Hello tout le monde !
Merci pour vos retours, ça me fait tellement plaisir de vous lire ! J'y ai passé — et je passe toujours — tellement de temps sur cette histoire et vos commentaires sont une vraie récompense !
Ce chapitre est assez tranquille, je continue de poser le décor et de montrer l'évolution des relations de Marinette. C'est important pour la suite.
Bonne lecture !
« I spent up so much time tryna make you happy
I don't think you ever could be happy
Maybe you should try some therapy
And when you think of my body on yours, don't forget
Once I would have died for you, baby
You act this big man and you think you are in control
But you don't know shit, you know »
Then — Anne-Marie
Juillet 2022
Marinette a eu du temps pour se calmer. Dix heures et quarante-six minutes, pour être exact. Le temps qui s'est écoulé depuis qu'Ethan Thomas l'a appelée.
Pourtant, des centaines de kilomètres parcourus et une très longue discussion avec Alya et Nino plus tard, Marinette n'arrive pas à apaiser cette colère qui brûle au fond d'elle.
« On te raccompagne, » lui dit Alya en coupant le moteur, appuyée par le hochement de tête de Nino.
Marinette les embrasse sur la joue tour à tour. « Pas besoin. Il est tard, rentrez chez vous. » Le regard sceptique que s'échangent Alya et Nino ne lui échappe pas. « Je suis sérieuse. C'est bon, j'ai deux pas à faire et trois étages à monter, je devrais y arriver.
— Mais, et si tu croises... »
Marinette lève les yeux au ciel en ouvrant la portière arrière. « Si je croise Adrien ? Je devrais m'en sortir. » Elle n'attend pas la réponse de ses amis et attrape son sac. « Merci de m'avoir ramenée. On se voit plus tard, » lance-t-elle avant de sortir de la voiture.
Marinette a le temps d'entrer dans le hall de l'immeuble et d'appeler l'ascenseur qu'Alya et Nino ne sont toujours pas partis. Elle s'adosse contre une des parois, les yeux fermés, les doigts tapotant nerveusement contre l'anse de son sac en attendant que le très lent ascenseur l'amène à son étage.
Ouvrir la porte, poser son sac, enlever ses vêtements, prendre une douche, se laver les dents et se blottir dans son lit – Marinette ne pense qu'au nombre d'actions qui la sépare du sommeil. Si elle se dépêche, elle pourrait avoir la tête sur l'oreiller dans quinze petites minutes, peut-être même sans s'énerver encore plus qu'elle ne l'est déjà.
N'y pense pas, se dit-elle. C'est un problème qu'elle règlera demain, avec huit heures de sommeil en plus et un petit-déjeuner dans le ventre. Pas en étant épuisée et en n'ayant rien mangé depuis six heures.
Marinette sort de l'ascenseur, bâille à s'en décrocher la mâchoire et enfonce ses clés dans la serrure.
« Week-end difficile ? »
Son bâillement se change en hoquet de surprise et ses clés se retrouvent sur le sol. Marinette lève, lève, lève les yeux pour rencontrer ceux d'Adrien. Dire qu'elle est affectée par ce qu'elle voit serait un euphémisme. Elle sent ses genoux se dérober et doit se raccrocher au mur à sa droite pour rester debout face aux yeux qui pétillent et au petit sourire en coin.
Est-il réel ? Est-il vraiment devant elle ? Est-il vraiment en train de la regarder comme ça ? Marinette doit mobiliser chaque fibre de son corps pour ne pas tendre le bras et le toucher pour s'en assurer.
Il continue de la regarder, un éclat d'amusement dans les yeux, l'épaule gauche appuyée contre la porte de son appartement. La plupart de ses cheveux est regroupé en un chignon à l'arrière de sa tête et le restant cascade le long de sa nuque, derrière ses oreilles et contre ses tempes.
Marinette ouvre la bouche, s'apprête à répondre avec la sympathie qu'il lui inspire naturellement. La sympathie – encore un euphémisme. Mais elle se souvient de l'appel de ce matin, se souvient de ce qu'Ethan Thomas a dit, se souvient de ce que Monsieur Agreste a ordonné. Elle se rappelle la manière dont il est intervenu dans sa vie, la manière dont il tire les ficelles comme si elle lui appartenait.
Le début de sourire qui s'immisce sur son visage fane en une seconde, remplacé par cette colère qui n'a cessé de lui brûler les entrailles de la journée. « Je sais pas, » lui rétorque-t-elle, « à toi de me le dire. »
L'expression taquine d'Adrien disparait, elle aussi, laissant place à de la confusion. Ses sourcils se froncent, sa bouche s'entrouvre, ses bras se croisent.
Marinette ne lui laisse pas le temps de dire quoi que ce soit. Elle s'avance vers lui d'un pas sûr, même si elle doit se tordre le cou pour le regarder dans les yeux. « C'est quoi ton putain de problème, Adrien ? Tu crois que j'ai envie de travailler pour toi et ton père ou alors tu fais ça pour redorer l'image de Gabriel ? Tu choisis d'être quoi, un petit con paternaliste ou un opportuniste égoïste ? »
Marinette se recule d'un pas, elle-même choquée par la dureté de ses mots. Ce n'est rien comparé à la surprise qui déforme les traits d'Adrien. Elle ne lui a jamais parlé comme elle vient de le faire. Même lors de leurs pires disputes, même quand elle était folle de rage contre lui — ce qui, d'accord, n'est pas arrivé si souvent que ça. Même lorsqu'il l'a abandonnée à l'aéroport, Marinette n'a jamais laissé sa colère prendre le dessus. Il y avait toujours un sentiment plus fort pour la combattre.
Aujourd'hui, il n'y a plus rien pour lutter contre cette rage qui lui tord l'estomac. Plus rien d'assez solide, plus rien d'assez sûr.
