Coucouuuuu, me revoilà !

Ce chapitre, ça fait longtemps qu'il est écrit mais je n'en était pas satisfaite. Je pense que je ne le serai jamais parfaitement mais tant piiiiiis ça part

On part sur le point de vue de Ginny pour cette fois :)

Merci pour vos reviews ça fait super plaisir !

Bonne lecture ~

Eanthy

Dharma : Merciii pour ta review ! Je suis vraiment désolée pour les clopes, je suis moi-même beaucoup trop accro et en tant qu'auteure novice je me sers énormément de mes expériences pour écrire, sachant que je passe mon temps avec une clope au bec c'est compliqué hahaha, il faudra que je progresse là dessus !
J'espère en tout cas que ça ne gâche pas trop ta lecture, et que ce chapitre te plaira, ça fume un peu moins que d'habitude mdr

lapetitesoeur : Merci bcp soeur tu es adorable 3 j'espère que tu aimeras bien la suite, je suis trop contente que tu lises et que ça te plaise :)


Ginny Weasley déambulait laborieusement dans les rues de Londres, une multitude de sacs dans une main et une cigarette à moitié consumée dans l'autre. Le ciel était d'un bleu immaculé et le soleil tapait dur ; quelques gouttes de sueur glissaient le long de son cou et tombaient régulièrement dans le col de son T-shirt. Une foule dense l'entourait et la gênait dans ses mouvements, mais elle se faufilait habilement et avançait inexorablement vers son but, son Saint Graal, le centre de son monde : un café.

Son objectif enfin en ligne de mire, Ginny plissa les yeux et puisa dans ses dernières forces en accélérant le rythme. C'est d'un pas décidé qu'elle déboula dans le café, les joues si écarlates derrière ses cheveux roux qu'on aurait dit une torche vivante. Elle détacha le regard de son reflet dans la porte vitrée, s'appuya lourdement contre le comptoir, et plongea ses yeux dans ceux de la barmaid. Elle avait une magnifique tresse en épis et un nez retroussé. Ginny lui demanda :

« Bonjour, je vais prendre un café allongé s'il vous plaît. »

La barmaid hocha la tête et s'affaira quelques dizaines de secondes derrière le comptoir avant de poser une tasse remplie du précieux liquide marron foncé devant Ginny. Celle-ci sourit, tâtonna machinalement ses poches puis se maudit soudain en repensant à sa monnaie au fond de l'un de ses sacs pleins à craquer.

Un grand soupir, toujours plus de sueur et quelques insultes à propos du derrière de Merlin marmonnées de façon inintelligibles plus tard, Ginny inspira un grand coup en ressortant sur la terrasse avec son café. Elle s'approcha d'une petite table ombragée, enleva ses baskets et s'échoua comme une baleine sur l'une des chaises.

Ginny ferma les yeux brièvement, la tête abandonnée sur le dossier de la chaise, appréciant cet instant d'éternité durant lequel ses jambes étaient enfin libérées du fardeau qui pesait sur elles. Puis, elle ouvrit les yeux sur le ciel, qui arborait ce jour-là un bleu si profond qu'on l'aurait cru violet. Myosotis, comme la couleur préférée de Blaise.

Elle imagina Blaise Zabini avec son débardeur myosotis mettant en valeur sa musculature, ses yeux rieurs et son sourire éclatant, lancer une blague médiocre qui ne faisait rire que lui. Elle imagina Pansy Parkinson à ses côtés, le visage neutre, lui jetant un regard que Ginny savait affectueux, le dos droit et le menton haut. Elle imagina Drago Malefoy en retrait, vide d'expression, marchant à leurs côtés, évoluant comme s'il était séparé de son environnement, comme s'il n'existait pas vraiment. Elle imagina Pansy lui lancer une tirade assassine dont elle avait le secret, le visage du blond s'animer soudain, incertain quant à ce qu'il devait exprimer, quant à ce qu'il ressentait. Elle esquissa un air mélancolique sur les traits de Blaise, cet air qu'il arborait lorsqu'il oubliait qu'on le regardait, c'est-à-dire presque jamais. Elle essaya de décrire Pansy plus en détail, ses vêtements, sa posture, son visage, ses yeux verts d'eau… Elle cligna des yeux.

