hello !

vraiment désolée pour le retard, c'est un peu compliqué de gérer l'écriture et l'erasmus mais ça va venir, c'est juste un rythme à prendre. je vous laisse avec le chapitre, bonne lecture à tout le monde !


« Kiss me hard before you go

Summertime sadness

Think I'll miss you forever

Like the stars miss the sun in the morning sky »

Summertime Sadness — Lana Del Rey


Août 2022

Marinette traîne des pieds en remontant les escaliers. Sa semaine n'a vraiment pas bien commencé.

Déjà, elle s'est réveillée en retard. La tenue qu'elle a préparé la veille ne rendait pas du tout comme dans sa tête. Elle a raté son métro. Elle n'a pas eu le temps de se faire son café chez elle et a donc dû le prendre à la machine à café à son stage et il était vraiment dégoûtant.

En plus, elle n'a pas vu Adrien de la journée. Durant sa première semaine de stage, ils se sont croisés tous les jours. Que ce soit au détour d'un couloir, pour lui présenter quelqu'un ou pour lui montrer quelque chose, elle avait toujours le droit à son petit sourire qui fait faire à son cœur tout un tas de soubresauts.

Toutes ces occasions et il ne lui a jamais dit qu'il allait lui donner un cours. Adrien, son professeur. Marinette a un tas de pensées en rapport à cette idée. Beaucoup d'elles impliquent une salle de cours vide et un bureau, débarrassé de ses affaires d'un mouvement de bras pressé.

Elle ferme les yeux en arrivant au deuxième étage. Penser à Adrien lui fait ressentir beaucoup de choses mais, aujourd'hui, c'est l'angoisse qui l'emporte. Elle repense à la musique, repense à ses paroles, à la manière dont elle a chanté et pensé chaque mot, son regard plongé dans celui d'Adrien. Elle lui a dit, lui a dit que c'était pour lui.

Ce qu'il y avait dans ses yeux, à cet instant, Marinette n'arrive pas à l'oublier. C'était comme un appel à l'aide. Elle n'en démord pas : il y a quelque chose qui cloche. Et elle serait prête à mettre sa main à couper que ce quelque chose à un rapport avec Lila, étant donné la peur et le désespoir sur le visage d'Adrien à la seconde où il s'est rendu compte de sa présence.

Marinette soupire en montant une nouvelle volée de marches. Elle ne sait pas quoi faire. Après la catastrophe du café, comme elle aime l'appeler, elle n'a rien trouvé d'autre que de s'enfermer dans la salle de repos. Son cœur était trop lourd et sa gorge trop serrée. Elle a eu besoin d'une minute. Ou de dix. Alya, Chloé et Nino se sont précipités à sa poursuite et elle leur a assuré que ça allait, que c'était juste le fait de voir Lila.

C'était vrai. Ce n'est juste pas toute la vérité. C'était le fait de voir Lila mais aussi de voir Lila avec Adrien. L'image de sa main sur son avant-bras, de ses yeux tournés vers lui, ça lui avait donné envie de vomir.

Atlas et Luka, toujours sur le téléphone d'Alya, n'avaient pas compris grand-chose et Marinette avait passé une bonne partie du lendemain à leur envoyer des messages pour les rassurer et les remercier pour tous leurs compliments sur sa performance. Ç'a été une bonne performance. Remplie d'émotions. Elle n'a juste pas eu la fin escomptée.

À quoi tu t'attendais ? À ce qu'il te prenne dans ses bras, qu'il t'embrasse, que tout le monde applaudisse et que vous viviez heureux jusqu'à la fin des temps ? Ça fait longtemps qu'elle ne croit plus à cette finalité.

Elle veut juste savoir. Juste s'assurer qu'il est en sécurité. Heureux. C'est tout ce qu'elle demande.

Peut-être qu'il est heureux, se dit-elle, parfois. Mais elle repense à ses cicatrices, repense au manque d'émotions sur son visage, à ses faux sourires, à la manière dont il a sauté sur Ryle, à ses yeux qui se sont voilés de terreur à l'arrivée de Lila. Pas de l'agacement, pas de la tristesse. Non, de la terreur. Il a peur. Mais peur de quoi ?

Marinette se pose cette même question depuis quarante-huit heures. Elle ne l'a pas revu depuis. Quand elle a fini par rentrer chez elle, le samedi soir, elle ne l'a pas croisé et il n'y avait aucun bruit dans son appartement. Elle ne l'a pas croisé hier, non plus. Pas même à l'entrée de l'immeuble ou dans les escaliers comme des voisins normaux. Et, aujourd'hui, il n'était pas au travail.

C'est bizarre. Peut-être qu'il était seulement en réunion ou qu'ils ne se sont simplement pas vus — ce serait possible, les locaux de Gabriel sont très grands. Mais Marinette a un mauvais pressentiment.

Elle grimpe la dernière marche et fouille dans son sac, à la recherche de ses clés. Au moment où un juron s'échappe de ses lèvres, la porte d'Adrien s'ouvre. Marinette se fige.

Il s'immobilise aussi, sa porte se refermant derrière lui. Ses cheveux sont lâchés, aujourd'hui, et arrivent jusqu'au milieu de son cou. Un sac de sport sur l'épaule, il porte un short et un débardeur, comme la fois où elle l'a croisé sur ce même palier, après qu'elle l'ait insulté.

« Salut, » déclare-t-elle d'une petite voix.

« Salut. » Sa voix est sans énergie. Son visage, aussi. Il semble complètement lessivé. Au-delà de la fatigue apparente, il a l'air... ailleurs. Comme s'il se battait pour rester à la surface.

Marinette fait instinctivement un pas vers lui. « Je t'ai pas vu, aujourd'hui. » Il fronce les sourcils. « Au travail. Je t'ai pas vu au travail.

— Ah. Non, non, j'étais... pas là. » Il ferme ses yeux un instant. « Je devais m'occuper de quelque chose. »

Marinette hoche la tête en baissant le regard et en se demandant s'il ne devait pas s'occuper de quelqu'un, plutôt.

Adrien la surprend en faisant un pas dans sa direction. « Mari, » murmure-t-il. « Je suis tellement désolé, pour l'autre soir... Je savais pas que... J'en savais rien. »

Elle lève à nouveau ses yeux, haut, haut, haut jusqu'à rencontrer les siens. La sincérité qu'elle y voit la frappe. Il est vraiment désolé. « Ça va. C'est pas comme si elle m'avait arraché le micro des mains, non plus, » répond-elle en tentant un sourire.

Les lèvres d'Adrien se redressent à peine, mais c'est toujours ça. « T'as fait quoi aujourd'hui ? » demande-t-il en appuyant son épaule contre le mur qui sépare leurs deux portes.

Marinette essaie de ne pas paraître trop surprise qu'il lui pose la question. « Oh, j'ai aidé Julie avec la Fashion Week. À, je cite, préparer les préparations. »

Ses lèvres se redressent un peu plus, cette fois-ci. « Tu fais toujours des vêtements ? »

Est-ce qu'il est vraiment en train de lui parler de sa vie sur le palier ? Apparemment, oui, c'est ce qu'il fait. Marinette hoche la tête en souriant. « Toujours, oui. Je me penche sur un autre projet, en ce moment.

— Oh ?

— Hmmm, » affirme-t-elle. « Tu veux... tu veux qu'on aille prendre un café ? Ou manger quelque chose ? Ou boire un verre ? »

Elle réussit à lui arracher un vrai sourire, cette fois-ci. Son cœur bat trop fort. « Là, tout de suite, je peux pas, je dois... » Il marque une courte pause, semble réfléchir un instant et se redresse. « Tu veux venir avec moi ? »

Marinette fronce les sourcils. « Venir... où ? »

Nouveau sourire. Cœur qui bat trop vite. « Surprise ? »

Elle n'arrive même pas à hésiter. Avec ce sourire et cet espoir qui brille dans ses yeux, elle l'aurait suivi n'importe où.

« T'as une voiture ! » s'exclame Marinette en arrivant dans le parking de l'immeuble.

Malgré l'obscurité, elle arrive à distinguer un fragment de ses dents blanches découvertes par son sourire.

« Pas n'importe quelle voiture, » ajoute-t-il lorsque les phares d'une voiture noire s'allument.

Marinette n'y connaît pas grand-chose en voitures mais elle doit reconnaître que celle d'Adrien a une certaine classe. « Pas mal. »

Adrien secoue la tête, visiblement amusé. Il sait qu'elle ne peut pas en dire davantage étant donné que son expérience de conduite n'a jamais vraiment commencé. Passer le permis à Paris était déjà dans le top cinq des choses qu'elle redoutait le plus mais passer le permis à New-York ? Nope. Ça n'arrivera pas.

« Oh, c'est mignon ! » le taquine-t-elle en désignant le diffuseur d'odeur en forme de chat accroché au rétroviseur intérieur.

Adrien lève les yeux au ciel en ne réussissant pas à réfréner son sourire. « Tais-toi et attache-toi. »

Elle lui obéit à moitié. « C'est quoi son nom, à lui ? » demande-t-elle en attachant sa ceinture. « Lady deux ? »

Le faux regard noir qu'il lui lance en se tournant pour faire sa marche arrière la fait sourire un peu plus. « Te moque pas du prénom de mon chat.

