Et hop ! Voici le chapitre 9… Apparemment, l'histoire de l'ascenseur plaît à tout le monde, toutefois, je ne l'ai pas exploitée à fond, c'est-à-dire mettre en scène deux heures de conversation acharnée et profonde entre Grissom et Sara. J'ai d'autres projets pour ces moments-là niark niark… Sinon, je vous remercie tous pour vos reviews ! C'est toujours un plaisir de lire vos réactions, vos suggestions ou vos attentes.
Chapitre 9
Contre toute attente, Grissom se sentait curieusement bien, prisonnier dans cette cage d'ascenseur. L'obscurité et l'espace étroit avaient quelque chose de rassurant. Pour quelques instants, il se sentait en sécurité, dans un lieu assez petit pour permettre le contrôle des évènements. Le scientifique avait l'impression que rien ne pouvait lui arriver de plus, là, dans cet espace clos fermé au monde extérieur. Cette prison d'infortune présentait une trêve inespérée dans le tourbillon des évènements qui se précipitait dans sa vie d'habitude si tranquille. Et puis… Il sentait le corps de Sara, plus proche qu'il ne l'avait jamais été. Sa présence avait quelque chose de rassurant et de terrorisant à la fois, comme lorsque l'on souhaite qu'une chose tant désirée nous soit enfin accordée, mais que lorsque cette possibilité se produit, une peur soudaine fait son apparition.
Il avait assez lu de poèmes de Baudelaire pour savoir à quoi était due cette étrange sensation. Le poète prétendait que nous courrions tous après un idéal, un rêve, souvent représenté par une personne, qui dominait toutes les autres relations. Ce souhait guide notre façon de vivre, notre comportement. Il devient notre but ultime. Par la force des choses, on finit toujours par s'en rapprocher, voire, pour certains, par l'atteindre. Mais c'est alors que la traîtrise de la nature humaine prend toute sa forme. Si l'on atteint son objectif, celui-ci perd alors de sa saveur. Il devient tout de suite moins intéressant, on s'en détourne. On s'en lasse. L'Homme est guidé par son envie, sa soif insatiable de posséder ce qu'il n'a pas, ou ce qui semble inatteignable, impossible.
Grissom avait vu assez de la nature humaine pour savoir que pratiquement personne n'échappait à cette règle. Pas même lui, même s'il ne savait pas exactement ce qu'il chassait. Pas même Sara. Il savait leur relation polluée par leur respective peur de s'engager, de faire confiance. Mais il s'était souvent demandé si le précepte de Baudelaire pouvait s'appliquer à leur histoire. Et si, comme Baudelaire jadis, lui aussi courrait après une femme-reine, la plus belle de toutes? Si c'était Sara? Et réciproquement, si lui, le Dr. Gil Grissom était pour Sara l'homme idéal ? Grissom ne savait pas s'il trouvait cette possibilité magnifique ou au contraire terrifiante… quand on sait ce qu'il advint de la femme de Baudelaire lorsqu'il put enfin accéder à son rêve… Désintérêt, abandon, lassitude… Etait-ce cela qui les attendait, une fois leur envie assouvie ?
Grissom sortit de ses considérations métaphysiques et se concentra sur le contact délicieux de l'épaule de Sara contre la sienne. Des frissons de contentement traversaient l'échine du scientifique. Il se sentait troublé. Il pouvait sentir le souffle de la jeune femme résonner dans ses oreilles. Elle était si près. Pendant un instant, il se concentra sur les mouvements pulmonaires de sa coéquipière.
Sara respirait bien trop rapidement.
L'entomologiste sentait l'angoisse transparaître dans le souffle de sa jeune collègue. Elle était absolument silencieuse et n'esquissait aucun mouvement, cependant sa respiration se faisait saccadée et irrégulière.
-Sara ?
-Hum ?
-Vous allez bien ?
-Oui oui, souffla-t-elle dans un murmure, parfaitement consciente que son mensonge ne lui échapperait pas.
-Vous respirez beaucoup trop rapidement. Qu'est-ce qui ne va pas ?
-Je déteste les ascenseurs Grissom.
-Je vois… Vous les détestez à quel point ?
Sara hésita un instant avant de répondre. Il fallait qu'elle se calme, elle ne voulait pas risquer une bête crise de panique devant son collègue. Elle se sentait ridicule. Elle pouvait passer des heures dans une salle close en compagnie des pires criminels de la ville, mais elle paniquait bêtement dans une simple cage d'ascenseur.
Mais elle n'était pas libre de sortir.
-Au point que… disons…
-Vous êtes claustrophobe ?
Mince ! Il avait mis le doigt sur le problème ! Bien sûr que non elle n'était pas claustrophobe. Sinon comment aurait-elle pu passer des heures sur des scènes de crimes souvent exigues ? C'était juste que… juste qu'elle détestait les endroit clos et noirs. Trop de mauvais souvenirs.