Ginny alluma une cigarette et en tira une longue bouffée. Elle souffla la fumée sur le bleu du ciel, les volutes se dispersant dans l'air, tout comme les fantômes de son imagination lorsqu'elle était trop fatiguée pour dessiner leurs traits.

Ginny promena son regard alentours. Hermione n'allait pas tarder à la rejoindre, parfaitement ponctuelle, comme à son habitude. Ginny avait tenu à arriver avant elle ; elle avait certes failli y laisser deux bras et deux poumons mais elle avait réussi. Son amie était tellement ancrée dans ses certitudes, et dans ses habitudes moralement parfaites, que Ginny avait à cœur de chambouler le tout régulièrement. Hermione avait besoin de sortir de sa zone de confort, parce qu'elle n'y était pas si confortable que cela. Elle en souffrait, et souffrait plus encore de refuser de comprendre pourquoi.

Cela rendait Ginny folle. Elle, voyait environ deux cent raisons pour lesquelles Hermione souffrait : ses parents, la guerre, les changements constants d'environnement auxquels elle était soumise, sa grande sensibilité, sa grande capacité d'analyse et le sentiment d'être incomprise par ses pairs, sa rupture avec Ron, le sexisme ordinaire, le sentiment de devoir toujours trouver sa place au sein du monde sorcier… Mais le pire restait sans doute qu'elle se refusait à les affronter.

Comment Hermione, forgée au feu des tous ces fléaux, dont les plus grandes forces avaient toujours été la persévérance et la rationalité, pourrait-elle accepter qu'elle devait abandonner ? Que les problèmes n'avaient pas toujours de solution ? Que parfois, la meilleure façon de se battre était d'accepter que l'on était une victime ? Que de voir le monde à travers le prisme de ses exigences ne faisait que la conforter dans une illusion ?

A quoi bon surmonter autant de souffrances, si cela ne vous rendait pas invincible ?

Cela rendait Ginny folle, parce qu'elle aussi s'était heurtée à la confrontation entre ses idéaux et le monde. Elle avait mis un temps infini à comprendre qu'elle avait beau être franche, loyale, droite et courageuse, et mettre un point d'honneur à le rester, ce n'était pas toujours de sa faute si elle échouait.

Le monde était pourri, voilà tout.

La rousse sourit en sortant une nouvelle cigarette de son paquet. Tout était cohérent.

Ginny adorait comprendre les gens mieux qu'ils ne le faisaient eux-mêmes. Ils étaient ses élèves, auxquels elle se plaisait à montrer le chemin, mais aussi ses professeurs, desquels elle tirait un enseignement perpétuel. Ils étaient ses exemples et ses contre-exemples, ses modèles et ses déceptions, ses réussites et ses échecs. Quelque part, ils étaient aussi ses marionnettes, des poupées désarticulées dont elle tirait parfois les fils, lorsqu'elle était persuadée de pouvoir changer les choses.

Ginny savait qu'elle jouait un jeu risqué. En se plaçant au dessus des autres, elle prenait le risque d'avoir tort et d'être incapable de se remettre en question à propos de ses erreurs. Et en vivant au travers du regard des autres, elle s'exposait à une lente mais constante perte d'empathie vis-à-vis d'elle-même. Ces risques étaient réels, pourtant Ginny pensait qu'en avoir conscience pouvait suffire à les contenir.

Mais par-dessus tout, elle savait que le jeu en valait la chandelle. Son rôle pouvait être si bénéfique aux personnes qui l'entourait, qu'elle aurait été incapable de l'abandonner.

Et puis, elle avait un nouvel objectif. Comment pourrait-elle délaisser ses nouvelles cibles, des protagonistes de choix pour cette histoire qu'elle avait commencé à dessiner, Drago Malefoy et…

« Hermione ! »

Hermione Granger la fixait, une petite ride entre les sourcils et un léger sourire suspendu aux lèvres. Elle était tranquillement assise en face de Ginny, les jambes croisées, une cigarette à moitié consumée dans la main et son café posé sur la table. Autant pour le chamboulement des certitudes.

« Peut-on savoir quelles pensées machiavéliques se cachent encore derrière ce sourire rêveur ? », lança Hermione en posant ses coudes sur la table, l'air exagérément intéressé.

