Hello, c'est l'heure du chapitre du lundi ! Autant il y a quinze jours, j'ai pondu l'illustration très en retard, autant cette semaine, elle est prête bien à l'heure ! C'est quand même mieux (vous pouvez voir mes illus de chapitre sur Deviantart, j'ai mis le lien direct du dossier sur mon profil, comme ça tous les dessins sont rassemblés au même endroit ! ;) )

Bon, comme je ne veux pas spoiler, je n'ai pas grand-chose à dire sur ce chapitre à part que je m'étais bien amusée à l'écrire. Du coup, j'espère qu'il vous plaira ! ;)

Du coup, bonne lecture à vous !


Chapitre 11 : Plus qu'une première (Edward)

La répétition du spectacle faisait résonner dans la salle principale du Angel's Chest des notes de musiques et des chants qui plongeaient les lieux dans une ambiance chaude et sucrée, évoquant des temples exotiques, des femmes étrangères à la plastique parfaite et des animaux sauvages. Au fur et à mesure de nos entraînements, j'étais impressionné de voir croître le spectacle qui ressemblait de plus en plus à quelque chose au fur et à mesure que s'installaient les différents éléments, la lumière, le décor, et presque abasourdi de constater que contre toute attente, mon identité d'emprunt y trouvait finalement sa place.

Une partie de moi restait profondément rebutée quand je me présentais sous le nom d'Iris, ou que je devais parler de moi au féminin, aussi évitais-je autant que possible de parler tout court. Hors des chants, je m'étais construit bien malgré moi une réputation de fille effarouchée, ce qui faisait que toutes les danseuses, à l'exception de Roxane qui le savait très bien, m'avaient demandé au moins une fois pourquoi je voulais faire du spectacle alors que j'étais aussi timide. J'avais répondu évasivement que faire partie d'un groupe était un beau pas pour moi, et que je ne cherchais pas vraiment à aller plus loin.

Pour les besoins de l'enquête, j'étais une danseuse d'arrière-plan, mais au cours des derniers jours, j'avais réussi à attraper suffisamment le rythme pour rester correctement calé sur la musique, et surtout, pour me recaler si j'avais un imprévu qui me déconcentrait. On s'était moqué abondamment de ma raideur, même si quand j'étais rassuré par Roxane, je ressemblais moins à un automate, j'étais loin d'avoir les déhanchés fascinants de celles qui m'entouraient. C'était bien normal, après tout, elles avaient nettement plus d'entraînement.

Je me sentais terriblement frustré depuis hier. Ce n'était pas de devoir danser pendant le plus gros de la journée, c'était un exercice physique plutôt agréable, qui me laissait courbaturé et rempli d'une saine fatigue, et même si les réunions secrètes avec Berry et Roxane entamaient sérieusement mon temps de repos, je me sentais en parfaite santé, heureux de voir que la douleur de mes récentes blessures avait complètement disparu. Ce n'était pas non plus à force de voir les filles de balader en petite tenue, certaines n'hésitant pas à se promener en ne portant rien d'autre qu'un string à plumes (j'avais découvert l'existence de ce sous-vêtement avec un certain effroi) dans les couloirs du cabaret, sous prétexte que le bar était fermé et qu'il n'y avait personne d'autre pour les voir. Cela n'avait pas d'autres conséquences que de me faire rougir à l'idée de me retrouver dans la même tenue, me mettant terriblement mal à l'aise et me confirmant mon absence d'attirance pour le sexe-plus-si-opposé. Ce n'était pas non plus l'attente d'en découdre avec Ian Landry, le temps filait à toute vitesse avec les préparatifs de la première, et ce moment allait venir bien assez tôt à mon goût, je le savais. Non, c'était quelque chose de différent, le sentiment cruel que quelque chose manquait. Titillé par ces questionnements, j'étais parvenu à comprendre que n'était pas non plus l'absence d'Alphonse, puisque je pensais régulièrement à lui et que cela m'amenait une émotion légèrement différente. Le vide venait d'ailleurs.

