C'est l'heure du nouveau chapitre ! Désolé, je le publie un peu tard, mais j'ai eu d'autres choses de prévues ce soir, du coup je viens juste de pouvoir me mettre devant l'ordinateur. Ce chapitre est de nouveau du point de vue de Roxane, mais le suivant sera une excursion du côté de Central (mais je ne vous dis pas qui fait la narration, ça serait trop facile sinon ! (mais vous pouvez essayer de deviner ;) )
Comme d'habitude, une illustration est en cours (je la publierais sûrement dans la journée de demain sur Deviantart) j'espère qu'elle vous plaira ! En tout cas, vous qui lisez ces lignes, je vous remercie de tout mon cœur, chaque commentaire, chaque notification que je reçois égaye ma journée ! 3
Enfin, assez parlé, je m'arrête là et vous souhaite une bonne lecture !
Chapitre 9 : Bienvenue au Angel's Chest (Roxane)
- Roxane, depuis combien de temps tu n'as pas dormi ? demanda June d'un ton très sérieux.
- Hein ? fis-je en tournant la tête vers elle, reprenant pied avec la réalité et réaffirmant ma prise sur mon plateau de service qui glissait lentement de mes doigts. Je ne vois pas de quoi tu parles.
- Tu ne réponds qu'une fois sur deux quand on te parle, et le maquillage ne suffit plus à dissimuler tes cernes de deux pieds de long.
- Ah... ça se voit à ce point ?
- Quand on te connaît, ça crève les yeux.
- Ah... fis-je en m'asseyant lentement sur la banquette du couloir qui donnait sur la cuisine.
A ce moment-là, je ressentis tout le poids de la fatigue accumulée me tomber dessus. J'avais réussi à l'ignorer tant que j'étais occupée à droite à gauche, mais il y avait un creux dans les clients et nous étions toutes les deux oisives.
- C'est ton enquête qui te met dans cet état ?
- Oui, avouai-je, le nez baissé dans mon décolleté.
J'attendais les remontrances de celle qui avait toujours agit en grande sœur avec moi. Au lieu de ça, elle posa son bras sur mes épaules dans un geste réconfortant.
- Je ne pensais pas que ça te touchait autant.
- Cindy a disparu, et Earnest est mort dans un incendie, bien sûr que je suis touchée.
- L'incendie était lié à...
Je hochai la tête, et June se mordit les lèvres.
- Si je peux t'aider, dis-le moi, souffla-t-elle à voix basse.
- Si tu veux m'aider, aide-moi à ce qu'on engage une fille bien précise pour remplacer Ariane le soir de la première.
- La fille dont tu parlais l'autre jour ? Qu'est-ce qu'elle a de spécial ?
- Elle est blonde.
- Mais si elle est blonde, elle ne risque pas de... ?
- C'est le but.
- Mais c'est terriblement dangereux, vous ne pouvez pas lui faire courir un risque pareil !
- Elle s'est proposée d'elle-même en connaissance de cause.
- Mais vous n'avez pas peur que ça tourne mal ?
- On n'a pas le temps d'avoir peur. Il faut qu'on le coince avant qu'il ne nuise davantage.
June me lança un petit sourire, un peu triste, et en même temps... admiratif ? La clochette sonna, annonçant un nouveau client. Elle se leva et me dit d'un ton autoritaire.
- Va t'allonger un peu dans les vestiaires, je vais prévenir Madame Britten que tu as fait un malaise et que tu as besoin d'un peu de repos.
- C'est vrai que si c'est toi qui le dis, elle sera sans doute moins cynique, fis-je en souriant.
Je me levai pour lui obéir, et réalisai en chancelant qu'elle n'était pas loin de la vérité en allant prétendre que j'avais un malaise. C'est d'un pas précautionneux que je marchais jusqu'aux vestiaires avant de m'allonger sur la banquette la plus proche pour sombrer immédiatement dans un sommeil profond.
- Roxane ?
- Mmmh... fis-je en émergeant péniblement.
- Roxane, il faut qu'on parle cinq minutes, murmura la voix familière d'Ariane.
J'ouvris les yeux avec le regard flou de celle qu'on a tiré d'un profond sommeil. Ariane s'était accroupie à côté de la banquette, sa tête tout près de la mienne, et me regardait avec un peu d'inquiétude.
- Ça donne quoi avec ma remplaçante ? Comment elle s'appelle déjà ?
- Iris. Iris Swan, inventai-je d'une voix pâteuse.
- Tu as pu t'entraîner avec elle ?
