Année : 772
4 ans après le Cell Game
La vérité crue
Depuis que l'expédition avait pris fin, de nombreuses semaines s'étaient écoulées. Après un petit détour par la ville dans laquelle Ruri habitait et étudiait, ils avaient rassemblé quelques affaires et étaient repartis ensemble en voiture.
C17 n'avait donné qu'une indication géographique à Ruri : direction le Nord. Mais il n'avait pas été plus précis, et la jeune femme, étrangement, n'avait pas posé plus de question.
Tous deux avaient donc traversé une grande partie du monde depuis, comptant sur les réserves d'argent qu'ils avaient économisées pour subvenir à leurs besoins. Ils faisaient régulièrement des pauses, au gré de leurs envies, de la beauté des paysages ou du temps nécessaire à Ruri pour travailler sur son article. Parfois ils passaient la nuit dehors, la jeune femme dormant à la belle étoile, et parfois ils s'arrêtaient dans un hôtel, essentiellement pour pouvoir se laver eux ainsi que leurs vêtements. C17 aimait particulièrement cette vie au grand air, loin des humains et de la foule, seul avec Ruri et la nature. Il en profitait d'ailleurs pour poursuivre son propre apprentissage, mettant à profit le moindre moment pour découvrir de nouvelles espèces ou perfectionner son art du pistage.
Ensemble, tous deux formaient à présent un véritable couple, même si jamais encore Ruri n'avait osé aborder la question avec lui. Elle n'accordait d'ailleurs plus une aussi grande importance qu'avant à ces sujets. Peut-être bien que jamais C17 ne lui dirait qu'il l'aimait, ni ne se définirait comme son « petit ami », mais il était là, bien là, auprès d'elle. Et cela lui suffisait, d'autant qu'il semblait sincèrement être très heureux à ses côtés.
Pourtant, au fil des jours, elle avait remarqué que son attitude avait commencé à changer. La nuit, elle faisait parfois semblant de dormir pour pouvoir l'observer. Alors qu'au début du voyage il passait le plus clair de son temps à lire ou explorer les environs à la recherche d'animaux nocturnes, au fil du temps il s'était mis à rester immobile, fixant l'horizon en silence comme s'il était plongé dans une intense réflexion. Il n'avait pas échappé à Ruri que plus ils se rapprochaient du Nord et plus C17 devenait d'ailleurs sombre et silencieux. Elle reconnaissait dans son regard une expression qu'elle avait déjà vue chez lui, lors de la confrontation avec le Kraken.
Elle en était inquiète, mais après y avoir réfléchi elle avait choisi de ne rien lui en dire. Elle savait bien que de grandes souffrances se cachaient encore au fond de lui. Mais elle savait tout autant qu'il lui faisait confiance. Alors Ruri avait décidé de ne pas le brusquer et de lui laisser le temps dont il avait besoin. Tôt au tard, elle était convaincue qu'il se confierait à elle.
C'est donc ainsi qu'après des mois de voyage, C17 et Ruri avaient atteint le territoire du Nord. Les températures glaciales qui y régnaient les empêchaient d'y passer la nuit, et dès qu'ils avaient commencé à le traverser ils avaient été contraints de s'arrêter tous les soirs dans un hôtel différent. C'est donc dans l'un d'entre eux qu'ils venaient de s'installer à la nuit tombée. Assise sur le lit de sa chambre, Ruri était plongée dans la lecture d'un article scientifique quand elle fut soudain prise d'un frisson.
- Ce qu'il peut faire froid ! C17, tu pourrais me ramener une veste ?
Mais elle n'obtint pas de réponse. En levant les yeux de son ordinateur elle vit qu'il était devant la fenêtre de la chambre qu'il avait laissée grande ouverte. Parfaitement immobile, comme à son habitude, il regardait au loin et était manifestement trop plongé dans ses pensés pour l'avoir entendue.
Ruri hésita pendant un court instant. Depuis des jours, elle attendait que C17 se livre sur ce qui le tourmentait. Mais à cet instant précis elle eut comme une révélation.
« Je suis vraiment une idiote ! Il a besoin de parler, mais c'est clair qu'en fait il ne le comprend pas. Et moi j'attends là bêtement qu'il parle alors que c'est mon rôle de le lui faire comprendre ! »
Elle se leva alors immédiatement et le rejoignit. Une fois prés de lui, elle caressa tendrement son dos pour attirer son attention.
- Je vais finir par mourir de froid, boite de conserve, lui dit-elle alors d'une voix douce.
- Pardon, je n'ai pas fait attention, répondit C17 en refermant aussitôt la fenêtre.
- Ce n'est pas grave mais essaye de te souvenir que tout le monde ici n'a pas ta résistance ! Je ne suis qu'une humaine normale moi !
- Ton short et ton débardeur, ce ne sont pas des vêtements très chauds. Pourquoi tu ne remets pas le pyjama rose avec les étranges animaux ? Celui que tu mettais avant ?
Surprise, Ruri se mit à bégayer maladroitement :
- Mais tu l'avais vu ?
- Oui bien sûr, tu le portais le soir où j'ai accepté de venir avec toi. Je me suis toujours demandé pourquoi tu ne le mettais plus d'ailleurs.
- Mais… euh… parce que je l'ai perdu, répondit Ruri, soudain rouge de honte.
- Ah bon ?
- Oui.
- Comment tu as fait pour le perdre ?
- Euh… aucune… idée.
- Dommage. Ce vêtement te tiendrait chaud.
- Je n'aurais pas besoin de ça si tu fermais la fenêtre, non ?
