Hellow ! ça y est, le nouveau chapitre est arrivé ! Je le publie relativement tôt aujourd'hui, parce que je sais qu'il est techniquement impossible que je finisse mon illustration de chapitre d'ici ce soir... Alors, autant que vous puissiez le lire sans attendre. Pour les curieux, il faudra zieuter sur Deviantart dans les jours à venir pour découvrir le dessin associé. ;)

Riza est de retour, et c'est, un point de vue que j'aime décidément écrire. ^w^

Je n'en dis pas plus et vous laisse découvrir la suite... Bonne lecture !


Chapitre 20 : Cachotteries (Riza)

- Edward, debout, claironnai-je d'un ton joyeux.

- Mmmh... grommela le tas de couvertures entassées sur le canapé d'où émergeait une touffe de cheveux particulièrement ébouriffée.

- Allez viens, espèce de loir, j'ai fait des œufs au bacon !

- Oh cool ! s'exclama-t-il en s'extrayant maladroitement de la couette, manquant de tomber dans son enthousiasme.

Je ne pus m'empêcher de laisser échapper un petit rire. Depuis ces quelques jours où Edward habitait chez moi de manière improvisée, mon quotidien était devenu un brin fantasque, et malgré le caractère sérieux et solitaire qu'on m'attribuait, je m'étais très bien habituée à cet état de fait. Il faut dire que quelqu'un qui aimait autant les chiens que moi ne pouvait pas être foncièrement mauvais.

Le petit blond s'était progressivement détendu en ma présence, et nous étions maintenant complices comme si nous nous connaissions depuis toujours. J'appréciais son caractère franc et le naturel de nos conversations, et comme je n'en revenais pas de me lier d'amitié aussi facilement avec quelqu'un, la situation me laissait à la fois ravie et un perplexe. Le plus difficile était probablement de ne pas laisser planer de soupçons quant à notre cohabitation pendant le travail. En journée, nous prenions grand soin de ne pas discuter ensemble, de crainte de laisser échapper une familiarité suspecte.

- Ça va mieux ? demandai-je avec sollicitude en pensant à ses règles, l'humiliation féminine avec laquelle il devait composer tant bien que mal sans y avoir été préparé.

- Oui, on dirait que c'est bel et bien fini... C'est pas trop tôt ! répondit-il en s'asseyant à table, encore en débardeur et caleçon.

Je constatai que cette nuit-là, il s'était débarrassé de ses bandages pour dormir. J'imaginais que ça devait être très désagréable à porter, et je pris ça comme un signe de confiance s'il était assez à l'aise pour laisser poindre sa poitrine librement sous son débardeur. Je n'avais pas dit un mot sur cette vision étrange, et je tâchai de m'habituer à l'idée. Après tout, je n'étais pas forcément le genre de personne qu'on qualifiait de féminine, et j'étais bien placée pour savoir que ce qu'on avait dans la tête comptait plus que des attributs sexuels. Et surtout, je savais à quel point ça pouvait être détestable d'être réduit à ça.

- C'est super bon, commenta-t-il en sauçant son assiette.

Après réflexion, son accident d'alchimie me surprenait moins que sa capacité à manger à toute vitesse.

- Merci. Tu peux finir, ajoutai-je.

- Oh cool ! s'exclama-t-il en se ruant sur la poêle avec un sourire jusqu'aux oreilles.

Dur à croire que ce gamin enquêtait actuellement sur une série de meurtres particulièrement sinistres. Il avait le cœur bien accroché, mais je sentais que l'affaire le secouait plus qu'il ne voulait le montrer. Je l'avais senti vaciller à côté de moi quand il avait vu le cadavre de la dernière victime de Barry le Boucher. D'ailleurs, après le repas de la veille, nous nous étions retrouvés à parler de mort et du fait de tuer. Je n'avais pas été si surprise, mais étrangement émue d'apprendre qu'il n'avait jamais volontairement donné la mort à un homme, même s'il l'avait parfois provoquée accidentellement au cours de ses missions. J'avais pris ça comme une preuve de son irréductible bonté.

- Je dois aller voir le propriétaire des lieux, je te laisse faire la vaisselle ? demandai-je en me levant.

- D'accord ! fit-il en achevant la baguette de pain que j'avais achetée en sortant promener Black Hayatte tout à l'heure.

- Je vais tâcher de faire vite, mais je ne promets rien

J'adressai une petite caresse affectueuse au chien avant de sortir de l'appartement, fermant la porte derrière moi. Je descendis les deux étages et me préparai à frapper à la porte de mon propriétaire. Tout ça pour une stupide histoire de clé de cave qui me manquait... Je ne savais pas si cela valait bien la peine que je me déplace, mais Edward avait demandé avec candeur s'il ne valait pas mieux régler directement le problème plutôt que d'attendre d'en avoir réellement besoin.

