Merci mille fois pour tous les retours sur le chapitre de la semaine dernière ! Je suis super contente qu'il vous plaise autant !

J'espère que celui-ci vous plaira tout autant.

TW : viol, mention de TCA


« It's not your fault I ruin everything

And it's not your fault I can't be what you need

Baby, angels like you can't fly down here with me

'Cause they say that misery loves company »

Angels Like You — Miley Cyrus


Août 2022

« J'ai besoin d'alcool.

— J'en n'ai pas. »

Le rire de Nino est sans humour. « T'as un flingue chez toi mais pas d'alcool ? »

Adrien ne répond rien. Nino ferme les yeux et appuie ses poings contre ses paupières. « J'aurais pas dû t'en parler. Je te mets dans une position impossible, avec Alya et Mari—

— Tu te fous de ma gueule, Adrien ? » Sa voix est dure, son regard, lorsqu'il rouvre ses paupières et le darde dans le sien, est rempli de colère. De déception, peut-être aussi. Adrien sent son cœur se serrer. « Tu regrettes de m'avoir parler de toute cette merde, maintenant ? Parce que je vais devoir mentir à Alya et Mari ? Parce que Marinette va être impactée ? »

Adrien ouvre la bouche, mais aucun son n'en sort. Il n'est pas sûr de comprendre où il veut en venir. Sa confusion arrache un nouveau rire sarcastique de la bouche de Nino.

« T'as aucune idée de quoi je parle, c'est ça ? » demande-t-il. Adrien ne répond rien et il secoue la tête, prend une profonde inspiration, la tête baissée. Lorsqu'il pose à nouveau ses yeux sur lui, Adrien se sent stupide. Il voit la douleur dans le regard de celui qui a un jour été son meilleur ami. Cette douleur, il l'a complètement omise. Mais elle est bien là, dans sa cuisine, un samedi soir à une heure du matin. Elle est là, au même titre que la sienne.

« Ça t'emmerde de m'en avoir parlé quatre ans après. Quatre ans. Mais, Adrien, tu m'as laissé sans rien, sans explications, quand Mari est partie. Tu pourras me donner toutes les raisons du monde, tu m'as quand même abandonné. Moi, Alya, Chloé. Tu crois qu'on a juste accepté que tu partes de nos vies comme ça ? Tu crois pas que ça nous a détruit, que ça a laissé un vide ? »

Adrien, appuyé contre l'évier, observe Nino assis à la table de la cuisine. Il ne sait pas quoi dire. Il sait tout ça. Au fond de lui, il le sait. Mais il a tout enfoui, toute la douleur qu'il a causée. Parce que, s'il commence à se concentrer sur ce qu'il a fait de mal, il n'aura plus d'énergie pour faire le bien. Il n'aura plus d'énergie pour combattre son père et protéger Marinette.

Et s'il n'a plus l'énergie de faire ça, à quoi sert-il ?

« Et encore, tu me donnes des explications parce que j'ai vu ce qu'il s'est passé l'autre jour ! Et si j'étais pas sorti ? Et si Marinette t'avais pas suivi, au départ ? Et si t'étais pas venu, du tout, qu'est-ce qu'il se serait passé ? Tu m'aurais plus jamais adressé la parole de ta vie ?

— Si j'étais pas venu, Marinette se serait faite droguer. »

Nouveau rire sans joie. « Mais heureusement, notre super-héros est intervenu !

— C'est pas ce que je dis—

— Si, c'est que tu dis ! T'es en train de dire que t'aurais pas dû m'expliquer la vérité alors que tu me la dois, cette putain de vérité, depuis des années ! Tu me la dois, tu la dois à Alya, à Chloé et tu la dois à Marinette !

— Me parle pas d'elle.

— C'est toi qui as commencé, Adrien. Tu dis que tu veux pas qu'elle soit mêlée à tout ce bordel, mais c'est le cœur de tout ça ! Elle est en plein dedans, que tu le veuilles ou non, alors arrête de tout cacher à tout le monde et dis-lui la vérité

— Je peux pas ! »

Sa voix se brise et Nino est presque autant surpris qu'Adrien lui-même. Ses mains, appuyées sur l'évier, se mettent à trembler. « Je peux pas, » répète-t-il. « Sinon, ça voudrait dire que tout ce que j'ai fait pendant toutes ces années était juste inutile. Et ça, Nino, ça je peux pas. Je peux pas. Pas après tout ce que j'ai fait. »

C'est probablement le plus honnête qu'il ait été depuis très longtemps. Entre cette conversation et celle avec Plagg, ça commence à faire beaucoup. Un peu trop, d'ailleurs. Sa carapace se fissure, il peut le sentir. Elle s'est fissurée quand Marinette est revenue, quand Plagg l'a confronté, quand il a tué cet espion, quand Marinette lui a parlé de Lila, quand il a tué Ryle. Et maintenant, Nino.

Il a tué tellement de gens. Il en a déçu tellement d'autres. Il a causé tellement de peine et de douleur. Toute cette souffrance, elle doit forcément avoir une raison d'exister. Elle doit forcément servir à quelque chose. C'est comme ça que ça fonctionne.

Il ne peut pas avoir fait tout ça pour rien. Il ne peut pas avoir laissé son père le transformer en meurtrier et avoir laissé Lila le transformer en—

« Adrien ? » l'interpelle Nino d'une voix plus calme. « Cette histoire avec Lila, tu... »

Adrien se retourne à l'évocation de son prénom. Il ferme ses paupières, ses mains appuyées de part et d'autre de l'évier. Respire, respire, respire.

« Tu couches pas avec elle juste pour le sexe, hein ? »

Adrien sent une pointe de colère contracter ses muscles. Mais elle redescend aussitôt. Après tout, le but est que tout le monde pense que ce n'est que du sexe. Il a tout fait pour. Le fait que son meilleur ami — qui ne l'est plus, d'ailleurs — l'ait pensé, c'est juste le résultat de ses actions. Il s'est conduit lui-même sur cette route.

« Non, » lâche-t-il.

Nino ne répond pas tout de suite. Il l'entend se lever, se rapprocher de lui. « Adrien, » murmure-t-il. « Pourquoi ?

— Je peux pas en parler, » souffle-t-il en se retournant.

Nino est là, quelques centimètres plus bas que lui, ses yeux confus, déçus mais espérant tout à la fois, rivés sur lui. « Elle a quelque chose sur toi ? Ou t'as quelque chose sur elle—

— Tu penses que je serais capable de la faire chanter pour coucher avec moi ? Sérieusement ? Je savais que j'étais une merde à tes yeux, mais pas à ce point—

— À qui la faute ? » explose Nino. « À qui la putain de faute, Adrien ? Mon meilleur ami ferait jamais quelque chose comme ça, je le sais très bien. Mais celui devant moi, celui qui tabasse un mec à mort et qui garde des secrets, ce gars-là, je sais pas de quoi il est capable, je le connais pas ! »

Adrien se met à faire les cent pas dans son salon, laissant Nino à la lumière de la cuisine. Il a raison, bien sûr qu'il a raison.

Mais, putain, ça fait quand même mal. Cependant, ce serait pire, s'il savait la vérité. Il préfère voir les doutes, voir la colère, la déception, voir n'importe quoi que la pitié qu'il lui inspirerait s'il savait la vérité.

Juillet 2018

Ça ne peut pas être pire, se disait Adrien à chaque nouvelle journée. Chaque fois, il se trompait. Ça pouvait être pire. C'était une des choses qu'il avait apprises ces derniers temps : ça pouvait toujours être pire.

Par exemple, il ne pensait pas qu'il pouvait être plus brisé qu'après avoir vu Marinette prendre son avion. Et puis, son père avait découvert la vérité. Il avait découvert qu'il lui avait menti sur toute la ligne, qu'il n'avait jamais imaginé trahir Ladybug et s'emparer de son Miraculous. Adrien aurait aimé que ce soit vrai. Mais il l'avait imaginé.