- Non, en effet, répondit C17, ravi de la réaction de Ruri qu'il avait sciemment provoquée. En effet, même s'il ne comprenait pas toujours tout de sa gêne, il n'était pas dupe du petit manège qu'elle avait mis en place pour le séduire des mois auparavant, et jouer de sa candeur et sa naïveté était pour lui une source inépuisable d'amusement. Mais quand il lui sourit pour mettre fin à ce petit jeu, Ruri redevint vite très sérieuse et tourna alors son regard vers l'extérieur.
- Alors, nous sommes loin du laboratoire du Dr Gero ?
C17 marqua un temps d'arrêt et ne répondit pas tout de suite. En réalité, il s'attendait depuis longtemps à cette question. Il la fixa quelques secondes, avant de lui aussi se mettre à fixer en silence l'horizon lointain.
- Non, c'est tout près d'ici, finit-il par dire après quelques minutes.
- Tant mieux.
- Je peux savoir depuis combien de temps tu as deviné ?
- Un bon moment en fait. J'avoue que le fait que tu m'indiques une direction où tu voulais aller m'a intriguée, car tu m'avais dit que tu étais allé partout et nulle part pendant ces 3 dernières années sans vraiment te fixer dans un endroit spécifique. Et ensuite je me suis rappelé que le laboratoire était situé dans le Nord. Donc j'ai fini par faire le rapprochement.
C17 sourit de nouveau.
- Décidément, ton intelligence me surprendra toujours.
- Je crois me souvenir t'avoir dit de ne pas la sous-estimer non ?
- En effet.
- Mais il m'a semblé que tu ne voulais pas en parler. Alors je n'ai rien dit.
- C'est juste que c'est compliqué. A expliquer je veux dire.
- Je comprends. Mais tu m'as aussi dit que le laboratoire avait été détruit non ?
- Oui. D'après C18.
- Alors pourquoi est-ce que tu veux y aller ?
- Je ne sais pas. C'est juste …
- Important ?
- Oui.
- Ok. Alors allons-y demain, ça te va ?
- Tu ne dois pas travailler ton article ?
- Si c'est important pour toi alors ça l'est pour moi. Et puis je ne suis pas à une journée près. Même si je commence déjà à recevoir des invitations pour parler de l'expédition un peu partout en fait.
- Vraiment ?
- Tu sous-estimes l'exploit que représente notre expédition. Cela ne fait pas très longtemps que les scientifiques s'intéressent à eux, mais les monstres marins font l'objet de légendes depuis des décennies, si ce n'est plus. Des récits de pécheurs qui les ont aperçus il y en a plein, surtout pour le dragon. J'ai retrouvé le témoignage d'un pécheur qui est rentré dans le fameux tunnel il y a des années et qui en est ressorti après avoir entendu les hurlements de plusieurs animaux. Je suis en train de lire un livre là-dessus et … OUPS ! Pardon C17, je change complètement de sujet ! Désolée, je suis vraiment ...
- Non ce n'est rien, au contraire. Tu es passionnée. J'apprécie beaucoup ça chez toi.
- J'accepte avec plaisir le compliment. Plus sérieusement, ne t'en fais pas pour mon article, je gère. Revenons au sujet du laboratoire. Puisque c'est là que tu veux aller, allons-y. Enfin … Si tu es d'accord pour que je vienne avec toi ?
Un court silence s'ensuivit, durant lequel C17 eut l'air de réfléchir intensément. Ruri était nerveuse, elle craignait vraiment qu'il ne refuse qu'elle l'accompagne. Mais après quelques secondes, C17 acquiesça d'un signe de tête et reprit :
- Ok. Il se fait tard Ruri. Finis ta lecture et va dormir, nous partirons demain matin.
- Oui tu as raison, répondit Ruri, soulagée. Un dernier chapitre et je file dormir. Bonne nuit !
- Bonne nuit.
C17 l'observa un moment tandis que la jeune femme retournait à son travail, l'air très heureuse.
S'il ne savait pas vraiment ce qu'il allait trouver dans les ruines du laboratoire, il était en revanche convaincu qu'il devait s'y rendre, et ce depuis très longtemps. L'idée de revenir dans cet endroit lui était même venue dès sa résurrection, sans qu'il n'ait jamais osé le faire pour autant. C'était en réalité sa rencontre avec Ruri qui lui avait donné l'impulsion dont il avait manqué, et pour cela il lui en était infiniment reconnaissant. Et c'était pour cela qu'il venait d'accepter qu'elle vienne avec lui.
Il était enfin tant que ce chapitre de sa vie puisse se clore s'il voulait arriver à passer à autre chose, comme C18 avait réussi à le faire.
Avec lui, les longs discours n'étaient finalement pas très utiles. Il ne savait pas quoi en faire, et n'en comprenait d'ailleurs pas toujours tous les aspects. Les actes, eux, comptaient beaucoup plus pour C17, et Ruri l'avait compris. Lui proposer de l'accompagner avait ainsi bien plus de valeur à ses yeux que toutes les déclarations qu'elle pouvait lui faire. Son corps d'humaine en apparence si fragile recelait en son cœur une force immense sur laquelle il savait pouvoir compter. Elle était sa compagne, son soutien, son appui, la lumière qu'il n'avait qu'à suivre pour sortir des ténèbres dans lesquelles il s'était perdu. Alors, en y repensant, un seul mot lui vont tandis qu'il la regardait avec tendresse froncer les sourcils au-dessus de son ordinateur.
- Merci, Ruri.
La jeune femme leva les yeux vers lui et répondit en souriant :
- De rien. Un café chaud apporté par tes soins au réveil suffira à me remercier.
Cette réponse, si simple, sans ajout inutile ni question complémentaire, était pour C17 la meilleure de toute. La certitude profonde qu'il avait d'avoir enfin trouvé quelqu'un capable de le comprendre et de l'accepter tel qu'il était l'aida énormément cette nuit-là, durant laquelle de nombreux souvenirs l'assaillirent. Mais il parvint à ne pas se laisser déborder par eux.