- Je doute d'avoir besoin de cette cave un jour, marmonnai-je pour moi-même.

Je toquai tout de même trois fois à la porte, et attendis assez longtemps pour voir un voisin descendre les escaliers, sans manquer de me lancer un « bonjour » enthousiaste. Je lui répondis avec un sourire un peu froid, comme je le faisais toujours, et il ne s'arrêta pas pour me parler, à mon grand soulagement.

Les gens étaient toujours convaincus que je les méprisais ou je-ne-sais-quoi. La vérité était bien plus simple... Ils me mettaient généralement mal à l'aise. Et ce qui met mal à l'aise, on l'évite, naturellement. Les personnes qui m'étaient proches étaient sans doute celles qui avaient réalisé cela.

Je me figeai, me posant soudainement cette question. Si Edward était aussi familier avec moi, s'il me mettait à l'aise, était-ce parce qu'il s'était rendu compte de cela ?

Non, à ce stade, c'était de la naïveté pure et simple. Il était tellement transparent qu'on ne pouvait pas s'inquiéter de subir un jugement de sa part...

Sur ce, la porte s'ouvrit, laissant voir une tête ridée comme une vieille pomme, juchée sur un cou un peu trop long.

- Bonjour, fis-je d'un ton neutre.

- Bonjour, grogna-t-il.

Je ne l'avais vu que deux fois, donc je n'en étais pas encore tout à fait sûre, mais j'avais l'impression que cette voix rauque et peu avenante était sa manière normale de parler.

- Je suis la nouvelle locataire de l'appartement gauche du troisième étage.

- Oh, mais c'est dans votre appartement qu'il y a eu ces hurlements l'autre jour ?

- Oh, oui, je suis désolée ! Je logeais quelqu'un qui a... eu un problème dans la nuit.

- J'imaginais bien qu'il avait un problème, pour hurler à la mort comme ça. Quelle idée de réveiller les honnêtes gens à une heure pareille ?

- Il avait une appendicite, improvisai-je, beaucoup plus mal à l'aise que je voulais le montrer. Nous avons dû aller à l'hôpital après ça.

- Eh bien, les jeunes, de nos jours, c'est plus ce que c'était ! A l'époque où ça m'est arrivé, je n'en ai pas fait tout un foin !

- Je suis désolée, murmurai-je d'un ton neutre en m'inclinant légèrement, mortellement embarrassée. Ça ne se reproduira plus.

- Bien sûr que non, ça ne se reproduira plus ! L'appendicite, ça ne s'opère qu'une fois ! crachota l'homme d'un ton agacé. Bon, je suppose que vous avez un problème pour venir toquer à ma porte dès le matin ?

- En effet, mon prédécesseur m'a confié le trousseau de clés, mais celle donnant accès à la cave semble ne pas marcher.

- Ah, ça... Je ne pense pas que ça soit votre clé, grommela l'homme en scrutant le trousseau que je lui avais tendu.

- Ah bon ? fis-je d'un ton poli.

- C'est cette fichue serrure, elle a encore dû se gripper... Je demande à ce qu'elle soit graissée tous les mois par la femme de ménage, mais elle ne semble pas faire son travail.

- Oh, je vois.

- Puisqu'on est jamais aussi bien servi que par soi-même, je vais m'occuper de ça aujourd'hui. Vous n'aurez qu'à réessayer ce soir, si ça ne marche pas, c'est qu'effectivement le problème est ailleurs, et je tâcherai de vous fournir une nouvelle clé.

- Je vois. Je vous remercie, fis-je en hochant la tête.

- Ne me remerciez pas, c'est pas encore fait ! maugréa-t-il. Vous aviez autre chose à dire ?

- Non, sinon, tout va bien.

- Très bien. Je retourne à mes occupations, alors.

- Merci, bonne journée !

- Au revoir, grommela-t-il.

Il claqua sèchement la porte sous mon nez, et malgré ce geste peu avenant, tout ce que je pus me dire fut « Je crois vraiment que c'est sa voix normale. » Je remontai les escaliers avec un petit soupir de soulagement à l'idée d'avoir accompli le désagréable devoir de discuter avec quelqu'un que je connaissais peu. Je poussai la porte de mon appartement, jetai un œil à la cuisine où la vaisselle restait à égoutter, mais où Edward n'était plus. Je supposai qu'il devait prendre une douche et repliai le canapé où il passait ses nuits après avoir remis de l'eau pour Black Hayatte. Effectivement, j'avais à peine fini qu'il déboula hors de la salle de bain, les cheveux encore détrempés.

