Année : 771
Un peu plus de 3 ans après le Cell Game
… Et comprendre
Mis en difficulté, le serpent géant avait profité d'un moment d'inattention pour foncer vers Ruri, proie plus facile à ses yeux. Une réaction de prédateur, parfaitement logique. En conséquence, C17 avait tout fait pour ne pas reproduire l'erreur qu'il avait faite ce jour-là, en engageant avec le dragon un combat plutôt qu'une chasse. Il avait également pris soin de l'éloigner autant que possible de la jeune femme pour la protéger.
C'est pourquoi il ne s'attendait absolument pas à la voir surgir ainsi de nulle part : elle était à présent tout droit sur la trajectoire de l'attaque du monstre marin. Cette humaine, elle était si petite, si frêle. Il le savait mieux que quiconque, lui qui l'avait tenue tant de fois maintenant entre ses bras : Ruri ne pourrait survivre si le projectile la heurtait.
Après un bref instant de sidération, les réflexes de C17 prirent heureusement le dessus et il se jeta en avant, avec toute la vitesse dont il était capable. Arrivé juste à temps, il saisit la jeune femme d'une main et de l'autre il déploya son bouclier qui lui permit à la toute dernière seconde de les protéger de la déflagration qui survint.
Le dragon arriva juste après et se mit à frapper la barrière de toutes ses forces, rugissant de plus en plus fort, rageant de ne pouvoir atteindre ces deux proies pourtant si proches.
Se sachant à l'abri, C17 tourna la tête, bien décidé à demander à Ruri des explications sur la raison de sa présence. Il avait tout fait pour qu'elle ne risque rien, il s'était occupé de tout, et il maîtrisait la situation. Pourquoi avait-elle pris un tel risque ? Un risque insensé. Mais aussitôt qu'il la vit, toute sa colère s'évanouit. Ruri fixait le dragon avec de grands yeux écarquillés de terreur. Les hurlements du monstre se faisaient chaque seconde plus forts, et il la voyait trembler de tout son corps tandis qu'elle se blottissait contre lui, cachant son visage contre son torse. Il aurait bien le temps de lui parler plus tard, le plus important était de l'éloigner d'ici.
- Accroche-toi, lui dit-il simplement.
Aussitôt qu'il sentit sur sa peau que Ruri resserrait sa prise, il désactiva sa barrière. Puis, il lança vers le dragon une vague d'énergie, faible mais suffisante pour le faire reculer. Il profita ensuite du court laps de temps qui suivit pour s'enfuir, se propulsant aussi vite et aussi loin qu'il le put.
« Un endroit avec du relief… »
Le monstre marin s'était lancé à leur poursuite, mais C17 savait ce qu'il devait faire : esquiver, et se cacher dans un endroit où la présence de nombreux rochers brouillerait son système de détection. S'enfonçant dans les profondeurs de la grotte il finit par apercevoir un chemin sur sa droite, donnant vers une autre cavité légèrement plus petite et aux contours plus escarpés. S'y faufilant le plus discrètement possible, C17 trouva rapidement une petite faille dans une paroi dans laquelle il entreprit de se cacher. Serrant Ruri contre lui, il n'eut pas besoin de parler avec elle pour qu'ensemble ils adoptent la bonne attitude : ne plus faire le moindre bruit, la jeune femme osant à peine respirer. Le gigantesque monstre marin avait ralenti l'allure et C17 le vit distinctement venir dans leur direction, passer juste à côté de l'endroit où ils se trouvaient, puis s'éloigner, avançant silencieusement, jusqu'à ce qu'enfin il sorte de son champ de vision.
Ruri avait donc raison : il était très probablement aveugle et ne pouvait les localiser que si l'espace autour était assez dégagé.
C17 attendit encore quelques minutes pour être certain que le danger était écarté. Puis, tout doucement, il desserra ses bras et libéra Ruri qui poussa un soupir de soulagement. De son côté, il ressentait une émotion encore nouvelle pour lui. Un mélange de satisfaction et d'une exaspération très difficile à contenir. Il était en effet en colère après la jeune femme car elle s'était mise en grand danger. En fait, il se rendait compte qu'il avait surtout eu peur pour elle, et c'était la raison principale de son énervement. Il voulait à tout prix avoir de sa part des explications.
- Ruri, commença-t-il alors, je peux savoir ce que tu faisais… AAARGH !
Mais C17 ne put finir sa phrase car Ruri venait de se saisir d'une mèche de ses cheveux qu'elle se mit à tirer vigoureusement.
- N'essaye MÊME PAS de me faire le MOINDRE reproche, boite de conserve ! Si je suis sortie c'est à cause de TOI, parce que tu es un CRÉTIN !
- AIE ! Mais arrête ! Lâche mes cheveux !