Plus que jamais il avait décidé de les affronter. Et quand enfin il fut temps de partir, l'appréhension qui montait en lui depuis des jours se mêlait a une volonté ferme d'en finir.
Avec Gero.
Avec Cell.
Une toute dernière fois.
Retrouver l'emplacement du laboratoire fut assez facile pour C17 car même s'il n'en était finalement sorti qu'une fois, sa mémoire des lieux qu'il avait traversés avec sa sœur et C16 était encore très vive. Mais quand il dut en retrouver l'entrée la tâche s'avéra bien plus ardue.
La colline qui l'abritait avait en effet été entièrement détruite, ne laissant à la place qu'un gigantesque amoncellement de cailloux sur lequel lui et Ruri atterrirent avant de se mettre à en inspecter les moindres recoins. Il put toutefois compter sur ses dispositifs oculaires pour scanner la zone entière et visualiser un accès. Il déblaya alors le passage et y pénétra, suivi de près par Ruri. Aucun d'eux ne parlait, avançant ensemble lentement dans les vestiges rocheux du sas principal.
À l'intérieur, un amoncellement indescriptible de déchets jonchait un sol sur lequel ils marchaient avec dififcultés. Des papiers presque entièrement carbonisés, des éclats de verre et des bouts de plastique fondus, voilà tout ce qui restait de cet endroit dans lequel C17 et C18 avaient rencontré la Z team, plus de 4 ans auparavant. L'attention de Ruri fut aussitôt attirée par une plaque métallique portant une inscription bien particulière : 17.
- C'était la capsule dans laquelle j'étais pendant le temps durant lequel je suis resté désactivé, expliqua alors C17, devinant ses interrogations.
Sans répondre, Ruri s'agenouilla pour observer de plus près ce curieux objet, sans oser exprimer à voix haute ce que cette vision lui inspirait.
- Pour être honnête je déteste l'idée que ce mécanisme de désactivation existe encore en moi. C'est comme une marque indélébile, la preuve persistante de l'objet que j'étais pour lui.
C17 avait parlé sans qu'elle ne lui pose de questions, et Ruri ne savait pas vraiment si c'était bien à elle qu'il s'adressait. Mais la résolution de la jeune femme était à présent sans faille : quel que soit le passé de C17, elle serait là pour lui. C'était à elle désormais de lui venir en aide. C'était à son tour de le sortir des profondeurs et le mener vers la surface. Alors, elle le corrigea :
- De ce qu'il voulait que tu sois. Pas de ce que tu es. Ni même de ce que tu étais, C17. Tu n'as jamais été le jouet de la volonté de Gero.
Il tourna vers elle un regard d'abord étonné, puis amusé, avant qu'il ne lui réponde en riant :
- Haha ! C'est vrai que quand il m'a désactivé, je venais d'essayer de le tuer.
- Et est-ce qu'avant ça tu avais obéi à ses ordres ?
- Non. Il m'a souvent traité de déchet à cause de ça d'ailleurs. J'ai toujours refusé de lui obéir.
- Tu vois ? Tu ne t'es jamais laissé faire. Toi et C18 avaient fait preuve de beaucoup de courage.
- Du courage ? Peut-être. Mais je n'ai jamais aimé les ordres de toute façon, et encore maintenant.
- Oh ça, je sais, même quand on a un plan tu t'arranges toujours pour n'en faire qu'à ta tête.
- Alors nous sommes au moins deux dans ce cas, non ? Mais tu sais, en fait, j'avais surtout envie d'être libre. Cette envie était plus forte que tout, même si elle m'a fait faire pas mal d'erreurs.
- Lesquelles ?
- Attaquer sans réfléchir. J'ai saisi la première opportunité pour tenter de tuer cette ordure, mais il avait deviné mes intentions, et il a pu nous désactiver ma sœur et moi. Et surtout…Jamais je n'ai pensé qu'il pouvait y avoir une menace comme Cell. J'ai laissé l'ivresse du pouvoir et de ma liberté retrouvée me dépasser. En fait, je n'ai jamais rien vu. Jamais rien anticipé. Gero a toujours eu un temps d'avance et moi comme un idiot…
- Tout le monde fait des erreurs C17, tu es vraiment trop sévère avec toi-même. Tu crois vraiment être le seul être au monde qui a laissé son orgueil prendre le dessus sur sa raison ? Ce Végetruc a bien laissé Cell absorber C18, ce n'était pas l'idée du siècle non ? Avant d'être un cyborg tu es un homme, et vous êtes tous des idiots. Sans exception.
Ruri avait tenté cette petite plaisanterie un peu au hasard, ne sachant pas vraiment si le moment était
opportun ni comment C17 allait réagir. Mais il laissa s'échapper un grand éclat de rire, avant de reprendre la marche :
- Haha ! Humaine, rappelle-moi de ne jamais te laisser dire ce genre de chose devant Végéta. Mais je dois admettre que tu n'as pas tout à fait tort.
Pour la seconde fois depuis qu'ils étaient entrés il souriait de façon franche et sincère. Mais cette accalmie ne dura pas. Tandis qu'ils avaient repris leur exploration, la jeune femme guettait avec anxiété les réactions de C17, et son visage s'était de nouveau assombri au fur et à mesure qu'ils avançaient. Il était impassible, mais elle eut assez rapidement l'impression qu'il ne déambulait pas du tout au hasard.
Tous deux traversèrent ensuite plusieurs pièces qui n'avaient pas été autant endommagées que la première. Le laboratoire semblait avoir été un comme un iceberg dont les amis de Goku n'avaient sans doute entraperçus que la face émergée.