-Non, bien sûr que non Grissom. C'est une peur restreinte aux lieux confinés et obscurs. Chacun ses terreurs Grissom. Vous n'avez peur de rien ?
-La peur n'est rien d'autre que le reflet d'une situation que l'on ne contrôle plus.
-Et vous vous contrôlez tout hein ? Oh arrêtez vos salades ! Il est des peurs qui sont ancrées au fond de nous-mêmes depuis que nos premiers souvenirs existent. Et celles-là n'ont rien à voir avec la perte de contrôle sur les évènements !
Sara se mordit les lèvres. Elle en avait trop dit.
-De quoi avez-vous peur ?
-Laissez tomber Grissom ! J'aimerais juste sortir d'ici et aller interroger notre directeur des relations humaines.
-Lesquelles Sara ?
-Grissom… ce n'est pas le moment…
-Sara !
La jeune femme savait que tôt ou tard elle devrait lui expliquer. Elle avait déjà pu tester la force de persuasion de Grissom, un jour dans son appartement. Il avait été le seul à réussir à lui arracher son terrible secret. Et cette fois-ci, elle n'y couperait pas non plus, elle allait devoir révéler une des autres facettes noirâtres de Mr Sidle. Mais une idée lui vint :
-Echange standard Grissom. Je vous le dis, et je peux vous poser une question personnelle en retour ?
L'entomologiste réfléchit. Il voulait faire parler Sara, certes, mais surtout pour lui éviter de penser à ses angoisses. Il décida de risquer le coup.
-C'est d'accord.
-Bien. Vous connaissez déjà l'état de ma glorieuse famille… En plus de battre ma mère, mon père avait la sale habitude de m'enfermer dans le placard à balais du hall d'entrée quand je ne m'étais pas comportée correctement selon lui. C'est-à-dire très souvent. Il m'y emprisonnait, porte fermée à double-tour, sans lumière, ni eau ni nourriture. Comme il était le plus souvent complètement saoul, il m'oubliait régulièrement et c'est ma mère qui venait me délivrer après plusieurs heures. Satisfait ?
Grissom ne répondit rien. Rien n'avait été épargné à la petite Sara décidemment. Mais il n'eut pas le temps de compatir longtemps à l'enfance malheureuse de sa collègue. La brusque question de la jeune femme crispa instantanément tous ses muscles.
-Qui est Matthew ?
C'était au tour de Grissom d'hyperventiler sérieusement. La terreur venait de s'emparer de lui. Comment savait-elle ? Il avait jalousement gardé ce secret. Personne ne pouvait savoir, il n'en avait pas touché un seul mot au laboratoire, pas même à Ecklie. Soudain, l'ascenseur perdit de son charme et de sa quiétude. L'espace semblait se refermer autour de lui, devenant ainsi étouffant et oppressant. Il se sentait atrocement acculé dans un tout petit recoin, sans aucune issue pour s'échapper. Il avait promis.
-Ah laissez tomber Grissom… je savais bien que vous ne respecteriez pas votre part du marché. Au fond, même dans le plus petit espace de la Terre, il faut toujours se battre pour vous attraper.
Encore ce mot. Se battre.
-Sara je…
-Laissez tomber j'ai dit. Finalement, je n'ai pas envie de livrer une bataille verbale avec vous aujourd'hui.
Grissom pouvait sentir la déception de Sara. Il sentait sa colère aussi. Il se demandait si sa bouche formait la petite moue de frustration qui apparaissait lorsque Sara n'avait pas obtenu ce qu'elle voulait. Mais il savait aussi que, une fois de plus, il l'avait blessée. Elle lui avait révélé une sombre facette de son enfance, et lui faisait son prudent, protégeant son jardin secret. S'il persistait à refuser de répondre à cette question, il allait rendre leur relation encore plus compliquée qu'elle n'était déjà. Mais s'il répondait…
-Comment connaissez-vous son existence Sara ?
-C'est moi qui pose les questions Grissom… je vous ai vu argumenter sur le choix d'un légume pour votre souper dans le rayon végétarien du supermarché de mon quartier.
-Ah…
Puis, ce fut le silence. On entendait parfois les grincements des câbles qui portaient la cage de l'ascenseur. La respiration de Sara était toujours rapide et irrégulière, mais cette fois Grissom soupçonnait qu'elle ne fût pas uniquement due à sa claustrophobie. Ils restèrent ainsi pendant de longues minutes, chacun réfléchissant dans son coin sans mot dire. Puis, Sara commença à s'agiter. Elle cherchait visiblement une position plus confortable, car ses jambes commençaient à s'ankyloser sérieusement. Elle choisit de s'asseoir contre l'une des parois, repliant ses jambes contre son torse.
