ça y est, on est l'autre lundi, celui ou le chapitre est publié ! Cette semaine, changement de point de vue, et apparition d'une nouvelle voix. Oui, j'aime bien varier les points de vue, vous l'aurez remarqué je crois. J'espère que vous serez content de retrouver Riza Hawkeye, j'avoue que c'est un de mes personnages préférés, même si son point de vue n'est pas évident à traiter. C'est aussi l'occasion de savoir un peu ce qui se passe du côté des militaires et d'en apprendre un peu plus sur d'ancien événements. Mais juste un peu, parce que je suis sadique. ;)
Sinon, j'ai commencé l'illustration associée à ce chapitre, mais elle ne verra pas le jour tout de suite (Comme d'habitude, vous me direz) La semaine dernière a été assez dense, puisque j'ai enchaîné les 24 h de la BD et le festival d'Angoulême... (d'ailleurs, si j'ai fait d'énormes fautes dans cette introduction, j'en suis désolée, c'est que j'ai toujours pas rattrapé mon sommeil en retard ^^°)
Je vous remercie très fort de me lire/suivre/commenter, chaque petit signe de votre part me motive à écrire la suite, que j'ai hâte de vous découvriez, d'ailleurs !
Enfin bref, assez parlé, je vous laisse lire le chapitre lui-même en espérant qu'il vous plaira.
Chapitre 10 : Entre deux eaux (Riza)
J'avais repris conscience depuis le fond de mon lit, sentant l'atmosphère du matin, la chaleur du soleil filtrée par les interstices des volets de ma chambre. Je me retournai, enfonçant le nez dans les plis de mon oreiller. Ce matin, pour une fois, je ne voulais pas quitter mes draps, et le temps riant qui s'annonçait dehors n'y changerait rien. Ce n'était pas la fatigue, même si les dernières soirées passées à faire les cartons n'étaient pas des plus reposantes. Ce n'était pas la tristesse, même si la perspective de mon départ ne me réjouissait vraiment pas.
C'était un petit caprice que je m'offrais, un moment de faiblesse secret : pendant quelques minutes, je n'étais plus l'imperturbable lieutenant Hawkeye, militaire admirée et redoutée autant pour ses talents de sniper que pour son caractère peu avenant. J'étais juste une fillette résolue à ne pas quitter son lit uniquement parce que c'était ce qu'on attendait de moi, nichée dans ses draps, enfouie dans ses cheveux ébouriffés. Je me souvenais de mon enfance et de ces journées d'ennui passées à errer dans le parc avec les chiens et à lire dans ma chambre durant des heures, alors que ma mère n'était plus là, et que mon père quittait à peine son bureau. En bon enfant sage et solitaire, j'avais tâché de ne pas déranger, et j'avais appris à vivre en silence en trouvant seule mes distractions.
Et même si j'avais longtemps haï cette période de ma vie, en cet instant, je voulais redevenir cette gamine qui n'avait pas d'autre soucis que de ne pas traîner dans les pattes de son père, de trouver de la lecture, et d'étudier les oiseaux à l'aide de vieilles jumelles, ayant en tout et pour tout un secret à protéger. Les choses semblaient si faciles comparées à aujourd'hui, avec toutes les inquiétudes qui me taraudaient, la mort de Hugues, l'insensibilité choquante de Mustang lors de son enterrement, Scar dont on avait perdu la trace, la mutation pour Central-city qui m'était tombée dessus, et le jeune Elric qui était en si piteux état lors de notre dernière rencontre... Il avait l'air abattu et désorienté, presque fragile. Même si ça ne lui ressemblait pas, ça n'avait rien d'étonnant quand on savait qu'il avait vu de ses propres yeux la mort de notre ami, sans pouvoir l'empêcher. Le simple souvenir de son regard éteint me fendait le cœur. Pauvre gosse.
Je sentis un contact froid et humide sur le dos de ma main droite, suivit de quelques coups de langue râpeuse. Je poussai un petit soupir, un peu las, un peu réconforté, puis je me redressai, émergeant enfin de ma somnolence mélancolique, jetant un vague sourire à Black Hayate qui était venu me réclamer sa promenade matinale en lui grattouillant le cou.