Après presque une demi-heure d'exploration au cours de laquelle ils passèrent sans s'arrêter dans différentes salles remplies d'un capharnaüm de matériel électronique et d'ordinateurs, ils arrivèrent dans un long couloir comportant plusieurs portes de chaque côté. Alors que Ruri avançait sa main vers l'une d'elle pour l'ouvrir, C17 l'arrêta d'un geste, saisissant son poignet fermement.
- Non, lui dit-il, pas celle-là.
Immédiatement, Ruri voulut lui demander pourquoi, mais elle n'en fit rien. Un seul regard lui suffit pour comprendre que C17 était très sérieux. Alors, sans rien ajouter, la jeune femme acquiesça et s'éloigna de la porte pour se replacer derrière lui. C17, soulagé, continua d'avancer.
Il n'avait pas les mots pour expliquer sa réaction, mais il savait très bien ce qui se trouvait dans cette pièce.
Une chambre. Sa chambre. Celle dans laquelle C18 et lui avaient passé les premiers mois de leur captivité, quand ils avaient encore besoin de dormir. Cette chambre était dénudée, spartiate même, avec deux lits simples au pied desquels des chaînes métalliques étaient encore accrochées. Il savait Ruri suffisamment intelligente pour comprendre toute seule à quoi elles avaient servis : maintenir les jumeaux attachés pour éviter qu'ils ne s'évadent. Dans les autres pièces attenantes se trouvaient les salles dédiées aux opérations qui les avaient transformés en cyborgs : pinces, appareil de soudure, câbles, générateur électrique. C17 n'était pas anxieux à l'idée de revoir cet endroit, car il avait accepté depuis longtemps sa nouvelle nature. En revanche, au moment où il avait vu Ruri prête à entrer dans l'ancienne chambre, il avait été brutalement ramené à la réalité de la situation : il n'était pas seul, elle était là, et contrairement à lui elle ignorait tout de ce qu'il avait vécu ici. En une seconde une pensée terrifiante lui était venue :
« Si c'était toi qui avais été ici à ma place, comment est-ce que je réagirais si j'apprenais ce que Gero t'avait fait subir ? »
Et la réponse avait été évidente.
L'empathie.
Il n'arrivait pas encore à bien cerner le sens exact de ce mot, et pourtant il commençait à sentir renaître en lui cette capacité à se projeter, à ne plus être insensible aux émotions des autres. Et encore moins à celles de Ruri, qui était bien plus chère à ses yeux que tout ce qu'il avait pu un jour voir, ou toucher. Il avait à présent près de lui quelque chose d'infiniment précieux et qu'il devait protéger à tout prix. Alors, bien qu'elle ait souhaité l'accompagner, il devait veiller à ce que rien ne puisse la blesser. Il n'entra donc dans aucune des pièces attenantes à la chambre et traversa le couloir, Ruri le suivant sans plus poser la moindre question.
Elle ne le quittait pourtant pas des yeux et son intuition initiale finit par devenir une certitude : il n'était pas ici pour se remémorer les lieux, il cherchait quelque chose de bien particulier. Et quand il finit par trouver, elle s'en rendit compte presque instantanément.
En effet, après plusieurs minutes encore d'exploration C17 s'arrêta net devant un immense trou creusé dans le sol, sans doute par une puissante explosion. Ruri l'examina en silence, sans d'abord rien distinguer de particulier à l'intérieur. Puis, petit à petit, elle finit par apercevoir des câbles et des lumières de toutes les couleurs : une autre salle se trouvait manifestement sous leurs pieds.
Toujours sans un mot, C17 l'entraîna avec lui à l'intérieur.
Il était soudain devenu fébrile, Ruri le sentit à l'instant précis où il la prit dans ses bras pour descendre. Son cœur, tout proche du sien, venait de se mettre à battre à vive allure. Sa respiration s'était faite plus rapide également. Instinctivement, la jeune femme l'entoura de ses bras et elle sentit au frémissement qui le traversa qu'il n'était pas insensible à cette marque de tendresse.
Comme s'il en avait eu besoin de ressentir sa présence physique.
En fait, C17 était arrivé là où il voulait venir depuis des années. Depuis la seconde où C18 lui avait parlé de cet endroit : celui où Krillin et Trunks avaient trouvé l'ordinateur ayant fabriqué Cell. Cette part du laboratoire dont il avait ignoré l'existence pendant tout le temps durant lequel il y avait été lui-même enfermé. Mais à présent qu'il s'y trouvait, il n'en croyait pas ses yeux.
Jusqu'au bout il avait eu du mal à croire à cette histoire. Comment était-ce possible, en ayant vécu tant de mois ici, qu'il ait pu ne pas s'apercevoir que celle salle souterraine existait ? Cela lui paraissait irréel, impossible. Et pourtant...
Il laissa son regard incrédule aller et venir d'un bout à l'autre de la pièce avant de s'arrêter, brusquement. Ruri le vit se raidir, comme si un souffle glacial venait de le frapper en un instant. Il ne bougeait plus d'un millimètre, le regard fixé sur un amas de ferrailles carbonisées et de verre fondu dont Ruri ne comprenait pas ce qu'il avait de si particulier. Mais pour C17, c'était précisément ce qu'il était venu chercher. La preuve dont il avait besoin pour croire dans le récit de C18.
Il se mit alors à avancer dans la pénombre, se dirigeant droit devant lui, faisant fi de tout ce qui l'entourait, comme si plus rien d'autre n'existait.