Je me concentrai de nouveau sur la danse, reprenant le sourire de façade qu'on me réclamait sans arrêt. Je respirai profondément, tentant de me détendre comme on lui avait conseillé, sans grand succès. C'est donc épuisé et relativement crispé que je descendis de la scène tandis qu'on annonçait la pause pour la danse de groupe. Pendant le repas, June devait s'entraîner en solo avec Mike pour fignoler sa chorégraphie. En début de soirée, nous allions nous offrir le luxe d'une répétition générale, avec musiciens, costumes, lumières, bref, tout le toutim. Mais pour le moment, il était l'heure de manger les restes d'un ragoût préparé la veille dans les cuisines abandonnées du cabaret par June, Roxane et Katalyn, pendant que j'étais resté aux griffes de notre chorégraphe qui m'enseignait plus en détail la respiration abdominale et essayait de me pousser à être moins raide dans mes mouvements.

La respiration abdominale, je connaissais déjà, et ma rigidité était un cas désespéré. L'enseignement d'hier n'avait eu aucune retombée dans la répétition de ce matin. J'étais fatigué et vaguement morose en m'asseyant à la table avec les autres, dans la cuisine où la radio avait tourné toute la matinée.

- Eh bien, Iris, tu n'as pas l'air d'avoir le moral, commenta Katalyn en posant une main sur mon épaule avec un air compatissant. Mike t'a dit une vacherie ?

De toutes les filles, c'était sans doute à elle que j'avais le plus de mal à m'habituer. Sa tendance à faire disparaître toute distance avec moi (ou n'importe qui d'autre) sans même sembler avoir conscience que le contact pouvait être quelque chose d'intime me paraissait particulièrement embarrassante, surtout en ayant des automails à cacher. Les autres traitaient cette manie comme quelque chose de totalement banal et anodin, à tel point que j'avais l'impression que Katalyn aurait pu déshabiller intégralement l'une d'entre elles en discutant sans qu'elles ne le remarquent vraiment.

- Pas spécialement, répondis-je en me servant un grand verre d'eau que je bus à grands traits.

- S'il y a un truc qui ne va pas, n'hésite pas à le dire !

- Mais si c'est honteux, elle se moquera de toi à coup sûr ! informa Carine.

- Non, mais c'est bon, ça va, répondis-je d'un ton un peu crispé après avoir planté ma fourchette dans un morceau de viande.

Katalyn me gratifia d'un petit sourire de son visage rond avant de revenir à la conversation de groupe, avec cette expression qui disait mieux que des mots « tu ne sais pas mentir, mais ce n'est pas grave ». Je mangeai mon assiette en silence, écoutant la discussion. Les remarques de ma voisine me firent sourire plus d'une fois. Au milieu de la discussion animée, le caractère des unes et des autres éclatait à chaque phrase qu'elles sortaient. Katalyn, qui parlait toujours de cul, Carine, la fille vénale qui s'assumait, et Roxane, qui parlait peu comparée aux deux autres, mais à la langue affûtée, capable de moucher chacune des filles, tenaient le haut du pavé, laissant moins de place pour les autres. Dorine, Flora, Sophie et Laure étaient bavardes aussi, mais moins gouailleuses, ce qui faisait de moi la fille la plus silencieuse de la table.

Une idée saugrenue.

- Hey, hey, hey ! interrompit soudainement Laure, couvrant la chamaillerie qui opposait Katalyn et Flora. Vous entendez ?

- Rolling in the deep !

Aussitôt, les filles bondirent de leur place, la plus proche de la radio poussa le son, au point que la musique à fond fasse trembler les murs de la pièce. D'abord des cordes qu'on grattait, puis la voix, enfin, la batterie et le piano, et avant que je comprenne exactement ce qui se passait, je me retrouvai seul à table, la fourchette à la main, alors que la pièce s'était soudainement transformée en boite de nuit. Les filles étaient en train de claquer des mains autour de moi, chantant les paroles dans un enthousiasme débordant et se déhanchant dans le désordre le plus total. La musique résonnait, faisant trembler ma cage thoracique au moindre coup, me plongeant dans un état inconnu. Je n'avais jamais entendu de musique pareille. Quels étaient ces instruments, d'où venait cette voix ?

Chaque syllabe enflait dans mon esprit, prenant toute la place, m'interdisant de penser, et quand Katalyn et Roxane m'attrapèrent chacune une main pour que vienne danser avec elles, je n'opposai aucune résistance. Roxane chantait à pleins poumons, donnant sa pleine mesure, toute la pièce vivait au rythme de sa voix, et moi aussi. La rouquine se mit face à moi, et sans vraiment réaliser que je m'étais mis à danser, je me retrouvais les mains sur ses épaules alors qu'elle me tenait la taille d'une main en ondulant au rythme de la mélodie, les yeux pétillants. Je me sentais comme ivre de musique, détaché de la réalité, et un sourire dévora mon visage, rempli par un bonheur tout à fait nouveau. Faute de savoir les paroles de cette chanson, je fredonnais la mélodie, fermant les yeux et me laissant porter au rythme des tambours. Roxane m'avait lâchée, je flottais, j'avais l'impression de me déployer, et...