Pour cette journée de déménagement, rien ne m'obligeait à me lever si tôt. Je m'étais suffisamment bien organisée pour n'avoir qu'à récupérer quelques cartons déjà fermés au quartier général, superviser le chargement du camion de déménagement et redonner mes clés avant de me ranger moi-même dans le premier train en direction de Central qui me passait sous la main.
Mais Black Hayate, qui était réglé comme une horloge, n'en avait rien à cirer. Je me levai donc pour prendre une douche et m'habillai rapidement d'une chemise bleue et d'un pantalon gris. Je l'avais élevé avec une régularité sans faille, je n'avais à m'en prendre qu'à moi-même si j'étais interdite de grasse matinée pour les années à venir. D'un autre côté, il représentait une bonne raison de se lever les matins où j'étais désabusée, et une source intarissable d'affection. Je m'attachai les cheveux en une sommaire queue de cheval et pris mes clés et un peu de monnaie dans ma poche avant d'ouvrir la porte et de lui faire signe de sortir. Ça faisait bien longtemps qu'il n'avait plus besoin de laisse et qu'il revenait à mes pieds au moindre sifflement.
En descendant les marches, je croisai un de mes voisins que je connaissais de vue, lui lançant un « Bonjour » poli. C'était sans doute la dernière fois que j'allais le voir. Une fois au pied de l'immeuble, je m'arrêtai à ma boulangerie habituelle pour prendre un sachet de gougères que j'allais déguster sur le trajet en guise de petit déjeuner. En arrivant dans l'allée arborée, je songeai avec l'ombre d'un sourire que cette ville allait me manquer. Après tout, ça faisait des années que je vivais là, et quitter la région Est me rendait un peu nostalgique. Black Hayate galopait en faisant des allées et venues entre des platanes dont il reniflait le tronc et les pièces d'écorce tombées et moi, comme s'il m'annonçait cérémonieusement que tout était à sa place. A l'approche du carrefour, je sifflai, et il revint sur mes talons, légèrement à ma droite, comme je lui avais appris. Une fois la route traversée, je lui annonçai d'un petit claquement de langue qu'il pouvait retourner courir, et songeai avec un petit sourire au regard impressionné du Colonel la dernière fois qu'il m'avait vue avec mon chien, quelques mois à peine après son adoption, et constaté qu'il m'obéissait déjà au doigt à l'œil. Il avait ensuite commenté d'un ton amusé, que j'avais un peu plus de difficulté avec les humains. Je lui avais répondu aussi sec que dans son cas, je ne l'avais pas eu assez jeune pour qu'il soit correctement éduqué.
Je repensais aux mots assassins qu'il avait prononcés lors de l'enterrement de Hugues, à la désinvolture avec laquelle il avait tendu l'enveloppe bleue au sceau de l'armée au jeune Fullmetal, avec ces simples mots :
« Tenez, Fullmetal. C'est un ordre de mission pour Lacosta. Partez au plus vite et tâchez d'être à la hauteur. Et allez-y sans votre frère, il risque de vous gêner. »
Le ton sec et le vouvoiement qu'il avait adressé au petit blond sonnait comme une insulte dans ce cimetière battu par les vents sous un temps gris qui n'était pas de saison. Et même si j'avais développé au fil des ans une grande loyauté pour mon supérieur, je n'avais pas cillé quand une jeune femme aux cheveux châtains hirsutes et aux lunettes rondes s'était mise à l'insulter. J'entendais encore les mots qu'elle avait criés sans hésiter au Colonel, des mots qui filtraient mal sa douleur et sa colère.
- Bon sang, vous ne pouvez pas laisser de côté le travail quelques instants ?! Vous êtes sur la tombe de votre meilleur ami ! Il parlait de vous et vous admirait, disant que vous iriez loin ! Vous savez qu'il a été assassiné, et vous vous en fichez comme d'une guigne à peine mis en terre, vous envoyez quelqu'un d'autre au casse-pipe ! Mais regardez Edward, bon sang ! Il est blessé, il boîte encore de son précédent combat... et vous l'envoyez en mission ?! On parle de vous comme étant un arriviste, mais je ne pensais pas que vous étiez aussi infect ! Elle est belle, l'amitié !