— Je me moque pas. C'est un très joli prénom.

— Je sais. C'est bien pour ça que je l'ai choisi.

Juste pour ça ? »

Il se pince les lèvres pour ne pas trop sourire et Marinette reporte ses yeux devant elle. Son cœur va finir par exploser dans sa poitrine si elle continue de le regarder.

« Alors, » dit-il une fois sortis du parking. « Ce projet ? »

Ça lui fait tout drôle de le voir conduire. C'est bizarrement... excitant ? J'ai vraiment un problème, se lamente-t-elle intérieurement.

« Hein ? Projet ? » répète-t-elle, troublée. « Ah, oui, oui ! Mon projet, » dit-elle en se concentrant pour ne pas tourner ses yeux vers lui sinon elle va voir ce stupide sourire et ce ne serait pas une très bonne idée. « J'ai touché à peu près à tout, jusqu'à maintenant, en termes de vêtements. Donc j'avais pensé à essayer la lingerie ? »

Il ne répond pas alors Marinette finit par tourner légèrement sa tête. Ses yeux sont rivés sur la route et sa main se pose sur le levier de vitesses. Marinette observe sa pomme d'Adam suivre le rythme de sa déglutition. « T'as déjà des idées ?

— Pas mal, oui. J'ai dessiné quelques trucs, mais c'est encore brouillon, » explique-t-elle en regardant à nouveau devant elle. « On a un projet de fin d'étude avec mon école et je voulais faire quelque chose qui sort du lot. » Elle hausse les épaules. « J'en sais rien.

— C'est une bonne idée. Enfin, je suis pas très renseigné parce qu'on fait pas de lingerie chez Gabriel et que c'est un monde assez séparé de celui des vêtements, en général. Mais je suis sûr que tu pourrais faire quelque chose de bien. »

Marinette laisse son regard dériver à nouveau vers le levier de vitesse. Il ne porte pas de bagues, aujourd'hui. « J'essaie de garder ça dans un coin de ma tête mais de pas trop y penser, sinon je vais trop stresser, et... tu sais. »

Il ne cache pas son sourire, cette fois. « Oui, je sais.

— Acheter les tissus, la dentelle, c'est super cher ! Faire de bonnes photos, trouver un mannequin, » énumère-t-elle.

Ils s'arrête à un feu rouge. « Tu pourrais le faire.

— Faire quoi ?

— Mannequin.

— Moi ? Non.

— Pourquoi ? » demande-t-il en tournant les yeux vers elle.

Marinette hausse les épaules. « J'y ai jamais pensé. Je pourrais demander à Alya, elle est plus à l'aise. »

Ses sourcils se froncent légèrement. « À l'aise avec quoi ?

— Son corps ? L'idée de porter de la lingerie ?

— T'as déjà porté de la lingerie, » fait-il remarquer.

Marinette se sent rougir et Adrien dérive immédiatement le regard lorsque le feu passe au vert — ou peut-être pour cacher le fait qu'il rougisse, lui aussi.

« C'était différent. J'étais différente. Et puis, personne m'a pris en photo— Enfin, si, mais, tu vois ce que je veux dire ! »

Un petit rire lui échappe et Marinette essaie d'imprimer ce son magique pour se le repasser en boucle. « Oui, je vois ce que tu veux dire. C'est juste que... la lingerie, c'est personnel, et encore plus quand tu la dessines. Alors, qui pourrait mieux la porter que toi ? »

Ses paroles résonnent dans sa tête. Il a raison. Il a raison mais il ne connaît pas tous ses tourments, ne connaît que la Marinette à l'aise avec son corps et avec son image dans le miroir. Aujourd'hui, elle a seulement l'impression de traîner une enveloppe corporelle pleine de souvenirs — de mauvais souvenirs.

Ses yeux se posent sur la cicatrice de son bras gauche. Une parmi tant d'autres. Elle pense aux cicatrices sur ses mains, à lui. Est-il à l'aise avec elles ? Les a-t-il acceptées ? Il ne semble plus se battre avec son corps comme il le faisait au lycée, en tout cas.

Quoique, qu'est-ce qu'elle en sait ? Le nombre de fois où ils ont eu une réelle discussion depuis qu'elle est rentrée se compte sur les doigts d'une main.

« C'est vrai, » finit-elle par répondre. « Mais, justement, je crois que je suis pas prête à en dévoiler autant. »

Du coin de l'œil, elle distingue un hochement de tête. L'impression qu'il ne dit pas tout ce qu'il pense ne la quitte pas, mais elle ne pose pas la question.

Le reste du trajet se fait en silence, jusqu'à ce qu'ils arrivent sur un parking.

« Une salle de sport ? Tu m'emmènes faire du sport ?

— Non, pas faire du sport. »

Marinette fronce les sourcils. Le sport entre eux, ç'a toujours été un peu aphrodisiaque. Elle se demande ce qu'elle ressentirait s'ils étaient amenés à s'entraîner à nouveau ensemble. Une frustration dévorante, très probablement.

« Tu viens ? » demande-t-il, un sourcil haussé, en détachant sa ceinture.

Ce sourire. Elle ne sait pas ce qu'il veut lui montrer, mais elle a très envie de le découvrir.

Marinette se sent un peu à côté de la plaque en entrant dans le bâtiment. Ses talons et son pantalon de tailleur contrastent avec les shorts de sport et les t-shirts trempés par l'effort.

« Tout le monde me regarde, » murmure-t-elle à Adrien qui la guide à travers la salle.

« Bien sûr que tout le monde te regarde, » répond-il en saluant de la main quelques personnes au passage.

Elle le regarde derrière son épaule et surprend ses yeux rivés dans son dos. Elle porte un body ajusté dont le dos-nu laisse entrevoir la totalité de son tatouage. Marinette hausse un sourcil lorsqu'il pose à nouveau son regard dans le sien.

« Tu les a pas déjà assez vus ? » demande-t-elle.

« Pas celui-là. Mais c'est vrai que j'ai eu une vision assez nette de ceux de devant.

— Je le savais ! » murmure-t-elle, plus fort, cette fois-ci, en tendant un index accusateur alors qu'il l'entraîne vers des escaliers. « Adrien Agreste—

— M'appelle pas comme ça, c'est toi qui a pas voulu enlever ta robe toute seule.

— J'étais bourrée

— Je pense que t'étais autre chose, mais si tu veux.

— Espèce de—

— Chut, y a des enfants. »

Marinette détache ses yeux de son sourire espiègle et regarde à nouveau devant elle. Derrière la porte qu'ils viennent de franchir se trouvent effectivement des enfants.

La porte se referme et un tumulte de voix accueille Adrien, soudainement entouré d'une horde.

« Adrien !

— On fait quoi, aujourd'hui ?

— Pourquoi t'étais pas là, vendredi ?

— On a eu un remplaçant !

— Il était pas gentil ! »

Adrien lève furtivement les yeux vers elle, suffisamment pour attirer l'attention générale. Marinette sourit nerveusement aux têtes qui se tournent vers elle.

« Adrien, c'est qui la dame ?

— Pourquoi elle est habillée comme ça ?

— Elle est super belle.

— C'est ton amoureuse ?

— Elle va faire le cours avec nous ?

— Comment elle s'appelle ? »

Son sourire passe de nerveux à attendri. Adrien pose son sac par terre. « Elle s'appelle Marinette. Non, elle va pas faire le cours avec nous. Elle vient juste regarder, d'accord ? »

Quelques sourcils se froncent, quelques sourires s'agrandissent. « Vous allez vous changer ? On commence dans cinq minutes. »

Ils se précipitent jusqu'aux portes de chaque côté de la pièce, les filles d'un côté et les garçons de l'autre. Adrien s'accroupit pour ouvrir son sac et Marinette observe les quelques enfants qui continuent d'arriver, escortés par leurs parents.

« T'es prof de karaté pour des enfants ?

— Comment t'as deviné ?

— Bah... ils sont vraiment tout petits— »

Son rire — tellement sincère qu'il lui fait rater une respiration — la coupe dans sa phrase. Il lève ses yeux vers elle et Marinette le revoit, à seize ans, cette même lumière dans les yeux. « Pour le karaté. Comment t'as deviné que j'étais prof de karaté ? »

Elle hausse les épaules. « J'ai dit au hasard. Depuis quand tu fais ça ? »

Il salue un parent qui quitte la salle. « Un an et-demi, quelque chose comme ça. Je m'entraîne dans cette salle depuis plus longtemps que ça — trois ans, peut-être — et j'ai vu qu'ils cherchaient un prof. Je prenais des cours d'arts martiaux en parallèle et puis j'ai un... passif. » Chat Noir. Parfois elle oublie que, fût un temps, ils étaient deux personnes différentes. Aujourd'hui, elle ne s'imagine jamais l'un sans l'autre. « Alors, j'ai postulé. J'avais besoin de faire quelque chose de moins... » Il cherche ses mots, hésite quelques secondes.

