Bonjour à toustes !
Ceci est ma première fanfiction, elle n'est pas terminée et j'écris de façon plus qu'irrégulière mais j'ai hâte de savoir ce que vous en pensez :)
L'histoire se déroule deux ans après la bataille de Poudlard, elle décrit quelques tranches de vie de six des personnages d'Harry Potter, dans une sorte de flux de conscience assez contemplatif. Mener une vie normale peut-être la plus difficile des aventures...
Cette fanfic aborde des sujets de la vie d'adulte, comme la drogue, l'alcool ou le sexe (CW).
J'essaye d'écrire de façon à ne pas être oppressive, mais n'hésitez pas à me prévenir si vous êtes blessé-e par le contenu de cette fanfiction et je le rectifierai au plus vite. De plus, je manifeste clairement mon opposition aux opinions transphobes de JK Rowling, et vous encourage à boycotter l'autrice originale d'Harry Potter. A nous de nous réapproprier l'univers d'Harry Potter de manière inclusive et non-oppressive :)
N'hésitez pas à laisser votre avis dans une review ! Merci et bonne lecture !
Eanthy
Attablée à une terrasse londonienne, Hermione Granger fumait une cigarette. Le soleil du mois d'août éclairait son visage, et une petite brise lui soufflait des pensées aléatoires. Isolée des passants qui inondaient la rue, elle avait toute la tranquillité nécessaire pour se consacrer au flux et au reflux de son absence de réflexion.
Comme chaque fois qu'elle ne parvenait pas à décortiquer un problème pour le réduire à une somme de problèmes élémentaires aisément solubles, ce qui arrivait de plus en plus souvent, la fumée âcre qui lui brûlait la gorge l'aidait à lâcher prise. Comme si une simple concession à ses principes, lui donnait le droit de tous les abandonner, juste le temps qu'une petite braise parcoure quelques centimètres. Juste le temps qu'elle évite de péter un câble.
Peu de gens le savent, mais le travail n'est pas la clef du succès. La preuve, si travailler avait suffi, elle n'aurait pas été là, à regarder des gens faire des trucs utiles (contrairement à elle), alors que le monde tournait à l'envers, avançait à reculons et dansait le mambo à contretemps. Elle n'aurait jamais perdu des êtres chers, versé dans le mélodramatique à chaque détour de pensée et cendré sur son jean par mégarde à l'instant. Elle avait vraiment essayé, plus que n'importe qui d'autre – elle n'était pas Miss Je-sais-tout pour rien. Mais en fait si, apparemment ; Hermione s'en était rendue compte après la chute de Voldemort et le désastre de la guerre : personne n'était jamais préparé à rien, quoi qu'il ou elle ait pu faire dans sa vie.
Pour une acharnée du travail comme elle, ce fut une sacrée désillusion. Mais après un léger passage à vide, elle avait repris sa combativité habituelle et changé de tactique. L'analyse purement rationnelle ne lui ayant pas permis d'éviter ces tragiques événements (la tâche sur son jean semblait ne pas vouloir partir), elle avait décidé de se plonger dans tout ce qui s'apparentait à de l'illogique ou de l'inexplicable pour elle : est-ce que faire n'importe quoi allait l'aider à comprendre pourquoi les gens faisaient n'importe quoi ? Elle espérait apprivoiser son côté irrationnel à elle, dans l'espoir de mieux appréhender celui des autres, et par la même occasion tout ce qui ne tournait pas rond dans ce monde de merde.
Hermione s'était donc – entre autres – mise à fumer des cigarettes. Elle trouvait ça stupidement inexplicable chez les autres, c'était une piste, non ? Seulement, elle ne comprenait toujours pas pourquoi les autres faisaient ça ; elle le ressentait. Éviter une hémorragie cérébrale en arrêtant de réfléchir deux minutes était certainement une expérience agréable ; elle ne savait pas si ça allait l'aider, mais au moins, si elle chopait le cancer d'un organe quelconque au cours de l'opération, personne ne pourrait lui reprocher d'avoir été trop raisonnable.