Ginny se redressa, posant ses pieds sur ses baskets pour ne pas salir ses chaussettes. Hermione avait le visage pâle et l'air fatigué, mais ses yeux noisette brillaient d'enthousiasme. Elle portait une chemise bleue et un jean, ses cheveux étaient relevés en un chignon flou.

« Des plans machiavéliques ? Je ne vois pas de quoi tu veux parler », répondit Ginny en levant les sourcils d'un air innocent qu'elle savait très peu convaincant.

Voyant qu'Hermione était sur le point de la couper, Ginny changea de sujet en toute subtilité :

« Toi, en revanche, tu m'as l'air bien guillerette, dit-elle d'un ton suspicieux en pointant le doigt vers Hermione. Est-ce que par hasard, la perspective d'une soirée imminente y serait pour quelque chose ?

— Hmmm, laisse moi réfléchir, répondit Hermione en faisant mine d'être au cœur d'une intense réflexion. Est-ce que par hasard, tu ne serais pas un peu trop enthousiaste à l'idée d'avoir eu raison depuis le début ?

— Alors j'avais raison ! » lança Ginny avec un rictus exagérément suffisant, tout en rallumant nonchalamment sa cigarette.

Hermione secoua la tête.

« Je ne peux rien faire face à une telle génie du mal », dit-elle en écrasant rageusement sa cigarette dans le cendrier, le sourire qui flottait sur ses lèvres trahissant son amusement.

Ginny inclina la tête et mima une révérence.

« A votre service, très chère ! »

Le sourire d'Hermione s'effaça progressivement, tandis qu'elle semblait plonger dans ses pensées.

« Tu sais, je n'aurais jamais pensé pouvoir lâcher prise aussi facilement, dit-elle avec un soupir. Ça me fait même un peu peur.

– C'est normal, tu sais ?

– Oui, je sais. »

Le visage d'Hermione était étonnamment détendu. Ses yeux noisettes, plongés dans le vide quelque part derrière Ginny, semblaient emplis d'un mélange de paix et de résignation. Ginny croyait également y discerner une pointe de… joie ?

Hermione reporta son regard sur Ginny.

« Bon. Tu restes calme, d'accord ? »

Un frisson d'appréhension caressa l'échine de Ginny. Elle posa les deux coudes sur la table, son menton dans le creux de ses mains, et braqua un regard interrogateur sur Hermione. Celle-ci sourit et se lança :

« J'ai croisé plusieurs fois Malefoy à la bibliothèque, depuis la soirée. On a un peu parlé, et on a commencé à travailler sur un projet ensemble. »

Ginny renvoya un large sourire entendu à Hermione, ignorant le creux qui semblait s'être logé dans sa poitrine, quelque part à côté de son cœur.

« J'étais assez embêtée, au début, poursuivit Hermione. Je me sentais prise dans un étau. Je ne voulais pas me rapprocher d'eux. Pourtant, je n'avais pas le choix, et c'était en grande partie de ton fait – elle lança un clin d'oeil entendu à Ginny qui le lui rendit par réflexe. Les circonstances m'y obligeaient, et je détestais ça. Et puis… j'ai réalisé qu'en refusant systématiquement de me plier aux choix qui m'étaient imposés, je ne faisais que réduire le nombre de possibilités à ma disposition. J'ai décidé de m'ouvrir à tous les choix, sans exception, de façon à pouvoir faire celui qui me convenait le mieux. »

Ginny prit une grande inspiration, un grand sourire toujours plaqué sur son visage. Le creux s'élargit, devint une crevasse qui grandissait inexorablement sous son plexus solaire, comme secouée par chaque battement de cœur. La main tremblante de Ginny saisit une nouvelle cigarette.

« ... probablement se retrouver dans pas longtemps à la bibliothèque, pour s'y remettre un peu avant la soirée », conclut Hermione en prenant une gorgée de café.