- Eh bien, tu n'as pas peur d'attraper froid ?

- Non, répondit-il simplement enfilant ses chaussures. Je n'ai pas été trop long ?

- Non, ça va, répondis-je avec un sourire.

J'adressai une dernière caresse à Black Hayatte pendant qu'Edward enfilait son manteau, et je refermai la porte derrière nous.

- Hum, je pense que ce soir, je rentrerai tard, bredouilla l'adolescent.

- Plus tard que d'habitude ? demandai-je d'un ton un peu taquin, ayant bien remarqué que malgré le temps passé au stand de tir, il m'arrivait parfois d'être à l'appartement avant lui.

- Je pense aller enquêter cette nuit... et... je mangerai un sandwich en passant...

- Pas la peine de prendre ce ton contrit, Je ne t'ai pas prêté mes clés pour rien. Avec l'enquête que tu as sur les bras, je comprends que tu sois très investi.

- … J'ai peur de ne pas réussir à l'arrêter avant qu'il tue d'autres personnes... avoua-t-il dans un murmure.

- Je comprends. Mais je t'en pense capable, alors reste concentré et fait de ton mieux.

- Merci.

- Bon, je te laisse partir devant aujourd'hui, il faut que j'aille déposer un papier à l'accueil.

Pour éviter les questions gênantes, nous nous séparions systématiquement avant d'arriver au quartier général. Les choses étaient déjà assez brouillonnes en ce moment, cela ne servait à rien de créer des rumeurs... Surtout si c'était le genre de rumeurs qui me feraient passer pour une couguar. Je fis mon crochet à l'accueil pour les informer de mon nouveau numéro de téléphone, et arrivai peu après au bureau, trouvant Edward en plein argumentaire avec Falman, sur le bureau duquel il avait étalé une carte de la ville abondamment annotée.

- Je suis sûr qu'il cherche un endroit pour se cacher en journée ! Pas une seule personne n'a vu de suspect au moment du crime, et le médecin légiste a estimé que les trois meurtres avaient lieu entre trois et quatre heures du matin, C'est l'heure où il y a le moins d'activité dans la ville...

- Pourquoi se cacherait-il en journée ? Il a sûrement un boulot, une apparence normale... et si personne ne l'a vu, il n'a pas de raison de s'inquiéter. Surtout que Barry le Boucher se travestissait pour préparer ses crimes... ça a été relayé par la presse à l'époque, donc cette information est connue du public. Son copycat est très méticuleux à l'imiter, il y a de fortes chances pour qu'il en fasse autant. Nous devrions interviewer les gens du voisinage, chercher s'il y a des personnes dont le profil psychologique pourrait correspondre à celui du tueur, c'est tout ce que nous pouvons faire pour le moment.

- Je suis convaincu du contraire ! s'exclama le petit blond.

- Mais sur quels indices bases-tu ton affirmation ?

Le petit blond avala une goulée d'air avant de serrer les dents, ne pouvant visiblement pas répondre.

- Mon intuition, je suppose... siffla-t-il, visiblement sur les charbons ardents.

- Allons, je sais que tu n'es pas habitué à ce genre d'enquête, mais on va y arriver.

Falman lui tapota la tête dans un geste rassurant qui sembla humilier l'adolescent plus qu'autre chose, vu son expression. Je jetai un coup d'œil à Havoc qui était témoin de la scène et les scrutait avec sérieux. Il se rendit compte que je le regardais et m'adressa un salut tout militaire, suivi par les autres qui remarquèrent alors ma présence. Je leur répondis avec mon sérieux habituel.

- Le Colonel est là ?

- Pas encore.

- Je vois, j'espère qu'il n'arrivera pas trop tard, j'étais à l'accueil, apparemment on va avoir beaucoup de travail aujourd'hui, les dossiers de compte-rendu du procès Gibson-Lautrec sont arrivés.

- Oh non... soupira Fuery.

- Je vais les ramener, mais j'aurai besoin de bras supplémentaires. Havoc, vous venez m'aider ?

- Hein ? Euh... oui, bien sûr, bafouilla-t-il, manifestement surpris d'être sollicité.

Nous ressortîmes aussi du bureau. Havoc, à côté de moi, avait les mains dans les poches et la tête rentrée dans les épaules, manifestement pas à l'aise.

- Ne vous inquiétez pas, je ne compte pas vous passer un savon.

- Ah, soupira-t-il en se relâchant un petit peu. Je me demandais ce que j'avais fait pour mériter ça, aussi...