- Elle s'en sort bien. Elle n'est pas aussi parfaite que toi, mais elle se débrouille à peu près.
- Ouf, ça me rassure un peu. Si ça n'avait pas été le cas, j'aurais eu peur que Britten vienne me hanter après sa mort. Déjà que je pars presque du jour au lendemain, si en plus je ruine le spectacle et la réputation du Angel's Chest...
- Idiote.
- J'ai rassemblé les éléments du costume et je te les ai rapportés, tu pourras lui faire essayer et faire les retouches d'ici samedi.
- Oh, tu fais bien de m'en parler, je ne pensais plus du tout à ça, marmonnai-je, me frottant le visage pour me réveiller en m'asseyant sur la banquette. C'est vrai qu'il y a ça aussi...
- J'aurais bien aimé être là, mais... Aurélien part dès demain, fit-elle en rougissant. Et je ne voudrais pas...
- Tu es vraiment bien amourachée, en fait. Tu nous as bien eues, toutes, on ne l'avait pas vu venir. Toi qui te plaignais de ne pas avoir de clientèle attitrée, tu parles !
- Ça fait trois ans que je le revois régulièrement hors du travail. Je l'aimais beaucoup, mais je n'osais pas espérer que ce soit aussi sérieux, c'est pour ça que je ne vous en ai pas vraiment parlé.
- Je vois...
- Eh, les filles, vous n'allez pas le croire ! fit Carine en déboulant dans la pièce. Britten a des crises de tachycardie, elle vient d'être amenée à l'hôpital, là !
- Ah merde ! s'exclama Ariane.
- Rassure-toi, on les a eus au téléphone, ça n'est pas grave ! Mais ils ont décidé de la garder quelques jours pour la surveiller et la forcer à se reposer. Du coup, devinez qui va la remplacer jusqu'à son retour ? Devinez quiiiii ?
- Euh...
- June ! C'est June qui va être notre chef, les filles ! s'exclama Carine en levant haut les deux bras, montrant son enthousiasme débordant à cette idée.
- Génial ! s'exclama Ariane d'un ton émerveillé. Je regrette presque de partir avec une nouvelle pareille !
J'esquissai un petit sourire, plus calme. En vérité, ça m'arrangeait énormément que les choses se passent comme ça. Nous n'avions rien à craindre de notre metteur en scène, si on lui apportait une solution au problème sur un plateau d'argent, il prendrait les choses avec beaucoup de philosophie et nous entrainerait au mieux. Les deux jours de fermeture destinés aux répétitions promettaient de se passer dans la joie et la bonne humeur, et sans l'ombre d'un doute, l'absence de Britten dans les jours à venir allait beaucoup faciliter les choses pour Edward.
- Les filles... commença June en entrant dans la pièce.
- Félicitations !
- Si ça c'est pas de la promotion !
- Bon, je vois que vous êtes au courant, c'est très bien. Mais il n'y a plus que trois serveuses en salle et le service du midi n'est pas encore fini. On en reparle à 15 h 30, quand les cuisines auront fermé. Allez, hop hop hop ! apostropha-t-elle en claquant des mains.
- Chef, oui chef ! s'exclamèrent les deux autres avec un salut militaire avant de quitter la pièce en trottinant, sans cesser de parler d'un ton enthousiaste.
- Ça va un peu mieux, toi ? fit-elle en me jetant un coup d'œil.
- Oui, ça va.
- Dans ce cas-là, tu devrais aller chercher ta fameuse remplaçante dès maintenant. Les répétitions de groupe commencent cette après-midi, plus tôt elle sera là, mieux ça sera.
- Très bien, répondis-je avec un mélange d'impatience et d'inquiétude.
Je me changeai et rentrai chez moi au plus vite, dévalant l'escalier à petits pas légers. Je passai dans ma rue, songeant qu'elle était quand même bien moins glauque quand on était en plein jour, montai les escaliers puis rentrai en poussant énergiquement la porte. Edward s'était endormi sur le lit tout habillé. J'eus un sourire amusé en le voyant ronfler comme un bienheureux, le nombril à l'air. Malheureusement pour lui, ça n'allait pas durer.
- Debout les morts ! C'est heure du baptême du feu !
- Hein ? s'exclama le blond en se redressant vivement sur le lit.
- Le Angel's Chest ferme dans deux heures pour les répétitions générales, ça va être l'heure de faire entrer Iris en scène.
- Qui c'est, Iris ? demanda-t-il d'une voix pâteuse.
- Toi, bécasse, dis-je en jetant le sac sur le lit. File à la douche, ensuite on essaye ton costume.