Le frisson d'excitation s'était mué en une vague de malaise, qui menaçait de se déverser dans le vide béant qu'était devenu le corps de Ginny. Celle-ci expira doucement la fumée qui emplissait ses poumons, et trouva la force de maintenir un sourire qu'elle espérait convaincant sur son visage. Elle inspira ensuite une bouffée d'air chauffé par le soleil, et lança :

« C'est super ! J'ai aussi quelques trucs à faire avant ce soir, je dois repasser chez moi. On se retrouve chez Luna ? »

La voix de Ginny était ferme, son intonation parfaitement mesurée, le masque qu'elle portait répondant à ses injonctions comme une seconde peau. Son amie acquiesça, complètement inconsciente de la tempête qui faisait rage quelque part dans ses tripes.

Ginny rechaussa ses baskets, rassembla ses nombreuses affaires, écrasa son mégot dans le cendrier et lança un clin d'œil à Hermione avant de partir dans la direction opposée à la sienne.

« A tout à l'heure, Ginny ! »

Les pavés défilaient sous ses pieds. Elle ne pouvait détacher le regard du paysage flou qui se dessinait sur le sol, tant relever la tête représentait un effort insurmontable. Quelques larmes glissaient silencieusement sur ses joues pour s'écraser au sol et s'y évaporer presque instantanément.

Ginny serra les dents. Elle ne savait ni où elle allait, ni ce qu'elle allait y faire, mais elle n'en avait rien à foutre.

Ginny marcha de cette façon pendant une durée indéterminée. Elle était épuisée, pourtant elle continuait à aligner un pied devant l'autre, avec détermination. Les larmes se mêlaient à la sueur sur son visage.

Le rythme de ses pas s'imprimait dans son cerveau, les mouvements périodiques qui animaient son corps emplissant peu à peu ses pensées jusqu'à n'y laisser qu'une vague traînée humide, douce amère.

Ginny avait tant marché qu'elle s'effondra pratiquement sur un banc, étalant ses jambes sur l'énorme tas formé par ses nombreux sacs.

Elle ferma les yeux. Elle dodelinait de la tête en tapant du pied, accompagnant doucement de ce qu'il restait de son corps les songes qui ondulaient, circonvoluaient, tourbillonnaient jusqu'à en perdre l'équilibre dans son esprit.

Ginny enfouit sa tête dans ses mains. Elle n'avait plus d'énergie pour tenir bon, pour continuer à alimenter la vie qui circulait dans son corps. Elle était bloquée, incapable de penser au futur, de se raccrocher au passé, elle ne pouvait plus échapper à elle-même, à l'instant présent. L'univers s'étrécit brusquement autour d'elle, tout comme sa liberté de mouvement lui échappait peu à peu, de plus en plus vite. Son rythme cardiaque s'accéléra, elle avait peur du monstre de vide qui la guettait, depuis l'intérieur d'elle-même. Elle le connaissait, le haïssait ; elle voulait hurler de rage et l'anéantir, pourtant elle ne put que rester figée de terreur, haletante. Plus rien à l'intérieur de son être ne lui inspirait plus confiance, elle n'était plus en sécurité dans les limbes de ses songes. Elle se raccrocha désespérément à tout ce qui lui parvenait encore du monde extérieur : le discret soufflement du vent, le brouhaha des discussions des passants, la musique qui lui parvenait de loin. Tout ce qui pouvait la tirer de là.

Dans le noir béant, elle crut discerner une lueur. Elle suivit le filet de voix qu'elle saisissait par bribes, et s'y accrocha de toutes ses forces. La musique se fraya un chemin dans son esprit dévasté par la peur, Ginny l'accueillit avec tant d'ardeur que le volume augmenta brusquement, comme si son ouïe était soudainement devenue hypersensible. Le rythme, la mélodie, l'harmonie, elle saisissait tout jusque dans les moindres détails. L'univers n'était plus noir, il était musique, il était cette basse, ce clavier, cette voix légèrement cassée. Il était beau à en crever.

Ginny n'avait aucune idée du temps qu'elle passa à s'imprégner des chansons qui se succédaient, à se gaver de la vie qui circulait à nouveau dans ses veines, à s'oublier avec joie. Soudain, elle ouvrit de grands yeux écarquillés. S'était-t-elle endormie ?

Elle balaya la petite rue du regard. Le soleil brillait toujours, faiblement, juste au dessus des immeubles. Les passants passaient toujours. La musique était toujours là, et elle provenait de ce bar, à vingt mètres.

