hello tout le monde ! merci pour vos reviews, ça me fait toujours autant plaisir de savoir que l'histoire vous plaît !
je poste le chapitre un peu tard mais j'ai passé le week-end à oslo et le retour est un peu difficile aha mais il est là ! bonne lecture à tous !
« Not sure I understand
This role I've been given
My head speaks a language
I don't understand
I don't wanna die
But I ain't keen on living either »
Feel – Robbie Williams
Septembre 2022
« Lila, dis quelque chose. S'il-te-plaît, » supplie Adrien en passant ses mains tremblantes dans ses cheveux.
« C'est pour ça que tu voulais plus qu'on aille chez toi ? Pour pas qu'elle me voit ? » demande Lila d'une voix trop calme pour que ce soit bon signe. « Ne mens pas. Ça t'a rien apporté, jusqu'ici. »
Si, veut-il dire. Si, ça m'a apporté beaucoup. Marinette est vivante. Marinette ne me déteste pas. Pas encore.
« Oui, » finit-il par avouer. « Oui, c'est pour ça. »
Un rire sans joie se fait entendre. « T'es vraiment une petite merde, Adrien. Tu crois quoi ? Que j'allais foncer voir ton père pour tout lui balancer ? Que j'allais la pousser dans l'escalier ? Que j'allais—
— Oui ! » explose-t-il. « Oui, Lila, c'est ce que j'ai cru ! C'est ce que tu me pousses à croire depuis des années, depuis le début de notre accord—
— Notre accord ? On a longtemps passé ce stade, Adrien ! »
Il secoue la tête. « Pas moi, non. »
Les bras de Lila retombent le long de son corps. Ses lèvres s'entrouvrent, se referment, ses yeux brillent de quelque chose qui s'apparente à de la douleur. Jusqu'à ce que la douleur devienne de la colère. « Tu te mens à toi-même. Combien de fois tu m'as envoyé le premier message ? Combien de fois t'es venu jusqu'à chez moi ? Combien tu m'as embrassé en premier ? Combien de fois t'es venu chercher du réconfort dans mes bras ? »
Adrien secoue la tête. « J'avais pas le choix—
— Arrête ! Arrête de te faire passer pour un martyr ! Bien sûr que si ! T'aurais pu dire la vérité à Marinette, dire la vérité à tout le monde ! Me dire la vérité, à moi !
— Tu me répètes depuis des années que si je reste pas, t'iras dire à mon père pour Marinette ! Comment tu veux que je fasse autre chose que rester ?
— Je l'aurais jamais fait ! » hurle-t-elle. « Je sais à quel point ton père peut être dangereux, tu crois vraiment que je lui aurais livré Marinette sur un plateau d'argent ? Pour qui tu me prends—
— C'est toi qui mens, Lila, » la coupe-t-il d'une voix tellement froide que la bouche de Lila se ferme aussitôt. « Tu la détestes.
— Je suis pas un monstre, » murmure-t-elle. « Je voulais juste... je te voulais juste, toi. » Sa voix a perdu toute énergie, tout à coup.
« Tu m'auras du moment que tu gardes le secret de Marinette. »
Lila secoue la tête. Ce n'est plus de la haine ou de la souffrance dans ses yeux mais du dégoût. Ça lui fait un choc, de voir ce sentiment dans son regard. Si Lila le regarde avec dégoût, quel genre de personne est-il vraiment ?
« T'embêtes pas, » lâche-t-elle. « Je te veux plus, de toute façon. »
Quelque chose se brise en lui. Quelque chose sur laquelle il ignorait que Lila avait tant de pouvoir. Son estime de lui-même. Son cœur.
Il reste immobile, observe Lila prendre son sac et marcher jusqu'à sa porte. Elle se tourne vers lui, la main sur la poignée. « Je dirai rien à ton père, » lâche-t-elle d'une voix glaciale. « Mais, Adrien ? Je pense pas que ce soit de lui contre qui tu dois protéger Marinette. »
Octobre 2022
Les jours s'enchaînent et se ressemblent.
Aller au travail. Observer. Noter les comportements suspects. En faire part à Enzo. Interroger. Récolter des informations. Faire ce qu'il faut ensuite. Lutter contre le sommeil. Grapiller quelques heures de repos lorsque Marinette n'est pas chez elle. Recommencer.
Encore.
Et encore.
C'est machinal. C'est ce qu'il fait depuis des années mais c'est curieusement devenu pire depuis qu'elle est rentrée. Ses actes sont toujours autant calculés, ses actions toujours aussi robotiques.
Sauf quand elle est en face de lui. Quand ses yeux bleus, si bleus, percent les siens de cette intensité qui l'empêche de détourner le regard. Quand elle se tient devant lui du haut de son mètre soixante, avec sa peau parsemée de tatouages, ses cheveux de jais et les mots qu'elle lui jette au visage. Une sincérité que personne ne lui a témoigné depuis des années. Un intérêt qu'on ne lui a plus adressé depuis tout aussi longtemps.
Elle a chanté pour lui. Elle remarque quand il n'est pas là. Elle le regarde. Oh mon Dieu, elle le regarde. Elle lui propose d'aller prendre un café. Elle lui sert son café. Elle lui raconte sa vie à New-York. Elle lui parle de ses projets. Elle lui propose de venir chez lui. Elle est gentille et attentionnée et est sincèrement attachée à lui et—
Bon sang, il ne la mérite pas. Il ne la méritait pas avant, ne la mérite toujours pas et ne la méritera jamais, dans aucune vie parallèle ou autre univers ou n'importe quelle autre connerie. Personne ne la méritera jamais.
Personne.
Jamais.
Ça, il en est sûr. Il est aussi intimement convaincu qu'il aurait dû continuer de jouer la carte de celui qui n'en avait rien à faire. Comme la première fois qu'il l'a revue, sur le balcon, presque trois mois plus tôt.
Il se souvient de chaque détail. Les chaussures qu'elle portait, une vieille paire de Converse qu'elle avait aux pieds ce soir de vacances d'été, juste avant qu'ils n'entrent au lycée. Ils étaient allés au cinéma. Spiderman. Il s'en rappelle avec une telle clarté. Il a toujours eu une bonne mémoire.
Il se souvient aussi du short trop grand, du débardeur blanc un peu trop transparent pour sa propre raison. Se souvient de sa chemise. Une chemise blanche qui était déjà trop large pour elle quand elle avait seize ans mais dans laquelle elle flottait maintenant. Une chemise qui, un jour, dans une ancienne vie, lui avait appartenue.
Il se demande si elle se rappelle avec autant de précision. Parce que lui, oui. Sa tenue, ses expressions faciales, chaque mot qu'elle a prononcé, chaque mouvement, chaque respiration. Il se souvient de tout.
Il aurait dû sauver les apparences et lui faire croire que sa présence lui était égale. Que l'avoir pour voisine ne lui inspirait rien. Qu'il ne l'avait pas prévu. Qu'il n'avait pas attendu ce jour depuis des années. De la revoir. Qu'il ne l'avait pas attendue à l'aéroport le jour où son avion a atterri. Qu'il ne ressentait rien d'autre que de l'indifférence à son égard.
Il aurait dû. Aurait dû faire plus attention à la cacher de Lila.
Parce que maintenant... maintenant, il ne sait plus. Il ne sait plus si son plan est encore un plan, ne sait plus si Lila est vraiment Lila, ne sait plus qui il est.
Il n'est plus sûr d'être grand-chose, à part un amas de cellules programmées pour être éperdument amoureuses de Marinette Dupain-Cheng.
Adrien prend une énième gorgée de café et se demande la dernière fois qu'il a eu une vraie nuit de sommeil, sans cauchemars, sans insomnie. Se rappelle toutes les nuits passées avec Marinette, se dit qu'elles ne peuvent pas être définies comme des nuits de sommeil.
Un bruit contre la porte de son bureau lui fait lever les yeux de son ordinateur. Marinette est là, derrière la porte vitrée, un léger sourire aux lèvres, lui demandant silencieusement si elle peut entrer.
Il hoche la tête. La porte s'ouvre. Se referme. Ils sont seuls. Adrien arrête de respirer.
« Hey, » dit-elle en s'approchant de son bureau. Ses escarpins claquent contre le sol marbré. Elle porte un tailleur pantalon d'un bleu si profond qu'il en est presque noir. Elle porte tout le temps du noir, remarque-t-il. Ou du blanc. Jamais de rose, jamais de rouge.
