Année : 772

4 ans après le Cell Game

Se retrouver, comme avant

Après des heures d'un sommeil profond, Ruri fut finalement réveillée par la lumière des rayons du soleil qui parvenaient à se frayer un chemin jusqu'à elle malgré les rideaux encore clos.

Lentement, elle entrouvrit ses yeux et regarda autour d'elle. La chambre n'était que faiblement éclairée, mais suffisamment pour qu'elle déduise que la matinée était sans doute bien avancée. Après encore quelques secondes passées dans cet état de semi-torpeur, la brume qui entourait encore son esprit se dissipa, et elle s'assit sur le lit.

Elle constata qu'était seule dans la chambre. La télévision était éteinte, et aucun bruit n'était perceptible dans la pièce dont seuls les chants des oiseaux dehors troublaient le silence. Ce n'était pas la première fois qu'elle se réveillait ainsi. La plupart du temps, C17 ne restait avec elle que jusqu'à ce qu'elle s'endorme, avant de partir vaquer à ses occupations. Elle s'était finalement habituée à s'endormir dans ses bras et à se retrouver seule le lendemain matin. Sans en être surprise, une part d'elle-même éprouva pourtant pendant un instant le regret de constater que, cette fois encore, il n'était pas resté.

« Il a encore dû sortir se promener », pensa-t-elle en soupirant.

Ruri décida donc de se lever, mais ses jambes chancelantes étant encore tellement engourdies qu'elle faillit trébucher en essayant. Elle n'avait clairement pas encore bien récupéré des « efforts » de la veille, et elle pouffa de rire en se retrouvant ainsi, totalement nue sur le lit, incapable de faire un seul mouvement.

« Ma grande, il va quand même falloir que tu t'habilles ! »

C'est alors qu'en regardant autour d'elle, Ruri aperçut les vêtements de C17 posés sur le dossier d'une chaise. La façon dont ils étaient ainsi disposés, impeccablement pliés, était caractéristique de cette manie qu'il avait de toujours vouloir que ses affaires soient bien rangées. Sa maniaquerie s'étendait souvent à celles de Ruri qu'il entreprenait toujours de réagencer, surtout quand elle dormait. Amusée, elle décida de se saisir de son t-shirt noir, celui qui arborait encore le logo de l'Armée du Ruban Rouge.

« Tant pis pour toi cyborg, je n'ai pas la force d'aller dans la salle de bain » se dit-elle en l'enfilant, avant qu'une idée ne traverse son esprit : si les vêtements de C17 étaient là, alors cela voulait dire qu'il n'était pas parti comme elle le pensait.

D'ailleurs, à peine avait-elle d'ailleurs eu le temps d'y réfléchir que la porte de la chambre s'ouvrit très doucement, et qu'il apparut devant elle. Il marqua un temps d'arrêt en la voyant, avant de lui sourire puis d'entrer et de venir la rejoindre. Ruri remarqua aussitôt qu'il portait le survêtement noir qu'elle avait acheté pour lui, et qu'il ne revêtait pourtant jamais à l'extérieur.

- Tu es réveillée depuis longtemps ? lui demanda C17 en venant s'asseoir à ses côtés.

- Non, quelques minutes. Tu étais sorti dans cette tenue ?

- Non je suis resté ici cette nuit. Mais vu qu'il commençait à se faire tard j'ai pensé que tu n'allais pas tarder à te lever et que tu allais avoir faim, alors je suis allé voir le type en bas …

- Le réceptionniste.

- Ouais. Il m'a montré qu'il y avait un petit magasin au rez-de-chaussée de l'hôtel et donc j'y suis passé pour acheter des trucs.

- Tu veux dire que tu as parlé tout seul à un autre être humain que moi ?

- Oui, pourquoi ?

- Non rien, répondit Ruri en riant, c'est juste qu'en général tu n'es pas très doué pour faire la conversation.

- J'y arrive avec toi.

- Oui, et tu as fait des progrès depuis notre rencontre mais avec les autres humains … Enfin, en tout cas merci et bravo !

- Par contre il y a une chose que je n'ai pas comprise.

- Laquelle ?

- Au moment de payer, le type …

- Le réceptionniste.

- Peu importe. Il m'a demandé le numéro de la chambre, et quand je le lui ai donné il a rit.

- Ah bon ? Pourquoi ?

- Aucune idée. Mais ensuite il m'a fait un clin d'œil.

- Sérieusement ?

- Oui j'ai trouvé ça étrange aussi.

- Il n'a vraiment rien dit d'autre ?

- Si. Il m'a dit d'acheter cette bouteille fluo, il a dit que c'était une boisson énergisante et que je devais en avoir besoin.

- UNE QUOI ?

- Boisson énergisante. Ça veut dire que c'est pour reprendre des forces.

- NON MAIS JE SAIS CE QUE C'EST ENFIN ! Et qu'est-ce que tu as fait ensuite ?

- J'ai accepté d'acheter la bouteille, et du coup avant de partir je lui ai aussi fait un clin d'œil.

- NOOOOON C17 DIS-MOI QUE TU PLAISANTES !

- Pas du tout.

- MAIS … POURQUOI ?

- Tu m'as souvent dit que quand je ne comprenais pas le comportement d'un humain, je devais juste faire pareil que lui pour ne pas être malpoli. Alors c'est ce que j'ai fait. C'est gentil de se préoccuper du fait qu'on puisse être fatigué, non ?

- … Et à ton avis, pourquoi il a pensé qu'on pouvait être fatigué ?

- Parce qu'on voyage.

Ruri hésitait être l'envie d'éclater de rire devant sa totale naïveté, et celle d'aller creuser un trou dans le sol pour s'y cacher tant elle avait honte. Mais après quelques minutes de réflexion, elle finit par trouver la situation très drôle, l'attitude complètement décalée de C17 qui déballait avec insouciance le contenu de son sac sur le lit étant proprement hilarante : il était vraiment à des années lumières de comprendre ce qu'il s'était passé et son visage était d'une sérénité désarmante.