Alors, non seulement il devait gérer la colère et la déception de son père mais aussi sa propre culpabilité d'avoir considéré l'idée de trahir celle qu'il aimait et qui l'aimait le plus au monde. Quel genre de personne pense à ça ? Le genre qui mérite de s'éloigner de tous ces amis, de perdre l'amour de sa vie et de se prendre la décharge de haine et de tristesse de son père.

Ça ne peut pas être pire, pensait-il. Une illusion. Parce qu'il s'était retrouvé dans le lit de Lila. Ses souvenirs étaient flous. Peut-être parce qu'il ne mangeait plus, ne dormait plus. Peut-être parce qu'il ne voulait pas se souvenir. Peut-être parce que tout cela n'était pas réel. Peut-être qu'il allait se réveiller et que Marinette serait là.

Il se réveillait, mais elle n'était jamais là. Chaque fois qu'il ouvrait les yeux après le peu de sommeil qu'il eût réussi à cumuler, son corps entier tremblait, sa peau était recouverte de sueur et des larmes jaillissaient de ses yeux, des images plein la tête. Le poing de son père. Le corps de Lila. Les yeux de Plagg. Les larmes de Marinette.

Parfois, c'était pire. C'était en hurlant qu'il se réveillait, des flashs du cauchemar qu'il venait de faire lui coupant la respiration. Marinette, se battant pour garder son Miraculous. Marinette, se battant contre lui. Marinette, en sang. Marinette, un trou béant dans la poitrine. Lui, au-dessus d'elle, son cœur dans la main.

Il ne pouvait plus dormir, parce qu'il savait ce qui l'attendait dans son sommeil. Ce n'était pas tellement mieux en étant éveillé, cependant. Il se demandait sans cesse si Marinette allait bien. Si elle s'adaptait à sa nouvelle vie. New-York était une grande ville, pleine de gens merveilleux, il en était convaincu, mais pleine de gens abominables aussi, comme partout. Elle lui avait prouvé des centaines de fois qu'elle était capable de se débrouiller toute seule — bien mieux que lui. Mais il avait des cauchemars en étant réveillé, aussi. Marinette, les larmes aux yeux, les cuisses recouvertes de griffures, prise au piège. Adam, la ceinture défaite, une expression malsaine lui déformant le visage, les mains pressées sur le corps de Marinette.

Il y avait des Adam partout. Et si cette situation était vouée à se reproduire ? Et s'il n'y avait personne pour intervenir, cette fois ? Ce qu'il s'imaginait ensuite le mettait dans un état d'angoisse indescriptible. Il ne pouvait plus respirer. Il n'arrivait qu'à vomir le peu de nourriture dans son estomac et à suffoquer au-dessus des toilettes. Il ne s'était jamais senti si faible.

La réalité devenait floue. Adrien n'arrivait plus à distinguer ce qui arrivait vraiment de ce qu'il se passait dans sa tête. Est-ce que Lila était vraiment en train de l'embrasser ou est-ce que c'était son cerveau qui s'imaginait la sensation de ses lèvres contre les siennes et de ses mains en bas de son ventre ?

Adrien restait là, sur le dos, sans bouger. Si c'était dans sa tête, ç'allait bien finir par passer. Sinon... ç'allait bien finir par s'arrêter, aussi.

« Adrien, » grommela Lila contre ses lèvres, « mets-y un peu du tien. »

Il ne répondit rien. Les mains de Lila se glissèrent sous son jogging. Il sursauta en la sentant entre ses jambes.

Rien. Il ne se passait rien. Lila éloigna ses lèvres des siennes et Adrien la regarda avec absence. « Qu'est-ce qui t'arrives ? »

Il haussa les épaules. Rien, justement. Il ne lui arrivait rien. Il restait bloqué dans cette réalité parallèle qui semblait être devenue sa vie, à présent. Et si c'était ça, sa vie, Adrien préférait ne pas y participer.

Mais Lila ne semblait pas de cet avis. Elle passa sa main à l'intérieur de son sous-vêtement et prit le frisson qui parcourut la peau d'Adrien pour un frisson de désir. Mais ce n'en était pas un.

« Lila, » réussit-il à articuler. « J'ai pas envie, ça va pas marcher—

— Détends-toi, » murmura-t-elle contre son oreille.

Adrien ferma les yeux, essaya de se détendre. Essaya de se dire que ce n'était pas si désagréable, que c'était toujours mieux que le genou de son père dans ses côtes, que c'était toujours mieux que ses cauchemars.

Ça marcha, pendant un temps. Mais Lila se hissa au-dessus de lui et quelque chose s'alluma en lui. C'était le truc de Marinette, d'être au-dessus. Elle adorait ça. Il adorait ça. Il adorait qu'elle adorait ça.

Ses yeux se rouvrirent et il se sentit pris au piège. Lila avait ses genoux de chaque côté de ses hanches, son bassin contre le sien et sa main toujours autour de lui. Pris au piège. Comme Marinette l'avait été avec Adam.

Il ferma à nouveau les paupières. Bouge, bouge, bouge, s'ordonna-t-il. Bouge ! Rien. Ses muscles ne l'écoutaient plus. À quoi bon, de toute manière ? Il devait écouter Lila, ça faisait partie du marché. Il n'avait pas le choix.

Il ferma un peu plus les yeux en sentant sa gorge se serrer. Lila continuait ses va-et-vient avec sa main, bientôt remplacée par sa bouche. Il ne bougeait pas. Gardait ses mains à plat sur le matelas et ses paupières closes.

Ce n'était pas le plaisir qui contractait ses muscles. Et ce n'était pas le désir qui lui fit avoir une érection. C'était la réaction naturelle de son corps. Mais Adrien se sentait sale, sale, sale.

« Lila, » murmura-t-il d'une voix brisée lorsqu'elle se positionna au-dessus de lui. « Lila, s'il-te-plaît... »

Elle leva ses yeux vers lui. Sa main pressait son érection entre ses cuisses, en-dessous de sa robe. « Quoi ? » Il n'y avait pas de compréhension dans sa voix. Uniquement de l'impatience.

Il rouvrit les yeux. Une larme s'en échappa. Il était bien trop désespéré pour se sentir embarrassé. « Pas maintenant, pas—

— Ça fait des semaines, Adrien, » soupira-t-elle. « J'ai été patiente mais je peux pas être la seule à respecter notre accord, tu dois remplir ta part, aussi. Sauf si tu veux tout arrêter ? Mais, dans ce cas... »

Elle n'en dit pas plus, ce n'était pas nécessaire. Adrien secoua la tête, la gorge nouée. Ses paupières se fermèrent à nouveau. « Non, » murmura-t-il d'une voix à peine audible.

Elle embrassa son cou et Adrien se tendit tout entier en se sentant pénétrer à l'intérieur d'elle. Ses hanches se mirent à onduler avec entrain contre les siennes et ses gémissements emplirent bientôt la pièce.

Adrien garda les yeux fermés, les bras le long du corps. Il n'était plus là. Plus vraiment.

Août 2022

Adrien sent son regard se perdre dans le vide. Il y a des choses dont il évite de se rappeler. Pour se préserver. « Je vais pas parler de ça, » murmure-t-il. « Garde juste en tête que je fais ça pour une raison, d'accord ? »

Nino se met à faire les cent pas dans son appartement. « Une raison ? Adrien, qu'est-ce que... c'est quoi cette merde ? Qu'est-ce qui se passe ?

— Je t'ai déjà dit ce qu'il se passait.

— Non, non, qu'est-ce qui se passe vraiment ? Pas tes putains de mensonges, la vérité. La vérité ! »

C'est étrange. De voir Nino dans un tel état de colère. Lui qui est toujours souriant, toujours blagueur, toujours joyeux. Enfin, Adrien est bien placé pour savoir que les plus radieux sont souvent ceux avec le plus de ténèbres.