Hermione écrasa son mégot dans le cendrier, et se rendit compte que réfléchir à son absence de réflexion était en soi une réflexion. Elle se prit la tête dans les mains et se massa les tempes. Peut-être que finalement – spoiler – fumer des cigarettes ne résolvait pas les problèmes existentiels.
Le problème existentiel en question ne versait même pas dans l'inexplicable, juste dans l'inconcevable. Le problème n'était pas les autres, mais elle. Hermione avait vingt ans et elle avait, en moins de dix ans : appris qu'elle était une sorcière, quitté le monde moldu, risqué sa vie moultes fois, sauvé l'Angleterre d'un mage noir, abandonné ses parents moldus en Australie, eu un petit ami sorcier, quitté ce petit ami ; et elle s'apprêtait maintenant à réintégrer la vie moldue, ce qui devait à terme permettre au Ministère de fusionner les mondes moldu et sorcier, et achever de lui filer la migraine.
Rien d'irrationnel là-dedans, elle avait même l'impression qu'elle aurait été très enthousiaste à cette idée il y a quelques temps. Si les sorciers et sorcières avaient été obligées de se cacher du reste du monde il y a plusieurs centaines d'années, cette décision devenait obsolète : les mondes moldu et sorcier n'étaient pas vraiment séparés puisque les querelles sorcières affectaient les Moldus. Pire, si les sorciers avaient été opprimés par les Moldus au Moyen-Âge, c'étaient maintenant les enfants de Moldus qui subissaient une oppression au sein de la communauté sorcière (une oppression qui avait d'ailleurs failli avoir sa peau, hein). La guerre contre Voldemort avait précipité ces réflexions au sein du ministère de la Magie et de la population sorcière, ce qui avait conduit le ministre de la Magie, Kingsley Shacklebolt, à prendre des mesures en conséquence.
Comme tous les étudiants sorciers de sa promotion et des suivantes, Hermione devait effectuer dans son cursus post-Poudlard au moins une année d'Étude des Moldus dans la faculté sorcière de Londres, et une année d'études moldues dans une faculté moldue. Cette dernière débuterait pour elle dans quelques jours à peine. Cette initiative visait à former une jeune élite intellectuelle sorcière à comprendre les nouveaux enjeux politico-moldus et à y faire face dans les années à venir. Non, vraiment, rien d'insensé là-dedans ; pour une fois, elle avait l'impression que c'était elle qui débloquait et ça la mettait hors d'elle. À onze ans, elle avait très bien accepté le fait de changer d'univers ; pourquoi n'aurait-elle pas pu refaire la même chose à vingt ans ?
Peut-être qu'elle n'était plus la même qu'à onze ans, ni même qu'à dix-sept, quand Voldemort était tombé. Hermione eut un soupir agacé ; c'était évident mais ça l'énervait : comment comprendre ce qu'il se passait si le matériau de base pour ce boulot faisait n'importe quoi ? Existait-il un sortilège ou une potion pour se remettre le cerveau d'aplomb ? Il fallait qu'elle passe à la bibliothèque.
Elle releva la tête et parcourut le ciel indigo du regard. Le soleil baissait à vue d'œil, et teintait de rouge et d'or les toits des bâtiments derrière lesquels il disparaissait. Les passants se faisaient plus rares, la terrasse était presque vide. Le tableau ne manquait pas de couleurs, pourtant Hermione tiqua lorsqu'une tornade rousse fit son apparition au coin de la rue. Son expression furibonde contrastait avec le ballet tranquille des passants, et la fraîcheur du vent. Lorsque Ginny Weasley s'assit à sa table et planta ses yeux marron dans les siens, Hermione abandonna ses réflexions pseudo-artistiques et se résolut à serrer les fesses.
« C'est ça que t'appelles "pas dispo cet après-midi" ? »
Le ton de la voix de Ginny lui hérissa le poil. Hermione et elle avaient des tempéraments à la fois très semblables et radicalement opposés, ce qui leur avait valu une amitié indéfectible mais explosive. Si elles se retrouvaient dans leur courage et leur détermination à défendre des valeurs qui leurs étaient communes, leur manière de voir le monde différait en ce que Hermione analysait froidement son environnement à l'abri des rouages de son cerveau, là où Ginny jetait ses pensées et ses émotions à la figure des gens avec une franchise exemplaire mais sans aucune considération pour les leurs. Ce qui était parfois éprouvant.