- J'étais sûre que ça au moins ça te ferait mal ! IDIOT !
- Mais tu vas me lâcher, oui ?
Ruri finit par s'exécuter, et C17 la regarda. À sa grande surprise, il s'aperçut qu'elle n'avait plus du tout l'air d'être terrifiée.
- J'espère que tu es content de toi ? lui demanda-t-elle soudain, le ton de sa voix ne laissant aucune place à une mauvaise interprétation : elle était elle aussi en colère, très clairement.
- Pardon ?
- Tu m'as très bien comprise C17. Je t'avais pourtant prévenu de faire attention, mais tu te fiches complètement de ce que je peux dire.
- Mais… attends… de quoi est-ce que tu parles ? Je t'avais dit de rester dans le tunnel, c'est toi qui es sortie sans prévenir, et je ne sais toujours pas pourquoi d'ailleurs !
- Parce que monsieur C17 a oublié que les écouteurs ont une distance de portée maximale. Tu t'es trop éloigné du submersible, ils ne captent plus. Je n'arrive plus à te contacter depuis plusieurs minutes. Tu n'avais pas remarqué ?
- Non j'ai juste pensé que tu n'avais rien à dire de particulier.
- Et ça ne t'a pas paru étrange ?
- Maintenant que tu le dis, c'est vrai que tu ne restes jamais plus de 5 minutes sans parler…
- Très amusant.
- Mais je te trouve très effrontée, humaine. Je te signale que je me suis éloigné précisément pour te mettre en sécurité, pour te protéger du dragon.
- Et je fais comment pour te contacter, monsieur-je-sais-tout ?
- Et je peux savoir ce que tu avais de si important à me dire, madame-je-n'en-fais-qu'à-ma-tête ?
- J'avais peur pour toi, imbécile de cyborg !
- Mais POURQUOI ? Je maîtrisais la situation avant que tu ne débarques de nulle part !
- Non !
Et très délicatement, Ruri prit la main droite de C17 qu'elle posa sur les capsules d'oxygène de son masque. Il se rendit alors seulement compte en les touchant que sur les 4 qu'il avait emportés avec lui, 3 étaient déjà vides alors que la dernière était bien entamée.
- Mais qu'est-ce qui s'est passé ? bredouilla-t-il, surpris.
- C'est parce que tu as fait des efforts en affrontant le dragon comme tu l'as fait. En nageant aussi vite, en bougeant dans tous les sens, tu as consommé plus d'oxygène qu'en temps normal. Tu m'as dit une fois qu'être fatigué et être essouflé étaient deux choses différentes, non ? Eh bien c'est totalement vrai. J'ai vu ton stock d'oxygène fondre comme neige au soleil sur mon écran de contrôle et j'ai voulu te prévenir, mais je n'y arrivais pas. Du coup je n'avais plus le choix, tu risquais de te noyer bêtement alors je suis sortie. Pour te prévenir. Imbécile de cyborg.
Soudain, C17 ne sut plus quoi répondre.
Il n'y avait pas pensé.
Il n'y avait pas fait attention.
« Quel idiot ! » se dit-il après quelques secondes.
- Avec une force aussi surhumaine ça aurait été complètement stupide de mourir noyé, tu ne trouves pas ? lui dit alors une voix familière juste devant lui.
Le ton et le visage de Ruri s'étaient radoucis. En un mouvement elle se rapprocha de lui et le prit alors avec une grande tendresse dans ses bras.
Elle tremblait.
Encore et toujours, elle tremblait.
C17 la sentait si frêle, blottie contre lui. Elle était venue pour le prévenir du danger dans lequel il était en train de se mettre, et se faisant elle s'était retrouvée face à ce qui lui faisait le plus peur au monde. Elle avait pris des risques inconsidérés. Mais…
- Pourquoi ? murmura-t-il alors. Pourquoi tu as fait ça ? Pourquoi tu es venue ?
- Tu n'as pas une petite idée ? répondit Ruri, la tête posée contre son torse.
- Non.
La jeune femme se redressa, et le regarda droit dans les yeux. Comparé à lui avouer ce que son cœur lui hurlait depuis des mois, s'être retrouvée seule face au dragon des mers lui paraissait finalement avoir été un vrai jeu d'enfants.
Ce qu'elle voulait lui exprimer, elle ne l'avait jamais ressenti pour personne.
Elle ne l'avait jamais dit à personne.
Deux petits mots, anodins, si aisés à prononcer mais si dévastateurs.
Deux petits mots, dont elle n'était pas sûre qu'il arrive à les comprendre.
Deux petits mots qui pouvaient tout changer entre eux.
Mais Ruri ne voulait plus les retenir.
Alors, elle les laissa s'échapper.
- Je t'aime.