« Mari, j'ai aucune idée de quoi tu parles—
— Ethan Thomas, ça te dit quelque chose ? Il m'a appelé ce matin. Apparemment, un certain Monsieur Agreste aurait demandé que je fasse mon stage chez Gabriel. Bizarre, non ? »
Adrien secoue la tête, confusion et tourment se battant sur son visage. « Je te promets que j'en savais rien, Mari—
— Tu m'as promis un tas de choses, Agreste, » lui crache-t-elle en se penchant pour ramasser ses clés. Elle doit s'y reprendre à plusieurs fois pour réussir à les enfoncer dans la serrure tant ses mains tremblent. « Et comment ton père saurait que je suis rentrée, sinon par toi ? Tu me prends vraiment pour une conne—
— Qu'est-ce que ça peut faire, au final ? Gabriel est la meilleure entreprise pour faire ton stage, tu le sais très bien. »
Marinette lève à nouveau ses yeux vers Adrien. La confusion a laissé place à de l'agacement, toujours mêlé à cette souffrance sous-jacente. Elle secoue la tête, un rire nerveux s'échappant de ses lèvres. « Félicitations, » lui dit-elle en ouvrant la porte. « T'es devenu tout ce que tu détestais. »
Les jours suivant, Marinette s'occupe l'esprit du mieux qu'elle peut. Elle passe ses journées à décorer son appartement, à déballer ses affaires et à faire du shopping dans toutes les petites boutiques parisiennes. La fin de la semaine arrive et son appartement commence enfin à ressembler à l'idée qu'elle s'en était faite : des plantes et des livres un peu partout, des photos et des posters accrochés aux murs, un canapé recouvert de coussins et de plaids, une cuisine épurée et fonctionnelle.
Marinette s'y sent bien, s'y sent chez elle. Ça l'aide à surmonter le manque de New-York d'être dans son petit cocon parisien. Mais cette douleur est toujours là, comme un fond sonore qui ne se tait jamais. Atlas lui manque, Luka lui manque, ses amis de l'école lui manquent, son petit café au coin de la rue lui manque, les bars new-yorkais et les taxis jaunes lui manquent.
Elle soupire, se tournant et se retournant dans son lit. La fenêtre est grande ouverte, laissant la brise nocturne lui caresser la peau, contrastant avec la chaleur de l'été. Marinette a troqué sa couverture contre un drap, a regroupé ses cheveux au sommet de son crâne et se contente de porter une simple culotte. Pourtant, la chaleur l'empêche de dormir. Ça, et les listes permanentes qui se profilent dans sa tête. La liste de ce qu'elle doit faire le lendemain. La liste de choses qui lui reste à acheter. La liste de ce qui lui reste à faire avant de commencer son stage. La liste des appels qu'elle doit passer.
Elle préfère se focaliser sur la quantité angoissante de ces listes plutôt que sur ce qui la tracasse vraiment depuis le début de la semaine.
« Ah, Adrien ! »
Marinette ouvre immédiatement ses paupières. Les secondes passent sans qu'un autre bruit ne vienne la troubler, excepté celui des voitures. Elle pense qu'elle a rêvé, pense qu'elle était en train de s'endormir ou de revivre son adolescence.
« Oui, vas-y ! Comme ça, continue ! Adrien ! »
Ce n'est définitivement pas son cerveau qui lui joue des tours. Pas cette fois, en tout cas. Non, c'est juste Adrien, qui, visiblement, passe une bien meilleure soirée que la sienne. Une bien meilleure soirée que laplupart des siennes, d'après les gémissements qui gagnent en décibels et le bruit de son lit, suppose-t-elle, qui cogne contre le mur.
Marinette enfonce son visage dans son oreiller en grognant de frustration — de toutes les frustrations possibles. Elle veut du silence, elle veut du sommeil et, accessoirement, être à la place de la fille de l'autre côté du mur.
Les minutes passent, les gémissements se changent en cris et l'oreiller ne suffit plus à les étouffer. Marinette tend son bras, attrape son téléphone et ne réfléchit pas plus de trois secondes et le colle à son oreille.
« Allô ? Mari ? »
Un sourire lui étire tout de suite les lèvres. « Salut, Atlas. Comment ça va ?
— Plutôt bien. Ça fait du bien de plus t'entendre râler tous les matins.
— Tu me manques aussi.
— Mes petit-déjeuner te manquent.
— J'ai des parents boulangers, tu sais.
— Ma mère est chef au Ghenet.
— D'accord, t'as gagné. »
Son rire l'apaise et lui fait presque oublier ce qui se passe dans l'appartement d'à côté. Presque.
« Oh, Adrien, j'y suis presque ! »
Le rire d'Atlas se transforme en esclaffement. « C'est quoi, ça ?
— Mon cher voisin, » répond Marinette sans réussir à masquer complètement l'infinité de sentiments opposés que lui inspirent Adrien.
Elle sait qu'Atlas n'est pas dupe et elle sait juste à quel point il la connaît. En plus d'avoir compris que ce n'est pas un voisin ordinaire, il a probablement compris qu'elle n'a pas envie d'en parler. « Y en a qui ont de la chance, en tout cas.
— Ah, ça. »
Au moment où Marinette s'apprête à changer de sujet, un énième cri s'élève derrière le mur contre lequel le lit s'abat une nouvelle fois.
Atlas éclate de rire.
« Arrête, c'est pas drôle !
— C'est juste, entendre des gens le faire en français.
— C'est ça qui te fait rire ?
— Te vexe pas, je suis sûre que ton français est très joli au lit. »
Marinette le rejoint dans son rire. Elle a toujours aimé cette dynamique entre eux. Ils se taquinent sans jamais franchir la limite, flirtent sans jamais être sérieux tout en respectant les barrières qu'ils ont posées : elle ne lui a jamais parlé explicitement d'Adrien et il ne lui a jamais clairement demandé ce qu'il s'était passé avant son arrivée à New-York. Il sait que, si elle en ressent le besoin, elle n'hésitera pas à lui en parler. Il en va de même dans l'autre sens.
Ç'a toujours été rafraichissant pour Marinette. Atlas ne l'a jamais connue avec Adrien, il l'a toujours connue sans. Les souvenirs qu'ils ont ensemble se limitent à il y a quatre ans, il ne lui parlera jamais du lycée, jamais du collège, jamais de Ladybug ou de Chat Noir.
C'est comme si elle avait vécu dans une bulle durant toutes ces années. Mais la bulle a éclaté dès le moment où son avion a atterri, lui rappelant juste à quel point elle est toujours attachée à son ancienne vie, corps et âme.
« Bon, » dit-elle pour rompre le cours de ses pensées, « on a bien compris pourquoi je t'ai appelé. Mais pourquoi tu réponds, un vendredi soir à... vingt-deux heures ? »
Elle l'entend soupirer. « Pas trop envie de sortir.
— Ouais, je te comprends.
— Tu crois qu'on ira en boîte à soixante ans ? Pour équilibrer, tu sais. »
Marinette pouffe contre son oreiller. « Y a qu'avec toi que je pourrais aller en boîte à soixante ans.
— Une vraie preuve d'amitié.