Bon, après, c'était vrai qu'Hermione avait peut-être un peu abusé sur ce coup.
« Désolée. J'avais bien envie de rester seule, à boire des cafés entre deux pensées médiocres, avoua-t-elle. Ça te dit de te joindre à moi ?
— Une proposition nulle en retard vaut mieux que zéro jamais !
— Quoi ?
— Oui, ça me dit. »
Ginny héla le serveur, et commanda deux mojitos – une année à faire la fête à Londres l'avait familiarisée avec les coutumes moldues. Elle prit une cigarette dans le paquet d'Hermione, l'alluma, en tira une longue bouffée puis la foudroya du regard.
« Te rappelles-tu, ma douce amie, de ce moment béni où l'on avait parlé de cette tendance particulièrement tenace que tu as à jouer les moules émotionnelles ? demanda Ginny d'un ton doux qui contrastait singulièrement avec l'expression de son visage.
— Ça ne me dit rien du tout, mais... répondit Hermione en entrant dans son jeu, un demi-sourire aux lèvres.
— Ne t'en fais pas, chérie, je vais me faire un plaisir de te le rappeler », coupa Ginny tandis qu'Hermione levait les yeux au ciel, comme une enfant prise en faute.
Elle fit une pause, posa sa cigarette, et croisa les mains. La fumée qui se dégageait du mégot se dispersait autour d'elle, et les derniers rayons du soleil s'égaraient sur ses cheveux roux, si bien qu'elle avait l'air d'avoir pris feu. Ginny avait un don inné pour la mise en scène.
Elle ne souriait plus lorsqu'elle prononça d'un ton théâtral :
« Hermione Jean Granger, je suis désappointée. Vous avez abusé de mon indulgence et de mon envie de faire de vous quelqu'un de fréquentable. Nous avions convenu à l'issue de notre dernière réunion que vous feriez un effort pour arrêter de vous replier dans votre coquille comme un mollusque ressassant des pensées moisies. Rester déprimer dans un café tout l'après-midi en fumant des clopes ne constituant pas un progrès notable, voici votre sentence : vous allez m'accompagner ce soir pour une bonne petite sauterie. Et ça va être super cool ! » ajouta-t-elle d'un air complice avec un clin d'œil.
Sur ces mots, elle se saisit des cocktails que le serveur apportait, et en posa un devant Hermione d'un geste décidé. Cette dernière soupira, mais se rappela que boire pour oublier était complètement stupide, donc probablement encore une bonne thérapie pour elle. Elle but la moitié de son verre en quelques gorgées. Ginny la regardait d'un air satisfait.
« Bon, maintenant que c'est réglé, et en attendant la cuite du siècle, dis-moi tout, ma pauvre amie. Qu'est-ce qui te tracasse, encore ? » demanda-t-elle.
Hermione réfléchit dix secondes avant de répondre :
« Je flippe pour la rentrée. »
Ginny lâcha un petit rire, et son amie l'imita. C'était en effet une entrée en matière assez inhabituelle pour une élève studieuse comme Hermione ! Celle-ci prit une bouffée de la cigarette encore fumante de Ginny, et continua néanmoins :
« Je me rends compte que j'ai de plus en plus de mal à me motiver pour faire des activités productives en ce moment... Et devoir aller à la fac moldue, c'est un comble. Si c'était pour atterrir finalement ici, il ne fallait pas m'envoyer la fameuse lettre : "Bonjour, arrêtez tout, vous êtes une sorcière" !
— Tu dis des bêtises, dit Ginny sans tact.
— Certes, répondit Hermione sans se formaliser. C'est simplement que je ne me comprends plus moi-même. Je ne sais même pas pourquoi j'ai peur.