Sur le moment, C17 ne sut pas quoi répondre. Il resta muet de longues secondes, son niveau de stress augmentant à chacune d'elle. Car s'il n'était pas certain de savoir comment comprendre ce que Ruri venait de dire, il savait qu'il devait lui répondre. De son côté, Ruri se sentait au contraire incroyablement sereine. Elle savait ce qu'elle éprouvait, elle en était sûre, et cette certitude inébranlable lui donnait une confiance et une assurance qu'elle ignorait posséder. Elle n'aurait jamais pensé avoir en elle le courage d'exprimer ses sentiments. Combien de fois avait-elle eu envie de le dire, de le crier même. Mais elle avait reculé, effrayée à l'idée de paraître ridicule et futile aux yeux de C17.
Lui, il était si fort, si distant, si éloigné parfois des considérations humaines, comment lui dire une chose aussi banale ? Comment arriver à lui dire à quel point il comptait pour elle ? Qu'il avait fait d'elle une toute autre personne. Et qu'elle ne voulait pas qu'il reparte et la quitte.
Repartir.
Malgré ce qu'ils avaient vécu, malgré le fait qu'elle se soit offerte à lui, malgré l'intérêt croissant qu'il portait aux animaux, cette angoisse n'avait jamais quitté vraiment Ruri. En effet, C17 n'avait promis de l'accompagner que pendant une année, le temps de son expédition. Et après, n'allait-il pas vouloir repartir ? Retrouver sa liberté qu'il plaçait au-dessus de toute chose ?
Lui faire cette confession n'allait-il pas l'encourager à le faire encore plus tôt d'ailleurs ?
Pourtant, en y regardant de plus près, elle se rendit compte qu'il avait l'air d'être bien plus embarrassé qu'elle. Dans les yeux de C17 elle crut même déceler une gêne qui finit par la faire pouffer de rire : il avait l'air d'être perdu en pleine forêt, cherchant ses mots comme un promeneur égaré chercherait son chemin à travers les bois. Il en devenait même drôle, avec cette expression complètement ahurie qui envahissait son beau visage.
Ruri, taquine, finit donc par reprendre la parole :
- Eh bien, quel silence tout à coup. Tu es en panne ? Un problème de batterie peut-être ?
C17 la fixa encore quelques instants, hésitant sur ce qu'il devait faire, avant de répondre à son tour :
- Je ne sais pas.
- Tu ne sais pas quoi ?
- Ce que je dois te dire.
- C'est toi qui décides, en fonction de ce que tu éprouves.
- Oui mais justement… Je ne… En fait je ne sais pas ce que ce mot veut dire.
- Lequel ?
- Aimer. Je connais ce mot, mais je ne sais pas ce que ça veut dire. Enfin… C'est comme…
- Oui, je sais. Les voitures, tout ça tout ça.
- Hein ?
- C17, arrête de te triturer les méninges d'accord ? Tu vas finir par avoir un court circuit. J'ai compris. Tu connais le sens du verbe, mais tu ne sais pas si c'est ce que tu ressens, car tu as oublié en partie ce que sont les émotions.
- Je suis désolé Ruri.
- Pourquoi ?
- Je sais que tu attends quelque chose de moi. Et je ne sais pas ce que je dois dire. C'est… Compliqué pour moi je…
Ruri ne le laissa pas terminer, une fois encore. Elle l'arrêta, posant délicatement un doigt sur les lèvres de C17.
- Shhhh, ça suffit. Ne parle pas, écoute-moi. J'ai dit que je t'aimais, d'accord ? Je t'aime toi. C17. Je t'aime tel que tu es, là, maintenant, et pas comme je voudrais que tu sois. J'avais envie de te le dire. Non, j'avais besoin de te le dire. Mais je n'attends pas de réponse de toi pour autant. Je t'aime, c'est tout. Alors arrête. Comprends juste que c'est pour ça que je ne voulais pas que mon cyborg se noie, vu que dès que je ne suis pas là il fait vraiment n'importe quoi.
C17 fut pris à cet instant précis d'un désir irrépressible de la serrer dans ses bras. Il reprit ensuite la parole, sans pour autant relâcher son étreinte :
- Je pensais maîtriser la situation. Encore.
Une culpabilité terrible résonnait dans le ton de sa voix, et Ruri comprenait à présent parfaitement ce que C17 avait en tête. Sans cette fois quitter le confort de ses bras, elle lui répondit tendrement :
- Tu es trop dur avec toi. Tu maîtrisais la situation mieux que personne n'aurait pu le faire. Tu as mis le dragon des mers au tapis ! Tu as juste oublié un petit détail. Mais heureusement, ta coéquipière était là. C'est un travail d'équipe je te signale.
- Tu as dû te mettre en danger à cause de moi.
- Tu sais ce qui m'a permis d'oser sortir du submersible ? l'interrogea alors Ruri.