La musique s'arrêta, et je me sentis fauché en plein vol. Je me figeai, surpris, titubai maladroitement, et mon enthousiasme disparut brutalement, remplacé par une honte brûlante. Danser en impro au milieu de professionnelles alors que je n'y connaissais rien… qu'est-ce qui m'était passé par la tête pour faire un truc aussi ridicule ? Pour le coup, tout le monde allait se foutre de moi après ça, j'en étais sûr. Je pouvais d'ores et déjà me transmuter une pelle et aller m'enterrer dans coin obscur ou personne ne me retrouverait jamais. Pourtant, Roxane avait le sourire et l'œil brillant quand elle m'ébouriffa les cheveux, et les filles autour applaudirent.J'en restais comme deux ronds de flan, me demandant encore si elles se moquaient ouvertement de moi.

- Eh bien, tu vois quand tu te lâches ! s'exclama Katalyn.

- Iris, en fait, tu réfléchis trop quand tu danses. Beaucoup trop !

- Je ne pensais pas que tu pouvais te lâcher comme ça. C'était chouette à voir !

- Oui, pour une bécasse inexpérimentée, tu es plutôt surprenante, commenta Carine.

- Qui est une bécasse ? ! m'exclamai-je en rougissant, choisissant d'ignorer le « inexpérimentée » qui était tout à fait juste.

- Ben, toi, répondit-elle sans une once de méchanceté. C'est vrai, tu parles pas, tu t'y connais pas en danse, on se demandait un peu ce que tu foutais là.

- Bah elle remplace Ariane au pied levé, rappela Katalyn.

- Je sais pourquoi on l'a acceptée, ce que je veux dire, c'est que je me demandais pourquoi toi, tu avais eu l'idée absurde de venir ici.

- … Je peux te taper ? répondis-je avec un sourire plein d'une joyeuse colère, le poing fermé.

Roxane me fusilla du regard, me faisant réaliser mon erreur, mais heureusement, ma réaction provoqua un nouvel éclat de rire.

- Et voilà, Iris révèle sa vraie nature !

- Moi qui pensais que c'était une fille délicate...

- Une fille délicate qui te sort un double salto le plus naturellement du monde, quand même ! Je serais toi, je me méfierais un peu plus.

- Moi je dis, on continue à danser !

- YEAAAAAH ! !

A l'unanimité, tout le monde choisit de laisser refroidir son assiette pour danser ensemble pendant les morceaux suivants, et dans le bouillonnement ambiant, je pus pousser un soupir de soulagement qui passa totalement inaperçu. J'avais de la chance qu'elles ne m'aient pas cherché davantage de noises, ma remarque aurait plu me faire griller. Puis je me remémorai les grandes claques dans le dos que m'assénaient quelquefois Roxane, et le souvenir des jets de clefs à molette de Winry acheva de me persuader qu'avoir des côté violents n'étaient pas incompatibles avec le fait d'être une fille. Je pouvais finalement me lâcher un peu plus, pas trop, je savais qu'on moment d'inattention suffirait pour que je sois découvert mais un petit peu, assez pour oser discuter avec les filles au lieu d'éluder aussi poliment que possible leurs questions.

Un poids s'était ôté de ma poitrine. J'étais libre. Danser sans contrainte me donnait ce sentiment d'échappée belle que j'avais eu l'impression de ne plus jamais pouvoir connaître. C'était une chose d'apprendre une chorégraphie soigneusement étudiée, c'en était une autre de s'agiter et de chahuter pour le simple plaisir de bouger. J'avais l'impression que mes oreilles s'étaient soudainement débouchées, que le monde s'offrait enfin pleinement à moi. Jamais je n'avais entendu ce genre de musique qui semblait pourtant couler de source, et cela faisait des années que je ne m'étais pas amusé à ce point. Quand la plage musicale fut interrompue par le début d'une émission, nous nous rassîmes enfin face au repas, les joues roses, et je me rendis compte qu'un simple morceau passant par hasard à la radio avait suffi à résoudre ce problème que je n'avais pas réussi à comprendre. Cette envie d'évasion que me donnait la danse, j'avais eu la chance de pouvoir mettre le doigt dessus. La glace était cassée, et mon moral gonflé à bloc. Ce spectacle, je n'allais en faire qu'une bouchée !