Une profonde inspiration soulève son torse. Il avait oublié, depuis le temps, ce que c'était que rendre des comptes. Il aimerait dire qu'il ne lui doit rien, et sûrement pas la vérité. Mais c'est faux. Il le lui doit. Peu importe à quel point il l'a repoussé, lui et tous ceux de son ancienne vie, ils reviennent tous. Lutter contre ça est impossible.

Il doit la dire, cette phrase qui lui tranche la gorge à chaque fois qu'il y pense. Il doit la dire, s'il ne veut pas que cette vérité la ronge davantage qu'elle ne l'a déjà fait. Il doit la dire, s'il veut avoir une chance de se racheter auprès de Nino. « Mon père, » lâche-t-il d'une voix un peu trop rauque. Il se racle la gorge, lève ses yeux du sol, les plonge dans ceux de Nino. « Mon père est Papillon. Était. »

Une seconde. Deux. Trente, bientôt, et toujours aucune réponse. Nino le fixe, les yeux écarquillés, la bouche entrouverte. « Putain de merde, » laisse-t-il finalement échapper. « Putain de merde ! »

Adrien hoche la tête. « Ouaip. Putain de merde. »

Nino presse ses mains contre son nez. « T'es sûr ? »

Il ne peut pas s'en empêcher : Adrien se met à ricaner. « Oui, je suis sûr de pourquoi ma vie est un cauchemar depuis quatre ans, Nino.

— Ouais. Ouais, désolé. Mais... il sait que...

— Que je suis Chat Noir ? Oui.

— Et que...

— Que Mari est Ladybug ? » Nino hoche la tête. Adrien soupire. « C'est justement le problème. Il a des soupçons, c'est sûr. J'ai fait ce que je pouvais pour qu'il soit convaincu que c'était pas elle, mais... je crois qu'il sait, maintenant.

— Putain de merde, » répète-t-il. « C'est pour ça que tu—

— Oui, » le coupe Adrien. C'est pour ça que t'es tout bizarre avec elle, que tu couches avec Lila et que tu casses la gueule de ceux qui l'approchent, voulait dire Nino.

« Merde. » Nino se laisse tomber sur le canapé. Ça fait beaucoup d'un coup, probablement. Adrien se souvient quand il a compris qui était vraiment son père. C'était beaucoup, aussi. « Donc, quand tu m'as dit que ce mec — Ryle — faisait partie d'un clan, c'était vrai ? »

Adrien hoche la tête.

« Ce clan, il est sous les ordres de ton père, c'est ça ? »

Nouveau hochement de tête.

« Et toi, tu—

— Mon père croit que j'en fais partie. Mais j'ai rassemblé tous ceux qui ont quelque chose contre lui. Enzo y compris.

— Et ton père, il se doute de quelque chose ? »

Adrien hausse les épaules. « Je pense que non. Il pense que je lui reste fidèle, que j'ai trop peur des conséquences, à cause de la dernière fois où je me suis allié à quelqu'un d'autre que lui. »

Il n'en dit pas plus — ce n'est pas nécessaire, Nino comprend ce qu'il sous-entend. « Quand Mari est partie, quand tu lui as rendu ton Miraculous... quand elle a découvert celui de Papillon, tout ça, c'était pour mettre ton père sur une fausse piste ? »

Adrien hoche la tête. « Je lui ai dit que j'avais besoin de son Miraculous pour faire croire à Ladybug que c'était gagné, pour qu'elle baisse sa garde. Pour que je puisse prendre son Miraculous et lui ramener à lui. Il m'a cru. »

Nino le fixe, estomaqué. « C'est pour ça que t'as donné ton Miraculous à Marinette, » souffle-t-il. « Pour pas que ton père en ait un à proximité. Même si ça voulait dire que tu pouvais pas te défendre contre lui, » réalise-t-il. « Adrien...

— Ça va, Nino. C'était il y a longtemps. » Pourtant, il en fait encore des cauchemars toutes les nuits, mais il ne le précise pas à Nino. Tout comme le fait qu'il ait hésité il y a quatre ans à réellement s'allier à son père. Tout comme les motivations de ce dernier. Il n'a vraiment pas l'énergie de parler de sa mère.

Heureusement, Nino ne pose pas la question. « C'est pour ça qu'elle fait son stage chez Gabriel ? »

Adrien s'assoit à côté de lui sur le canapé, ses yeux rivés sur genoux. « J'en suis pas sûr. Mais je pense que oui. Mon père a essayé d'avoir des infos sur elle, récemment. Enzo et moi, on a interrogé un mec qu'il avait embauché.

— Et ? Il a eu des infos ?

— Pas beaucoup. J'essaie de m'assurer qu'elle reste... à l'écart.

— À l'écart ? »

Adrien hoche la tête mais ne donne pas plus d'explications. Il ne veut pas que Nino le prenne pour un stalker. Enfin, il le prend déjà pour quelqu'un de bien pire. Et peut-être qu'il est cette personne, après tout.

« C'est pour ça que t'habites ici ! » s'exclame Nino.

Adrien garde ses yeux rivés sur ses genoux. « Oui. » Ça ne servirait à rien de mentir, de toute façon. Pourquoi il habiterait ici, autrement ? Dans un immeuble aussi vieux que le monde, sur le même palier que Marinette qui habite dans un appartement familial dont il connaissait très bien l'existence alors qu'il pourrait se permettre de vivre dans un endroit avec une vue sur la tour Eiffel et un ascenseur qui fonctionne plus d'un jour sur deux ?

Nino ne fait aucune réflexion. « C'est pour la protéger, si...

— Oui.

— D'accord, » murmure Nino. « Il lui est arrivé quoi ? » demande-t-il, une minute plus tard.

« À qui ?

— Le mec que ton père avait embauché pour avoir des infos sur Marinette.

— Ah, » souffle Adrien.

Sa non-réponse est suffisante. « Putain, Adrien, » murmure Nino. « Combien de fois tu—

— Il s'appelait Léopold. Tout le monde l'appelait Léo. Il avait trente-deux ans. Développeur informatique. Diplômé ingénieur de ECE, campus de Paris. Il a pas mal voyagé après ses études et s'est découvert une passion pour les jeux de hasard. Il faisait le casino de chaque ville où il allait. C'est là où il a rencontré sa femme, dans un casino aux Pays-Bas. Kay. Ils ont voyagé ensemble et continuaient de de faire les casinos de toute l'Europe. Au bout d'un moment, il a commencé à s'endetter. Il est rentré à Paris et a trouvé un travail chez Gabriel en tant que développeur. Mais ç'a pas été suffisant pour éponger ses dettes, alors, il a dû commencer à faire des tâches un peu moins légales. Comme de l'espionnage, par exemple. Ça a duré cinq ans. Entre temps, lui et Kay se sont mariés et ont eu deux enfants. Deux filles : Charlie et Maya. Elles ont les mêmes yeux bleus que lui et les mêmes cheveux roux que Kay. Charlie veut devenir astronaute et Maya écrivaine. » Adrien pousse un profond soupir et tourne son regard vers Nino. Ses yeux sont remplis de surprise et de quelque chose d'autre — un mélange particulier et paradoxal entre de l'admiration et du dégoût. « Je fais pas ça par gaieté de cœur, Nino, » murmure Adrien. « Je fais ça parce que j'ai pas le choix. Je fais ça pour protéger Marinette. »

Chaque homme qu'il a tué, chaque coup de poing qu'il a asséné, chaque balle qu'il a tirée, tout ça est ancré dans sa mémoire. Parce que, même s'il a une raison de faire tout ça, il sait que ça n'excuse absolument rien. Ce serait bien trop simple, sinon.

