Année : 772

4 ans après le Cell Game

Petite amie

C17 et Ruri n'eurent besoin que de quelques jours de voiture pour rejoindre Central City, la capitale royale. Ils atteignirent la ville en fin de journée et décidèrent d'y passer la nuit avant d'aller rencontrer les rangers du Parc naturel qui avaient fait appel à eux.

Ils durent chercher pendant un bon moment avant de trouver un hôtel qui avait encore de la place pour les accueillir et qui rentrait dans leur budget très serré. La chance finit pourtant par leur sourire et, juste avant que le soleil ne se couche, ils réussirent à s'installer dans un petit établissement du centre-ville. La chambre était très simple et peu spacieuse mais propre, ce qui, au dire de Ruri, était une bonne surprise au vu le prix de la nuitée.

- Bon, et si on refaisait un petit briefing, histoire d'être prêts pour demain ? demanda-t-elle une fois leurs affaires installées.

- Tu m'as déjà tout expliqué 6 fois, je crois que j'ai compris, lui répondit C17. Tu ne veux pas plutôt aller manger ?

- Non ça va je n'ai pas vraiment faim ...

L'interminable gargouillement qui émana du ventre de la jeune femme à cet instant précis laissa C17 tout d'abord circonspect, avant qu'il ne lève vers elle un regard interrogatif.

- C'était quoi ce bruit ?

- De quel bruit tu parles ?

- Comment tu fais ça ?

- Ce n'est pas moi.

- Si.

- Non.

- Si.

- BON d'accord, c'est mon estomac. C'est un réflexe, ça veut dire que j'ai le ventre vide.

- Fascinante fonction pour un être biologique.

- J'adore ton sens de l'humour.

- Merci. Mais si tu as faim, pourquoi me dire le contraire ?

- J'ai faim, mais je suis surtout fauchée. Il ne me reste que 8 zénis en poche, qu'est-ce que tu veux qu'on achète avec ça ? Une soirée de régime ne va pas me tuer alors autant dormir et demain je demanderai une avance sur salaire. J'ai l'habitude.

- Si tu as faim, il faut te trouver à manger.

- C'est la capitale, C17. J'y suis déjà venue et tout est affreusement cher ici.

- On ne peut pas savoir tant qu'on n'a pas essayé.

Ruri hésita un moment, persuadée de l'inutilité de l'entreprise, avant de se raviser.

Même si elle était quasiment certaine de ne pas réussir à trouver de la nourriture avec si peu d'argent, la perspective d'une ballade avec C17 dans les rues de la ville n'était pas pour lui déplaire. Une idée émergea même dans son esprit. Bien qu'il soit très attentionné envers elle, C17 n'en restait pas moins quelqu'un pour qui le « romantisme » était encore moins qu'un concept, et Ruri finit par se dire qu'elle tenait là une occasion rêvée.

- Ok cyborg, tu as gagné, on va tenter le coup, lui dit-elle alors en souriant. Je prends une douche, je me change, et on y va. D'accord ?

- D'accord.

Et après un temps qui sembla durer une éternité pour C17, Ruri réapparut.

Le plus souvent, elle portait des vêtements assez simples, des shorts et des jeans accompagnés de t-shirts courts et colorés, et elle coiffait sa chevelure en une longue tresse qu'elle portait sur le côté. Mais ce soir quand elle sortit de la salle de bain elle n'arborait pas du tout le même style.

Elle avait sur elle une robe, d'un bleu indigo sublimé par le contraste de cette couleur avec la blancheur de son teint. Les bretelles de la robe étaient fines et ornées d'un nœud au niveau des épaules, et le tissu vaporeux s'étendait jusqu'à la limite de ses genoux, dévoilant ses longues jambes. Ruri avait détaché ses cheveux ondulés qui descendait le long de son corps comme une cascade.

Aucun de ces détails n'échappa au regard acéré de C17, mais à part une furtive étincelle dans les yeux, il demeura relativement inexpressif.

- Prête ? demanda-t-il.

- Absolument, lui répondit Ruri, un peu déçue de son manque de réaction apparente.

Tous deux se mirent ensuite en route dans l'immense cité qui abritait la résidence du Roi de la terre. Il y avait une foule considérable dehors, les rues illuminées de lumières artificielles étaient remplies de gens qui déambulaient en même temps qu'eux.

C17 regardait partout autour de lui. Il semblait captivé, ses yeux grands ouverts allant de droite à gauche pour parcourir l'entièreté du paysage.

- Tu n'étais jamais venu ici ? lui demanda Ruri pour entamer la discussion.

- Pas ... récemment.

- Comment ça ?

- Je n'y suis pas venu à ce que je sache, je n'aime pas trop les endroits remplis de gens. Mais par contre, je ne sais pas, cet endroit me dit quelque-chose …

- VRAIMENT ? Tu as un souvenir ici ?

- Pas vraiment. J'ai voyagé un peu partout sur Terre depuis ma résurrection et certains endroits me semblent juste familiers. Les grandes villes, ces lumières, ces odeurs, tout ça m'évoque des choses mais rien de vraiment concret.

- Tu as peut-être vécu ici ou dans une grande ville avant ?

- Peut-être.

- Ce serait super si ta mémoire pouvait revenir …

- Ce n'est pas important. Je me fiche de mon passé. Ce qui compte, c'est le présent.

Ruri sursauta de surprise et leva les yeux vers C17. Il regardait toujours tout autour de lui, souriant, manifestement détendu. Il semblait se sentir très bien, et pour rien au monde elle n'aurait voulu faire quoi que ce soit qui aurait pu entamer sa bonne humeur.

- Tu as raison, répondit-elle alors avec tendresse, sans chercher à le questionner davantage.

La ballade dura encore de longues minutes, durant lesquelles C17 ne prononça plus un seul mot.