Un léger bruit s'échappe de sa bouche. Pas tout à fait un raclement de gorge. Adrien lève à nouveau ses yeux dans les siens, remarque que ses cheveux ont poussé. Ils atteignent ses clavicules, maintenant. « J'ai... J'ai un truc à te demander. »
Adrien hoche la tête. Encore. S'humidifie les lèvres. Lui désigne le fauteuil en face de son bureau d'un mouvement de la main. La regarde s'asseoir, regarde ses jambes se croiser, son pied bouger nerveusement. « Je t'écoute. »
Marinette se pince un instant les lèvres. « L'école demande un rapport. Un au début du stage, un au milieu et un à la fin. On doit expliquer ce qu'on fait, ce qu'on apprend et on doit illustrer tout ça. Ils demandent... des retours de ceux qui nous encadrent pendant le stage, » explique-t-elle, ses yeux partout sur son bureau, partout sur ses mains, partout sauf dans les siens. « J'ai demandé à Julie parce que c'est ma maître de stage mais c'est un peu léger pour mon rapport, et... » Elle joue nerveusement avec la bague qui orne son index droit et Adrien rate une respiration. Lorsqu'elle lève finalement ses yeux, il tente — et échoue — de paraître nonchalant. « Je me demandais si tu voulais bien écrire quelque chose ? Juste un petit truc ? Je sais qu'on travaille pas souvent ensemble ici mais—
— Je le ferai.
— C'est vrai ? »
C'est plus fort que lui : ce sourire qui se répand sur ses lèvres. « Je ferai n'importe quoi pour toi, Marinette. » La vérité. La vérité, murmurée dans son bureau.
Marinette rougit, arrête de jouer avec sa bague, pose ses deux pieds sur le sol et ses deux paumes contre ses cuisses. Adrien baisse les yeux, son sourire s'agrandissant.
« Qu'est-ce que tu fais, ici, exactement ? » demande-t-elle, à l'évidence pour changer de sujet.
Parce qu'il ne veut pas qu'elle sorte de son bureau cramoisie, il la suit. « Un peu tout. Je supervise, je décide de nos collaborations, je valide ou pas les futures collections. »
Marinette hoche la tête, les joues toujours rouges. « Donc tu sais tout ce qui se passe ici ?
— À peu près, oui.
— Cool. »
Un nouveau sourire lui étire les lèvres. Son cœur est plus léger quand elle est là. Il ne pense plus à ses problèmes. Ne pense plus à quel point il ne la mérite pas et à quel point elle est danger sans même le savoir.
Jusqu'à ce qu'il y pense.
Son sourire tombe.
Marinette semble le remarquer. Elle se racle la gorge, se lève. « Merci, » lâche-t-elle. « Pour le rapport.
— T'as besoin de ça pour quand ?
— La fin du mois ? »
Il hoche la tête. « Je t'envoie ça à la fin de la semaine. »
Marinette se fend d'un sourire. « Merci, Adrien. »
Il lui sourit en retour mais ça sonne faux sur son visage, cette fois-ci. « Pas de problème. »
Elle ouvre la bouche mais la referme, lui tourne le dos mais lui fait face à nouveau quand elle arrive à la porte. Ouvre à nouveau la bouche. Hésite. « Tu pourrais passer chez moi, tout à l'heure ? » demande-t-elle. « C'est pour, euh... le projet dont je t'ai parlé, tu sais ? J'ai quelques idées et j'aimerais bien ton avis ? »
Ses lèvres et ses cordes vocales sont en autopilote parce que son cerveau est là, par terre, avec son cœur. Passer chez elle ? « Oui, bien sûr, » répond-il machinalement. « Euh... Dix-neuf heures ?
— Dix-neuf heures, » acquiesce-t-elle.
Et sort de son bureau. Cramoisie.
Impossible de se concentrer pour le reste de la journée. À chaque fois qu'il essaie de se concentrer, son esprit lui rappelle qu'il a rendez-vous. Chez Marinette.
Rendez-vous. Chez Marinette.
Et à chaque fois, il écrase son front contre son bureau, se demandant comment il va faire pour rester professionnel ou amical ou, en tout cas, pour garder ses sentiments pour lui. Il a de plus en plus de mal, ces derniers temps. Comme si tout l'amour et la peur et tout le reste débordaient, frustrés d'avoir été étouffés depuis si longtemps.
T'as pas vraiment le choix, Adrien veut-il dire à son cœur. La protection qui lui tient tant à cœur de procurer à Marinette s'est toujours limitée à ça. Il ne s'est jamais laissé rêver à plus. Ne s'est jamais laissé penser à ce que ça ferait de l'embrasser aujourd'hui.
Enfin, si, tard le soir, son esprit divague, mais Adrien préfère définir ces moments comme des fantasmes et non pas comme des choses qui pourraient arriver. Sinon, ce serait la porte ouverte à bien trop de projections et sa santé mentale serait dans un état encore pire que ce qu'elle est maintenant — et, vu son état actuel, ça veut dire beaucoup.
Non, il n'a pas le droit de se laisser dériver. Il lui doit cette protection. Il la veut. Parce qu'il l'aime, il veut qu'elle soit heureuse et en dehors de tout ça et vivante. Parce qu'il l'aime, il veut qu'elle reste loin de lui, romantiquement parlant.
Elle mérite mieux, se répète-il en boucle.
Adrien prend une grande inspiration en poussant la porte de son appartement. Tout va bien se passer, se dit-il. Tu vas donner à manger à Lady. Tu vas respirer. Tu vas aller aider Marinette parce qu'on aime aider Marinette.
Exactement dans cet ordre.
Lady semble d'accord avec le programme. Elle se précipite aux pieds d'Adrien à la seconde où il attrape un sachet de pâtée.
Son cœur s'allège. Un petit peu. « Pourquoi tu miaules comme si je t'avais pas nourri depuis trois semaines à chaque fois que je te donne à manger, » sourit-il en posant le bol désormais rempli de nourriture pour chat sur la table.
Lady la regarde avec ses grands yeux bleus. Et miaule. Un petit rire s'échappe du nez d'Adrien alors qu'il se penche pour l'attraper et la poser sur la table de la cuisine. Elle pourrait monter toute seule mais elle est tellement petite et mignonne et—
Il a un vrai problème avec les êtres vivants aux yeux bleus, minuscules, adorables et capables d'arracher la tête de n'importe qui si besoin. Enfin, il n'a jamais vu Lady énervée ou violente mais il sait qu'elle a cette fibre teigneuse en elle.
Même si c'est difficile à croire, là, tout de suite, alors qu'elle engloutit sa pâtée de manière très approximative — la moitié de la nourriture finit toujours en dehors du bol.
Adrien sourit, lui caresse affectueusement le dos et passe à la seconde partie de son programme. Respirer.
Inspirer. Expirer. Encore. Tout va bien se passer. C'est juste Marinette, se dit-il. Juste Marinette. Juste la fille dont j'ai passé la moitié de ma vie à être amoureux et qui est potentiellement en danger de mort à cause de mon père donc à cause de moi et qui serait bien plus heureuse et en sécurité sans toi dans sa vie et Adrien qu'est-ce que tu fous, sérieusement—
D'accord, ça fait assez de respiration pour l'instant.
« Désolée, c'est un peu le bazar, j'ai pas eu le temps de ranger. »
Adrien lui sourit en réponse. C'est un sourire un peu tremblant alors qu'elle referme la porte derrière lui et que oui, ils sont officiellement seuls dans son appartement et—
Calme-toi.
« C'est rien, » réussit-il à articuler. Ce n'est pas la première fois qu'il rentre chez elle. Il y a eu cette fois où elle était complètement saoule. Oui, non, on va pas penser à ça maintenant, se dit-il alors qu'un souvenir de Marinette à moitié (aux trois quarts, plutôt) nue refait surface. Et puis il y a une dizaine de jours, cette soirée où il a été invité. Mais il ne va pas penser à ça non plus parce qu'après il va penser à ce que Chloé lui a dit et à ce que Lila lui a dit et à la déception qu'il semble toujours semer autour de lui et—
Non. Il n'ira pas sur ce terrain.
« Fais comme chez toi, » lui dit-elle en se mettant à ranger quelques affaires à mesure qu'elle se dirige derrière le comptoir de sa cuisine.
Adrien observe autour de lui, prend en compte les détails qu'il n'a pas eu l'occasion de remarquer lors de ces précédentes visites. La première fois, il était surtout occupé à mettre Marinette au lit en un seul morceau et la deuxième fois, il était plus occupé à la dévorer des yeux qu'autre chose.
Il se demande si elle a remarqué. Probablement pas. Elle a toujours été assez inconsciente de ce qu'elle pouvait susciter chez lui. Ou peut-être qu'elle a remarqué.