« Chaque fois que je tue quelqu'un, je fais des recherches, » explique-t-il sans réellement savoir pourquoi. « Je veux savoir exactement quelle vie j'ai prise. Savoir quelle personne j'ai arraché à sa famille. Savoir quels enfants j'ai rendu orphelins, comme je l'ai été. Savoir quelle femme j'ai rendu veuve, quels êtres humains j'ai anéanti.

— Pourquoi ? » demande Nino d'une voix à peine audible.

Adrien hausse les épaules. « Parce que je le mérite. »

C'est aussi simple que ça. Nino ne répond rien. Parce que c'est la vérité. Il mérite cette culpabilité qui le ronge un peu plus chaque jour et qui finira probablement par le dévorer vivant.


Adrien ne fait que repenser à la nuit dernière. Cette discussion avec Nino. Celle avec Marinette. Marinette.

Il a souri. Il a même ri, sincèrement. Ça ne lui était pas arrivé depuis longtemps. Mais la voir saoule a toujours été très amusant. Sa maladresse rend chacun de ses mouvements incertains et, la plupart du temps, les transforme en chute ou en trébuchements. Heureusement, il était là les premières fois pour la rattraper. Il était là hier soir. Et, s'il se fie au fait qu'elle soit encore en un seul morceau, il imagine qu'il y avait quelqu'un pour la rattraper entre les deux.

Il repense à ce qu'elle lui a dit : ça fait tellement longtemps qu'un mec m'a pas vu toute nue. Adrien, j'ai besoin de sexe, tu comprends ? J'ai besoin que quelqu'un me—

Que quelqu'un te quoi, Marinette ? se demande-t-il. Que quelqu'un soit doux et patient ? Que quelqu'un soit passionné et brûlant de désespoir ? Il pourrait être les deux. Il pourrait être ce qu'elle voulait, peu importe ce que c'était.

Adrien repense à son buste, entièrement nu. Il repense au papillon en flammes qui s'étend du bas de son sternum jusqu'en haut de son ventre, repense à la branche fleurie et à la coccinelle sur son épaule, repense à la dizaine de tatouages sur ses bras. Repense à celui qu'il a entraperçu au niveau de l'échancrure de sa culotte. C'est bien un chat qu'il a vu, il en est sûr. Les contours d'un chat assis, vu de dos, sa queue derrière lui. Un chat seul.

Adrien presse son visage dans ses mains. Au même moment, il sent quelque chose de doux se frotter contre ses chevilles. Lady est là, ses grands yeux bleus levés vers lui, son ronronnement s'intensifiant lorsqu'il baisse une de ses mains pour lui caresser le sommet de la tête.

Elle a vu Lady. Elle sait que Lady s'appelle Lady. Mince, le choix de prénom n'était définitivement pas subtil. « Mais ça te va tellement bien, » sourit-il en la hissant jusqu'à ses genoux.

C'est impressionnant, le concentré d'amour que peut procurer un être aussi minuscule. Adrien se souvient le soir où il l'a vue, la première fois. Ça ne faisait que quelques semaines qu'il avait emménagé ici et il avait encore du mal à démêler ses cauchemars de la réalité tant les deux se ressemblaient. Sur le chemin pour rentrer, il avait entendu des miaulements dans une petite rue adjacente à celle où il se trouvait. Il s'y était engouffré et avait aperçu une boule de poils blanche, tellement petite qu'il lui avait fallu quelques secondes pour se rendre compte que c'était un chaton.

Elle tremblait comme une feuille, avait tremblé encore plus fort quand il avait rapproché sa main. Alors, il s'était éloigné, à contre cœur, se convaincant que sa mère viendrait la chercher ou que quelqu'un d'autre la trouverait.

Le jour d'après, il avait entendu ces mêmes miaulements. Cette fois-ci, Adrien l'avait prise dans ses bras malgré ses tremblements. Elle avait miaulé tout le long du chemin jusqu'à son appartement et avait tremblé encore plus longtemps après. Trempée par la pluie et trop petite pour réellement ressembler à un chat, Adrien l'avait quand même trouvée adorable. Et forte, d'avoir survécu dans le froid et dans la peur.

Une fois séchée, nourrie et rassurée, ses yeux avaient brillé d'un éclat nouveau et Adrien avait su. Le bleu de son regard, il lui avait tellement rappelé Marinette qu'il en avait eu le souffle coupé.

La baptiser Lady avait été une évidence. La première fois qu'il l'avait appelé par son prénom, elle l'avait regardé avec quelque chose qui ressemblait à de la reconnaissance. Il lui avait sauvé la vie. Quelque part, elle avait sauvé la sienne, aussi. Une partie de ce qu'il en restait, en tout cas.

« T'as fait exprès d'aller sur son balcon, je suis sûr, » dit-il en tapotant gentiment son petit nez rose. « Coquine. »

Lady lâche un miaulement dont l'intensité est proportionnelle à sa taille. Adrien sent ses lèvres se redresser. Il se demande à quoi sa prochaine rencontre avec Marinette ressemblera. Est-ce qu'elle se souviendra de ce qu'elle a dit la veille ? Est-ce qu'elle se souviendra de ce qu'elle a fait ? Pas autant que lui s'en souvient, c'est sûr. Il n'arrête pas de penser à son rire, sa fossette gauche, ses taches de rousseur, ses cheveux courts, ses tatouages. Il pense à quel point elle a maigri, aussi.

Elle qui était si musclée et si gourmande au lycée. Elle mangeait tout le temps. Adrien repense au croissant avec la pâte à tartiner et la chantilly qu'elle lui avait fait cet après-midi où il était venu réviser chez elle. Il pouvait presque entendre son rire.

Son cœur se serre en pensant à la finesse de ses cuisses et de ses bras, au creux de ses joues et à quel point ses seins avaient minci, même s'ils n'avaient jamais été particulièrement imposants. Adrien la trouve toujours magnifique. Il la trouverait toujours magnifique, qu'elle pèse quinze kilos de mois ou quinze kilos de plus, qu'elle soit tatouée des pieds à la tête ou qu'elle coupe tous ses cheveux. C'est juste que... il ne peut s'empêcher de se demander pourquoi elle a perdu autant de poids. Peut-être n'y-a-t-il aucune raison. Peut-être a-t-elle juste arrêté de pratiquer du sport par soucis de temps ou d'envie. Mais elle a toujours adoré faire du sport, se rappelle-t-il. Peut-être est-ce juste la manière dont son corps a évolué. Ou peut-être qu'elle était tellement triste qu'elle a arrêté de manger. Peut-être que c'est ta faute.

Il repense aux côtes qu'il pouvait deviner derrière ses tatouages. Repense à l'Adrien de seize ans, complètement esclave de l'image que son père avait sur son corps. Repense à ses côtes à lui qu'il avait pu voir dans le miroir quand Marinette était partie. Repense à la force et à la patience dont il a dû faire preuve pour apprendre à s'alimenter correctement et sortir de ses troubles.

On n'en sort jamais vraiment. Adrien le sait bien. Il se le rappelle à chaque fois qu'il se regarde dans le miroir. À chaque fois que son père pose ses yeux sur lui. Il a arrêté d'agir en fonction de ce qu'il voit dans ses yeux. Avant, s'il y distinguait ne serait-ce qu'une once de déplaisance, il se plongeait dans un régime drastique et refusait toute nourriture qu'il jugeait trop riche — c'est-à-dire à peu près tout.

Aujourd'hui, il a réussi à trouver un équilibre. Un équilibre précaire, mais un équilibre quand même. Il fait du sport et constitue lui-même ses repas. Il ne se prive plus comme il l'a fait toute son adolescence et écoute son corps.