- Hein ? ! lâcha l'adolescent, complètement désarçonné, se laissant traîner presque malgré lui dans la salle de bain. Douche ? Costume ? Iris ? Mais pourquoi Iris ?
- Et pourquoi pas ? abrégeai-je avant de fermer la porte entre nous deux, lui faisant clairement comprendre qu'il devait se dépêcher.
Pendant qu'Edward se lavait, je faisais les cent pas dans la pièce exiguë, faisant danser la liste des choses à penser avant son arrivée dans mon esprit. Le temps allait être compté. J'espérais que l'adolescent n'avait pas négligé l'entraînement en mon absence, et qu'il serait convainquant en danseuse de cabaret. S'il ne s'agissait que de l'apparence, ça pouvait aller, mais dès qu'il ouvrait la bouche, bon sang...
J'espère qu'il ne va pas se rendre trop ridicule pendant les répétitions, pensai-je en me remémorant la facilité avec laquelle les unes et les autres pouvaient se mettre en boîte au moindre faux pas. S'il leur prenait l'envie de le harceler de questions, arriverait-il à donner le change, à rester dans le personnage ? Au moins, il n'avait pas l'intention de rester longtemps ici, dans le pire des cas, l'humiliation serait de courte durée. Je me raccrochais à cette idée pour chasser la culpabilité qui commençait à m'envahir.
Sur ces entrefaites, le petit blond ressorti la tête de la salle de bain. Il avait enfilé à contrecœur les sous-vêtements féminins que je lui avais trouvés pendant ma journée de congé, et bien que caché derrière la porte, j'entrevoyais son épaule de métal qui luisait sous la lumière de la salle de bain. Je lui lançai le boléro et le pantalon bouffant qui composaient notre uniforme durant la première partie du spectacle, et il les attrapa au vol.
- Allez, mets ça !
- Je suis pas censé porter une jupe ? fit-il, perplexe, en tenant le pantalon par les pieds.
- Tu ne vas pas te plaindre, quand même !
- Je sais pas, est-ce qu'on me prendra bien pour une fille là-dedans ?
- A coup sûr ! répondis-je d'un ton assuré. Habille-toi et on en reparle !
L'adolescent s'exécuta sans enthousiasme, et je l'entendis marmonner depuis l'autre pièce.
- Je crois que je comprends ce que tu veux dire...
Puis il me rejoignit d'un pas hésitant, visiblement mal à l'aise. J'avais beau connaître ce costume, je devais avouer qu'il était relativement surprenant. Le pantalon, très ample, était taillé dans un voile à riches motifs orientaux avec des incrustations de fils métalliques qui captaient les rayons du soleil et étincelaient au moindre mouvement. Le vêtement se posait très bas sur les hanches et se resserrait sur les chevilles en bouffant. Il était ceinturé par des rangées de décors, franges, perles de verre, pièces métalliques et autres macramés qui s'empilaient dans une débauche de scintillements et cliquetis. Le boléro taillé dans la même étoffe, structuré par un soutien-gorge intégré, s'attachait devant par une série de boutons argentés qui disparaissaient presque sous la profusion de motifs et de décorations qui couvrait la poitrine. Le tissu était fluide, bruissant au moindre souffle, suffisamment transparent pour laisser deviner les silhouettes des danseuses sans être aussi osé que ceux que nous portions habituellement sur scène.
Évidemment, pour la plupart d'entre nous, un effeuillage était prévu dans la suite de la soirée. Mais étant donné le peu de temps et l'expression mortifiée d'Edward face à son reflet, je ne me voyais pas lui annoncer ça. Il fallait rester réaliste, le numéro d'Ariane était difficilement imitable, il avait été conçu à ses mesures avec le chorégraphe du cabaret, tout comme le mien, et quand bien même il aurait eu l'expérience, la motivation et l'envie nécessaires, l'apprendre si vite aurait nécessité un miracle. Nous étions d'accord sur la question, et pourtant, une partie de moi ne pouvait pas s'empêcher de s'amuser à imaginer ce que ça donnerait s'il reprenait une chorégraphie aussi fantasque. Edward s'étira de diverses manières, testant la liberté de mouvement dans son costume, et je vis à son expression qu'il était agréablement surpris. Il s'était sans doute imaginé devoir subir un costume corseté et inconfortable au possible, comme celui que je portais lors de mes derniers spectacles. J'attendis qu'il me dise ce qu'il pensait du vêtement qu'il avait sur le dos.
- Ça va, c'est plus confortable que je le craignais. Et on ne voit pas mes automails, commenta simplement le blond avec un pauvre petit sourire. Je n'aurai qu'à porter des gants et des chaussettes, et personne n'y verra que du feu.