Je poussai un soupir désabusé. Bien qu'il ait déjà la trentaine, Havoc restait par certains côtés un adolescent maladroit. Je me repris aussitôt après, si j'avais choisi de lui demander un coup de main, c'était un prétexte pour évoquer rapidement la situation d'Edward. Au bout de plusieurs jours, il avait toujours tendance à fixer l'adolescent d'un air incrédule, ce qui n'était pas forcément très discret. Heureusement pour lui, les autres militaires n'étaient pas forcément des génies observateurs, et l'affaire Barry le Boucher, ainsi que les dossiers qu'ils avaient à traiter suffisaient à distraire leur attention. Mais il était temps de tirer les choses au clair.

- Je suis au courant pour Edward.

- Ha ? fit-il en sursautant.

- Oui.

- Au courant de quoi ? marmonna-t-il avec une méfiance soudaine, réalisant sans doute un peu tard que j'aurais facilement pu l'avoir au bluff.

- De ce qui est arrivé à son corps.

- Comment vous l'avez su ? bredouilla-t-il.

- Je l'ai deviné. Enfin, pour l'essentiel, vous observer m'a mis la puce à l'oreille.

- Ah... mince.

- Vous devriez faire attention, Havoc. Je sais que vous n'allez pas le crier sur les toits, mais votre comportement risque de finir par attirer les soupçons de tout le reste de l'équipe, et il aimerait vraiment éviter ça.

- Je me doute, je suppose qu'il ne m'a pas menacé de mort sans raisons.

- Bref, je doute qu'il vous tue réellement... Mais il vaudrait mieux pour tout le monde que vous vous détendiez et que vous vous comportiez de manière un peu plus naturelle.

- C'est facile à dire, mais... ce n'est pas mon point fort. Je n'aurais jamais cru que vous vous doutiez de quoi que ce soit, je ne sais pas comment vous faites pour être aussi discrète !

- Je me comporte de la même manière qu'avant, c'est tout.

- Je... bredouilla-t-il en rougissant. Je crois que j'ai du mal à m'habituer à l'idée que c'est... enfin...

- Occultez ça, coupai-je. Si vous discutez avec lui, vous verrez qu'il est égal à lui-même et qu'il n'y a pas de raison de le traiter différemment d'avant. D'ailleurs, ça serait lui rendre le plus grand des services que de passer au-dessus de ça au lieu de le regarder comme une bête curieuse comme vous le faites.

Il hocha la tête avec un regard chargé de culpabilité, et je me rendis soudainement compte que finalement, j'étais encore en train de lui passer un savon. Je poussai un soupir.

- Enfin, voilà ce que j'avais à dire. Si vraiment ça vous perturbe, vous pouvez en parler avec moi, ça sera peut-être moins risqué que de discuter avec le principal intéressé.

- Euh... D'accord.

En entendant sa réponse surprise et un peu circonspecte, je compris qu'il y aurait peu de chance pour qu'il vienne aborder le sujet de lui-même. En même temps, qui voudrait spontanément parler avec quelqu'un qui parle froidement et déteste la plupart des rapports humains ?

Vaguement vexée par mes propres questionnements, je toquai à la porte du bureau de livraison avant d'entrer, suivie de mon subordonné.

- Bonjour, nous venons pour les dossiers de l'affaire Gibson-Lautrec.

- Ah, oui ! Répondit la secrétaire. Ils sont juste là. Si vous pouvez signer pour la récupération des dossiers, ici...

À la vue des cartons volumineux qui nous attendaient, trônant fièrement sur le bureau, je sentis une vague de démotivation m'assaillir. La conclusion de cette affaire promettait d'être une corvée sans nom. Après avoir émargé, je lâchai malgré moi un soupir et approchai de la table pour prendre l'un des cartons tandis qu'Havoc attrapait l'autre, puis nous sortîmes tous deux de la pièce pour un premier trajet, entrevoyant la secrétaire refermer la porte derrière nous.

- Mais du coup, ça fait combien de temps ? C'est arrivé comment ? reprit-il, une fois assuré que personne ne se trouvait dans le couloir.

- C'est arrivé pendant l'affaire du cinquième laboratoire... Il ne m'a pas raconté les détails, mais il en est sorti assez secoué.

- Je veux bien l'imaginer... Je ne sais pas ce que je ferais à sa place, souffla-t-il avec un frisson.

- Il y a peu de chances que ça vous arrive, répondis-je d'un ton neutre.

- Mais le simple fait de savoir que c'est possible, c'est... ça doit être vraiment affreux... Vous imaginez, s'il vous arrivait la même chose ?

- Honnêtement ? Ça me simplifierait la vie, lâchai-je sans réfléchir, regrettant aussitôt cet aveu.