- Non ?
- Le fait que je savais que je n'étais pas du tout en danger, au contraire.
- Qu'est-ce que tu veux dire ?
- Qu'avec toi à mes côtés, je suis plus en sécurité que nulle part ailleurs. J'ai confiance en toi. À un point que tu n'imagines même pas.
- A quel point ?
- Au point de te confier ma vie.
L'expression dans le regard de Ruri était d'une telle sincérité que C17 s'en trouva presque déstabilisé. Elle ne manifestait aucune trace de la plus petite hésitation.
Sans le savoir, la jeune femme réparait par son acte une blessure très profonde et dont C17 ne s'était encore jamais remis. Car derrière l'assurance qu'il affichait souvent sur l'étendue de sa force se cachait une plaie encore béante, bien qu'invisible. Lors de son combat contre Cell il avait expérimenté une douleur qui ne pouvait être comparée à aucune autre. Lui qui s'était toujours pensé comme invincible, ce dont il avait tiré une fierté et une arrogance certaine, il s'était retrouvé mis à terre.
Frappé, incapable de répliquer, obligé d'être secouru et en fin de compte, absorbé.
Ce qu'il avait ressenti depuis ce jour portait un nom : l'humiliation. Une morsure, une déchirure brûlante dans son estime de lui.
Mais Ruri ne voyait pas en lui cet être faible qu'il pensait être devenu. Elle plaçait au contraire en lui une confiance inébranlable, et le comprendre lui fit un bien fou.
- Ruri… lui dit-il avant d'être de nouveau interrompu.
- Tais-toi, idiot. Ta seule erreur c'est de te croire encore seul, et d'agir comme si tu l'étais. Toi et moi, on est une équipe maintenant. Moi le cerveau, et toi les muscles !
- Oui, c'est vrai, lui répondit-il en souriant. Enfin tu aurais pu trouver un moyen moins risqué pour toi de me prévenir…
- Seul le résultat compte, c'est bien ce que tu disais non ?
- Hahaha d'accord, je l'ai bien mérité je l'avoue, s'esclaffa C17. Bon, maintenant que tout est clair, quel est le nouveau plan ?
- A ton avis ?
- Il faut que tu regagnes le submersible mais là je ne vois pas le dragon. C'est risqué d'y aller tant que je ne sais pas où il est, il faut le localiser avant. Je vais y aller.
- Et moi ?
- Je continue de penser que c'est trop dangereux pour toi de venir avec moi, te protéger me prive de ma liberté de mouvement. Je préférerais que tu m'attendes ici.
Lui adressant un grand sourire, Ruri se saisit alors de plusieurs capsules d'oxygène qu'elle avait sur son masque et les positionna sur celui de C17 qui réagit aussitôt.
- Qu'est-ce que tu fais ?
- Ne t'inquiète pas, j'en garde 2. Si jamais tu rencontres le dragon et que ça tourne mal tu auras besoin d'oxygène donc tu dois en avoir le maximum. Moi, si je reste calme et immobile, je peux les faire durer au moins 2 heures et demie. Ça te donne le temps maximum dont tu disposes.
C17 se mit à réfléchir.
Oui, cela semblait en effet être la meilleure chose à faire, mais il ne voulait pas prendre le moindre risque concernant la sécurité de Ruri. Alors il pointa un doigt vers la paroi rocheuse et à l'aide d'un rayon d'énergie il y découpa une entaille, juste assez large pour que la jeune femme puisse y entrer.
- Attends-moi ici. Le dragon ne pourra pas t'y atteindre, lui dit-il dès qu'il eut fini.
Ruri s'exécuta aussitôt et s'installa le plus confortablement possible. Alors que C17 venait de se retourner pour partir, elle attrapa son bras pour le retenir encore quelques secondes.
- Sans toi, je ne peux pas sortir d'ici alors ne fais pas l'idiot cyborg.
Il revint immédiatement vers elle et s'avança autant que possible pour pouvoir plaquer son front contre le sien. Ruri portait sa combinaison et son masque de plongée pour la protéger de la pression de l'eau, mais il voyait distinctement ses magnifiques yeux verts qui le regardaient comme jamais personne ne l'avait regardé. Avec une douceur, une foi en lui et une émotion telle qu'il avait l'impression de l'entendre dans sa tête sans qu'elle n'ait à prononcer un seul mot.
« Reviens »
Voilà ce que son regard lui disait.
Il plongea alors ses yeux dans les siens.
- Je ne laisserai jamais rien t'arriver. Même si cela me coûte la vie, tu rejoindras la surface saine et sauve et avec tes échantillons.
- Ne parle pas de mourir comme si ce n'était rien !
- Quoi ?