– C'est certainement un bon début de se poser la question, acquiesça Ginny, mais tu fais ça uniquement pour parvenir à te contrôler toi-même. Tu ne cherches pas des vraies réponses, juste des solutions. Et moi, je pense qu'il n'y a pas de solution. »
Hermione resta silencieuse. Son amie continua :
« Il n'y en aura aucune tant que tu n'arrêteras pas de vouloir tout analyser et tout prévoir. Tu ne trouveras jamais pourquoi tu as peur, tant que tu n'arrêteras pas d'avoir peur d'avoir peur. Tu te caches la vérité toute seule. Et tu me fais dire des trucs trop compliqués », ajouta-t-elle en portant son verre à ses lèvres avec un sourire.
L'autre lui rendit son sourire, toujours sans répondre. Ce n'était pas du tout « compliqué » pour Ginny de lire dans en elle comme dans un livre ouvert, puis de lui balancer ses contradictions à la figure. Elle la connaissait bien, certes ; mais Ginny était surtout une personne incroyablement sensible, capable d'une telle empathie qu'elle aurait tout aussi bien pu vivre la situation elle même tant les sentiments qu'elle prêtait aux autres étaient justes. Elle parvenait toutefois à rester plutôt objective dans ses propos, ce qui rendait souvent ses conseils judicieux. Hermione décida donc sagement de la fermer, et d'imiter son amie en prenant une nouvelle gorgée.
Quelques minutes passèrent, au cours desquelles les deux jeunes femmes regardèrent d'un air distrait la ruelle qui se remplissait à nouveau, d'une clientèle cette fois plus jeune et plus bruyante.
« Il y a un before à vingt-deux heures chez Luna, lança soudain Ginny.
— Cool, répondit Hermione. Il y aura qui ?
— Je ne sais pas exactement. Probablement toute la clique habituelle.
— La clique habituelle restreinte ou élargie ? demanda Hermione en grimaçant.
— Enfin Hermione, c'est notre dernière grosse soirée en tant que sorciers et sorcières ! Il y aura bien évidemment la totalité de la population anglaise ! »
Hermione éclata de rire, et Ginny se joignit à elle.
Les relations sociales d'Hermione et de ses amis avaient beaucoup changé depuis Poudlard. Après la guerre, la plupart des anciens combattants comme Hermione, Harry, Ron, Luna et Neville, avaient décidé de refaire leur septième année d'études à Poudlard ; le but était d'avoir de meilleures chances de réussir leurs ASPIC, mais surtout de se donner le temps de penser à un avenir qui était pour eux compromis il y a peu. Les relations entre les maisons, ou plutôt entre Serpentard et les autres, étaient tendues à l'extrême ; ce notamment le temps que dura le deuil des élèves qui avaient perdu des proches pendant la guerre.
Cependant, le début de leur première année en tant qu'étudiants post-Poudlard avait pour de nombreux jeunes sorciers marqué une volonté de tirer un trait sur le passé, et d'aller de l'avant. Las de ces conflits perpétuels qu'étaient les rivalités entre les maisons, trop blessés pour les entretenir, et conscients que celles-ci n'étaient pas étrangères à la guerre qui les avait secoués, beaucoup d'élèves avaient aboli ces frontières. Un monde nouveau s'offrait à eux, bien plus vaste et bien plus libre que ne l'était Poudlard ; il était hors de question qu'ils gâchent encore des années de leur vie en querelles enfantines et nuisibles.
Luna, Neville et Ginny faisaient partie de ces étudiants pionniers, qui s'étaient employés à effacer les séquelles de la guerre, dans une ambiance festive et dépourvue de rancœur. Hermione avait été à la fois effarée par leur idéalisme, et impressionnée par leur altruisme. Comment faisaient-ils pour pardonner la guerre à ces Serpentard de malheur ? Car oui, la clique « élargie » comptait parmi la pire engeance que Serpentard ait jamais portée.
Et Hermione avait beau être pacifiste, optimiste, et savoir que reproduire les erreurs du passé ne ferait qu'engendrer une nouvelle guerre, elle n'aimait pas particulièrement s'enfiler des pintes en compagnie de Pansy Parkinson, Blaise Zabini, et Drago Malefoy.
« Ça t'angoisse, n'est-ce pas ? lança Ginny d'un ton badin.