— Clairement. »
Les gémissements et le lit qui cogne contre le mur se sont arrêtés, Marinette réalise en se redressant. Elle appuie sa tête contre le mur, les jambes tendues et le drap éparpillé sur ses pieds.
« Alors, » déclare Atlas, « quoi de neuf ?
— Pas grand-chose. J'ai fini de décorer l'appart et j'ai postulé pour plusieurs petits boulots pas très loin de chez moi.
— On t'a rappelée ou pas encore ?
— Pas encore. Mais y a un petit café tout près d'ici où j'ai été déposé mon CV. La fille qui y travaille est super gentille et elle avait l'air plutôt optimiste alors je serai peut-être prise. »
Elle entend Atlas ouvrir et refermer des tiroirs, prendre quelque chose dans le frigo et le bruit d'un fouet contre un récipient. Il cuisine toujours quand il est au téléphone. « J'espère que tu seras prise. Et je veux un petit appartment tour, évidemment. »
Marinette hoche la tête en riant. « Évidemment. Je t'appelle en Face Time ? »
Il s'avère que la fille du café — le Comet — l'a rappelée le jour qui a suivi son insomnie et sa discussion avec Atlas. Ils ont parlé jusqu'à minuit pour lui et six heures du matin pour elle. Le jour commençait à se lever et les oiseaux chantaient déjà quand Marinette s'est finalement endormie.
C'est la sonnerie de son téléphone qui l'a réveillée, cinq heures plus tard. La fille du café — Mélanie — lui a alors demandé si elle pouvait venir aujourd'hui pour lui montrer ce qui l'attendait et lui faire signer son contrat de travail. Marinette, les yeux à moitié fermés et la fatigue pesant sur son cerveau, a évidemment accepté.
La voilà donc, une heure plus tard, derrière le comptoir avec Mélanie, en train de rire et de parler de tout et n'importe quoi.
« Tu vis ici depuis longtemps ?
— Je suis née à Paris et je suis partie pour mes études juste après le lycée. »
Mélanie hoche la tête. « Tu fais quoi comme études ?
— Études de mode.
— Cool. J'ai un ami qui travaille là-dedans.
— Tu sais ce qu'il fait, exactement ?
— Nan, pas vraiment. Je crois qu'il est pas mal connu dans le domaine mais on parle rarement de ça. Il a pas l'air vraiment passionné, tu sais. »
Marinette lève les yeux vers Mélanie. Elle mesure une bonne quinzaine de centimètres de plus qu'elle. « C'est triste.
— Un peu. C'est pas la personne la plus joyeuse que je connaisse, mais il est vraiment gentil. C'est un client, ici, il vient presque tous les jours depuis qu'il habite dans le coin. Quand j'ai commencé, il disait rien quand je me trompais sur sa commande. Il me l'a dit plus tard, bien plus tard. »
Marinette se sent sourire. « Il a vraiment l'air gentil.
— Il l'est, » affirme Mélanie. « C'est juste dommage, tu sais. C'est le genre de personne foncièrement bonne mais qui a été... brisée par la vie, peut-être. »
Marinette hoche la tête. Elle sait exactement ce à quoi Mélanie fait allusion.
« Enfin bref. Je t'ai montré comment utiliser la machine à café, je t'ai montré comment les préparer, je t'ai montré la cuisine, les casiers, les toilettes, t'as signé ton contrat... Autre chose, peut-être ?
— Ça m'a l'air bon. Vous êtes combien, à travailler ici ?
— Quatre. Jade, Hugo, Benjamin et moi. Cinq, avec toi. On n'est quasiment jamais complets et c'est souvent les mêmes clients. Tu verras, c'est pas très compliqué. » Mélanie lui tend alors un tablier, un sourire aux lèvres. « Je suis très contente que tu sois avec nous, Marinette. »
Elle lui rend son sourire en enfilant le tablier. « Appelle-moi Mari. »
Les deux jeunes femmes passent le début de l'après-midi à discuter, servir les quelques clients qui passent et débarrasser la table de ceux qui s'en vont.
Mélanie avait raison, ce n'est définitivement pas très compliqué. Les boissons qu'ils proposent sont relativement faciles à préparer et l'endroit est tellement chaleureux que Marinette s'y sent immédiatement à l'aise. Tout est clair, lumineux. Les boissons et les pâtisseries sont listées à la craie sur des grandes ardoises, les murs sont recouverts de fenêtres et de toiles — la majorité d'entre elles ont été peintes par Mélanie, lui explique-t-elle. Sa nouvelle amie s'avère travailler ici à temps plein. Elle a étudié l'art pendant quelques années et vend désormais la majorité de ses toiles et de ses dessins.
Mélanie est pleine de vie. Elle parle fort, elle rit, elle pose des questions. Marinette aime la manière dont elle analyse les choses. Elle ne s'arrête pas à ce qu'elle voit en premier lieu, elle creuse, creuse tellement que c'en est impressionnant.
Elle lui fait penser à Atlas. La manière dont elle s'est tout de suite sentie à l'aise avec lui. C'est la peinture qui l'anime, lui, la cuisine. Mais ils ont tous les deux cette chose qui les fait vibrer. Juste comme elle avec la mode.
« T'as toujours voulu travailler dans la mode ? »
Marinette hoche la tête en s'adossant au comptoir. « Depuis que je suis toute petite.
— C'est génial, hein ? De réussir à faire de ta passion ton métier. »
Le sourire de Mélanie dévoile une fossette au creux de sa joue droite. Sa peau, d'un brun profond, contraste avec la couleur claire de ses yeux qui sont si bleus qu'ils paraissent presque gris.
« J'ai du mal à y croire, des fois. Que c'est vraiment en train d'arriver, que je suis vraiment sur le point d'entamer ma dernière année d'étude. »
Mélanie hoche la tête, un éclat de compréhension dans le regard. « T'as toujours des cours ?
— On en aura quelques-uns pendant le semestre mais c'est surtout le stage qui va compter.
— Tu le fais près d'ici ?
— Hmmm. Chez Gabriel. »
Mélanie écarquille les yeux en levant son index. « C'est là où mon ami travaille !
— Celui avec qui tu te trompais de commande ? »
Mélanie hoche la tête en riant. Mais Marinette ne la rejoint pas dans son rire, cette fois-ci. Ses sourcils se froncent, ses bras se croisent. « Comment il s'app— »
La porte s'ouvre et sa phrase meurt sur ses lèvres. Marinette hésite à se cacher derrière le comptoir mais elle se souvient ensuite juste à quel point elle a besoin de ce travail.