- Ah ? lâcha le grand blond, visiblement désarçonné. Comment ça ?

- Être une fille n'est pas une tare en soit. Mais être « traité comme une fille », c'est autre chose. Si vous pouviez lui épargner au moins ça, ce serait déjà ça de moins pénible pour lui.

Et pas que pour lui, d'ailleurs, ajoutai-je intérieurement, la mine sombre.

Les excuses maladroites d'Havoc et les promesses d'être plus discret ne suffirent pas à effacer mon propre dépit.

oOo

Il n'y avait plus que moi dans le bureau en ce début de soirée, et les piles de dossiers jetaient sur mon bureau une ombre violacée, présageant que j'allais bientôt manquer de lumière. Je commençais à sentir que le jour baissait peu à peu, les dossiers devenant plus laborieux à lire, mais pas encore assez pour que je me décide à me lever et allumer la lumière.

Edward m'avait confié quelques feuillets entre lesquels s'était glissé un papier manuscrit plié en deux où il m'annonçait qu'il risquait de rentrer particulièrement tard ce soir à cause de l'enquête en cours. Ce n'était pas la première fois, et j'avais froissé le papier avant de le glisser dans ma poche pour éviter qu'il ne tombe entre les mains de quelqu'un d'autre, sans me laisser distraire dans mon travail.

Mais, malgré tout... la perspective de son absence me laissait un petit goût amer. J'aimais bien ces soirées passées à parler à bâtons rompus avec lui. Bien que très différents, nous avions les mêmes souvenirs de promenades, un chien sur les talons, à se gaver de mûres, grimper aux arbres, siroter le suc des fleurs de trèfles, allongés dans les herbes folles, avant de se faire surprendre par la pluie, et rentrer en courant.

Bien sûr, lui n'avait pas eu un pistolet caché dans le nœud d'un arbre et le luxe oppressant d'une éducation de bonne famille. Ces détails-là, je les passais sous silence. Je n'aimais pas reparler de cette partie de ma vie, ce n'était pas pour rien que j'avais tout quitté... mais à travers les choses qu'on éludait et les silences, on pouvait deviner à quel point, lui comme moi, nos pères nous avaient déçus. Peut-être étaient-ce ces similitudes invisibles qui me le rendaient si familier.

La porte s'ouvrit, me faisant lever la tête. Le Colonel venait d'entrer dans la pièce, aussi surpris de constater ma présence que je l'étais de le voir revenir.

- Vous êtes encore là, Hawkeye ? s'étonna-t-il.

- Je me disais que je devrais avancer un peu sur ces dossiers avant de rentrer, et comme les autres sont partis tôt, j'ai perdu la notion du temps.

- Vous ne devriez pas rester dans le noir, commenta le grand brun en allumant la lumière avec un soupir. Une tireuse de talent comme vous devrait faire plus attention à sa vue.

La lumière jaune inonda la pièce, me faisant réaliser à quel point l'obscurité avait gagné insidieusement pendant que je m'étais laissé distraire par mes souvenirs.

- Je vous pensais parti.

- Ah, non, j'étais en réunion. C'est juste que ça a duré plus longtemps que prévu. Je viens juste récupérer mes affaires avant de partir.

- Ah, je vois, fis-je d'un ton un peu absent, recommençant à lire les documents que je devais vérifier.

J'entendis plus que je ne vis Mustang traverser la pièce après quelques secondes de flottement pour entrer dans son bureau privé. Il en ressortit quelques minutes plus tard, son manteau au bras, et referma la porte à clef.

- On fait un bout de chemin ensemble ?

- Hm, je pensais avancer le dossier tant que je suis dedans, c'est un gros morceau.

- Allons, rien ne presse, ils sont tous morts...

- Vous êtes d'un cynisme, Colonel, fis-je, souriant intérieurement malgré tout.

- C'est pour ça qu'on m'aime ! fit-il d'un ton un peu vaniteux.

- Non, c'est pour ça qu'on vous déteste, corrigeai-je d'une voix nette, sans quitter mon bureau des yeux.

- C'est presque pareil. Allez, abandonnez ces papiers et rentrez chez vous, vous êtes attendue en plus.

Je restai impassible, mais senti mon cœur démarrer en trombe. Comment avait-il su qu'Edward logeait chez moi ?! Il me semblait pourtant que nous avions été d'une attention irréprochable hors de mon appartement... Quelle faille avait bien pu m'échapper ?

- Black Hayatte doit se sentir bien seul, sans vous.