Mustang avait gardé le silence avec une dignité hautaine, se contentant de l'assassiner du regard, en attendant qu'elle ait fini. De manière surprenante, c'est Edward qui avait abrégé la situation, posant une main apaisante sur l'épaule de la femme en lui soufflant que le lieu était mal choisi pour ce genre de discussion et qu'il ne servait à rien d'accabler davantage Gracia Hugues, celle qui souffrait le plus parmi eux. La jeune femme était restée campée sur ses jambes, tendue comme si elle luttait contre la tempête, et quand elle baissa les yeux vers l'adolescent, les larmes qui lui brouillaient les yeux ne lavaient toujours pas sa rage.
- Je suis désolée, Madame Hugues, je ne vous dérangerai pas plus longtemps, avait-elle dit d'une voix plus basse, mais toujours hachée. Et Colonel... Si vous ne vous souciez pas de son assassin, sachez que moi, je ferai tout pour le retrouver et comprendre la cause de sa mort, avait-elle ajouté d'un ton plus calme mais tout aussi froid avant de se détourner et de quitter le cimetière en écrasant sous ses pas les graviers de l'allée.
Je l'avais regardée partir, puis avait de nouveau posé les yeux sur le Colonel, stoïque dans son uniforme de cérémonie, le visage fermé et dur. Pour la première fois, j'avais ressenti un doute. Cet homme, était-il vraiment celui à qui j'avais donné ma loyauté et que j'avais juré de protéger jusqu'à ce qu'il atteigne les sommets ? Le méritait-il encore ? Puis il avait tourné les yeux vers Gracia et Elysia, qui sanglotait doucement dans les bras de sa mère, et j'avais vu l'espace d'un instant son masque impassible débordé par l'émotion. Il avait croisé mon regard, et j'avais senti qu'il m'avait lancé une sorte de message silencieux que pour une fois, j'avais été bien incapable de déchiffrer. J'avais juste compris qu'il cachait sans doute quelque chose derrière le comportement cruel dont il avait fait preuve envers Edward.
Cette chose, des jours après, je continuais à ignorer ce que c'était. Tandis que nous continuions la promenade avec Black Hayate, je repensais aux multiples hypothèses que j'avais tenté de tisser, sans succès. La seule chose que mon instinct me dictait, c'était que ça avait un rapport avec le Fullmetal. Mon instinct, et la présence d'un garçon d'une dizaine d'années à côté de l'adolescent. Bien que je ne l'avais jamais vu et qu'il ne m'avait pas adressé le moindre regard, j'étais prête à mettre ma main à couper que c'était Alphonse. Alphonse Elric, qui avait retrouvé son corps. Et personne n'en parlait.
Bon, en même temps, l'armée n'était pas censée savoir qu'il était juste-là une armure vide, admis-je intérieurement en sifflant pour rappeler mon chien après avoir vu une voiture s'approcher un peu vite. Ce secret que nous avions porté dans notre petit bureau du Quartier Général de l'Est n'était pas censé éclater au grand jour. C'est aussi ce qui m'avait obligé à ravaler mes questions ce jour-là. Mais à présent, je n'attendais plus que ça, une occasion d'être seule avec le Colonel pour le pousser aux aveux.
Alors que je me faisais cette réflexion, je vis à l'horloge qui ornait le mur des Halles qu'il était temps de rebrousser chemin si je voulais que le reste de la journée s'écoule aussi paisiblement que ces premières heures.
Quand j'arrivai au QG de Central, les militaires que je croisai me fixèrent avec des yeux ronds. Pour ces brèves minutes que j'avais à passer au bureau, je n'avais pas pris la peine d'endosser mon uniforme, et il semblait en les croisant que j'avais bouleversé la marche normale de l'univers en m'habillant en civil. J'avais les clés du bureau dans la poche, mais il était ouvert quand j'arrivais.