« De moins Adrien ? De plus Chat Noir ? »

Il lève ses yeux de son sac. « Exactement, » souffle-t-il, surpris, comme si elle avait lu à travers lui. Peut-être que son super-pouvoir de déchiffrer Adrien Agreste n'a pas totalement disparu, finalement. S'il pouvait être un peu plus effectif, elle lui en serait cependant très reconnaissante. « Ils peuvent être un peu insupportables, » dit-il en se relevant. « Mais ils sont vraiment adorables et... je me sens utile, tu sais ? »

Marinette lève son regard vers le sien. Elle hoche la tête. « Ça me manque, » avoue-t-elle. « De me sentir utile.

— Tu veux donner des cours aussi ? » demande-t-il en souriant.

Marinette pouffe de rire. « J'ai pas ta patience. »

Son cœur sursaute lorsqu'il se rapproche légèrement d'elle. « C'est vrai, » murmure-t-il. « T'es pas patiente du tout. »

Il se passe quelque chose. Dans leur échange de regard, il y a aussi un échange de souvenirs. De souvenirs qui témoignent de la non-patience de Marinette et d'à quel point Adrien aimait en jouer.

Elle sursaute en entendant des cris et des pieds courir sur le tatami. Le contact visuel se rompt et Marinette ferme les yeux une seconde en reprenant sa respiration.

Lorsqu'elle rouvre les paupières, elle se sent sourire. Ils sont absolument adorables dans leurs kimonos. « Pas de kimono pour toi ?

— Déçue ?

— Un peu, » avoue-t-elle.

Ses sourcils se haussent, ses lèvres s'entrouvrent et, durant l'espace d'une seconde, Marinette oublie. Elle oublie où ils sont, oublie ce qu'il s'est passé, oublie ce qu'il se passe, oublie l'abandon et la tristesse et son cœur brisé. Durant cette seconde qui a un arrière-goût de paradis, elle a l'impression d'avoir seize ans et de découvrir le monde, de le découvrir, lui. N'est-ce pas la même chose, finalement ?

Parce que, quand il est parti, c'est son monde qui s'est écroulé.

Cette réalisation lui fait baisser les yeux. La volonté de découvrir ce qu'Adrien lui cache est plus forte que sa propre peur de le voir quitter sa vie à nouveau, mais ça ne veut pas dire que cette peur n'occupe pas chaque recoin de son cerveau.

Qu'est-ce que ça veut dire ? Il n'est même pas vraiment revenu dans sa vie qu'elle est déjà terrorisée à l'idée qu'il disparaisse. Je suis si dépendante de lui que ça ? se demande-t-elle en l'observant, les yeux de tous ces enfants levés vers lui, le sourire aux lèvres alors qu'il leur explique la leçon du jour.

Quelle perspective est-elle la plus terrifiante ? Le fait de le perdre à nouveau ou le fait de dépendre de lui à tel point qu'elle n'arrive plus à penser à autre chose ?

Elle pensait avoir guéri de ça. Avoir guéri de lui. Peut-être qu'elle n'a jamais guéri. Peut-être que certaines blessures ne sont pas guérissables.

Marinette a du mal à penser à autre chose. Le remue-ménage dans sa tête lui rappelle tout un tas de souvenirs du lycée et de son arrivée à New-York. Le voir avec des enfants n'aide définitivement pas à rediriger ses pensées.

Elle se demande s'il sait qu'elle lui cache des choses, comme elle sait qu'il le fait avec elle. Peut-être qu'il n'en a aucune idée. Peut-être qu'il n'en a rien à faire. Cette perspective lui serre le cœur. Et comme à peu près à chaque fois qu'un sentiment semblable à de la tristesse lui noue la gorge, Marinette ne peut s'empêcher d'être en colère contre elle-même.

Elle a été triste et misérable trop longtemps. Il est hors de question qu'elle se laisse à nouveau sombrer pour une perspective.

« Marinette ? »

Elle sursaute, ses yeux quittant les enfants occupés à donner des coups de pied en avant pour se poser dans ceux d'Adrien.

Ses sourcils sont légèrement froncés. « Ça va ? » lui demande-t-il, en se rapprochant suffisamment pour que leur conversation soit privée. « T'as l'air... ailleurs ? »

Elle hausse les épaules. Que peut-elle lui répondre ? Que oui, elle est ailleurs, replongée des années en arrière parce que le voir avec des enfants lui fait éprouver tout un tas de choses ?

« J'aurais dû te dire où on allait, je suis désolé si... peut-être que tu avais d'autres choses à faire ? »

Sa phrase, l'hésitation dans ses mots, la déception dans sa voix, Marinette se sent précipitée dans le présent en un clin d'œil. « Non, » se dépêche-t-elle de répondre. « Non, non. » Elle lui sourit. « Je suis contente d'être là. Vraiment. »

La couleur sur les joues d'Adrien l'ancre un peu plus dans le moment. C'est réel, se dit-elle. Peu importe ce qui est arrivé, peu importe ce qui arrivera, cet instant est réel. Il est là. Il est vraiment là.

« Je peux t'aider ? » lui demande-t-elle.

« M'aider ?

— Tu sais, pour le cours ? Leur montrer quelque chose ou... j'en sais rien.

— Tu veux m'aider ?

— Oui, » assure-t-elle, un petit rire quittant son nez. « C'est ce que je viens de dire. »

Adrien met quelques secondes à analyser l'information. Il cligne des yeux, la confusion fronçant ses sourcils. Et puis, il hoche la tête, un sourire se frayant un chemin sur son visage, parallèle à celui qui redresse déjà les lèvres de Marinette. « J'allais leur montrer une nouvelle technique. Ce serait bien d'avoir quelqu'un de ma taille — ou presque — pour leur faire la démo. »

Ou presque — Marinette ne lutte même pas contre l'envie de lever les yeux au ciel.

Leur discussion n'a même pas duré une minute, pourtant ils se retrouvent déjà encerclés par une dizaine d'enfants en kimono.

« Est-ce que tu viendras nous voir à chaque fois ?

— C'est quoi dans ton dos ?

— C'est un tatouage, Yanis. T'es bête ou quoi ?

— Sarah... » avertit Adrien.

Marinette se sent sourire. Elle s'accroupit, jusqu'à ce que ses yeux soient à la hauteur des enfants. « Je ne sais pas si je viendrais à chaque fois, » répond-elle, « combien de fois vous voyez Adrien par semaine ?

— Deux ! Le mardi et le vendredi !

— Tu peux nous montrer ton tatouage de plus près ? »

L'intérêt de Yanis pour son tatouage la fait sourire un peu plus. Elle hoche la tête et tourne son buste, non sans jeter un coup d'œil à Adrien au passage. Les bras croisés, il observe la scène, un sourire aux lèvres.

Yanis pose ses yeux sur son dos. « Sunsets are proof endings can be beautiful too, » lit-il avec un accent approximatif. « Ça veut dire quoi ?

Sunset ça veut dire coucher de soleil, je crois, » intervient Sarah en se rapprochant.

Marinette hoche la tête. « Tu as raison. Ça veut dire : les couchers de soleil sont la preuve que les fins peuvent être belles, aussi. » Cette fois, lorsqu'elle lève ses yeux vers Adrien, il ne sourit plus. Son regard est fixé sur son dos.

« C'est joli, » commente Yanis. « Le dessin du soleil aussi. »

Marinette lui sourit. « Merci, » répond-elle en lui tapotant gentiment le bout du nez.

« Pourquoi t'as fait ça comme tatouage ? » lui demande Sarah, ses yeux rivés dans les siens.

Marinette ouvre la bouche, mais rien n'en sort.

« Allez, la pause est finie, » intervient Adrien. « On va poursuivre le cours sinon on va encore finir en retard. Allez, allez, » encourage-t-il. « Je vais vous montrer le coup de poing vertical — ça s'appelle le tate zuki. »

Sarah, Yanis et les autres se tiennent debout devant eux, leur attention rivée sur Adrien. C'est impressionnant, la manière dont ils l'écoutent, le respectent et l'apprécient tout à la fois.

« Tu veux toujours m'aider ? » lui demande-t-il.

Marinette hoche la tête en levant ses yeux dans les siens. Son cœur bat un peu trop vite, lui rappelant que c'est la raison de son tatouage qui la regarde et lui parle à ce moment même.

« Il faut que tu te rapproches un peu, alors, » murmure-t-il. Le demi pas en avant qu'elle fait vers lui le fait sourire. « Un peu plus. » Il secoue la tête lorsqu'elle recommence. Ses mains tombent jusqu'à sa taille, la rapprochant davantage de lui. « Comme ça. »

Marinette sent sa respiration se couper un instant. Ses mains lui semblent si grandes sur sa taille. Son corps semble avoir une mémoire à lui tout seul, puisqu'un frisson coule le long de sa colonne vertébrale.

Marinette ferme les paupières, s'autorisant trois secondes pour énumérer les raisons pour lesquelles elle ne devrait pas ressentir ça :

1. Il y a des enfants.

2. C'est Adrien.

3. C'est une très mauvaise idée.

4. Arrête d'imaginer ses mains autre part, Marinette.

Lorsqu'elle rouvre ses yeux, le regard d'Adrien lui dit qu'il vient de dresser une liste similaire dans sa tête. Il lui dit aussi, lorsqu'il retire ses mains de sa taille, que le contact lui manque autant qu'à elle.