Adrien s'avance, les yeux rivés sur son téléphone. Ses cheveux sont rassemblés en un chignon à l'arrière de sa tête, exactement comme la dernière fois qu'elle l'a vue. Ils ne se croisent pas aussi souvent que des voisins de palier le devraient, réalise-t-elle.
« Adrien ! » l'accueille Mélanie. Marinette n'est pas surprise, elle l'a su dès le moment où elle a dit qu'il travaillait chez Gabriel.
C'est le genre de personne foncièrement bonne mais qui a été... brisée par la vie, peut-être, a-t-elle dit.
« Mel, salut, » dit-il, toujours en regardant son téléphone. « Je vais te prendre un— »
Le reste de sa phrase s'éteint avant même d'avoir vu le jour. Ses yeux la paralysent, la regardent avec une telle intensité que Marinette ne peut qu'enfoncer ses ongles dans ses paumes et subir la contraction douloureuse de son cœur.
Mélanie, occupée à préparer la commande d'Adrien, ne remarque pas ce qui se passe entre eux. « Un latteavec un supplément vanille, » complète-t-elle en versant la boisson dans un gobelet en carton. « Il faut que je te présente Marinette. C'est son premier jour alors sois sympa. Elle va travailler chez Gabriel alors vous vous recroiserez sûrement— Vous vous connaissez ? »
Marinette hausse un sourcil, défiant silencieusement Adrien. Que va-t-il choisir de dire ? Qu'ils étaient amis d'enfance ? Qu'ils ont été ensemble pendant un ou quatre ans ? — ça dépend de comment on voit les choses. Qu'ils se sont mariés ? Qu'ils auraient donné leur vie l'un pour l'autre ? C'est peut-être trop.
« On... On est allés au lycée ensemble, » répond-t-il en attrapant son gobelet. « Merci. »
Ses yeux quittent les siens et le peu de vulnérabilité, de sincère surprise qu'elle pouvait y lire disparaît, laissant place à une parfaite indifférence.
Marinette pince ses lèvres et Mélanie fronce les sourcils. Mais elle ne dit rien.
La demi-minute qui suit est la plus pesante à laquelle Marinette a assisté depuis des années. Adrien tend un billet de cinq à Mélanie. Marinette lui rend sa monnaie. Leurs regards se croisent.
C'est étrange, ce qui se passe entre eux. Ce mélange de non-dits, de rancune, d'affection, de curiosité et de souvenirs partagés. Cette tension sous-jacente. Marinette lui en veut toujours pour cette histoire de stage et compte bien avoir le dernier mot. Mais, à côté de ça, elle ne peut pas s'empêcher de mémoriser sa commande, de frissonner lorsque sa peau touche la sienne, d'admirer la manière dont ces quelques mèches de cheveux tombent devant son front, la manière dont les premiers boutons de sa chemise blanche sont défaits, révélant la naissance de son torse.
« Bon, je dois y retourner, » annonce Adrien en reportant son regard sur Mélanie. Cette dernière hoche la tête, l'air suspicieux. « À plus tard.
— À plus tard, » lui retourne Mélanie.
Un dernier coup d'œil pour Marinette plus tard et il disparaît dans la chaleur de l'été.
Marinette se laisse tomber sur son canapé. Après avoir passé la journée à ranger, à nettoyer chaque surface visible, à organiser ses livres par couleur et à travailler sur ses prochaines créations, il ne lui reste plus grand-chose à faire pour s'occuper l'esprit.
Alors, elle pense. Pense à New-York, à Atlas, à Luka. Pense à Paris, à Alya, à Nino, à l'appartement qu'ils partagent, à la vie qu'ils ont construite. Parfois, elle reconnaît à peine la sienne. Elle a juste l'impression d'en avoir vécu deux différentes et d'avoir entamé la troisième, comme si rien ne les liait.
Est-ce qu'il y a un point commun entre la Marinette de seize ans, la Marinette de vingt ans et celle de vingt-trois ans ? Elle n'est plus celle qu'elle était au lycée, n'est plus celle qu'elle était en arrivant à New-York. Alors, qui est-elle ?
Elle n'en est plus très sûre. La Marinette de seize ans aurait foncé chez Adrien pour avoir des explications. Celle de vingt ans aurait appelé Gabriel pour leur dire qu'elle refusait le stage. Qu'est-ce que la Marinette d'aujourd'hui devrait faire ?
« Ta décoration est très jolie, Marinette. Tu vas te sentir bien, ici. »
Elle lève les yeux vers Tikki, occupée à virevolter dans l'appartement. Son cœur se serre dans sa poitrine. La plupart du temps, Tikki et les autres kwamis sont dans la Miracle Box. Ils y ont passé le plus clair de leur temps, à New-York. Le nombre de fois où ils sont sortis se comptent sur les doigts d'une main. C'était trop risqué, avec Atlas comme colocataire.
Et puis, voir Tikki, voir les kwamis, voir Plagg, c'était toujours compliqué pour Marinette. Ça lui laissait une sensation douce-amère. Un mélange de nostalgie, de joie et de tristesse.
« Merci, Tikki, » lui répond-elle. « Tu sais, maintenant que je vis toute seule, tu pourras sortir plus souvent. »
Le kwami se pose sur l'accoudoir du canapé. « Je ne t'en ai jamais voulu, Marinette. Aucun de nous. On a tous compris que c'était trop compliqué pour toi. Et puis, ça nous est déjà arrivé de rester dans la Miracle Box pendant des décennies, tu sais. »
Marinette appuie sa joue contre le dossier, un léger sourire lui retroussant les lèvres. « Je sais. Mais vous m'avez quand même manqué. Surtout toi. »
Le sourire de Tikki rejoint ses yeux. « Toi aussi, Marinette. » Elle hésite quelques secondes à continuer. « Si tu ressens le besoin de parler... Je suis toujours là, tu sais ? Comme au tout début. »
Comme au tout début. Être Ladybug lui manque terriblement. Plus qu'elle ne pourra jamais l'exprimer.
« Merci, » souffle-t-elle. « Ça ira. Ça finit toujours par aller. » Plus ou moins. « Tu sais où est Plagg ?
— Avec les autres, dans la Miracle Box, je crois.
— Tu lui as dit ? Pour... tu sais ? »
Tikki hoche la tête. « Je lui ai aussi dit ce que tu m'avais dit. Comme quoi ça ne te dérangeait pas qu'il lui rende visite.