Le changement de posture de sa collègue fit perdre le contact entre Grissom et Sara. Le scientifique s'aperçut que la chaleur légère de son corps lui manquait. Il se rendit compte que même s'ils étaient enfermés dans un ascenseur, même s'ils avaient manqué un important rendez-vous pour leur enquête, même s'il sentait la colère de Sara se distiller dans l'air saturé de leur prison momentanée, même après tout ça, il était content d'être seul avec elle. Et aussi curieux que cela puisse paraître, c'était un fait nouveau pour l'entomologiste.
-Matthew est mon fils Sara.
La jeune femme tressaillit en entendant la nouvelle. Elle ne pensait pas qu'il répondrait à sa question, mais surtout, elle n'attendait pas cette réponse-là ! Un fils ! Si Grissom avait un fils, c'est que ce petit garçon devait bien avoir une mère quelque part. Une future Mme Grissom ? En un instant, tous les rêves les plus fous de Sara disparurent dans un brouillard d'illusions perdues. Elle n'avait plus aucune chance. Elle n'en avait même probablement jamais eue. Quelque part au fond de la conscience de Sara, une petite voix lui susurrait sournoisement qu'elle s'en doutait…
-Votre fils ?
-Oui, j'ai été aussi interloqué que vous en l'apprenant.
Sara secoua sa tête. Avait-elle bien compris ? Il venait de sous-entendre qu'il l'avait appris récemment ? L'esprit entraîné de Sara se mit alors à fonctionner. Le changement d'équipe, les absences inhabituelles, son air préoccupé… Il n'y avait pas de Mme Grissom… où il n'y en avait plus. Sara s'accrochait à cette mince possibilité, comme un naufragé étreint avec force la planche de bois qui l'empêche de se noyer. Avait-elle une rivale ?
Grissom sentait le trouble de sa compagne d'infortune. Il ne savait que dire. Devait-il s'expliquer ou fallait-il attendre un signe de Sara ? Il aurait donné son plus beau papillon, voire même son meilleure coléoptère pour savoir ce qui se passait dans la tête de la jeune femme.
Le silence pesant de l'ascenseur fut rompu par les grésillements de l'interphone.
-Il y a quelqu'un ?
Grissom se leva immédiatement et pressa le bouton de communication :
-Ici Gil Grissom et Sara Sidle, nous sommes prisonniers d'un ascenseur en panne.
-Nos écrans affichent une panne sur le numéro 12. Nous vous envoyons une équipe.
Oubliant leur conversation en cours, les deux CSI se préparèrent à accueillir les dépanneurs. Jusqu'à l'arrivée des services techniques, aucun des deux ne proféra un son.
Grissom faisait les cents pas dans son appartement, attendant avec nervosité l'arrivée de son fils. Un puissant nœud d'angoisse tordait son estomac depuis le matin. Il n'avait pas revu son enfant depuis le décès de sa mère. Après discussion avec les services sociaux et Clara, la meilleure amie de Terri, il avait été convenu que Mattew passerait les funérailles en compagnie de la jeune femme. Tout deux étaient tombé d'accord pour dire qu'en ces moments difficiles, le petit se sentirait certainement mieux aux côtés de quelqu'un qu'il connaissait depuis toujours. Aussi, Gil s'était-il rendu seul à l'enterrement deux jours plus tôt. La cérémonie avait été belle, mais simple. Il avait compté une cinquantaine de personnes, nombre honorable, compte tenu du fait que la jeune femme n'avait plus de famille. Il n'y avait pas eu d'oraison funèbre, mais un simple moment de recueillement accompagné d'une douce mélodie de blue-jazz. La musique favorite de Terri. Chacun avait déposé une rose sur le cercueil de la défunte, tous sauf Matthew. Accompagné de Clara, il était allé déposer deux pissenlits. L'un jaune et jeune, et l'autre gris et fané. Puis, il s'en était allé.
A présent que Terri s'en était allée, Grissom devait faire face à sa promesse. Seul. Il se préparait à endosser son rôle de père, lui qui n'avait aucune idée de quoi était composée cette mission. A cet instant, plus que tout autre, l'absence de son propre père durant son enfance lui pesait.
Trois coups brefs frappés à la porte de son appartement le tirèrent de sa rêverie. Il alla ouvrir la porte et se trouva face à face avec Clara et Mattew. Le petit garçon serrait si fort sa grenouille contre son visage qu'il en avait les jointures des mains toutes blanches. Il tenait la main de Clara avec la même fermeté et ne bougea pas lorsque la porte s'ouvrit. Il resta caché derrière la fourrure sécurisante de Chocogrenouille.
-Bonjour Clara, puis, il s'agenouilla à la hauteur du petit garçon et le salua de sa voix la plus douce.