« Bouge pas, » lui dit-il.

Marinette hoche la tête, essaie d'oublier l'essoufflement qu'elle a entendu dans sa voix. Échoue.

« Mettez votre jambe dominante en avant et pliez le genou, » explique-t-il en même temps qu'il s'exécute. « Votre autre jambe doit être tendue derrière vous et votre pied bien en appui sur le sol, le talon relevé. Tenez-vous bien droit, le buste bien gainé comme je vous ai montré. C'est votre bras opposé à votre jambe dominante qui va faire le travail, » explique-t-il en désignant son bras gauche. « L'autre bras reste plié contre vous. Gardez bien les yeux sur la cible. »

L'intensité avec laquelle les yeux d'Adrien se plongent dans les siens lui fait rater une respiration. Marinette se répète en boucle les quatre points que constituent sa liste.

Soudain, le bras gauche d'Adrien se tend, son poing s'arrêtant à un millimètre de sa poitrine. Est-ce qu'il peut sentir la vitesse à laquelle bat son cœur, à cette distance ?

« À votre tour, maintenant, » déclare-t-il en se redressant et en éloignant son bras. « Vous allez passer par groupe de deux. »

Des petits groupes se forment rapidement devant eux. Marinette croise les bras, essayant désespérément de ralentir son rythme cardiaque. Calme-toi.

Les élèves défilent deux par deux, s'entraînant au tate zuki. Adrien leur montre comment placer leurs jambes, leur rappelle de rester bien gainé et arrête parfois leur poing avant qu'il ne touche leur binôme.

Marinette observe son sérieux et la passion qui semble l'animer, montrant juste à quel point il aime enseigner. Il a toujours été pédagogue, se dit Marinette en se rappelant les nombreuses fois où il l'avait aidé sur leurs devoirs de physique et tous ces mois où il l'avait coaché. Elle avait toujours tendance à s'énerver trop vite mais il ne perdait jamais patience.

Le contraste entre cet Adrien — son Adrien — et celui qu'elle a entraperçu depuis son retour la heurte à nouveau. Impossible. C'est impossible qu'il soit ces deux personnes à la fois.

C'est cependant toute la complexité de la nature humaine : le bien et le mal cohabitent, le bon et le mauvais se côtoient.

Elle le sait. Elle le sait très bien. Mais non.

« Ce sera tout pour aujourd'hui ! » déclare Adrien. « Allez-vous changer, vos parents ne devraient plus tarder. »

Marinette, les bras toujours croisés, lui sourit timidement lorsqu'il s'avance vers elle.

« Alors ?

— Alors, t'es toujours un très bon prof.

— Ah oui ?

— Hmmm, » affirme-t-elle. Elle ne sait pas quoi dire d'autre, les seules phrases que son cerveau lui offre sont trop... trop. Trop d'arrière-pensées, trop de questions qu'elle ne doit pas poser ici, pas poser maintenant.

« S'ils sont comme toi, ils vont tous finir par me dépasser. »

Marinette sourit en marchant jusqu'au bord du tatami où elle a laissé ses chaussures. « C'est pas vraiment le même genre d'enseignement. » Voilà : trop. T'aurais dû garder ta bouche fermée.

Lorsqu'elle se redresse, Adrien est bien plus proche qu'elle ne s'y attendait — bien plus proche qu'il ne le devrait. « C'est pas très professionnel, mais... t'étais mon élève préférée. »

Marinette garde ses yeux baissés. Ses pieds sont vraiment grands, comparés aux siens. Tout est grand chez lui. Non, Marinette, pense pas à ça. Vilain cerveau. Vilain, vilain cerveau.

« Mari ? » murmure-t-il.

Elle finit par lever son visage vers le sien. Ses pupilles sont un peu trop dilatées. Son corps un peu trop proche. L'électricité entre eux un peu trop présente.

La sensation de ses mains contre sa taille ne la quitte pas, comme si ses empreintes étaient imprimées sur sa peau depuis longtemps et qu'il avait ravivé le souvenir. Et quel souvenir.

« Tu—

— Adrien ! Jules m'a volé ma chaussure ! »

Quelque chose à la limite du soupir et du rire quitte la bouche d'Adrien. Marinette ne sait pas si elle sent frustrée ou soulagée lorsque son corps s'éloigne du sien.

Avec Adrien, elle ne sait jamais.

Le trajet du retour se fait en silence. Marinette ne se fait pas confiance pour lui parler sans flirter. Ils ont toujours flirté — même à quatorze ans, Chat Noir draguait déjà Ladybug, bon sang ! Elle ne connait que ça, avec lui. C'est leur moyen de communiquer. C'était.

Marinette soupire, sa tête contre le siège en cuir. La sonnerie de son téléphone la fait sursauter.

« Atlas ? Tout va bien ? » demande-t-elle en anglais. Le changement de langue attire l'attention d'Adrien.

« Oui, oui, tout va bien. Je t'appelais juste comme ça, avant d'aller dormir. T'es toujours à ton stage ?

— Non, non, j'ai fini depuis un moment. Je suis... avec un ami. » Un ami. Ça sonne amer sur sa langue. Ils se sont appelés amis des centaines de fois mais ne l'ont jamais été — pas que, en tout cas. Le sont-ils, aujourd'hui ? Probablement pas.

« Je le connais ?

— Non, non, tu le connais pas. C'est mon voisin.

— Ton voisin ? Celui qui fait du bruit en—

— Non ! Enfin, si, mais non ! » Du coin de l'œil, elle voit Adrien lui lancer un regard confus. Merde, elle aurait préféré qu'il ne comprenne pas l'anglais. « C'est pas lui qui fait du bruit, » murmure-t-elle — comme si celui à six mille kilomètres d'elle allait l'entendre mais pas celui à cinquante centimètres.

« Qu'est-ce que tu fais avec ton voisin qui se tape des filles très bruyantes, alors ? »

Marinette se recroqueville dans son siège. « On est amis, je te dis.

— Hmmm...

— Atlas Corrigan, ne me dis pas hmmm ! »

Le léger rire de son ancien colocataire résonne contre son oreille. « C'est juste la manière dont tu dis amis. C'est... ça sonne faux.

— Ça sonne pas faux ! J'ai plein d'amis ! » rétorque-t-elle en ignorant le regard qu'Adrien lui lance.

« Hmmm...

— Je vais choisir de t'ignorer, » marmonne-t-elle.

« Je vais choisir d'ignorer que tu m'ignores. T'as parlé à Luka, récemment ?

— Pas depuis quelques jours. Pourquoi ?

— Comme ça.

— Comment il va ? » demande-t-elle, s'attirant un nouveau coup d'œil d'Adrien.

« Vous parlez pas de ça ?

— Non. Pas vraiment. »

Ils parlent de leur vie en surface mais n'abordent jamais les sujets qui fâchent. Comme les sentiments de Luka pour elle et le fait qu'elle ne se sente pas prête de les accepter — sous aucune forme.

Atlas soupire. « C'est Luka. Il sourit, il est là pour tout le monde, mais il est un peu... ailleurs ? » Marinette ne répond rien. « Il s'en remettra, tu sais.

— Tu crois ?

— Oui. Tout le monde s'en remet. »

Pas tout le monde, non. « Je suppose. »

Un léger silence flotte entre eux. Un silence de secrets. « Je vais te laisser avec ton ami. On se rappelle plus tard ? »

Marinette ignore la première partie de sa phrase. « On se rappelle plus tard. Bonne nuit, Atlas. »

Elle soupire en reposant son téléphone.

« Un ami de New-York ? » demande Adrien.

Elle hoche la tête. « Atlas. C'était mon colocataire. » Un léger silence flotte entre eux et Marinette a besoin de parler. Ses pensées sont trop pessimistes pour qu'elle soit laissée seule avec elles. « Il me faisait le petit-déjeuner, » lâche-t-elle. « Gaufres, pancakes, hash browns, porridge, il pouvait me faire n'importe quoi. Il adore cuisiner. Sa mère est cheffe au Ghenet. C'est à Brooklyn. J'y suis déjà allée plusieurs fois, c'est vraiment incroyable. Et sa mère lui a appris à cuisiner, donc il cuisine super bien. Ce qui explique les petits-déjeuners. » Tu devrais peut-être arrêter de parler, là. Mais elle continue. « C'était vraiment bien, surtout quand j'avais la gueule de bois. Pas que ça arrivait si souvent que ça, hein ! Enfin, si, quand même, mais pas tout le temps, non plus. Bref, la nourriture d'Atlas aidait. Ça épongeait l'alcool ou j'en sais rien. Je pâtissais pour lui, aussi. J'aimais bien lui faire des croissants parce que là-bas, je te le dis, Adrien, c'est un crime ce qu'ils font ! Ils vendent cette pâte toute faite, Crescents. Je sais pas ce que c'est censé être, mais sûrement pas un croissant. Enfin bref, je lui faisais des vrais croissants. Et du vrai pain, aussi. Parce que, tu trouves tout un tas de choses aux États-Unis — les boissons là-bas, ça se vend dans des bouteilles énormes, elles font genre trois litres, c'est dingue ! — mais sûrement pas de baguettes. C'était vraiment dur les premières semaines, sans croissant ni baguettes mais avec des bidons de jus de fruit, c'était vraiment bizarre— »

Sa tirade est interrompue par Adrien qui pouffe de rire et, à en juger par le sourire qui s'étend sur ses lèvres, ce n'est pas son premier éclat de rire depuis le début de son monologue mais seulement le premier qu'elle entend.