« C'est pas possible, » pensa Ruri, un peu agacée de voir son plan tomber à l'eau face à l'incroyable flegmatisme de C17 « je dois te torturer pour te tirer un mot de la bouche ? On est là tous les deux à se promener en amoureux, je me suis faite toute belle, et toi ... »

Mais tandis qu'ils avançaient toujours plus loin dans les méandres de cette gigantesque ville, Ruri releva de nouveau les yeux vers lui pour l'observer. Ils marchaient côte à côte, lentement. Et si C17 n'avait pas l'air de détester la promenade, il ne s'était toujours pas départi de sa légendaire posture : droit, presque rigide, il gardait les bras croisés et marchait droit devant lui, imperturbable.

Cette vision finit par faire pouffer de rire Ruri.

- Qu'est-ce qu'il y a ? l'interrogea aussitôt C17.

- Haha rien. J'étais en train de me dire qu'en fait, on fait vraiment tout de travers.

- Pourquoi ?

- Je réalise que toi et moi, en fait on a jamais eu de vrai rendez-vous avant de … enfin … Bref. Et je suis là à essayer de nous organiser ça alors qu'il faudrait déjà que je t'explique ce que c'est qu'un rendez-vous.

- Je sais ce que c'est.

Ruri s'arrêta, interloquée.

- Attends, tu ne te rappelles de rien concernant ton passé, hier encore j'ai dû t'expliquer le fonctionnement d'un lecteur DVD mais un rendez-vous, ça, tu sais ?

- Je t'ai déjà dit que je n'ai pas tout oublié. Certaines choses sont restées. C'est même toi qui m'as parlé de la mémoire processionnelle.

- Procédurale. Donc, si j'ai bien compris, tu as oublié ce qu'était un ascenseur mais tu te rappelles de comment on conduit et répare une voiture, de ce qu'est un rendez-vous et de comment on … enfin … bref. C'est bien ça ?

- Oui.

- Tout ceci dresse un portrait très très intéressant de l'humain que tu étais.

- Je n'ai retenu que les informations vraiment utiles.

- Mais pourquoi on fait tout à l'envers alors ? Parce que la logique c'est d'avoir d'abord des rendez-vous avant de …

- Faire l'amour ?

- Shhhhhhhhhhhhhhhh ! Mais ça va pas la tête ? Pas si fort C17, on est dans la rue ! Mais oui, c'est ça. On n'a jamais vraiment eu de moments … avant de …

- Tu n'aimes pas faire l'amour ?

- Shhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhhh !

- On peut arrêter si tu veux, mais c'est dommage.

- MAIS TU VAS LA METTRE EN SOURDINE OUI ?!

Ruri s'aperçut alors que C17 la regardait avec ce petit sourire narquois qu'il arborait à chaque fois qu'il voulait plaisanter.

- Ça t'amuse de me faire enrager ?

- Un peu.

- Franchement ...

- C'est pour ça que tu t'es habillée différemment ce soir ? Tu voulais un rendez-vous ?

- Tu avais remarqué ?

- Oui.

- MAIS POURQUOI TU NE M'AS RIEN DIT ?

- Te dire quoi ? Que tu étais habillée ?

Déstabilisée pendant quelques secondes, Ruri resta là, incapable de réagir. Mais C17 souriait toujours et ce sourire diaboliquement séduisant acheva de la calmer.

- Haha, ok, d'accord cyborg. Bon, faisons plus simple : ma nouvelle tenue te plaît ? Tu me trouves jolie dedans ?

- Oui.

- Il ne t'est pas venu à l'idée de me complimenter pour ça ?

- Je te trouve toujours jolie. Pourquoi te le redire ?

Ruri se mit à sourire à son tour, avant de soupirer et de reprendre :

- Comment t'expliquer … Je sais que certaines choses sont évidentes pour toi et que tu ne penses pas nécessaire de me le dire mais tu es parfois tellement mystérieux que du coup … tu comprends ?

Les explications de Ruri étaient pour le moins confuses, mais C17 était très amusé de la voir ainsi, hésitante, se mordant légèrement les lèvres tandis qu'elle essayait de lui adresser une demande sans pour autant oser le faire.

- Je comprends surtout que les humains sont des êtres compliqués.

- Je sais … admit Ruri en riant.

Mais elle regardait C17 avec un adorable sourire plein de malice, contre lequel l'armure de son caractère de cyborg était chaque jour moins résistante.

- Donc en gros les humains ont besoin qu'on leur dise que le ciel est bleu c'est ça ? lui répondit-il, un brin moqueur.

- Voilà.

- Tu sais, j'ai beaucoup d'ajouts dans mon corps qui augmentent mes capacités mais aucun qui me permet de lire dans les pensées.

- Dommage.

- Certes. Alors quand tu veux quelque chose, demande-le-moi. Ce sera plus simple.

- Ok. Du coup, tu peux me dire pourquoi tu refuses qu'on ait un rendez-vous tous les deux ?

- Comment je peux refuser quelque chose que tu ne m'as jamais demandé ?

- ALORS TU ES D'ACCORD ?

- C'est important pour toi ?

- Oui.

- Ok. Si c'est important, je ne vois pas d'objection à accepter. Je me rappelle de ce que c'est un rendez-vous, mais pas vraiment de ce qu'il faut y faire. Alors explique-moi. C'est quoi le programme ?

- Je peux demander ce que je veux ?

- Oui.