Aussi, après quelques secondes de consternation, Ruri finit par répondre, amusée :

- Bon. Alors maintenant voici le plan : on attendra qu'il fasse nuit noire pour partir, et on se tirera de cet endroit aussi vite que possible, sans croiser personne d'accord ?

- Ok. Mais j'ai mal réagi ?

- Oui et non. Promis, je t'expliquerai, mais plus tard. Ça te va ?

- Oui.

Ruri avait l'impression qu'elle venait littéralement de sauver la vie de ce pauvre réceptionniste en ne révélant rien à C17. Elle était encore en train de se demander comment elle allait bien pouvoir lui expliquer l'étendue de ce quiproquo, quand elle repensa tout à coup à ce qu'il s'était passé la nuit précédente. Bien que son objectif initial de permettre à C17 de se calmer avait été atteint, elle n'avait pas réussi à lui faire mettre des mots sur ce qui avait provoqué chez lui une telle rage.

Alors, tandis qu'elle acceptait le paquet de chips qu'il lui tendait, Ruri se décida à reprendre la conversation qu'elle n'avait pas pu mener à son terme la veille.

- Dis ... tu n'es plus énervé maintenant ?

- Non. Plus du tout. En fait, tu es vraiment douée pour m'aider à gérer ma colère.

- Si je peux me rendre utile surtout, n'hésite pas ...

Ruri avait repris ce ton malicieux et aguicheur qui résonnait en C17 comme un véritable appel auquel il réagit immédiatement, se retournant et s'approchant d'elle pour caresser sa longue chevelure dépeignée, avant de finalement lui donner pour seule réponse un long et profond baiser.

- Promis, lui répondit-il en souriant.

Tous deux étaient maintenant quasiment allongés sur le lit, et ils étaient si proches que leurs nez se touchaient presque, chacun pouvant sentir sur sa peau le souffle de la respiration de l'autre. Si près de Ruri, les yeux de C17 ne pouvaient pas lui mentir, et la jeune femme sentit qu'elle pouvait se risquer à lui poser davantage de questions.

- Pourquoi tu étais en colère hier ? lui demanda-t-elle, sans pour autant être certaine qu'il accepterait de lui répondre.

- Pour tellement de choses que je n'arrive pas vraiment à l'expliquer.

- Dis-moi juste ce que tu penses, et j'essaierai de décrypter.

Alors, C17 lui raconta tout ce qu'il avait ressenti une fois dans le laboratoire. La découverte de l'antériorité de la création de Cell et toutes les interrogations qui en découlaient. Ses doutes sur les raisons qui avaient poussé Gero à le transformer lui en cyborg, si en fin de compte il avait prévu depuis si longtemps de créer ce monstre.

Ses souvenirs de l'absorption de C18 et de la mort de C16. Ces images qui repassaient sans fin dans sa tête, comme s'il était prisonnier d'une boucle temporelle, d'un film qui se déroulait devant ses yeux sans qu'il n'ait jamais pu rien faire pour empêcher quoi que ce soir de se produire. Cette impression terrifiante de n'avoir été qu'un spectateur impuissant.

Ses regrets. Ses remords. Et sa culpabilité.

Celle de n'avoir rien vu venir, et rien pu empêcher de tout ce qui leur était arrivé.

Ruri l'écouta, attentivement, analysant chacune de ses paroles.

Tout lui parut beaucoup plus clair en entendant ce récit. C17 avait cruellement besoin de réponses, et cela Ruri pouvait le comprendre. Elle aussi avait cherché pendant des mois un sens à la mort de ses parents. Elle s'était demandé comment ils en étaient arrivés là et ce qu'elle aurait pu faire pour les empêcher de partir. Elle aussi avait ressenti ce besoin de marcher sur leurs traces pour mieux pouvoir accepter leur décès.

Mais ce n'était pas aussi simple.

- Tu sais, commença-t-elle alors timidement une fois qu'il eut terminé son récit, je pense que maintenant que Gero est mort et que son laboratoire est définitivement détruit, tu n'auras sans doute jamais accès à toute la vérité.

- Oui, je sais. Ce vieux débris aura vraiment réussi sur toute la ligne.

- Tu es libre, et lui est mort. Ça ressemble plutôt à une victoire, non ?

- Oui, oui. Mais j'aurais aimé savoir.

- C'est vraiment si important pour toi ?

- Oui.

- Mmmmmmmmmmmm

- Ne me dis pas que tu es en train de sérieusement réfléchir à tout ça ?

- Cela n'a rien à voir avec toi. Mais … comment dire … toute cette histoire me pose de réelles interrogations d'un point de vue purement scientifique. C'est vrai que mes connaissances en matière de robotique sont proches de zéro, mais par contre je suis une zoologiste et en fait, plus j'y pense, et plus je me dis …

Ruri s'arrêta, semblant hésiter pendant un instant.

- Tu te dis quoi ? lui demanda C17, intrigué.

La jeune femme se redressa alors brusquement, s'appuyant sur son coude droit et fixant sur lui un regard dans lequel commençait à briller la flamme de la curiosité.

- Ok ce n'est qu'une hypothèse d'accord ? Disons que quand tu m'expliques comment c'était quand Cell t'as absorbé, ça me fait penser à une symbiose.

- Une quoi ?

- C'est une forme particulière de parasitose. Quand un organisme arrive à vivre en utilisant un autre. Ce qui est particulier avec la symbiose c'est que les deux êtres vivants sont très intimement liés, ils partagent parfois certains de leurs organes ou de leurs fonctions. Le fait que tu étais inconscient mais en même temps capable de voir et d'entendre ce que Cell voyait et entendait laisse supposer que tu partageais des terminaisons nerveuses avec lui.

