle ne l'avait pas assez supporté comme ça celui là. Otsu n'avait aucune raison de se rendre dans les forges. Elle n'était pas de service la nuit. Mais personne ne lui prêterait attention, elle le savait déjà. Alors, toute convaincue qu'elle n'était pas là, qu'elle était encore dans son lit, à dormir, Otsu se faufila dans les couloirs enfumés. Ici, les hommes et les femmes s'affairaient sur leur travail. Il ne levait la tête que pour s'éponger le front, se passer les mains sous l'eau où se désaltérer au tonneau d'un porteur d'eau. Leurs regards ne portaient pas au delà. Il faisait trop chaud, l'air brûlait trop, et ils avaient tant à faire. Alors personne ne prêta attention à la petite brune qui longea les ateliers. Personne ne la vit, et Otsu atteignit la cage sans difficulté et ouvrit les ferronneries. Elles grincèrent, et la jeune femme suspendit son geste en grimaçant, mais le bruit des forges recouvrait tout le reste, et Otsu pu se glisser dans le mince entrebâillement qu'elle referma derrière elle. Au dessus de sa tête, l'installation disparaissait comme un puit sans fond. Un puit de métal et de courroies qui montait vers le ciel.
Elle ne voyait pas la machine, très certainement arrêtée au dernier étage. La jeune femme devrait pouvoir avancer sans difficulté. Otsu ne cherchait pas à grimper tout en haut. Juste assez pour atteindre les étages vides, ceux des employés des bureaux. De là, l'escalier l'amènerait plus facilement jusqu'à son but.
Allez. La brune remonta ses manches, se frotta les mains, et saisit une courroie. Solidement cramponnée, elle commença à grimper.
La manœuvre fut plus dure et plus douloureuse qu'Otsu l'envisageait. Ce genre d'exercice, c'était un classique à l'entraînement militaire. Mais depuis, Otsu était passé entre les mains d'un titan, et son coma ne remontait qu'à quelques semaines. Ses bras portaient tout son corps le long de la courroie, ses jambes resserrées autour du câble trop fin pendaient presque dans le vide. Chaque nouvelle poussée lui arrachait un cri retenu derrière ses dents. De la sueur roulait sur son front, dans ses dos, jusqu'à ses mains qui brûlaient sur la courroie. Elle montait lentement, mais elle montait. Jusqu'à atteindre le hall. A travers les ferronneries, Otsu entendait les ouvriers marchaient, courir, parler, elle entendait même les gardes respiraient. De là où elle, elle voyait le bas de leurs jambes, bien droites dans leurs bottes, bien droites dans leur rôle. C'était là le seul vrai risque qu'elle prenait. Outre celui de lâcher prise bien sûr. La prostituée devrait continuer son escalade à la vue de tous. Les gardes lui tournaient le dos, mais ils pouvaient l'entendre, quelqu'un pouvait la voir. Si jamais elle faisait un bruit, si jamais un ouvrier s'arrêtait et voyait cette silhouette grimper le long de la courroie, il la pointerait du doigt, les gardes se retourneraient, ils crieraient sûrement, ils ouvriraient la cage d'ascenseur, se saisiraient d'elle pour l'arrêter, la feraient arrêter, et direction la prison militaire...
Ca gamine, c'est hors de question. Tu te démerdes comme tu veux, mais tu te fais pas prendre. Maintenant dépêche toi. T'es pas si incapable que ça.
Otsu secoua la tête pour chasser cette voix pleine de morgue qui s'était insinué dans son esprit. Mais elle le voyait presque, tout en bas, en train de l'observer, les bras croisés sur les muscles de son buste, en secouant la tête de dépit et de lassitude. C'est pas le moment l'engueula-t-elle. Je suis un peu occupée, merci de revenir me faire la leçon quand je rentrerai vivante.