« Alors c'était vrai » pensa-t-il, « pendant tout ce temps, pendant que nous … tu étais déjà là ... »
Quand tout à coup il ressentit les premiers signes de cette émotion devenu familière : d'abord une douleur vive dans le sternum. Puis cette sensation d'étouffement insupportable. Et enfin, les flashs. Les souvenirs. Tout se mélangeait dans sa tête tandis que montait progressivement en lui une colère froide, terrible, qui enserrait sa gorge comme si elle allait l'étrangler.
C17 compris qu'il ne parviendrait pas à la contenir. Il pensait que cette paix, cette sérénité qu'il avait trouvée auprès de Ruri, lui serait utile pour parvenir à se maîtriser. Mais non. Et son incapacité à vaincre cette part d'ombre enfouie en lui était la source d'une intense frustration qui décuplait encore son ressentiment.
« Ruri ... »
Soudain, il se rappela de sa présence et se retourna.
Depuis plusieurs minutes la jeune femme était restée parfaitement silencieuse. Mais aucun geste de C17 ne lui avait échappé, et elle en tremblait de peur. Il lut dans ses yeux qu'elle avait parfaitement conscience de ce qu'il traversait, tout comme elle lisait dans les siens la même détresse et la même froideur que sur le bateau.
Et l'idée que la même scène ne se reproduise la terrifiait.
C17 sut à cet instant qu'il fallait qu'il intervienne. Elle l'avait accompagné, et sans doute sans elle ne serait-il jamais venu jusqu'ici. Mais à présent il avait à mener un combat. Seul. Contre lui-même. Et si elle restait près de lui elle ne pouvait qu'en souffrir.
« Je ne briserai plus jamais ce qui m'est précieux, et je ne perdrais plus jamais ce qui m'est cher.Je ne referai pas avec toi les mêmes erreurs qu'avec C18» se dit-il en la voyant ainsi, les yeux déjà emplis de larmes.
Alors il s'avança vers elle et la prit dans ses bras. Il essuya d'une main ses pleurs naissants et l'embrassa avec douceur, longuement. Au fil des minutes, il laissa ses mains parcourir le corps de Ruri, depuis sa joue jusqu'à la délicieuse courbe du bas de son dos, ses doigts s'égarant le long de sa longue chevelure. La sensualité de ses gestes agit sur Ruri comme un signal auquel elle obéit sans même y réfléchir, caressant à son tour ses bras, son dos, avant de finalement placer ses mains autour du cou de C17. Cette embrassade n'avait rien de sexuel, même s'ils éprouvèrent tous deux une forme de plaisir lors de ce contact physique.
C'était plutôt une façon de se dire ce qu'aucun d'eux n'arrivait à formuler, parce que Ruri avait peur, alors que C17 ne savait comment l'exprimer.
C'était leur façon de se dire qu'ils s'aimaient, tout simplement.
Quand leur baiser s'arrêta, Ruri était devenue plus calme, sans être complètement rassurée. Mais C17 ne lui laissa pas le temps de s'inquiéter davantage.
- Si je te ramène à la sortie, est-ce que tu peux rentrer seule à l'hôtel et m'y attendre ?
La jeune femme ne fut qu'à moitié surprise par cette demande. Une part d'elle voulut immédiatement refuser de l'abandonner dans cet endroit. Mais d'un autre côté, elle savait qu'elle ne faisait sans doute que le gêner. Il faisait manifestement de gros efforts pour contenir sa colère devant elle. En son absence, il pourrait sans doute la laisse exploser, et elle n'était pas certaine d'avoir la force de le voir dans un tel état.
- J'ai pris ma capsule mobylette avec moi alors oui, je peux rentrer, répondit-elle à contrecœur.
- Très bien. Alors on y …
- Attends !
- Quoi ?
- Je veux que tu me promettes deux choses avant.
- Lesquelles ?
- Je veux que tu me promettes que tu vas bien. Et … que tu vas revenir.
- Et que se passera-t-il si je ne promets pas ?
- Alors je resterai ici.
- Vraiment ?
- Vraiment.
- Tu sais que si j'en ai réellement envie je peux me passer de ton accord pour te renvoyer à l'hôtel ?
- Je m'en fous.
C17 hésita pendant un court moment sur la conduite à tenir. S'il le voulait, il n'aurait besoin que d'une seconde pour la faire partir. Il le savait, elle aussi, sans que cela n'ait jamais eu le moindre impact sur Ruri. Elle se fichait depuis toujours de l'étendue de sa force. Cette attitude la rendait agaçante, imprudente parfois, toujours imprévisible et terriblement amusante.
« Ce que tu peux être entêtée, » pensa-t-il tandis qu'il se rapprochait d'elle, « mais pourquoi est-ce que ça me plaît autant ? ».
- Tu es bien sûre de toi, humaine… lui chuchota-t-il, rieur.
- Je n'aime pas les ordres, cyborg. Si tu veux que je parte, use de ta force. Sinon promets-moi.
- Moi non plus, je n'aime pas les ordres.
- Alors …
Mais elle ne put finir sa phrase.
D'un geste, C17 la saisit par la taille et la ramena vers lui. Plaquant ses lèvres contre les siennes, il l'embrassa de nouveau avec une vigueur très différente de l'attitude qu'il avait eue quelques secondes auparavant. Il tenait fermement contre lui le corps de Ruri, avec ce mélange de puissance et de douceur qui la faisait se sentir incroyablement en sécurité près de lui. Elle s'abandonna complètement à son étreinte, cambrant son dos pour mieux pouvoir se coller contre lui. Répondant à la force de son baiser, elle se voulut son égale, rendant comme coup pour coup, gémissant au rythme de sa langue qui semblait chercher à la posséder toute entière.
Puis, aussi brusquement qu'il avait commencé, C17 s'arrêta, la laissant complètement essoufflée et confuse sur ce qui venait de se passer. Il plaça son ensuite front contre le sien et murmura :
- Promis, et promis.