— Évidemment ! rétorqua Hermione, piquée au vif. Je n'arrive toujours pas à comprendre comment tu peux... Après tout ça...
— Peut-être, mais tu dois l'accepter », coupa doucement son amie.
C'était vrai. Hermione savait pertinemment que si quelqu'un avait le droit de pardonner, c'était Ginny. Elle avait perdu un frère dans cette guerre. Comment lui reprocher d'être si incroyablement courageuse qu'elle œuvrait pour un monde meilleur seulement deux ans après ? Et pourquoi était-elle incapable d'en faire autant, elle qui n'avait aucun frère à pleurer ?
Encore un signe qu'elle débloquait. Hermione soupira, voulut s'excuser puis se ravisa. Ginny était de celles pour qui les actes avaient plus de valeur de les mots. Elle héla donc le serveur à son tour, et commanda deux shooters de tequila, sous le regard rayonnant de son amie.
Elles burent leur boisson d'une seule gorgée et reposèrent leur verre sur la table. Hermione avait la gorge en feu ; encore un truc inexplicablement cool, qu'elle ajouta dans un coin de sa tête à la liste beaucoup trop longue des trucs cool qu'elle ne maîtrisait pas. Elle se demanda vaguement pour la centième fois si la meilleure façon d'analyser le monde extérieur était vraiment de se casser le crâne à coups d'éthanol.
« Allez Hermione, reprit Ginny d'un ton sérieux. Je comprends que ce soit difficile, tu peux me croire, mais ça ne va pas t'aider de ressasser des questions existentielles tout le temps.
— C'est vrai que jusque-là ce n'est pas très concluant, répondit Hermione d'un air résigné.
— Et puis, tu n'es pas obligée de venir ce soir, mais je pense que ça te ferait du bien. Ils ne sont plus pareils qu'avant tu sais, les Serpentard. Plus personne ne l'est d'ailleurs, même pas toi. »
Hermione hésita, puis soupira.
« D'accord, je viendrai, lâcha-t-elle.
— Trop cool », répondit Ginny en souriant.
Une expression malicieuse s'était peinte sur son visage dès qu'elle avait reçu l'approbation d'Hermione. Ginny répondit spontanément au regard interrogateur de celle-ci :
« Ça me rend toujours joyeuse de mélanger les personnes que j'aime entre elles. L'organisation de la soirée est alors comme la concoction d'une potion dont les ingrédients sont rares et précieux, et les effets toujours surprenants. Bref, aucun risque de s'ennuyer », expliqua-t-elle avec un sourire en coin.
Cette réponse n'étonnait pas Hermione une seule seconde de la part de Ginny. Celle-ci était une véritable maestro des relations sociales, et s'enivrait chaque jour de construire des amitiés vraies et crues, sans faux-semblants ; n'hésitant pas pour cela à tester les personnes de son entourage sans aucune forme d'éthique scientifique. Elle poussait même l'expérience jusqu'à tisser des liens entre d'autres personnes, avec la virtuosité qui caractérise une sensibilité à la limite de la manipulation. Hermione en savait quelque chose, c'était elle qui avait conseillé à une jeune Ginny éperdument amoureuse, de vivre pleinement sa vie de manière indépendante pour enfin parvenir à choper le Survivant. Il fallait croire qu'elle continuait sur cette voie, avec succès.
Un doute s'immisça dans l'esprit embrumé d'Hermione. Ginny avait-elle une raison particulière d'être contente qu'elle accepte d'aller à la soirée ? Mais qui...
« Allez ! Cul sec et on y va ! »
Ginny avait commandé deux autres shooters. Hermione céda soudain à l'impulsivité qui sommeillait dans son caractère de Gryffondor, et abandonna ses tergiversations. Les deux jeunes femmes trinquèrent, vidèrent leur verre, et se levèrent d'un pas chancelant pour transplaner chez Luna.
« Oh, vous êtes en avance ! »
Luna Lovegood regardait les deux amies à travers des lunettes de soleil rondes, un petit sourire rêveur flottant sur ses lèvres. Elle portait une robe T-shirt verte, des boucles d'oreilles dinosaure qui lui mordaient les lobes, et ses cheveux blonds emmêlés étaient relevés en un chignon explosif. Elle était assise sur son canapé, tenant un journal à l'envers. Une enceinte diffusait du reggae dans un coin de la pièce, ce qui donnait à la scène une ambiance paisible.