Et que ça ne lui fait rien.
Peut-être que ça la met mal à l'aise.
Adrien sent sa mâchoire se contracter alors qu'il fait de son mieux pour se concentrer sur son appartement et pas sur elle.
C'est un joli appartement, en tout cas. Pas aussi joli que Marinette mais—
Sérieusement, arrête ça. Ça devient grave. Encore plus grave que de se parler à soi-même.
« C'est sympa. Ce que t'as fait, ici. »
Marinette, accroupie derrière le comptoir, se redresse juste suffisamment pour que sa tête dépasse. « Tu trouves ? »
Adrien n'essaie même pas de s'empêcher de sourire. Mon Dieu, elle est adorable. « C'est... chaleureux. J'ai l'impression que c'est ta chambre chez tes parents mais en plus grand. Et avec une cuisine. »
Mais qu'est-ce que tu racontes ?
Mais Marinette sourit. « J'ai cette impression, aussi. »
Oh.
« C'est la bibliothèque. Et la machine à coudre. Et le mannequin. » Ouais, arrête de parler, maintenant.
Les yeux de Marinette s'illuminent. Elle se redresse, se cogne quelque part, marmonne une injure, réussit à le faire tomber toujours un peu plus amoureux. « En parlant de ça, je voulais te montrer quelque chose— Tu veux un truc à boire ? »
Il adore quand elle fait ça. Quand son esprit fonctionne trop vite et que les mots sortent à la même vitesse, la faisant enchaîner les phrases, superposer ses pensées. Adrien secoue la tête, s'apprête à décliner poliment son offre.
« J'ai du jus de fraise. »
Il hausse un sourcil. Ouvre à nouveau la bouche.
« Essaie pas de me faire croire que t'en veux pas, » l'interrompt-elle en ouvrant un placard et en se dressant sur la pointe des pieds pour attraper un verre. Deux verres.
« Merci, » articule-t-il lorsqu'elle lui tend un verre. « Tu t'en souviens. »
Marinette lève les yeux au ciel. « Bien sûr que je m'en souviens. »
Pourquoi est-ce que ses mots sonnent de cette façon ? Comme si c'était logique qu'elle s'en souvienne, comme si elle n'oublierait jamais ça, comme si elle n'oublierait jamais rien à propos de lui, comme si—
Non. Non, non, sa voix a juste pris cette inflexion parce que les parents de Marinette avaient l'habitude d'acheter du jus de fraise exprès pour lui et qu'il pouvait en boire des litres et des litres et qu'elle en a probablement eu marre, à la fin.
« Je te montre ? »
Adrien hoche la tête. Prend une nouvelle gorgée. Essaie de respirer. De ne pas trop la regarder. En fait, de ne pas la regarder du tout parce qu'il n'arrive jamais à se modérer quand ça la concerne.
Mais elle réussit à se cogner encore contre quelque chose et ses yeux sont automatiquement attirés vers elle et il remarque quatre choses :
1. Elle porte des chaussons. Des chaussons roses en fourrure et qui paraissent énormes autour de ses petits pieds. C'est la première fois depuis trois mois qu'il la voit porter du rose.
2. Elle porte toujours sa tenue de travail. Ça, il l'a remarqué depuis la seconde où il a posé ses yeux sur elle, mais maintenant il trouve ça bizarre. Pourquoi est-ce qu'elle porterait un tailleur chez elle alors qu'elle a eu le temps de se changer depuis qu'elle est rentrée et qu'il sait à quel point elle déteste porter quelque chose d'autre qu'un jogging ou un pyjama ou quelque chose de confortable à l'intérieur ?
3. Elle rougit. Accroupie, en train de farfouiller dans des boites remplies de tissus et de patrons et de magasines. Elle rougit. Et si elle rougit, c'est très mauvais signe pour lui.
4. Il est fichu.
Il est là, en plein milieu de son salon, entouré de ses livres et de ses posters et de ses plantes et de son odeur et il est fichu.
« Tu te souviens, je t'avais parlé de mon projet de fin d'études ? » Elle lui jette un coup d'œil par-dessus son épaule. « Adrien ? »
Son prénom sur ses lèvres le réveille. « Oui ! Oui, oui, je m'en souviens. Ton projet. De fin d'études. Oui. »
Il est presque sûre qu'elle sourit. Et il est sûr qu'il rougit. Et qu'il est fichu. « Je t'avais dit que je voulais faire une ligne de lingerie. »
Respire. T'as vingt-deux ans. Pas seize. « Hmmm.
— J'ai un doute au niveau des modèles. J'ai plein d'idées mais je pourrais jamais tout faire, ça me prendrait trop de temps. Et on est limités à cinq modèles, max. Donc j'aimerais bien que tu me— Ah ! Trouvé ! » s'exclame-t-elle en brandissant un tissu rouge. Pas un tissu. De la dentelle.
Dentelle. Rouge. Marinette.
« J'ai dessiné ce que j'avais en tête, » explique-t-elle en attrapant un calepin de son sac à main posé sur le comptoir. Elle s'assoit sur le canapé et Adrien l'imite, veillant à laisser un espace de sécurité entre eux.
Tout va bien. Tout va parfaitement bien.
Elle ouvre le calepin. « Regarde. » Se rapproche de lui. Se rapproche suffisamment pour qu'il sente son parfum. De la vanille. Une touche florale. Et quelque chose qu'il ne pourrait pas décrire. Le mélange des trois lui fait fermer un instant les paupières.
« Ça va ? »
Il est happé par son regard à la seconde où il rouvre les yeux. « Super bien, » lâche-t-il, essoufflé.
« T'es sûr ? Si ça te met mal à l'aise, on peut— Oh non, c'est bizarre, non ? C'est bizarre, je suis désolée, je demanderai à quelqu'un d'autre—
— Non ! Non, non, tout va bien. C'est pas bizarre. C'est juste... rien. Rien du tout, » déblatère-t-il. Il se racle la gorge, reporte son regard sur le calepin. « Wow, » lâche-t-il. « C'est...
— Trop ?
— Non. Non, c'est... osé. Mais d'une bonne manière. Si c'est la direction que tu veux donner. »
Marinette hausse un sourcil partiellement caché derrière sa frange. « Comment ça ?
— Il faut que ce soit homogène. Si tu veux que ce soit sexy et audacieux, alors tous tes modèles doivent l'être, » explique-t-il. Il pose ses mains sur le calepin. « Je peux ? »
Marinette hoche la tête.
« Par exemple, ça, » dit-il en s'arrêtant quelques pages plus tard. « Ça, c'est trop sage, en comparaison. » Il s'agit d'un ensemble rose. Un soutien-gorge corbeille transparent orné de tiges fleuries avec des bretelles dans le même esprit. Un tanga assorti. « Ça aussi, » commente-t-il en tournant à nouveau la page. Un body assez échancré mais pas assez échancré. « Ça, par contre. C'est plus dans le thème. » Une nuisette noire avec soutien-gorge intégrée. Les volants tombent jusqu'en haut des cuisses. Un string noir est visible en-dessous. Simple mais efficace.
« Je vois. Il faut que je choisisse une ligne directrice pour pas que ça divague dans tous les sens.
— C'est ça, » répond-il en continuant de feuilleter les pages.
« Le truc c'est que j'ai du mal à me concentrer sur une facette en particulier. Ça dépend de mon humeur, » réfléchit-elle à voix haute. « Des fois je vais dessiner des ensembles mignons avec des petits détails et d'autres fois... tu sais. »
Adrien hausse un sourcil en tournant la page. « D'autres fois ça donne ce genre de chose, c'est ça ? » Un ensemble rouge. Avec un porte-jarretelle.
Continue de respirer. C'est pas parce qu'elle dessine ça qu'elle va porter ça. Mais il se souvient de l'avoir déjà vue avec un porte-jarretelle.
Mon Dieu.
« Entre autres, » marmonne-t-elle.
Il tourne à nouveau la page. Et cause officiellement sa propre perte.
Un ensemble rouge. Transparent. Avec des coccinelles. Des coccinelles. Il n'y en a pas énormément, seulement quelques-unes dispersées sur le devant du string et les bonnets du soutien-gorge, juste assez pour que ce soit raffiné.
Juste assez pour le tuer.
« J'espère qu'il y a un modèle pour Chat Noir, aussi, » lâche-t-il d'une voix un peu trop gutturale.
Marinette lui reprend le calepin des mains et le referme. Ce ne sont plus seulement ses joues mais son visage entier qui est rouge. Et Adrien la connaît assez bien pour savoir qu'elle rougit encore plus bas que ça.