- Bon, il est un peu serré au niveau du dos, mais ça n'a pas l'air de te gêner dans tes mouvements... commentai-je en lui tournant autour pour le regarder sous toutes les coutures. Par contre, il faudra te rembourrer un peu à la poitrine, tes seins sont trop petits pour bien remplir le boléro, et j'ai vraiment pas la foi de le retoucher avec toutes les breloques qu'il y a dessus.
- EEEEEH ! ! PARLE PAS COMME CA DE MES S...seins, bafouilla-t-il en rougissant violemment, lâchant le dernier mot d'un ton dégoûté.
- Je vois pas le problème, au contraire, ça t'arrange qu'ils soient petits pour les cacher, non ?
- Je déteste ce mot, grommela-t-il.
- Seins ? demandai-je en souriant, un rien provocante.
- Aussi. Mais non, je parle surtout de l'autre, marmonna-t-il.
- Petit ? fis-je tandis que mon sourire s'élargissait.
- Ta gueule.
- C'est vrai que tu n'es déjà pas très grand en tant que fille, alors en tant que garçon, tu dois souvent te prendre des remarques à ce sujet...
- RHAAAH MAIS CA VA PAS DE ME BALANCER DES TRUCS PAREILS D'UN AIR TOUT CALME, LA ? ! JE DETESTE LES GENS QUI SE PERMETTENT DE FAIRE DES REMARQUES SUR MA TAILLE !
- Houlala, tu démarres vraiment au quart de tour ! Si tu te comportes comme ça en présence des filles, tu vas te faire allumer, tu sais ?
- Comment ça, allumer ?
- Bah, disons qu'elles ne loupent pas une occasion de se moquer les unes des autres, en gros. Si tu réagis comme ça, elles vont t'asticoter en permanence avec ça.
Le visage d'Edward se décomposa à ces mots, et je me rendis compte que nous avions beau travailler sa posture, son langage (même si ce dernier semblait être sans espoir) et la chorégraphie, rien ne l'avait préparé à l'ambiance des coulisses, au trac, bref, à tout ce qui rendait mon quotidien difficile. Je me sentis soudainement honteuse, mais mon instinct me souffla que je n'avais pas intérêt à lui avouer ce qui l'attendait en réalité. Ça n'arrangerait rien à sa situation. Au lieu de ça, je me contentai de poser une main rassurante sur son épaule.
- Mais ne t'inquiète pas, elles sont très sympas, et même quand elles disent des vacheries, c'est affectueux.
- Je sais pas si ça me rassure, avoua-t-il.
C'était étrange de voir à quel point l'adolescent plein d'assurance que j'avais rencontré le premier jour s'était évanoui quand il m'avait révélé sa transformation, son handicap. Sentant à quel point cette situation était douloureuse pour lui, j'avais pris soin de continuer à lui parler au masculin, et de ne pas changer ma manière de me comporter à son égard, même si je n'avais pas pu m'empêcher de me moquer de sa pudeur ou de le taquiner par moments – mais là, c'était parce que les filles m'avaient trop influencée.
- T'inquiète pas, t'es canon comme ça, fis-je.
Il rougit, mal à l'aise en entendant mon compliment, mais c'était vrai. Le costume aux couleurs chaudes lui allait au teint, les automails étaient difficilement devinables dans cette tenue, sa taille nue aux lignes pures sautait aux yeux et les décors soulignaient ses seins et ses hanches, accentuant encore le contraste. Pas un instant, on pouvait s'imaginer que ce corps avait été celui d'un homme. J'avais beau le savoir, quand Edward était dans sa tenue habituelle, je me laissais toujours berner à le considérer comme un garçon. Mais là, une fois maquillé et coiffé, il serait définitivement méconnaissable.
- Bon, le costume va bien. Tu te changes, on répète une fois ensemble et on y va, d'accord ? fis-je en me rappelant que le temps filait.
- Euh... D'accord.
Nous arrivions par l'entrée de service du Angel Chest, quand Edward, ou plutôt Iris, m'attrapa le bras et le serra fortement sous le coup du stress.
- Je l'sens pas, murmura-t-il de sa voix masculine.
- Iris, ne panique pas, tu seras parfaite pour le rôle, répondis-je avec un sourire un peu crispé, lui lançant une claque énergique dans le dos.