Ça lui arrive cependant de renouer avec ses vieux démons. Quand Marinette est venue toquer à sa porte pour lui parler de Lila, par exemple, il n'a pas mangé la journée qui a suivi. Quand il a une discussion avec son père — ce qui n'arrive plus très souvent, heureusement — il ne mange rien dans les douze heures qui précèdent leur entretien. Les habitudes ont la vie dure, après tout.

Il ne veut pas que Marinette ait à vivre quelque chose comme ça. Il ne veut pas qu'elle se retrouve au-dessus des toilettes, à vomir tout ce qu'elle a mangé dans la journée. Il ne veut pas qu'elle se retrouve en larmes face à son miroir, à se demander pourquoi elle n'est jamais satisfaite du reflet. Il ne veut pas qu'elle se change dix fois avant de trouver une tenue dans laquelle elle se sent bien. Il ne veut pas qu'elle mène la vie dure au corps qui la maintient en vie. Il aime ce corps. Ce corps qui lui permet de bouger, de tomber, de courir, de devenir complètement incontrôlable quand l'alcool est impliqué et de faire tout un tas de choses qui le rendent fou. Ce corps qui abrite sa personne préférée.

Ce corps mérite d'être chéri et protégé. Comme tous les autres.


« Elle t'a appelé ?

— Yep. Dimanche.

— Elle t'a dit quoi ?

— Elle m'a engueulé de l'avoir laissée seule avec toi, samedi soir.

— Pourquoi ?

— Parce que, je cite : tu sais très bien comment je suis comment je bois trop et tu sais très bien comment je suis quand je bois trop et que je me retrouve seule avec Adrien. »

Adrien fronce les sourcils. Son cœur fait une pirouette dans sa poitrine. « Qu'est-ce que ça veut dire ?

— Qu'elle devient un peu trop honnête et un peu trop physique quand elle boit trop et qu'elle tenait pas spécialement à devenir un peu trop honnête et un peu trop physique avec toi.

— Hmmm, » marmonne Adrien.

Nino marque une courte pause. « Qu'est-ce qu'elle t'a dit ? »

Adrien ne répond rien.

« Qu'est-ce qu'elle a fait ?

— Rien. Enfin, si. Enfin, j'en sais rien.

— Qu'est-ce que t'as fait ?

— Rien ! Je l'ai mise au lit, c'est tout !

— Oui, elle m'a raconté l'enlevage de robe, le démaquillage et la bassine au pied de son lit. Alya a trouvé ça adorable. Qu'est-ce qu'il s'est passé d'autre ? »

Adrien écarquille les yeux et un vieil homme lui jette un regard étrange alors qu'il traverse un passage piéton. « Pourquoi tu pars du principe qu'il s'est passé quelque chose d'autre ? Je l'ai aidée à aller jusqu'à son lit en un seul morceau, je lui ai enlevé sa robe, j'ai essayé de lui faire enfiler un tee-shirt, je—

— Essayé ?

— Elle avait pas envie. J'ai pas insisté.

— Bien sûr que non. »

Le ton réprobateur de Nino lui fait lever les yeux au ciel. « Si tu voulais pas que je m'en charge, il fallait pas la laisser toute seule avec moi—

— Je rigole, Adrien. Je l'aurais pas laissée avec toi si j'avais pas eu confiance. »

Est-ce que ça veut dire qu'il lui fait confiance ? Suffisamment pour le laisser prendre soin de Marinette, en tout cas. Adrien sait à quel point elle est importante à ses yeux et donc, par extension, à quel point ce geste est symbolique.

« Je te ferai toujours confiance avec elle. Je veux dire, ce serait le comble de pas le faire. J'ai jamais rencontré quelqu'un d'aussi... » Désespéré ? Tellement loyal que ça en devient effrayant ? « Amoureux. »

Bon, il suppose que ça fonctionne aussi. « C'est exactement pour ça qu'il s'est rien passé, » insiste Adrien.

« Tu l'as quand même vue à moitié à poil.

— Oui, mais...

— Mais ? »

Adrien pousse un soupir. « J'en sais rien. » Il sait qu'elle ne se souvient pas de grand-chose. Sait que ça n'a sûrement pas la même signification pour elle que ça en a pour lui. Sait qu'il va penser à ses tatouages et à ce petit chat noir pour le reste de sa vie. « C'était pas toute une histoire.

— Tu mens, mais je vais faire comme si je te croyais.

— Je mens pas—

— C'est pas ce que je voulais te dire, de base. Marinette, elle... »

Adrien s'arrête en plein milieu du trottoir. « Quoi ?

— Elle va bien. C'est juste que... elle sait que tu lui caches des trucs. Elle sait que y a un truc pas clair avec toi et... elle a pas l'air décidée à lâcher l'affaire. »

Adrien se remet à marcher. C'est étrange, ce sentiment qui le prend aux tripes. Un mélange d'angoisse que Marinette découvre la vérité et de soulagement qu'elle comprenne qu'il n'est pas juste devenu un enfoiré.

Mais elle ne peut pas connaître la vérité. Pas toute. Pas maintenant. Un soupir lui échappe. Il repense à la manière dont il a dû la porter sur son épaule pour la faire rentrer dans le bar. Il y a des choses qui ne changent jamais, et le fait que Marinette soit une tête de mule en fait partie.

« Tu devrais lui dire, » ajoute Nino. « Tu devrais lui dire avant qu'elle le découvre par elle-même.

— Je peux pas. Pas maintenant, pas avant que je sache exactement ce que mon père sait et ce qu'il compte faire. »

Nino soupire à son tour. « Tu retardes juste le moment, Adrien.

— Tu crois pas que j'ai envie de lui dire la vérité ? Tu crois pas que je pense au moment où je lui dirai tous les jours depuis quatre ans ? Si je pouvais, je lui dirais. » Il essaie d'oublier l'expression qu'elle pourrait bien afficher si elle savait que son père est — était — Papillon, qu'il est devenu son plus grand ennemi sans même qu'il ne le sache, qu'il torture ses hommes les week-ends et qu'il couche avec Lila pour qu'elle garde son secret. Essaie d'oublier le dégoût et la pitié avec laquelle elle le regarderait. Il lui dirait, s'il pouvait. « Mais, Ryle, c'était que le début. Imagine ce que mon père pourrait faire s'il était sûr de qui elle était ? Imagine ce qu'il pourrait faire si elle mettait le nez dans ses affaires ? Parce qu'elle le ferait. Tu sais très bien qu'elle le ferait.

— Bien sûr qu'elle le ferait, » soupire Nino. « Mais, au final, il s'est rien passé avec Ryle—

— Parce que j'étais là ! Parce qu'Enzo était là ! Même si elle avait remarqué qu'il essayait de la droguer, il aurait trouvé un autre moyen pour l'atteindre. »

Nino ne répond rien. Il n'y a rien à répondre.

Ryle était dangereux, mais Adrien connaît les hommes qui travaillent avec son père. Certains sont monstrueux et n'auront aucuns scrupules à faire quoi que ce soit à une jeune femme de vingt et un ans.

Ryle était fort et avait un sacré crochet du droit — sa mâchoire s'en souvient bien. Mais ces hommes, ils sont mortels. Ce ne serait pas seulement sa mâchoire qui s'en rappellerait. Et Marinette devrait avoir bien plus qu'une soirée trop arrosée pour oublier ce qu'ils pourraient lui faire.

« Adrien, » dit Nino. « Est-ce que t'as fait la même chose avec Ryle ? Tu sais, faire des recherches ?

— Oui, » souffle-t-il.

Nino n'a pas tout vu, ce soir-là. Il n'a vu que des coups de poings, des coups de pieds, n'a entendu que des hurlements superficiels. Enzo, avec de l'aide, l'a emmené au même endroit où ils avaient interrogé Léo.