Ruri n'en revenait pas. C17 était quelqu'un de très calme et inexpressif, et son passé était si lourd qu'elle s'était toujours sentie obligée de paraître en face de lui comme quelqu'un de mature et de sérieux, à l'image de ce qu'il renvoyait de lui. Mais au fond d'elle-même, Ruri était encore une jeune fille pleine de rêves et emplie d'un romantisme incurable qu'elle refrénait depuis leur rencontre pour ne pas lui donner l'impression d'être trop frivole. Alors se voir ainsi proposer de pouvoir organiser la soirée dont elle rêvait depuis des mois la plongeait dans un état d'excitation intense dont C17 percevait avec crainte les effets dans ses yeux.

La jeune femme resta un instant silencieuse, et il eut l'impression de la voir examiner tel un ordinateur tout un éventail de possibilités.

Puis, tout à coup, elle prit une grande inspiration, et répondit, d'une seule traite :

- On va jusqu'à la rue principale parce qu'il y a des boutiques avec des illuminations là-bas. On se balade en amoureux et après on traverse le jardin royal parce qu'il y a une petite colline d'où on aurait une super vue de toute la ville. Et après on va s'acheter des glaces, avec ce qu'il me reste on devrait pouvoir en prendre une à partager. Et on la mangera en marchant et on pourrait aussi aller dans une petite rue plus tranquille où on pourra se faire des bisous et après on rentre à l'hôtel et on monte sur le toit pour regarder les étoiles. Et tu me prends dans tes bras et on discute jusqu'à ce que je m'endorme dans tes bras.

C17 écarquilla les yeux, abasourdis. Il avala difficilement sa salive, avant de répondre :

- Ah oui, quand même …

- Tu n'as pas envie ? On n'est pas obligé si tu ne veux pas …

C17 ne s'attendait clairement pas à une telle requête. Il lui paraissait impossible de réussir à faire tout ça en une seule soirée, et la perspective de faire toutes ces choses ne le transportait pas d'enthousiasme. Mais Ruri le fixait avec un regard tellement émerveillé et plein d'espoir qu'il n'eut pas le cœur de refuser. Même s'il ne comprenait pas pourquoi, il voyait bien qu'elle en brûlait d'envie.

- Non c'est bon. C'est noté, on va faire tout ça.

- TROP COOL !

Au comble de l'excitation, Ruri lui emboîta le pas avant de se rendre compte qu'un dernier détail clochait. Alors, elle approcha sa main de celle de C17, avant de s'en saisir très délicatement.

C17 sursauta, surpris de ce geste inattendu. Dans ses oreilles résonnait le très léger gloussement de plaisir de Ruri. Elle était manifestement très heureuse de ce contact, aussi il ne la repoussa pas. Au contraire, il referma ses doigts sur ceux de Ruri, imitant sa gestuelle, et continua à marcher en calant son rythme sur celui de la jeune femme.

La douceur de la peau de Ruri avait toujours sur lui un effet très particulier, comme une caresse apaisante qui pouvait cicatriser la moindre blessure. Elle avait de très petites mains, aussi fragiles que du verre, et qu'il prit grand soin de ne pas trop serrer.

Ruri savourait ce moment de tendresse et s'amusait de voir C17 s'exécuter aussi docilement alors qu'elle était persuadée qu'il ne comprenait rien du tout à ce qu'il se passait.

Soudain, la jeune femme accéléra le pas.

- Quoi ? Ce n'est pas bien ? demanda C17, intrigué.

- Si si, mais tu ne sens pas cette odeur ?

- Ah oui, ça sent très bon. Tu sais ce que c'est ?

- Évidemment. Je connais ce coin, on approche d'un de mes restaurants préférés. Ils vendent des hamburgers végétariens au fromage avec des boulettes de patates douces frites en accompagnement. Alors comme on n'a pas d'argent, on bouge, parce que ça me donne faim.

- Et ça coûte combien ?

- Le menu avec le thé glacé et le brownie à la banane coûte presque 40 zénis. C'est affreusement cher. Allez, C17, on s'éloigne d'ici, s'il te plaît !

- Je pourrais …

- Ne pense même pas à voler quoi que ce soit Monsieur le délinquant.

- Délinquant ?

- Tu ne m'as pas raconté que tu avais volé une camionnette et des vêtements pendant votre grande escapade ?

- J'ai volé une camionnette, mais les vêtements c'était C18.

- Je me demande ce que dirait le Trunks du futur s'il apprenait la grandeur de vos méfaits dans cette époque dis donc. Quelles terreurs vous faites tous les deux !

C17 étouffa un rire en s'imaginant la scène, mais il était cependant contrarié. Pendant des années il avait évité de voler pour ne pas s'attirer d'ennuis et rester discret, et avait donc accepté de faire tout un tas de petits travaux pour obtenir de quoi subvenir à ses besoins les plus élémentaires. Mais il s'agissait surtout pour lui de s'octroyer un peu de confort, de laver ses vêtements, de boire et de se distraire un peu. Rien d'indispensable, rien dont il n'aurait pas pu se passer. Il avait donc un rapport très distant par rapport à l'argent.

Mais ce soir il ressentait une réelle frustration.

Depuis le premier jour, Ruri avait payé tout ce qu'ils avaient acheté, depuis la nourriture en passant par l'hébergement, et elle lui avait même acheté des vêtements. Lui, en revanche, n'avait rien à lui offrir, il ne possédait rien qu'il puisse partager avec elle. Elle avait faim, et il était totalement incapable de l'aider. Il était plongé dans une profonde réflexion à ce sujet, tout en marchant avec Ruri qui s'éloignait aussi vite que possible du restaurant quand le son de très bruyantes conversations provenant d'une rue adjacente attira son attention. C17 tourna la tête pour voir ce qui se passait, et vit de nombreux humains s'agiter autour d'une grande table. Sur d'autres tables plus étroites étaient disposées de très nombreuses bouteilles de ce qu'il reconnut être de l'alcool. Deux hommes se tenaient la main, de part et d'autre de la grande table, et tous les deux suaient à grosses gouttes. Leurs visages étaient rouges, comme s'ils étaient en train de faire de gigantesques efforts.

