Et voilà, un nouveau chapitre arrive ! On revient au point de vue de Al, et à une ambiance un peu plus calme. L'occasion de se remettre de ses émotions.
En parlant d'émotions, j'ai eu le plaisir de pouvoir papoter avec plusieurs lectrices (coucou les pompom girls !) lors de la Y-con et de Fugu Chaulnes. C'était génial de vous voir en festival, et j'adore discuter avec vous même si c'est teeeellement dur de se retenir de spoiler (d'ailleurs j'y arrive pas toujours, aha) Du coup j'en profite pour dire que je serais avec Bull'Acide à Anim'Est, à Nancy, les 18 et 19 novembre, si vous y allez, n'hésitez pas à passer papoter, vous serez bienvenus ^^.
Avoir vos retours me motive vraiment à écrire et à faire de mon mieux, et ça tombe bien, une période d'écriture intensive s'annonce avec le Nanowrimo !
Sinon, cette fois-ci j'ai réussi à terminer mon illustration de chapitre à l'heure (bizarrement, c'est plus facile quand il n'y a pas de décor super détaillé XD ) Elle est donc visible sur mon compte Deviantart. J'espère qu'elle vous plaira, en tout cas j'ai beaucoup ri en la faisant ! ^w^
Bonne lecture à vous !
Chapitre 24 : Témoin (Al)
Gracia rentra à dix-neuf heures moins cinq, respectant à la lettre l'horaire qu'elle avait annoncé. Elle arriva dans la cuisine, le visage un peu défait, mais sourit en voyant Elysia s'approcher et lui enlacer les genoux à défaut de pouvoir lui sauter au cou.
- Maman ! Maman ! Maman Maman Maman Maman !
- Ça va, ça s'est bien passé ? demanda-t-elle, visiblement soulagée de nous voir.
- Ça va, elle a été sage, je n'ai pas eu de problème.
- Où est Edward ? demanda-t-elle en tournant la tête, cherchant dans quel coin de la pièce il s'était glissé.
Ses sept heures d'absence s'abattirent sur moi avec une telle force qu'avant même que je dise quoi que ce soit, elle comprit à l'expression de mon visage que quelque chose n'allait pas.
- Elysia, tu vas aux toilettes et te laver les mains ? Je pense qu'on ne va pas tarder à s'occuper du repas du soir.
- D'accord Maman ! s'exclama joyeusement la fillette, avant de partir de son pas trottinant.
- Alors, qu'est-ce qu'il y a ?
- Il est parti en début d'après-midi pour rendre un rapport à son supérieur et n'est toujours pas revenu, murmurai-je, au bord des larmes. Je ne voulais pas inquiéter Elysia alors j'ai tâché de ne rien en montrer, mais...
- Son supérieur, c'est... Roy Mustang ? demanda-t-elle d'une voix blanche.
- Oui.
Elle blêmit et pinça les lèvres, et mon cœur se glaça en sentant que ce qu'elle avait à dire risquait de me déplaire.
- Il y a eu une prise d'otages au passage Floriane cette après midi, et c'est l'équipe du Colonel Mustang qui était sur les lieux.
- QUOI ? ! m'exclamai-je, horrifié.
- L'assaut est terminé, les otages ont été libérés, mais...
Je ne voulais même pas qu'elle termine sa phrase. Je le devinais assez bien. La terreur me vrillait le ventre.
- Regarde Maman, elles sont bien propres ! annonça fièrement Elysia en montrant ses mains encore humides, devant et dos.
- Elysia, tu n'as pas trop faim ? demanda Gracia, qui s'était agenouillée pour être à sa hauteur.
- Non, ça va Maman, pourquoi ? fit la fillette dont le sourire s'évanouissait en voyant nos expressions inquiètes.
- Il faut que j'emmène Alphonse retrouver son frère. Mais je ne vais pas te laisser toute seule ici… Tu vas venir dans la voiture avec nous, d'accord ?