Sa poigne se raffermit sur la courroie. Otsu n'était pas si incapable que ça, c'était vrai, elle pouvait y arriver. Alors elle ferma les yeux, apaisa son souffle, et recommença à monter, une main après l'autre, une jambe après l'autre, centimètre par centimètre. Son corps ne faisait aucun bruit, ses doigts se refermaient avec douceur et précaution sur sa prise. Otsu n'ouvrit pas les yeux un seul instant. Comme si voir pourrait la rendre visible elle aussi. Toute son ouïe était à l'affût en revanche, mais rien ne lui parvenait, rien qui indiquait qu'on l'observait, et elle continua de grimper. Quand l'obscurité revint sous ses paupières closes, et que les sons furent à nouveau étouffés, Otsu sût qu'elle avait réussit. Elle rouvrit les yeux en souriant, un sourire incontrôlable, jusqu'aux oreilles. Elle avait réussit. Rassurée, la jeune femme reprit son ascension à un rythme normal. Il ne lui restait qu'à atteindre l'étage suivant et ce serait gagné. Sauf qu'au même instant, un autre lui fit dresser les poils. Elle bascula la tête en arrière pour voir arrive la machine de fer qui descendait droit vers elle. L'ascenseur était encore loin, mais le premier étage aussi. Alors Otsu accéléra, le cœur au bord des lèvres. La sueur gela dans son dos. A chaque seconde, elle levait les yeux pour suivre la descente du monstre, espérant fort, très fort qu'il s'arrête, mais non, il continuait sa descente, et elle, pauvre petite Otsu, continuait sa montée, mais elle n'en pouvait plus. Sa jambe la lançait douloureusement, ses muscles tremblaient, tous ses muscles, même son cœur battait à tout rompre.
Elle haletait, frigorifié par un froid extérieur, et un froid à l'intérieur, un froid qui lui brulait les poumons.
La bouche ouverte, Otsu respirait toujours, mais commençait à se demander si ça en valait vraiment la peine. Si elle n'atteignait pas vite le premier étage, l'oxygène ne lui servirait plus à rien. Est-ce qu'elle pouvait choisir de redescendre ? Le risque était le même, celui de ne pas être assez rapide, en plus d'être à nouveau à découvert. A moins de choisir de laisser tomber, d'ouvrir les mains, d'ouvrir les jambes, et de prier...
Otsu continua de grimper. Elle respirait de plus en plus vite, de plus en plus fort, et l'ascenseur était de plus en plus proche. La cage du deuxième niveau aussi. Elle voyait de faibles rayons de lumière à travers les ferronneries. Le son de la machine emplissait toute ses oreilles, toute sa tête, tous ses yeux, tout son corps. Chaque muscle tremblait sous l'effort, sous le bruit. L'ouverture était presque à portée de main. Encore un peu. Un peu plus. Une dernière poussée, et Otsu se hissa presque au même niveau. Elle ne regardait plus l'ascenseur maintenant. Elle n'avait plus le temps. Elle leva un genoux. Son pied s'écrasa sur le rebord. Une deuxième jambe. Le haut de son corps pendait dans le vide, et le souffle de la machine l'entourait. Elle allait crever comme ça, écrasée. Demain matin, les employés trouveraient deux paires de jambes sectionnées, baignant dans une mare de sang. D'un violent coup de pied, Otsu ouvrit la porte de la cage et, sur une poussée, lâcha la courroie. Elle sentit son corps tomber en arrière, elle vit la machine juste au dessus de sa tête, puis vit le couloir, puis quelque chose lui brûla le visage, le flanc, les mains.
Elle haletait sur la moquette. C'était ça qui l'avait brûlé quand elle s'y était étalé. Elle haletait sur la moquette. Derrière elle, l'ascenseur s'éloignait déjà jusqu'au rez-de-chaussée. Elle haletait sur la moquette. Et puis un rire jaillit de sa poitrine, de sa gorge, de sa bouche. Un rire qu'elle étouffa derrière ses mains blanches et glacées. Un rire qui chassait le silence de l'étage.
Ca y'est gamine. T'es devenue folle. Définitivement folle.
Oh ça suffit toi. Laisse moi juste savourer d'être encore en vie.
Allez Otsu, reprends toi, la nuit ne t'a pas attendue, tu dois être à ton poste à l'aube. Ne traîne pas.