Hermione lui rendit un sourire éclatant, et alla la saluer. Elle était toujours stupéfaite de l'effet apaisant que pouvait avoir la présence de Luna sur elle. Si il y avait deux minutes à peine elle angoissait à l'idée de passer une soirée avec des personnes qu'elle n'appréciait pas – et c'était un euphémisme –, l'aura de Luna avait réduit ses craintes à de ridicules caprices. Était-ce parce qu'il semblait que rien ne pouvait l'atteindre ? Luna était-elle totalement perchée, ou incroyablement solide, pour parvenir à laisser les événements glisser sur elle avec cette sérénité constante et sans failles ?
Toujours était-il qu'Hermione se sentait rassurée. Luna était un pilier de paix et de sagesse, une gardienne du sanctuaire que constituait son petit appartement. Si quelqu'un pouvait maîtriser l'ambiance malsaine que ne manqueraient pas de ramener ces maudits Serpentard, c'était elle. Hermione ligota son esprit cartésien qui s'indignait de toutes ces considérations peu rationnelles, et prit place d'un côté de Luna pendant que Ginny s'asseyait de l'autre.
Bien évidemment, Hermione avait passé la quasi-totalité de l'année précédente à éviter les soirées de la clique « élargie ». Trop de questions, trop d'angoisses la taraudaient pour qu'elle trouve le courage de partager un moment de détente et d'amitié avec des personnes qui avaient démontré une affinité plus qu'inquiétante avec les forces du Mal. Elle avait eu besoin de se sentir en sécurité, ces deux dernières années. Et elle avait beau savoir que la guerre n'avait pas non plus été une partie de plaisir pour les enfants de Mangemorts, leur présence n'évoquait pas grand chose chez elle qui ait pu ressembler à un sentiment de sécurité.
Était-ce parce que Drago Malefoy l'avait regardée être torturée ? Parce que Pansy Parkinson avait suggéré de livrer Harry à Voldemort ? Parce que la totalité de la maison Serpentard l'avait harcelée sans relâche à Poudlard ? Elle avait une centaine de bonnes raisons de ne pas vouloir de leurs têtes dans son champ de vision.
Cela ne l'avait pas empêchée de faire la fête, comme tous les étudiants qui sortaient de Poudlard. Elle préférait seulement le faire avec les êtres qui lui étaient chers, comme maintenant avec Ginny et Luna, ou souvent avec Harry et Ron. Et lorsque ceux-ci partageaient leur temps avec des personnes peu fréquentables, Hermione sortait avec d'autres amis de sa promotion – ou même parfois seule.
Hermione s'aperçut que Luna la fixait de ses yeux bleu pâles, une lueur d'intérêt au fond des prunelles et un sourire creusant ses fossettes.
« Je ne pensais pas que tu viendrais, lâcha-t-elle d'un ton songeur. Mais qui n'a jamais eu tort de douter de toi ? »
Ginny se détourna du journal qu'elle avait emprunté à Luna pour écouter la conversation des deux autres d'un air intéressé. Hermione, surprise, resta bouche bée cinq secondes devant cette entrée en matière, et s'apprêtait répondre lorsque Luna enchaîna :
« En tout cas, je suis heureuse que tu sois venue, parce que je sais que tu apprécies particulièrement mes expériences botaniques, dit-elle avec un grand sourire rêveur. Elle ajouta, ouvertement ravie, devant l'air interrogateur d'Hermione : ma tentacula sucrée a poussé !
— Oh ! s'exclama Hermione. Je suis impressionnée, Luna ! Elle fait partie des plantes les plus difficiles à faire pousser en pot, à cause de sa claustrophobie. J'avais lu quelque part que Herbert Labière lui-même avait essayé cinquante-six fois avant d'y arriver !
— On pourrait lui faire honneur dès maintenant », glissa subtilement Ginny.