- Je commence à te connaître C17 ! Tu te sens coupable de je ne sais pas quoi, alors j'espère que tu n'as pas dans l'idée de te sacrifier ou quoi que ce soit de stupide !
- Je n'ai pas peur de mourir, mais cela ne veut pas dire que j'ai envie de mourir Ruri.
- N'empêche… on dirait que tu t'en fiches…
C17 lui sourit.
Elle semblait soudainement inquiète à l'idée de le voir partir. Mais sa démarche n'était en rien suicidaire. Il comprit pourtant à son expression qu'il devait dissiper ses doutes.
- Écoute, lui dit-il alors, je n'ai pas peur de mourir, car je suis déjà mort une fois. Mais ma première mort n'avait aucun sens. J'ai été absorbé et je suis mort en même temps que Cell sans avoir rien pu y faire, j'ai subi sans pouvoir réagir. Mais cette fois, c'est moi qui décide. Et si ma mort permet de te sauver la vie et de t'aider à réaliser ton rêve le plus cher, alors cette mort me sera bien plus douce.
- Mais…
- Mais je ne veux pas mourir pour autant. Je te promets de revenir. Rassurée ?
- Moui…
Elle avait l'air de le croire mais la moue toujours un peu inquiète de son visage la rendait absolument adorable pour C17. Il ne put retenir un éclat de rire, caressant délicatement sa joue droite.
- J'ai une furieuse envie de t'enlever ton masque et cette fichue combinaison, humaine. C'est vraiment le fait que cela te tuerait qui m'en empêche.
Après une brève seconde d'hésitation, Ruri lui adressa un sourire dans lequel il crut déceler les promesses d'infinis plaisirs qui l'attendraient à son retour.
Puis, amusée, elle lui répondit :
- Tu pourras me l'enlever, ainsi que tout ce qui se trouve en dessous, mais seulement si tu reviens.
- Tu ne pouvais me donner meilleure raison de revenir, lui susurra C17.
Puis, il s'approcha de nouveau tout près d'elle et reprit :
- Si tu m'attends sagement ici, je te promets de te dire qui a réellement tué Cell.
- Tu ne pouvais me donner meilleure raison de t'attendre.
Il ne répondit rien d'autre qu'un clin d'œil, puis il repartit à la recherche du dragon.
C17 s'aventura cette fois bien plus prudemment dans les chemins sinueux de la caverne, faisant son possible pour se déplacer sans faire le moindre bruit. Nageant lentement, il mit presque une heure à repérer la trace du monstre qui s'était enfoncé encore plus profondément dans l'ombre des abysses. Quand il le retrouva, il avançait sans avoir l'air de savoir où aller, errant d'un endroit à l'autre dans le plus grand des silences.
Mais après un moment, il parut avoir atteint ce qu'il cherchait : une immense cavité, bien plus grande que les autres. L'eau y était encore plus chaude que dans le reste de la grotte et bien que l'obscurité y fut encore intense, une très faible lueur blanche éclairait les parois rocheuses tout autour provenant de milliers de petits cristaux qui y étaient incrustés.
Prenant toujours garde à rester caché derrière les reliefs escarpés, C17 prit le temps d'observer cet étrange environnement : des pierres, plus fines et hautes que les autres, dégageaient des nuages noirs dont il percevait la chaleur même à distance. Sans doute les fumeurs noirs dont Ruri parlait. Aucun autre animal n'avait l'air de vivre ici.
Le dragon y était seul. Complètement seul.
C17 vit le monstre soudainement s'arrêter, avant de pousser un long et déchirant cri, une plainte telle qu'il n'en avait encore jamais entendue, mais qu'il comprit instantanément.
Les animaux ont un langage, et comme Ruri le lui avait appris, il suffisait de savoir écouter.
De la peine, de la solitude, et une immense tristesse, voilà ce que ce cri exprimait, et le cœur de C17 se serra dans sa poitrine en l'entendant, tandis que le dragon s'allongeait de tout son long sur le sol.
C17 se rapprocha, très doucement, avançant sur le sol d'une caverne jonché de gigantesques squelettes. Des cadavres aux formes et dimensions très semblables à celles du monstre. Sans doute parce qu'il s'agissait d'autres spécimens. Quand il arriva à la hauteur de sa tête, le dragon se mit à s'agiter comme si, malgré sa cécité, il cherchait désespérément à le regarder.
« Tu as peur… » pensa aussitôt C17, « et tu es si seul. Ici vous n'aviez rien à manger, et vous vous êtes entre-dévorés. Tu dois être sacrément fort pour être celui qui a survécu le plus longtemps ».
Il posa délicatement sa main sur le dessus du crâne du monstre qui se mit à trembler encore plus.
Instinctivement, C17 se mit à lui parler :
- Shhh, n'aie pas peur.