Attends, attends, attends— « Mari, » souffle-t-il. « Il y a un modèle Chat Noir ? »
Elle se lève, range le calepin. Hausse les épaules, dos à lui. « Peut-être. »
Peut-être. Peut-être qu'il va faire un arrêt cardiaque sur son canapé. Peut-être qu'il va laisser sa lucidité ici, aussi. Peut-être qu'il va se lever et se rapprocher d'elle jusqu'à n'être qu'à une dizaine de centimètres de son corps.
Peut-être qu'il l'a déjà fait. « Mari. »
Elle frissonne. Penche sa tête sur le côté. « Adrien. »
C'est trop. Trop, trop, trop— « Dis pas mon nom comme ça.
— Adrien, » répète-t-elle de cette même voix rauque.
Le pouvoir qu'elle a sur lui. Elle pourrait le faire déraper, pourrait lui faire oublier chaque promesse qu'il s'est faite à lui-même, chaque cauchemar qui l'a fait hurler de terreur au milieu de la nuit. « Je dois y aller. »
Il hésite. Compte jusqu'à cinq. Cinq secondes pleines où il rapproche ses lèvres de son cou, hésite et hésite et hésite.
Mais il s'éloigne.
« Adrien, » répète-t-elle à nouveau alors qu'il pose sa main sur la poignée de porte. « Adrien, qu'est-ce qui s'est passé avec Ryle ? Qu'est-ce qui s'est passé avec Lila ? Qu'est-ce que—
— C'est pour ça que tu m'as fait venir ?
— Quoi ? Non—
— C'est pour ça que tu m'as fait venir, » répète-t-il dans un murmure.
Bien sûr que c'est pour ça. Elle ne veut pas réellement passer du temps avec lui. Elle veut juste lui tirer les vers du nez, lui faire dire la vérité.
Pourquoi ?
« Pourquoi tu veux à tout prix savoir ? » demande-t-il en se retournant.
Marinette se rapproche de lui. Il y a quelque chose de sombre dans ses yeux. De la colère, de la frustration, du désir— Non. Non, impossible. « Parce que je veux t'aider. »
Il secoue la tête. « Crois-moi, tu veux pas m'aider.
— Laisse-moi décider si j'en ai envie ou non ! Dis-moi—
— Je peux pas.
— Adrien, putain, je te jure que—
— Quoi ? Quoi ? Tu vas faire quoi ? M'inviter chez toi ? Me faire boire ? Me montrer ta future collection de lingerie ? Sérieusement, Marinette—
— Tu crois que je fais juste ça pour te faire cracher le morceau ?
— Oui—
— Non ! Non, bien sûr que non ! Tu crois vraiment que— Adrien, tu peux vraiment être con des fois, c'est pas possible ! »
Il sourit presque. Parce que personne n'a osé lui parler comme ça depuis des années. À part Enzo, peut-être.
« C'est vrai, » lâche-t-il.
Elle hausse les sourcils. « C'est tout ce que t'as à dire ?
— Je sais plus quoi te dire, Mari.
— La vérité ! »
Il secoue la tête, fatigué, tout à coup. « Je suis pas prêt, » avoue-t-il. « Je suis pas prêt, d'accord ? »
Les yeux de Marinette s'adoucissent. Elle se rapproche de lui, pose ses mains sur les siennes, entremêle ses doigts aux siens. « Quand ? » murmure-t-elle.
« Bientôt, » souffle-t-il. « Bientôt. J'ai juste... Je veux pas que tu me... Je veux pas que tu me regardes différemment. »
C'est étrange. La vérité a un goût étrange sur sa langue. Pas tout à fait amer mais pas doux, non plus. Un entre-deux.
« Adrien... » murmure-t-elle.
Elle est sur le point de dire quelque chose, il pense. Mais son téléphone vibre dans sa poche. « Je dois répondre, » soupire-t-il en portant une de ses mains à ses lèvres.
Il y dépose le plus aérien des baisers, se noie quelques secondes dans l'océan de ses yeux avant d'attraper son téléphone.
Une de ses mains toujours liées à celle de Marinette, il décroche. « Allô ?
— Mec, on a un problème, » déclare Enzo. « Tu sais, Thibault ? Tu trouvais qu'il avait l'air suspect ? On vient juste de découvrir quelque chose et... c'est la merde. C'est vraiment la merde—
— J'arrive.
— Dépêche-toi. »
Adrien raccroche, baisse à nouveau ses yeux dans ceux de Marinette. « Je dois y aller. » Mais elle ne lâche pas sa main. « Mari... »
Son regard lui brise le cœur. Elle ne pleure pas mais il y a une telle tristesse dans ses yeux, une telle peur.
Pour la première fois, il se demande s'il la protège, vraiment. Et ça le tue.
« Adrien, » gémit-t-elle. « Qu'est-ce que tu fais ? Où tu vas ? Pourquoi tu— » Sa voix se brise, le cœur d'Adrien avec.
« Mari, » murmure-t-il. « Je te promets que tu sauras tout, d'accord ? Juste... plus tard, d'accord ? Je dois vraiment y aller, je suis désolé— Mari, je... je suis tellement désolé. Tu me crois ? »
Elle hoche la tête, les lèvres pincées. Et lui lâche la main. Le contact lui manque déjà. Il pose à nouveau sa main sur la poignée de la porte, dos à Marinette.
« Adrien ? »
Il s'immobilise mais ne se retourne pas. Ne veut pas qu'elle voit ses yeux brillants.
« Si j'apprends tout ça par quelqu'un d'autre que toi, là, je te regarderai différemment. Je te le pardonnerai pas. Pas cette fois. »
Adrien est distrait lorsqu'il rejoint Enzo. Plus distrait que d'habitude. Plus distrait qu'il ne devrait l'être, surtout dans cette situation.
Surtout quand il y a un homme ligoté à une chaise derrière la porte contre laquelle il est adossé. Non, ce n'est définitivement pas le moment d'être distrait.
Un hurlement. Un os qui craque. Le silence. Un autre hurlement. Adrien se décale sur sa gauche juste avant que la porte ne s'ouvre et se referme.
Enzo repousse ses cheveux bruns de son front, un soupir s'échappant de sa bouche. Il sort un paquet de cigarettes de la poche de son jean, en allume une et appuie l'arrière de sa tête contre sa porte, les paupières closes. La fumée se répand hors de sa bouche dans un petit nuage gris. « Toujours pas ? » demande-t-il sans rouvrir les yeux.
Adrien observe la cigarette qu'il lui tend. Hésite. Reporte ses yeux devant lui. « Non, » lâche-t-il d'une voix rauque.
Enzo prend une nouvelle bouffée. « Ferretti ! Tu vas pas me laisser moisir ici, quand même ? Ramène ton cul ! »
Adrien se sent grimacer en entendant la voix de Thibault. Dans sa vingtaine. Cheveux châtains. Yeux bleus. Belle gueule. Pourri de l'intérieur.
« Qu'est-ce qui s'est passé ? » demande Adrien à voix basse — Thibault n'est pas censé savoir qu'il est ici.
Enzo tire sur sa cigarette. « Lila. »
Adrien fronce les sourcils. « Comment ça, Lila ? Qu'est-ce qu'elle vient faire là-dedans—
— Ils se connaissent.
— Oui, je sais. Mais je lui ai toujours dit de faire attention, elle sait—
— Bah, elle t'a pas écouté, on dirait, » déclare Enzo en prenant une autre bouffée de sa cigarette.
Adrien s'éloigne du mur pour faire face à Enzo. « Qu'est-ce qu'elle a fait ?
— Elle a parlé à Thibault de Marinette. »
Les secondes passent. De la fumée s'échappe de la bouche d'Enzo. Un cri de frustration retentit de l'autre côté de la porte. Adrien pense au fait que Marinette est seule chez elle, là, tout de suite.
« Qu'est-ce qu'elle a dit ? » Sa voix est à peine plus forte qu'un murmure.
« Que vous étiez voisins.
— Thibault sait pas où j'habite. Personne ne sait, à part toi et—
— Ton père. »
Son cœur bondit dans sa poitrine plus qu'il ne bat. « Merde. Merde, merde, merde.
— Thibault a pas eu le temps d'en parler à qui que ce soit, » lui annonce Enzo. « Lila est venue m'en parler, » explique-t-il face aux sourcils froncés d'Adrien.
« Quoi ?
— Par culpabilité, je suppose. Elle avait pas l'air bien. »
Adrien ignore la vague de colère contre Lila qui le submerge. « T'es sûr que personne sait ? »
Enzo hausse les épaules. « Je suis pas sûr. Mais pour l'instant, elle devrait être en sécurité. Mais ça durera pas.