Aussitôt, il sentit le corps de Ruri se détendre, comme si toute la tension s'en échappait. Elle posa sa tête contre son torse, cherchant à profiter de chaque seconde qu'il leur restait ensemble. Après être restés ainsi de longues minutes, elle finit cependant par reculer de quelques pas et lui fit un signe de tête. Elle n'opposa alors aucune résistance quand il la souleva délicatement, avant de la reconduire vers l'entrée du laboratoire.
Là, elle le regarda repartir, seul, dans ce tunnel froid et obscur. Même de dos elle pouvait voir que son sourire s'était effacé, et que les traits de son visage s'étaient crispés.
Il souffrait, terriblement, et Ruri ignorait pourquoi. Elle se sentait complètement inutile, et ce sentiment laissait comme un goût amer dans sa bouche. Quand elle était au plus mal, C17 avait été là pour elle. Il avait su trouver les mots, même maladroits, pour lui redonner la confiance et le courage qui lui faisaient défauts. Mais à présent que c'était à son tour, elle était incapable d'en faire de même. Une autre barrière, plus résistante encore que celle qu'il déployait autour de lui en combat, s'était constituée au fil du temps au plus profond de lui, le rendant inaccessible.
Hermétique.
Ruri comprit que cette armure invisible le protégeait autant qu'elle le maintenait captif. Une part de lui n'était en réalité jamais partie de cet endroit, et cette conclusion la bouleversa. Une fois certaine que C17 s'était éloigné, elle s'agenouilla et se mit à pleurer, abattue devant son impuissance.
« Je t'aime … je t'aime tellement … mais je ne sais pas comment t'aider ... »
Cette pensée ne la quitta pas et elle ne cessa d'y penser pendant tout le temps que dura le trajet qui la ramena vers leur hôtel et leur chambre. Une fois arrivée, Ruri s'effondra sur le lit qui n'avait pas encore été refait. Elle ne pleurait plus, mais son cœur était lourd, douloureux comme si une force intérieure s'acharnait à le pressurer et le tordre dans tous les sens. Allongée, elle se mit à trembler face à la froideur de cette pièce vide, et se roula en boule dans les draps. Leur chaleur lui rappela celle des bras de C17, dans lequel elle adorait tant se blottir. Elle fut bientôt submergée par cette odeur, son odeur, celle de son corps qui s'était comme imprégnée dans le tissu. Cette odeur qu'elle aimait tant sentir quand ils étaient ainsi, peau contre peau, dans ce lit. Le souvenir des heures de délices qu'ils y avaient passé ensemble, de leurs gémissements conjoints, de leurs baisers, de leurs extases et leurs caresses lui revint alors avec la violence d'un coup de poing qui lui coupa le souffle.
Il n'était pas là.
Elle était seule.
Des sanglots rejaillirent qu'elle étouffa aussitôt au fond de sa gorge, se mordant les lèvres jusqu'à s'en faire mal pour ne pas les laisser éclater trop bruyamment.
Au bout d'un laps de temps qui lui parut interminable, la fatigue fut telle qu'elle assécha la source de ses pleurs, mais le répit ainsi offert ne fut pas le seul gain que Ruri en retira. Elle était également bien plus calme, capable de réfléchir à ce qui venait de se passer, et à ce qu'elle devait faire quand C17 allait revenir, il le lui avait promis.
Alors la jeune femme se releva, s'assit sur le lit et rassembla ses esprits jusqu'à ce qu'elle arrive à une résolution, ferme, claire et irréversible.
Elle ne pouvait rien faire pour lui en cet instant précis, il devait affronter seul les démons de son passé. C'était son choix, et il était de son devoir de le respecter. Mais quand il reviendrait, elle le sortirait de cette impasse.
Elle était à présent déterminée à briser par tous les moyens les barreaux de la prison de souffrance dans laquelle il était enfermé depuis bien trop longtemps.
De son côté, C17 était rapidement retourné vers la pièce souterraine.
Pendant toutes ces années, il n'avait jamais cru que sa sœur disait vrai.
Parce qu'en réalité, il ne voulait pas y croire.
Parce que si c'était la vérité, alors tout le reste l'était.
Cell avait été conçu avec des cellules prises à Goku et ses adversaires, des mois, des années avant que lui-même ne soit capturé par Gero. Il n'avait jamais pu cesser d'y penser depuis que C18 lui avait raconté ce que son mari lui-même avait découvert ici. Rien, pas même Ruri et tout ce que qu'ils avaient vécus ensemble depuis leur rencontre n'avait réussi à occulter cette pensée obsédante qui l'accompagnait aussitôt qu'il laissait son esprit inoccupé trop longtemps. Cette idée qui l'avait tant torturé pendant plus de trois longues années.
Tout était vrai.
Mais alors …
« Pourquoi ? »
Cette question le hantait, chaque jour, et en cet instant précis cette interrogation devenait une urgence, un impératif presque vital de comprendre. Il posa sa main sur ce qui restait de la paroi en verre ayant abrité l'embryon de Cell.
« Pendant tout ce temps tu savais. Tu avais déjà ce projet. Quand tu nous as enlevé tu avais déjà en tête de créer ce monstre. »
L'horreur de cette vérité, sa cruauté, dépassait tout ce que C17 avait jamais pu imaginer concernant le Dr Gero. Mais il ne pouvait plus la nier. Elle était là, devant ses yeux, simple et tranchante comme les morceaux de verre brisés ayant abrité la gestation de son pire ennemi.
Cell avait toujours été là, juste sous son nez.
Il était déjà là pendant que sa sœur et lui étaient enfermés, torturés, remodelés, entraînés.