Tiens, le Colonel est plus matinal que je le pensais, murmurai-je intérieurement, avant de constater que ce n'était pas lui qui était dans la pièce, mais Havoc, assis sur le bureau de son supérieur, les bras et jambes croisés, le visage creusé par une colère non feinte.
- Havoc, vous n'aviez pas rangé vos affaires hier soir ? m'informai-je poliment.
- Si, mais je viens pour m'expliquer avec le Colonel. A cause de lui, je me suis encore fait larguer !
Je gardai une expression neutre. Je n'allais pas lui dire que j'étais dans le même cas, c'était la porte ouverte à des questions que je voulais vraiment éviter. Et puis, contrairement à Havoc, je n'espérais rien de particulier de ce genre de relations, donc les situations n'étaient définitivement pas comparables. Je me contentai donc de rassembler mes cartons et de les empiler en lui répondant simplement :
- Ce sont des choses qui arrivent... Mais, matinal comme il est, ça m'étonnerait que vous le voyiez avant un moment.
Il répondit par un grognement peu affable, et je retins un sourire. Pour quelqu'un comme moi, Havoc avait tout de l'enfant incapable de dissimuler la moindre de ses émotions. Pour cette raison, j'éprouvais une certaine sympathie pour lui. Ce genre de personnes, si simples à comprendre, avait quelque chose de profondément reposant.
- Bon courage, alors, avais-je simplement lancé en quittant la pièce, ma pile d'affaires soigneusement calée entre mes bras et mon menton. Vous devriez peut-être prendre de la lecture.
J'allai rendre la clé au bureau principal, puis me dirigeai vers le bus, quittant définitivement les lieux. Le trajet n'était pas long jusqu'à l'appartement, et une fois rentrée, il me restait trois fois rien à faire, à savoir, ranger mes draps et quelques autres effets dans un sac de voyage, et attendre l'arrivée du camion de déménagement. Celui-ci arriva avec les quelques minutes de retard auxquelles je m'attendais, et quand les déménageurs sonnèrent chez moi, je vis leurs yeux s'éclairer en voyant les cartons soigneusement empilés et annotés, ainsi que la liste que je leur tendais, répertoriant tout ce qui devait être chargé. L'homme prit le papier en bafouillant un remerciement, visiblement agréablement surpris.
Il fallut moins de deux heures pour tout vider. Une fois le camion parti chez un autre militaire de l'équipe, je passai un dernier coup de balai dans l'appartement étrangement vide, puis vins rentre les clés, la pelle et la balayette à la propriétaire qui habitait au rez-de-chaussée de l'immeuble. Black Hayatte suivait mes ordres et restait dans le couloir, mais il était fébrile et lâchait quelques aboiements inquiets de temps à autre.
Quant à moi, j'étais très calme, convaincue d'avoir fait au mieux et de ne pas rencontrer de problème. En revanche, je me sentais un peu mélancolique en adressant un sourire et une dernière poignée de main à celle qui m'avait logée durant près de dix ans. Nous n'étions pas vraiment proches, mais nous avions un respect affable l'une pour l'autre, et elle avait accepté sans hésiter de prendre soin de mon chien lors d'absences imprévues. Il n'était pas dit que je m'entende aussi bien avec le prochain propriétaire.
- Allez, viens, Black Hayate, fis-je en lui caressant doucement la tête pour le rassurer. On part en voyage.
Comme je savais à quelle heure était le prochain train et que j'avais clairement de l'avance, lors de cette dernière promenade dans les rues si familières de la ville, je pris soin de ne pas me presser pour savourer le temps magnifique qui régnait ce jour-là. Le ciel était d'un bleu pur, sans un nuage, et le soleil blanc avivait les couleurs et aiguisait les contours, embellissant les bâtiments et les feuillages des arbres d'une netteté et d'une intensité quasi-surnaturelle. Il faisait chaud et sec, et même l'air semblait plus piquant que d'habitude. J'avais profité de ce temps idyllique pour prendre un croque-madame et une salade à la terrasse d'une brasserie qui donnait sur le parc des Halles. Après avoir payé et m'être relevée, je me sentis envahie d'une soudaine certitude.