— Je sais.
— T'es sûr que tu le sais ? »
Adrien fronce les sourcils. Passe une main sur son visage transpirant. « Bien sûr que je le sais. »
Enzo hausse à nouveau les épaules, tire sur sa cigarette. « J'en sais rien, des fois j'ai pas l'impression que tu prennes pas ça au sérieux. Comment Lila a pu être au courant qu'elle habitait juste à côté de chez toi ? Et pourquoi tu me l'as pas dit ? Sans moi, tout le monde serait au courant à l'heure qu'il est.
— Merci. »
Enzo étouffe un éclat de rire. « Putain, tu devrais pas être autant reconnaissant, mec. »
Adrien ferme un instant les paupières. « Je suis reconnaissant. Sérieux, Enzo, merci.
— Mais ? »
Il hausse les épaules. « Me dis pas que je prends pas ça au sérieux. Pas à moi, d'accord ? »
C'est peut-être quelque chose dans ses yeux, quelque chose dans sa voix ou dans sa posture mais Enzo hoche la tête.
« On fait quoi de lui ? » lui demande-t-il une minute plus tard en écrasant sa cigarette sur le sol.
« Tu penses qu'on pourrait le convaincre de nous rejoindre ? »
— Aucune chance. »
Adrien hoche la tête un peu trop longtemps. Il tend la main vers Enzo qui le regarde quelques secondes avant de sortir un pistolet de la poche de son jean.
Le samedi de la même semaine, Adrien est réveillé brusquement par quelqu'un qui toque à sa porte. Ses paupières s'ouvrent, ses pensées se bousculent.
Il met une bonne dizaine de secondes à se rendre compte du jour et de l'heure qu'il est. De se rendre compte qu'il s'est endormi au petit matin après avoir passé la nuit à réfléchir, à écrire, à se triturer l'esprit.
« Adrien ? T'es là ? »
Il se redresse en entendant la voix de Marinette. Qu'est-ce qu'elle fait là ? Une bouffée de panique accélère son rythme cardiaque en pensant qu'elle est peut-être venue lui demander des comptes. Après tout, il lui a dit qu'il allait tout lui raconter.
Merde, pourquoi il lui a dit ça, déjà ?
Adrien se lève, se dirige vers la porte. Fais demi-tour. Attrape un tee-shirt. Il ne tient pas vraiment à ce qu'elle le voit torse-nu.
Lorsqu'il ouvre la porte, Marinette a les joues rouges, les cheveux attachés et porte un sweat large et un legging de sport. « Salut ? »
Elle lui sourit — elle a l'air gêné. « Salut. Je... je suis partie courir et... ça faisait un moment que j'étais pas allée courir. Ça fait du bien. Bref, je voulais prendre une douche mais... euh... J'ai plus d'eau chaude. T'en as, toi ? »
Adrien hausse un sourcil, s'appuie contre l'encadrement de la porte. « De l'eau chaude ? » Elle hoche la tête. « Deux secondes. » Il recule, tourne à droite, allume l'eau de son évier, tourne le robinet à droite et... eau chaude.
« J'en ai, » déclare-t-il en s'avançant à nouveau vers la porte d'entrée.
« Ah. Bon, bah j'ai dû oublier de payer ou j'en sais rien— Non, c'est bizarre, » réfléchit-elle, les sourcils froncés. « Bref, je vais aller prendre une douche froide, merci de—
— Prends ta douche chez moi. »
Qu'est-ce que tu viens de dire ?
Marinette penche légèrement sa tête sur le côté. « T'es sûr ? »
Non, non, non, non, t'es pas sûr du tout— « Oui, pas de soucis. Entre. » Si, soucis. Gros soucis, même.
Marinette lui sourit et Adrien se rend compte à quel point elle est petite lorsqu'elle passe à côté de lui pour rentrer. Pour rentrer dans son appartement. Pour prendre une douche. Pour être nue—
« Juste ici, » la guide-t-il en lui désignant la salle de bain.
Marinette observe sa cuisine et son salon en silence. L'agencement de son appartement est similaire au sien en — beaucoup — plus grand. La salle de bain est parsemée de carrelage blanc aux murs et de dalles grises au sol. Un grand miroir surplombe le lavabo. Une douche à l'italienne occupe la majeure partie de l'espace.
« Wow, » lâche Marinette.
Adrien lui tend une serviette propre. « T'as besoin d'autre chose ?
— Non, ça devrait aller. Merci. »
Il lui sourit. Essaie de ne pas laisser paraître que sa main qui frôle la sienne lui fait ressentir tout un tas de choses. Essaie.
« Je vais te laisser, alors— Attends, t'as pris des habits ? »
Marinette écarquille les yeux. « Je reviens dans deux minutes. »
Il ne retient pas son sourire.
Marinette est sous la douche. Marinette est sous sa douche.
Depuis deux minutes. Deux minutes qu'il est assis sur le canapé, ses coudes sur ses genoux, son visage dans ses mains, essayant de penser à tout sauf à Marinette sous sa douche.
« Pourquoi t'as l'air en pleine réflexion intérieure ? »
Adrien sursaute en entendant Plagg. « Je me concentre, c'est tout. »
Plagg se pose sur son genou. « Pourquoi tu te— Oh. C'est Mari sous la douche ?
— Hmmm. »
Il s'attend à un sermon, à un soupir, à un regard dédaigneux. Mais Plagg ne fait rien de tout ça. Il pouffe de rire. « Tu te fous de moi, là ?
— Non, c'est pas mon genre. Je me moquerais jamais de toi. Surtout pas de toi dans cet état à cause de Marinette. Encore.
— Comment ça, encore ? »
Cette fois, il lève les yeux au ciel. « Pendant quatre ans, Adrien. Quatre ans. Comment c'est possible qu'elle te mette toujours dans le même état—
— J'en sais rien, Plagg. À toi de me le dire, c'est toi l'ancien. »
Petit reniflement méprisant. Adrien se sent sourire. « Tu sais ce qu'il te dit, l'ancien— »
Plagg est silencieux, tout à coup. C'est rare. Adrien hausse ses sourcils. « J'entends rien, là—
— Tais-toi.
— Hé, je suis chez moi—
— Quelqu'un monte les escaliers. Je reconnais les pas... attends. »
Il disparaît. Adrien se lève, officiellement inquiet. Ça pourrait être n'importe qui. Alya, Nino, Enzo. Lila. Il préfèrerait que ce ne soit pas elle. Avoir Marinette en train de se doucher chez lui est déjà une situation assez délicate sans que Lila ne vienne ajouter son grain de sel.
Plagg réapparaît à travers le mur de la porte d'entrée. « C'est ton père. »
Tout sentiment de désir ou de frustration ou de quoi que ce soit concernant Marinette nue dans la pièce d'à côté est remplacé par de la pure panique.
« Merde, » murmure Adrien. « Plagg, disparaît.
— Quoi, non—
— Retourne chez Mari ! »
C'est peut-être à cause de la peur qu'il a vue dans ses yeux ou la gravité de sa voix mais dans les deux cas, Plagg obéit.
Adrien réfléchit. Son père va toquer, d'une seconde à l'autre. Il sait qu'il est chez lui, sinon il ne serait pas venu. Il a dû aller vérifier que sa voiture était dans le garage.
Comment il est entré dans l'immeuble ?
Ça n'a pas d'importance. Ce qui importe, c'est qu'il va toquer et que Marinette est ici. Il pourrait lui dire que c'est Lila, pourrait lui dire que c'est n'importe quelle fille avec laquelle il vient de passer la nuit.
Il est devenu un bon menteur.
Mais il sait que son père ne le croirait pas. D'habitude, ses mensonges sont calculés au mot près quand ça le concerne. Aujourd'hui, c'est différent. Il l'a complètement pris de court.
Il toque à la porte. Trois coups. Forts et distincts. « Adrien, c'est moi. Fais-moi entrer, il faut qu'on discute. »
Panique. Panique, panique, panique. Sa gorge se serre, ses mains sont moites, son cœur bat tellement vite qu'il sent son sang pulser contre ses tempes.
La porte est ouverte. Il n'a pas verrouillé la porte. À la seconde où il entend la poignée de porte se tourner, il file jusqu'à la salle de bain, referme la porte le plus doucement possible, lâche un juron en se souvenant qu'il n'y a pas de verrou.
Les pas de son père se rapprochent.
« Merde, merde, merde, » murmure-t-il. Il tourne la tête, distingue la silhouette de Marinette à travers la cloison de la douche.