« Te moque pas de moi, vous auriez été perdus aussi, toi et ton sang français.

— Probablement, » avoue-t-il. « C'est juste... t'as réussi à me parler de ton coloc, de sa mère, de ses petits-déjeuners, des croissants et des bidons de jus de fruit aux États-Unis en quarante-cinq secondes, » explique-t-il. Ce léger sourire qui continue de flotter sur ses lèvres et cette intonation dans sa voix, est-ce que ce serait de l'attendrissement ? Non. Non, impossible. Il a juste trouvé ça drôle. La vitesse à laquelle elle peut déblatérer. La quantité d'informations qu'elle peut lâcher en moins d'une minute — est-ce qu'elle vient vraiment de lui parler de croissants ?

« C'est mignon, les monologues que tu fais quand t'es stressée. »

Garde tes yeux devant toi. Tu ne rougis pas. L'esprit l'emporte sur la matière. Tu ne rougis pas. « Je suis pas stressée.

— Si. Un petit peu. Riquiqui.

— Depuis quand tu dis riquiqui ? » demande-t-elle en lui jetant un coup d'œil.

« Depuis quand t'es stressée avec moi ? »

Marinette referme la bouche, l'observe un instant. Son sourire a disparu, sa mâchoire se contracte légèrement et il est sur le point de la regarder. Elle le sait parce que son visage pivote.

Elle détourne les yeux au dernier moment, ne peut pas savoir si Adrien a deviné ses pensées — depuis que tu m'as abandonnée. Depuis que tu m'as laissée et que j'ai la trouille que tu refasses la même chose.

« Je suis pas stressée, » répète-t-elle.

Il ne répond rien. Le silence s'installe entre eux et Marinette ne tente aucun monologue pour le rompre, cette fois-ci.


Septembre 2022

Le mois d'août arrive rapidement à terme. La deuxième semaine de septembre est déjà entamée et les températures restent trop hautes. L'air reste lourd, aussi.

Mais ce n'est pas seulement dû à la chaleur qui persiste. Il y a cette étrange tension.

Entre Alya et Nino — cette première est convaincue qu'il ne lui dit pas tout sur cette soudaine amitié renouée avec Adrien. Nino rétorque à chaque fois qu'ils ne sont pas amis, qu'ils s'adressent seulement la parole parce que c'est le voisin de Marinette et qu'ils ont un passé commun. Alya lui répond toujours que ça ne l'empêche pas, elle, de ne pas lui décrocher un mot si elle a le malheur de le croiser dans l'immeuble de Marinette ou au Comet.

Marinette n'en veut pas à Nino — Alya lui en veut bien assez pour deux personnes. Et elle suppose que s'il ne dit pas ce qui se trame avec Adrien, c'est qu'il ne le peut pas. Ce qui n'appuie que davantage sa théorie selon laquelle il se trame quelque chose avec Adrien.

L'atmosphère est tendue entre Adrien et Nino, aussi. Ça lui arrive de surprendre Nino en train d'entrer ou de sortir de l'appartement d'Adrien. (Elle évite d'en parler à Alya.) Chaque fois, Nino semble sur le point de l'égorger. Ou de s'égorger lui-même. Elle ne l'a jamais vu autant sur les nerfs.

Bien sûr, la championne de l'ambiance la plus lourde est bien celle entre Adrien et elle. C'est bizarre. Ce mélange de non-dits, de rancune, d'affection, de curiosité et de quelque chose d'autre qui rend le tout particulièrement pesant. Chaque interaction est à la fois familière, cette connaissance qu'ils ont de l'autre les faisant presque deviner leur prochaine réplique, mais aussi étrangère. Marinette ne sait jamais sur quel Adrien elle va tomber. S'il sera de bonne humeur ou s'il lui adressera à peine un sourire. S'il sera bavard ou s'il lui accordera seulement un salut sans émotion. C'est la roulette russe. Et ça commence à lui donner sérieusement mal à la tête.

Elle ne sait plus par quel bout le prendre. Avant, elle savait exactement comment orienter ses phrases, savait exactement quoi dire pour le pousser à se confier. Aujourd'hui, elle a sans arrêt peur de dire ce qu'il ne faut pas et de le voir se renfermer encore plus.

Elle doit trouver ce qu'il ne va pas.

Elle a remarqué beaucoup de choses. Il est constamment fatigué — a l'air constamment fatigué, en tout cas. Il rentre toujours tard, bien plus tard qu'elle. Elle ne l'entend jamais partir, pourtant il est toujours là lorsqu'elle arrive à son stage. Elle a l'impression qu'il est un fantôme, parfois. Il a l'air plus détendu les mardis et les vendredis et Marinette en a conclu que c'était parce qu'il donnait ses cours de karaté, ces jours-là — il ne lui a d'ailleurs pas reproposé de l'accompagner et si elle ne croulait pas déjà sous le travail, Marinette aurait sûrement été vexée. (Ou peut-être qu'elle l'est quand même.) Lorsqu'elle passe la nuit chez ses parents ou chez Alya et Nino, il paraît toujours à l'apothéose du stress quand elle le croise en rentrant chez elle. Chaque fois qu'il passe prendre un café au Comet, il y a ces regards entre lui et Mélanie que Marinette n'arrive pas à déchiffrer — Adrien semble juste très agacé, mais elle ne sait pas pourquoi. Elle observe ses cicatrices dès qu'elle le sert, aussi. Il a souvent de nouvelles contusions. Jamais sur son visage, toujours sur ses mains. Elle entend toujours les manifestations du plaisir de Lila à travers le mur mais ne l'entend jamais, lui. Et elle ne croise jamais Lila. Elle se demande si elle sait qu'elle habite juste à côté. Probablement, Adrien a dû lui dire. Enfin, elle suppose.

Ça fait un paquet de choses observées, mais Marinette n'arrive pas à trouver de liens entre ces éléments.

« Tout est OK pour ce soir ? »

Elle passe forcément à côté de quelque chose. Un détail qui permettrait de tout relier, une donnée qui lui manque pour comprendre.

« Mari ? »

Comment obtenir ce détail ?

« Mari ? »

Elle pose la part de cheesecake sur la table et lève les yeux vers Alya. « Désolée, quoi ? »

Un soupire quitte ses lèvres souriantes — lassée mais attendrie. « Soirée chez toi ? Ce soir ? »

C'est vrai. Elle n'a pas du tout oublié. Non. Pas du tout. Absolument pas. Une vingtaine de personnes dans son petit appartement parisien, un samedi soir, comment pourrait-elle oublier ?

« Je crois qu'elle avait oublié, » intervient Chloé en prenant une bouchée de cheesecake. Marinette tourne ses yeux vers elle, immédiatement absorbée par son regard céruléen et son maquillage impeccable.

« Je crois aussi, » assure Alix, assise à sa droite. La teinture rose de ses cheveux est bien moins criarde qu'elle ne l'était quelques années auparavant. Le rose est désormais tellement clair qu'il se mêle à ses mèches blondes. Ses sourcils sont plus foncés, stigmate de sa couleur châtain naturelle. Ses cheveux blond-rose et ses yeux bleus contrastent avec sa tenue — toute noire et faite de cuir.

« Non ! » proteste-t-elle face à ses trois amies. « Non, pas du tout. J'étais juste... ailleurs. »

Alya porte à ses lèvres le moka qu'elle vient de lui ramener. Le regard qu'elle lui lance et le sourcil qu'elle hausse lui demandent silencieusement si tout va bien — truc de meilleure amie. Marinette hoche légèrement la tête pour la rassurer.

Chloé lèche la crème de son cheesecake sur sa fourchette. « On peut annuler, si t'es trop fatiguée, » lui propose-t-elle. « Ou faire un truc plus tranquille. Toi, moi... » Elle baisse le regard un instant. « Nous quatre. »

Alix repose son expresso en lançant un regard en coin à Chloé. « C'est chez toi, Mari, dis-nous ce que tu préfères, » lui dit-elle.

Marinette leur sourit avec sincérité. Plus par nervosité que par réel besoin, elle resserre son tablier à la taille. « Non, ça ira, vraiment. Tout le monde est déjà prévenu et puis ça me fera du bien de faire autre chose de mon samedi soir que de réviser, » assure-t-elle. La transition a été drastique : d'un été rempli de sorties et de gueules de bois, elle est passée d'un quotidien où les jours qui ne sont pas occupés par son stage sont dédiés au Comet et aux révisions.