Luna éclata de rire, pour une raison mystérieuse. Ginny se tourna vers Hermione, sourire aux lèvres, sourcil levé, l'air de dire : Bon, on s'y met sérieusement ?
Soudain, Hermione se rendit compte qu'elle se sentait bien. La présence de ses deux amies, l'appartement de Luna, la tentacula sucrée... Tout était plus que parfait, magnifique, indicible. L'instant présent l'enveloppait, tel un doux cocon qu'elle n'avait que peu connu ces dernières années, trop étreinte par chagrin, culpabilité, angoisse. Oublier ses soucis en fumant un pétard, la belle affaire, raillait Miss Je-sais-tout, le rat de bibliothèque, la Raison toute puissante mais si étriquée. Raison devenait amère ses derniers temps, elle cherchait à camoufler sa peur. Peur, parce que le monde était bien plus qu'un système d'équations arithmanciques. La scène était d'une banalité effarante, d'une beauté sans bornes. Rien n'était logique là-dedans. Jamais Hermione n'avait tant aimé arrêter de réfléchir. Avait-elle déjà autant aimé aimer ? Elle avait envie de pleurer.
L'instant s'effaça pour laisser place au suivant. Luna la regardait, avec ses yeux globuleux et inquisiteurs. Ginny demandait poliment à la tentacula sucrée si il lui était possible de mettre un peu de pollen dans son tabac. Hermione était heureuse.
Hermione savait pertinemment, en vérité, que l'irrationnel n'était pas forcément illogique. Il était parfaitement possible d'analyser des comportements qui n'étaient pas guidés par la raison, il fallait seulement rajouter certains termes à l'équation et admettre qu'ils pouvaient être impossible à calculer, voire même à estimer. Elle avait simplement peur de la quantité de termes qu'elle avait manqués pendant sa vie, enfermée dans une bibliothèque à étudier des livres qui manquaient cruellement de poésie. Elle avait peur de finir noyée sous cette quantité.
Mais dans des moments comme ceux-là, Hermione retrouvait le sentiment d'être sur la bonne voie, malgré ses erreurs passées et la peur panique de découvrir jusqu'à quel point elle avait été aveugle. La lumière, au bout du chemin, était éblouissante et ne laissait place qu'à un immense espoir.
Et la petite braise, au bout du pétard, promettait une soirée intéressante.
Pendant que Ginny proposait à la tentacula de prendre une bouffée de son joint, Luna regardait toujours Hermione d'un air vaguement intrigué. Celle-ci s'accrocha à son regard, une nouvelle fois émerveillée de la sérénité qu'il dégageait. Elle songea que ce terme-là de l'équation n'était pas négligeable. Si ce bleu-là lui inspirait autant de paix que la venue des Serpentard de l'angoisse, alors elle ne serait pas démunie. C'est ainsi qu'Hermione accepta de faire affaire avec les monstres incertains et indignes de confiance qui vivaient dans son enfer personnel – autrement dit, ses émotions.
Elle saisit le pétard que lui tendait la tentacula sucrée, en tira une bouffée et savoura enfin son absence de réflexion.
« Tu as l'air d'aller mieux, dit soudain Luna en caressant pensivement ses petits dinos.
– C'est bon, on peut recommencer à parler du coup ? » demanda Ginny sur le ton de la conversation.
Hermione éclata de rire, et serra ses amies contre elle. Elle débloquait complètement, mais était-ce si embêtant que cela, finalement ?
« On se fait une partie de bavboules ? » proposa-t-elle.
Une heure plus tard, lorsque un crac sonore retentit dans l'appartement, les trois jeunes femmes étaient en train de danser et chanter à tue-tête sur un morceau de swing endiablé, dans un salon tellement enfumé qu'on avait l'impression de nager dans un aquarium. Hermione se tourna vers les nouveaux venus, un immense sourire s'étalant sur son visage. Sourire qui se figea lorsque, euh... Blaise Zabini venait-il vraiment de lui donner une accolade ?
Pansy Parkinson posa sans délicatesse trois bouteilles de whisky Pur Feu sur la table, et lança d'une voix éraillée :
« Les enfants, ça va envoyer du Scroutt à pétard ! »