- Aaah, je veux pas aller sur scène, gémis-je tandis que Katalyn s'occupait de me coiffer selon les instructions de Roxane, elle-même occupée à aider June à se préparer. C'est trop flippant...

- Mais non, mais non... répondit patiemment la brune tandis qu'elle me faisait une tresse tarabiscotée. Si tu danses comme hier après-midi et ce matin, tu vas en mettre plein les yeux à tout le monde.

- Mmmais, je stresse, marmonnai-je.

- C'est normal, tout le monde stresse dans cette pièce.

Depuis l'épisode de la radio, j'avais considérablement lâché du lest, dans la danse, mais aussi dans ma manière de parler aux autres. Le sentiment de faire partie de la bande aidait à se comporter de manière spontanée, le plus dur étant de ne pas trop l'être. Roxane m'avait dressé à me comporter comme un joli oiseau bien sage, mais la vérité, c'est que les filles du cabaret n'étaient pas sages du tout. Je lui avais fait remarquer ça alors que nous nous préparions à dormir, et elle m'avait répondu « qui peut le plus, peut le moins » Elle avait sans doute considéré que comme j'étais un homme, il fallait que je pousse mon comportement pour être le plus féminin possible, pour dissiper le doute, et que personne n'aie l'idée une fraction de seconde de se dire qu'Edward Elric et Iris Swan pouvaient être une seule et même personne. Des genoux trop écartés ou un simple accord au masculin pouvaient me trahir. Elle me l'avait martelé suffisamment pour que je ne le perde pas de vue une fois plus à l'aise dans l'équipe.

De manière logique, j'avais pris des détours pour me changer, et reçu plein de remarques taquines quand j'étais revenu des toilettes dans mon costume. Ça ne m'avait pas empêché de recommencer aujourd'hui, car si je m'étais vaguement habitué par la force des choses à voir des filles sans décence, mes automails et ma propre pudeur étaient toujours là. Évidemment, Roxane m'avait aidé à tenir la garde et m'avait expliqué en détail comment installer les rembourrages dans mon décolleté. Et comme je n'y arrivais pas, elle avait fini par le faire elle-même en dépit de me cris scandalisés. Encore un fragment de ma vie que j'aurais voulu pouvoir effacer définitivement de ma mémoire…

Une fois cela fait, je reçus de nombreux commentaires décomplexés sur ma poitrine, à tel point que je ne savais plus ou me mettre. Heureusement, avec les préparatifs, le sujet avait rapidement été abandonné au profit de questions plus pratiques.

- Roxane, tu stresses ? demandai-je à la rousse, qui était debout derrière la chaise de June, en train de la coiffer.

- Oui, mais je préfère ne pas y penser.

- June ?

- June c'est la pire, elle est meneuse de revue ! Heureusement que notre chef a des nerfs d'acier, hein ?

- Ne te moque pas de moi, Katalyn, grogna-t-elle, visiblement peu encline à blaguer tandis que Roxane ajustait sa coiffure.

Avant de poser le bandeau orné de perles et de plumes sur ma tête, il fallait me maquiller. Katalyn me contourna et se pencha sur moi en s'appuyant légèrement sur la tablette qui me faisait face, un pot de poudre d'une main, un large pinceau de l'autre. Je fermais les yeux, sentant les poils de l'outil me chatouiller le visage, et l'odeur de la poudre me monter au nez. C'était étrange, mais paradoxalement, pas si désagréable, pour une fois que quelqu'un s'occupait de moi sans me brutaliser. Enfin, si on excluait qu'elle était tellement près que je sentais ses genoux contre mes cuisses. Ça, ça me plaisait modérément.

- Ouvre les yeux, fit-elle de sa voix langoureuse.

Il ne fallait pas le prendre personnellement, elle avait toujours cette voix-là. En levant les yeux vers elle, j'avais une vue directe sur son décolleté plutôt spectaculaire. J'aurais voulu tourner la tête, mais comme elle avait commencé à me maquiller les yeux, mettre cette idée en pratique n'était pas un bon plan. J'étais condamné à les voir, que je le veuille ou non.

C'est vrai que les miens sont minuscules, quand je vois les autres filles... Bon sang, tant mieux ! ça serait une calamité si je devais planquer une poitrine pareille sous mes bandages !