- D'accord, Maman ! s'exclama-t-elle d'un air sérieux.
- On y va, alors, répondit Gracia.
- Mais... je... bafouillais-je, désarçonné par la tournure des événements et embarrassé à l'idée qu'elle reprenne la route après la longue journée qu'elle avait dû avoir.
- Tu t'es occupée d'Elysia pour moi, c'est la moindre des choses que je te rende ce service. A cette heure-ci, tu mettrais plus d'une heure à rejoindre le centre-ville avec les transports en commun. Allez, viens, fit-elle d'un ton doux mais inflexible.
Je n'eus pas d'autre choix que d'obéir. Je me retrouvai donc sur le siège passager de la voiture, regardant le boulevard défiler sous mes yeux. J'avais tellement peur que j'étais figé, les mains serrées sur mes genoux, regardant la route devant moi sans la voir. Mon cerveau hurlait à l'idée que mon frère puisse être... être... La radio tournait, et la musique laissa la place à un flash d'information sur l'attaque. Le présentateur résuma en quelques mots les derniers événements, avant de laisser la place au communiqué officiel de l'armée.
- L'attaque du passage Floriane par le Front de Libération de l'Est est terminée. Il y avait effectivement une importante charge d'explosifs, mais grâce au travail de mon équipe, les terroristes n'ont pas pu les déclencher. Le bilan provisoire fait état de treize morts, dont douze terroristes, et le pronostic vital de nombreuses personnes est engagé.
Treize morts, dont douze terroristes.
L'image de mon frère criblé de balles me frappa, m'empêchant de respirer. Comment pouvais-je imaginer ça avec une telle précision ? En entendant la voix du Colonel Mustang, déformée par la radio, j'avais envie de l'étrangler. Comment osait-il dire ça d'un ton aussi calme ?! S'il était arrivé quelque chose à mon frère, je ne lui pardonnerais jamais.
- Nous avons pu éviter le pire, mais chaque mort, chaque blessé est un échec. Une enquête est d'ores et déjà prévue pour mieux comprendre les causes de ces attaques et protéger au mieux les civils.
- Quel est le nom de la personne morte ? Est-ce un civil ou un militaire ?
- L'identification est encore en cours, pour l'instant, nous pouvons seulement vous dire que c'était un militaire.
Des larmes commencèrent à couler de mes yeux grands ouverts, sans un bruit, et j'entendis Gracia couper la radio sans un mot. Je ne cillais plus, ne respirais plus, je n'existais plus, pétrifié d'effroi. Les minutes semblaient être interminables, insupportables, j'avais l'impression que j'allais mourir, que j'étais déjà mort. Si mon frère n'était plus là, c'était tout comme.
La voiture ralentit, et arriva devant une rue barrée. Les gendarmes commençaient à retirer les barrières, mais la circulation restait chaotique. La voiture s'engagea dans la rue, avança, s'arrêta de nouveau, puis se remit à rouler. Nous passâmes à côté d'une deuxième barrière, tirée sur le trottoir, puis d'une troisième... De tout cela, je ne voyais que les taches colorées des barrières rouges et blanches et des uniformes bleu nuit. Je n'étais plus là, je n'arrivais plus à penser. Nous nous enfoncions dans les ruelles, de plus en plus près sans doute, mais la voiture arriva face à une barrière qu'on en retirait pas.
Gracia baissa la vitre de sa voiture et interpella un gendarme. Celui-ci s'approcha.
- Nous cherchons Edward Elric, le Fullmetal Alchemist. Est-ce qu'il est ici, est-ce qu'il va bien ?
- Je... je ne sais pas, bafouilla-t-il.
- Je ne peux pas avancer davantage, je vous en prie, essayez d'avoir des nouvelles. C'est de la part de son frère, et de Gracia Hugues.
- Bien Madame.
La voiture resta à l'arrêt, et mes yeux grands ouverts. Tout mon corps était froid, vide, je ne savais même plus où j'étais.
