Hello !

Vous aviez cru que ce chapitre n'arriverait jamais, hein ? Eh bien moi aussi, j'en ai douté, je l'avoue ! Mais le voici, et ainsi se clôture cette histoire.

J'ai hésité à couper le chapitre mais je me suis dit tant pis, j'en fais un aussi long que nécessaire, inutile de faire durer le suspense plus longtemps !

Je me suis fait plaisir, revenant un peu à mes racines et notamment à mon amour pour le shonen… Ça a été une joie d'écrire cette histoire, de revisiter d'une autre façon l'univers de FFXV, et donner le beau rôle à des personnages malheureusement si peu développés dans le jeu, et qui pourtant ont pris une place majeure dans mon imaginaire ! En plus j'ai pu revisiter l'une de mes scènes préférées du jeu, en la réécrivant à ma manière, et très franchement, c'est dans ces moments-là qu'on se rappelle pourquoi on aime autant écrire de la fanfic !

J'espère que ce chapitre final vous plaira et qu'on se croisera de nouveau quelque part sur Eos !

Enjoy !

PS : Je viens de terminer Macbeth et semble-t-il que ça m'est resté en tête pour écrire les dernières pages.


CHAPITRE NEUF : La jeune femme et le Réprouvé

Life's but a walking shadow ; a poor player,

That struts and frets his hour upon the stage,

And then is heard no more : it is a tale

Told by an idiot, full of sound and fury,

Signifying nothing

Shakespeare, Macbeth

I

Ils passèrent cette journée suivant les retrouvailles avec le groupe de Noctis à planifier leur incursion en Altissia. Leur plan était aussi simple qu'audacieux : se faire passer pour de simples touristes. Le Niflheim croyait Noctis et Ravus morts, et s'attendait à voir Luna arriver officiellement pour entamer des négociations – certainement pas à tout un groupe des deux familles royales qui viendrait avec un tel culot accomplir le rituel pour éveiller l'Hydréenne au nez et à la barbe des soldats impériaux. Ça pouvait fonctionner, cependant, ils n'avaient aucun plan B. Lorsque Luna accomplirait son rituel, il n'y aurait pas de retour possible : Noctis devrait absolument obtenir la grâce de la déesse afin qu'elle leur sauve la mise face aux impériaux qui autrement ne tarderaient pas à les déborder.

Quand ils eurent terminé leurs préparatifs stratégiques et logistiques, la nuit était déjà tombée. Ces jours plus courts qu'en hiver commençaient à peser sur le moral. Les mâchoires des ténèbres claquaient autour d'eux, et bientôt la menace se transformerait en péril mortel. Nyx se rassurait comme il pouvait en se disant qu'il avait déjà vécu une très longue nuit d'apocalypse à Insomnia, certain de ne jamais revoir l'aurore. Et quelles que soient les véritables raisons pour lesquelles il existait encore, il était plus déterminé que jamais à voir encore bien d'autres levers de soleil. Il n'irait pas se battre le cœur plein de ténèbres. Il refusait de se plier à la peur qu'elles suscitaient en lui. Et cependant, même la calme poésie du Cap Caem était entachée par cette obscurité tentaculaire qui s'immisçait jusque sous les lampes de la maison. La tension était palpable, devant autant à la mission qu'ils s'apprêtaient à accomplir qu'à la promiscuité qu'ils devaient partager. Les regards glacés que s'échangeaient Noctis et Ravus suffisaient à faire souffler un vent polaire sur la nuit pourtant clémente, Gladio tournait comme un animal en cage, Libertus jetait des regards nerveux et méfiants autour de lui, Ignis nettoyait la cuisine alors qu'elle était déjà immaculée, Prompto se rongeait les ongles, le nez plongés sur son appareil photo, et Luna… Où était Luna ? Nyx se redressa et parcourut le vaste salon du regard, sans la trouver. Il se leva discrètement pour inspecter les chambres et, toujours bredouille, il se résolut à sortir dans la nuit pendant que personne ne faisait attention à lui.

Il trouva la jeune femme dans la partie souterraine du phare, assise sur le quai non loin de la gueule de la caverne, ouverte sur la mer ténébreuse. Alors qu'il descendait l'escalier menant à la jetée, ses pas claquèrent avec un écho humide se mêlant à celui des vagues qui clapotaient sur les parois de pierre. Il perçut le murmure plaintif du bateau qui tirait sur ses amarres, tandis qu'au dehors, la lune dansait en silence sur les liserés d'écume. Il s'approcha de Luna et s'assit à ses côtés, contemplant l'horizon obscur. Il n'engagea pas la conversation, s'imprégnant du calme de cette cathédrale marine. Si bien qu'il eut un sursaut lorsque Luna prit finalement la parole :

« Noctis… Il ne veut pas porter l'anneau. »

Il tourna la tête, surpris, et pas sûr de comprendre :

« Comment ça ? »

Luna inspira, et reprit :

« Tu sais que je l'avais gardé pour lui après cette nuit à Insomnia. Alors, tout à l'heure… J'ai voulu le lui rendre.

— Il en a pas voulu ?

— Il l'a pris… Mais… Il ne le porte pas. Il n'a pas fait son deuil, tu comprends ? Pour lui, c'est l'anneau de son père… »

Nyx réfléchit quelques instants, et hocha la tête.

« Ouais… Je crois que je comprends. »

Et pourtant, sachant pour l'avoir lui-même vécu à quel point l'anneau était puissant, c'était aussi frustrant. Il aurait été de nature plus vindicative et revancharde, il en aurait voulu à Noctis. Ne pas se servir d'un tel pouvoir dans une situation telle que la leur, c'était presque criminel. Si Ravus l'apprenait, et il allait certainement l'apprendre très bientôt… ils auraient de sérieux problèmes. Ravus n'essaierait pas de s'en emparer à nouveau, il avait déjà échoué dans cette tâche. Mais sa colère était au moins aussi foudroyante que celle de Ramuh, et Nyx ignorait ce qui pourrait alors se produire. Cependant, ce qu'il percevait chez Luna tenait davantage de la tristesse que de l'inquiétude. Elle avait de la compassion pour le jeune prince, réalisa-t-il.

« À moi aussi, Regis me manque, avoua-t-elle. C'était un grand homme. Et tout le monde le sait. Quoi qu'il arrive, Noctis marche dans son ombre, et pourtant, il est voué à un destin bien plus grand.

— Destin ? Tu crois à ça, maintenant ? »

Un fin sourire joua sur les lèvres de Luna.

« Dans une certaine mesure, oui. »

Elle replongea dans le silence, puis reprit dans un filet de voix :

« Il n'a pas conscience de ses véritables pouvoirs… Et il n'est pas prêt à les utiliser.

— Mais tu as confiance en lui, non ?

— Oui. Il fera face. Il trouvera un moyen. Mais… J'aimerais tellement pouvoir le lui éviter…

— Pourquoi ? Tu n'en as pas assez sur les épaules ?