- Qu'est-ce qu'ils font ? demanda-t-il à Ruri, qui elle aussi s'était mise à observer la scène.

- Du bras de fer apparemment, lui répondit-elle.

- C'est quoi ?

- Une compétition. Le gagnant est celui qui amène la main de l'autre au contact de la table. C'est une épreuve de force. Tiens, regarde, il y a un tas de billets là-bas. À tous les coups ils parient de l'argent sur le vainqueur. Ça attire du monde on dirait, il y a une file de participants dis donc ! Ça doit être épuisant d'enchaîner les duels.

- Tu es en train de me dire que ce truc est un combat de force et d'endurance dans lequel on gagne de l'argent ?

- Oui, et alors ?

C17 lui lança un regard jubilatoire, un énorme sourire aux lèvres.

- Et alors tu vas m'attendre ici, et je te garantis que tu vas manger ce soir.

Réalisant soudainement, Ruri s'écria :

- OH MAIS OUI ! Mais POURQUOI j'y ai pas pensé plus tôt ?

- Le manque de sucre sans doute.

- CLAIREMENT ! Bon en fait je suis quasiment sûre que ce genre de truc en plein rue est illégal mais ON S'EN FICHE, c'est pas du vol. Et puis j'ai faim. Et puis c'est pas comme si c'était nous qui avions organisé ce truc.

- Absolument.

- Ok C17, je valide ton idée, prends mes 8 zénis et va t'inscrire !

- Donne-moi 5 minutes, je vais tous les atomiser.

- Oulà cowboy, on se calme. Si tu montres tout de suite l'étendu de ta force ils vont tous se défiler et tu vas repartir avec rien. Surtout, fais semblant. Il ne faut pas que ça ait l'air d'être facile. Donc tu gagnes, mais tu dois avoir l'air d'avoir du mal.

- Contre ces nullos ?

- Oui. Et essaye d'avoir l'air fatigué aussi. Pour qu'ils pensent avoir une chance de te battre.

- Je ne suis jamais fatigué.

- Alors repense à moi quand je suis fatigué. Et fais juste pareil. Des boulettes de patates douces frites sont en jeu. Tu te sens à la hauteur ?

- Je relève le défi, lui lança C17, amusé, tandis qu'il s'avançait vers le groupe d'humain tout en se retroussant les manches.

Ruri ne répondit rien et se contenta de le regarder au loin.

Un à un, elle vit chacun des participants s'avancer vers C17 qui joua son rôle à la perfection. Il fit attention à ne pas gagner avec une facilité trop grande, faisant même de gros efforts pour avoir l'air de s'épuiser. Elle le regarda souffler bruyamment et maladroitement, s'essuyant le front pour éponger une sueur inexistante.

La scène était hilarante, mais les efforts de C17 s'avérèrent payants car il finit par revenir, manifestement très fier de lui, une énorme poignée de billets dans les mains. La somme qu'il avait gagnée était largement suffisante pour leur permettre de retourner au restaurant acheter tout ce que Ruri voulait. Curieux, C17 accepta même de manger une partie de son repas et le reste de la soirée s'écoula conformément à ce que la jeune femme avait demandé.

Le fait d'avoir un peu d'argent sur eux leur permit même d'ajouter un peu de fantaisie à leur soirée. Ils s'arrêtèrent dans plusieurs magasins pour y faire quelques emplettes. Bien qu'il ne soit pas un grand amateur de shopping, C17 se surprit à apprécier ce moment d'insouciance totale, et voir le visage illuminé de bonheur de Ruri valait la peine de prendre un peu sur lui.

Après avoir trouvé (et dévalisé) la boutique d'un vendeur de glaces, tous deux arrivèrent dans le jardin municipal dont Ruri avait parlé. La nuit était tombée, mais cet endroit était inondé des lumières d'une multitude de lampes disposées sur les branches d'arbres de toute sorte qui encadraient un chemin de terre sur lequel ils s'engouffrèrent. Ils firent une pause après avoir atteint un lac au bord duquel ils s'assirent pour profiter de l'air frais et terminer le dernier pot de glace restant.

- Dis, je peux te poser une question ? finit par dire Ruri après quelques minutes.

- C'est déjà fait non ?

- Ha Ha. Non je voulais savoir si ça allait ? Si ce n'était pas trop difficile pour toi cette soirée ?

- Terrible.

- Si tu devais déterminer ce qui est pire entre une soirée romantique avec moi et être absorbé par Cell, tu ferais quel choix ?

Ruri regretta immédiatement d'avoir posé cette question, et elle adressa à C17 un regard apeuré. Emportée par l'euphorie qu'elle ressentait elle avait parlé sans réfléchir, et était terrorisée à l'idée de l'avoir blessé en évoquant un souvenir qu'elle savait être douloureux pour lui.

Mais C17 éclata de rire, avant de poser un index sur son menton et de fermer les yeux.

- Mmmm, question difficile en effet.

- EH ! Non mais ça va pas non ?

- Je plaisante. Tu sais que tu es mignonne quand tu es gênée ? Bon, dis-moi, pourquoi est-ce que tu me poses cette question ?

- Parce que je sais que c'est pas ton truc tout ça.

- Ne te préoccupe pas de ça. Je ne fais jamais quelque chose que je ne veux pas faire. Et si tu passes une bonne soirée, ça me suffit. Vraiment.

Ruri ne dit rien, attendrie et touchée par la réponse de C17. Elle appréciait d'autant plus son geste qu'elle savait à quel point il faisait des efforts considérables pour la contenter. Il ne lui avait encore jamais dit qu'il l'aimait, mais ces actes envers elle avaient bien plus de valeurs que tous les discours enflammés qu'il aurait pu lui faire.