La jeune blonde qui se tenait à ma droite baissa des yeux honteux. Il ne fallait pas oublier qu'à partir de maintenant, je ne lui adresserais plus la parole qu'au féminin, et qu'elle devait en faire autant. Il en allait de la sûreté de sa couverture. Elle l'avait réalisé, sans doute, car elle releva la tête d'un air résolu.
Un peu virile, comme expression mais bon, ça fera l'affaire, pensais-je en soupirant intérieurement, poussant la porte donnant sur le couloir de service.
- Hello, c'est moi, j'apporte la nouvelle recrue ! lançai-je à la cantonade, traînant derrière moi une silhouette transie d'angoisse.
- Hé bien, hé bien !
- Iris, je te présente Katalyn, fis-je d'un ton un peu cérémonieux tandis que la danseuse en petite tenue qui venait de nous saluer l'attrapait déjà par l'épaule pour lui faire la bise.
- Bienvenue Iris ! Ça va, pas trop stressée d'être remplaçante d'Ariane au pied levé ?
- Eh bien... fit-elle d'une voix couinante, les oreilles rouges. Un petit peu...
Ah oui, Edward va avoir quelques problèmes de pudeur... pensais-je tandis que le trio passait la porte. Comme je pouvais le craindre, toute les filles étaient en sous-vêtements, ou presque, et piaillaient avec l'enthousiasme habituel.
- Roxane, où tu as trouvé une poupée pareille ? demanda Katalyn qui avait déjà passé son bras sur l'épaule d'Iris et lui caressait tout naturellement la joue, comme si elle ne remarquait pas que la jeune fille virait au pourpre à son contact. Elle est trop mignonne !
- Secret défense.
- Tu es vraiment pleine de ressources !
- Salut ! C'est toi Iris ?
Comme je sentais que la situation virait à l'intenable, je la libérai du bras de Katalyn qui était prête à lui présenter les unes et les autres en détail tout en la câlinant à moitié. Je ne n'avais pas prévenu ma complice qu'elle était très... tactile. Enfin, maintenant, elle était au courant.
- Je vais lui présenter Mike et June d'abord, si tu veux bien.
- Ah, oui, tu as raison, vaut mieux commencer par ça. A toute !
Pour un peu, on aurait presque entendu le petit cœur à la fin de sa phrase. Je lui fis un signe de main négligent et ressortis avec Iris, qui semblait tétanisée après cette scène. Au bout de plusieurs mètres dans les couloirs, elle lâcha un profond soupir, encore sous le coup de l'émotion, puis m'interrogea en reprenant progressivement une couleur à peu près normale une fois seule à mes côtés.
- Elles sont toujours comme ça... ?
- Comme ça quoi ?
- Euh... A moitié nues ?
- Euh... Souvent, ouais, avouai-je. En même temps, quand on est strip-teaseuse, on n'est pas forcément très pudique... Mais ne t'inquiètes pas, tu pourras toujours te changer tranquille dans les toilettes ou les douches, va.
- Oh, bien sûr, ironisa-t-elle. Tout va bien alors... C'est pas comme si le fait de voir les autres à poil me posait un problème.
- Fait attention à ton vocabulaire, rappelai-je.
- Merde ! répondit-elle d'un ton agacé.
- C'est pas mieux.
Iris se drapa dans un silence boudeur, mais je sentis bien la rage qui se dégageait de sa personne. Je sentais bien que la situation était déjà difficilement tenable à ses yeux, alors que nous étions à peine arrivées. J'espérais qu'elle saurait s'habituer à la situation.
- Hey, June, Mike, je l'ai ramenée ! m'écriai-je en m'approchant de la scène ou se trouvaient les deux silhouettes familières, ignorant son cynisme.
- Oh, bonjour... à qui ai-je l'honneur ? demanda le chorégraphe en détaillant la blonde de haut en bas.
- Iris, souffla-t-elle en baissant les yeux, mal à l'aise. Iris Swan.
- Bienvenue Iris, fit l'homme en lui faisant la bise. Merci beaucoup de t'être libérée pour remplacer notre écervelée d'Ariane au pied levé. June m'a dit que tu avais un petit peu travaillé la chorégraphie avec l'aide de Roxane.
- Oui.
- Tu nous montres ? fit l'homme en désignant la scène d'un geste ample.
- Ah, euh... Là, comme ça ? bredouilla l'adolescente, totalement prise au dépourvu.
- Oui, comme ça, juste pour savoir où tu en es. On te met le disque, et tu nous montres ça en échauffement ?