— Je ne vis pas ma vie comme un fardeau, Nyx. L'impuissance, voilà ce qui est terrible pour moi. Je suis heureuse d'agir, même si ça me coûte… »

Nyx soupira, devinant dans son souffle apeuré les mots retenus sur ses lèvres. Même si ça me coûte la vie, voilà ce qu'elle pensait. Mais lui non plus n'était pas impuissant, et lui non plus ne comptait pas laisser les autres faire des sacrifices à sa place.

« Aussi longtemps que je respirerai, je me battrai pour toi, Luna. »

Elle éclata de rire à ces mots, et il songea à s'en offusquer, mais en réalité, ça lui faisait du bien de l'entendre rire.

« Comme c'est chevaleresque ! » se moqua-t-elle, avant de se radoucir, posant sa main sur son genou et le serrant. « J'apprécie, Nyx. Vraiment. Et je te crois. Je ne suis pas seule, c'est pourquoi la nuit autour de nous n'est pas assez noire pour m'aveugler. »

Il frissonna légèrement à ces mots, et il lui sembla à lui aussi que les étoiles brillaient un peu plus fort, perdues dans les ténèbres de la mer. Il savait qu'elle avait raison. Il pouvait puiser en elle, en Ravus, en Libertus, le courage qui lui manquait. Car il avait foi en eux plus qu'en lui-même.

II

Le lendemain à l'aube, ils étaient fin prêts pour le départ. Ils embarquèrent leurs maigres bagages, puis se retrouvèrent sur le pont. La lumière bleuissait le noir de la nuit, l'horizon de plus en plus blanc commençait à frémir à l'approche du soleil. Il faisait frais et chacun frissonnait alors que le vent du large pénétrait dans la caverne et se frayait un chemin sous les vêtements. Ils échangèrent des regards sans un mot, puis Noctis se dirigea vers le poste de navigation et alluma le moteur. Nyx se déplaça vers la proue du navire et s'accouda au bastingage, respirant l'air frais en tâchant de chasser ses angoisses avec les lambeaux de nuit qui s'éparpillaient dans la lumière grandissante. Le bateau quitta la protection des rochers et s'élança en pleine mer, dévoilant des perspectives d'azur à l'infini, la crête des vagues se colorant d'argent pâle alors que les nuages épars accrochaient les reflets du soleil qui s'arrachait à l'océan obscur. Nyx serra le col de son manteau, s'emplissant les poumons de cet air iodé, vif et pur. Malgré sa mauvaise nuit, il se sentit revigoré, avec un quasi élan d'optimisme qui allégeait son cœur et libérait sa poitrine. Il suivit des yeux le vol fou d'un oiseau luttant contre les vents, avant de le plonger dans les flots bouillonnants autour de la coque du navire dans un grondement qui rivalisait avec celui du moteur. Il repensa à son amie Crowe, qui aurait adoré cette petite sortie. L'aiguillon froid et familier s'enfonça entre ses côtes. Au moins, le chagrin ne l'asphyxiait plus comme au début. Ses pensées se portèrent vers Noctis et il regarda le jeune prince à la barre, le visage fermé. Lui était sans doute encore incapable d'affronter l'absolu du deuil. Il fuyait le gouffre béant qui s'ouvrait en lui. Et Nyx ne pouvait pas l'en blâmer. Lui-même avait préféré s'y plonger corps et âme, mais parce qu'il pensait y trouver la mort.

Il frissonna, et reporta son regard sur l'horizon. À mesure que le jour grandissait, les teintes du ciel se réchauffaient, tandis que le bleu de l'océan se faisait plus profond. Il s'étira. Il avait mal partout. Il manquait définitivement de sommeil ces temps-ci… Le trajet serait encore long, aussi, il avait peut-être le temps de faire un petit somme. Il avisa les banquettes à l'arrière du bateau et s'y dirigea. Il croisa Ravus et lui adressa un sourire désenchanté. Il y avait encore moins d'intimité sur ce bateau que dans leurs habituels campements… Et cependant, il eut la surprise de sentir la main du prince se poser sur son bras pour le retenir. Il tourna la tête vers lui, après avoir vérifié par réflexe que personne ne les observait. Son regard fut aimanté vers les yeux gris de Ravus qui le fixaient avec sérieux. Puis, avant qu'il n'ait le temps de réaliser ce qui lui arrivait, Ravus l'attira à lui et l'embrassa avec une passion qui le bouleversa. Il prenait d'autant plus la mesure de ce geste que n'importe qui pourrait les voir. Ça voulait dire que le prince, d'une certaine manière, officialisait. Son cœur fit un bond dans sa poitrine, et il agrippa la nuque de Ravus tandis qu'il prolongeait le baiser, s'envirant de ses lèvres, du rugissement des flots, de ce sentiment d'intense liberté qui l'emportait loin au-dessus de ses peurs, dans les nuées avec les oiseaux marins, là où l'azur éternel miroite sous le soleil.

III

Quelques heures plus tard, ils s'engageaient dans la gorge étroite qui conduisait à l'enclave d'Altissia. Nyx n'avait jamais vu cette ville dont on lui avait conté des merveilles. Libertus et lui s'étaient postés à la proue, retrouvant un cœur battant de gamin à l'idée de poser les yeux sur cette ville pour la première fois. Prompto les avait rejoints, prêt à immortaliser leur arrivée. Et quand Altissia se dévoila soudain, ils restèrent quelques instants bouche bée, ne sachant plus où poser les yeux tant le regard était attiré de toutes parts par la magnificence de la cité. Elle semblait née des cascades et du lac qui la façonnaient, déployant ses bâtiments élancés et colorés se reflétant sur les eaux tranquilles, dressant ses édifices et ses tours ornementées, presque délicates, entre les trombes d'eau jaillissant des falaises. L'enclave était assez vaste pour permettre à la lumière d'y entrer généreusement, faisant étinceler les vitraux, les sculptures de marbre et les ornements de fer forgé. La ville entière était une œuvre d'art, sans qu'aucun bâtiment ne dénote dans son ensemble harmonieux, vibrant dans les reflets ensoleillés.

Après une première vérification d'usage aux portes de la ville, qu'ils passèrent sans encombres, ils s'amarrèrent aux docks. À quelques pas, la ville vibrait d'activité, comme si les gens n'avaient aucune conscience des événements qui secouaient le continent. Peut-être faisaient-ils semblant d'oublier que la nuit gagnait chaque jour quelques minutes, que les troupes impériales affichaient une présence ostensible dans les rues paisibles, ou que la nation voisine venait de perdre sa souveraineté. Ou peut-être tout simplement se voilaient-ils la face, persuadés que d'une façon ou d'une autre, tout irait bien. Une fois les valises débarquées, le petit groupe se prépara nerveusement à passer la douane. Ils étaient nombreux et plusieurs d'entre eux étaient de la royauté… Est-ce qu'ils pouvaient vraiment passer inaperçu ?

Mais c'était sans compter le bagout de Prompto. Le jeune photographe toujours si timide semblait aujourd'hui investi d'un courage neuf. Aussi, il s'avança vers les gardes avec une démarche pleine d'assurance, et leur adressa un sourire lumineux et enjôleur.

« Bonjour messieurs !

— Raison de la visite ? demanda l'un des gardes d'un ton formel.