- Oui, et ?

- Peut-être que d'un point de vue mécanique la fusion de deux entités c'est facile, mais toi tu n'es pas une machine, et Cell non plus. Vous êtes des créatures biologiques. Et une telle coopération entre les organismes de deux, enfin trois êtres vivants différents c'est proprement hallucinant. C'est miraculeux. C'est un prodige scientifique.

- Je ne vois vraiment pas où tu veux en venir.

- Réaliser un tel exploit présuppose plusieurs choses. Déjà, si Cell était conçu comme un être biologique, Gero est forcément parti d'un ADN existant. Comme celui d'un animal.

- Oui, cette pourriture avait une tête de cafard géant dans sa première forme.

- La description que tu m'avais faite ressemble plus à une cigale, mais peu importe. En tout cas ça a du sens. Les créatures biologiques sont par nature moins résistantes que les robots, il y a des limites à ce qu'un corps fait de chair peut endurer. Donc, si on part du principe que Cell ne pouvait pas disposer dès sa naissance de sa pleine puissance parce que, je ne sais pas, il aurait été trop fort et que cela aurait été nuisible pour son organisme, il avait donc besoin de passer par des étapes évolutives.

- … ok, répondit C17, toujours circonspect mais désireux de savoir où le raisonnement de Ruri allait la mener.

- Repense à mon livre, je sais que tu l'as lu. Rappelle-toi, papillons, chenilles … les insectes sont des spécialistes des métamorphoses. C'est une capacité innée chez eux. En toute logique, c'est pour cette raison que Gero est parti d'un ADN d'insecte. Tu me dis qu'il a collecté ensuite des ADN venant des amis de Goku et que Cell pouvait ainsi utiliser certaines de leurs habilités. Donc il a retravaillé cet ADN initial pour y intégrer des parties des autres. C'est proprement fascinant.

- Admettons. Quel rapport avec C18 et moi ?

- Pour toi et ta sœur, c'est justement différent. Gero a fait en sorte que vous absorber déclenche l'évolution. Je ne vois pas du tout comment il a fait, mais cela implique …

Ruri venait de s'arrêter de nouveau. L'index posé sur son menton, elle semblait être plongée dans une intense réflexion, et C17 n'osa pas la déranger.

Il était à présent suspendu à ses lèvres, et il tressaillit d'impatience quand il la vit Ruri prendre une profonde inspiration. Elle avait ce fameux regard, sérieux, calme, celui qu'elle arborait quand elle préparait une expédition ou l'approche d'un animal dangereux.

- Cela implique que Gero ne vous a pas capturé au hasard, finit-elle par dire, gravement.

- Qu'est-ce qui te fait dire ça ?

- Parce qu'il a en quelque sorte « paramétré » Cell pour que la symbiose entre vos organismes fonctionne. Il a forcément fait ça dès sa conception, ou en tout cas au tout début du processus. Cela implique de savoir à l'avance qui allaient être les individus que Cell devait intégrer.

Un frisson parcouru C17, traversant sa colonne vertébrale.

La préméditation de Gero ne faisait plus guère de doute pour lui, mais même si Ruri ne faisait que conforter cette certitude, sa conclusion l'amenait à se poser une nouvelle question, plus terrible que les autres.

- Pourquoi nous deux ?

- Ça malheureusement je crois que tu ne le sauras jamais. Seul Gero pourrait le dire.

C17 s'attendait à cette réponse. Ruri lui apportait certes un éclairage nouveau auquel il n'aurait jamais pensé, mais il voyait devant lui se dresser le mur infranchissable des mystères perdus dans le cerveau tordu du Dr Gero. La jeune femme avait raison, il allait devoir apprendre à vivre malgré l'absence de réponses à toutes les questions qu'il se posait.

Mais alors qu'il poussait un long soupir, Ruri reprit :

- Mais une chose me semble certaine par contre.

- Laquelle ?

- Reprogrammer un ADN pour permettre à ce qu'il fusionne avec un autre être vivant doit être d'une complexité absolue. Y arriver une fois est en soi un exploit, mais le faire avec celui de 2 êtres totalement différents relève du miracle. Donc Gero a forcément ciblé des êtres génétiquement proches. Le plus proche possible. Comme …

- Des jumeaux, enchaîna alors C17.

- Oui. Et sans doute sans, enfin, sans une famille trop nombreuse qui les aurait cherchés.

Cette dernière affirmation ne le surprit pas. C17 avait depuis longtemps déduit qu'aucune famille ou connaissance ne l'attendait en dehors du laboratoire. C'est donc assez naturellement qu'il acheva le raisonnement de Ruri.

- Des jumeaux orphelins, donc. La cible idéale.

- Oui. Et ce que cela veut dire, si j'ai raison, c'est que Gero vous avait sans doute repéré depuis longtemps. Votre enlèvement n'a rien d'un hasard. C17, toi et ta sœur n'étiez que des gamins, comment auriez-vous pu empêcher quoi que ce soit ? Le plan de Gero était trop élaboré, trop parfait, préparé depuis trop longtemps. Tu n'aurais pas pu te protéger d'un danger dont tu ignorais l'existence. Rien de tout ceci n'est de ta faute.

- Tu essayes de me rassurer ?

- Non. Je le pense vraiment.

Il se releva, prenant lui aussi appui sur son coude, et fixant Ruri de son regard perçant.

Non, elle ne mentait pas. La sincérité se lisait dans ses yeux.

- D'accord, reprit-il. Mais c'est bien ma stupidité qui a causé le reste. Si je n'avais pas provoqué Cell, si j'avais uni mes forces à celles de C16 et Piccolo, nous aurions pu le vaincre. Et …

- Et rien du tout. Tu n'as aucun moyen de savoir ce qui se serait passé. Peut-être que vous auriez pu le battre, mais et après ? Qui te dis que le Trunks du futur ne vous aurait pas tué ? Vous représentiez le mal absolu pour lui. Et qui aurait pu l'en empêcher ? Il était devenu bien plus fort que vous, non ?