Black Hayatte... Bien sûr…

Je me sentis soudainement coupable. Ce n'était pas parce que je me sentais abandonnée que je devais en faire autant avec le seul être qui partageait jusque-là ma vie quotidienne. Avec un argument comme ça, je n'avais pas d'autre choix que de reposer mon dossier que je refermai soigneusement, avant de me lever.

- C'est bon, je rentre avec vous, soupirai-je, comme prise en traître par sa remarque.

- Je dis ça pour votre bien, commenta-t-il en souriant.

- À d'autres, lançai-je machinalement. Vous avez juste peur de vous ennuyer durant le trajet.

Il eut l'air vaguement peiné par ma remarque. Je me dis qu'il surjouait, comme souvent quand il était de bonne humeur, puis, libérée de mon travail, je réalisai doucement que ce comportement ne lui ressemblait pas vraiment. Je me souvins de toutes ces tentatives avortées, comme s'il cherchait une occasion de discuter seul à seul avec moi.

Si cela avait été n'importe qui d'autre, j'aurais commencé aussitôt à élaborer des plans d'escapade, redoutant une proposition peu professionnelle, mais paradoxalement, de la part de Roy Mustang, l'un des dragueurs les plus réputés de l'armée, je savais que je n'avais rien à craindre de ce côté-là. Il me connaissait trop bien pour espérer avoir ses chances.

Non, la discussion qui allait venir, était, je m'en doutais, on ne peut plus sérieuse. J'avais redouté ce qu'il aurait à dire, je m'en étais torturée les méninges en me repassant ses paroles en tête, cherchant à y trouver un sens plus explicite, j'avais regardé les autres militaires avec une méfiance accrue, et puis, petit à petit, la présence d'Edward accaparant toute mon attention, j'avais presque oublié cette histoire.

Pendant que nous arpentions les couloirs, croisant encore quelques personnes ici et là, Roy parlait de sujets anodins, le trolley bondé, le manque de verdure dans la ville, la radio de Central-City qui ne diffusait jamais de swing à sa grande déception, les pigeons trop bruyants, un bar au décor abracadabrant qu'il avait eu le temps de découvrir depuis son arrivée. Je hochais la tête à intervalles réguliers, endossant sans trop me forcer le rôle de la subordonnée qui supportait en silence une discussion inintéressante de son supérieur. Ce n'est qu'une fois sorti dans la rue, marchant sous une allée d'arbres avec personne à moins de plusieurs mètres, qu'il changea de ton.

- Cela fait un moment que je devais vous avouer quelque chose.

- Je m'en doutais un petit peu, répondis-je avec un sourire sans joie.

- Maes est parti.

- Je sais qu'il est mort... soufflai-je d'un ton las, plus affectée par la nouvelle que je voulais le laisser voir.

- Justement, non. Mais il est parti.

Il avait dit ça d'un ton égal, mais je sentis sa nervosité. J'étais tellement stupéfaite que je restais silencieuse, me forçant à continuer à marcher pour ne pas attirer l'attention. Comment ça, Hugues, parti. Il voulait dire vivant ? ! Comment cela serait-il possible ? Et dans ce cas-là, pourquoi un enterrement, cette mascarade, pourquoi ne rien dire, ne rien ME dire... parmi la profusion de questions et de sentiments contradictoires, la première chose qui se dégagea fut la colère.

- Et vous ne pouviez pas me le dire avant ? demandai-je simplement d'un ton particulièrement acide.

- J'aurais dû, je le sais... mais avec tous les derniers événements, je n'ai pas trouvé la bonne occasion de...

- Parce qu'il faut attendre la bonne occasion, pour ça ? Pourquoi attendre d'être seuls ?

- Parce qu'il y a eu une tentative d'assassinat, et qu'il valait mieux pour tout le monde qu'on croie qu'elle avait réussi.

- Pour tout le monde ? ! Ne me dites pas que...

- Gracia Hugues n'est pas au courant, avoua-t-il.

Cette fois-ci, je ne pus pas m'empêcher de me figer sur place.

- Mais vous êtes un monstre ?! Vous vous rendez compte de ce que vous lui faites subir ?

- Je sais, je m'en rends très bien compte. Mais en vérité, c'est un mort en sursis, et il est toujours en danger, à chaque seconde. Pire, si nos ennemis apprenaient qu'il était encore en vie, ils risqueraient de s'attaquer à Gracia et Elysia et on ne sait pas de quoi ils sont capables... Enfin, si, on sait de quoi ils sont capables, mais pas jusqu'où ils sont prêts à aller…

- Mais ! m'exclamai-je, avant de me reprendre et de continuer d'une voix plus basse. Mais elle le pleure sans doute toutes les nuits, sa disparition l'a détruite. Vous l'avez vue, vous avez vu leur fille... Comment osez-vous la priver de cet espoir ? Et dans ce cas, pourquoi vous me le dites, à moi ?