Elle me lança un appel au secours de ses grands yeux dorés, le visage pourpre, la bouche pincée. Je hochai la tête avec un petit sourire encourageant, la poussant à monter sur scène. Si Edward avait pu sortir de son identité secrète, il serait venu me hurler dessus qu'il me détestait de me jeter dans un tel traquenard, et qu'il allait me le faire payer, mais en vérité, si intimidant que ce soit, ce n'était qu'un début, et tout à fait surmontable. Malgré le côté périlleux de notre entreprise, je choisis de porter sur la situation un regard optimiste. Moi qui m'inquiétais surtout pour sa couverture, le malaise qu'il éprouvait le poussait à parler beaucoup moins fort en présence des filles, donnant une fausse impression de douceur qui servait parfaitement son rôle. C'était un soulagement pour moi.
C'est avec un air mortifié qu'Iris s'approcha de la scène et l'escalada tandis que June me saluait d'un signe de tête avant de poser une main sur le pianiste qui commença à jouer. Tandis que les premières notes résonnaient, je regardai cette petite silhouette en robe bleu nuit, qu'on aurait presque pu voir trembler d'ici, et me sentis son angoisse me gagner à mon tour. Puis elle se mit à danser, avec la grâce d'un poteau. Je serrais les dents tandis que June me lançait un regard perplexe. Elle connaissait la chorégraphie, mais elle était raide au point que ça en devenait ridicule et le stress d'être observée ne devait pas l'aider. Je l'entendais chanter d'une voix un peu tremblante, mais qui s'affermit au fur et à mesure des mouvements, comme si le fait de connaître la chorégraphie dans son ensemble la rassurait, à juste titre.
Je sentais les battements de mon cœur remonter dans ma gorge, la scène me rappelait ma propre audition, avec en plus la culpabilité d'avoir dû envoyer Edward, enfin, Iris, à l'échafaud de la scène, sans expérience, presque sans entraînement. Notre chorégraphe était capable d'être très dur, ce qui nous faisait progresser, mais pouvait aussi nous saper violemment le moral à l'occasion. A cet instant, j'étais pendu à ses lèvres, regardant du coin de l'œil son profil imperturbable au point de presque négliger la danseuse.
- Tu nous as ramené quelqu'un de complètement inexpérimenté, lâcha-t-il simplement d'une voix calme, tandis qu'elle entamait le deuxième morceau de la suite.
- Je crus que mon cœur s'était arrêté, je déglutis, ne sachant pas quoi répondre.
- Mais elle a un truc, ajouta-t-il, sans changer d'expression.
Je gardai le silence. Cette phrase voulait tout et rien dire. Mais j'avais l'impression que c'était plutôt de bon augure.
- Elle apprend vite, expliquai-je d'un ton hésitant.
- Oui, pour connaître la chorégraphie par cœur en quelques jours... Même en étant un bourreau de travail, ce n'est pas donné à tout le monde. Une sacré bonne mémoire, et une bonne forme physique... Elle devait faire un travail sportif, non ?
- Oui, répondis-je d'un ton vague, en songeant que je ne savais pas grand-chose de son travail dans l'absolu.
- Ça se voit. Elle n'est pas sensuelle pour un sou, il y a des maladresses, mais... si on arrive à la décoincer, on devrait arriver en faire quelque chose pour le spectacle. Je pense même qu'en étant bien dirigée, elle pourrait devenir une danseuse intéressante.
- Vraiment ? soufflai-je, la première surprise de sa remarque, avant de faire un petit geste à June qui entrait dans la pièce, suivie de Katalyn.
Iris s'était figée dans la pose de fin, le visage pourpre d'embarras dans le silence de la pièce.
- Hé bien, ce n'est pas catastrophique. Bon, c'est loin d'être au point, mais on va voir ça ensemble. En tout cas, il ne faut pas stresser comme ça, Iris, on va ne pas te manger !
- Pardon, marmonna l'adolescente. C'est pas évident.
- Y'a pas de mal, c'est juste que tu es raide comme un poteau. Si tu veux percer dans la danse, il va falloir apprendre à faire le show, hein ! Te lâcher davantage, jouer sur la sensualité, habiter ton corps !
Je vis Iris piquer du nez sur ses chaussures, dépitée.
- Mais pour la première, et vu les conditions dans lesquelles on est, on ne va pas se plaindre. On a déjà de la chance que tu connaisses la chorégraphie en entier, le reste, c'est surtout du style. Ce n'est pas trop grave si tu manques de présence sur scène au début, surtout en faisant partie d'un groupe. On va la refaire, annonça Mike d'une voix claire, mais Roxane te rejoint sur scène, d'accord ? June, Katalyn, Carine, vous pouvez y aller aussi.
- Ok, fis-je en posant mon sac sur la table avant de rejoindre Iris.