L'enfant serra sa peluche de plus belle et tourna la tête dans la direction opposée à son père. Cette réaction n'émut pas plus que ça le scientifique qui avait prévu que le petit garçon serait timide et renfermé.
-J'ai apporté les dernières affaires de Matthew Mr Grissom. Entre Matty, n'aie pas peur.
L'enfant s'exécuta, mais resta planté dans le hall d'entrée. Grissom invita Clara à entrer dans le salon, puis pris la petite main du garçonnet et le conduisit dans le living-room.
-Viens voir ta chambre Mattew.
Il garda la main de son fils dans la sienne et lui montra le chemin vers sa chambre. Lorsqu'ils entrèrent dans l'ancien bureau de Grissom, le visage de l'enfant s'éclaira légèrement. Grissom avait décoré entièrement la pièce. Il avait fait poser du papier peint à l'effigie des plus terribles créatures de l'ère du Jurassique. Les dinosaures ornaient également la couverture du lit de l'enfant. Matthew lâcha la main de son père et fit le tour de sa chambre. Il remarqua que tous ses jouets étaient présents, ainsi que tous ses livres. Il scruta la bibliothèque et remarqua quelques nouveaux ouvrages. Il se mit immédiatement à les feuilleter, oubliant pour un cours instant la tristesse de sa situation. Les deux adultes profitèrent de sa fascination pour se retirer discrètement et rejoindre le séjour. Ils s'assirent sur le canapé et Clara commença :
-C'est magnifique ce que vous avez fait pour Mattew.
-Merci. Je vous sers quelque chose à boire ?
-Non merci. Mr Grissom, je dois vous avertir… Mattew ne va pas bien depuis la mort de sa mère. Lui qui était un garçon si volubile est devenu taciturne et renfermé. Il ne parle presque plus, sauf si on lui pose des questions. Il fait des cauchemars la nuit, sans jamais réussir à les expliquer. Et puis… depuis deux nuits, il s'est remis à faire pipi au lit.
-C'est normal.
-Oui… je… ça va aller pour vous ? Je veux dire…
-Je vois ce que vous voulez dire… je vais m'en sortir Clara. Toutefois… toutefois, puis-je vous demander la permission de vous appeler en cas de problème ? Je veux dire, Matthew vous connais bien et parfois, la présence d'une personne connue et aimée peut soulager bien des souffrances.
-Bien sûr, mais vous devrez apprendre à devenir cette personne Mr Grissom, vous êtes son père. Petit à petit, c'est à vous qu'il devra être attaché.
-Oui…
-Pour ne pas le troubler, je crois qu'il est mieux que je m'efface petit à petit de sa vie. Il doit comprendre que sa nouvelle place est ici, avec vous. Je continuerai à le voir, aussi souvent qu'il en aura besoin cependant.
-Merci.
Clara se leva, mettant ainsi fin à la conversation. Grissom se doutait bien que ce moment était difficile pour la jeune femme, après tout, elle connaissait Mattew depuis sa naissance. Il l'accompagna à la chambre de l'enfant, mais resta sur le pas de la porte. La jeune femme s'approcha doucement de l'enfant et lui posa les mains sur les épaules. Le garçonnet releva la tête et posa son livre. Comprenant ce que signifiait la présence de Clara dans la pièce, ses grands yeux bleus se remplirent de larmes, et sa lèvre inférieure se mit à trembler dangereusement.
-Poussin, c'est l'heure… Tu te souviens de ce que je t'ai dit ?
-Oui. L'enfant faisait de gros efforts pour ne pas pleurer.
-Alors c'est l'heure mon cœur…
Le petit garçon ne put contenir son chagrin plus longtemps et se jeta dans les bras de celle qui avait été sa maman au cours des dernières semaines. Il laissa couler les larmes de la première grosse tristesse de sa vie sur le chandail de la jeune femme et sanglota d'une tristesse sincère d'enfant blessé.
Grissom étudia la scène avec attention, sachant pertinemment que la prochaine fois, il devrait jouer le rôle de Clara. Il étudiait chacun des gestes de la jeune femme avec attention. Clara se sépara de Matthew et lui caressa une dernière fois les cheveux, puis se releva. Elle devait avoir correctement fait son travail, car le jeune enfant ne chercha pas à la retenir. Il resta assis au milieu de sa chambre, entouré de ses dinosaures qui malheureusement ne pouvaient rien faire pour atténuer ses larmes enfantines. Grissom raccompagna Clara à la porte, puis la referma sur elle.
Il était seul.
A l'autre bout de la ville, une autre personne versait de nombreuses larmes. Mais si Mattew pleurait pour la disparition d'un être cher, cette personne-là pleurait face à sa propre mort imminente. Dans un entrepôt désaffecté des entreprises Med-Oc, la chanson de John Lennon touchait à sa fin, tout comme la vie d'une jeune infirmière du Desert Palm Hospital.
TBC…