- Parce que dans toute l'armée, vous êtes la personne en qui j'ai le plus confiance.

Je restai sans voix. C'était plus un rappel qu'un aveu, je le savais… mais il ne fallait pas qu'il espère m'amadouer avec une remarque de ce genre. Ça n'excusait rien.

- Je ne sais pas du tout ce qui va se passer dans les semaines, les mois à venir... continua Mustang en regardant dans le vague, le vent jouant dans ses cheveux. Mais les choses pourraient dégénérer très vite. On a de gros soupçons envers une personne très haut gradée dans l'armée, nous pensons qu'il y a un gros problème de corruption... et qu'il y a derrière tout ça une organisation à laquelle les Homonculus sont liés.

- Les Homonculus ?

- Ceux que le Fullmetal a combattus dans le cinquième laboratoire. Nous avons de grosses raisons de croire qu'il y a un complot de grande ampleur dans l'armée.

- … C'est une accusation très grave que vous portez là...

- Vous savez tout comme moi que l'armée change souvent les règles en sa faveur... nous avons tous les deux été témoins d'abus de pouvoir, alors je pense que vous savez que c'est très probablement vrai.

- … Quelle est la personne envers laquelle vous avez des soupçons ?

- Juliet Douglas, lâcha le Colonel.

- Rien que ça... soufflai-je, irritée et inquiète, mais encore un peu dubitative. Et qu'est-ce qui vous a mis la puce à l'oreille ?

- Hugues... il enquêtait sur elle et s'est fait attaquer, par elle, et un autre Homonculus, cette fameuse nuit.

- Un autre Homonculus ? Que voulez-vous dire ?

Nous marchions côte à côte sous les arbres du boulevard, entre chien et loup, tandis qu'il m'expliquait dans les grandes lignes les tenants et aboutissants de l'histoire du cinquième laboratoire et de l'évasion de Hugues, et que je digérais difficilement la révélation. Les rues étaient tranquilles, les derniers éclats de lumières scintillaient sur les toits des immeubles et les arbres, et si le soleil avait presque disparu, le ciel n'était pas encore du bleu profond qui précédait la nuit. L'ambiance autour de nous était si paisible, qu'il était impossible de deviner d'un œil extérieur que nous puissions parler de sujets aussi sérieux. Je réfléchis aux implications de ce que venait de me révéler le Colonel. Un élément corrompu, aussi haut dans l'armée, ça laissait vraiment craindre le pire.

- Je vois... La situation est délicate. Tant qu'ils pensent que Hugues est mort, leur secret est bien gardé. Et vous, vous avez une longueur d'avance. Stratégiquement, c'est effectivement la meilleure chose à faire.

- J'ai l'intention d'être en avant-poste, et d'essayer d'en savoir plus sur les hautes sphères. Ma réputation d'arriviste devrait m'aider, ils me croiront peut-être prêt à tout pour avoir davantage de pouvoir.

- C'est donc pour ça que vous vous êtes comportés de manière infecte à l'enterrement. Pour que les membres de l'armée vous présument inhumain et essayent de vous manipuler. Ça, vous me l'aviez déjà dit.

- C'est vrai.

Je repensai à la manière dont il avait parlé à Edward, et à la manière dont il avait laissé Schiezka l'abreuver d'injures avec une indifférence méprisante. À ce moment-là, j'avais eu un doute. Je m'étais demandé qui était cette machine qui ne montrait aucune émotion, et cela m'avait laissé avec un sentiment d'incertitude particulièrement inconfortable. Et pourtant, je le connaissais très bien.

- Vous êtes bluffant dans le rôle de l'arriviste sans cœur. Même moi, j'ai failli m'y laisser prendre.

- C'est une bonne nouvelle. Si même vous avez eu des doutes, la comédie devrait être assez convaincante pour mes ennemis.

- … Vous avez conscience qu'en agissant comme ça, vous allez être haï par tous ceux qui vous connaissent de près ou de loin ?

- … Tant que le Fullmetal et vous êtes de mon côté, je ferai avec.

- Edward ? Il est au courant ?

- Plus que ça : c'est lui qui m'a prévenu quand Hugues a été attaqué, et pour être tout à fait honnête, c'est lui qui a exécuté le plan rocambolesque qui lui a permis de s'échapper. Depuis, nous restons en contact pour échanger les nouvelles

- Oh... je vois.

C'est donc pour ça qu'il arrivait si tard le soir... parce qu'il retrouvait Mustang pour discuter avec lui. Et il ne m'a rien dit.