Après quelques secondes le dragon cessa de bouger. Sa respiration s'était faite plus lente, plus profonde. Plus lasse aussi. Il avait l'air presque résigné. Maintenant qu'il pouvait le voir de plus près C17 constata que les écailles qui recouvraient son corps n'était pas comme celles du serpent géant. Elles étaient abîmées, craquelées, certaines étaient même manquantes ou prêtes à se détacher.
Il devait être très vieux. Depuis combien d'années était-il enfermé ici ? Même s'il le ramenait à la surface, il était sans doute trop âgé pour y survivre, étant à présent incapable de voir et ayant sans doute perdu son aptitude à chasser ailleurs qu'ici. C'était l'énergie du désespoir qui lui avait donné sa force lors de l'assaut, mais en réalité, il avait sans doute puisé dans ses ultimes réserves.
C17 avait le plus grand respect pour cet animal. Comme pour tous les autres, tous ceux qu'il avait rencontrés au cours de son excursion avec Ruri. Il avait l'impression d'arriver à présent à les comprendre, mieux d'ailleurs que les humains. Leurs émotions n'en étaient pas moins réelles, et ils ressentaient presque de la honte de n'y avoir jamais prêté attention. Tout « robot » qu'il était, C16, lui, avait su voir cela et c'est pour cela qu'il les aimait autant.
Au fond de lui C17 sentit poindre pendant un bref instant l'amertume de ne comprendre que trop tard ce qu'il aurait pu exprimer à son compagnon de route quand il était encore en vie.
« Quand c'est trop tard, on ne revient plus en arrière … » se dit-il, en se demandant ce qu'il devait faire à présent.
C'est alors que le dragon poussa un nouveau long soupir, sa queue battant mollement.
C17 se souvint des orques, de leur vitesse et leur puissance quand ils nageaient dans les étendues infiniment vastes de l'océan. Un animal aussi énorme devait se sentir à l'étroit dans cette caverne sombre et vide.
Incapable de se mouvoir, privé de sa vision, privé de sa famille.
Comme dans une prison.
Comme C17 s'était lui-même senti pendant 10 interminables jours.
Il le comprenait. Et il comprenait Ruri, quand, face à l'éléphant blessé…
Alors, C17 n'eut plus aucun doute. Il savait ce qu'il devait faire. Il entreprit de caresser doucement le dragon, qui réagit immédiatement à son contact, émettant des sons de plus en plus faibles, d'abord effrayés puis, au fil des secondes, devenant presque des murmures de satisfactions. Il s'apaisait, lentement.
C17 lui offrit alors ce que personne n'aurait pu lui fournir, car lui seul avait été assez puissant pour venir à sa rencontre dans cette grotte sous-marine : la délivrance d'une mort rapide et sans douleur, d'un seul rayon d'énergie lancé à la base de son crâne.
Puis, après s'être assuré que l'animal était bien mort, C17 prit quelques dernières photos, préleva encore des échantillons sur son corps et autour de lui, puis il repartit rejoindre Ruri.
La jeune femme l'attendait, immobile et les yeux clos, économisant au maximum son oxygène. Dès qu'elle le vit, elle sut que quelque chose s'était passé, car le regard de C17 avait changé.
Il était serein.
Elle se dit qu'il n'était pas nécessaire de lui poser de questions, et elle se laissa faire quand il la prit dans ses bras pour la ramener au submersible. Une fois arrivés, il le rangea dans sa capsule et remonta à l'intérieur du tunnel, serrant sa compagne contre lui, toujours sans un mot.
Ruri resta silencieuse, car elle commençait à bien connaître C17 à présent. Il était inutile de forcer la discussion. Rentrer à la nage était sa manière à lui de se donner un peu de temps pour mettre de l'ordre dans ses idées. Mais tôt ou tard, quand il se sentirait prêt, il lui parlerait. Il n'était en effet pas du tout aussi expansif qu'elle, bien au contraire, c'était quelqu'un de renfermé et de taiseux, dont elle apprenait à apprivoiser le caractère distant chaque jour un peu plus.
Aimer l'autre tel qu'il est, pas tel qu'on aimerait qu'il soit.
Alors elle attendit, et sur le chemin du retour C17 se mit finalement à lui parler pour lui raconter ce qu'il s'était passé. Ils échangèrent longtemps jusqu'à ce que le manque d'oxygène ne les contraignent à sortir de l'eau. Ils poursuivirent néanmoins leur discussion en volant, puis une grande partie de la nuit.