Adrien se revoit, dans cette ruelle obscure, à expliquer à Nino pourquoi il venait d'exploser la figure d'un inconnu et pourquoi un autre inconnu venait de le ligoter et de l'emmener avec d'autres inconnus. Toute cette confusion, toute cette colère et ce dégoût sur son visage, tout cela avait secoué Adrien qui était déjà ébranlé par ce à quoi Marinette venait d'échapper.

Il n'avait pas été capable de tuer Ryle lui-même. L'interrogatoire n'avait pas donné grand-chose. Il n'avait avoué aucun nom, n'avait donné aucune piste, rien. Pourtant, Enzo n'y était pas allé de main morte.

Ce soir-là, Nino l'avait attendu devant chez lui. Marinette et Alya dormaient toutes les deux dans l'appartement qu'il partageait avec cette dernière et il s'était glissé en douce en dehors de l'immeuble. Il avait eu besoin de réponses. Adrien lui avait révélé partiellement la vérité. Le reste avait suivi, le week-end dernier.

Bien qu'il ne sache toujours pas tout. Lila. Il ne parle pas de Lila.

« Je vais essayer de lui faire lâcher l'affaire, » déclare Nino. « Essayer. Mais... ça m'étonnerait qu'elle le fasse.

— Ça m'étonnerait aussi. J'ai juste besoin d'un peu de temps, d'accord ? Plagg m'a donné un sursis avant de tout lui dire. Jusqu'à son anniversaire.

— Il peut se passer beaucoup de choses en deux mois et demi, Adrien.

— Je sais, » souffle-t-il. « Je veux juste... Elle mérite encore d'avoir une vie normale.

— Elle mérite beaucoup de choses.

— Je sais, » répète-t-il. « Elle mérite mieux. » Mieux que moi. « C'est ce que j'essaie de lui donner. »

Nino ne répond rien. Il n'y a pas grand-chose à répondre, de toute façon. Adrien arrive à proximité du café où Mélanie travaille. Et Marinette. « Je te laisse. Je te redis s'il y a du nouveau, d'accord ?

— D'accord. »

Pas de prend soin de toi, de fais attention ou de on se voit bientôt. Nino ne lui fait confiance que quand ça concerne Marinette. Il ne lui a rien raconté de sa vie, ne lui a pas parlé de son travail ni d'Alya.

Ce n'est pas leur amitié qu'ils ont récupérée, c'est un accord taciturne entre deux personnes qui tiennent tous les deux à Marinette.

C'est mieux que rien, suppose Adrien.

L'odeur du café et du sucre l'enveloppe à peine a-t-il franchi la porte du café. Mélanie est au comptoir, occupée à servir un client. Adrien attend son tour, ses yeux allant et venant à la recherche de Marinette. Peut-être qu'elle ne travaille pas aujourd'hui.

Ce serait étrange. Elle n'aurait pas eu le temps de faire ses heures cette semaine, avec son stage. Hier après-midi, peut-être, mais elle travaille sûrement plus qu'un après-midi par semaine. Surtout que le café ferme à dix-neuf heures et qu'elle n'est pas sortie de son cours — son cours, c'est bizarre — avant seize heures. Le temps de retourner jusqu'ici, ça lui aurait à peine fait trois heures.

Adrien repense au moment où il a croisé ses yeux dans la salle de classe. Devoir enseigner à des étudiants de son âge, parfois plus, l'angoisse. Il ne se sent pas légitime de le faire, surtout. Tout ce qu'il sait, il l'a appris sur le tas, par son père et par tous ceux qu'il côtoie chez Gabriel. Même s'il est reconnu aujourd'hui et a autant de notions en gestion d'entreprise et en finances que s'il avait été sur les bancs de la fac, ça reste bizarre, comme expérience.

Mais voir le visage de Marinette, la voir dans cette petite robe noire, ses cheveux grossièrement rassemblés en un chignon à la base de sa nuque, la voir avait été suffisant pour l'apaiser.

Pendant un temps. Parce qu'il s'est ensuite demandé pourquoi Monsieur Moreau n'a pas pu assurer ce cours et pourquoi l'avait-on envoyé lui, à sa place. L'idée que son père soit impliqué ne quitte plus son esprit depuis hier après-midi. Il ne sait pas pourquoi il ferait ça mais sait que son père ne fait jamais rien sans raison.

Et s'il savait ? Et s'il l'avait fait suivre jusqu'au campus ? Jusqu'à chez elle ? Et si elle ne travaillait pas aujourd'hui pas parce qu'elle n'était pas censée mais parce qu'elle était absente ? Et si—

« Adrien ! » s'exclama Mélanie. « Comment ça va ? Je te sers la même chose—

— Marinette est là ? »

La bouche de Mélanie se referme aussitôt. Ses sourcils se froncent. Adrien sait ce qu'elle va répondre. Non, elle est absente aujourd'hui.

Il sent son cœur accélérer, sent l'air lui manquer. Ça y est, tout ce qu'il redoute depuis quatre ans est sur le point d'arriver. Où est-elle ? est-elle ? Adrien passe en revue tous les endroits où elle serait susceptible d'être retenue en otage. Mais elle n'est pas l'otage. Elle est la proie.

Sa gorge se serre. Son cœur bat si vite qu'il n'entend plus que son pouls à ses oreilles.

« Adrien ? »

Ses yeux dérivent automatiquement vers l'origine de la voix. À la seconde où il la voit, c'est comme si son cœur tombait dans sa poitrine. Sa gorge reste nouée. Nouée de soulagement. Elle est là, dans l'encadrement de la porte qui mène aux cuisines. Ses sourcils sont froncés.

Et Adrien écarquille les yeux en se rendant compte que tout le monde peut le voir alors qu'il vient d'échapper à la pire crise d'angoisse de sa vie. « Ma—Marinette, » balbutie-t-il. « Tu— Salut.

— Salut... ? »

Son inquiétude se dilue avec une teinte d'amusement mais il voit bien qu'elle reste confuse. « Tu veux quelque chose ?

— Non ! » Calme-toi, Adrien. Il ferme les yeux, avale sa salive, colle un faux sourire sur son visage, rouvre ses paupières. « Non, non, ça va. Je voulais juste... Rien.

— D'accord, » murmure-t-elle. « Désolée, je dois retourner—

— Oui, oui, vas-y ! Vas-y, vas-y. Désolé. »

Elle hoche la tête, lui sourit, évite le regard de Mélanie et retourne en cuisine.

Adrien s'accoude sur le comptoir, sa tête pressée entre ses mains.

« Mon Dieu, Adrien, c'était quoi, ça ? » s'exclame Mélanie. « Je croyais que t'étais doué avec les filles ! J'ai jamais vu une technique de drague aussi—

— C'était pas de la drague, » marmonne-t-il entre ses doigts.

« C'était quoi, alors... ?

— Rien, » soupire-t-il. « Oublie-ça, Mel. S'il-te-plaît ? »

Elle le fixe quelques secondes, les yeux plissés, appuyée contre le comptoir. « Oublier, non, » répond-elle en se redressant. « Mais je peux essayer de pas t'en parler.

— Mel—

— C'est le mieux que je puisse faire ! »

Adrien hoche la tête en se redressant à son tour. C'est mieux que rien. S'il apprenait à ne pas tirer de conclusions hâtives, aussi. Il s'est imaginé tout un scénario catastrophe en une minute, top chrono, juste parce qu'il ne l'a pas vue tout de suite.

Je deviens fou, se dit-il. Complètement taré.

« Tu me sers la même chose que d'habitude, s'il-te-plaît ? » demande-t-il d'une voix sans énergie. Il ne préfère pas penser à son état si Marinette avait vraiment été capturée.

Mélanie hoche la tête. « Tu viens, ce soir ? » demande-t-elle en faisant couler son café.

Adrien fronce les sourcils. « Venir où ?

— T'as pas vu les affiches ?