Je ne pouvais pas laisser deviner ma déception d'avoir été maintenue dans l'ignorance, cela aurait revenu à avouer que nous étions plus proches que ce que j'affichais. Moi aussi, j'avais des secrets à tenir, sur son sexe actuel et sa présence chez moi. Un instant, je fus presque tentée de l'annoncer d'un ton tranquille, comme par vengeance, et puis je me dis qu'un supérieur qui m'avait tenu à l'écart d'un secret pareil pendant un mois ne méritait rien de plus que de rester dans l'ignorance.

Par contre, j'allais devoir avoir une petite discussion avec Edward en rentrant, ce soir. Tout ce temps passé chez moi, et il m'avait caché ça ? !

- Votre regard fait peur à voir, commenta Mustang d'un ton tranquille.

- Oh, parce que je devrais être de bonne humeur après ça ? demandai-je d'un ton acerbe.

- Non, bien sûr que non... Je comprends votre colère, j'aurais dû en parler bien avant, mais plus le temps passait, plus il me paraissait difficile d'aborder le sujet avec vous. Edward m'a même rappelé à l'ordre plusieurs fois en me demandant si je vous l'avais dit. D'ailleurs, il m'a proposé de vous en parler lui-même, ça m'a vraiment surpris.

- Je vois...

Il ne devait pas savoir qu'Edward partageait mon quotidien depuis quelques jours, de la manière la plus étrange qui soit, et ne pouvait donc pas deviner à quel point sa dernière remarque pouvait être réconfortante. Je me sentis un tout petit peu moins trahie.

- Il va falloir m'expliquer tous les détails de l'affaire, vous savez ?

- Oui, je sais, répondit Mustang avec un petit sourire fatigué. Mais pas ce soir, je le crains. C'est ici que nos chemins se séparent.

- Ah, vous habitez par ici ?

- Vous ne savez pas où j'habite, personne ne le sait, répondit-il avec un sourire. Je ne rentre pas chez moi, je vais passer la soirée à découvrir les bars de la ville, pour y mener une vie de bâton de chaise.

- Au temps pour moi, Colonel. Tâchez d'être frais pour les dossiers que vous aurez à gérer demain matin. N'oubliez pas que l'affaire Gibson-Lautrec nous attendra de pied ferme.

- Vous êtes toujours aussi rabat-joie, Lieutenant. Passez une bonne soirée tout de même !

- Bonne soirée.

Je me retrouvai seule dans la rue. Les réverbères s'étaient allumés au fil de notre discussion et projetaient les ombres de larges feuilles de marronniers sur les murs et le bitume. J'étais partagée entre la bonne humeur que me donnait cette atmosphère particulière dans les rues, et la fébrilité mêlée de colère que m'inspirait la discussion. Savoir que Mustang, comme Edward, m'avait caché des choses, assimiler l'idée que Hugues était en réalité vivant, quelque part, et être projetée au milieu d'un complot d'ampleur au sein de l'armée, tout cela faisait un peu trop d'informations pour que je puisse me contenter d'un sentiment simple et unique.

Je marchai encore un moment, laissant ces pensées rouler dans ma tête comme des galets sous une cascade, et arrivai à mon immeuble. Le temps de gravir les escaliers, je mis de côté toutes mes préoccupations pour réfléchir à ce que je pourrais faire à manger pour Edward et moi. Mais quand je glissai la clé dans la porte et entrai dans l'appartement, Je trouvai Black Hayatte qui venait quêter des caresses en frottant sa tête contre ma main, et un mot posé sur ma table. J'avançai et le pris.

« J'ai rencontré les gendarmes en charge du secteur où ont eu lieu les meurtres, ils m'ont proposé de me joindre à eux pour la garde de nuit, je commence dès ce soir. J'ai donné à manger et à boire à Black Hayatte avant de partir, je pense revenir me reposer un peu en journée, j'en profiterai pour lui offrir une promenade supplémentaire.

Je suis désolé d'abuser de ton hospitalité, mais cette affaire DOIT être résolue au plus vite, et je suis plus rassuré en sachant que mes rares possessions sont chez toi.

Bonne soirée, et désolé de faire faux bond pour le repas. Edward. »

- Eh bien, ce n'est pas aujourd'hui que je pourrai avoir ma petite discussion avec toi, murmurai-je avec un soupir.

Je sentais le corps de Black Hayatte peser contre ma jambe dans une demande d'attention qui tentait d'être réconfortante. Je m'étais toujours contentée de sa compagnie, mais je réalisai qu'en l'absence d'Edward, je n'arrivais plus à ignorer à quel point la solitude pouvait être pesante quelquefois.