Mais à quoi avaient bien pu servir ces heures passées à emmagasiner des informations sur Goku et ses amis, à quoi leur existence pouvaient bien être utiles à Gero s'ils n'étaient pas son arme suprême, pourquoi donc leur avoir tant vanté leur puissance, leur énergie infinie ? Mentait-il ? L'ampleur de cette manipulation le rendait fou de rage. Mais c'est surtout sa propre naïveté qui le dégouttait, car il avait cru dans ses belles paroles. Il s'était laissé convaincre qu'il était le chef-d'œuvre, le robot ultime, l'arme la plus puissante née des cendres de l'Armée du Ruban Rouge.
Alors qu'il n'en était rien. Pour Gero, il n'avait jamais rien été de plus qu'un maillon, un moyen.
Un objet.
Cette idée lui était insupportable. Quand soudain, comme une fulgurance, l'image du caisson dans lequel il avait été placé pendant les longs mois de sa désactivation lui revint.
Que se serait-il passé si Gero n'avait pas été contraint de les réactiver ? Cell aurait continué de se développer en secret, dans l'ignorance de tous, jusqu'à atteindre le stade suffisant pour les absorber. Et ils lui auraient alors été tous les deux livrés, inconscients.
Et si ce dispositif de désactivation n'existait en fait que pour ça ? Pour les rendre incapables de se défendre le moment venu, pour qu'ils puissent apporter leur contribution à la constitution de cet « être parfait » que Cell se vantait d'être ?
« Je n'étais qu'un composant, je ne valais pas plus qu'un vulgaire boulon. Tout ça … tout ça n'a servi à rien. »
Chaque seconde passée rendait la respiration de C17 plus pesante. Il inspirait avec peine et expirait bruyamment. Son rythme cardiaque s'accélérait, ses pensées devenaient plus sombres et sa vision se troublaient au fur et à mesure que montait en lui la rage.
« Tu m'as tout pris, tout enlevé … pour ça ? »
La perte de son identité, de ses souvenirs, de son humanité, de sa liberté … C17 avait réussi à surmonter tout ça, mais en grande partie parce qu'il était devenu quelque chose de grand, de puissant. Il n'était plus un simple humain, il était invincible. Même s'il ne l'avait jamais intellectualisé ainsi, cette certitude qu'il était « au moins » à présent un guerrier, le plus grand de tous, avait agi comme une sorte de pansement narcissique qui avait fini par dissiper le regret de tout ce qu'il avait perdu.
Mais à présent, tout s'effondrait autour de lui.
« Toutes ses souffrances ... »
Les souvenirs des tortures infligées par Gero se bousculaient dans sa tête. Les opérations. La douleur. Les électrochocs. Les larmes. Les hurlements. Il se revoyait, tenant fermement la main de sa sœur pendant qu'ils ét aient disséqués ensemble, leurs regards plongeant l'un dans celui de l'autre pour se soutenir.
« Tout ça ... »
Mais il n'arrivait pas à l'exprimer.
Sa gorge lui faisait horriblement mal. Il n'arrivait plus à respirer.
« Tout ça pour rien … rien du tout … »
C'était insupportable.
C17 voulait tout détruire.
Il tuait Gero dans sa tête encore et encore.
Il voulait lui arracher les membres, un par un, lui infliger les pires douleurs, lui faire le plus de mal possible.
« Si j'avais su ... »
La culpabilité.
Celle de n'avoir rien vu.
Celle d'avoir cru Gero.
Celle de s'être laissé enivrer de puissance.
Celle de ne s'être pas enfui quand il le pouvait.
Celle d'avoir causé l'absorption de sa sœur et la mort de C16.
« Tout ça c'est ma faute ... »
Emprisonné à l'intérieur de Cell, il avait été le témoin impuissant de tout.
La ruse du monstre pour tenter de convaincre C18 de se laisser absorber.
Leur fuite.
Les yeux écarquillés de terreur de sa sœur quand elle s'était retrouvée de nouveau face à Cell, sans plus personne pour la protéger.
C17 n'avait rien pu faire et l'avait vu se faire finalement assimiler.
Puis C16.
Ses derniers mots.
Son dernier sourire.
Ses ultimes paroles.
« Arrêtez … par pitié ... »
C17 tomba à genoux.
Un poids gigantesque pesait sur son corps tout entier, l'écrasant de souffrances telles qu'il avait l'impression de s'enfoncer dans le sol, de chuter dans un puits sans fond.
Cette douleur était sans commune mesure avec tout ce qu'il avait pu expérimenter jusqu'à présent.
- Pitié ...
Sa voix était faible, adressant en désespoir de cause une supplique dont il savait pertinemment que personne ne l'entendrait.
C17 haïssait sa faiblesse. En fait, c'était lui-même qu'il haïssait, et ce depuis très longtemps.
Il eut soudain la sensation de se revoir, dans la même posture qui avait été la sienne des années en arrière. Celle qu'il avait eu au début de sa captivité quand il suppliait, des heures durant, que quelqu'un vienne à leur secours et ne les délivre des griffes du Dr Gero.
L'impression d'être revenu au point de départ l'annéantissait.
N'avait-il rien appris ?
Etait-il condamné à rester à jamais le jouet de la volonté de Gero ?
N'arriverait-il finalement jamais à reprendre sa vie en main ?
Il se revit encore, agenouillé dans la douche dont il utilisait le bruit pour cacher ses pleurs, ne pas montrer à C18 l'ampleur de sa détresse, essayer de conserver un peu l'illusion de l'espoir qu'un jour ils pourraient retrouver leur liberté.
Pleurer…
A l'époque, il savait pleurer. Mais avec le temps il avait oublié comment faire. Il n'y arrivait plus.
Alors il hurla.
Seul.
Il hurla de douleur, de colère, de rancœur, de peine.