— Non. »

Il n'a pas le temps d'en chercher une du regard que Mélanie en pose une devant lui, sur le comptoir. Comet — 21h00 — Mini-concert, est écrit en lettres brunes sur l'affiche beige.

« Alors ? » demande-t-elle, un sourire au coin des lèvres.

« Marinette chante ? » Sa voix est pleine de surprise. Il se doutait qu'elle chantait toujours — elle qui adorait ça — mais est stupéfait qu'elle accepte de chanter en public. « Tu lui a promis quoi ?

— Rien du tout. Elle s'est proposée toute seule, » dit-elle, non sans fierté, en lui tendant son café.

Adrien écarquille les yeux. « Sérieux ?

— Hmmm. Bon, je l'ai un peu encouragée. Elle manque clairement de confiance en elle.

— Ah, ça, » soupire-t-il.

« Elle était pareille quand vous étiez ensemble ? » demande-t-elle avec nonchalance, comme si elle parlait du soleil dehors.

Adrien sait que Marinette ne lui a pas parlé d'eux. Pas en détails, en tout cas. Ça ne doit pas être très compliqué à deviner qu'ils ont partagé plus que le même lycée, suppose-t-il. Il pointe un doigt accusateur vers elle. « T'as dit que t'en parlerai plus.

— Que j'essaierais, » le corrige-t-elle. Elle lui tend le lecteur de carte, se pince les lèvres et garde cette expression faussement innocente sur le visage. « T'as intérêt à venir voir ton ex et future copine chanter ce soir. »

Il retire sa carte en poussant un soupir. « T'es vraiment—

— Une bonne amie, » le coupe-t-elle en lui souriant de toutes ses dents. « À ce soir ! » lui lance-t-elle.

Adrien réprime un sourire en sortant du café.


Il ne sait pas vraiment pourquoi il est là. Je devrais partir, se dit-il en voyant les visages surpris d'Alya, de Nino et de Chloé lorsqu'il pousse la porte du Comet. Je vais partir, décide-t-il face au regard stupéfait de Chloé.

Le bras de Mélanie le retient en lui entourant les épaules. « Adrien ! » sourit-elle. « Ça a pas commencé, tu sais. C'est pas l'heure de partir. »

Il lui adresse un faux sourire face à son ironie. « Je suis pas sûre que je devrais être là, » marmonne-t-il en sentant les trois paires d'yeux sur lui. « Marinette... Elle voudrait pas—

— Elle espère que tu seras là. »

Son cœur rate un battement. « C'est... c'est vrai ?

— Elle me l'a pas dit mais je l'ai vu dans ses yeux.

— Mel, » soupire-t-il.

« Je te jure ! Ses yeux disaient : Mel, j'espère vraiment qu'Adrien sera là pour me voir chanter dans ma jolie et minuscule robe

— Arrête ça, » grogne-t-il.

Mélanie étouffe un éclat de rire et Adrien a du mal à réprimer le sourire qui veut étirer ses lèvres.

« Allez, » insiste-t-elle. « Elle sera contente de te voir. J'en suis sûre. »

Il n'y a plus que de la sincérité dans sa voix. Adrien finit par hocher la tête. L'envie de l'entendre chanter est plus forte que la peur qu'elle ne veuille pas de lui ici.

Il finit assis à une table, à l'opposé de celle de Nino, Alya et Chloé. Il est lâche, de ne pas aller les confronter. Mais que peut-il bien leur dire ?

Salut, ça fait un bail ! Désolé de plus vous avoir donné de nouvelles du jour au lendemain mais j'étais trop occupé à me faire casser la gueule par mon père et à vendre mon corps contre mes secrets. Au fait, Nino est au courant mais il vous ment à cause de moi. Sinon, comment ça va, vous ? — quelle bonne manière de renouer des liens brisés.

Adrien se met à se trouver ridicule. Qu'est-ce qu'il fait ici ? Tout seul, assis à une table, caché au fond de la salle pleine à craquer, en attendant que Marinette monte sur scène pour l'entendre chanter — ça n'a absolument aucun sens. Mélanie a probablement mal déchiffré le regard de Marinette.

Même s'il meurt d'envie d'entendre sa voix et de voir cette minuscule robe, Adrien réalise qu'il n'a vraiment rien à faire ici. Mais, au moment où il amorce un mouvement pour se lever, une porte s'ouvre — probablement celle des vestiaires — et il ne peut plus aller bien loin puisque ses genoux ont tout simplement arrêté de fonctionner.

Marinette, un micro à la main, s'avance jusqu'à l'estrade au-devant de la salle. Adrien ne s'était même pas rendu compte qu'il y en avait une, avant aujourd'hui. Il n'arrive plus à détacher ses yeux de Marinette. Elle semble stressée. Ses lèvres brillent et ses yeux vont dans tous les sens dans la salle jusqu'à trouver la table d'Alya, Nino et Chloé. Ses épaules se détendent. Un petit peu.

Adrien essaie de se faire petit mais n'arrive toujours pas à détacher ses yeux d'elle. Mélanie lui prend le micro, parle, mais il n'entend pas. Les cheveux de Marinette sont libres sur ses épaules, leur noirceur contrastant avec la blancheur de sa robe. Celle-ci lui serre la taille et s'évase jusqu'au milieu de ses cuisses. Les manches sont légèrement bouffantes et Adrien rate une respiration en apercevant le dos-nu. Putain de merde, son tatouage.

Adrien pianote nerveusement ses doigts sur la table et tape le sol avec son pied. Lorsqu'elle pose son regard dans le sien, son corps entier se fige. Son cœur s'arrête, lui semble-t-il, et sa respiration se bloque.

Elle entrouvre légèrement sa bouche, signe de sa surprise. Et puis, elle sourit. Ce n'est presque rien, seulement une légère incurvation de ses lèvres, mais Adrien la fixe avec tellement d'attention qu'il le remarque autant que si elle venait d'éclater de rire.

Elle sourit. Elle lui sourit. Il n'y a pas d'agacement, pas d'angoisse. Juste un sourire. Adrien lui sourit en retour, comme l'idiot fou amoureux qu'il est.

Marinette prend à nouveau le micro d'une main tremblante. Adrien garde ses yeux rivés sur elle, espérant l'alléger de son angoisse à travers un regard.

« Merci d'être venus, » déclare-t-elle d'une voix incertaine. « Je suis un peu stressée, alors... essayez d'être indulgents. »

Une série d'applaudissements s'en suit et Adrien sourit en entendant le fan club que constitue la table de Nino, d'Alya et de Chloé.

La musique débute et Marinette ferme les yeux. Adrien se sent comme un enfant devant le sapin de Noël.

« Tell me what you're crying for

I'll wipe your tears, oh love

If your soul is aching love

We'll comfort you for sure »

Elle rouvre les yeux mais ne le regarde pas. Adrien continue de l'observer. Il voit son angoisse s'évaporer, ses épaules se relâcher un peu plus, ses lèvres se redresser.

« If we're caught in a wave, I will carry you over

It don't matter where you are, I'll run to your front door

When my head goes in different directions

You know my heart's never on the move

And in the dark times, you don't have to question

If I'm a hundred with you »

Adrien sent son cœur s'accélérer à mesure que son cerveau traduit les paroles. Quand Marinette plante ses yeux dans les siens, il a l'impression d'être hypnotisé.

« You could put an ocean between our love, love, love

It won't keep us apart

You could build a wall, I would run it up, up, up

Just to get to your heart »

Est-ce que respirer a toujours été aussi difficile ? Ou est-ce que ça lui devient impossible de faire fonctionner ses organes correctement lorsque Marinette le regarde comme ça ? Ses yeux le fixent avec une telle intensité.

Il sent les regards se tourner vers lui mais il ne peut pas détacher le sien de Marinette. Est-ce qu'elle pense à moi en chantant ça ? se demande-t-il. Non, impossible. Impossible, mais elle continue de le regarder.