— Ma cousine va se marier », dit Prompto en se penchant en avant, sur le ton de la confidence. Il désigna Luna du menton. « Elle est super timide. Vous comprenez, elle a seulement dix-huit ans… Mais ce gars, c'est l'amour de sa vie. Et nous tous, on est venus pour elle, pour célébrer ce moment unique.

— Vous tous ? fit le garde en haussant un sourcil, balayant du regard leur groupe. C'est qui, 'tous', exactement ? Il n'y aucune autre femme parmi vous ? Ça fait une escorte sacrément virile pour une jeune mariée. »

Prompto rit à la remarque du garde, en y mettant juste ce qu'il fallait de gêne.

« On est une famille un peu spéciale… expliqua-t-il. Croyez-le ou non, mais c'est la seule femme sur deux générations ! Et malheureusement, sa mère et sa grand-mère ne sont plus de ce monde… Alors il n'y a que nous, ses cousins, frères, ou oncles ! »

Le garde tapota nerveusement son uniforme du bout des doigts, comme s'il tentait de décider s'il croyait ou non à cette histoire, et demanda ensuite :

« Et ses belles sœurs ? Ou belles mères ?

— Ah… C'est aussi pour ça que notre famille est un peu spéciale. » Prompto se pencha davantage, et chuchota : « Il y en a un ou deux parmi nous qui n'a pas réussi à trouver chaussure à son pied, c'est vrai. Mais sinon… On est tous gay. »

Le garde eut un mouvement de recul et échangea un regard confus avec son collègue. Ils se détournèrent pour tenir un conciliabule, puis l'interlocuteur de Prompto lui fit face de nouveau en murmurant avec une légère rougeur aux joues :

« C'est bon, vous pouvez passer. Profitez bien de votre séjour à Altissia. Tous nos vœux de bonheur à la future mariée.

— Merci messieurs ! »

Tout guilleret, Prompto passa la douane, suivi de ses compagnons étonnés, gênés, exaspérés ou hilares, ce fut ainsi qu'ils pénétrèrent dans la cité. La suite serait bien plus difficile. Puisqu'ils n'avaient pas informé l'empire de leur présence, ils devraient se diviser en deux groupes. Les Lames de Noctis aideraient les habitants à fuir au réveil de l'Hydréenne, tandis que le groupe de Luna et le jeune roi du Lucis resteraient sur le site du rituel. Grâce à Weskham, une ancienne Lame Royale qui résidait ici depuis des années, ils furent en mesure d'informer discrètement à la première ministre de ce qu'ils s'apprêtaient à faire. Et pour ne pas laisser le temps à celle-ci de contrecarrer leurs plans, ils décidèrent de passer à l'action le lendemain à l'aube. Il y avait beaucoup trop d'inconnues dans ce plan, mais ils comptaient sur l'effet de surprise pour ralentir l'empire, tout en croisant les doigts pour que leur acte insensé ne fasse pas de victimes innocentes. Mais Luna était déterminée : impliquer le Niflheim était trop dangereux pour Noctis, et elle refusait de se retrouver impuissante, otage de l'empire. Ils devaient agir vite, efficacement, en parfaite coordination.

Une fois leurs chambres à l'hôtel réservées, ils se séparèrent pour vaquer à leurs occupations. Ravus, qui ne voulait pas courir le risque d'être reconnu par un soldat – et qui n'avait visiblement guère d'intérêt pour le tourisme – resta à l'hôtel. Nyx et Libertus avaient besoin d'air et partirent visiter le coin de leur côté, tandis que Luna et Noctis rattrapaient le temps perdu, et qu'Ignis, Gladio et Prompto optèrent pour un tour de la ville en gondole.

C'était la première fois depuis une éternité que Nyx et Libertus passaient un peu de temps juste tous les deux. Il s'était passé tant de choses. Avant cette nuit tragique à Insomnia, la mort de Crowe les avait séparés, et ils étaient heureux de retrouver atmosphère apaisée entre eux. Ils en profitèrent pour aller faire quelques paris à l'arène avec ce qu'il leur restait d'argent, plaisantant à moitié en disant que cet argent ne leur manquerait pas quand ils seraient morts. Aucun des deux n'avait l'intention d'y rester, mais ils étaient lucides : les chances ne jouaient pas en leur faveur. Alors ils firent comme au bon vieux temps avant une bataille : ils s'amusèrent, rirent, c'était leur façon à eux de se moquer de la peur et de la mort. Et Nyx comprenait mieux maintenant pourquoi les gens semblaient si insouciants dans cette ville : elle avait un étrange effet sur l'âme, comme une euphorie teintée de langueur et de nostalgie, donnant des envies de paresse, de luxe et de volupté.

Après l'arène, ils se posèrent dans un bistrot donnant sur le canal où la lumière déclinante crépitait en sourdine sur la surface. Tous les bruits leur parvenaient atténués au travers des galeries pleines d'échos qui formaient comme des alvéoles reliant entre eux tous les quartiers de la cité dormant sur l'eau. Ils burent quelques bières en se racontant des anecdotes du passé, se remémorant leur enfance difficile et aventureuse dans les territoires sauvages du Lucis. À la fin de la soirée, ils évoquèrent même Crowe, et pour la première fois, trinquèrent à sa mémoire sans détourner le regard. Ce petit moment guérit quelque chose en Nyx, qui revint à l'hôtel le cœur plus léger. Et ce fut peut-être ce qui lui donna le courage nécessaire qui lui manquait encore, pour aller frapper à la porte de Ravus.

IV

Sa réponse lui parut mettre une éternité à venir. Il eut le temps de penser dix fois à changer d'avis, d'essuyer quinze fois ses mains moites sur son jean, de prendre vingt longues inspirations comme un adolescent qui s'apprête à passer son oral de bac. Puis, la porte s'ouvrit et Ravus le regarda de haut en bas comme s'il voulait s'assurer qu'il n'était pas un imposteur. Ensuite, sans rien dire, il s'écarta pour le laisser passer.

Nyx entra dans l'atmosphère feutrée de la chambre de Ravus. Elle ne donnait pas sur le port, mais sur le canal, était plongée dans la pénombre et la présence du prince la recouvrait d'une atmosphère trouble, presque inquiétante. Nyx sentait son cœur cogner dans sa poitrine, dans ses tempes, dans sa gorge. Il avait encore plus peur de ce moment que de ce qui l'attendait le lendemain, mais il était aussi terrifié que déterminé. Il marcha jusqu'au milieu de la pièce et se défit de sa veste qu'il jeta sur le dossier d'une chaise. Puis se tourna vers Ravus.

La pénombre soulignait les angles de son visage, se logeait dans ses yeux dont elle adoucissait l'acier. Instinctivement, Nyx s'approcha. Il n'avait pas besoin de prononcer un mot, ils savaient tous les deux de quoi il était question. Cela pouvait être leur première nuit. Mais aussi la dernière.