C'est vraiment difficile de regarder ailleurs...

Rhaaah, J'y peux rien, ça attire le regard ! ! C'est juste sous mon nez. J'aime même pas ça en plus !

- Non, ouvre les yeux, je ne peux pas te maquiller les yeux fermés.

Et merde...

Heureusement pour moi, elle me demanda de fermer les yeux quelques minutes plus tard, m'épargnant de longs débats internes tout le temps où elle me posa des faux cils et les fards. Puis elle me maquilla la bouche, et recula.

J'étais un peu soulagé, le fait que quelqu'un me touche le visage autrement que pour le frapper était déjà inhabituel, mais entre ses seins calés juste sous mon nez et son regard vissé sur moi, je ne savais vraiment plus ou me mettre. Voilà, c'était bizarre, et vraiment pas agréable, finalement. J'aurais préféré que ce soit Roxane qui me maquille, ça aurait m'aurait moins mis mal à l'aise, mais nous manquions de temps. La brune attrapa le bandeau qui devait se placer sur mon front et le cala sur ma tête aussi soigneusement que si c'était une couronne, fichant dans la coiffure un nombre incroyable d'épingles à cheveux pour le fixer solidement. Puis une fois cela fait, elle quitta sa place, me laissant découvrir mon reflet dans le miroir.

Je restais bouche bée. J'avais déjà été désarçonné quand j'avais croisé mon reflet en robe bleue chez Roxane, mais la personne qui me faisait face n'avait strictement plus rien à voir avec ce que je connaissais. J'avais littéralement disparu derrière une profusion de décors, le voile coloré de mon boléro, les perles, les nacres, les franges de tissu, les pièces percées qui reflétaient les néons au moindre mouvement, le maquillage, les plumes, des petites chaînettes pendant ici et là, les faux-cils gigantesques...

Face à ça, je compris que jamais, au grand jamais on ne pourrait me reconnaître dans une tenue pareille. Aucun de ceux qui me connaissaient, pas même Winry ou mon frère, ne pourrait percer un déguisement pareil. Moi-même j'avais du mal. J'étais devenu quelqu'un d'autre, tout simplement. Quelqu'un d'autre, qui pouvait bien se lâcher à danser langoureusement devant une assemblée de pervers plus ou moins assumés. Quelqu'un d'autre, qui n'avait peur ni honte de rien.

Enfin, malgré tout, j'étais quand même bien content que Roxane soit juste à côté...

Les préparatifs parurent longs et courts à la fois. L'effervescence des autres filles, l'atmosphère électrique... Carine faisait des allers-retours jusqu'au rideau, commentant l'affluence, les notables de la région, le moindre détail qu'elle glanait en glissant un œil entre deux plis du lourd velours nous était conté. Plus tard, je compris que c'était sa manière à elle d'évacuer le stress.

- Tous les candidats sont venus faire le beau.

- Tous... Ian Landry est là aussi ? demanda June.

- Oui, pourquoi ? Tu as des vues sur lui ?

- Non, répondit-elle en lançant un bref regard au reflet de Roxane. Simple curiosité.

- De toute façon, quand bien même, la seule à pouvoir chopper le futur maire, c'est Iris.

- Mais... ! Mais mais mais ! bredouillais-je en rougissant. Qu'est-ce que vous racontez ?

C'est vrai que c'est pour ça que je suis là techniquement... Mais dit de cette manière, c'est juste tellement...Yerk. ! Je veux le chopper pour qu'il aille en tôle, pas pour... Enfin, hors de question de faire un aveu pareil, ça ferait sauter ma couverture direct.

- Quoi, tu voudrais pas ? s'étonna innocemment Carine.

- Je sais même pas à quoi il ressemble ! mentis-je en me défendant vertement.

- Au mec le plus riche de la ville.

- Tout le monde n'est pas comme toi, Carine ! rappela Laure en éclatant de rire.

- Bon, les filles, j'espère que vous êtes bientôt prêtes, le spectacle commence dans cinq minutes.

Une vague d'angoisse me submergea, et je ne fus manifestement pas la seule.

- Aaah !

- Bonsangbonsangbonsang...

- Inspire... expire... inspire... expire...