Je n'avais pas envie de partir. Central-City m'avait toujours semblé être tassé et sale, et les occasions où j'avais dû y aller était rarement de bons souvenirs. L'idée d'y vivre ne me réjouissait pas du tout, et l'espace d'un instant, je me demandai pourquoi je quittais cette ville que j'aimais. Parce que Roy Mustang me l'avait demandé. Tout simplement. En étant muté à Central, il avait choisi d'emmener les membres de son équipe, à savoir moi, Havoc, Breda, Fuery, ainsi que Falman, qui avait été sous la direction de Hugues quelques années auparavant et l'avait supplié de le prendre avec lui.
Hugues... J'avais du mal à imaginer à quel point sa disparition pouvait affecter mon supérieur. Je les connaissais assez pour savoir qu'ils étaient parfaitement complémentaires, et maintenant que notre ami barbu avait disparu, il était devenu froid et dur. Je supposais que cette apparente indifférence cynique était la forme que prenait son chagrin, mais je me demandais aussi s'il n'était pas en train de sombrer pour de bon. Peut-être que ce n'était pas la loyauté qui me poussait à le suivre, mais au contraire la méfiance... En tout cas, mes pas me guidèrent jusqu'à la gare, où j'achetais mon billet. Le guichetier se pencha et regarda Black Hayate d'un air méfiant.
- Vous n'avez pas de laisse pour votre chien ? demanda-t-il d'un ton aigre.
- Non, il n'en a pas besoin, répondis-je. Il est bien dressé.
- Vraiment ? grommela l'homme. J'ai du mal à le croire.
- Black Hayate, est-ce que tu es désobéissant ? interrogeai-je d'un ton sérieux en baissant les yeux vers lui, les mains sur les hanches.
Celui-ci s'assit sur sa queue et secoua la tête vigoureusement, donnant l'impression qu'il s'offusquait qu'on se méfie de lui. L'homme eut un moment de recul surpris, se demandant visiblement quelles étaient les parts de dressage et d'intelligence de ce geste. Évidemment, c'était avant tout de l'apprentissage mais c'est avec un petit sourire mystérieux que je pris le billet posé sur le guichet.
Black Hayate détestait les laisses, et c'était aussi pour ça que j'avais appris à m'en passer. Il avait très vite compris que s'il était sage, il pourrait y échapper. Le petit numéro que je lui avais appris était aussi fait pour lui épargner le plus souvent possible de devoir en porter. Cela marchait plutôt bien.
J'achetai un sandwich et une viennoiserie pour manger pendant le trajet qui durait quand même plusieurs heures, puis je glissai mon repas dans mon sac et me dirigeai vers la voie à laquelle devait arriver mon train. En l'attendant, j'entraînai un peu Black Hayate à marcher sur ses deux pattes de derrière, le gratifiant de caresses quand il arrivait à enchaîner quelques pas. J'avais eu la chance de tomber sur un chien au bon caractère, qui ne se lassait pas d'apprendre des jeux. Quand il sembla un peu fatigué, je m'assis sur le banc et changeai d'activité. Le but était maintenant de tourner la tête à droite ou à gauche selon mes indications. Il lui arrivait encore de se tromper de temps en temps, mais il n'était quand même pas mauvais. Je connaissais des humains qui auraient été moins bon que lui.
Puis le train arriva dans un gros bruit de crissement de frein et de roues métalliques, et Black Hayate détala derrière mes jambes, visiblement effrayé. Certes, il s'était habitué aux voitures qu'il voyait tous les jours durant ses promenades, mais le train était autrement plus bruyant et massif. Malgré tout, quand je tirai sur la porte pour l'ouvrir et montai dedans, il ne montra pas d'hésitation à me suivre.