Ginny se leva brusquement. Elle crut un moment qu'elle allait faire un malaise pour s'être redressée trop vite, pourtant elle parvint à garder le contrôle en expirant doucement l'air contenu dans ses poumons. Elle rassembla ses courses et se leva sans plus attendre. Une nouvelle flamme brillait, quelque part près de son cœur. Elle ne doutait pas que le monstre n'oserait pas s'en approcher de sitôt, et elle n'était pas du genre à se tourner les pouces en attendant qu'il revienne.

Ginny releva fièrement la tête, et se dirigea vers le bar. Elle en connaissait la devanture, mais n'était jamais allée à l'intérieur. Elle ouvrit la porte battante sans hésiter, commanda une bière au comptoir, déposa ses courses dans un coin sous la surveillance du barman et fila aux toilettes en attendant qu'elle soit servie. Elle traversa la salle qui était à moitié remplie ; les musiciens et musiciennes étaient visiblement en pause et un joyeux brouhaha flottait dans l'air.

Une fois dans les toilettes, Ginny agrippa son propre regard dans le miroir qui surplombait le lavabo et constata les dégâts.

Elle avait les yeux cernés et rougis. Elle était si pâle, que sans les tâches de rousseur qui constellaient son visage, on aurait pu la croire transparente. Le contraste avec le roux flamboyant de ses cheveux et le marron foncé de ses yeux était frappant, et lui donnait un air quasi inhumain. Ses lèvres décrivaient d'intéressantes nuances de gris. Pourtant, voir son reflet la rassura. Souvent, après une crise, elle était surprise que son corps ne se soit pas transformé en tas de chair informe bousillé par la douleur. Il était toujours agréable de constater que ce n'était pas le cas.

Ginny aspergea son visage d'eau froide, appréciant la sensation de fraîcheur sur sa peau brûlante. Elle se sécha avec une serviette en papier, puis sortit un rouge à lèvres de son sac. Elle redessina soigneusement sa bouche, lui rendant une belle couleur rouge sombre, presque métallique. Elle passa un crayon noir sous ses yeux, ajouta une touche de mascara, et contempla le résultat. Ginny se trouvait belle. Elle aimait ce visage d'un blanc presque mort, et pourtant jamais aussi vivant qu'au bord de la rupture. Elle aimait cette beauté surnaturelle, contre-nature, qui exprimait mieux que mille mots les tempêtes qu'elle traversait quotidiennement.

Elle l'aimait d'autant plus qu'elle ne l'aimait presque jamais.

Ginny sourit. Ce n'était pas la première fois qu'elle faisait une crise d'angoisse, et ce ne serait certainement pas la dernière. Elle était là, elle le serait toujours. Elle inspira un grand coup, et sortit des toilettes.

Elle resta interdite devant le spectacle qui s'offrait à elle.

La musique la saisit une fois de plus, lancinante, entraînante, sensuelle. Le bar n'était pas très grand, pourtant Ginny remarqua à peine le décor qu'elle avait manqué d'observer quand elle était rentrée, les personnes qu'elle avait à peine pris le temps de dévisager, et le barman qui lui tendait sa bière avec un regard insistant. Son regard fut happé par la scène, sans concession. Les lumières dansaient, les murs clignotaient au rythme de la mélodie, l'univers entier semblait pointer le doigt vers le centre de l'estrade sur laquelle jouait le groupe.

La chanteuse chantait.

Pansy Parkinson était vêtue d'un simple T-shirt noir, et d'un short en jean très court. Elle était outrageusement maquillée et portait des talons vertigineux. Elle se mouvait au rythme de la musique, ondulant, tournoyant, sautant, comme poignardée par chaque note jouée par le reste du groupe. Tout dans l'ambiance électrique qui animait le bar paraissait parfaitement adapté pour lui donner la force de chanter, hurler, faire des grimaces au public, grogner, éclater de rire, sans autre raison valable que l'évidence qui émanait de chacun de ses gestes. Une énergie incroyable semblait bouillonner en elle, comme si pour elle, c'était chanter ou exploser. Sa voix, d'ordinaire légèrement fêlée, était si rauque qu'elle semblait rocailleuse. Pansy donnait tout simplement l'impression de brûler vive, propageant dans toute la salle un incendie que même le vide le plus absolu ne saurait éteindre.