Allongés l'un contre l'autre sur le pont du bateau, C17 expliqua tout, et Ruri se surprit à comprendre parfaitement ce qui se cachait derrière chacun des longs silences qui ponctuaient son récit. Elle le rassura : il avait pris la bonne décision. Le dragon n'aurait pas survécu longtemps s'il l'avait tiré hors de sa grotte. Cela faisait sans doute des années, peut être même des siècles qu'il était enfermé. Il était peut-être même né dans cette grotte, mais il était incontestablement le dernier des siens, alors son espèce était déjà perdue. Et surtout, C17 avait suivi ce que lui dictait son cœur, et c'était la première fois qu'une chose pareille se produisait.
Ils parlèrent longtemps, tant et si bien que Ruri n'eut même pas vraiment le temps de penser à ce qui venait de se passer dans cette grotte ni au souvenir de ses parents disparus. Elle finit même par s'endormir, épuisée, alors que les premiers rayons du soleil commençaient à poindre à l'horizon. C17 l'installa sur son lit et la laissa dormir, tandis qu'il occupa sa journée à ranger le matériel et les échantillons récoltés. Ce n'est qu'en début d'après-midi que la jeune femme se réveilla et le rejoignit sur le pont où il s'était installé, assis sur des coussins, regardant la mer.
Les yeux encore mi-clos, Ruri vint s'asseoir à côté de lui et ne dit tout d'abord pas un mot. Elle buvait en silence une tasse de café et en tendit une autre à C17, qui l'accepta lui aussi sans rien dire. La jeune femme était habituée à ces longs moments durant lesquels ils n'échangeaient aucune parole, mais une fois réveillée elle ne tint plus en place, tant elle était assaillie de pensées qu'elle contenait avec beaucoup de peine.
Mais ce ne fut pas à son initiative que la conversation s'enclencha.
- Tu vas bien ? lui demanda soudainement C17.
- Euh… disons que ça pourrait être pire. J'ai un milliard de mails et de messages en attente me demandant si je suis toujours vivante, j'ai mal PARTOUT à cause de la pression et la fatigue musculaire, et en plus ma cicatrice me gratte. Mais avec un peu de repos ça devrait passer. Et toi ? Toujours pas fatigué ?
- Toujours pas. Mais ce n'était pas vraiment le sens de ma question.
- Ah bon ?
- Non. Je voulais savoir comment tu allais… plus… en général.
- Tu te soucies de mon bien-être psychologique ?
- Je crois que c'est ça, oui.
Ruri pris quelques secondes pour réfléchir à cette étrange question. Depuis quand C17 faisait-il autant attention aux émotions ? Il n'avait pas attendu qu'elle ait l'air d'aller mal pour s'en enquérir, il avait anticipé en lui demandant avant. Un véritable exploit le concernant.
- En fait, je vais mieux que ce que je pensais, finit-elle par lui répondre.
- Qu'est-ce que ça veut dire ?
- C'est compliqué à expliquer mais je ne suis plus du tout triste. Enfin, mes parents me manquent toujours mais j'ai l'impression que… que je peux enfin leur dire au revoir. Et c'est très apaisant. C'est pas très explicite je sais…
- Non, non, je crois que je comprends. Tant mieux.
- Oui, tant mieux.
Puis de nouveau, un long silence suivit. Et à la grande surprise de Ruri, ce fut de nouveau C17 qui l'interrompit, en riant.
- Haha, eh bien humaine, il va falloir que je te fasse passer un interrogatoire pour que tu me dises ce qui te tracasse ou tu vas te décider à me le dire ?
- Pourquoi tu dis ça ?
- Tu ne dis rien, mais tu n'arrêtes pas de me regarder. Ton regard passe de moi vers la mer, et de la mer vers moi. Et tu agites tes doigts sur ta tasse depuis tout à l'heure, le bruit de tes ongles est assez agaçant même. Tu es nerveuse, et j'aimerais savoir pourquoi. Ça m'intrigue.
- Ton sens de l'observation est de plus en plus affûté à ce que je vois. Bientôt je ne pourrais plus rien te cacher…
- Tu me caches encore des choses ?
- Ce n'est pas un secret mais plutôt une question que je n'ose pas te poser.
- Laquelle ?
Ruri s'en voulait terriblement d'être si hésitante, d'autant qu'elle savait que C17 était quelqu'un d'incroyablement franc et sincère. Il n'allait pas lui mentir, il était toujours tellement honnête. Alors autant se lancer.
- En fait je voulais savoir ce que tu comptais faire maintenant. Tu avais promis de m'accompagner le temps de l'expédition, pas plus. Alors… toi et moi… enfin… est-ce que tu… comptes t'en aller ?
- Oh. C'était donc ça.
- Oui.
- Ok, je comprends.
- … et ?
- Et quoi ?
- BEN TA RÉPONSE !
- Ah oui pardon. Mmmmm ...
C17 fit mine de réfléchir très intensément, fermant les yeux et restant aussi impassible que possible. Il savait en fait pertinemment ce qu'il voulait répondre, mais il prit un malin plaisir à laisser Ruri dans cet état de stress qu'il voyait grandir de seconde en seconde. Elle n'allait pas tarder à exploser, il en était convaincu.