Par chance, le premier compartiment que je trouvais était vide. Je m'y installai, et il se roula en boule à mes pieds, son corps chaud pesant doucement contre mes chevilles. Je tirai un livre de mon sac posé à côté de moi et repris ma lecture là où je l'avais laissée. Au bout de quelques minutes, le sifflet du chef de gare retentit sur le quai et s'infiltra jusqu'à nous.
Black Hayate releva la tête, les oreilles dressées, attentif à ce son inhabituel. Je lui caressai la tête pour le rassurer, montrant qu'il n'y avait rien à craindre. Le train démarra lentement, faisant vibrer le sol sous nos pieds. Il tourna la tête ici et là, cherchant à comprendre d'où venait ce mouvement, curieux et tendu, puis il se calma à force de caresses et en se rendant compte que je n'étais pas du tout inquiète. Il se rallongea, et je repris ma lecture.
A ce moment-là, la porte du compartiment s'ouvrit de nouveau dans un grincement de mécanique mal huilée, laissant entrer un homme rouge et manifestement essoufflé. Mais ce n'était pas n'importe qui.
- Colonel, fis-je d'un ton poli mais un peu surpris. Je ne pensais pas vous voir dans ce train.
- Moi non plus, souffla-t-il très spontanément avant de réaliser la situation.
En me reconnaissant, il eut un mouvement de recul et rougit légèrement, comme s'il était pris en flagrant délit de ridicule. Il faut dire qu'il était complètement débraillé, décoiffé, rouge et en sueur, une manche de chemise remontée, l'autre pendante. Bref, il n'était pas sous son meilleur jour, et j'étais bien placée pour savoir qu'il détestait ça.
- Lieutenant, je ne vais pas vous déranger, bafouilla-t-il en reculant, coinçant la lanière de son sac de voyage dans la poignée de porte dans une tentative maladroite de rebrousser chemin.
- Vous ne me dérangez pas, répondis-je simplement. Je suis quand même capable de partager un compartiment de train avec mon supérieur hiérarchique.
L'homme sourit en guise de remerciement, encore un peu confus, décrocha son sac accroché à la poignée et entra, refermant la porte derrière lui. Il était tremblant, comme s'il sortait d'un long effort, et s'affala sur son siège de manière bien moins élégante que d'habitude. Je l'avais rarement vu aussi maladroit et peu assuré.
- Vous avez eu le train de justesse à ce que je vois, commentai-je.
- On peut dire ça, fit-il en rebroussant ses cheveux, tentant de retrouver son souffle. Je voulais arriver le plus tôt possible à Central.
- Je vois. De mon côté, je n'étais pas spécialement pressée.
Le silence retomba dans le wagon, un silence un peu tendu tandis que j'avais rouvert mon livre. Mustang avait croisé ses doigts sur ses genoux et regardait autour de lui d'un air un peu agité. Pourtant, il n'y avait pas grand-chose à voir, et rien d'inhabituel. Son regard tomba à mes pieds et il vit la boule de poils noirs et blancs.
- C'est Black Hayate ? demanda-t-il d'un ton faussement badin.
- Oui.
- Il a bien grandi.
- C'est vrai que vous ne l'aviez pas vu depuis longtemps. Il y n'a pas loin de trois ans, maintenant.
- Le temps passe vite...
Le silence retomba lamentablement. J'étais rarement qualifiée comme étant bavarde, et Mustang, bien qu'il ait passé beaucoup de temps avec Hugues au téléphone, était plutôt du genre à écouter. Habituellement, nous aurions passé ce trajet à vaquer à nos réflexions respectives, échangeant quelques mots ici et là, sans que ça ne pose un problème. Pourtant, il semblait plus enclin à parler que d'habitude, sans pour autant sembler avoir quelque chose de précis à dire... Ou peut-être était-ce un sujet particulièrement délicat. Je refermai mon livre, comprenant que je tenais sans doute l'occasion d'en savoir plus sur ces fameux mystères.
- J'espère qu'Edward Elric va bien, lâchai-je dans le wagon rempli de vibrations et de silence.
- Il est débrouillard, je ne m'inquiète pas trop, répondit-il avec une espèce de soulagement.