— Il a répondu quoi ?
— Rien du tout. »
Marinette ferme les paupières. Plagg ne s'est jamais vraiment remis d'avoir été séparé d'Adrien — d'avoir été séparé comme ça d'Adrien. Elle se souvient encore du jour où il lui a déposé son Miraculous, se souvient du mutisme de Plagg, de la douleur dans ses yeux. Il lui avait raconté comment Adrien avait voulu rendre son Miraculous après la capitulation de Papillon, comment il avait retiré sa bague. Si quelque chose n'allait pas, il nous le dirait. Tu sais à quel point il déteste le mensonge, lui avait-il dit.
Il ne lui a plus jamais reparlé d'Adrien après ça. Le peu de fois où il est sorti de la Miracle Box, il était comme le Plagg dont Marinette se souvenait : grognon, espiègle, moqueur. Mais elle sait qu'il n'a jamais vraiment guéri. Elle non plus.
« Il va bien, Marinette, » lui dit Tikki. « C'est juste... tu sais comment il est. Il ne parle pas de ce qu'il ressent. Mais ne t'inquiète pas pour lui. Je m'en charge. »
Marinette hoche la tête. Parfois, elle veut lui demander comment les choses étaient avec les anciens porteurs, lui demander s'il est déjà arrivé que des Ladybug et des Chat Noir s'éloignent, sans jamais se retrouver. Lui demander s'ils ont réussi à se remettre de leur séparation.
Elle est cependant toujours trop effrayée de la réponse pour réellement lui poser la question.
« Ça va, Marinette ? » lui demande Tikki, la sortant de ses pensées.
Elle connaît les sous-entendus derrière sa question. Tikki n'était peut-être pas physiquement avec elle tous les jours durant ces dernières années, mais elle sait ce par quoi Marinette est passée.
Elle hausse les épaules. « Honnêtement ? Je sais pas trop. J'avais réussi à me créer des repères et à me reconstruire comme j'ai pu à New-York, alors tout devoir recommencer encore, c'est... un peu angoissant, parfois.
— Tu ne recommences pas vraiment. Tu continues, Marinette. »
Un léger sourire lui redresse les lèvres. « C'est vrai, » souffle-t-elle. « C'est juste que... je ressens pas toujours les choses comme ça. » Elle prend une grande inspiration, rassure Tikki d'une caresse sur le sommet de la tête et force son sourire à s'agrandir. « Et puis, ça fait qu'une semaine que je suis rentrée, c'est normal que je mette un peu de temps à m'adapter. En plus, je suis contente de pouvoir voir Alya et Nino quand je veux. »
Tikki lui sourit. « Je suis sûre que tu vas aimer ton nouveau travail. Avec ça et ton stage, tu n'auras pas le temps de t'ennuyer. »
Marinette hoche la tête. « C'est une bonne chose. J'ai du mal à ne rien faire. Après je pense trop et... tu sais comment je suis.
— Ça, oui. »
Marinette lui chatouille gentiment le ventre, son sourire s'intensifiant sincèrement en entendant le rire cristallin de Tikki.
Son téléphone se met à sonner et Marinette décroche sans cesser de taquiner son kwami. « Allô ?
— Ce soir. On fait ta crémaillère.
— Bonjour à toi aussi, Al. J'espère que tu vas bien.
— Ça va super, tu sais pourquoi ?
— Pourquoi ?
— Parce qu'on fait ta crémaillère ce soir. »
Marinette pouffe de rire, ses doigts caressant distraitement le sommet de la tête de Tikki. « J'ai un paquet de riz, deux carottes et une bouteille de thé glacé.
— Je m'occupe des courses. Et des invités. Toi, occupe-toi juste de rester chez toi.
— Je devrais m'en sortir.
— Je suis là pour vingt heures. »
Marinette a mal aux joues à force de sourire. Son appartement est rempli de rires, de musique, de cette atmosphère d'été. Tout le monde parle, complimente la décoration, demande des nouvelles de Marinette, raconte des anecdotes sur son travail, son stage, la fin de ses études ou son nouveau voisin.
Marinette prend une gorgée de ce qu'il y a dans son verre — Nino lui a dit que c'était du punch mais elle est presque sûre que c'est juste du jus d'orange avec une touche de rhum.
« Et c'est quoi la suite, maintenant ? » lui demande Chloé.
Si quelqu'un lui avait dit il y a six ans qu'elle serait heureuse à ce point de retrouver Chloé, Marinette lui aurait ri à la figure. Enfin, si quelqu'un m'avait dit il y a quatre ans que je serais en mauvais termes avec Adrien, j'y aurais pas cru non plus, se dit-elle.
Les choses changent.
« Je commence mon stage au début du mois d'août, pendant un an. Après j'ai un projet de fin d'étude — je suis pas encore sûre de ce que ce sera — et, normalement, je suis diplômée ensuite. »
Chloé hoche la tête. Ses cheveux sont encore plus blonds que la dernière fois que Marinette l'a vue et tombent en de larges boucles jusqu'en bas de son dos. « Chez qui, ton stage ? »
Marinette boit une nouvelle gorgée d'alcool avant de répondre. « Chez Gabriel, » finit-elle par avouer. « Normalement.
— Normalement ?
— Il y a quelques... complications.
— Je crois savoir de quelle complication tu parles. »
Marinette observe les yeux de Chloé aller et venir le long de son visage. « J'hésite à leur dire non et à demander à le faire ailleurs. » Elle ne sait pas pourquoi elle parle de cette histoire. Elle n'aime pas y penser — encore moins en parler. Mais il y a quelque chose dans le regard de Chloé, quelque chose dans l'honnête intérêt qu'elle lui porte qui lui inspire une confiance indiscutable.
« Tu veux mon avis ? »
Marinette hoche la tête. Chloé prend une gorgée de champagne et repose la flûte sur le rebord de la fenêtre, juste à sa droite. Ses doigts sont longs, gracieux, ses ongles recouverts d'un vernis blanc presque transparent.
Vous voyez ces personnes qui sont toujours impeccables sur elles, toujours parfaitement habillées, parfumées et apprêtées peu importe l'occasion ? Chloé en fait partie.