- Merci, finit-elle cependant par répondre, dans un murmure.

- De rien. Il nous reste encore à aller voir les étoiles c'est ça ?

- On peut aller sur le toit de l'hôtel.

- Pourquoi pas là-bas ? C'est bien plus haut, tu verras mieux.

Se faisant, C17 tendit son bras pour lui indiquer une immense tour située au centre de la ville.

- C'est un émetteur radio, c'est interdit d'y monter, expliqua Ruri, sans que sa réponse n'ait l'air d'avoir le moindre effet sur lui.

- On risque quoi si on y va ?

- Que la police débarque.

- Puisque c'est interdit d'y aller, ça veut donc dire qu'il n'y aura personne, je me trompe ?

- Tu as entendu ce que j'ai dit sur la poli- aaaaaaaaaaaaaaaaah !

En un instant, C17 avait saisi Ruri par la taille et s'était envolé avec elle pour rejoindre le sommet de la tour qu'il atteignit en une fraction de seconde. Il déposa ensuite la jeune femme, dont les cheveux étaient maintenant totalement ébouriffés.

- Pas trop secouée ? lui demanda-t-il, ravi de pouvoir la taquiner de nouveau.

- Non, ça va, j'ai déjà connu ça il y a longtemps.

- Je n'en attendais pas moins de toi.

- J'imagine qu'il faut avoir le cœur solide pour être ta petite-amie.

- Ma quoi ?

- Il faut que je t'explique ce mot ?

- Non. Je sais ce que c'est, c'est juste que …

- Quoi ? Je suis quoi sinon ? Quand tu me rejoins dans mon lit le soir tu me considères comment ?

- Euh … je ne … en fait je n'ai jamais … pensé à … enfin…

- Relax, cyborg, relax, je plaisantais. Tu sais que tu es mignon quand tu es gêné ?

Pris à son propre piège et amusé de s'être ainsi laissé avoir, C17 sourit de nouveau, intérieurement soulagé de ne pas avoir commis d'impair.

« Petite-amie ... »

Il savait ce que ce terme signifiait mais n'avait jamais pris le temps de s'interroger sur la nature de sa relation avec Ruri, et quelque chose dans son intuition lui disait que cette plaisanterie de la jeune femme n'avait pas aussi anodine que ce qu'elle voulait lui faire croire.

Il vint alors la rejoindre.

Sous la lumière des étoiles, elle était plus belle que jamais.

Intelligente.

Impertinente.

Amusante.

Il était attiré par elle, et bien qu'il s'était engagé à être romantique cette nuit, il commençait à ressentir en lui un sentiment d'une nature bien différente.

- Tu n'avais pas parlé de s'embrasser à un moment ? lui susurra-t-il en l'enlaçant.

- Si, répondit Ruri en déposant délicatement ses lèvres sur les siennes.

Ils échangèrent de longs baisers, tendres et passionnés à la fois. C17 n'aimait rien de plus que le goût de cette bouche si appétissante. Il perdait toute conscience de ce qui l'entourait quand il pouvait serrer tout contre lui ce corps délicat, quand il la voyait se mettre sur la pointe des pieds pour être à sa hauteur, quand il sentait dans ses cheveux la caresse de ses doigts timides.

- Ce rendez-vous devient enfin intéressant, parvint-il à dire tandis qu'il reprenait son souffle.

- Ah, tu vois que le romantisme ce n'est pas si mal en fin de compte.

- Oui.

- Allez, tu as été parfait ce soir. J'arrête de te torturer, on peut rentrer à l'hôtel maintenant.

- Ah oui, c'était la dernière étape. Te laisser t'endormir contre moi.

- On peut toujours rajouter une étape au programme, si tu as une suggestion romantique à faire ?

Le ton plus que suggestif de Ruri n'échappa pas à C17, qui ne se fit pas attendre pour répondre à cet appel qu'elle lui lançait.

- Faire l'amour, c'est romantique ? répondit-il en resserrant son étreinte sur la taille de la jeune femme.

- C17... Ta franchise est au moins autant une qualité qu'un défaut…

- Ce n'est pas une réponse à ma question.

- Alors oui, on peut. Mais ça dépend. Ce que tu m'as fait la dernière fois dans le Nord, c'était tout sauf romantique.

- Tu parles de la fois où tu as crié tellement fort que tout l'hôtel nous a entendu ?

- C17 !

- Si c'est ça le problème, je trouverai bien un moyen de te faire taire un peu.

Ruri rougit, mais elle n'était plus aussi impressionnable qu'avant. La voix grave et sensuelle que prenait C17 quand il lui parlait ainsi l'émoustillait au contraire au plus haut point. Elle se redressa de nouveau pour l'embrasser, puis lui demanda en gloussant :

- Tu vas encore piocher dans tes souvenirs ? C'est comme ça que tu as eu toutes ces idées ?

- En quelque sorte. Disons que quand j'en ai besoin, ma mémoire procé-machin me vient en aide.

- Procédurale.

- Oui, peu importe comment elle s'appelle. Et d'ailleurs, puisque tu en parles, j'avais une question à te poser moi aussi.

- Laquelle ?

- Ce soir-là tu m'as fait des choses très inhabituelles. Ça m'a pas mal intrigué. J'aimerais bien savoir d'où te sont venues ces idées ?

- Je suis une scientifique C17.

- Et ?

- Quand j'ai un problème à résoudre je fais des recherches.

- Tu veux dire que tu as trouvé tout ça sur ton ordinateur ?

- Tu n'as aucune idée de ce qu'on peut trouver sur internet en tapant le genre de mots clés que j'ai utilisés, expliqua Ruri qui se garda bien de lui dire qu'elle avait également appelé son amie Iris pour lui demander quelques conseils sur la manière dont elle devait s'y prendre.