C17 se tut, incapable de répondre. En fait, il ne s'était absolument jamais posé cette question pourtant si simple : que se serait-il passé s'il n'avait pas été absorbé ?

Végéta et Trunks étaient arrivés peu après, et ils étaient en effet devenus surpuissants. Inarrêtables.

Oui… Que se serait-il passé ?

- Le passé, c'est le passé, continua Ruri. Tu ne peux pas le changer, c'est un fait, mais ce qui compte c'est le présent. C18 est vivante, épanouie. Et c'est peut-être égoïste, mais je me dis que si tout cela n'était pas arrivé, nous ne nous serions jamais rencontrés. Sans toi, ma vie serait … vide. Moi, ça me rend heureuse d'être ici avec toi. Pas toi ?

C17 la regarda alors droit dans les yeux.

- Je ne sais pas, finit-il par lui répondre, un grand sourire au coin des lèvres.

- Saleté de boite de conserve avec ta fierté ridicule ! s'écria-t-elle. Ne joue pas au plus fort C17, un jour je te ferai cracher le morceau, que tu le veuilles ou non !

- Je tremble de peur.

- Tu devrais en effet.

C17 ne répondit pas, préférant se délecter de la vision du visage faussement énervé de Ruri.

Mais subsistait en lui une dernière inquiétude, et qu'il avait soudainement envie d'exprimer à Ruri.

- Tu crois que c'est parce que C18 m'en veut qu'elle a voulu partir ?

- La vraie question c'est : pourquoi est-ce qu'elle t'en voudrait ?

- Même si elle a été recrachée, que tout va bien et qu'elle vit avec son … mari, si elle a été absorbée, cela reste à cause de moi.

- De toi, ou de Végéta ? Et puis de toute façon, tu prends le problème dans le mauvais sens.

- Pourquoi tu dis ça ?

- Parce que je n'ai pas la réponse, et toi non plus. Tout ce que tu fais c'est imaginer des explications. Moi, quand je veux savoir quelque chose, je ne connais pas un milliard de façons de faire. Je suis une scientifique, je ne spécule pas.

- Spécule ?

- Je ne perds pas des heures à imaginer des tas d'hypothèses.

Pensif, C17 resta silencieux.

Cette conversation venait de chambouler tout un tas de choses en lui et il hésitait sur la conduite à tenir pour remettre de l'ordre dans ses idées.

« Ne pas spéculer ... » pensa-t-il, remuant ce mot dans sa tête pour tenter d'en comprendre le sens. En fait, Ruri l'avait éclairé sur des choses qu'il pensait ne jamais pouvoir un jour comprendre, mais elle venait dans le même temps de bousculer les rares certitudes qu'il pensait avoir.

« Ne pas spéculer ... »

Quand il posa de nouveau son regard sur la jeune femme, il vit qu'elle lui adressait un grand sourire plein de malice. Comme si ce qu'il fallait faire était une évidence.

C'est alors qu'en effet, il comprit.

Il avait bien quelque chose à faire. Quelque chose qu'il avait mis de côté depuis trop longtemps.

- Tu as prévu de faire quoi aujourd'hui ? lui demanda-t-il alors.

- Absolument rien. Je suis épuisée et j'ai besoin de me reposer. Alors mon programme c'est : dormir, manger, et regarder la télé.

- Donc si je comprends bien, ma présence est ...

- Complètement inutile, l'interrompit Ruri en riant.

Il était inutile d'en dire davantage.

C17 resta encore un peu avec Ruri pour l'aider à se préparer, récupérer ses affaires et s'assurer qu'elle avait à disposition tout ce dont elle avait besoin. Ce n'est qu'ensuite qu'il quitta l'hôtel et la région du Nord, pour s'envoler et rejoindre Kame House.

Là où vivait C18.

Pour atteindre cette petite île isolée en plein milieu de l'océan, C17 se basa sur ses souvenirs datant de sa précédente visite mais aussi sur le fait qu'il s'en était approché de très près lors de l'expédition sous-marine. Vu du ciel, c'était vraiment un minuscule bout de terre très difficile à repérer, mais quand il l'eut dans son champ de vision, il la reconnut immédiatement.

A priori, personne n'était dehors, mais C17 savait que sa sœur était là.

Bien que distendu, cet indescriptible lien qui les unissait n'avait jamais été brisé. C'est donc avec la certitude de la trouver qu'il se posa, comme il l'avait fait des années en arrière, sur une étendue de sable blanc à quelques centimètres de l'océan.

Il n'eut ensuite plus qu'à attendre quelques minutes avant que la porte de la maison ne s'entrouvre et que C18 n'apparaisse.

- Salut, lui dit-il en souriant.

C18 ne bougea pas et le dévisagea longuement, avant de répondre, impassible :

- Tu n'es pas venu à notre dernier rendez-vous.

- Oui.

- Et je peux savoir pourquoi ?

- J'avais un truc important à faire.

- Et donc maintenant que tu es disponible, tu débarques ici sans prévenir et tout ce que tu trouves à dire c'est « salut » ?

- Oui.

Seul C17 la connaissait assez pour percevoir l'infime mouvement de son sourcil droit et lire dans son regard l'étendue réelle de sa pensée, au-delà de sa froideur apparente. Il savait qu'elle n'était pas en colère, juste un peu agacée.

- Je peux savoir ce qui t'amènes du coup ? l'interrogea-t-elle après un nouveau silence.

- J'ai besoin d'une raison pour venir te voir ?

Mais avant que C18 n'ait eu le temps de dire quoi que ce soit, une voie familière résonna depuis l'intérieur de la maison :

- C18, à qui est-ce que tu … parles ?

C'était Krillin, C17 avait reconnu sa voix en un instant.