« Je pense que tu devrais accepter — que tu devrais même pas te poser la question. On sait tous que travailler chez Gabriel est une opportunité incroyable, le genre d'opportunité qui se présente qu'une fois. Alors, même si Adrien est derrière tout ça, qu'est-ce que ça peut faire ? Justement, accepte le stage et prouve-leur à tous que t'es la meilleure, jusqu'à ce que ce soit lui qu'on associe à toi et non toi qu'on associe à lui. »
Marinette l'aurait écoutée parler pendant des heures. « Wow, » lâche-t-elle. « Merci, Chloé. »
Elle lui sourit, l'air de dire : je sais, je donne de très bons conseils. « Si t'as besoin d'aide ou d'un mannequin pour porter tes vêtements, tu m'appelles.
— Tu fais du mannequinat ?
— Ça m'arrive de faire des campagnes, » dit-elle en haussant les épaules. « Pour financer mon école, surtout. Mon père voulait payer, mais j'avais besoin de... d'être indépendante, tu sais ? »
Marinette hoche la tête. Ses parents l'ont aidée comme ils pouvaient mais elle a été obligée de faire un prêt pour financer ses études à New-York — même si elle doit aujourd'hui travailler à côté de ses études, le rembourser elle-même lui apporte une certaine satisfaction. « École de quoi ?
— Commerce. »
Marinette acquiesce à nouveau, impressionnée. Elle pense à la Chloé qu'elle a connu en troisième, méprisante et dépendante de ses parents sur tous les points. Elle semble tellement plus en paix aujourd'hui.
« C'est ma dernière année. J'ai un stage aussi, au deuxième semestre.
— Tu pars à l'étranger ? »
Chloé hoche la tête. « Je suis pas encore sûre d'où.
— Tu pourrais venir à New-York. Mon coloc est tout seul, ça lui ferait de la compagnie.
— Comment il s'appelle ?
— Atlas. Il est incroyable. C'est la personne la plus gentille que je connaisse, honnêtement. En plus, il cuisine super bien. »
Chloé sourit, lui pose des questions sur Atlas, sur sa vie à New-York, sur l'adaptation à la langue lorsqu'elle est arrivée là-bas et maintenant qu'elle est de retour en France.
« Ça m'a fait bizarre quand je suis rentrée la semaine dernière, » lui avoue-t-elle. « Je devais chercher mes mots, j'avais l'impression d'être au ralenti. »
Elles parlent, parlent et parlent. Elle ne se sont pas vues pendant quatre ans, se sont à peine parlé pendant tout ce temps. Pourtant, c'est comme si rien n'avait changé.
« Et alors Mari, comment ils sont les mecs à New-York ? » lui demande Alix.
Il est près de deux heures du matin. Certains sont déjà partis — Nathaniel, Marc, Ivan, Mylène, Max, Rose et Juleka. Ils ne sont plus que six : Alya, Nino, Chloé, Alix, Kim, et Marinette. Certains sont assis sur le canapé, d'autres sont sur le tapis, en train de grignoter les donuts qu'Alya a acheté — Tu les caches jusqu'à la fin de la soirée, d'accord ? Sinon il y en aura jamais assez pour tout le monde.
Marinette croque dans un donut à la vanille et donne l'autre moitié à Chloé, assise à côté d'elle, toutes deux adossées au canapé.
« Sympas. »
Cinq secondes passent. À sa droite, Chloé essaie de retenir son rire. Alya met un coup de coude à Kim et Nino se pince les lèvres.
« Sympas ? » répète Alix. « Mari, sérieusement—
— J'ai revu Luka. »
Pourquoi j'ai dit ça ?
« Sérieux ? » s'étonne Chloé entre deux bouchées de donut. « À New-York ?
— Hmmm. Juleka vous l'a pas dit ? Il habite là-bas. Il fait même partie d'un groupe.
— Elle a dû le dire, si, » dit Chloé en haussant les épaules.
« T'as revu Luka genre tu l'as croisé à Time Square ou tu l'as revu genre vous étiez à poil ?
— Je vais pas à Time Square. »
Marinette réalise après que les mots sont sortis de sa bouche de ce qu'ils impliquent. Elle lève les mains face aux exclamations de surprise d'Alix et de Kim. « Commencez pas. Il s'est presque rien passé, d'accord ?
— Presque ? » insiste Alix.
— Peu importe. Ça arrivera plus, de toute façon.
— Pourquoi ? » s'étonne Kim. « Il a toujours été à fond sur toi, ce mec. Il est sympa, plutôt beau, je dois le reconnaître, alors—
— Tais-toi, Kim, » l'interrompt Chloé.
Marinette sent son regard sur elle. Elle sait que Chloé a compris. Bien sûr qu'elle a compris. Ce n'est pas Luka le problème.
Kim et Alix se lancent alors dans un débat sur si oui ou non la remarque de Chloé était malpolie. Nino participe activement à la discussion et Alya se rapproche de Chloé et Marinette.
« Je suis plus amoureuse de lui, » murmure-t-elle. « C'est juste que... je suis pas prête, c'est tout. »
Alya pose sa main sur son genou. Chloé lui tend la fin du donut. « Je comprends. »
Marinette lève les yeux vers elle. Au fond de ses yeux, elle le voit. Elle voit qu'elle comprend vraiment.
Alya et Nino sont les seuls à savoir comment s'est terminé la relation d'Adrien et Marinette. Cette dernière n'avait pas le cœur ni le temps d'appeler ses amis pour leur expliquer pourquoi Adrien semblait avoir disparu de la surface de la Terre. Entre son arrivée à New-York, son cœur à maintenir en un seul morceau, son anglais à perfectionner et... d'autres choses, Marinette avait à peine expliqué à ses parents ce qu'il s'était passé.
Alya s'était chargée du reste. Elle avait expliqué qu'ils ne s'étaient pas quittés en mauvais termes, qu'Adrien devait rester à Paris et Marinette aller à New-York et que ça ne fonctionnait simplement plus entre eux. Durant le peu de fois où elle avait vu ses amis ces quatre dernières années, ils ne lui avaient jamais posé de questions concernant Adrien.
Mais, aujourd'hui, perdue dans le regard de Chloé, Marinette se demande comment elle l'a vécu. Est-ce qu'elle est toujours en contact avec lui ? Est-ce qu'il lui a raconté sa version de leur rupture ?
« Je lui ai pas parlé depuis des mois, » lui dit Chloé.
Marinette se demande si ce sont ses yeux qui sont expressifs ou si Chloé la connaît juste trop bien. « Des mois ? »
Chloé hoche la tête en passant ses mains dans ses cheveux. « Ça m'arrive de le croiser à des évènements. Après que tu sois partie, il a juste... disparu. »
Marinette fronce les sourcils. Elle sait qu'Alya, Nino et lui ont coupé les ponts. Même si cette idée l'a toujours dérangée, elle comprend pourquoi : Alya et Nino étaient amis avec elle avant de l'être avec lui. Peut-être que les voir lui faisait penser à elle. Ou peut-être que leur amitié pendant toutes ces années n'était que du vent. Avec Adrien, Marinette ne sait plus grand-chose.