Un souffle bruyant résonna à ses oreilles. Le sien. Elle soupira à plusieurs reprises, fort et profond, et se releva enfin, l'esprit calme mais le corps toujours tremblant. Ses jambes flageolantes la menèrent jusqu'à des marches bien stables, le long d'un escalier où elle était en sécurité cette fois ci.
L'usine était si grande qu'Otsu dû s'arrêter à plusieurs reprises pour reprendre son souffle, mais elle parvint finalement tout en haut, où l'étage entier était réservé au patron. Otsu ne s'étonna pas d'en trouver les portes ouvertes. De toute évidence, Altonen venait de s'absenter, mais il prévoyait de revenir. Otsu devrait faire vite.
Le bureau était immense, le sol recouvert d'une belle moquette claire et duveteuse sur laquelle Otsu eut envie de s'allonger. La table de travail en bois foncé luisait d'un bel éclat rouge sous la lumière des étoiles qui se déversaient à travers les immenses baies vitrées. Par mesure de sécurité, Otsu observa minutieusement chaque pièce, pour s'assurer que personne ne s'y cachait, puis revint vers le bureau. Elle nota avec amusement un canapé au milieu de la salle, face au meuble. Blanc, son bois doré richement ouvragé, la prostituée lui trouva quelque chose d'hautain, quelque chose d'orgueilleux.
Elle l'imaginait très bien, lui, plein de sa morgue habituelle, s'affaler dans ce canapé, croiser les bras et l'observer de sa moue dédaigneuse, ses mèches noires balayant son regard d'acier.
Oui. C'était étonnant, mais Otsu le voyait presque, ce maudit caporal, sur ce maudit canapé. Et un sourire naquit sur ses lèvres, qu'elle ravala aussitôt. Il était temps de se mettre au travail.
Assise devant le bureau, la prostituée se mit à éplucher méticuleusement chaque document qu'elle trouva. Courrier, relevés de comptes, papiers notariés, tout y passa. Elle voyait défiler des noms inconnus. D'autres lui faisaient hausser un sourcil, mais n'apprit rien de particulier sur ce Nigel Jr Altonen. Son nom, certes, pour ce que ça lui servait. Lasse, Otsu flanqua ses pieds sur le bureau, bascula la tête en arrière et ferma les yeux, épuisée.
C'était bien sa veine. Elle parvenait enfin à monter jusqu'à la demeure Altonen, et rien. Lui était absent, et bien sûr, il ne laissait pas traîner des documents compromettant sur son bureau. C'aurait été absurde de sa part. Otsu aurait bien aimé, pourtant, qu'il ait un comportement stupide et absurde. Ca l'aurait changé. Somnolente, la jeune femme aurait pu s'assoupir, mais des bruits de pas et des rires lourdement chargés d'alcool la tirèrent de sa torpeur. Aussitôt, la prostituée se laissa glisser de la chaise pour s'enrouler sous le bureau, sans un bruit. Une main sur sa bouche, elle se concentra pour calmer sa respiration, la faire venir de son ventre, profonde et silencieuse. Incapable de cligner des yeux, la jeune femme s'éloigna. Son corps resta sous le bureau, mais toute son attention, elle s'était fixée sur les deux voix masculines. Sur l'une des voix. Elle lui disait quelque chose, cette voix.
Pas très bien. Mais elle la connaissait.
Et tout devint clair.
Nigel Jr Altonen. Elle lui avait parlé, elle avait rit avec lui, elle avait bu avec lui, avait tenté de le réconforter pour s'en attirer les faveurs.
Et un soir, Otsu, sur une table, avait dansé pour son père.
Junior. Le fils du Vieux. Et le vieux était mort. Junior reprenait les rênes de l'empire Altonen. C'était ça qui devait l'intéresser, d'après Arbeit ?
Mais en quoi ?
Il avait une dette envers son père. Otsu se souvenait très bien des paroles de Junior. Une dette... C'était ça, la clé.
Et Junior était en charmante compagnie, devina-t-elle en entendant les bruits de baisers puants d'alcool qu'il échangeait avec son partenaire. Ca expliquait pourquoi il ne manifestait aucune forme d'intérêt envers les filles de l'Oeillet sourit-elle.
Au moins un mystère de levé.