Cette réponse eut l'air d'étonner profondément C17, mais elle attisa surtout sa curiosité. Alors, sans attendre plus d'explications, il souleva Ruri et la prit dans ses bras, avant de s'élever dans les airs et reprendre le chemin de leur hôtel.

- Il y a d'autres choses que tu avais trouvé sur internet et que tu ne m'avais pas montré ? lui demanda-t-il alors qu'ils étaient presque arrivés.

- Peut-être, répondit Ruri. Et toi ? D'autres souvenirs enfouis en réserve ?

- Peut-être …

Le lendemain matin, après une courte nuit, C17 et Ruri se remirent en route pour rejoindre le Parc Naturel royal qui jouxtait la capitale. Il fallait suivre une grande route goudronnée qui bifurquait ensuite sur de petits chemins terreux sur lesquels peu de véhicules circulaient. Le paysage alentour était composé de grandes étendues herbeuses, de champs cultivés et de pâturages abritant des fermes et de nombreux animaux d'élevage qui broutaient tranquillement le long de la route principale qui débouchait sur un village.

Une fois garés sur la place principale, ils décidèrent d'en faire une rapide visite.

Cet endroit était très calme, composés de petites maisons en bois et en pierres manifestement très anciennes, aux façades ornées de fleurs et de décorations en tout genre. Une minuscule fontaine trônait au centre de la place, et le bruit du mince filet d'eau qui s'en échappait formait avec le chant des oiseaux une douce mélodie que peu de voix humaines perturbaient.

Une épicerie et quelques magasins terminaient de composer ce tableau très champêtre situé pourtant à seulement quelques kilomètres d'une zone urbaine très dense.

Les rares habitants étaient très polis et accueillants, et C17 fit très attention à faire preuve de politesse envers eux, même s'il laissa Ruri faire la plus grande partie des discussions. Au fil des conversations ils en apprirent davantage sur le fonctionnement du Parc. En fait, ce village constituait la dernière étape avant d'y pénétrer. La plupart des habitants étaient des employés royaux qui entretenaient les espaces boisés du parc, et une grande partie des rangers y vivaient avec leurs familles. Des agriculteurs et les propriétaires des commerces constituaient l'autre partie de la population. Les frontières du Parc Naturel étaient délimitées par une gigantesque barrière qui en fermait les contours et permettait d'en filtrer les allées et venues.

En effet, une portion du Parc était ouverte à la visite. L'entrée en était payante et les recettes de la vente des billets permettaient de payer en partie les salaires des rangers. Cette partie libre d'accès comprenait des forêts et de grandes plaines dans lesquelles se trouvaient des animaux sauvages, dont certains pouvaient être dangereux. La ballade libre n'était donc autorisée que dans les tout premiers kilomètres. Au-delà, les rangers devaient accompagner les visiteurs pour assurer leur protection. En revanche, aucune barrière n'indiquait la limite avec la partie interdite du Parc dans laquelle se trouvaient les animaux les plus rares dont rien ne devait entraver la liberté de déplacement.

Seul le Roi avait le droit de venir les observer.

C17 et Ruri décidèrent de continuer le chemin à pied. Ils atteignirent très rapidement la fameuse barrière, et la jeune femme y retrouva sa professeure, celle qui avait fait appel à elle. C'était une femme très grande, aux cheveux gris coiffés en chignons et qui portait des lunettes aux verres fumés. Elle leur expliqua tout concernant les aigles géants qui vivaient dans les montagnes situées au centre du Parc. C'était une espèce rare, menacée d'extinction et dont les scientifiques essayaient de protéger et faire se reproduire les derniers spécimens. Mais la professeure venait de recevoir une convocation importante et devait retourner dans son université. Elle avait donc besoin que Ruri la remplace pour assister le chef des rangers du Parc dans cette délicate mission.

C17 les laissa parler entre elles mais ne perdit pas une miette de cet échange au cours duquel il prit grand soin de noter toutes les informations relatives au comportement des animaux. Puis, une fois la conversation achevée, la professeure s'en alla, non sans leur avoir donné les coordonnées du chef des rangers qu'ils entreprirent d'aller rencontrer juste après.

C'était un homme de taille moyenne, probablement dans la cinquantaine, dont C17 remarqua avec amusement la tenue assez proche de ce à quoi il s'attendait : jean, veste en cuir à lanière et grand chapeau de cow-boy.

« C'est vraiment un uniforme chez les rangers ou quoi ? » s'était-il demandé en le voyant.

Mais sous son apparence à priori rustre se cachait un homme d'une grande intelligence et très sensible à la protection des animaux. Il était enchanté de leur venue et leur fit visiter le parc avec joie, répondant à toutes les questions de Ruri et ne perdant pas du coin de l'œil C17, dont le silence attentif et le sentiment de force tranquille qu'il dégageait ne lui avaient pas échappés.

Une fois la visite terminée, ils retournèrent au quartier général des rangers, en plein centre du Parc. Le chef leur servit alors à chacun une tasse de café.

- Bon, eh bien j'espère que tu n'as plus de question Ruri ? demanda-t-il à la jeune femme.

- En fait si, j'en ai une mais elle est très terre à terre.

- Dis-moi.

- Vous ne nous avez pas encore parlé de l'hébergement ?

- Ah oui, c'est prévu. Ta professeure logeait dans une chambre vide au premier étage du café du village. Quant à C17 eh bien on devrait pouvoir l'installer ici le temps de trouver un hébergement plus confortable.

- Ah….

- Ça ne te convient pas ?

- Je ne voudrais pas avoir l'air malpolie mais est-ce qu'il serait possible de trouver autre chose ? Il s'agit pour nous de pouvoir observer les aigles au plus prés possible. J'ai besoin de cerner leur environnement, les interactions avec les autres animaux, tout leur écosystème.