En venant sur l'île, il s'attendait bien à ce que le mari de sa sœur s'y trouve. Pourtant, bien qu'il n'ait aucune animosité particulière à son égard, il se contenta de lui adresser un bref coup d'œil pour lui signifier qu'il l'avait vu.

À l'inverse, la surprise de Krillin était totale. Il fixait C17, la bouche grande ouverte, son regard allant et venant alternativement sur chacun des jumeaux. C18 lui avait parlé brièvement de leurs diverses rencontres mais elle avait gardé pour elle l'essentiel des informations le concernant, si bien que Krillin n'avait en fait aucune idée de ce que celui qui était, malgré tout, son beau-frère, avait bien pu faire depuis la fin du Cell Game.

Néanmoins, il savait aussi qu'il ne représentait plus du tout la moindre menace, et une fois l'effet de sidération dissipé, il entreprit de le saluer chaleureusement :

- Oh ! C17, ça fait longtemps dis donc ! Comment est-ce que tu vas ? Nous ne t'attendions pas mais ta visite est une excellente surprise ! Tu veux entrer boire quelque chose ?

- Non, ça ira.

C17 n'avait pas vraiment envie d'entamer une discussion avec lui. Outre son manque d'appétence générale pour les discussions avec les humains, il avait encore beaucoup de mal à comprendre ce que C18 pouvait bien lui trouver, et sa présence auprès d'elle le rendait un peu mal à l'aise. En revanche, le regard pesant de sa sœur ne lui avait pas échappé, et bien qu'il ait toujours été plus puissant qu'elle et qu'agacer C18 ait longtemps fait partie de ses distractions favorites, il la connaissait suffisamment pour savoir que provoquer sa colère n'était jamais une bonne idée.

Il avait donc fait de son mieux pour ne pas être impoli et pour employer un ton aussi « neutre » que possible. Pourtant, ce refus clair mais abrupt avait laissé Krillin totalement décontenancé.

- Euh … tu veux que je t'apporte à boire dehors ? Balbutia ce dernier avec hésitation.

- Non.

- A manger ?

- Non.

Soudain, alors que C18 levait les yeux au ciel, un bruit semblable au gazouillis d'un oiseau se fit entendre, attirant l'attention de C17 qui se mit à en chercher la provenance. C'est alors que dans les bras de Krillin, il aperçut une forme mouvante qu'il identifia en un instant.

C'était un bébé humain.

- Elle s'appelle Marron. C'est ma fille, lui dit alors C18 qui était restée jusque-là silencieuse, mais qui avait bien remarqué la réaction de son frère.

- J'avais deviné.

C17 était perplexe.

Bien qu'il soit le mari de C18, Krillin lui était assez indifférent. En revanche, dès l'instant où son regard s'était posé sur ce bébé, il avait ressenti des émotions très étranges. Il n'avait pas eu besoin d'avoir la confirmation de sa sœur pour être certain de leur filiation car aussitôt qu'il avait aperçu les boucles blondes ornant la tête de la petite fille, il avait reconnu l'éclat de la chevelure dorée de sa jumelle.

Il ne connaissait rien de cet enfant, mais il était empli d'une grande affection en la voyant. Marron, de son côté, était très intriguée par la présence de cet inconnu et sans attendre elle se mit à tendre une main dans sa direction.

Immédiatement, C17 perçut de nouveau les yeux perçants de sa sœur braqués sur lui.

« Règle n°1 : ne jamais avoir l'air d'une menace aux yeux de la mère » se dit-il en repensant avec amusement à ce conseil que Ruri lui avait donné quand il avait dû s'approcher des tortues géantes.

Mais il ne voulait pas rester ainsi de marbre alors il avança lui aussi très lentement sa main vers le bébé, et effleura délicatement sa joue droite du bout de ses doigts. Cette petite caresse chatouilleuse fit aussitôt son effet, déclenchant l'hilarité de la petite fille qui se mit à gigoter en riant aux éclats.

- Bonjour, Marron, murmura C17 avant de retirer sa main.

La douceur de ce geste n'échappa pas à C18 qui en fut très étonnée, bien qu'elle n'en laissât rien paraître. Elle se tourna alors avec Krillin, qui n'avait pas osé intervenir, mais dont elle connaissait le caractère protecteur envers sa fille. Il était mort d'inquiétude à chaque fois qu'elle éternuait, alors le fait de voir C17 s'approcher avait dût être pour lui source d'une grande inquiétude.

- Rentre avec la petite, lui dit-elle alors d'une voie bien plus apaisante.

- Mais tu ...

- Ne t'inquiète pas, tout va bien. N'est-ce pas C17 ?

- Oui.

Rassuré, Krillin acquiesça alors avant de s'exécuter.

Ce n'est qu'une fois qu'il fut hors de leur champ de vision que, dans un mouvement parfaitement synchrone, le frère et la sœur se mirent en marche. Ils déambulèrent silencieusement le long de la plage, jusqu'à atteindre l'arrière de la maison où se trouvaient des chaises en plastiques. Un seul regard leur suffit pour coordonner leurs actions, chacun en prenant une pour aller les placer toutes les deux face à l'océan et s'y asseoir.

Puis, ils restèrent ainsi, longtemps, les yeux fixés vers l'horizon, jusqu'à ce que C17 ne se décide à entamer la conversation.

- Ta … ta fille est vraiment très mignonne.

- Merci, répondit C18.

- Elle a l'air en bonne santé.

- Oui.

- Vous avez les mêmes cheveux.

- C'est vrai. Krillin dit qu'elle me ressemble beaucoup plus qu'elle ne lui ressemble.

- Tant mieux pour elle, non ?

- HEY ! Manque encore une fois de respect à mon mari et je t'arrache la tête ! s'écria C18, lançant un coup de poing rageur vers C17 qui esquiva en riant.