Il sentit comme un frisson, un picotement froid sur sa nuque, quand la main de Ravus se posa sur lui. Ses lèvres épousèrent les siennes, et le frisson mourut dans une onde de chaleur qui s'étira dans sa poitrine, de son cœur à l'estomac, avant d'envelopper son ventre. Son sexe se dressa un peu douloureusement dans son pantalon qui lui parut soudain trop serré. Il posa une main possessive au creux des reins de son amant, le rapprochant de lui, collant son bassin contre le sien. Son cœur déjà fou s'emballa et un gémissement de désir se perdit dans leur baiser.

Un instant plus tard, ils étaient allongés sur le lit, à moitié dénudés, les jambes entremêlées, les mains voletant comme des oiseaux indécis, les lèvres assoiffées se cherchant dans la pénombre. Soupirs et gémissements étouffés froissaient le silence enveloppant, comme l'étoffe glisse sur la peau nue.

Leurs corps ne se connaissaient pas encore, ils apprenaient la langue de l'autre à la faveur de la nuit tombée, découvrant la grammaire et la prosodie des gestes, la ponctuation du souffle, le lexique voluptueux de la peau.

Ravus sentait l'aurore et les embruns, la liberté et le ciel. Nyx découvrait dans sa dimension intime un homme différent, solaire, captivant, mais aussi effrayant à l'image d'une éclipse distribuant à parts égales le clair et l'obscur. Son corps mutilé débordait de vitalité – marmoréen, il s'animait sous l'impulsion de son désir, sous son toucher, insufflant à son tour dans son corps l'énergie vitale la plus pure, et lui donnant cette sensation vertigineuse d'être si intensément vivant.

Ses lèvres tracèrent un sillon humide sur son torse, la peau froide se réchauffant près du cœur, ses mains se glissèrent sur les cuisses blanches pour se frayer un chemin jusqu'où se nichait les ombres, dans les creux de son corps, là où la chaleur se conjuguait à la nuit. Le dos de Ravus s'arqua comme un animal qui se cabre, sa poitrine s'ouvrit pour exhaler un profond soupir, et Nyx plongea en lui, pénétrant la froideur de son parfum, le feu de sa chair, et son cœur cognait furieusement tandis que dans les yeux de Ravus luisaient des reflets d'étoiles.

L'ivresse du plaisir transforma son corps en un océan qui s'échouait sur le rivage de son amant, inlassablement, un mouvement ample alimenté par le magnétisme des astres naufragés dans les yeux du prince. Nyx ne les avait jamais vu briller autant, et il ne pouvait ni ne voulait plus détourner le regard, se désaltérant de son infini à chaque nouveau flux et reflux. Leurs corps arrimés ondoyaient ensemble sur les draps presque en silence, comme s'ils craignaient tout à coup de briser l'harmonie. Et pourtant, lorsque la gorge de Ravus laissa échapper une plainte étranglée, presque douloureuse, Nyx lui répondit en écho, la pénombre de la chambre oblitérée quelques instants par la fulguration éblouissante du plaisir.

V

L'aube n'était pas encore levée lorsque leur petit groupe quitta l'hôtel. La veille, Camelia Claustra, première ministre d'Accordo, avait été informée de leur plan. Ils n'avaient pas été arrêtés dans la nuit, mais rien ne disait qu'un traquenard ne les attendait pas sur les lieux du rituel. Et ils crurent bien que tel était le cas lorsqu'ils y trouvèrent la première ministre en personne, encadrée de ses gardes. Nyx se tint à distance respectueuse, prêt à réagir en un clin d'œil si la situation dégénérait. De là où il se tenait, il ne put pas entendre ce que Luna, Noctis et Mme Claustra se disaient. L'atmosphère était tendue, les gardes de la première ministre sur les dents, mais pour l'instant, personne ne bougeait. Nyx jeta un coup d'œil à Ravus, qui restait lui aussi un peu en retrait et surveillait les échanges, la main posée sur la garde de son katana. Nyx ne pouvait pas bien discerner son expression dans l'obscurité, mais il devinait sa mâchoire serrée, ses sourcils légèrement froncés. Ce n'était pas le moment de se laisser distraire, et pourtant détacher le regard de son amant s'avérait difficile. Ils n'avaient guère dormi cette nuit, mais chaque instant de cette parenthèse obscure en avait valu la peine. Ç'avait été la première fois depuis des semaines que Nyx avait préféré la nuit au jour, si bien qu'il aurait presque souhaité que la prophétie échoue et que la nuit s'installe pour toujours, laissant les deux amants en paix dans leur monde.

Au bout d'une dizaine de minutes, Camelia Claustra s'en alla, emmenant avec elle Gladio, Ignis et Prompto. Le reste du groupe échangea des regards, et Luna la première marcha jusqu'aux eaux noires, là où la ville se rassemblait autour d'une vaste baie. Nyx se rappela que dans les profondeurs invisibles dormait une déesse, et son estomac se noua tandis que des frissons nerveux agacèrent son épiderme. Le jour commençait à poindre, grisant les bâtiments qui la veille encore l'avaient émerveillé par leurs couleurs baroques. Il étudia le site, échangea quelques mots avec Libertus, et trouva un point avantageux où il avait une vue d'ensemble, et depuis lequel il pourrait intervenir rapidement. Ravus resta près de sa sœur avec Noctis, mais se retourna pour le regarder. Son cœur se serra douloureusement, et il espéra de toute son âme qu'il ne s'agissait pas d'un adieu. Puis, Luna brandit son trident et frappa le sol de son manche nacré, faisant naître une onde qui se propagea à travers les maçonneries et dans les eaux qui tremblèrent. Le silence de l'aube sembla s'épaissir, comme si toute la ville se taisait, dans l'attente de l'événement extraordinaire qui était le point de se produire. Luna s'adressa alors à l'Hydréenne dans le langage énigmatique des Six. De là où il était, Nyx ne discernait pas tous les détails, mais il pouvait voir comme sa petite main blanche se crispait sur le manche de son arme, tandis que la princesse gardait les épaules bien droites, le menton haut. C'était une prêtresse qui ne craignait pas les dieux qu'elle servait. Elle l'avait dit elle-même : sa seule crainte était d'être réduite à l'impuissance. Mais qui aurait pu prétendre entraver sa volonté ? Luna régnait seule sur ses propres décisions, et en assumait les conséquences. Noctis pouvait-il en dire autant ? Nyx regarda le jeune homme qui attendait sans bouger, peinant à une nouvelle fois à croire qu'il était bien le roi élu, et que la terrible et colossale Hydréenne daignerait lui accorder sa grâce.

Un remous troubla les eaux immobiles de la baie où la nuit s'attardait, et Nyx sentit l'atmosphère changer, comme en pleine mer lorsque les nuages s'amassent en nuées d'orage, présageant une tempête. Et pourtant, tout était encore presque parfaitement calme, la ville ensommeillée commençait à peine à émerger dans la lumière, mais Nyx savait que l'évacuation avait déjà débuté. Ce n'était qu'une question de temps avec que les troupes de l'empire n'accourent sur le lieu du rituel.