« If we're caught in a wave

Baby, we'll make a way

You could put an ocean between our love, love, love

It won't keep us apart »

Merde, merde, merde, merde, merde

« Love, between our love

Love between our love

Shadows play on idle hands

I lose myself, I do

But I've found my way to velvet sands

I'll crash right into you

If were caught in a wave, I will carry you over

I don't matter where were we are

You're still the one I choose

When my head goes in different directions

You know my heart's never on the move

And the dark times you don't have to question

If I'm a hundred with you »

Respire. Respire. Respire, débile !

« You could put an ocean between our love, love, love

It won't keep us apart

You could build a wall, I would run it up, up, up

Just to get to your heart »

Ses yeux transpercent son âme, ce n'est pas possible autrement.

« If we're caught in a wave

Baby, we'll make a way

You could put an ocean between our love, love, love

It won't keep us apart

Love, between our love

Love between our love

You could put an ocean between our love, love, love

It won't keep us apart

You could build a wall, I would run it up, up, up

Just to get to your heart

If we're caught in a wave

Baby, we'll make a way

You could put an ocean between our love, love, love

It won't keep us apart »

Cinq secondes. Elle continue de le fixer pendant cinq secondes. Cinq secondes durant lesquelles Adrien essaie de lui communiquer tout ce qu'il peut à travers ses yeux. Je pourrais t'écouter chanter pour toujours. Est-ce que tu pensais ces paroles, Marinette ? Parce que moi, oui. On pourrait mettre tous les océans du monde entre nous que je serais toujours amoureux de toi, ma Lady.

Et puis, un tonnerre d'applaudissements remplace le son de sa voix. Le contact visuel se coupe et Adrien revient au monde réel. Le monde réel où il ne fait pas partie de sa vie et où elle ne se précipite pas vers lui mais vers ses amis.

Adrien s'accoude sur la table et plonge sa tête entre ses mains. Devant lui, il entend les félicitations, entend les rires, entend la voix de Marinette se fondre parmi les autres. Il entend une voix masculine parler anglais, entend Marinette parler anglais.

Adrien suppose que c'est un ami de New-York. Il se fige en entendant la voix de Luka. Ils sont probablement au téléphone ou en FaceTime. C'est mignon, qu'ils soient tous les deux restés éveillés malgré le décalage horaire pour écouter Marinette chanter.

Il ne peut pas s'empêcher de se dire qu'il aurait été à l'autre bout du monde sans dormir pour uniquement entendre sa voix.

« Hey. »

Son cœur refait ce truc — de s'arrêter un instant et de recommencer à battre à cent à l'heure. Adrien se redresse en une seconde. Marinette est là, dans sa jolie robe. Sa frange lui barre une partie du front et ses lèvres sont suffisamment redressées pour qu'il distingue sa fossette gauche.

« Hey, » murmure-t-il.

« Je suis contente que—

— C'était vraiment— »

Marinette baisse les yeux, son sourire s'intensifiant. Adrien se sent rougir. « Vas-y, » lui dit-elle.

« C'était vraiment incroyable. Très... intense. »

Elle lève à nouveau son regard vers lui et Adrien se sent figé sur place une nouvelle fois. « Merci, » souffle-t-elle. « Je suis contente que ça t'ait plu. J'étais pas sûre que tu viendrais.

— J'étais pas sûr non plus, » avoue-t-il. « Je voulais pas déranger. »

Marinette secoue la tête, comme s'il avait dit une atrocité. « Non ! Non, justement. » Elle semble hésiter. Ses joues deviennent un peu plus roses.

Adrien fronce les sourcils. Il s'attend à à peu près tout. À peu près tout, sauf ce qui sort de sa bouche.

« C'était pour toi. »

Court-circuit cérébral. Adrien sourit nerveusement. « Que... Quoi ? Quoi ? »

Marinette lui sourit au moins autant nerveusement. « La musique. Les paroles. C'était pour toi, » explique-t-elle. « Alors, si t'étais pas venu... » Elle pose sa main sur la table, près des siennes. « Ç'aurait un peu gâché le truc, tu vois. »

Court-circuit corporel.

Est-ce qu'elle dit ce que je crois qu'elle est en train de me dire ? « Pour moi, » répète-t-il.

Marinette hoche timidement la tête. Sa main frôle la sienne. Adrien ressent ce presque-contact dans tout son corps. Il baisse un instant les yeux vers sa main, observe ses doigts fins, observe la bague qui orne son annulaire. Il se rappelle cette fin d'après-midi sur leur palier quand il a remarqué qu'elle la portait toujours.

La bague de sa mère.

Adrien plonge à nouveau ses yeux dans les siens. Sa bouche s'entrouvre et il ne sait pas vraiment ce qu'il est sur le point de dire mais Marinette est suspendue à ses lèvres. Je t'aime. Je t'aime plus que ce soit humainement possible d'aimer quelqu'un et je veux tout te raconter, tout ce qu'il s'est passé pendant quatre ans. Je veux tout te dire, je veux tout savoir, je veux qu'on casse le mur entre nos appartements et qu'on habite ensemble. Je veux dormir avec toi toutes les nuits et pas que dormir, tant qu'on y est.

Il aurait été capable de lui déballer tout ça, là, en plein milieu d'un café, des dizaines d'oreilles autour d'eux. Il l'aurait probablement fait. Il l'aurait vraiment fait.

Mais les mots restent enfermés dans son cœur.

« Adrien ! »

Cette voix. Il se fige. Pas comme il s'est figé quand Marinette l'a regardé ou quand elle lui a dit que la musique était pour lui. Non, il se fige d'horreur.

Lila arrive de nulle part et se perche sur la table, entre lui et Marinette qui retire sa main en un éclair. Elle aussi, elle s'est figée.

« Comme c'est amusant de te retrouver ici ! » s'exclame-t-elle en posant sa main sur son avant-bras. « J'ai vu cette affiche et je me suis dit : pourquoi pas, ça peut être amusant ! Et quelle surprise ! Marinette ! » Elle darde ses yeux en sa direction, lui adressant le plus faux des sourires. « Je ne savais pas que tu étais rentrée ! Ça fait longtemps ?

— Un peu plus d'un mois, » répond-elle d'une voix qui démolit le cœur d'Adrien.

« C'est dingue, Adrien ne m'a rien dit ! » Il sait à son intonation qu'il va devoir se racheter cette nuit. Plusieurs fois. « Enfin bref, quelle coïncidence ! J'étais censée retrouver Adrien plus tard dans la soirée mais finalement, on se retrouve ici ! »

Menteuse. Ils n'étaient pas du tout censés se retrouver. Adrien doit mobiliser chaque cellule de son corps pour ne pas retirer son bras.

Il voit le visage de Marinette se décomposer. Il peut presque imaginer son cœur se désintégrer dans sa poitrine. Il déteste Lila. Mais il est presque sûr qu'il se déteste encore plus.

« Tu veux qu'on reste un peu ou qu'on aille directement chez toi ? » lui demande-t-elle en faisant semblant d'être discrète. « J'ai quelques idées pour ce soir—

Lila

— Je vais vous laisser, » interrompt Marinette. « Merci d'être venus. »

Pas un regard pour lui. Elle fonce vers les vestiaires et Adrien se lève machinalement de sa chaise. Lila appuie sa main sur son torse. « N'y pense même pas. »

Devant lui, Alya lui jette un regard noir, Nino lève les bras en signe de confusion et Chloé ne prend même pas la peine de se retourner avant d'aller à la poursuite de Marinette.


Je sais que c'est un chapitre assez lourd mais il est nécessaire pour faire avancer l'histoire.

N'hésitez pas à me dire ce que vous en avez pensé ! On se retrouve la semaine prochaine pour un de mes chapitres préférés !

— Lucie.