Son père toque à la porte. « Adrien ? »
Il va entrer. Il va entrer. Cet homme n'a jamais eu aucun respect pour l'intimité de son fils alors il va entrer dans les secondes qui suivent.
Adrien ne réfléchit plus. Ou peut-être qu'il réfléchit, justement. C'est un peu flou.
La porte de la salle de bain s'ouvre et il est dans la douche avec Marinette. Elle est de dos. Adrien presse sa main contre sa bouche et son corps contre le sien avant qu'elle ait le temps de se retourner. « Chhh, c'est moi, » murmure-t-il dans son oreille en la sentant se tendre contre elle.
Elle se détend un instant. Et tout son corps se contracte à nouveau.
« Adrien ? » l'appelle à nouveau son père.
Inspirer. Expirer. Ne pas penser au fait que Marinette est pressée contre lui. Qu'il a son bras juste en-dessous de ses seins. Qu'elle soit complètement nue et vulnérable et que son père est à deux mètres d'elle.
Stabiliser sa voix. « Oui ? »
Sa main quitte la bouche de Marinette et se pose sur le bas de son cou. Ils doivent rester collées l'un contre l'autre — pour que leurs deux corps passent pour un seul vu de l'extérieur. Marinette l'a probablement compris puisqu'elle ne se débat pas. Elle s'appuie même un peu plus contre lui, ses cheveux trempés contre ses pectoraux.
« Ça fait cinq minutes que je t'appelle.
— Désolé, j'ai pas entendu. Qu'est-ce qui se passe ?
— Je voulais te parler de quelque chose.
— Maintenant ?
— C'est à propos de Marinette. »
Ils se tendent en même temps, l'un contre l'autre. Adrien ressert instinctivement son bras autour de sa taille et elle pose ses mains sur celui qui barre ses épaules.
« Elle t'a demandé de l'aider pour son rapport de stage ? »
Inspirer. Expirer. Stabiliser sa voix. Encore. « Oui.
— Hmmm. Bien. »
Adrien fronce les sourcils. « C'est bien ?
— Oui. Continue. Aide-la. Elle pourrait peut-être nous aider en retour. »
Il la sert tellement fort contre lui. « Nous aider ? Comment ? »
Son père ne répond pas tout de suite. Quand il le fait, sa voix est plus lointaine. « Je t'en parlerai au moment venu. »
Il ne rétorque rien. Même s'il le voulait, sa gorge est tellement serrée et sa respiration tellement saccadée qu'il ne le pourrait pas.
« On continuera cette discussion plus tard, » déclare son père en ouvrant la porte de la salle de bain. « Oh, et, Adrien ?
— Hmmm ?
— Peu importe ce qui se trame entre Lila et toi, arrange ça. »
Son souffle se coupe. Les secondes passent. Sa porte d'entrée s'ouvre. Et se referme.
Il ne lâche pas Marinette. Il n'arrive pas à respirer.
« Adrien ? »
Il n'arrive pas à respirer.
« Adrien ? Tu trembles.
— Tu vas bien, » murmure-t-il. « Tu vas bien. »
Il laisse son front tomber contre son épaule.
La peur de l'instant retombe mais la gorge d'Adrien reste nouée, ses mains continuent de trembler et son cœur bat toujours anormalement vite.
Il est sorti de la salle de bain, frappé par le fait que Marinette ait été complètement nue contre lui. Il s'est excusé, encore, encore et encore. Elle lui a seulement répondu qu'elle voulait des explications.
Et le voilà, trempé, tremblant de la tête aux pieds, sur le point d'avoir une conversation qu'il repousse depuis des années.
Ses pensées sont floues, ses mouvements encore plus. Il se change, essaie de respirer, boit un verre d'eau, s'assoit sur le canapé, essaie de respirer.
Marinette sort de la salle de bain. Ses joues et son nez sont rouges à cause de la douche — à cause de la douche ? — et ses cheveux mouillés reposent sur ses clavicules. Elle porte un short en cuir noir, une paire de collants et une chemise blanche trop large pour elle.
Elle est toujours bien habillée. Même quand son ex petit-ami vient de la rejoindre dans la douche pour échapper à son père toxique. Même là.
« Tu dois être au Comet pour quelle heure ? » Il est surpris de s'entendre parler.
« Quatorze heures. »
Il hoche la tête. Trop longtemps. « Tu veux manger quelque chose ? »
Elle amorce un pas dans sa direction. Fais non de la tête.
« Boire quelque chose ? »
Non, encore. Elle est maintenant devant lui. S'accroupit jusqu'à ce que leurs yeux soient au même niveau. « Adrien, » murmure-t-elle.
Il se perd dans le bleu de son regard. Si profond, si familier, si rassurant. Il y a tellement d'espoir. D'espoir en lui.
C'est bien la dernière personne sur cette planète qui espère encore quelque chose venant de lui. Et il est supposé briser tout ça ?
Sa gorge se noue un peu plus. Sa jambe s'agite nerveusement. Ses doigts tapotent le canapé. Tap, tap, tap. « Je sais même pas par où commencer. »
Marinette pose une main sur son genou. « Par où tu veux. »
De l'espoir, encore. Il brille dans ses yeux. Dans son sourire. Elle ne comprend pas. Ne comprend pas qu'il n'y a pas de meilleure partie par laquelle commencer. Ne comprend pas qu'elle est sur le point de le perdre.
Il est sur le point de la perdre. Encore.
Adrien ferme les yeux, repousse les larmes. « Mon père, » lâche-t-il. « c'est... c'est... » C'est trop dur. Les mots sont coincés dans sa gorge. Ou c'est peut-être un sanglot.
« Je peux pas, » murmure-t-il. « Je peux pas, Mari. » Il rouvre les yeux. Une larme coule. Dix larmes coulent.
Marinette ouvre ses yeux un peu plus grands. Elle se redresse, se hisse sur le canapé et— C'est son gel douche qu'il sent, sur la peau douce de son cou. Ce sont ses mains qui caressent ses cheveux. C'est son cœur qu'il sent battre contre son oreille.
« Ça va, » murmure-t-elle d'une voix douce. « C'est moi, Adrien. Tu peux tout me dire. Tu sais que tu peux tout me dire. »
Les larmes coulent silencieusement. Les mots doivent sortir et il n'est pas sûr qu'ils puissent le faire sans le sanglot resté coincé dans sa gorge. « Je sais. Je sais. »
Il est égoïste. Alors il prend quelques secondes pour s'enfermer dans son odeur, dans sa chaleur, dans la familiarité de ses doigts dans ses cheveux. Dans une autre vie, peut-être que ce serait devenu une habitude.
L'égoïsme n'est jamais long avec elle. « Mon père. C'est Papillon. »
Durant un instant, il n'est pas sûr d'avoir vraiment dit les mots. Parce que le sanglot est toujours coincé. Parce qu'elle ne dit rien. Parce qu'elle continue de le serrer contre elle.
Mais il sent le cœur de Marinette battre plus vite. Sent sa main trembler dans ses cheveux. C'est réel. Il vient vraiment de lui dire les mots qui ont gâché sa vie il y a quatre ans.
Il lui a dit.
« Adrien, » murmure-t-elle. Sa voix. Sa voix pousse un peu plus son sanglot le long de sa gorge. Elle est si douce. Comme si elle avait peur de le briser.
Comme s'il n'était pas déjà brisé.
« Adrien, » répète-t-elle. « Je suis tellement désolée—
— Je veux pas que tu sois désolée—
— Mais je le suis. T'es tellement... tellement gentil et généreux et attentionné et— C'est tellement injuste— »
Ce n'est pas son sanglot qui éclate. C'est celui de Marinette. Il se recule, heurté par ses larmes et par sa souffrance tellement tranchante qu'elle lui semble être un miroir de sa propre douleur.
« J-Je suis d-désolée, » répète-t-elle entre deux sanglots.
Comment un si petit corps peut contenir autant de larmes ? Comment son cœur peut continuer de se briser après tout ce temps ?
Adrien échange les rôles et la prend dans ses bras. « Chhh, » murmure-t-il contre son oreille. « Marinette, respire—
— J-Je peux p-pas, » s'étrange-t-elle. « J-J'arrive p-pas— »
Les larmes lui brûlent les yeux et son sanglot continue de lui comprimer la gorge. Il s'était attendu à tout. À des cris, de la colère, à ce qu'elle lui hurle dessus et qu'elle lui jette les pires des insultes au visage. À ce qu'elle parte, sans dire un mot. À quelques larmes, peut-être.
Mais pas à ça.
Elle se recroqueville sur ses genoux, niche son visage contre son torse et Adrien ressent les tremblements de ses sanglots jusqu'aux tréfonds de son âme.