Les pensées de Nyx se détournèrent bien vite de l'attaque imminente, lorsqu'il vit les flots se mettre à bouillonner. Une silhouette longiligne semblable à celle d'un serpent doté de nageoires acérées comme des couteaux fendit la surface, s'élevant dans la lumière de l'aurore tel un héraut de l'apocalypse. Les eaux se mirent à tournoyer en un maëlstrom au cœur duquel se dressait l'Hydréenne, noire et sifflante. Sa tête triangulaire, pareille à celle d'un dragon mais effilée comme la gueule d'un espadon, s'éleva dans le ciel qui prenait une pâleur maladive dans l'aurore brumeuse, et la déesse posa son regard plein d'un mépris millénaire sur leur petit groupe. Nyx serra ses dagues dérisoires dans ses paumes moites, et encaissa la voix de tempête de l'Hydréenne. Il était tout aussi terrifié que lors de sa rencontre avec l'Archéen, mais cette fois, il avait dans les tripes le courage de celui qui n'a plus rien à perdre, le même qui l'avait conduit à enfiler l'anneau à Insomnia. L'anneau… que Noctis ne portait toujours pas. Quand bien même il en allait de leur survie à tous qu'il obtienne la grâce de Léviathan. Il inspira un grand coup… et son souffle se bloqua dans sa gorge. Ses yeux s'agrandirent d'incrédulité, et il manqua de lâcher ses dagues.

Il vit d'abord un éclair bleu dans la main du jeune roi du Lucis. Puis, il le perdit de vue avant de le voir réapparaître sur le flanc du monstre divin, tenant son épée à deux mains tandis qu'il ouvrait une large balafre dans les écailles d'un bleu gris comme l'océan. Noctis changea d'arme en un clin d'œil tandis qu'il bondissait dans le vide, et envoya un carreau d'arbalète se ficher dans la pupille de la déesse avant de s'éclipser de nouveau pour se matérialiser sur le dos de Léviathan, dans lequel il enfonça une gigantesque lance. Nyx reconnut ces armes : c'étaient les armes favorites d'anciens rois du Lucis, qui reprenaient vie entre les mains de Noctis. Nyx connaissait en théorie les pouvoirs des rois du Lucis, mais voir ce jeune homme s'attaquer avec une telle fougue à une déesse lui comprima le cœur d'admiration. À cette émotion se mêla une irrépressible envie de rire lorsqu'il entendit le jeune roi s'époumoner en exigeant dans un langage plutôt fleuri que la déesse lui accorde sa grâce. Nyx le comprenait : lui non plus n'était pas très doué pour l'éloquence et les grands discours.

La déesse réagit violemment aux assauts de Noctis, son corps ophidien sinuant à travers les gerbes d'eau alors qu'elle tentait de frapper l'adversaire ou cherchait à esquiver ses attaques. Très vite, le combat prit des proportions apocalyptiques, et les eaux en furie devinrent une extension de l'Hydréenne, menant leur propre bataille, arrachant des pans de bâtiments et submergeant jusqu'aux plus hautes tours. Nyx espéra que l'opération d'évacuation serait efficace, mais il doutait qu'aucune victime ne soit à déplorer à l'issue du combat. Pour couronner le tout, un vrombissement familier retentit dans ses oreilles et il vit des vaisseaux impériaux essaimer au-dessus d'eux, tandis que des troupes d'infanterie installaient des canons et se déployaient autour de la place où ils stationnaient. Il échangea un regard avec Libertus et entreprit de se faufiler derrière les lignes ennemies. Il n'était pas repéré et s'il agissait avec sang-froid et précision, il pourrait éliminer l'artillerie sans attirer l'attention des autres.

Alors qu'il en était à son troisième canon, il vit le corps de l'Hydréenne balayer le front de mer, où Luna et Ravus tentaient de repousser les soldats impériaux. Un immense mur d'eau s'abattit sur eux, et son cœur se figea dans sa poitrine. Son regard passa frénétiquement des soldats impériaux aux flots bouillonnants, incapable de décider quoi faire. Puis, les eaux se retirèrent, révélant Ravus, katana au clair, qui faisait rempart de son corps pour sa petite sœur. Cette dernière, détrempée, n'en perdit rien de sa majesté, au contraire, la fureur des éléments s'était nichée dans ses yeux qui avaient perdu leur gentillesse coutumière. Ce n'était plus Luna la princesse, Luna la prêtresse, Luna l'amie loyale, qui se tenait ce matin dans la baie d'Altissia, mais une figure vengeresse qui ne laisserait rien ni personne lui dérober l'œuvre de sa vie, l'ascension du Roi de Lumière. Et son frère affichait la même détermination, campé solidement sur ses jambes malgré son bras en moins. Les Nox Fleuret étaient tous deux forgés dans l'acier le plus pur, et malgré leurs différences, jamais leur parenté ne lui avait semblé si évidente. Aussi, il les laissa se défendre seuls et poursuivit son assaut silencieux.

Inévitablement, il finit par attirer l'attention sur lui, et oublia toute inquiétude pour ce qui se pouvait se passer au-delà du cercle restreint où il bataillait, tout son être et tous ses instincts affûtés à l'extrême dans le seul but de survivre. Il poussa un petit cri de victoire anticipée lorsqu'il vit surgir Libertus, armes au clair, tourbillonnant entre leurs ennemis pour les disperser, lui donnant plus d'espace pour se battre. Il ne sut pas combien de temps il s'écoula, il prit seulement conscience d'un intense état d'épuisement lorsque la pression se relâcha. Il s'appuya sur ses genoux en tentant de reprendre son souffle, et regarda autour de lui : les soldats magitechs jonchaient le sol, grésillants et fumants. Il releva la tête, pour voir Noctis toujours aux prises avec l'Hydréenne. Le chaos était tel qu'il ne parvint pas à repérer Luna et Ravus. Il donna une tape amicale sur l'épaule de Libertus, et tous deux redescendirent sur la place pour tenter de retrouver leurs alliés, et leur venir en aide au besoin.

VI

L'eau bouillonnait, des gerbes d'écumes sifflaient en giflant les dalles de marbre de place, une bruine bleue obstruait tous les horizons. Nyx se fraya un chemin dans la tempête mugissante, et parvint à repérer Luna. Elle gisait au sol, un filet de sang coulant de sa tempe. Il se rua en avant, mais au même moment, une arche craqua au-dessus de sa tête. Il entendit la pierre se fendre et se retrouva un instant plus tard à rouler dans l'eau salée en crachant ses poumons, sans trop savoir s'il était toujours entier ou non. Il se releva sans réfléchir, accourant vers Luna qu'il attrapa sous les aisselles pour la porter jusqu'à une petite esplanade relativement sèche et abritée. Il la déposait à peine qu'il entendit un hurlement. Il releva la tête, son corps agissant avant sa pensée quand il fit un pas de côté pour esquiver Noctis, que l'Hydréenne venait d'envoyer rouler sur le marbre à quelques pas de Luna.

« Merde, merde ! » lâcha-t-il entre ses dents, dégainant ses dagues à nouveau tout en essayant de repérer Ravus dans la tourmente.