Je ne suis pas habitué à cette forme de stress, je suis censé faire quoi moi ?! pensai-je, sentant mes mains trembler malgré moi. Alors que j'avais déjà affronté des chimères, des tueurs en série et des Homonculus sans broncher, une partie de moi était tentée de s'enfuir en courant face à la foule qui nous attendait. L'idée que Ian Landry, cet homme à l'aura carnassière, soit dans la pièce et me voie sur scène avait tout pour m'angoisser. C'était notre déclaration de guerre. Et s'il ne mordait pas à l'hameçon, j'aurais fait tout ça pour rien ? Après toutes ces humiliations et tous ces moments pitoyables que j'aurais voulus effacer définitivement de ma vie, je refusais cette idée, et pourtant, enfoui très profondément, subsistait l'espoir que ça soit le cas.

Mais j'avais tenté de transmuter ma mère, j'avais vécu seul avec mon frère sur une île sans l'aide de l'alchimie, j'avais affronté le regard de Nina transformé en chimère, Barry le Boucher, un jury de militaires, la haine de la population, les yeux violets d'Envy... Je devais bien être capable de faire ça.

Tandis que Mike faisait l'annonce au micro de l'autre côté des rideaux, je serrai les poings, résolu à ne pas me laisser effrayer par un vulgaire bout de parquet. Après tout, la scène, ça n'était rien que ça, des planches de bois éclairées par un spot, n'est-ce pas ? Cette réflexion aurait pu me rassurer, si elle n'était pas aussi fébrilement bousculée par des dizaines d'autres plus ou moins contradictoires.

- Iris, je peux te donner un conseil ? fit Carine en me voyant respirer un peu trop vite.

- Si tu veux... murmurai-je, la gorge nouée.

- Danse juste pour toi.

Je fis tourner sa phrase dans ma tête tandis que marchions vers la scène pour nous mettre en positions. Roxane à ma gauche, Carine à ma droite, je n'étais pas trop à plaindre. Les lumières s'éteignirent, et le rideau se leva dans une obscurité quasi totale tandis que résonnaient les premières notes. Le piano, la guitare, la contrebasse... Je supposai que les musiciens, au pied de la scène, partageaient notre trac.

Ça commence, pensai-je, le cœur battant, en jetant un coup d'œil à Roxane pour vérifier que suivais le rythme des premiers mouvements. L'éclairage montait, faisant disparaître le monde autour de la scène dans une obscurité opaque. Il n'y avait plus que nous neuf, et June éclatante sous les projecteurs. Je pouvais difficilement cesser de la regarder, silhouette fascinante sous cet éclairage. Il y avait quelque chose de magique dans cet instant, le cœur battant, la présence des autres filles, la fierté qui m'assaillait à chaque instant d'harmonie. Ce qui se passait sous mes yeux était beau, et j'en faisais partie. Le rythme me prenait aux tripes, et c'est d'une voix vite raffermie que je reprenais les cœurs avec les autres. June chantait la mélodie principale d'une voix incroyable, belle et remplie de caractère. Je me souvenais de ma mère qui chantait, elle était pleine de douceur. La grande femme aux cheveux noirs qui dansait devant moi, elle, chantait presque avec colère, une colère élégante, une colère... sexy, sans doute.

Je connaissais tellement la chorégraphie que je pus me laisser un peu submerger par l'instant. Après mon moment de grâce, hier après-midi, j'avais envie de retrouver ce lâcher-prise, ce sentiment de liberté tellement grisant. J'avais oublié la scène, oublié le public, oublié Ian Landry, et j'avais sauté à pieds joint dans un autre monde. Occupé à ma tâche, la fin déboula bien plus vite que je ne le pensais, et tandis que je pris la pose finale, j'entendis un tonnerre d'applaudissements.

Je replongeai dans la réalité, surpris par ce crépitement enthousiaste, ouvrant des grands yeux en réalisant que tout c'était bien passé et que ces applaudissements étaient aussi pour moi. Bien que conscient de n'être qu'un petit rouage du spectacle, je me sentis terriblement flatté, et un sourire irrépressible grignota mes joues. Les gens applaudissaient, pour nous, pour moi, aussi. L'atmosphère de la pièce était échauffée par l'effort de la danse, les projecteurs, les applaudissements, et j'eus tout à coup la perception de tout ça. J'étais trempé de sueur dans mon costume en jetant un bref coup d'œil à Roxane, je vis qu'elle l'était tout autant. Elle m'attrapa la main et me fit galoper vers les coulisses, ne laissant plus que June sur scène.