- Madame Hugues ! s'exclama une voix que j'avais déjà entendue quelque part.
Je tournai la tête vers la gauche, et reconnus à travers mes larmes Havoc, le grand blond du bureau de Roy Mustang.
- Alphonse, tu es là ! s'exclama-t-il d'un ton fébrile. Ton frère était ici, mais il a été hospitalisé à l'Hôpital de Bois Nivert ! cria-t-il pour couvrir les sons des sirènes et le brouhaha alentour.
A ces mots, je ne tins plus et m'effondrai, pleurant de tout mon corps.
- Alphonse, Al ! fit la voix du grand blond pour attirer mon attention. Écoute mon grand, regarde-moi !
Les sanglots nouant ma gorge, les yeux brouillés, je relevai laborieusement la tête.
- Ça va aller, fit le militaire d'un ton apaisant, avec un sourire rassurant. Ne panique pas, ça va aller. J'étais avec lui quand les secours sont arrivés, il est resté conscient tout du long, il a même demandé explicitement à être soigné par le docteur Ross. Il n'est pas gravement blessé, il va s'en sortir. Ça va aller. Alors calme-toi, d'accord ?
Je hochai la tête, éperdu de reconnaissance face au militaire qui me parlait comme on parle à un animal paniqué. Dans n'importe quel autre contexte, je me serais indigné qu'on me traite encore comme un enfant, mais à cet instant les mots me soulageaient tellement que j'en pleurai de plus belle.
- Merci, je vais l'accompagner là-bas, répondit Gracia, reprenant les rênes de la discussion. Si j'arrive à sortir de cet embouteillage.
- De rien, Madame Hugues, répondit Havoc avec un salut militaire.
Elle hocha la tête et redémarra la voiture, reculant laborieusement pour sortir du guêpier dans lequel elle s'était fourrée. Et moi, j'étais devenu une fontaine et pleurais sans retenue, de soulagement cette fois. Je savais que je devais avoir l'air un peu ridicule, mais je ne pouvais pas m'en empêcher, et pour le coup, je me fichais complètement qu'on me regarde comme un enfant.
- Al, pourquoi tu pleures ? demanda Elysia depuis la banquette arrière, témoin perdu des événements.
- Il pleure parce qu'il est soulagé. Il a eu très peur pour son frère, mais il a appris qu'il allait bien, alors toutes les larmes qu'il avait retenues en attendant sortent d'un coup.
- Oh... murmura Elysia.
Il y eu un silence, puis je sentis une petite patte toquer contre mon bras.
- Tiens, fit-elle j'ai un mouchoir pour toi.
Je tendis la main droite pour attraper le mouchoir, et serrai sa petite patte dans la mienne, profondément touché par son geste.
- Merci, Elysia.
oOo
- Qu'est-ce que tu as encore faiiiit ?! m'exclamai-je en arrivant au chevet de mon frère, toujours incapable d'arrêter de pleurer depuis l'annonce d'Havoc, une bonne demi-heure auparavant.
Le Docteur Ross avait été inflexible à mon arrivée, et nous a annoncé qu'il ne pouvait y avoir qu'un visiteur. C'était sans doute une fausse règle qu'il avait inventée pour préserver le secret de mon frère... et en effet, sa poitrine était bien présente à travers sa chemise de pyjama d'hôpital. Il était littéralement couvert de pansements et de bandages, mais assis dans son lit, les yeux ouverts, bien conscient, et apparemment, pas plus inquiet que ça. Enfin, jusqu'à ce qu'il me voie arriver en larmes, en tout cas. J'entendis le médecin sortir en fermant la porte derrière lui tandis que je me précipitais à son chevet.
- Al, ça va, regarde, je bouge, j'ai rien de cassé, me rassura-t-il en bougeant les bras et les jambes comme un petit robot.
- Mais tu as des pansements partout ! sanglotai-je.