Il ne vient rien, rien du tout. Il n'y avait que le vent mugissant dans ses oreilles, la ville qui chavirait dans un mirage à travers les trombes d'eau. Soudain, le temps lui sembla s'arrêter. Les lourdes pulsations de son cœur lui rappelèrent qu'il était toujours vivant, mais tout lui paraissait irréel. Bien que ses perspectives soient limitées, il lui semblait que les abîmes s'ouvraient de tous côtés : sous ses pieds, le marbre se dérobait, au-dessus de sa tête, les cieux se fendaient, dans son cœur, la peur béait, aspirant toutes ses pensées. Et tout à coup, les eaux se calmèrent, les gerbes d'eau retombèrent, le tumulte s'affaiblit. Et dans le silence relatif, il entendit distinctement un rire résonner dans son dos. Un rire froid, décharné comme s'il sortait d'une poitrine vide. Et pourtant, d'étranges inflexions y jouaient une mélodie ensorcelante. Nyx se retourna.

Un homme vêtu d'un grand manteau, un feutre noir enfoncé sur ses cheveux fous, s'avança sur l'esplanade. Son sourire brillait sous l'ombre de son chapeau, sa démarche nonchalante était celle d'un touriste en vacances. Et pourtant il émanait de lui un froid glacial. Nyx se plaça devant Luna, le cœur battant dans sa gorge, l'angoisse vissée au cœur. Il ignorait qui était cet homme, mais d'une façon qu'il ne parvenait pas à s'expliquer, il l'effrayait davantage que les dieux.

Nyx sursauta quand une silhouette surgie de nulle part s'interposa soudain entre lui et l'homme dont le nom résonna alors dans son esprit. Ardyn. Le fléau des dieux. Puis, Nyx regarda celui qui s'était interposé : dagues au clair, comme lui, plus grand, plus mince. Ignis. Et la Lame Royale ne chercha même pas à parlementer avant d'assaillir Ardyn, qui répliqua avec un éclat de rire et d'un simple coup d'épée, fit décoller Ignis du sol avant de le projeter contre une colonne. Nyx essaya de réagir, mais son corps ne répondait plus, et il ne comprenait même pas pourquoi il était aussi terrifié.

Alors qu'il s'attendait à voir Ignis se relever et repartir à l'assaut de plus belle, il s'aperçut qu'Ardyn avait cessé de rire, et ne bougeait plus non plus. Nyx regarda alors sur sa droite, et vit surgir Ravus, le visage balafré, boîtant, qui n'accorda pas une seconde d'attention à Ardyn tandis qu'il rejoignait sa sœur. Il palpa sa jugulaire du bout des doigts, et pendant quelques instants interminables, demeura la tête baissée, immobile. Puis, il se redressa et dégaina son katana. Et, au lieu de le pointer vers Ardyn, il fit quelques pas et le posa sur la gorge de Noctis.

Nyx tressaillit, essayant encore de commander à son corps et à sa voix, sans succès. Comment agir alors qu'il ne comprenait même pas ce qui se passait ? L'Hydréenne semblait avoir battu en retraite dans les profondeurs, et le ciel s'éclaircissait alors que le vent tombait. La voix de Ravus s'éleva dans cet étrange calme, avec une fêlure qui la rendait mince et fragile comme celle d'un enfant.

« C'est de ta faute… murmura-t-il, penché sur le jeune roi. Elle a tout donné pour toi. Et toi tu as attendu. Tergiversé. Parce que tu es faible. Tu l'as toujours été. Tu le seras toujours. Tu ne mérites pas ta prophétie. Tu es… pitoyable. Regarde-la ! »

Ravus saisit Noctis inanimé à la gorge, comme s'il pouvait forcer sa conscience à réintégrer son corps.

« La mort des Oracles est sans repos… continua Ravus d'une voix sourde. Même dans la mort, elles continuent de servir… Et elle accepté son sort en souriant. Et moi… je ne peux même plus lui dire au revoir… À cause de toi. »

Et alors que la voix de Ravus se brisait, Nyx vit de la lumière, comme une nuée de lucioles, entourer le corps de Luna. Son cœur lui sembla ralentir à l'extrême, étouffé par un poids immense. Non… Elle ne pouvait pas mourir. Pas comme ça.

Ravus, lui, n'attendit pas. Comme si ça pouvait conjurer l'agonie de sa sœur, il brandit bien haut son katana au-dessus de sa tête, pour l'abattre sur la poitrine de Noctis.

Nyx n'eut le temps que de cligner des yeux, et des étincelles jaillirent de deux lames qui s'opposent. Ravus fit un pas en arrière, déstabilisé par la force de l'attaque. Ignis le fixa avec une colère aussi vieille que celle de l'Hydréenne nichée dans ses yeux d'ordinaire si doux.

« Tu ne le toucheras pas. »

Ce n'était ni une menace, ni une promesse, mais une simple constatation. Nyx détacha avec peine son regard des duellistes pour revenir sur Ardyn, qui attendait tranquillement, un mauvais sourire aux lèvres. C'était son moment, réalisa-t-il en un éclair, à travers ses pensées embrouillées. L'ennemi ne faisait pas attention à lui. À quel point ça pouvait être difficile de bondir et de lui trancher la gorge ? Mais son corps refusait toujours de lui obéir. Il ne comprenait pas. Comment pouvait-il avoir été si 'héroïque' à Insomnia, pour se retrouver aussi démuni à l'instant le plus crucial ? Puis, il comprit que c'était parce que son cœur hésitait. Il voulait empêcher Ignis de faire du mal à Ravus, tout en sachant qu'il devait avant tout protéger Noctis et Luna. Il était incapable de faire un choix tranché. Son cœur était aussi brouillé que la ville sanctifiée par la tourmente de l'Hydréenne.

VII

Luna sentait son âme partir. Comme si elle devenait plus légère qu'elle-même, jusqu'à s'élever au-dessus de son corps et contempler en dessous la chair qu'elle avait habitée. Et tandis qu'elle s'envolait, elle aperçut Noctis étendu non loin d'elle. Elle détourna le regard et vit Ravus croiser le fer avec Ignis, puis, Nyx paralysé, le regard perdu, Libertus, plus loin, qui tentait de se relever alors que sa mauvaise jambe blessée le retenait au sol. Et Ardyn qui attendait que les autres se déchirent pour se repaître des restes. Quelque chose en elle s'affola, comme un vertige qui l'attirait de retour dans son corps, l'empêchant d'atteindre cet état si incroyablement serein où sa vie se dissolvait dans la lumière de l'aurore et dans la brume qui enveloppait pudiquement la scène du drame.

Et soudain, elle retrouva sa chair, éprouvant la pire douleur de sa vie, l'estomac au bord des lèvres, un troupeau entier de chevaux martelant sa boîte crânienne. Elle ignora tout, et se leva. Il le fallait. Une énergie inconnue, réconfortante comme une mère, brûlait en elle. La douleur et la peur s'atténuèrent tandis qu'elle se redressait, et surtout, quand elle posa les yeux sur Noctis. Un sentiment d'irréalité s'accrocha à elle, comme tout à l'heure lorsqu'elle flottait au-dessus de son corps, quand elle se pencha vers le jeune roi du Lucis et attrapa sa main.