- Tu voudrais t'installer à l'intérieur du parc ?

- Idéalement, oui. Ce serait parfait pour nous.

- Oh. Donc tous les deux vous logez ensemble ?

Ruri hocha silencieusement la tête, n'osant pas soutenir le regard du chef des rangers. C17 était resté silencieux, écoutant comme à son habitude la conversation en fermant les yeux pour mieux se concentrer et éviter ainsi d'être sollicité pour y prendre part. Mais l'absence de réponse de Ruri l'intrigua suffisamment pour qu'il fasse une exception et relève la tête pour la regarder.

Elle était rouge de honte, sans qu'il ne comprenne bien pourquoi.

- Bon, pas de problème, je pense savoir comment faire. Retournez tous les deux au village pour récupérer votre voiture et revenez ici, je vous attends.

C17 se tourna vers le chef qui venait de parler et l'observa.

Sur son visage ridé se dessinait un grand sourire, et il posait sur Ruri un regard très particulier, différent de celui qu'il voyait en général chez les autres hommes. C'était un regard plein de bonnes intentions. Une sorte de bienveillance, d'attendrissement. Immédiatement, C17 apprécia cet humain. Contrairement à la plupart des autres personnes qu'il avait rencontrées dans sa vie, celui-ci ne le fixait pas avec curiosité ou inquiétude, ni ne paraissait s'étonner de son silence. Tandis que C17 se levait pour suivre Ruri, il s'aperçut que le chef des rangers regardait lui aussi dans sa direction. Ils échangèrent tout deux un bref regard, empli d'un respect mutuel et instinctif qui surprit C17 autant qu'il le rassura.

Cette mission s'annonçait sous les meilleurs auspices.

Une fois leur voiture récupérée, C17 et Ruri revinrent donc comme convenu dans le quartier général et suivirent le chef qui conduisait son propre véhicule. Ils s'enfoncèrent à l'intérieur du Parc, jusqu'à ce que la route de terre ne soit plus qu'un minuscule chemin à peine visible, perdu au milieu d'une végétation luxuriante et d'arbres tous plus grands les uns que les autres.

Puis, enfin, ils arrivèrent à destination : une petite clairière au cœur de la forêt.

Sur cet espace plat et dépourvu d'arbres se tenait une cabane en bois. Comme la plupart des habitations de la région, elle donnait l'air d'être très vieille. À l'avant, devant la porte d'entrée, une petite terrasse en bois surmontée d'un porche abritait une balancelle sans âge qui se balançait en grinçant au gré du vent qui parvenait à se frayer un chemin à travers les troncs des épicéas environnants.

Deux petites extensions jouxtaient l'habitation principale : à droite, ce qui semblait abriter une étable, tandis qu'à gauche la grande porte coulissante faisait penser à un garage. Un étage, et une sortie de cheminée complétaient le tableau de cette vision pittoresque.

- Cette maison appartient au Parc. Elle servait d'abri il y a longtemps pour les rangers en cas de mauvais temps, mais maintenant, nous sommes équipés de voitures individuelles et comme pratiquement tout le monde habite au village elle ne sert plus. Nous n'y avons pas fait de travaux depuis des années mais c'est en plein centre du Parc. Vous ne trouverez pas meilleure localisation.

C17 ne dit rien, attendant de voir la réaction de Ruri, mais il était enchanté de cette proposition. L'idée de devoir vivre dans un village entouré d'humains ne l'enchantait guère, et il avait déjà vécu en partie dans des forêts pendant ses longues années d'errance. Cet endroit, isolé et calme, avait donc tout pour lui plaire. Mais il devait avoir l'accord de sa compagne. Il ne s'inquiétait pas trop pour cela : habituée à dormir sur la banquette arrière de sa voiture, Ruri était tout sauf une femme exigeante en matière de confort, mais à la moue interrogative qu'elle arborait, il sentait qu'un détail la perturbait.

- Des années, hein … marmonna-t-elle en faisant le tour de la cabane.

Puis, soudain, elle fit un bref signe de la main vers C17 qui vint aussitôt la rejoindre.

Sans un mot, elle ouvrit la porte de la cabane et s'y engouffra, suivie de près par C17. Ils inspectèrent rapidement les lieux. Bien qu'assez dépouillée et poussiéreuse, cette petite maison était assez « complète » : une pièce principale comportant une petite cuisine donnant directement sur l'extérieur et un salon dans lequel se trouvait la cheminée, puis un couloir qui débouchait sur une salle de bain et une chambre. Enfin, en haut d'un escalier mal éclairé se trouvait un grenier. Deux portes menaient chacune aux extensions. L'écurie contenait deux boxes vides. Quant au garage, c'était un incroyable capharnaüm d'outils en tout genre dans lequel C17 distingua immédiatement la silhouette d'un engin à quatre roues dont il ne se rappelait plus du nom mais qu'il reconnut pourtant. Il s'en approcha et effleura du bout des doigts la carrosserie jaune délavée, avant que la voix de Ruri ne résonne derrière lui.

- C'est un quad.

- Oui, ça me … revient.

- Il a l'air d'être aussi vieux que cette planète si tu veux mon avis. Je me demande si ce machin est encore en état de rouler.

- Il me semble qu'il y a tout ce qu'il faut ici pour le réparer, répondit C17 qui s'était agenouillé et semblait fasciné par son étude attentive du véhicule.

- Tu saurais le réparer ?

- Je sais tout réparer. Ne me demande pas comment, mais …

- Et ça, tu saurais le réparer ?

C17 se retourna et revint vers Ruri qui lui montrait un panneau métallique sur lequel étaient branchés une multitude de fils.