- Non mais ça, c'est juste les écorchures de quand je suis passé à travers la verrière, c'est pas grave, répondit-il d'un ton presque joyeux.
- Et tu as des traces bleues sur le cou, en plus, murmurai-je, tandis que les sanglots se tarissaient un peu, comme si j'arrivais enfin à assimiler qu'il allait bien.
- Non mais ça, c'est juste quand un terroriste a essayé de m'étrangler, fit-il, dans un decrescendo, se rendant sans doute compte en prononçant ses mots qu'ils n'étaient en rien rassurant. Mais HEY ! Regarde, je vais bien ! ajouta-t-il en ouvrant grand les bras, ayant plus le ton du boute-en-train que celui du blessé alité.
- Tu dis ça comme si c'était banal, m'indignai-je entre deux reniflements. Ed, tu es un imbécile ! ! J'ai eu peur pour toi toute l'après-midi, je me suis même demandé si tu étais mort, et toi tu fais le pitre sur ton lit d'hôpital ! Tu te rends compte de ce que tu dis ?
Le sourire sur le visage de mon frère s'évanouit, laissant place à une mine contrite.
- Pardon, Al... je comprends que tu m'en veuilles. J'avais dit que je serais revenu vite, et tu as dû te faire un sang d'encre.
- Pourquoi tu n'es pas revenu ?
- J'ai croisé Mustang et son équipe en arrivant au QG, il m'a ordonné de venir.
- Et s'il te demandait de sauter par la fenêtre, tu le ferais ?
Edward ouvrit la bouche, visiblement choqué que je lâche cette phrase stupide dans un accès de colère.
- Al, c'est mon supérieur hiérarchique, rappela fermement mon frère. Et même si ça n'était pas mon supérieur hiérarchique, il y avait plusieurs dizaines de civils qui étaient menacés de mort... Je n'avais pas le choix, je devais y aller.
- Alors toi tu vas à la guerre, et moi je dois rester t'attendre bien sagement à l'abri ? Pourquoi est-ce que tu dois toujours prendre tous les risques tout seul ? Je suis revenu à Central-city pour t'aider et te soutenir, et finalement, je me rends compte qu'une fois encore, je ne sers à rien.
- Je n'ai jamais dit que tu ne servais à rien ! s'indigna-t-il.
- Et qu'est-ce que je dois comprendre de ta manie de prendre des risques tout seul, alors ? Tu ne te rends pas compte que je préfère être avec toi face au difficultés plutôt que de rester à l'écart ?
- C'est bien ça le problème, Al... Moi, je n'ai pas envie de te mettre en danger, murmura-t-il.
- Ça, c'est parce que tu ne me vois plus que comme un gosse ! Mais quand tu avais mon âge, tu étais déjà casse-cou, tu avais déjà vécu des choses difficiles, tu avais déjà pris des risques avec moi ! On a passé un mois tous les deux sur une île déserte à bouffer des poissons en fuyant un psychopathe, et est-ce que j'avais l'air de vouloir renoncer à être à tes côtés ?
Edward se pinça les lèvres en m'écoutant, manifestement honteux du savon que je lui passais.
- Je vois bien que je suis laissé de côté par Winry, par toi, par tout le monde, parce que je suis un enfant, parce que ne me souviens pas, parce que je suis faible et inexpérimenté à côté de toi... mais je ne suis pas revenu pour te traîner dans les pattes, je suis revenu pour t'aider ! Je suis prêt à m'acharner, à travailler dur pour te rattraper le plus vite possible, alors fais-moi un peu confiance, MERDE !
Je repris mon souffle après ma tirade, dans un silence gêné. Edward me regardait en déglutissant, ne sachant manifestement pas trop quoi dire. Je respirai profondément, me calmant peu à peu, découvrant à quel point ça pouvait faire du bien de vider son sac. J'avais lâché ce que j'avais à dire, je ne savais pas trop si j'en étais soulagé ou si je redoutais la réponse de mon frère. Comme il restait muet, je me sentis de plus en plus embarrassé.