Il a déjà été dans cet état. Quand il a appris que son père était Papillon et qu'il a compris ce qui l'attendait. Quand Marinette est partie. Quand il s'est rendu compte que son propre piège s'était renfermé sur lui.
Les sanglots tellement violents qu'on ne peut pas respirer, les crises d'angoisse si intenses qu'on ne sait pas si on reprendra un jour une bouffée d'oxygène, le cœur si douloureux que c'est comme si un poids constant appuyait sur la poitrine : tout ça, il connaît.
Il a donné.
Mais s'il a appris à y faire face, s'il a trouvé des moyens pour se sortir la tête de l'eau juste assez pour survivre, il a appris pour lui. Il a appris à se voir lui-même dans cet état.
Il n'aurait jamais imaginé que Marinette descende aussi bas que lui. C'était précisément le but de tout ce cauchemar : éviter qu'elle se retrouve à s'étouffer dans ses larmes.
« A-Adrien, j-je s-suis t-tellement d-dé— » Sanglot. « D-désolée— » Nouveau sanglot.
Il la berce, lui caresse les cheveux, la serre aussi fort que possible mais n'arrive pas à empêcher ses propres larmes de couler. La voir dans cet état — c'est ça, le vrai cauchemar.
« Marinette, » murmure-t-il, le nez dans ses cheveux. « Ça va, d'accord ? Je te promets que ça va—
— Non ! » s'exclame-t-elle en se redressant. « Non, ça va pas ! T'as dû gérer ça tout s-seul et— Tu m'as donné son Miraculous, comment tu m'as— » Elle presse ses mains tremblantes contre sa bouche. « Qu'est-ce qu'il t'a fait ? Adrien, qu'est-ce qu'il t'a fait—
— Je vais bien, » répète-t-il, ne sachant pas quoi dire d'autre. Il pose doucement ses mains sur ses poignets et entrelace ses doigts aux siens. Essaie d'ignorer son cœur qui se brise à chaque nouvelle larme qu'elle verse. « Je vais, bien, maintenant—
— Qu'est-ce qu'il t'a fait ? » demande-t-elle à nouveau. « Et tout à l'heure, pourquoi il veut que tu continues avec Lila, pourquoi— Il te force à être avec elle ? Il t'a forcé à— » Elle secoue la tête, comme si elle ne voulait pas y croire. « Non, non, c'est pas possible, c'est pas possible, c'est pas possible—
— Mari, » murmure-t-elle en pressant son front contre le sien. « Je t'expliquerai tout, je te le promets, d'accord ? Mais il faut que tu te calmes, d'abord. Il faut que tu respires—
— D'accord.
— D'accord, » répète-t-il en s'éloignant légèrement. « Fais comme moi, d'accord ? » Elle hoche la tête, ses mains toujours dans les siennes. « Inspire. Doucement. Et expire. »
Elle l'imite, un sanglot lui coupant la respiration au moment de l'expiration. Mais elle recommence, encore et encore, jusqu'à ce qu'elle arrive de nouveau à respirer — à peu près.
« C'est bien, » murmure-t-il, leurs mains liées posées sur ses cuisses. « C'est très bien. »
Sa tempe appuyée contre son torse, Marinette a ses jambes pliées en travers des siennes. « Tu fais beaucoup de crises d'angoisse ? » lui demande-t-elle d'une voix rauque.
« Ça m'arrive. J'en faisais beaucoup plus avant. Ça va mieux, maintenant. »
Elle hoche la tête, se recroqueville un peu plus contre lui. « D'accord. »
C'est comme si une mystérieuse force le poussait à poser ses lèvres contre son front ou c'est peut-être juste parce qu'il en meurt d'envie. Fatigué d'écouter sa raison, il le fait, il embrasse son front et Marinette sert un peu plus ses mains dans les siennes. « Comment t'as su que c'était lui ? »
Il prend une grande inspiration, appuie sa joue contre le sommet de sa tête. « Tu te rappelles la nuit qu'on a passée sur le toit du musée d'Orsay pour fêter ton admission ? La nuit où on s'est—
— La nuit où on s'est mariés, » complète-t-elle. « Oui, je me souviens. »
Son cœur fait une pirouette. « C'est là où je m'en suis rendu compte. J'ai juste... compris. C'était devant mes yeux depuis tout ce temps. »
Adrien a tendance à ne pas tenir en place quand il est nerveux. Alors, il fait distraitement courir les doigts de sa main droite le long de la cuisse de Marinette, sa main gauche toujours autour de la sienne. « Je suis rentré et je suis directement allé voir mon père. Je lui ai dit que je savais. Lui aussi, il savait. Que j'étais Chat Noir. J'avais tellement peur qu'il sache pour toi, aussi, » explique-t-il d'une voix qui, miraculeusement, ne tremble pas. « Mais il savait pas. J'ai jamais été autant soulagé de ma vie, » murmure-t-il en continuant de caresser sa peau à travers ses collants.
« Mon père, il a un but. Un vrai but. Cette histoire de réunir les deux Miraculous pour exaucer un vœu, c'est pas juste pour prendre le pouvoir. Il veut... ramener ma mère. C'est pour ça qu'il fait tout ça. »
Marinette se redresse. « Ta mère est en vie ? »
Il garde ses yeux rivés sur ses doigts qui parcourent sa cuisse. « Plus ou moins. Elle est gardée en vie mais... elle survivrait pas toute seule. Je l'ai vue, tu sais. Elle a pas changé. J'ai grandi, j'ai vieilli, mais elle... elle est toujours la même que dans mes souvenirs. » Sa voix lui semble lointaine, comme si ce n'était pas vraiment lui qui prononçait ces mots.
« J'ai hésité, » lâche-t-il. « Quand mon père m'a expliqué tout ça, il voulait que je le rejoigne. Il voulait que je te prenne ton Miraculous et que je l'aide à ramener ma mère. J'ai vraiment hésité. Mari, j'ai hésité—
— Encore heureux que t'aies hésité, Adrien. »
Surpris, il baisse ses yeux vers elle. Son regard brille. Des larmes, de la tristesse, de l'espoir, encore. Il y a tout dans ses yeux. Il y a son monde dans ses yeux.
« T'es humain. Bien sûr que t'as hésité. Avant d'être Chat Noir, avant d'être un super-héros, tu restes Adrien. Tu restes humain et tu restes un garçon qui a dû grandir trop vite et à qui sa mère manque, » murmure-t-elle avec une douceur infinie.
Le sanglot. Le sanglot est toujours là. Il sent une larme s'échapper de son œil.
Marinette l'essuie de son pouce, un fantôme de sourire au coin des lèvres. « J'aurais hésité aussi, Adrien. »
Il secoue la tête. « Tu comprends pas, Mari. J'ai menti à mon père. Je lui ai dit que j'étais d'accord. Je lui ai dit que pour avoir ton Miraculous, il fallait que tu baisses ta garde. C'est pour ça qu'il me l'a donné. C'est pour ça que je l'ai laissé chez toi après.
— T'as fait ce qu'il fallait—
— Peut-être. Mais je t'ai pas seulement donné mon Miraculous pour que mon père soit complètement impuissant. Je te l'ai aussi donné pour que je sois impuissant. Je t'ai en partie laissée partir parce que je savais pas ce que j'aurais pu faire—
— Mais tu l'as fait. Tu l'as fait, Adrien. Peu importe tes motivations, le résultat est le même. Les deux Miraculous sont toujours intacts. C'est tout ce qui compte. »
Il secoue la tête. « Pas pour moi. »
Marinette fronce les sourcils.
Il ne peut s'empêcher de sourire. C'est à peine là, juste un petit rictus. « Tu comprends toujours pas, c'est ça ? »
Elle penche légèrement la tête sur le côté. Les larmes perlent toujours à ses yeux. Ses lèvres sont recouvertes de sa salive et ses taches de rousseur ressortent sur sa peau rougie. Mon dieu, pense-t-il, elle est tellement belle. « Qu'est-ce que—
— Je suis amoureux de toi, Marinette. » Prononcer ces mots est la chose la plus facile qu'il ait faite depuis des années. Son rictus se change en vrai sourire face à l'expression de pure surprise qui se dessine sur le visage de Marinette. « Donc, oui, je veux que les Miraculous restent en sécurité mais... ma priorité, c'est toi. C'est pour toi que j'ai fait tout ça, avant n'importe qui d'autre. C'est pour toi que je continue de faire tout ça. Pour que tu puisses avoir une vie et faire des études et voyager et— Non, non, non, pleure pas, s'il-te-plaît—
— C-Comment tu peux dire des trucs comme ça ? »
Il n'arrive pas à savoir si c'est un reproche ou non. Les larmes rendent son intonation difficile à analyser. « Que je suis amoureux de toi ?