- Je suis lamentable, hein ? souffla-t-elle à mon intention tandis que les deux autres filles montaient sur la scène.
- Tu es très raide, mais tu vas corriger ça, répondis-je d'un ton rassurant. Mike a dit que tu avais un truc. Et il se trompe rarement.
- Un truc ? répéta-elle d'un ton perplexe en commençant à battre le rythme au son du piano pour ne pas louper le début de la chorégraphie.
- Un truc avec la danse, répondis-je simplement avant de me mettre à chanter.
Je la vis se détendre presque à vue d'œil, et compris pourquoi il m'avait dit de la rejoindre. Quelque part, le fait d'être seule sur scène était plus stressant que d'être devant une foule de gens. Et puis, pour elle, j'étais le seul élément connu. Tout en suivant la chorégraphie, nous échangeâmes quelques regards complices qui suffirent à la rassurer. Jusqu'à ce que, de manière imprévue la mélodie change. Je vis June reculer parmi nous, et Carine vint prendre sa place à l'avant de la scène en quelques pas dansants, enchaînant deux pointes et tournant une fois sur elle-même en se tenant la jambe dans un grand écart vertical. Ma complice désarçonnée s'emmêla dans ses pas et perdit le fil, se retrouvant finalement figée au milieu de la scène, rouge de honte. J'étais surprise également, mais mon expérience sur scène m'avait appris à ne pas le laisser voir. Mike se leva et claqua dans ses mains, interrompant le pianiste.
- Désolé Iris, Roxane, je ne vous avais pas parlé de ça. Je l'avais déjà évoqué avec les autres filles, mais tu n'étais pas là ce jour-là. J'avais proposé d'ajouter un instrumental pour « présenter » chacune des danseuses, juste après le refrain que vous venez de faire, chacune venant tour à tour pendant que les autres répètent les quatre premières mesures du premier couplet en boucle. Même si June est meneuse de revue, je voulais que les autres aussi aient leur petit moment de gloire. Je ne m'inquiétais pas vraiment pour toi, je sais que tu as ta botte secrète. Pour toi, Iris j'hésitais tant que je ne connaissais pas ton niveau, mais d'après ce que j'ai vu, je pense que tu vas t'en sortir. Je pourrais te proposer une idée, mais je préfèrerais que ce soit spontané, alors je te laisse tester par toi-même. C'est un moment de liberté, d'improvisation, il faut en profiter pour s'amuser un peu !
- Je vois, mentit la blonde d'un ton vaguement inquiet.
- Allez. Reprenons à partir du refrain, fit l'homme avec un signe au pianiste.
Iris me lança un regard clairement implorant tandis que se déroulait le refrain que nous chantions toutes les quatre, puis le pianiste changea de rythme pour faire une série de variations sur un même thème, battant la cadence, et Carine retourna à l'avant de la scène, son corps souple formant un Y parfaitement dessiné, fit son tour sur elle-même, revint dans les rangs. Katalyn s'approcha en exécutant des shimmis, avant d'offrir quelques secondes d'une danse du ventre particulièrement sensuelle. Je voyais Iris blanchir, visiblement en train de se gonfler du trac affreux de la personne à qui on demandait, en quelques secondes, de trouver quel était son « truc », son talent caché, et qui sentait la pression de devoir sortir de nulle part quelque chose de génial.
Je m'avançai à sa place pour lui donner un peu de répit et me cambrai en arrière de plus en plus, faisant jouer ma souplesse dans une figure de limbo jusqu'à être presque allongée sur la scène, les bras levés suivant toujours la danse en ondulant. En me relevant, je surpris son regard rempli d'un appel au secours. Il, enfin, elle, était au pied du mur. Le temps que je revienne à ma place, il ne lui restait plus qu'une poignée de secondes. Et je partageais un peu de son trac, malgré tout, même si moi, je savais bien qu'on lui pardonnerait de ne pas avoir d'idée particulièrement impressionnante, car on ne trouve pas en un claquement de doigts son petit talent personnel. L'important était de se jeter à l'eau.
Iris le sentit et courut trois pas pour se donner de l'élan avant de sauter.
Plus exactement, elle traversa la scène en deux ou trois figures acrobatiques exécutées à toute vitesse, et retomba exactement au milieu de la scène. Puis, le temps d'un battement de cils, revint à sa place dans un autre enchaînement tout aussi improbable, se retrouvant à côté de moi, face à la salle, aussi stable que si elle n'avait jamais quitté cette place, prête à reprendre la danse.