Alya lui sourit, Chloé garde ses yeux sur elle et sa langue sur sa fourchette et Alix hoche la tête, sa tasse à ses lèvres. « Mais on pourrait se faire quelque chose toutes les quatre, aussi, » ajoute-t-elle en souriant à Chloé. « Avec Rose, Juleka et Mylène, aussi. Je pourrais même demander à Mel et à Jade de venir, ça pourrait être... » Alya perd soudainement son sourire, Chloé semble prête à commettre un meurtre et Alix écarquille les yeux. « Bien, » lâche Marinette, les sourcils froncés. « Qu'est-ce que— »

Ses mots meurent sur ses lèvres au moment où elle se retourne. Adrien est là. Avec sa chemise blanche, son pantalon à pinces noir et des richelieus à ses pieds.

Marinette sent son cœur faire cette chose insupportable dans sa poitrine et le besoin de se rapprocher lui chatouiller les muscles. Comme si une force la poussait vers lui.

Le regard d'Adrien se pose dans le sien, dérive un instant derrière elle avant de se concentrer à nouveau sur elle. Soudain, ça la heurte. Comment obtenir ce détail pour tout relier.

« Je dois y aller, » lâche-t-elle en reportant ses yeux sur ses amies. « Le devoir m'appelle.

— Personne peut le servir à ta place ? » demande Chloé avec animosité.

« Si, probablement, » avoue-t-elle. « Mais c'est mon travail, tu sais. » Chloé hausse les épaules, le soleil de fin d'après-midi se reflétant dans ses boucles blondes. « Je vous appelle dès que j'ai fini, d'accord ? »

Alix et Alya hochent la tête. « À ce soir, » lui dit cette dernière, non sans lâcher un regard assassin à Adrien.

Marinette rejoint le comptoir devant lequel Adrien se tient, en train de pianoter sur son téléphone. Elle le soupçonne de l'avoir dans les mains seulement pour avoir quelque chose à regarder. « Comme d'habitude ? » lui demande-t-elle.

Il lève les yeux vers elle. Quelque chose s'allume dans son regard. « S'il-te-plaît. »

Marinette hoche la tête et attrape un gobelet vide. Un silence non identifiable se dresse entre eux alors qu'elle se met à préparer son café.

« Est-ce qu'elles veulent me tuer avec leurs yeux ou quelque chose du genre ? » demande-t-il.

Marinette n'a pas besoin de le regarder pour savoir de qui il parle. « Quelque chose du genre, » répond-elle, un léger sourire lui retroussant les lèvres.

« Les enfants arrêtent pas de me demander quand est-ce que tu vas revenir. »

Marinette le regarde par-dessus son épaule. « C'est vrai ?

— Enfin, je pense qu'ils parlaient de toi. La jolie dame avec les tatouages, je vois que toi.

— T'as pas ramené d'autre fille ? » le taquine-t-elle en versant le lait dans le café.

« Non, » répond-il simplement. Sa voix n'est pas ferme mais elle est catégorique. Il ne ment pas.

« Tu m'as jamais reproposé, » trouve-t-elle le courage de dire en posant son café sur le comptoir.

Adrien baisse son regard dans le sien. « Tu voulais que je te repropose ? » Il parle suffisamment fort pour qu'elle l'entende au-dessus des rires et des discussions mais suffisamment doucement pour la faire frissonner.

Marinette maintient son regard quelques secondes et finit par hausser les épaules. Poule mouillée. Bien sûr que tu voulais qu'il te repropose. « Je fais une soirée chez moi, » lâche-t-elle quelques secondes plus tard en ajoutant l'extrait de vanille. « Ce soir. » Dis-le, dis-le, dis-le. Dis-le, bon sang ! «Tu veux venir ? »

Le temps passe. Le silence persiste. Marinette lève les yeux vers lui, s'attendant à voir de la confusion, de l'embarras parce qu'il est sur le point de refuser. Mais tout ce qu'elle observe, c'est de la surprise. « Venir ? Chez toi ? Ce soir ? Moi ? »

Marinette referme son gobelet en souriant. « C'est ce que je viens de dire, oui.

— Oui mais... t'es sûre ?

— Oui ? Oui. Viens. »

Sa stupeur est tellement authentique. Il est sans voix. Littéralement.

Marinette lui tend son café. « Tu sais quoi, répond pas maintenant. Fais comme tu le sens. C'est sur ton chemin, de toute façon. »

« Pourquoi j'ai dit ça, sérieusement ? » grommelle-t-elle. Des heures sont passées, le soleil s'est couché et l'alcool a fait son apparition.

« Je suis d'accord, t'aurais jamais dû lui demander de venir, » dit Chloé, un verre à la main. Le serre-tête en perles sur le sommet de sa tête, la robe blazer blanche et les sandales à talons assorties qu'elle porte lui donnent un air presque angélique.

Le contraste avec les cheveux de jais, la robe noire dont la fente est bordée de fils pailletés et les imposantes bottes à plateformes de Marinette est saisissant. « Non. J'aurais pas dû le laisser partir sans savoir s'il venait ou non, » rectifie-t-elle, s'attirant le regard de Chloé. « Maintenant j'arrête pas de me demander s'il va se pointer— arrête de me regarder comme ça ! »

Chloé lève les yeux au ciel en prenant une gorgée du liquide ambré qui ondule dans son verre. « Je comprends pas pourquoi tu lui as demandé de venir, tout court.

— Parce que je veux savoir ce qui va pas—

— Je sais, » soupire Chloé. « Je sais, tu parles de ça dix fois par jour alors je suis au courant. » Marinette fronce les sourcils. Chloé ferme un instant les yeux. « Désolée, » lâche-t-elle en rouvrant les paupières. « Ça doit être l'alcool. Je... Je vais me chercher un verre d'eau. »

Elle observe son amie se diriger vers sa cuisine, confuse et embarrassée. Elle n'a pas l'impression d'en parler tant que ça puisque la plupart de ses théories concernant Adrien ne quittent pas la sécurité de son esprit.

Mais peut-être qu'elle en parle vraiment trop. Marinette soupire en se pinçant l'arête du nez. De l'air, elle a besoin d'air.

Je veux pas me résumer à lui, pense-t-elle en s'accoudant sur la rambarde de son balcon. Elle est tellement plus que ça. C'est juste qu'il occupe une importante partie de ses préoccupations ces temps-ci.

Peut-être qu'il ne le devrait pas.

« Tu fuis ta propre soirée ? »

Marinette ferme un instant ses paupières, prend une grande inspiration et tourne ses yeux à gauche. Sans surprise, Adrien se tient sur son balcon. Ses cheveux sont détachés et ondulent au rythme de la légère brise de début de soirée. C'est presque un sourire qui se dessine sur ses lèvres. « Tu fuis ma soirée, » corrige-t-elle.

Il baisse un instant la tête et se met à marcher vers elle. « En fait... j'allais partir de chez moi, » dit-il en s'arrêtant au niveau de la cloison entre les deux balcons.

Marinette, toujours accoudée à la rambarde, hausse ses sourcils. Il ne porte pas son éternelle chemise blanche et pantalon à pince noir ni de tenue de sport ni de ce qu'il pourrait porter pour rester chez lui. Sa chemise en satin couleur crème est légèrement déboutonnée et un assortiment de colliers dorés reposent sur son torse halé. Marinette sent un léger sourire retrousser le côté de ses lèvres. Elle repense à la chemise à paillettes qu'il portait ce soir-là, au bar. Son sourire s'agrandit en pensant juste à quel point son père doit détester les habits de son fils.

« C'est vrai ? » demande-t-elle d'une voix à peine plus forte qu'un murmure.

Adrien hoche la tête. « Oui, j'ai rêvé toute la semaine de me retrouver dans une pièce pleine de personnes qui me détestent. »

Un gloussement lui échappe. « Tu passes par la porte ou— » Il enjambe la cloison et se retrouve à moins d'un mètre d'elle. « Pas. »

Adrien l'imite et s'appuie contre la balustrade, un léger sourire flottant toujours au coin de ses lèvres. « C'est quoi ? » demande-t-il en désignant le verre dans sa main droite.

Marinette lui tend. « Goûte. »

Il ne prend pas le verre comme elle s'y était attendue mais pose sa main sur la sienne, portant le récipient à ses lèvres en gardant ses yeux dans les siens. L'alcool et les températures toujours hautes pour un mois de septembre lui tiennent chaud, mais elle frissonne quand même.

La grimace de dégoût sur le visage d'Adrien lui arrache un éclat de rire. « C'est... fort, » déclare-t-il, sa main toujours sur la sienne. « Fais attention ou je vais encore devoir te mettre au lit. »

Marinette passe sa langue sur ses lèvres et doit se souvenir de respirer en remarquant les yeux d'Adrien suivre le mouvement. « Ce serait si terrible ? »

Terrain glissant. Tu vas tomber et la chute va faire mal.

Adrien se baisse légèrement vers elle. « Ça dépend, » murmure-t-il. Sa bouche s'entrouvre et Marinette sait que ce qui va en sortir va lui couper la respiration et lui faire souhaiter qu'il n'y ait pas deux douzaines de personnes à proximité. Elle connaît cette flamme dans son regard, connaît la manière dont ses yeux se plissent légèrement — il est sur le point de dire quelque chose de salace.