Je contemplai le reste du spectacle depuis les coulisses, presque avec regret. Non pas que j'avais envie de danser nu devant tout le monde, loin de là, mais ces moments de plénitude que j'effleurais en dansant... Mes meilleures réussites en alchimie ne me rendaient pas toujours aussi béat. D'ailleurs, contrairement à d'habitude où j'étais souvent tenté de faire des transmutations pour le simple plaisir de l'entraînement, pas une fois je n'y avais pensé depuis que j'avais été embarqué dans cette aventure de cabaret. Il faut dire que le temps nous était compté. Quand Roxane s'assit pesamment à côté de moi, m'amenant un verre d'eau, je lâchai un aveu qui lui amena un sourire.

- Roxane...

- Oui ?

- En fait… je crois que j'aime danser.


Une fois le spectacle terminé, c'était une longue soirée de service qui nous attendait. Après les tonnerres d'applaudissements qui avaient résonné dans la salle, j'étais ivre de joie, et rien ne semblait pouvoir me faire redescendre sur terre. Nous avions gardé nos costumes pour rejoindre le reste de l'équipe qui s'occupait déjà du service en salle. Plus d'un client me héla au passage pour me glisser deux mots, rendant terriblement difficile de ne rien oublier en cours de route pendant le service mais, comme l'avait rappelé Roxane, le client est roi, et je tâchai de répondre à leurs questions, avec un sourire pas si forcé grâce au soulagement de constater que la première s'était bien passé et que contrairement à ce que je redoutais, je n'avais provoqué aucune catastrophe.

- Hé bien, vous êtes nouvelle, non ?

- Oui, je suis venue pour la première du spectacle, je remplace Ariane au pied levé.

- Je me disais bien que je ne vous avais pas encore vue ici. C'est quoi votre petit nom ?

- Iris, répondis-je avant de repartir en cuisine ou on m'appelait.

- C'est marrant, j'étais convaincue que tu serais une serveuse désastreuse, mais finalement ça va, commenta Carine en me donnant un plateau chargé de cocktails. Je pensais que tu oublierais tout et serais incapable d'adresser la parole aux clients.

- En même temps, tu parles de quelqu'un qui a appris la chorégraphie du spectacle de groupe en moins d'une semaine... Faut te faire à l'idée, Iris est une surdouée. Elle va nous piquer la place si ça continue !

J'entendais ce qu'elles disaient, mais ça me glissait dessus sans m'atteindre et je me contentais d'un sourire amusé en guise de réponse, content d'être monté sur scène et immensément fier de ne pas avoir gâché le spectacle, je ne remarquais même pas les regards pourtant déplacés de certains clients à mon égard.

Ma bonne mémoire me fut très utile pour faire le service, car il y avait beaucoup à faire, entre les numéros de table, les commandes, l'ordre dans lequel on était censées faire le service, les petites politesses... Mes compétences déplorables en accueil et mon manque de patience s'étaient dissoutes dans la bonne humeur que je semblais partager avec la plupart des clients. Même si j'avais parfois oublié qui avait commandé quoi en arrivant à la table et fait quelques erreurs, personne ne me fit de remarques acides. Il faut dire que d'après les autres filles, il y avait beaucoup d'habitués qui savaient que j'étais nouvelle.

Évidemment, c'est à moi qu'on demanda de servir Ian Landry. Retombant à pieds joints dans le monde réel à cette annonce, je tâchai de ne pas perdre mon sourire tandis que je m'approchais à sa table, le cœur battant la chamade. Il fallait que j'évite d'avoir l'air parachutée par hasard, sinon il se douterait de quelque chose. Il était sûrement assez intelligent pour ça. Mon esprit était tellement focalisé sur lui que je remarquais à peine le reste de la tablée ou se trouvaient essentiellement des militaires hauts gradés, et un homme en costume visiblement étranger.

Quand je déchargeai mon plateau sur la table en annonçant les différents cocktails, je n'osai pas vraiment le regarder en face, une partie de moi restant vaguement inquiète à l'idée qu'il me reconnaisse. Moi qui n'avais pas eu droit au moindre coup d'œil durant la soirée où je m'étais invité chez lui, protégé par mon apparence de Fullmetal Alchemist, je me sentis décortiquée de haut en bas par un long regard particulièrement pesant. Je restai quelques secondes à côté de la table, le plateau calé sous le bras, tandis qu'un autre client de la table me posait deux ou trois questions auxquelles je répondis brièvement, me sentant de moins en moins à l'aise tout en essayant de ne pas le laisser paraître. En partant, j'osai lancer un bref coup d'œil à Ian Landry. Le candidat planta son regard droit dans le mien avec une attention qui me poussa à me hâter.