Merlin, depuis quand Pansy était-elle aussi… expressive ? Le mot était faible. Ligoter les gens à coups de performance vocale n'en rentrait clairement pas dans la définition.

À la fin de morceau, Pansy salua théâtralement le public, reprit son micro et lança :

« Merci à toutes et à tous ! On s'est bien marré, mais c'était notre dernier morceau. On va laisser place à la jam, n'hésitez pas à venir continuer à ambiancer ce début de soirée ! »

Une vague de protestation se souleva dans la salle, à laquelle Ginny se joignit sans hésiter. Mais rapidement, le groupe quitta l'estrade et d'autres personnes le remplacèrent. Ginny était sur le point de suivre Pansy et ses partenaires, quand une large paluche s'abattit sur son épaule. Elle se retourna vivement, surprise ; c'était le barman lui tendait sa bière avec insistance. Ginny la récupéra, en but rapidement quelques gorgées – Merlin qu'elle était assoiffée ! – et balaya la salle du regard.

« On peut savoir qui tu cherches comme ça ? »

Pansy était adossée nonchalamment au bar, derrière elle. Elle lui souriait. Une vive décharge secoua Ginny, quelque part dans la poitrine. Après la musique, après Pansy, elle ne comprenait plus comment elle avait pu se sentir vide un jour, au point de risquer de basculer.

« C'est toi que je cherchais. Je ne savais pas que tu chantais. C'était incroyable, répondit Ginny en toute honnêteté.

— Et moi, je ne savais pas que tu serais là. Viens donc me raconter comment tu as atterri ici », enjoignit Pansy en saisissant sa bière pour se diriger vers une table proche.

Pansy s'assit lourdement dans sa chaise. Ginny l'imita. Les deux jeunes femmes restèrent ainsi quelques minutes à engloutir leurs bières, le regard rivé vers la scène où d'autres musiciens reprenaient des classiques de pop moldue.

Ginny détourna les yeux et posa son regard sur Pansy. Celle-ci tourna la tête et le lui rendit. Les yeux verts d'eau de Pansy semblaient gris sous la lumière jaune-orangée des spots. À sa silhouette affalée sans grâce sur sa chaise, se superposait celle de la bête de scène qui lui avait précédé, imprimée sur la rétine de Ginny. Les deux images se fondaient entre elles dans son esprit, menaçant de court-circuiter son cerveau. Pourtant, après quelques instants, Ginny décida qu'il n'y avait rien de surprenant. Pansy avait toujours eu cette espèce de présence écrasante.

Ginny et Pansy avaient entretenu une relation principalement alimentée par l'alcool et la drogue depuis qu'elles faisaient partie du même cercle d'amis. Ensemble, elles étaient les deux compères toujours partantes pour faire la fête, réaliser les idées les plus stupides, crier et chanter sans interruption pendant dix heures de soirée. Elles se connaissaient bien... quand elles étaient complètement bourrées et défoncées. Même en cours, elles ne parlaient pas beaucoup. Et là, Ginny ne savait pas quoi dire. Surtout maintenant qu'elle connaissait le côté sombre de Pansy, cette espèce de sirène démoniaque capable de sauver les gens paumés quand ils font des crises d'angoisse existentielles.

Le visage de Pansy n'exprimait quasiment aucune expression. Bizarrement, cela rassura Ginny. Elle se lança :

« Je marchais sans but précis, et puis j'ai entendu la musique que vous jouiez. Alors je suis venue. Ça m'a fait un bien fou, confia Ginny. Je me sens bien mieux, maintenant.

— Tu te sentais mal ? » demanda Pansy.

Une ombre passa sur son visage de cire, si fugace que Ginny crut l'avoir rêvée.

« On peut dire ça, oui.

— Si jamais tu veux en parler, tu peux. »

Ginny réfléchit environ deux secondes et demie avant de répondre :

« C'est une bonne idée, faisons ça. Je reviens. »

Elle se leva, se dirigea vers le bar et commanda une rangée de shooters de rhum aromatisés à différentes saveurs. Elle repartit avec son plateau qu'elle posa sans délicatesse sur la table. Pansy s'écria :

« Pour une bonne idée, c'est une bonne idée ! »

Les deux amies trinquèrent avec enthousiasme, renversant au passage un bon tiers de leurs shooters sur la table, et burent leurs verres d'un trait.