- C'est le panneau électrique, reprit la jeune femme. Hors d'usage à mon avis.

- Je n'y connais rien en électricité …

- Curieux pour un robot.

- Je suis un robot haut de gamme, humaine, pas une vulgaire machine câblée. Mais je pense que je devrais pouvoir faire quelque chose.

- Tant mieux. On peut se chauffer avec la cheminée mais il va nous falloir du jus pour l'électroménager.

- Quel électroménager ? Il n'y a rien ici à part les lampes et un micro-onde.

- Mmmmmmmmmmm

Ruri fit alors volte-face, et sorti de la cabane tout aussi rapidement qu'elle y était entrée, toujours suivie par C17 qui poussa alors un long soupir.

« Et c'est reparti ... » se dit-il tandis qu'il la vit rejoindre le chef des rangers devant lequel elle se positionna, les mains sur les hanches, le regardant droit dans les yeux.

- Il va nous falloir de la literie et de quoi réparer le panneau électrique, demanda-t-elle.

- Pas de souci, je rentre chez moi et je vous ramène ça.

- J'ai besoin aussi d'internet pour travailler.

- On peut sans doute trouver le matériel nécessaire d'ici demain, le temps que j'envoie un ranger à la Capitale pour en acheter.

- La cuisine n'est pas équipée.

- Ma femme a déjà prévu de vous inviter tous les deux à dîner ce soir.

- Nous vous rembourserons de vos achats avec nos salaires. On parlera des montants ce soir mais la première paye pourra être constituée de matériel d'électroménager. Pas besoin de trucs dernier cri, mais du fonctionnel suffira. Je vous ferai une liste.

- Vos salaires ?

- Je prendrai le relai de ma professeure pour l'étude des animaux. C17 vous assistera comme ranger, j'ai cru comprendre que vous aviez des problèmes de braconnage. N'est-ce pas C17 ?

- Euh … balbutia ce dernier, bien que Ruri ne lui laissa pas le temps de répondre avant qu'elle ne reprenne sa conversation.

- Voilà, il est d'accord. Vous verrez, c'est le meilleur. N'est-ce pas C17 ?

- Euh …

- Voilà. C'est le meilleur. Vous ne regretterez pas de nous avoir engagés.

- Je n'en doute pas une seule seconde, répondit le chef des rangers, qui ne s'était pas départi de son sourire depuis qu'il les avait rencontrés.

- Super. Bon, eh bien du coup nous allons commencer à déballer nos affaires et nous acceptons bien sûr avec plaisir l'invitation de votre femme. Nous viendrons vers 20 heures, si cela vous va ?

- Parfait.

- Génial ! C17, vient avec moi on va commencer par mettre un bon coup de nettoyage !

Et de nouveau, en un éclair, Ruri venait de faire demi-tour pour repartir à l'intérieur de la cabane.

Désormais côte à côte, C17 et le chef des rangers la regardèrent s'éloigner, sans rien dire. Les bras toujours croisés, C17 ne pouvait s'empêcher de sourire lui aussi en voyant la détermination dont elle pouvait faire preuve quand elle voulait quelque chose. Rien ne semblait capable de faire peur ou d'arrêter cette demi-portion d'humaine, et il ne la trouvait jamais aussi attirante que quand elle était comme ça.

Il entendit tout à coup sur sa droite un pouffement.

- Aussi belle que têtue, n'est-ce pas ?

Sans répondre, C17 adressa au chef des rangers qui venait de parler un regard rapide et froid, qui ne parut par pourtant perturber ce dernier qui poursuivit quasiment immédiatement après :

- Je ne me moquais pas d'elle C17. Pas du tout. Margot .. enfin sa professeure m'a beaucoup parlé d'elle. Je sais qu'elle est brillante, c'est sa meilleure élève. Elle a même droit à un traitement de faveur de son université qui la laisse étudier en partie à distance. Mais elle m'a aussi parlé de son caractère, et vraiment, je ne suis pas déçu.

Le ton de sa voix ne prêtait pas du tout à confusion, C17 savait qu'il était sincère. Alors, rassuré, il se détendit et acquiesça d'un simple hochement de tête.

- Quelque chose me dit que j'ai échappé de peu à une mort atroce, continua le ranger en riant.

- Je … non.

- Haha ! Je sais. Mais je vois aussi que tu es du genre taiseux. Rassure-toi C17, ça ne me dérange pas. Je juge les gens sur leurs actes, pas sur leur apparence, et encore moins leurs paroles. C'est vrai que nous avons des petits soucis de braconnage et si tu veux nous aider le temps que durera votre mission ici, j'accepte avec plaisir.

Cette réponse était pour le moins inhabituelle, mais elle confirma la première impression que cet homme avait faite à C17 : il méritait son respect.

- Je n'aime pas les braconniers, finit-il par dire.

- Eh bien nous avons donc un point commun, répondit le ranger.

- Oui, on dirait.

- Super. Bon, je vais vous laisser ranger vos affaires. Je rentre, sinon ma femme va m'étriper. Elle n'aime pas que je la fasse attendre sinon elle …

- C17 ! TU VIENS M'AIDER ?

Les deux hommes sursautèrent en entendant le cri de Ruri.

- Haha ! Il semble qu'en fait nous avons deux points communs ! s'esclaffa le ranger.

- …. oui.

- Je te laisse alors, on se revoit ce soir de toute façon. Ne fais pas attendre ta partenaire !

C'est alors qu'il voyait le ranger s'en retourner à sa voiture que C17 prit soudainement la parole. Il venait de réaliser quelque chose de très important. Certaines choses étaient des évidences, aussi limpides que la couleur du ciel.

Mais ce n'était pas pour autant qu'il fallait les taire.

- Petite amie, corrigea-t-il. Ruri est ma petite amie.