Chapitre 2

Grissom arriva au parc à 15 heures précises. Ses mains étaient moites et tremblaient. Il était nerveux. Il se sentit ridicule. Il pouvait passer des heures sur une scène de crime, dans une salle d'autopsie sans ressentir la moindre peur. Mais pas dans un parc en pleine journée, en attendant une jeune femme qu'il connaissait. Vraiment…

-Gil !

Grissom releva la tête et aperçu Terri assise sur un banc, à coté d'une place de jeux pour enfants. Il alla s'asseoir à côté d'elle. Immédiatement il remarqua qu'elle n'allait pas bien. Ses traits étaient tirés, ses joues creusées et son teint pâle et maladif. De plus, il aurait juré que ses cheveux avaient changés. La couleur peut-être ?

-Comment vas-tu Gil ?

-Bien et… et toi ? Il se maudit intérieurement pour son hésitation qui ne pouvait passer inaperçue.

-Bien, aujourd'hui.

Un long silence gêné s'installa immédiatement. Grissom ne savait que faire. Demander pourquoi ? Ne rien dire et parler de la lettre ? N'ayant pas d'autre idée plus lumineuse, Grissom adopta sa tactique habituelle : il attendit.

-Ecoute Gil… je ne vais pas y aller par quatre chemins. Je t'ai écrit cette lettre car j'ai quelque chose de très important à te dire. Plusieurs choses même. Et… autant te prévenir tout de suite, elles risquent d'être choquantes…

Terri fit une pause pour juger de la réaction de son interlocuteur. Rien.

Pourtant, Grissom pensait. Il avait déduit que l'une de ses terribles nouvelles concernerait probablement sa santé. Il cherchait désespérément un moyen de faire savoir à Terri qu'il l'écoutait. Mais il était comme paralysé. Figé sur place. Il ne put que hocher la tête. La jeune femme continua :

-Je… Gil je suis malade. Très malade. Les médecins m'ont découvert un cancer du pancréas il y a un peu moins de 6 mois.

Grissom blêmit. Le cancer du pancréas est mortel dans pratiquement 100 pour cent des cas. Les malades ne survivent pas plus de 6 mois. Ainsi Terri allait…

-Je vais mourir Gil.

Cette fois, le scientifique tressaillit de façon visible. Une horrible vague glacée venait de traverser son corps entier. Il avait vu des milliers personnes mortes au cours de sa carrière, souvent décédées dans des circonstances horribles. Il côtoyait la mort tous les jours. Il savait que tout le monde finissait dans un cercueil un jour ou l'autre. Certains plus tôt que d'autres. C'était dans l'ordre des choses. Mais le Dr. Grissom n'avait encore jamais entendu l'annonce d'une mort prochaine et irrémédiable. Il était toujours arrivé après. Pour l'heure, il était là avant. Et c'était la première fois.

-Mon Dieu Terri… je… je l'ignorais. Je…

-Peu de gens le savent Gil. En tout cas à mon travail. Je n'ai rien dit, sauf à mon patron. Pour les autres, le temps viendra.

-Pourquoi moi alors ?

-Justement, c'est là que tu deviens directement concerné. Je… c'est la partie la plus difficile Gil. Celle qui est susceptible de te choquer le plus.

Terri s'interrompit un instant pour reprendre son souffle, et surtout pour contenir les larmes qui commençaient à envahir ses yeux. Pas encore, pas maintenant !

-Maman !

Gil et Terri tournèrent la tête en même temps. Un petit garçon arrivait en courant vers eux. Grissom crut que son cœur allait disparaître à force de le sentir se serrer quand il comprit pourquoi le petit garçon arrivait droit sur leur banc : Terri Miller allait mourir et elle avait un fils.

Le petit garçon se jeta dans les bras de sa mère et lui donna un beau baiser mouillé sur sa joue. Il se tourna ensuite vers Grissom et lui adressa un magnifique sourire. Lorsque Grissom regarda le visage de l'enfant, il ne put s'empêcher de le trouver beau. Il avait les cheveux blonds de sa mère, quoique plus foncés. Il avait ses traits fins aussi. Un détail retint son attention, détail assez important pour que le sang de l'entomologiste ne fasse qu'un tour. Ses yeux. Bleus foncés. Grissom les voyait tous les matins dans son miroir.

Sara frappa à la porte du bureau du directeur adjoint du laboratoire.

-Entrez !

Sara poussa la porte et entra dans le bureau d'Ecklie.

-Ah Miss Sidle. Que puis-je pour vous ?

-Je suis venue discuter de mon changement d'équipe.

-Pardon ? Je veux dire oui, je vous écoute ?

-Je désire quitter l'équipe de nuit et être réaffectée à l'équipe de jour.

-Pour quelles raisons ? Des problèmes avec vos coéquipiers ?

Sara savait très bien à quel coéquipier il faisait référence. Grissom. Forcément. Tout le labo semblait au courant qu'il pouvait exister une certaine tension entre elle et son superviseur. Relation en dents de scie que tous percevaient, sauf l'intéressé lui-même.

-Non. Problèmes personnels. Je dois changer d'équipe pour des raisons de santé. Voyez avec mon médecin dont voici le numéro.

Sara n'avait aucune envie d'entamer une discussion sur le travail nocturne et ses répercutions sur la santé avec Ecklie. Surtout pas s'il s'agissait de sa santé. Son médecin saurait très bien expliquer la nécessité du changement en des termes plus que professionnels à son supérieur. Pour l'heure, elle voulait passer le moins de temps possible dans ce bureau.

-Bien. Je l'appellerai. Mais je souhaite tout de même en savoir plus sur ces raisons de santé. Peuvent-elles interférer avec votre qualité de travail ?

-Si je reste dans l'équipe de nuit oui.

Ecklie s'adossa à sa chaise et scruta Sara d'un air concerné. Il réfléchissait.

-Ecoutez, je ne suis pas contre ce transfert. L'équipe de jour aurait bien besoin d'un élément comme vous. Elle est un peu… faiblarde depuis que j'ai été promu directeur adjoint. Mais je ne peux pas examiner cette éventualité sans quelques détails supplémentaires.

Evidemment ! Sara aurait dû s'en douter. Ecklie la fouine n'allait pas manquer cette belle occasion de tenir Sara dans sa main. Le fin sourire mielleux qui se dessinait sur les lèvres du directeur adjoint fit se crisper les mains de la jeune femme. Elle devait rester polie et aimable.

-Oui, je comprends. Disons que les horaires de nuit ne me conviennent plus. Et ce n'est pas une question de volonté, mais bien de physiologie. Mon médecin m'a diagnostiqué une fatigue chronique due au travail de nuit. Sur ses ordres, je dois revenir à un rythme diurne pour remettre mon horloge endocrinienne en ordre. Ce sont ses propres mots.

-Je vois. Je vais en parler à Cavallo et voir comment nous pourrions redistribuer les effectifs. Je vous tiens au courant. En attendant, je vous accorde quelques jours de congé.

-Bien, merci. J'attends de vos nouvelles.

Sur ces paroles, Sara se leva et sortit du bureau. L'entretien s'était bien passé, et même si la jeune femme refusait de l'admettre, les questions d'Ecklie restaient légitimes. Elle lui demandait tout de même de remodeler ses équipes pour elle. Et puis… il avait été plutôt magnanime, pour une fois. Satisfaite du résultat, Sara sortit du LVPD et, pour la première fois depuis longtemps, décida de profiter de sa journée pour aller flâner en ville. Mademoiselle Sidle allait passer une journée à ne rien faire.