— Arrête de dire ça !
— Pourquoi ? »
Un grognement/gémissement/sanglot de frustration lui échappe. Elle semble presque énervée. Non, pas presque. Elle est énervée. « Parce que ça fait quatre ans que j'essaie de t'oublier ! »
Ses doigts se figent contre sa cuisse. La main de Marinette quitte la sienne pour essuyer ses propres larmes. « C'était le but.
— Le but ? Comment ça, le but—
— Il fallait que tu t'éloignes de moi pour que mon père s'éloigne de toi et pour que tu sois en sécurité—
— Donc t'as juste... décidé pour moi ?
— Tu serais restée avec moi.
— Bien sûr que je serais restée—
— Tu serais jamais allée à New-York, tu serais jamais allée à Pratt alors que c'était ton rêve—
— Adrien, tu peux pas comparer des études avec ça ! »
Il hausse les épaules. « C'est pas juste tes études. C'est que... tu t'es sacrifiée tout le lycée pour être Ladybug et Gardienne en même temps. C'était tellement dur mais tu l'as fait. T'as toujours été là pour moi, alors c'était juste mon tour de faire la même chose pour toi. »
Elle cligne des yeux. Une fois. Deux fois. « Mais c'est pas comparable.
— Si.
— Non ! On parle de remises en question, de crises d'angoisse, de petits mensonges que j'ai dû subir pendant le lycée. Mais j'ai survécu, et t'étais avec moi ! Alors que là... Adrien—
— J'ai survécu aussi.
— T'es sûr de ça ?
— Je suis là. »
Marinette secoue la tête. « Qu'est-ce qui s'est passé avec Ryle ? Avec Lila ? Pourquoi ton père pense que je pourrais vous aider ? Pourquoi tu voulais que je reste cachée de lui ? Qu'est-ce qu'il t'a fait à toi ?
— Mari—
— Voilà ! » s'exclame-t-elle. « C'est pas la même chose ! C'est pas comparable !
— Peut-être, » avoue-t-il. « Peut-être, mais je regrette pas.
— Putain, Adrien, comment tu— J'aurais pu être avec toi pendant tout ce temps, j'aurais pu t'aider, on aurait pu être ensemble—
— Tu mérites beaucoup mieux que ça, Marinette. Tu mérites mieux que de te sentir obligée de rester avec moi et de me ramasser à la petite cuillère à chaque fois que mon père m'adresse la parole. Tu méritais ces années loin de tout ça, tu méritais de vivre— »
Marinette se lève. Sa main glisse le long de sa cuisse et retombe à plat sur le canapé. Ce n'est pas seulement de la colère qui déforme son visage. C'est de la frustration.
« Comment tu peux... comment tu peux avoir une si faible opinion de toi-même, Adrien ? » souffle-t-elle, les yeux baissés vers lui. « Comment tu peux faire passer ta vie, faire passer ton bonheur et ta santé après celle de tout le monde ? Après la mienne—
— Parce que je t'aime, Mari—
— Arrête ! » hurle-t-elle. « Arrête de dire ça ! »
Les larmes perlent à nouveau à ses yeux. Adrien ouvre sa bouche mais la referme aussitôt. Il n'a jamais eu l'intention de la blesser ou de l'accabler en lui avouant ses sentiments. C'est juste la vérité, ce qui explique tous ses actes.
Mais bien sûr qu'elle ne veut pas l'entendre. Bien sûr—
« Arrête, » répète-t-elle, plus doucement, cette fois-ci. « Arrête de t'imaginer ce que je peux penser ou ressentir et te convaincre que c'est la vérité parce que t'en sais rien, d'accord ? »
Ses mains tombent sur ses épaules et remontent doucement jusqu'à son cou avant de se poser de part et d'autre de ses joues. Adrien se laisse apprécier la chaleur et la familiarité de ses paumes. Elle lui a tellementmanqué.
Même là. Même maintenant, même quand elle est juste devant lui, elle lui manque. Elle lui manque chaque seconde. Chaque instant—
« Adrien, » murmure-t-elle. « T'as un tas de qualités mais t'as jamais été doué pour déchiffrer mes sentiments. »
Il entrouvre à nouveau les lèvres mais ne sait pas quoi dire. Qu'est-ce que ça signifie ? Est-ce qu'elle... non. Non, non, non. Impossible.
« Dis pas ça, » lâche-t-il. « J'ai abandonné tout espoir il y a bien longtemps, Marinette. Alors, s'il-te-plaît, dis pas de choses comme ça. »
Elle secoue la tête. Essaie de retenir ses larmes en regardant au plafond. Adrien ne retient plus les siennes depuis un moment. « Tu crois que l'idée que tu couches avec Lila me dégoûte juste parce que c'est Lila ? Tu crois que ça me fait rien de voir toutes ces filles que tu ramènes chez toi ? Tu crois que ça me fait rien de t'entendre— » Sa voix se brise. « De te voir avec une autre que moi ? Tu crois que ça me fait rien, tout ça ? Que j'essaie de t'aider depuis des mois juste parce qu'on a une histoire commune ? »
Ses mains quittent ses joues et se pressent contre son propre visage. Adrien est trop figé pour la retenir. Elle s'éloigne, se rapproche, fais les cent pas devant lui.
« J'ai chanté pour toi, merde, Adrien ! Les paroles— Ça pouvait pas être plus clair. Je pensais chaque mot. Chaque putain de mot— Mais tu te détestes tellement que tu veux même pas croire ce qui est juste en face de toi ! Tu— Ton père t'a détruit. Complètement détruit et j'étais même pas là pour— »
Sa voix se brise à nouveau. Un sanglot s'échappe de sa bouche à la place du reste de sa phrase et Adrien ne réalise qu'il s'est levé que lorsque ses bras sont autour de Marinette et que son visage est à nouveau pressé contre son torse.
« Chhh, » murmure-t-il. « Je suis désolé—
— Sois pas d-désolé ! » pleure-t-elle contre lui. « J-justement !
— D'accord, » dit-il, son menton pressé contre le haut de sa tête. « D'accord, je suis pas désolé. » Marinette émet un son entre le sanglot et l'éclat de rire et il passe une main en-dessous de ses cheveux, pressant ses doigts contre sa nuque. « You could put an ocean between our love, love, love, it won't keep us apart. You could build a wall, I would run it up, up, up, just to get to your heart, » murmure-t-il contre elle. « C'est ça ? »
Elle hoche la tête. « Je sais que tu crois que t'es seul et que ton bonheur importe pas mais je te promets que c'est faux. » Elle lève les yeux vers lui et Adrien pourrait se noyer dans son regard jusqu'à la fin de ses jours. Avec les larmes, on dirait un ciel d'été après la pluie. « Je veux que tu sois heureux. Peu importe ce que ça signifie. »
Elle le regarde. Il la regarde. Et pour la première fois depuis des années, il a l'impression d'être vraiment vu.
Il y croirait presque. Il croirait presque qu'il mérite cette chaleur dans son cœur et les picotements au creux de son ventre. Elle lui ferait presque croire qu'il la mérite.
Presque.
« Tu sais pas ce que j'ai fait, » lâche-t-il. « J'ai fait des choses horribles. Des choses qui m'empêchent de dormir la nuit, Marinette. »
Elle ouvre la bouche mais il pose son doigt sur ses lèvres. « Je mérite pas d'être heureux. Et je te mérite sûrement pas toi. »
Elle secoue la tête. Il voit dans ses yeux qu'elle ne le prend pas au sérieux. Qu'elle ne se rende pas compte d'à quel point son passé est terrible.
« Ryle, » murmure-t-il. « Il était sous les ordres de mon père. C'est pour ça qu'il a essayé de te droguer. Et j'ai... j'ai... »
Il ferme les yeux, incapable de voir la manière dont Marinette le regarde changer à tout jamais. « Je l'ai tué, Mari. Lui et d'autres. » Son doigt glisse le long des lèvres de Marinette jusqu'à ce que sa main retombe le long de son corps. « Je suis un meurtrier. C'est tout ce que je suis. »
chapitre un peu lourd mais nécessaire, l'histoire avance ! j'espère qu'il vous a plu !
petite annonce : je posterai un chapitre toutes les deux semaines à partir de maintenant parce que mon rythme d'écriture ne suit plus et que je préfère faire ça que de ne rien vous poster pendant un mois. désolée mais j'essaie vraiment de faire au mieux !
passez une bonne semaine !
— lucie.