Une pointe d'appréhension familière remonta le long de la colonne vertébrale de Ginny. Elle avait envie de parler à Pansy de ce qui était arrivé, mais se replonger dans les instants qu'elle avait vécus était angoissant. Elle n'aimait pas se confier, c'était comme revivre une souffrance qu'elle n'avait pas la moindre envie de revoir en peinture. Et puis, elle avait peur qu'en parlant de ses problèmes, ceux-ci ne fassent que reprendre plus de consistance dans son esprit ; elle craignait de leur redonner vie en les ancrant davantage dans la réalité. Peut-être était-ce pour cette raison qu'elle préférait de loin s'intéresser aux problèmes des autres qu'aux siens ?

Pourtant, encore une fois, l'absence d'expression sur le visage de Pansy lui donna du courage. Elle savait que Pansy ne réagirait pas à ce qu'elle dirait, qu'elle ne donnerait pas plus d'existence à sa douleur que celle-ci n'en méritait. Pansy, la Sang-Pur impassible voire hautaine, la chanteuse lunatique à la présence écrasante, ne risquait pas d'accorder du crédit à ce qui n'en valait pas la peine.

Ginny se lança théâtralement, peignant un sourire volontairement hautain sur ses lèvres, pleine d'auto-dérision :

« J'aime analyser les personnes de mon entourage. J'ai une assez bonne intuition de la manière dont il faut aborder les gens, et tirer les ficelles pour les aider. Je crée les opportunités, les coïncidences, les occasions en or ; je suis la chance, le coup de pouce du destin. La vieille sage, dans l'ombre, qui sait tout et contrôle tout, c'est moi. Et grâce à moi, les personnes que j'aime trouvent le bonheur », déroula-t-elle sur un ton exagérément pompeux, achevant sa tirade par une imitation déplorable de révérence et un petit rire.

Pansy haussa un sourcil.

« Mais qui t'a envoyée à Gryffondor ? demanda-t-elle en laissant échapper un mince sourire sur ses lèvres.

– Je ne sais pas, répondit Ginny en riant. C'est vrai que c'est assez bizarre, dit comme ça. Mais le sentiment d'avoir toutes les clefs en main, sans pouvoir en faire quoi que ce soit, je l'ai trop connu, ajouta-t-elle en reprenant son sérieux. Il ne suffit pas de dire leurs quatre vérités aux gens qui ont besoin d'aide, pour les aider : il faut leur exposer la vérité, crue, sans faux-semblants. Il faut leur montrer. »

Pansy hocha la tête.

« Et pourtant te voilà, et on dirait que c'est toi qui as besoin d'aide. »

Ginny fronça les sourcils.

« Certes. »

Ginny reprit un shooter de rhum, et se l'enfila cul sec. Pansy l'imita, puis reporta ses yeux clairs sur elle. Ginny sentait ses pensées s'embrouiller, s'entremêler et se redessiner sous un nouveau jour – enfin, sous le prisme de l'alcool. Elle ne détacha pas ses yeux de ceux de Pansy, jusqu'à trouver quelque chose de cohérent à dire pour expliquer la situation. Pansy, avare de mots, la regardait, prête à l'écouter.

« Harry m'a quittée, quelques mois après la guerre. Il n'allait pas bien ; normal, après tout ce qu'il avait vécu ! Il présentait des séquelles de ses nombreux traumatismes, et avait besoin d'être soigné pour ça. Et là… il m'a quittée. Il ne voulait pas "faire peser sur moi un énième fardeau" – Ginny mima des guillemets avec une grimace de dégoût –, alors il a décidé de me laisser vivre ma vie, de me laisser me réparer seule, sans le poids de ses cicatrices sur les épaules. »

Ginny eut un rire jaune. Parler de cela, réveillait toujours en elle cette rage dévastatrice qu'elle n'avait jamais voulu endiguer. Pansy hocha la tête, elle avait probablement déjà entendu parler de cet épisode depuis qu'elle fréquentait leur groupe d'amis.