Elle dénoua les doigts crispés sur sa paume, et trouva blotti en son centre l'anneau de Regis. Il semblait si inoffensif, si fragile dans cette jeune main qui avait hésité tant de fois. Elle le saisit et le sentit vibrer dans son bras, jusque dans son épaule et sa cage thoracique, comme un avertissement.

Elle n'en avait pas le droit.

Mais elle s'en foutait.

Elle pensa à Nyx et ce qu'il avait fait cette nuit-là, et n'hésita plus. Elle fit glisser l'anneau sur son annulaire, et encaissa le choc violent. Un chœur assourdissant vibra dans ses oreilles, lui donnant l'impression que son cerveau tremblait contre sa boîte crânienne. Cela aussi, elle l'ignora.

Elle ramassa son trident et avança vers Ardyn.

Elle nota une légère surprise vacillant dans le regard du Réprouvé. Elle savait qui il était, au fond de son cœur. Une émotion très ancienne, qui ne lui appartenait pas, s'éveillait à son contact. Il n'était pas son ennemi, il ne l'avait jamais été. Sauf aujourd'hui.

Et alors qu'elle approchait cet homme pour qui elle éprouvait une profonde compassion, elle s'arrêta net, avec l'impression horrible qu'on lui injectait du métal fondu dans les veines. La douleur qu'elle avait éprouvée à son réveil lui sembla tout à coup triviale. Elle planta son trident dans les dalles de marbre et s'y agrippa de toutes ses forces alors que tous ses muscles tremblaient et tressautaient sous la tension insupportable. Elle eut envie de hurler, de frustration, de colère, de douleur. Elle retint toutes ses émotions en elle, leur fit parcourir le chemin intime de ses nerfs, de ses muscles, de ses articulations. Et brandit son trident en se ruant sur Ardyn.

Le premier coup passa à travers lui, ou tout du moins elle en eut la sensation : l'ancien héritier du trône maîtrisait la téléportation aussi bien que Noctis. Elle pivota, prenant un appui stable sur ses jambes fléchies, guettant autour d'elle la réapparition de son adversaire. Un éclat rougeâtre l'avertit une fraction de seconde avant, et elle se tourna pour porter un puissant coup d'estoc. Elle voulait voir ce trident se planter en plein milieu de son corps et faire saigner ses entrailles, peu importe à quel point elle le plaignait. Elle ne pouvait simplement pas le laisser tuer. Elle n'avait jamais appris à se battre, mais à présent, ça ne comptait plus. L'anneau vibrait en elle, sa détermination l'épousait, et plus rien ne l'effrayait. Elle refusait Ardyn. Tout ce qu'il représentait. Et avec lui, la défaite. Ardyn avait été vaincu de mille façons avant de devenir le plus puissant des êtres ayant jamais arpenté Eos. Mais pour elle, la question n'était plus de savoir si elle pouvait rivaliser avec lui. Seulement d'essayer, quitte à en mourir.

Habitée par la puissance de l'anneau, tous ses sens lui paraissaient décuplés. Elle remarqua du coin de l'œil qu'Ignis et Ravus avaient cessé de se battre, nota l'espace d'un battement de cils l'expression stupéfiée, presque horrifiée de son frère alors qu'il réalisait ce qu'elle était en train de faire. Noctis dormait toujours, elle capta un instant l'étrange sérénité qui émanait de lui comme s'il ne faisait qu'une simple sieste. L'Hydréenne était retournée dans les profondeurs, il l'avait vaincue. Maintenant, c'était à elle de terminer le travail, ici et maintenant. Peu importait si le rituel n'était pas complet, si elle usurpait la prophétie du Roi de Lumière si elle parvenait à vaincre Ardyn. Elle pouvait leur éviter tant de souffrances futures. Elle pouvait sauver Noctis. Car elle le savait au fond de son cœur : s'il allait jusqu'au bout, il mourrait. Ardyn avait commis une grossière erreur en venant ici. Elle allait mettre un terme à tout ça. Et elle se fichait bien de ce que ça lui coûterait.

Elle se pencha en avant et entendit la lame d'Ardyn siffler au-dessus de sa tête. Ses vêtements détrempés lui collaient désagréablement à la peau, et le poids de l'anneau sur son doigt augmentait à chaque seconde supplémentaire que durait le combat. Elle avait très peu de temps, elle le sentait. Son énergie vitale était siphonnée par cet anneau maudit qui portait en lui des siècles d'espérance de gloire des rois du Lucis. Tous voulaient se sacrifier, sauf Noctis. Tous rêvaient d'une mort honorable dont on se souviendrait à jamais, sauf Noctis. Tous avaient choisi leur trône, sauf Noctis. Et face à elle, celui qui connaissait mieux que quiconque au monde les affres de la déception, du deuil, de la perte, de la honte et du bannissement, voulait les lui arracher. Noctis, et son anneau. Et devenir ce roi de pacotille avec tous ses ornements, mais sans substance, une illusion de roi qui ne parviendrait jamais vraiment à remplir son trône.

Luna était là pour l'empêcher de jamais reposer le pied sur ces marches de marbre qui conduisaient à ce lieu sacré qu'il avait perdu, ce lieu même que Noctis fuyait. Peu importait qui régnerait à la fin. Les rois ne sont que des ombres passagères projetant leur influence sur les parenthèses du temps, et leur souvenir dans la mémoire collective est terne et funèbre comme des édifices qu'on délaisse, alors que les vies des gens du commun s'oublient et s'anonymisent, mais constituent le tissu organique, vivant, de l'histoire de l'humanité. Et c'était ça que voulait défendre Luna, fût-ce au prix de sa propre vie. Toutes ces vies qui n'avaient aucunement demandé à être gouvernées, seulement à vivre. Elle voulait imposer la vie à Ardyn, cette vie qu'il désirait si ardemment quitter. Elle savait qu'il n'était pas maléfique, et lui-même avait parfaitement conscience qu'il n'appartenait plus à ce monde, et pourtant, il était incapable de le quitter. Il priait pour sa délivrance. Et elle allait la lui donner.

Mais Ardyn semblait devenir plus puissant à mesure qu'elle s'épuisait. Ses bras tremblaient, son trident cherchait à lui échapper des mains, ses membres s'ankylosaient et une lassitude telle qu'elle n'en avait encore jamais éprouvée s'abattait sur elle comme si le ciel avait pris substance et appuyait sur sa nuque pour la faire ployer. Elle se sentait comme une fleur desséchée quand vient l'ardent soleil d'été, et ne bougeait plus que par les seules forces surnaturelles conférées par l'anneau des Lucii. Et pourtant, elle parvenait encore à échapper aux attaques d'Ardyn, qui redoublait de puissance, faisant tournoyer ses lames fantômes autour de lui. Ils se battaient sur une surface réduite, et le moindre pas de travers l'enverrait plonger dans les eaux, sans espoir de parvenir à se raccrocher au bord avant qu'Ardyn ne la tue.