Mais pourquoi couper les liens avec Chloé ? Ils se connaissent depuis plus de quinze ans, maintenant. Et même s'il y a eu des périodes où leur amitié avait battu de l'aile, Marinette n'a jamais douté de l'amour qu'il lui portait.
« Disparu, » répète-t-elle.
« Sans rien dire. J'ai essayé de lui parler. Je le connais, je savais qu'il se renfermait sur lui-même parce que t'étais plus là et qu'il savait plus comment se gérer. Je lui ai envoyé des messages, je suis même allée au manoir mais son père m'a dit qu'il avait déménagé. J'ai jamais su où. »
Marinette se mord nerveusement l'intérieur des lèvres. Les mots sortent presque de sa bouche — c'est mon voisin. Mais elle les ravale. Ce n'est pas son rôle. Si Adrien a décidé de couper les ponts, c'est qu'il avait une raison.
Promets-moi que tu me diras rien. Même si je te supplie. Promets-le-moi, a-t-elle dit à Alya. Ce n'est pas seulement sa meilleure amie qui lui a fait une promesse, c'est aussi Marinette qui s'est promis à elle-même de rester à l'écart.
Elle doit rester à l'écart.
Le lendemain, Marinette passe la journée à ranger et à rattraper ses heures de sommeil. Elle se sent bizarre. Comme si elle n'était pas tout à fait réveillée.
En fin d'après-midi, elle se décide à enfiler quelque chose d'autre que son pyjama et d'aller faire des courses. C'est la mi-juillet à Paris alors il fait chaud, très chaud. Même avec son short tellement léger qu'elle ne le sent presque pas sur sa peau et son débardeur qui lui arrive en haut du ventre, Marinette est en nage lorsqu'elle arrive en haut des escaliers avec ses sacs de courses.
« Je déteste l'été, » grogne-t-elle en se débattant avec son sac à main pour trouver ses clés. Elle a chaud, elle est fatiguée, elle sent ses cheveux coller à sa nuque et elle veut juste rentrer prendre une douche glacée.
Mais ses clés glissent de ses mains moites et atterrissent sur le sol. Au moment où Marinette se baisse pour les ramasser, non sans les insulter au préalable, elle entend les escaliers grincer. L'instant d'après, Adrien est sur le palier.
Ses cheveux sont toujours attachés mais quelques mèches encadrent son visage, ondulées par la transpiration qui perle sur son front. Le short de sport qu'il porte dévoile une partie de ses jambes et son débardeur révèle l'entièreté de ses bras et de ses épaules et— Merde, il est musclé.
Marinette détache ses yeux de son corps et se relève, soudainement mal à l'aise dans son minuscule débardeur. Ce n'est pas la première fois depuis qu'elle est rentrée qu'il la voit comme ça — après tout, c'est l'été et Marinette a toujours aimé porter des vêtements assez révélateurs. Mais les deux autres fois étaient différentes. La première fois, Marinette était trop choquée pour penser à autre chose qu'à Adrien à moins de six-mille kilomètres d'elle. La deuxième fois, elle était trop énervée pour penser à autre chose qu'à quel point il était insupportable.
Aujourd'hui, elle est toujours choquée et toujours énervée mais pas assez pour ne pas remarquer les yeux d'Adrien sur son corps. Pourquoi il me regarde comme ça ? Marinette pense aux formes qu'elle avait à dix-sept ans, pense à quel point son corps a changé.
Mais ensuite ça la frappe : elle n'avait pas de tatouages, à dix-sept ans.
« Marinette, » la salue Adrien en la regardant dans les yeux. « Tu... Par rapport à cette histoire de stage, je peux en parler à mon père—
— T'en as parlé à ton père ?
— Non. Non mais je peux—
— Non, » répond-elle en réajustant son sac à main sur son épaule. « Non, lui dis rien. Ce serait pire. »
Adrien ouvre la bouche, la referme, passe une main dans ses cheveux. Il a l'air nerveux. Sincère, aussi. Il n'aurait vraiment rien dit à son père sur son retour ?
« Écoute, Mari, j'en savais vraiment rien, d'accord ? Je pense qu'il cherchait un stagiaire et qu'il a vu ton nom dans les listes de Pratt ou alors qu'on l'a appelé directement, j'en sais rien—
— Je te crois.
— Tu— Vraiment ? »
Marinette résiste à l'envie de sourire. « Oui, » répond-elle en hochant la tête. « C'est juste que... Il t'a rien dit du tout ? »
Adrien secoue la tête. « Non, rien du tout. »
Marinette ouvre la bouche mais finit par hausser les épaules en se tournant vers la porte de son appartement. Pourquoi est-ce que ses mains tremblent ?
« Je suis désolé, Marinette—
— C'est pas grave, » murmure-t-elle.
« T'es sûre ? T'as pas l'air de— »
Ses mots meurent sur ses lèvres lorsque Marinette se retourne. Elle ne s'était pas attendue à ce qu'il soit si proche. « Je vais très bien, » lui dit-elle d'un ton un peu trop ferme. « C'est juste que... tu... rien. Je vais bien. »
Il hoche la tête. « D'accord, » murmure-t-il.
Marinette hoche à nouveau la tête en passant une main tremblante dans ses cheveux. Les yeux d'Adrien s'écarquillent. « Quoi ?
— R-Rien. Rien du tout. Je— Je vais y aller, d'accord ? Je dois... Je— À plus tard. »
Marinette fronce les sourcils en le regardant rentrer dans son appartement. Qu'est-ce qui va pas chez lui ?
Le lundi de la semaine suivante, Marinette travaille toute la journée au café. Mélanie la présente à Jade et Benjamin qui sont en cuisine et à Hugo qui s'occupe du service. La carte se limite à quelques sandwiches, salades et desserts mais Marinette se rend tout de suite compte du travail que cela demande. Elle ne sera définitivement pas de trop.
« J'ai une idée depuis quelques mois, » lui dit Mélanie plus tard dans l'après-midi. Il y a quelques clients dans la salle : une jeune femme en train de pianoter sur son ordinateur en sirotant son café, un jeune homme du même âge en train de dessiner et un groupe de deux amies en pleine discussion.