Et, mon Dieu, elle a tellement envie de l'entendre.

« Mari, on a besoin de tes verres à shots, où— Oh, désolée, je vais— Adrien ? »

Marinette ferme ses paupières un instant. « Alix, » grogne-t-elle. « Je t'ai montré un milliard de fois où ils étaient ! Dans le placard, derrière les bols, à droite ! »

Alix cligne des yeux. Une fois. Deux fois. Trois fois. Ouvre sa bouche. Fronce ses sourcils. Pointe son index vers Adrien. « Comment t'as... t'es passé par la fenêtre ? »

Son agacement et l'alcool ingéré lui font presque révéler qu'Adrien est son voisin mais elle ravale sa réponse à la dernière seconde — seuls Alya et Nino sont au courant.

« Non, » répond simplement Adrien, sa main quittant la sienne.

Alix continue de froncer les sourcils. « Chloé te cherche, Mari, » lui dit-elle en continuant de scruter Adrien.

« J'arrive. » Alix ne bouge pas d'un centimètre. « J'arrive, Alix, d'accord ?

— OK, OK, je me tire. Mais que je vous retrouve pas à vous galocher sur le balcon—

Alix !

— Ce serait pas la première fois qu'on vous trouve dans un coin en train de vous lécher la face !

— On n'a plus seize ans ! »

Alix ne répond pas mais lui lance un ultime regard de mise en garde qui lui fait lever les yeux au ciel. « Qu'est-ce qu'elle peut être insupportable— Arrête de sourire comme ça !

— Comme quoi ?

— Comme si on avait seize ans ! »

Le sourire d'Adrien ne s'agrandit que davantage et s'avère extrêmement contagieux.

L'alcool délie les langues, dit-on. Certaines langues, peut-être. Mais d'autres semblent être tellement amères de rancune qu'elles restent ligotées. Alya et Chloé en sont de parfaits exemples.

La première heure a été tendue. Personne n'a réellement osé adresser la parole à Adrien et la plupart ne savait pas quoi penser. Rose, Mylène et Ivan ont été les premiers à inverser la tendance. Adrien a semblé quelque peu sceptique au début mais après quelques encouragements de la part de Marinette et un ou deux — ou quatre — verres, sa langue a été déliée.

Alix et Kim étaient trop occupés à enchaîner les jeux à boire pour réellement se mêler aux conversations mais ils n'ont pas ignoré Adrien pour autant. Contrairement à Nino qui restait aux côtés d'Alya et Chloé — Marinette ne comprend décidément pas ce qu'il se passe entre lui et Adrien qui lui jette des coups d'œil inquiets de temps à autre.

Elle est sur le point de lui demander lorsque Nathaniel et Marc se dessinent dans son champ de vision.

« Ton appart est vraiment cool, Mari, » lui dit Nathaniel. Ses cheveux roux lui arrivent à la base de la mâchoire et son sourire se reflète jusque dans ses yeux émeraudes.

Marinette s'apprête à répondre mais sent Adrien se tendre à côté d'elle lorsqu'une jeune femme dont elle essaie très fort de se rappeler du prénom et de qui elle est — sans succès — s'intègre à la discussion. « C'est vrai que c'est une perle rare ! » assure-t-elle en rabattant ses longs cheveux noirs derrière son épaule. « C'est drôle, j'ai l'impression d'être déjà venue ici— Adrien ? »

Marinette fronce les sourcils, ses lèvres posées contre l'extérieur de son verre, et tourne le visage vers Adrien. Un sourire de politesse et d'embarras se dessine sur ses lèvres. « Anna, » salue-t-il.

Anna, c'est vrai. Et c'est

« Tu connais ma sœur ? » s'étonne Marc.

La sœur de Marc. Les longs cheveux noirs et les grands yeux verts. La ressemblance est frappante.

Adrien écarquille les yeux. « C'est ta sœur ?

— Tu connais mon frère ? » s'exclame Anna.

Marinette suit la conversation des yeux, sa bouche cachée derrière son verre.

« Oui, on était au collège ensemble—

— Comment vous vous connaissez ? » l'interrompt Marc.

« Oh... Euh... On a travaillé ensemble... » marmonne Adrien.

« On a couché ensemble, » déclare Anna en même temps.

Adrien lui lance un regard de détresse mais elle se contente d'hausser les épaules. Nathaniel, aussi silencieux que Marinette, garde ses yeux sur Marc.

« T'as couché avec ma sœur ?

— Je savais pas que c'était ta sœur, vous avez même pas le même nom de famille—

— Non, attend. T'as couché avec Adrien Agreste ?

— Pourquoi tu dis mon nom comme ça ?

— On a couché ensemble une fois, il m'a jamais rappelé et puis c'est tout. Fin de l'histoire. Qu'est-ce que ça change que ce soit Adrien Agreste ? »

Marc, la bouche entrouverte, lance un regard à Marinette, rapidement imité par les trois autres. « Pourquoi vous me regardez comme ça ? » demande-t-elle.

« Parce que... enfin... vous deux... » marmonne Marc.

Marinette hausse les épaules, prétendant à une nonchalance. « Ça va. J'espère que t'as pris ton pied, Anna, c'est moi qui lui ai tout appris. » Elle ponctue sa déclaration en vidant son verre d'une traite, très au courant des regards qui pèsent sur elle. Qu'est-ce que je viens de dire ?

Marc est choqué. Anna confuse. Nathaniel n'exprime aucune émotion. Adrien essaie — et échoue — de cacher son sourire.

« Est-ce qu'on pourrait faire comme si j'avais rien dit ?

— Yep, » répond Anna.

Marc, Nathaniel et leur stupeur finissent par s'éloigner et Anna est entraînée dans le jeu à boire d'Alix et Kim.

Marinette donne un coup de poing dans le bras d'Adrien. « C'est ta faute ! » s'exclame-t-elle au même moment où il éclate de rire.

« D'accord, maître Dupain-Cheng, » la taquine-t-il, hilare.

Elle essaie de lui en vouloir mais son rire fait taire chaque parcelle de ressentiment qu'elle pourrait éprouver. Tout ce qu'elle voit, ce sont ses dents blanches, ses canines légèrement pointues et la manière dont ses yeux se plissent lorsqu'il rit.

Est-ce que son bonheur — ou ce qui s'en rapproche le plus — est contagieux pour tout le monde ou seulement pour elle ?

« Je pense qu'on peut dire que l'élève a dépassé le maître. »

Le rire d'Adrien devient un sourire. « Je suis pas sûr. »

Marinette s'adosse au mur derrière elle, ses yeux levés vers les siens. « C'est la pratique qui fait l'expérience. Et t'as définitivement plus de pratique que moi. »

Le mouvement qu'il esquisse pour se rapprocher d'elle est fluide, presque imperceptible. « Ah oui ? »

Marinette hoche la tête. « Si tu savais. »

Il penche légèrement sa tête sur le côté. « Dis-moi, alors. »

Ses yeux se plissent, son menton se relève et sa main pose son verre vide sur la surface la plus proche. « Je pense que c'est toi qui as des trucs à me dire, Agreste. »

Les muscles de sa mâchoire se contractent. « J'ai rien à dire. » Sa voix a perdu toute espièglerie, son visage tout défi. Il ne sourit plus.

Marinette soupire. L'alcool et le petit jeu de séduction ne fonctionnent pas ? Très bien. Elle a d'autres cordes à son arc. « Je crois que si, Adrien. »

Il fronce les sourcils. « Qu'est-ce que tu veux que je te dise ?

— La vérité.

— Rien que ça ? » Un petit sourire refait son apparition, mais il n'a rien de malicieux, cette fois-ci. C'est un sourire triste.

« Tu me dois bien ça—

— Je te dois tout, » la coupe-t-il, droit dans les yeux. « Absolument tout, Marinette. »

Déglutir est douloureux. Le regard d'Adrien l'immobilise, la dureté de ses mots lui fait oublier les rires et les mots et tout ce qui n'est pas lui.

« Alors, dis-moi. S'il-te-plaît. » Il secoue la tête. « Adrien

— Tu peux pas juste... laisser tomber ? »

Un rire nerveux lui échappe du nez. « Tu te fous de ma gueule ? Comment je pourrais juste laisser tomber ?

— En m'ignorant.

— Mais t'es partout ! Au travail, au café, t'es même mon putain de voisin, comment tu veux que—

— Quoi ? »

La voix de Chloé.

C'est à ce moment-là que Marinette se rend compte que les rires et les discussions n'ont pas cessés parce qu'elle n'y prêtait pas attention mais parce qu'ils n'existaient plus. Tout le monde est agglutiné autour d'eux, certains plus subtilement que d'autres.

Chloé et Alya sont aux premières loges.

« C'est ton voisin ? »

Marinette soupire de frustration. « Oui. Oui, c'est—

— Pourquoi tu me l'as pas dit ?