Sauf que tout le monde, pianiste compris, s'était arrêté et la fixait avec des yeux ronds, complètement stupéfait.
Je vis la température monter progressivement le long de son visage comme si sa tête était un verre ballon dans lequel on versait du vin rouge.
- … C'était pas bien ? bredouilla-t-elle maladroitement.
- Euh, si, très bien, justement, très… surprenant, fit Mike, tandis que toutes les filles présentes, moi compris, regardions la petite blonde avec des yeux ronds. Très très bien. Tu pourrais peut-être travailler la réception, pour être plus légère. Et, si c'est possible pour toi bien sûr, d'être moins rapide, pour mieux être dans le rythme de la musique et qu'on apprécie le mouvement à sa juste valeur. Mais sinon, c'est impressionnant. Je n'en attendais pas tant.
Le silence resta encore un peu, et Katalyn et Carine, qui avaient glissé quelques regards intrigués à Iris depuis le début de la danse la regardait maintenant avec une espèce de déférence incrédule. Elles croisèrent mon regard et ouvrirent la bouche dans un cri muet d'incrédulité, comme si elles me demandaient ce qui venait de se passer. Comme si je le savais ! Rien dans sa danse maladroite ne les avait préparées à ce petit coup d'éclat. Edward, encapsulé dans son déguisement d'Iris, ne savait visiblement plus où se mettre, regrettant manifestement d'avoir autant attiré l'attention. Notre chorégraphe dut sentir le malaise puisqu'il reprit la parole d'un ton clair sans attendre davantage.
- Bon Iris, les autres, ça va aller pour le moment. Il y a encore du travail, mais c'est en bonne voie, je suis content de vous. Maintenant, je vais faire réviser un peu June en attendant que tout le monde soit prêt, pour qu'on répète en groupe.
- Eh bien, fis-je en la rejoignant avec un sourire. Je ne savais pas que tu pouvais faire ça, c'est épatant ! Je suis sure que ça va aller comme sur des roulettes quand je vois ce que tu sais faire.
- J'ai pas réfléchi, bredouilla-t-elle, encore vibrante de stress. J'ai pas réfléchi j'ai fait le premier truc qui me passait par la tête…
- C'est d'autant plus impressionnant, répondis-je avec un sourire, lui tapotant l'épaule pour la réconforter après ce baptême du feu.
- Hé bien, Iris, tu es pleine de surprises ! s'exclama Katalyn en nous rejoignant à notre gauche… Où as-tu appris un truc pareil ?
L'adolescente ouvrit et referma la bouche comme un poisson hors de l'eau. Sa fausse identité l'obligeait à trouver un mensonge à la volée, mais comment justifier un truc pareil ?
- Je me suis entraînée, murmura-t-elle évasivement, me collant comme mon ombre comme si ça pouvait lui permettre de disparaître.
La réponse était tellement vague que c'en était suspect, mais Katalyn l'accepta sans broncher.
- Hé bien, si tout le monde pouvait s'entraîner aussi bien, siffla Carine d'un ton admiratif tandis qu'elle surgissait à notre droite.
- Avouez que vous traîniez ici pour espionner l'audition, toutes les deux ! fis-je d'un ton sarcastique.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, répondit Katalyn d'un ton faussement innocent, avec un de ses sourires aux joues pleines dont elle avait le secret.
Les deux filles entrèrent devant dans le vestiaire, visiblement prêtes à raconter les acrobaties de la nouvelle recrue à tout le monde à grand renfort d'adjectifs surdimensionnés. Iris se figea devant la porte et jeta un œil un peu inquiet au vestiaire. Elle n'était pas là depuis une heure qu'elle avait déjà dû encaisser plus que ce dont elle se croyait capable. Et ça ne faisait que commencer. Qu'est-ce que je vais encore devoir subir comme surprise embarrassante ? se demandait-elle visiblement. On pouvait lire son visage comme un livre ouvert. Et c'est vrai que les chahuts familiers des autres filles et leurs conversations gouailleuses allaient probablement la mettre mal à l'aise.
- Je sais, ça fait un peu peur au début, mais on s'habitue à tout, répondis-je en lui tapotant l'arrière de la tête. Le poulailler, c'est spectaculaire, mais globalement inoffensif.
Nous nous étions arrêtées à l'entrée, et cette hésitation promettait d'être suspecte d'ici quelques secondes. Nous échangeâmes un dernier regard, comme pour revérifier que nous étions prêtes à aller au bout de ce projet un peu fou : coffrer Ian Landry.
- On y va ? demandai-je.
- … On y va, confirma-t-elle d'un ton résolu.