- Hahaha ! Oulà, quelle furie ! Détends-toi un peu je plaisantais ! Les années ne t'ont pas rendue moins susceptible à ce que je vois !

- Autant qu'elles n'ont pas rendu tes plaisanteries moins idiotes ! J'étais en train de me dire que tu avais changé mais non, tu n'es décidément toujours qu'un gamin !

- Vraiment ?

- Je t'interdis de te moquer de Krillin tu m'entends ! C'est quelqu'un de bien. De gentil. Il prend soin de moi, et de la petite aussi. Il veille sur nous.

- Je sais, répondit alors C17 redevenu subitement très sérieux.

Intriguée par ce brusque changement de ton, C18 se tourna vers son frère pour s'apercevoir qu'il regardait droit devant lui, un étrange sourire aux lèvres.

- Je l'ai vu, dit-il après un bref silence. Après que Cell m'ait absorbé, je l'ai vu te défendre, s'interposer même. Je l'ai vu aussi détruire la télécommande. Et quand tu as été recrachée, je l'ai vu s'occuper de toi. C'est drôle, je n'avais jamais repensé à ça en fait. Ça me revient seulement maintenant ...

C18 ne répondit rien, tournant elle aussi son regard vers l'horizon.

Simultanément, sans rien se dire, ils expérimentèrent le même phénomène. Devant eux se déroulait le film de leur vie passée, des épreuves communes qu'ils avaient traversées et du long et incroyable voyage qui les avait amenés à se retrouver en cet endroit précis.

Ni C17 ni C18 n'avaient jamais imaginé qu'une fois libres, ils vivraient les vies qu'ils étaient en train de vivre. Des vies différentes, mais qui avaient apporté à leurs âmes tourmentées le repos et le sens qu'ils n'avaient jamais vraiment eu conscience de chercher.

- Quand tu as été recrachée, j'étais content, continua alors C17. Content qu'au moins toi tu puisses avoir une chance.

- Quand j'ai appris que tu avais été ressuscité, j'étais contente aussi, lui répondit C18.

- Haha, oui, surtout que ce n'était pas vraiment prévu n'est-ce pas ?

- Parce que tu crois que quand Cell m'a absorbée j'ai pensé qu'il pourrait me recracher ? C'était prévisible à ton avis ?

- Non. Je n'avais pas prévu ça. Je n'avais pas prévu grand-chose...

Le sourire de C17 venait soudain de s'effacer, et après avoir prononcé ses mots il se tut.

C18 senti son cœur se serrer dans sa poitrine. Leurs émotions étaient intrinsèquement reliées et la peine qu'il ressentait l'avait frappée avec une telle puissance qu'elle ne pouvait pas l'ignorer. La visite de C17 n'était pas anodine, elle venait tout juste de le comprendre.

En fait, elle seule savait vraiment ce qu'il pouvait éprouver.

Elle aussi avait dû apprendre à dépasser cette angoisse, celle de revoir tous les jours, toutes les nuits, le visage de Cell braqué sur elle et son ignoble sourire. Quand ils s'étaient retrouvés juste après la fin du tournoi, tous d'eux avaient essayés de reprendre leurs vies telles qu'elles étaient, mais cela n'avait pas fonctionné. C17 était différent. Il était devenu silencieux, distant. Quant à elle, elle n'arrivait plus à le regarder sans voir apparaître devant lui les visages de Cell et de C16, ces images terrifiantes qu'elle ne parvenait pas à chasser de son esprit. À cette époque, tout lui avait paru lourd, douloureux, étouffant. Jusqu'à ce matin où elle avait éprouvé un besoin impérieux de fuir, de s'éloigner le plus possible. Elle n'avait pas trouvé les mots pour exprimer à son frère ce qu'elle avait ressenti, et sans doute n'aurait-il pas été capable de la comprendre à ce moment-là.

Alors elle était partie.

Pas pour le fuir lui, mais pour fuir ce passé qu'elle rejetait avec force.

Ne sachant où aller, elle avait fini par repenser à Krillin, à sa gentillesse et son courage, et elle avait décidé de le rejoindre, sans trop savoir pourquoi.

Peu à peu, par sa douceur et sa patience, il l'avait aidée à reprendre le dessus. C18 avait guérie, mais si les années avaient peu à peu adouci sa peine, elle avait gardé toujours au fond de son cœur une pensée pour C17 et le souci de le savoir seul dans ce vaste monde dont il ignorait tout ne l'avait jamais vraiment quitté.

- Un jour tu m'avais promis que tu tuerais Gero et qu'on serait libre, que tout irait bien. Que tu avais un plan. Ce n'était pas le cas ? lui dit-elle après quelques secondes, faisant sursauter C17 qui ne s'attendait pas à cette étrange question.

- Un plan ? Euh … en fait si mais disons que … je n'avais clairement pas tout … anticipé.

- Comme d'habitude quoi.

- Mais … attends … comment je pouvais imaginer tout ce qui avait émergé dans le cerveau de ce vieux débile de Gero ? Ça n'a pas de sens !

- Rien de tout ça n'a de sens de toute façon. Il y a longtemps que j'ai arrêté d'essayer de comprendre. Tu devrais juste faire pareil. Rien ne s'est passé comme prévu, mais on s'en fiche. Tout ça c'est derrière moi. Ce qui compte c'est … enfin … j'ai des choses qui comptent pour moi. J'aime bien ma vie ici.

- Tu deviens sentimentale en vieillissant. Tu en deviendrais presque humaine, c'est émouvant.

- Tchhhh. Pense ce que tu veux. Je m'en fous.

En voyant sa sœur de nouveau silencieuse, C17 fut surpris de voir à quel point tout était finalement redevenu « comme avant », quand il n'aimait rien de plus que de la taquiner pour la faire réagir, quand ils discutaient ensemble avec un naturel et une facilité qu'il n'avait avec personne d'autre.

Comme avant.