Il hurla encore, encore, encore.
Jusqu'à ce que ses cris ne deviennent de faibles plaintes, presque imperceptibles.
Peu à peu, sa respiration redevint cependant plus lente, et la douleur dans sa poitrine commença à s'estomper. Les souvenirs se firent plus imprécis, flous, avant de disparaître complètement de sa vue. L'oppression diminua, le laissant en fin de compte là, à genoux sur le sol, vidé.
La crise venait de passer, la plus grosse qu'il n'ait jamais eue.
C17 se releva, et regarda autour de lui. Il ne savait pas ce qu'il s'attendait à ressentir ni à trouver en venant ici. Au moins maintenant il n'avait plus aucun doute sur la véracité du récit de C18, mais il n'avait obtenu en fin de compte aucune réponse à ses questions.
Car en réalité, c'était sa discussion avec Ruri qui l'avait décidé à franchir le pas et revenir dans le laboratoire. Quand elle lui avait expliqué comment affronter sa plus grande peur, celle du Dragon des mers, l'avait faite se sentir bien mieux, apaisée, lui permettant de mieux accepter la mort de ses parents, il n'avait pas vraiment compris quel « mécanisme » humain pouvait permettre cela. Mais il avait immédiatement pensé qu'il pourrait en être de même pour lui. Que faire face à la vérité l'aiderait enfin à mettre derrière lui ce passé qu'il traînait derrière lui comme un boulet. Sa déception était donc à la hauteur de ses espérances.
« Peut-être que je n'en suis juste pas capable » se demanda-t-il, avant de pousser un long soupir.
Il hésita un bref instant à pulvériser ce qui restait de cet endroit, mais l'idée qu'un jour lui ou C18 pourraient avoir besoin d'un élément s'y trouvant l'en dissuada. Il n'avait non plus rien à y récupérer qui puisse avoir la moindre importance pour lui. Alors il finit par se décider à repartir et rejoindre Ruri, comme il le lui avait promis.
« Si l'enfer existe, Gero, j'espère que toi et Cell y pourrissez»
Il jeta un dernier regard sur cette pièce, puis s'en alla, sans plus jamais se retourner.
Il rejoignit ensuite l'hôtel en quelques minutes, mais ne s'aperçut qu'en y arrivant que la nuit était tombée. Il n'avait pourtant pas eu l'impression d'être resté très longtemps au sous-sol.
Quand il pénétra dans la chambre, Ruri était allongée sur le lit, regardant la télévision. Elle sursauta en le voyant et tous deux restèrent silencieux quelques secondes. Intérieurement, C17 brûlait d'envie de lui parler, mais il ne savait pas quoi lui dire. C'était une sensation très perturbante pour lui, d'autant qu'il voyait bien dans les yeux de la jeune femme qu'elle attendait de lui des explications. Elle n'était pas en colère, juste inquiète, mais même s'il le comprenait, il n'arrivait pas à savoir quoi faire. Comme si les mots restaient bloqués.
- Salut, finit-il par dire, affligé de n'avoir rien trouvé de mieux.
Mais il fut surpris de constater que Ruri ne lui en tint pas rigueur. Au contraire, elle lui sourit en retour et lui répondit calmement :
- Salut. Tu rentres tard. Je ne savais pas si tu voudrais manger alors j'ai commandé deux portions à la réception, et je t'en ai gardé.
- Oh. Merci. Mais je n'ai pas …
- Faim. Je sais, tu ne manges quasiment jamais. Mais c'était au cas où. Ça te dirait de regarder un film ? Promis, pas un film romantique comme la dernière fois.
- Oui. Ok. Je vais prendre une douche et je te rejoins.
- D'accord.
C17 s'exécuta alors et se rendit dans la salle de bain. Une fois l'eau ouverte, il s'affaissa contre le mur et ferma les yeux. La chaleur de la douche agissait d'habitude sur lui comme un baume calmant, l'aidant à se relaxer un peu et évacuer la pression accumulée. Il avait souvent eu recours à cette technique lors de sa captivité et au cours des années écoulées.
Mais ce soir, elle ne lui fut d'aucune utilité. Il n'arrivait pas à chasser de son esprit ce sentiment d'échec et de frustration.
Et pourtant il devait bien se résoudre à vivre ainsi, dans ce monde, sans parvenir à se détacher de ce poids. Il n'aurait jamais de réponse, n'obtiendrait jamais vengeance, ne réparerait jamais les torts qu'il avait causés, ne ramènerait jamais C16 à la vie …
Il était tellement plongé dans sa réflexion qu'il ne remarqua pas immédiatement que Ruri l'avait suivi. Il ne le réalisa que quand il entendit s'ouvrir la porte de la douche.
Aussitôt, il ouvrit les yeux.
Ruri était bien là, à quelques centimètres de lui. Sans qu'il ait le temps de réagir il la vit ôter délicatement, un à un, chacun de ses vêtements qu'elle laissa tomber à ses pieds, tout cela sans jamais le quitter des yeux.
- Mais qu'est-ce que tu …
Posant aussitôt sa main sur la bouche de C17, Ruri l'interrompit :
- Shhhh. Ne dis rien. Sinon je ne vais pas avoir le courage.
Alors il se tut et la laissa faire.
Elle enjamba alors le seuil de la douche pour l'y rejoindre, avant se venir placer un timide baiser sur ses lèvres. Il le lui rendit, sans trop comprendre.
- Qu'est-ce que tu veux, Ruri ? lui demanda-t-il enfin quand elle s'arrêta.
La jeune femme ne lui répondit d'abord rien. Puis elle prit une profonde inspiration. Caressant lentement son torse, elle finit par murmurer dans le creux de son oreille :
- Faire l'amour.