— Parce que... parce que... » Pourquoi elle ne lui a pas dit ? « Je voulais pas que tu refuses de venir chez moi. » Partiellement vrai. Au fond d'elle, Marinette sait qu'elle ne l'a pas dit à Chloé par honte. Parce qu'une partie d'elle est heureuse qu'Adrien soit son voisin, depuis le début.

Et si Alya a deviné, elle ne lui en a jamais parlé, mais Chloé lui aurait balancé la vérité en pleine face. Et certaines vérités ne sont pas toujours bonnes à entendre.

« Chloé... » murmure Adrien.

« Non ! » s'exclame-t-elle. « Essaie même pas de m'adresser la parole. » Il y a une telle amertume dans ses paroles. Marinette la connaît suffisamment pour savoir que cette rancœur tente de recouvrir la tristesse que l'abandon d'Adrien lui a inspiré — lui inspire toujours.

Adrien baisse la main qu'il a tendue vers elle et Marinette sent son cœur se serrer en remarquant la réelle douleur dans ses yeux.

« Désolée, Mari, » lâche Chloé, « mais je vais y aller.

— Non, Chloé— »

Elle la coupe en déposant ses lèvres sur sa joue, un sourire forcé au coin des lèvres. Dix secondes plus tard et elle attrape son sac. Vingt et elle a disparu.

« Tu comptes faire quelque chose ? » demande Alya d'une voix glaciale. « Je parle à Adrien, » coupe-t-elle Marinette lorsque sa bouche s'entrouvre — et se referme aussitôt.

Elle s'attend à à peu près tout. Peu importe ce qu'Adrien répond, Alya est sur le point de sortir de ses gonds. Ses bras sont croisés, son regard est incendiant et sa mâchoire est contractée. Nino a la présence d'esprit de ne pas s'approcher.

Heureusement pour la vie d'Adrien, il ne répond rien. Non, il jette un regard indéchiffrable à Marinette et quitte l'appartement, laissant un silence pesant derrière lui.

« Est-ce qu'il vient juste de partir en courant—

— Je crois qu'il est parti courir après Chloé, » intervient Nino.

Marinette ne peut s'empêcher de penser qu'elle, il ne lui a jamais couru après. L'amertume lui barrant la gorge, elle pose sa main sur la poignée de la porte.

« J'irai pas dehors, si j'étais toi, » lui dit Nino.

« Pourquoi ? Encore quelque chose que tu sais et que tu nous dit pas ? » aboie Alya.

Marinette profite de leur dispute pour sortir de son appartement. L'alcool rend ses pas moins fluides que d'habitude mais elle arrive saine et sauve à descendre la première volée d'escaliers jusqu'au deuxième étage.

« ... entendre tes excuses ! » entend-elle Chloé déclarer avec colère.

Marinette se cache dans la cage d'escaliers. Pas très mature, pas très malin et pas très honnête mais elle a largement passé le stade de la jouer à la loyale. Elle a besoin de réponses.

« C'est pas des excuses ! Tu crois vraiment que ça me plaît de passer pour le plus grand des connards aux yeux de tous mes amis ?

— On n'est pas tes amis. »

Aïe.

« Je sais, » lâche-t-il d'une voix qui lui fend le cœur. Adrien...

« Et c'est ta faute. Alors assume et essaie pas de passer par Marinette pour te racheter—

— Tu crois que je me sers d'elle ? » La voilà, la colère.

Chloé met quelques secondes à répondre. « Ça ressemble à ça, en tout cas. Tu reviens dans sa vie comme par magie, t'es son voisin et tu vas me dire que t'as aucun intérêt là-dedans ? Te fous pas de moi. »

Le rire amer d'Adrien lui noue la gorge. « Tu peux me traiter de beaucoup de choses, Chloé. D'ami de merde, de lâche, de menteur, d'égoïste. Te gêne pas, vas-y. Mais je ferai jamais rien qui puisse la blesser. »

C'est au tour de Chloé de rire avec affliction. « C'est une blague ? Tu ferai jamais rien pour la blesser ? C'est exactement ce que t'as fait ! Tu l'as abandonnée—

— C'était pour son bien—

— Et moi ? C'était pour mon bien aussi ?

Oui ! » s'exclame-t-il avec désespoir. « Oui, Chloé, c'était pour ton bien. Tu crois que ça m'a fait plaisir de te rayer de ma vie ? Que je voulais pas que tu restes avec moi ? Que j'ai pas eu besoin de toi— » Sa voix se brise et Marinette mobilise chaque muscle de son corps pour ne pas se précipiter vers lui et le prendre dans ses bras.

Elle l'entend renifler — ou peut-être Chloé. « Je suis désolé, » murmure-t-il, tellement doucement qu'elle l'entend à peine. « Je suis tellement désolé, Chloé.

— Alors pourquoi t'as fait ça ? » C'est à son tour d'hausser le ton, c'est au tour de sa voix de se briser. « Pourquoi ?

— Pour te protéger.

— Mais de qui ? De qui, Adrien ?

— Je peux pas te le dire.

— Adrien, ça a aucun sens ! Pourquoi tu nous as tous abandonné ? Pourquoi tu reviens maintenant ? Et Lila, pourquoi tu—

— Arrête. Essaie pas de me sauver, essaie pas de trouver, et dis à Marinette de faire la même chose. Si c'est pas pour moi, alors fais-le pour elle.

— Adrien, tu pourras pas la protéger éternellement—

— Regarde-moi faire.

— Adrien... »

Les secondes passent. Marinette reste là, la main plaquée contre ses lèvres, le cœur battant. « Je sais que tu le feras. Pour elle. On est pareils. »

Qu'est-ce que ça veut dire ? Comment ça, on est pareils ?

Chloé ne répond pas. C'est rare que Chloé ne réponde pas. Marinette amorce un mouvement pour remonter les escaliers, le cerveau en ébullition. On est pareils. On est pareils. On est pareils. Ils sont blonds. Riches. Marinette ne voit aucun autre point commun. Ils n'ont absolument rien à voir l'un avec l'autre—

« Ah ! » laisse-t-elle échapper en ratant une marche. Elle se rattrape in extremis à la rampe mais c'est trop tard.

Adrien et Chloé déboulent, leurs yeux grands ouverts. « Marinette ? » s'exclament-ils au même moment.

« Hey ! Tiens, c'est marrant de vous trouver là—

— Tu nous écoutais ?

— Quoi ? Moi ? Non, non, bien sûr que non ! Enfin, peut-être un peu— »

Des bruits de talons qui claquent sur le sol en bois la coupent. Le visage d'Adrien se fige, comme s'il reconnaissait les pas. « Merde, » laisse-t-il échapper. Est-ce de la panique dans sa voix ? « Merde, merde, merde, merde

— Adrien ! Je t'ai appelé au moins dix fois, pourquoi tu réponds— Oh, quelle surprise ! »

Quelle surprise, effectivement. Lila se tient en bas des escaliers, dans sa robe rouge et ses talons de quinze centimètres, ses longs cheveux flamboyants cascadant jusqu'au milieu de son ventre.

Sa beauté donne envie de vomir à Marinette. Littéralement.

« Chloé, Marinette ! C'est dingue, de vous croiser là ! » déclare-t-elle avec un entrain qui sonne terriblement faux. Elle se colle immédiatement à Adrien liant son bras au sien en gardant ses yeux dans ceux de Marinette. « Tu fais une soirée sans m'inviter, babe ? »

Babe ? Beurk. Beurk, beurk. Beurk !

Son dégoût est reflété sur le visage de Chloé. Ses sourcils sont froncés, sa bouche déformée dans un rictus écœuré. Adrien a toujours l'air aussi terrorisé.

Avant que quiconque ne puisse répondre, des bruits de bas résonnent à nouveau, venant d'en haut, cette fois-ci. Kim déboule, les joues rouges et les yeux brillants — les jeux à boire ont eu raison de sa sobriété. « Vous faites quoi, tous ici ? Mari, on n'arrive toujours pas à trouver les verres à shots ! C'est le bordel, dans ton appart— Lila ? »

Adrien se décompose. Lila passe de la surprise la plus totale à la colère la plus dévastatrice à la joie la plus factice en trois secondes. « Ton appart ? Marinette, t'habites dans l'immeuble ? » demande-t-elle en souriant, son bras se resserrant autour de celui d'Adrien.

Marinette fronce les sourcils. Elle se sent protectrice, tout à coup.

« Ils sont voisins ! » s'exclame Kim. « C'est dingue, non ?

— Kim, » intervient Chloé. « Et si tu la fermais ?

— Quoi—

Ferme la, » répète-t-elle entre ses dents.

« Alors comme ça vous êtes voisins ? » demande doucereusement Lila. « Quelle coïncidence ! »

Personne ne répond. Kim n'ose plus parler, Chloé se contente de fusiller Lila du regard, Adrien est aussi raide qu'une statue et Marinette est confuse. C'est quoi ce bordel ?

« Ça change tout, » lâche Lila, ses yeux quittant Marinette pour se poser sur Adrien. La manière dont elle le regarde, Marinette n'aime vraiment pas ça. « Ça change absolument tout. »


dites-moi ce que vous en avez pensé !

on se retrouve lundi prochain pour le chapitre 12. prenez soin de vous !

— lucie.