Elle se décala encore une fois au dernier moment, et l'épée de son adversaire se planta dans une colonne de marbre qui se fissura. Elle se jeta au sol et roula sur elle-même, parvenant à éviter les décombres qui s'abattirent sur elle. Et se releva dans le même mouvement. Ce n'était pas terminé. Ardyn avait changé d'expression, une rage glaciale flamboyait dans ses iris banals, nuancée par une touche de perplexité. Il ne s'était pas attendu à la voir jouer ce rôle. Et c'était là son avantage. Elle continua à le charger, rendant coup pour coup. Même si le temps lui était compté, chaque seconde lui paraissait durer l'éternité, menant son corps au bout de ce qu'il lui était possible d'endurer. Elle avait l'impression que ses muscles, jusqu'à ceux dont elle ignorait l'existence, étaient en feu, même son souffle calcinait ses bronches et sa gorge. Et son cœur pilonnait ses côtes comme s'il voulait les briser, alors qu'encore et encore, elle poussait son trident, cherchant la faille sans faiblir, ratant à chaque coup sans se décourager. Le trident finirait bien par se planter dans le corps d'Ardyn, y enfoncerait ses longues dents effilées et finirait sa course sanglante dans sa colonne vertébrale, mettant un terme à l'existence maudite de cet homme qui aurait dû mourir il y avait si longtemps déjà.

Son champ de vision s'assombrissait. Ses oreilles s'emplissaient d'un chaos de trompettes, de rugissements, de hurlements. Son corps tétanisé lui paraissait devenir de marbre, prêt à se briser. Elle crispa les mains sur son trident, et le brandit une dernière fois. Elle faillit reculer en sentant au bout de son arme la résistance de la chair, puis l'instinct l'emporta, et elle poussa de toutes ses forces, ses dernières forces. Les triples lames mordirent la chair, puis s'enfoncèrent profondément, propulsées par le dernier souhait qu'elle formulerait jamais. Et tout devint noir.

VIII

La mort était plus simple qu'il ne l'avait imaginé. Devenu immortel, il s'était déshabitué à l'idée de disparaître. Et pourtant, c'était la chose la plus simple au monde. Qu'il le veuille ou non, il le sentait, il finirait par lâcher prise. Mais il voulait décider. Alors, il regarda le ciel qui s'éclaircissait alors que les brumes s'écartaient. C'était comme s'il venait sortir de sa prison d'Angelgard. Une éternité de souffrances laissait place à un immense vide. Mais celui qu'il contemplait maintenant était bleu, infiniment bleu. Plus personne ne le pourchasserait là-haut, pas même lui-même. La vanité entière de son existence lui apparut grossière, comme une souillure qui le retenait encore là en bas, dans le marasme de son ego, de ses désirs contraires, de ses amours contrariées. Il ne voulait plus de tout ça. Il aspirait à ce ciel qui vibrait, cet azur revêtu de lumière qui promettait une autre éternité. Alors, il laissa son cœur s'arrêter, ses pensées s'embrouiller et mourir. Il oublia enfin la vie.

IX

Nyx ouvrit les yeux. Son cœur battait encore, constata-t-il avec étonnement. Il venait de voir Luna se battre avec un dieu, et une fois de plus, il échappait à la mort. À ce stade, il ignorait si sa capacité à survivre relevait de sa chance de cocu ou d'une malédiction millénaire comme celle qui avait affligé Ardyn.

Il se redressa sur un coude, pour découvrir la dévastation qui avait englouti la superbe baie d'Altissia. Il savait qu'il était urgent de se relever, de chercher les survivants. Et pourtant, il se sentait décalé, comme s'il dormait encore. Il essaya de se secouer, mais n'en récolta qu'une violente migraine. Plus prudemment, il entreprit de se remettre debout. Le silence qui régnait semblait étouffer jusqu'à son souffle haletant. Enfin, l'inquiétude commença à serrer ses entrailles. Il fit un tour sur lui-même, cherchant quelqu'un, n'importe qui. Il repéra Luna, qui semblait endormie. Il s'approcha, s'agenouilla près d'elle, et découvrit dans sa main crispée l'anneau des Lucii. Il la gifla. Puis tomba sur les fesses dans son mouvement de recul lorsqu'il l'entendit grogner.

Vivante.

Un coup de patte s'abattit sur son épaule, et il tourna la tête pour voir Libertus qui lui souriait de toutes ses dents. S'il lui avait resté des forces ou un millilitre d'eau dans le corps, il aurait pleuré. Mais il ne pouvait plus rien faire. Sinon regarder bêtement Ravus s'approcher, s'agenouiller à son tour et caler délicatement la tête de Luna sur ses cuisses.

Un rire, ou un sanglot – c'était la même chose à ce moment-là – s'étrangla dans sa gorge. Il ne comprenait même pas ce qu'il voyait. Du coin de l'œil, il repéra Ignis qui tentait doucement de réveiller Noctis. Il avait l'impression d'avoir de l'eau dans les oreilles et une soudaine myopie l'empêchant de voir correctement, à moins qu'il ne s'agisse simplement des larmes qui lui brouillaient la vue. La scène paraissait devoir durer une éternité, quand soudain des cris indistincts fendirent l'ouate qui enveloppait ses perceptions. Il sursauta en voyant débarquer Prompto et Gladio, à la fois confus et euphoriques.

Et soudain il comprit.

C'était terminé.

Le jour lui parut soudain plus clair. Il leva la tête, l'azur lumineux lui piqua la cornée. C'était un matin comme les autres dans le monde, si on oubliait cette ville dévastée et la nuit vaincue en combat singulier par une prêtresse qui avait refusé son rôle attribué. Le soleil semblait si innocent, levé à une heure habituelle comme s'il n'avait jamais pris aucun retard. Mais la souffrance qui avait envenimé le monde resterait tapie au fond de leurs cœurs, rappel incessant que l'heure tourne, et que la nuit viendra toujours.

Mais pour la première fois de sa vie, Nyx pouvait s'en accommoder. Un jour viendrait où lui aussi attendrait la mort. Et où la nuit lui serait douce, promesse de silence. Mais ce jour n'était pas venu. Il avait cessé de chercher la mort. Son regard se posa sur Luna et Ravus. La souffrance avait déserté leurs traits. L'inquiétude, le bouleversement de l'aube qu'ils venaient de vivre crispaient les traits du prince, mais il avait oublié sa rancœur, désormais sans objet. Et quand Luna ouvrit les yeux, le ciel s'y refléta, miroitant un bref instant. Nyx s'approcha et prit la main de la princesse qu'il avait rencontrée alors qu'elle tentait d'échapper à la fatalité, tout comme lui. Et il murmura, encore incrédule :

« Maintenant, on est libres… »

Il releva les yeux pour regarder Ravus, comme pour confirmer cette déclaration incertaine. Le prince hocha la tête, et posa sa main sur les leurs. Les serrant légèrement comme pour entériner un accord, ou sceller ces souvenirs qu'ils partageraient à jamais. Ils ne reviendraient jamais de ce voyage à la rencontre des dieux. Nyx décida que de toute façon, il n'avait aucune envie de revenir. Il posa ses lèvres sur le dos de la main de Ravus, pour sceller un autre accord, qu'il espérait voir durer jusqu'à ce que leurs ombres disparaissent au crépuscule de leurs vies.