Sans ce sentiment pesant de gêne et de retenue que la culpabilité lui avait imposé.

Et même si elle ne comptait pas du tout le laisser paraître, C18 aussi s'en était aperçue.

Ce sourire au coin des lèvres. Ces yeux rieurs. Cette agaçante nonchalance. Ce sens du sarcasme.

Elle avait de nouveau face à elle son frère.

Ce frère avec lequel elle avait traversé tant d'épreuves et s'était battue tant de fois. Ce frère dont le côté immature l'agaçait profondément, mais qui n'avait jamais flanché pendant les longs mois de leur captivité, et dont la certitude inébranlable qu'il réussirait à retrouver sa liberté avait été comme un radeau d'espoir sur lequel elle s'était elle-même accrochée.

Ils s'étaient quittés sur un silence, une montagne de non-dits et d'incompréhension. Mais à présent, ils venaient de se retrouver, et c'était comme si tout ce qui avait pu se passer entre eux, toute cette négativité, venait de s'envoler en un instant.

Quelque chose surgit au fond du cœur de C18. Un sentiment étrange qu'elle avait ressenti plusieurs fois au cours de leur vie et qui ne se produisait que face à lui. Un sentiment qui jaillissait des tréfonds de sa mémoire passée.

Une sorte de tendresse.

Quoi qu'il dise, quoi qu'il fasse, aussi agaçant que son frère pouvait être, elle lui avait toujours tout pardonné. C'était un lien indescriptible et inexplicable, résistant à la distance et à leurs différences.

Elle le savait, et lui aussi.

Sans s'en rendre compte, C18 se mit à sourire elle aussi. Un très léger sourire.

- En tout cas tu vas bien, et ça c'est bien, reprit C17.

- Toi aussi on dirait.

- Oui.

Un simple regard leur suffit alors pour se dire sans un mot tout ce qu'ils avaient envie de se dire. Pour s'exprimer leur soulagement mutuel à se voir chacun à sa place, heureux, en sécurité. Ils n'avaient plus besoin de veiller l'un sur l'autre, de n'exister que l'un pour l'autre. Ils avaient chacun une vie à vivre, une vie à construire. Des voies à tracer, dont ils ignoraient qu'elles en seraient les étapes, mais dont ils savaient tous deux qu'elles finiraient néanmoins par se rejoindre, tôt ou tard.

Après encore quelques secondes, C17 finit par se lever. Le soleil commençait à descendre vers la surface de l'océan. La journée s'achevait, et l'heure était sans doute venu pour lui de repartir rejoindre Ruri. La vision de la jeune femme provoqua soudain chez lui un électrochoc et il s'exclama en tendant à sa sœur un bout de papier :

- Ah, tiens, pendant que j'y pense ! Voilà mon numéro de téléphone.

- Tu as un téléphone toi maintenant ?

- Oui.

- Depuis quand ?

- Pas longtemps.

- Et pourquoi faire ?

- C'est un interrogatoire sœurette ? Je suis suspecté de quelque chose ?

- Non. Tu peux bien faire ce que tu veux.

- Ta froideur me blesse au plus profond de moi tu sais ?

C18 ne répondit rien, mais elle prit tout de même la peine de jeter un très rapide coup d'œil vers lui. Il était radieux, ses yeux brillants de nouveau de cet éclat taquin qu'elle avait vu tant de fois chez lui.

- Plus sérieusement, reprit-il, il semble que toi et moi allons devoir vivre dans le monde des humains pendant un petit moment. Alors autant nous y habituer, non ? C'est ce que j'essaye de faire.

- Oui, tu as sans doute raison.

- Je crois en plus que notre petit rendez-vous annuel n'est plus vraiment nécessaire. Non ?

- Surtout si tu ne daignes pas t'y rendre, répondit C18 en saisissant cependant le papier qu'elle rangea rapidement dans sa poche.

- Hahaha ! Eh bien, je ne suis pas mécontent d'avoir laissé ma place de souffre-douleur à quelqu'un d'autre finalement. Quelle cruauté dis donc !

- Tu ne grandiras jamais C17.

- Je sais. Et je pense qu'il est temps de laisser une femme aussi occupée que toi tranquille. Le soleil se couche, je dois rentrer. J'ai ...

- Des trucs à faire ?

- Voilà.

- Des gens à rejoindre ?

C17 ne répondit pas immédiatement, mais il adressa à sa sœur un regard complice qui valait mieux que n'importe quel discours.

- Qui sait ? se contenta-t-il de répondre avec un clin d'œil.

- De toute façon je m'en fiche.

- Oui, c'est sans doute pour ça que tu me poses la question.

Mais avant que C18 n'ait pu répondre, il avait déjà commencé à s'élever dans les airs.

Lorsqu'ils s'étaient séparés, C18 lui tournait le dos. Ce jour-là elle n'avait pas eu le courage de soutenir le regard de son frère, de peur de ne plus avoir la force de tenir sa résolution. Mais cette fois, C17 voulait prendre congé en la regardant dans les yeux. Alors, une fois qu'il se fut élevé de quelques mètres au-dessus du sol, il se retourna pour lui faire face.

- Tu diras au revoir à Marron de ma part ? demanda-t-il alors.

- Et à Krillin.

- Ouais. Si tu veux.

- Tu peux le faire toi-même tu sais.

- Je ne suis pas très doué pour ça. C'est pas mon truc.

- Ok. Je m'en chargerai.

- Merci. Bon à plus !

- À plus.

Après un dernier regard, C17 s'éleva encore plus haut dans le ciel, bien décidé à repartir en direction du Nord. Tandis qu'il s'éloignait de l'île, il entendit soudain résonner la voix de C18 qui criait :

- Tu n'as pas noté mon numéro, idiot ! Je t'appellerai !

Amusé, C17 leva sa main droite pour lui faire comprendre qu'il l'avait entendue, avant d'accélérer et de rapidement disparaître dans le lointain.