Je n'avais pas couru, mais j'avais presque le souffle court quand j'arrivai à la cuisine ou Roxane se trouvait. Le souffle court et la nausée.

- On dirait qu'il est ferré, lui soufflai-je.

J'avais prévenu Berry du plan dans la journée, lui avait parlé de Roxane au téléphone, tout semblait bien s'annoncer. En fait, il n'y avait plus qu'à attendre le premier mouvement de notre ennemi. Jusque-là, je devrais danser chaque soir ma partie du spectacle. Je n'étais pas tant que ça à plaindre, l'idée de remonter sur cette me réjouissait au moins autant que cela m'effrayait. Mais je n'avais pas le temps d'y penser, les commandes s'amoncelaient et je devais me concentrer pour ne pas renverser les plateaux lourdement chargés que j'étais chargé d'amener en salle. De fil en aiguille, il était près de trois heures du matin quand on nous libéra de nos obligations.

J'étais lessivé, vidé, et c'est d'un geste absent que je me débarrassais de ma coiffe, pestant en retrouvant encore et toujours des épingles qui coinçaient, détachant laborieusement mes tresses et finissant avec les cheveux coincés et emmêlés dans l'ultime épingle, appelant à l'aide la première qui passerait par là. Laura me tira de ce mauvais pas en démêlant soigneusement ma mèche de cheveux, et je poussai un soupir de soulagement quand l'imposante coiffe se désolidarisa enfin de ma tête.

Roxane me passa son démaquillant, et il me fallut une bonne dizaine de minutes pour me débarrasser de tout l'attirail qui recouvrait mon visage, retrouvant des joues rosies à force d'avoir trop frotté. J'allai ensuite me changer dans les toilettes, remettant mes vêtements de ville, me sentant presque sobre dans cette tenue qui n'avait pourtant rien d'habituel pour moi. Roxane me rattrapa pour me remaquiller de nouveau, plus légèrement cette fois, en rappelant qu'il valait mieux jouer mon rôle jusqu'au bout. Nous étions prêts à partir quand June appela son amie pour qu'elle l'aide à se débarrasser de sa coiffure tarabiscotée, alors je lui fis un signe de main et sortis sans l'attendre, trop pressé de quitter la chaleur étouffante du cabaret.

Une fois dehors, j'inspirai une grande bouffée d'air frais, réalisant à quel point l'atmosphère à l'intérieur du cabaret s'était échauffée durant toute la soirée. La fraicheur de la nuit me soulagea immédiatement. Dans la ruelle assez sombre où se trouvait l'entrée des artistes, on pouvait voir un ruban d'étoiles briller intensément entre les murs hauts des habitations. C'était beau.

Je m'étirai avec un soupir satisfait. Cette journée avait été riche en événements, et l'idée de pouvoir, enfin, rentrer et dormir profondément me laissait rêveur. Un repos bien mérité !

J'avais donc totalement baissé ma garde quand quelqu'un me ceintura et me plaqua un mouchoir puant l'alcool sur le visage. J'essayai de me dégager, sans succès, la personne qui s'en prenait à moi devait faire le double de ma taille, le triple de mon poids, et m'avait tellement pris au dépourvu qu'il avait eu le temps d'entraver tous mes mouvements. C'était manifestement quelqu'un d'habitué à ce genre d'attaque. Je me débattis énergiquement, mais il était déjà trop tard. Impossible de dégager ne serait-ce qu'un avant-bras pour répliquer. Et je sentis le chloroforme éteindre mes mouvements, me plongeant dans un état de panique cotonneuse, où seules les pensées gardaient un peu de vivacité. Une chose était sûre : j'étais mal barré.

Bon sang, c'est sûrement un coup de Ian Landry ! Mais je ne l'attendais pas si vite ! Alors que je suis crevé par une nuit blanche, ce n'est pas juste... Putain, il faut prévenir Berry, et je ne peux pas... Et Roxane n'est pas là... Combien de temps elle va mettre avant de s'en rendre compte ? Comment je vais faire sans les autres ? ! C'est trop tôt ! C'est trop...

Les derniers sursauts de conscience s'évanouirent tandis que je retombais, inconscient, dans les bras de mon agresseur. Le plan pour attirer Ian Landry était manifestement efficace un peu trop même. J'étais à sa merci.