« 3, 2, 1… » pensa-t-il avant qu'en effet Ruri ne perde patience, comme l'il l'avait prévu et pour son plus grand amusement.
- BON ON VA PAS ATTENDRE TOUTE LA JOURNÉE, SI ? s'écria-t-elle tout à coup.
- Tu es vraiment, vraiment très mignonne quand tu t'énerves.
- Arrête de plaisanter C17 sinon je t'arrache les cheveux !
- Hahaha je n'ai pas le choix je pense, face à une telle menace. Promis, j'arrête. Je vais te répondre.
Ruri ne dit alors plus rien, mais elle se calma instantanément. Son regard trahissait une anxiété certaine, et il ne voulait pas pousser le jeu trop loin et finit par la blesser. En fait C17 avait eu toute la matinée pour réfléchir, et lui non plus n'avait pas oublié sa promesse et son caractère temporaire.
Mais il n'était plus du tout la même personne, rien en lui n'était semblable à l'être qui avait prononcé ces paroles.
- J'avais aussi dit que je resterai un an avec toi. Ce temps n'est pas écoulé, je me trompe ?
- Non tu as raison, acquiesça Ruri sans bien comprendre où il voulait en venir.
- Et tu n'as pas encore écrit ton article donc l'expédition n'est pas totalement finie, non ?
- Euh… Oui c'est vrai que je dois encore l'écrire.
- Alors techniquement je ne peux pas encore repartir. Je dois toujours te protéger, on ne sait jamais dans quel pétrin tu es capable de te mettre. Non ?
- Et après ?
- Après c'est plus tard. On avisera à ce moment-là.
Ruri essayait tant bien que mal de donner du sens à ce curieux discours.
« C'est… sa façon de me dire qu'il veut rester encore avec moi ? » se demanda-t-elle en le fixant, cherchant dans son regard le moindre signe qui pourrait éclairer ses doutes. Mais C17 ne disait plus rien, se contentant de lui adresser un large sourire, aussi énigmatique que moqueur.
« Raaah espèce d'imbécile de cyborg ! Tu ne pourrais pas JUSTE me dire que tu as envie qu'on reste ensemble ! »
Ruri enrageait presque de le voir si tranquille, alors qu'elle, elle bouillonnait intérieurement de rester ainsi dans un tel doute sur ce qu'il ressentait et voulait vraiment.
Pourtant, en voyant de nouveau son visage et l'expression si tranquille qu'il dégageait, elle finit par se sentir rassurée. Après tout, si C17 voulait partir, rien au monde ne pourrait le retenir, et il n'était pas du genre à s'imposer quelque chose qu'il ne désirait pas faire. Sa manière à lui de s'exprimer, c'était ses actes, bien plus que ses paroles.
« T'aimer tel que tu es, c'est ça ? Eh bien ça ne va pas être facile tous les jours » finit-elle par se dire. Elle prit quelques minutes de réflexion, puis reprit, cette fois d'un ton plus assuré :
- Du coup, je pense à quelque chose…
- Quoi ?
- Tant que j'ai mon matériel et une connexion internet je peux travailler de n'importe où. T'installer en ville dans mon appartement ce ne serait pas très agréable pour toi je pense.
- … Oui je n'aime pas trop quand il y a beaucoup d'hum… de monde.
- Du coup vu qu'on a du temps et du budget en plus ça te dirait un petit road trip avec moi ? On voyagerait un peu le temps de trouver un coin sympa où s'arrêter pour que je finisse mon article.
- Peu m'importe l'endroit.
- Il faudrait juste qu'on reste chez moi quelques jours le temps que je parle avec mes professeurs et que je règle des détails techniques mais après, on peut y aller, continua Ruri.
- Aucun problème. Je suis patient, je peux tenir quelques jours.
- Si tu veux pour que tu ne t'ennuies pas je connais plein de moyens de se distraire !
- J'ai hâte, répondit-il de ce ton grave et suave qu'il savait prendre et qui la faisait chavirer avec la force d'un tsunami. Mais elle fit mine de ne pas avoir saisi le sous-entendu, histoire de rester concentrée.
- Tu as une idée d'où tu voudrais aller ? Un coin de la planète en particulier ?
- Non je ...
C17 s'arrêta net. Il ne s'attendait pas à cette question et allait lui répondre qu'il n'avait aucune préférence particulière quand soudain il fut saisi d'une sorte de flash. De nouveau, un fragment de souvenir lui revint, tandis qu'une phrase que Ruri avait prononcée résonnait dans son esprit.
- Si, finit-il par lui dire. En fait il y a un endroit où j'aimerais aller.