« C'est reparti, » commente Jade en revenant de sa pause. Ses longs cheveux bruns sont rassemblés en un chignon à la base de sa nuque et ses yeux en amande se plissent quand elle sourit.
Mélanie lui tape gentiment le bras. « Je voulais engager quelqu'un pour chanter. On a cette scène, là-bas, et je trouve ça dommage de pas l'utiliser, » dit-elle en désignant l'estrade au fond du café d'un mouvement de tête. « Ça attirerait du monde et j'aime bien l'idée de réunir plusieurs formes d'art ici, tu vois ? »
Marinette pense aux peintures accrochées aux murs. Elle s'imagine sur cette scène, un micro à la main, en train de faire une des choses qu'elle préfère au monde. Son cerveau lui dit de garder sa bouche fermée.
Mais elle l'a tellement écouté ces derniers temps qu'elle l'ignore majestueusement. « Je sais chanter, » lâche-t-elle. Les sourcils de Jade se haussent, les yeux de Mélanie s'écarquillent. Hugo et Benjamin sortent de la cuisine. Marinette se sent rougir. « Enfin, je me débrouille, » ajoute-t-elle.
« Mari, tu peux pas lâcher un truc comme ça sans rien dire d'autre ! Tu chantes depuis combien de temps ? Quel genre de musique ?
— Je—
— Non, oublie, on s'en fout. Tu peux me faire une démo quand ? »
Marinette jette un regard de détresse à Jade, Hugo et Benjamin. Trop tard, disent leurs yeux.
« Je... J'ai peut-être une vidéo—
— Génial ! Montre ! »
Marinette ne peut s'empêcher de sourire face à l'enthousiasme de Mélanie. Elle fouille dans son téléphone et finit par retrouver une vidéo d'elle qui chante dans un bar-karaoké à New-York. Elle était probablement un peu alcoolisée, mais elle se rappelle cette soirée. Luka l'avait embrassée à la fin.
Marinette n'a plus honte de parler de son talent — ni d'appeler ça un talent. Elle a arrêté de le cacher à partir du moment où elle s'est rendu compte à quel point ça l'aidait. Avant, elle n'avait cas se transformer en Ladybug pour extérioriser ses émotions.
Mais elle a dû découvrir d'autres techniques pour relâcher la pression. Chanter en fait partie.
S'entendre chanter sur le moment et s'entendre chanter des mois plus tard sans alcool dans le sang reste une expérience totalement différente.
« Marinette, » souffle Mélanie.
« Je sais, c'est pas terrible, » répond-elle, crispée. « Mais c'était il y a plusieurs mois et j'étais pas vraiment sobre—
— Qu'est-ce que c'est quand t'es sobre, alors ?
— Hugo a raison, » intervient Benjamin, derrière l'épaule de Mélanie. « J'y connais pas grand-chose mais tu chantes vachement bien.
— Moi je m'y connais, et je dis que c'est plutôt incroyable, » commente Jade.
Marinette se sent rougir. Elle a toujours du mal à répondre aux compliments mais c'est encore pire quand ça concerne sa façon de chanter. « M-Merci, » marmonne-t-elle, les yeux fixés sur Mélanie.
« Pitié, Marinette, » dit-elle en lui rendant son téléphone. « Chante. »
Ses lèvres se redressent légèrement. « Tu veux dire, maintenant ?
— Quand tu veux. Viens chanter à trois heures du matin chez moi si ça te fait plaisir. »
Hugo murmure quelque chose dans l'oreille de Jade qui retient un éclat de rire. Marinette se sent sourire un peu plus. « Un soir par semaine, ça t'irait ? »
Mélanie hoche vigoureusement la tête. « On va faire des flyers. Je vais en parler à tout le monde, ça va être incroyable—
— Pas à tout le monde, non plus... » murmure-t-elle.
Jade passe un bras autour de ses épaules. « Bienvenue, Marinette. »
À dix-huit heures, Mélanie lui montre comment faire la fermeture. Elles discutent de quel soir serait le meilleur pour le premier concert de Marinette — même si le mot concert sonne encore bizarre sur sa langue.
« T'es vraiment allée au lycée avec lui ? » lui demande soudainement Mélanie.
Marinette lève les yeux vers elle. Il ne lui faut qu'une seconde pour savoir de qui elle parle et à son cœur pour se mettre à bondir à chaque battement. Pourquoi tu bas aussi vite ?
Elle hoche timidement la tête.
« C'est tout ? » s'étonne Mélanie. « Désolée. Désolée, je veux pas me mêler de ce qui me regarde pas, c'est juste que... Je connais Adrien depuis quelques années, maintenant, et... je me suis toujours demandé ce qui lui était arrivé.
— Des trucs pas facile, » soupire Marinette. « Et... peu importe ce qui s'est passé entre nous... c'est terminé. »
Terminé, se dit-elle. Terminé, terminé, terminé.
Mélanie hoche la tête. « Tant mieux pour toi— Je veux dire... il a pas vraiment l'air stable de ce côté-là. »
Ne réponds pas. Hoche juste la tête. Hoche juste la tête— « Ah ?
— Ouais... Je l'ai jamais vu avec la même fille. Quoique, si. Une vraie peste. »
Marinette fronce les sourcils. « Ah bon ?
— Hmmm. Super belle. Longs cheveux bruns, beaux yeux verts, corps incroyable. Carrément mon style. Mais dès qu'elle ouvre la bouche, c'est soit pour se vanter de quelque chose ou mépriser quelqu'un.
— Et... tu crois qu'ils sont ensemble ? »
Mélanie hausse les épaules. Marinette retient sa respiration. « J'en sais rien. Si c'est le cas, Adrien est définitivement pas fidèle, mais ça a pas l'air d'être son genre, alors... j'en sais rien, » dit-t-elle en sortant son téléphone. « Attends, j'ai son compte Insta, si tu veux. »
Marinette se rapproche d'elle, un léger sourire aux lèvres. « Comment t'as trouvé son— »
Tout lui échappe. Ses mots, sa respiration, son calme.
Longs cheveux bruns. Beaux yeux verts. Corps incroyable. Vantardise. Mépris. Lila.
Je sais, la fin est horrible.
Si ça peut vous rassurer, le prochain chapitre est beaucoup plus léger ! C'est le début des retours dans le passé donc on se retrouve la semaine prochaine avec la Marinette de quinze ans !
J'ai hâte de savoir ce que vous pensez de ce chapitre !
— Lucie.