« Ainsi, le héros s'est sacrifié une fois de plus. Et une fois de plus, il ne m'a pas laissé de choix. Harry Potter, le Survivant, incarnation même de l'abnégation et du don de soi, s'est finalement révélé être un monstre d'égoïsme. Il n'avait pas la force de me voir, alors qu'il s'attribuait la faute de la mort de Fred. Il ne pouvait pas faire face à la culpabilité. Alors, il a fait ce qu'il y avait de mieux pour lui, tout simplement. Et ce n'est pas le problème ! Le problème, c'était de prétendre faire ça pour mon bien ! »

Ginny serra les poings.

« Je lui ai dit, tout ça. Que c'était un mécanisme de protection, pas un sacrifice. Que c'était de l'égoïsme, de la masculinité toxique, que j'avais mon mot à dire et que me le retirer en prétendant faire le bien n'était certainement pas un acte héroïque. Ça n'a servi strictement à rien. Il m'a quittée comme ça, un air déçu peint sur le visage, cet air qu'arborent les héros inéluctablement incompris par leur entourage. »

Pansy la regardait toujours, sirotant tranquillement son troisième verre de rhum, acquiesçant de temps à autres.

« Je l'ai haï, vraiment. J'attendais autre chose de l'amour que cette comédie à vomir. Cette impression de tout savoir, sans pouvoir rien faire pour autant, cette impuissance dégoûtante, m'a frappée, et me frappe encore à l'instant où j'en parle. Je ne pouvais pas l'accepter, je ne peux toujours pas. J'ai décidé d'employer tous les moyens possibles pour… pour pouvoir, tout simplement, termina Ginny.

– C'est légitime, répondit Pansy. Les gens qui se sacrifient adorent sacrifier les autres en même temps qu'eux, je connais le type de personnage. Je comprends le besoin de ne pas être impuissante face à eux. Mais ce… besoin de contrôler les gens, il ne concerne pas que Potter, de ce que tu disais ? »

Ginny tiqua. Pansy avait hésité sur le terme à employer, mais elle avait raison. Cette façon de vivre n'était pas un choix pour elle, c'était une obligation. Un moyen de survivre.

« Non, c'est vrai. J'ai perdu confiance en beaucoup de choses, à l'issue de ce qu'il s'est passé. Il n'y a probablement pas eu qu'Harry, il y a eu les séquelles de la guerre, de la mort de Fred, toutes ces joyeusetés. C'est ma façon de gérer les relations humaines, maintenant. Prendre de la distance, prendre soin des autres…

– Pour qu'il y ait moins de chances qu'ils te blessent », acheva Pansy.

Ginny haussa les épaules en signe d'assentiment. Elle n'était plus à un aveu gênant près.

« Tout ça me paraît logique. Mais quel est le rapport avec le fait que tu n'allais pas bien, aujourd'hui ? » relança Pansy, les pieds dans le plat.

Ginny rigola nerveusement. Après réflexion, elle était à un aveu gênant près.

« Eh bien… dans tout ça, je crois que j'ai été trop blessée. J'ai apporté mon aide, en analysant les comportements des autres, en comprenant leurs souffrances, en m'identifiant à ce qu'ils ressentaient. J'ai vécu par procuration. Et maintenant... »

C'était vraiment très difficile à dire. Elle était rarement honnête avec elle-même à ce point. Ginny resta de longues secondes sans arriver à terminer sa phrase.

« Et maintenant, tu ne supportes plus quand ces personnes que tu as aidées n'ont plus besoin de toi pour s'aider elles-mêmes. C'est classique », lança Pansy d'un ton nonchalant.

Ginny resta silencieuse, interloquée.

« C'est normal, Ginny, insista Pansy. Quand on aime, on est dépendant. Quel est le mal à vouloir que ceux qu'on aime soient dépendants de nous ? C'est naturel. Tu veux que tes amis se sentent bien, grâce à toi, pour qu'ils ne te tournent plus jamais le dos. Tu as appris à te battre pour eux. Maintenant, il faut recommencer à te battre pour toi. Et il faut que eux aussi, montrent qu'ils se battent pour toi. »

Les yeux verts de Pansy étaient comme deux lacs immenses, dans lesquels Ginny avait envie de se plonger et de se noyer.

Elle ajouta, la voix plus basse, presque inaudible dans le bruit ambiant :

« Et ils le feront, si tu les laisses faire. »