C18 le regarda s'éloigner.

Elle ne s'attendait pas à cette visite, et pourtant maintenant qu'elle avait eue lieu, il lui semblait qu'elle l'attendait depuis une éternité. Ils n'avaient pratiquement pas parlé, échangé quasiment aucune parole. Et pourtant, ils s'étaient tout dit.

Serrant fermement dans sa poche le bout de papier qui contenait le numéro de téléphone de C17, elle sourit, restant sur la plage jusqu'à ce que la silhouette de son frère se soit évaporée dans les nuages au-dessus de l'île.

Puis, toujours sans un mot, elle rentra rejoindre Krillin et Marron.

Après un voyage retour qu'il effectua bien plus rapidement encore que le premier, C17 arriva aux portes de l'hôtel alors que la nuit n'était pas encore tombée.

Comme à son habitude, il ne pensa pas à emprunter le hall de l'établissement mais le survola jusqu'à atteindre la fenêtre de leur chambre que Ruri avait laissée entrouverte. Depuis l'extérieur, C17 la vit avec amusement, allongée sur le lit en train de dévorer avec gourmandise un paquet de bonbons tout en pianotant sur son ordinateur portable.

En la voyant, il s'aperçut qu'elle lui avait manqué et qu'il était content de la revoir. Il avait le sentiment d'être revenu là où il devait être, à la maison. Il tapota sur la vitre pour signaler son arrivée avant de pénétrer d'un bond à l'intérieur.

- Cha'lut cyborg, marmonna Ruri en le voyant.

- Salut, humaine. Tu as pu te reposer ?

- Oui, ch'était ch'uper. Ta journée ch'est bien passée ?

- Oui.

- Cool. Tiens, prends un bonbon au caramel ils ch'ont super bons !

- Merci.

C17 accepta ce qu'elle lui offrait et vint s'asseoir à ses côtés.

Ruri agissait avec lui comme si rien de spécial ne s'était passé, allumant la télévision qu'ils se mirent à regarder ensemble.

Elle ne lui posa aucune question, bien qu'il soit certain qu'elle n'ignorait rien de ce qu'il avait fait.

Tant de choses qui lui avaient semblé être insurmontables étaient devenues si faciles depuis qu'il l'avait rencontré. En fait, la présence de Ruri lui était devenue familière, rassurante, réconfortante. Il se mit à réfléchir à toute cette situation, et à combien sa vie avait basculée en l'espace de simplement quelques mois.

Rien de tout cela n'avait de sens, avait dit C18. Et à bien y réfléchir, c'était vrai. Sa résurrection était le fruit d'un pur hasard, tout comme sa rencontre avec Ruri.

Il repensa alors à C18. À bien y réfléchir, elle vivait maintenant une vie finalement très « humaine » et tellement banale qu'il était resté très longtemps dans l'incompréhension totale de ses décisions. Pourquoi Krillin ? Pourquoi ce type, plus âgé, petit, chauve, si éloigné d'elle et de son caractère ? Pourquoi cette vie ? Qu'est-ce que cela lui apportait ? En fait, il réalisait seulement à cet instant qu'il avait sans doute un peu rejeté le choix de vie de C18 par orgueil, celui d'un cyborg, celui d'un être différent des humains et qui ne voulait pas se « rabaisser » à leur niveau.

Mais en agissant ainsi, il s'était vraisemblablement privé de beaucoup de choses, et il ne le comprenait vraiment que maintenant. Cette quiétude, ce sentiment d'apaisement, est-ce que ce n'était pas ça, finalement, être heureux ? D'ailleurs, qu'aurait valu pour eux la liberté qu'ils avaient tant souhaité retrouver sans tout le reste ? Mais en fin de compte ...

- Quelle importance … murmura-t-il alors.

- Mmm ? Tu as dit quelque chose C17 ?

- Rien, je repensais à un truc que C18 m'a dit et que je comprends seulement maintenant.

- Oh ça c'est normal.

- Ah bon ?

- Oui. C'est clairement la plus intelligente de vous deux, je le dis depuis le début.

- Hahaha ! Je ne sais vraiment pas ce qui m'empêche de t'apprendre les bonnes manières, humaine !

- Le bon sens sans doute, répondit Ruri en souriant de plus belle. Tiens, par contre, il fallait que je te dise quelque chose d'important.

- Quoi donc ?

- Pendant que tu n'étais pas là j'ai fait les comptes. Je t'informe que nous sommes quasiment à sec.

- C'est un problème ?

- Vu que je dois acheter de la nourriture pour survivre, personnellement oui.

- Ah.

- Du coup il va falloir qu'on reprenne le travail. Je dois accepter des missions le temps de reconstituer un peu mon budget. J'ai passé quelques coups de fils et une de mes professeurs a une idée. Elle conseille les rangers du Parc Naturel Royal. Tu connais ?

- Non.

- C'est le plus grand parc du monde et il est sous la supervision des employés du Roi de la Terre. Ils ont des soucis avec une espèce d'aigle géant …

- Oh, un monstre, quelle surprise ...

- … qui est menacée d'extinction, poursuivit Ruri sans relever le ton moqueur de C17. Ils ont quelques spécimens qu'ils essayent de reproduire mais ça ne marche pas vraiment. Donc je pourrais y travailler quelque temps pour gagner un peu d'argent, continuer à écrire et ça ferait aussi un bon sujet pour mes études … et aussi …

- Aussi quoi ?

- Qui dit espèce rare et menacée dit forcément ?

- Braconniers.

- Voilà. Et c'est là que tu deviens utile. Alors ça t'intéresse de m'accompagner encore un petit moment, cyborg ?

- Et comment, répondit C17 avec enthousiasme.

Maintenant, il savait ce qu'il voulait faire de cette nouvelle vie qui lui avait été donnée, et il comptait bien profiter de la moindre seconde.