- … Vous avez quand même été très dur avec lui à l'enterrement de Hugues. En plus, il était encore en convalescence à ce moment-là.
- Je sais, marmonna-t-il d'un ton embarrassé, comme s'il avait essuyé la remarque un certain nombre de fois. Mais il y avait des raisons à ça.
- Des raisons ? De quel genre ?
- … Hé bien... Tout d'abord, Grumman m'a presque supplié de lui confier cette mission. Apparemment, la situation à Lacosta mérite vraiment des éclaircissements… Elle a besoin du genre de changements que seul un idéaliste forcené comme lui peut apporter. Et étant donnée la réputation de cette ville, Alphonse aurait vraiment été une source de complications.
- Alphonse a retrouvé son corps ? C'était lui à l'enterrement ? Le gamin ? demandai-je sans parvenir à dissimuler mon impatience.
- Oui.
- Comment vous le savez ? lançai-je du tac au tac.
- Je sais un certain nombre de choses que je ne suis pas supposé savoir.
- C'est vague.
- La situation est compliquée, fit-il à mi-voix.
- J'avais remarqué, commentai-je d'un ton cynique. La vraie question, c'est : est-ce que le Colonel Mustang sera assez magnanime pour me donner ce genre d'informations ?
- Bien sûr, j'attendais une occasion de discuter en privé pour parler de ces choses-là. Ce sont des sujets très délicats. A propos du cinquième laboratoire, où se trouvait le Fullmetal... à propos de la mort de Hugues... C'est difficile de savoir par où commencer, tellement il y a de choses à dire…
L'homme s'arrêta et reprit une inspiration, cherchant visiblement à éclaircir ses idées. Je l'avais rarement vu aussi confus. Cela me confirma que les événements l'avaient davantage secoué qu'il n'avait daigné le montrer ces derniers temps.
- Il y a de bonnes raisons de se méfier de nos supérieurs dans l'armée. Je pense qu'il y a un complot de grande ampleur, dont les expériences du cinquième laboratoire et l'assassinat de Hugues font partie ; et Edward semble avoir un rôle dans leurs plans. Mon but, c'est d'en savoir le plus possible sur le rôle de l'armée là-dedans pour pouvoir percer à jour leurs machinations. Et donc, plus que jamais, de gravir les échelons.
- C'est pour ça que vous étiez infect à l'enterrement de Hugues ? Pour trouver votre place parmi vos ennemis ?
- Entre autres, répondit-t-il d'une voix rapide. Mais aussi, parce que...
La porte du compartiment s'ouvrit et l'interrompit, laissant entrer dans le compartiment un petit vieux en costume de velours qui nous demanda d'un ton aimable s'il pouvait s'installer ici. Nous pouvions difficilement dire non à cette question rhétorique.
La discussion fut donc ajournée, et l'on n'échangea plus que des banalités jusqu'à la fin du trajet. Et même s'il n'avait fait qu'effleurer le sujet, même si presque toutes mes questions restaient en suspens, ces quelques mots avaient suffi à diffuser les doutes que j'avais pour mon supérieur hiérarchiques. C'était peut-être un peu stupide de faire confiance aussi facilement à quelqu'un, mais c'était sans doute la seule personne qui bénéficiait de ce traitement de faveur de ma part.
La fin de la journée s'écoula entre le trajet de train et l'emménagement. Les cartons trouvèrent rapidement leur place dans les différentes pièces, et je pus déballer les meubles les plus lourds avec l'aide des déménageurs. Aux alentours de minuit, j'avais un domicile, certes en désordre, mais tout à fait vivable. C'est sans regrets que je m'effondrais dans mon lit, laissant Black Hayate se rouler en boule au pied de celui-ci. Le lendemain, beaucoup de nouvelles questions allaient s'imposer à moi, sur ce que Mustang cachait à tous et qu'il s'apprêtait à me dire, sur notre installation dans le QG de Central, sur Edward et son frère, sur ce que l'on attendait de nous après notre mutation... Mais à cet instant précis, je savourais juste la présence familière de Black Hayatte dans ce lieu qui ne l'était pas encore.