- Alors, euh... voilà... arrête de me laisser en plan s'il te plaît, finis-je par dire d'un ton presque penaud.
- Pardon, murmura-t-il. Je suis désolé... J'essaierai de ne plus le faire.
Le silence retomba de nouveau. Nous étions tous les deux gênés.
- Tu me pardonnes ? souffla-t-il, contrit et vaguement inquiet.
- Oui, bien sûr, bredouillai-je. Tu me connais, je n'arriverais jamais à te détester. Et puis, c'est plutôt moi qui devrais me faire pardonner de te crier dessus comme ça…
- Tu rigoles, j'espère ? Tu as raison de me dire mes quatre vérités, répondis-je avec un pauvre sourire.
Il m'ouvrit les bras et je me penchai pour le serrer contre moi dans une embrassade réconciliatrice. Il avait toujours la douceur et les courbes d'un corps féminin, mais ça ne me gênait plus vraiment. Peut-être parce que je savais que c'était vraiment mon frère.
Mon imbécile de frère.
Après cette dispute, je ressortis dans le couloir pour retrouver Gracia et Elysia et les rassurer sur le sort d'Edward.
- Il est couvert d'estafilades parce qu'il est passé à travers une vitre, mais mis à part ça, il est en pleine forme. Mon frère est vraiment d'une résistance hors du commun.
Rassurées, mère et fille hochèrent la tête et prirent congé pour rentrer chez elles, puisque je leur avais annoncé mon intention de rester à proximité. Une fois qu'elles furent parties, je lançai un regard larmoyant au docteur Ross, qui, pour nous avoir pris en charge juste après l'incident du cinquième laboratoire et soigneusement gardé notre secret, puis avoir été complice de l'évasion de Hugues, était devenu le médecin officiel d'Edward, avec tous les rebondissements qui allaient avec. En désespoir de cause, il accepta que je passe la nuit au chevet de mon frère. Il avait manifestement compris que l'arrivée du Fullmetal Alchemist dans ses services était synonyme de complications.
Nous passâmes la soirée à discuter avant de finir par nous endormir, lui au fond de son oreiller, moi, à moitié sur la chaise, à moitié sur son lit, dans une position qui allait faire grincer mon dos le lendemain. Dans ce service ou nous étions déjà restés plusieurs jours, nous nous sentions en sécurité.
Je fus réveillé par l'arrivée d'une infirmière qui ouvrit la porte, amenant dans la pièce la lumière du matin qui éclaboussa le mur d'une tache éblouissante. En me redressant, je sentis une couverture glisser et tomber au pied de la chaise. Edward ou une infirmière avait dû me couvrir les épaules dans la nuit.
- Bonjour ! Oh ! Encore là, vous deux ?! fit-elle en nous reconnaissant.
- Oh, bonjour, Joyce ! marmonnai-je, souriant tout en me frottant les yeux.
Joyce, c'était une des infirmières du service, qui avait pris soin d'Edward quand il était au plus mal, et qui avait gardé un œil sur moi tandis que j'errais dans les couloirs en quête d'attention. Une grande brune aussi affectueuse qu'autoritaire pour qui j'avais une certaine affection.
- Bon, alors, qu'est-ce qu'il a encore fait, ton âne de frère ?
- Il est passé à travers une vitre, mais je n'ai pas trop compris pourquoi, répondis-je en constatant que malgré l'arrivée de Joyce, il dormait encore comme une brique.
- Il était au passage Floriane, c'est ça ? demanda-t-elle en s'affairant à préparer le matériel pour les examens du matin. J'ai entendu les nouvelles ce matin, c'est quand même incroyable ce qui est arrivé ! Je n'ai pas eu tous les détails, mais apparemment, grâce à l'équipe du Colonel Mustang, on a vraiment évité le pire... J'ai entendu dire qu'il y avait assez d'explosifs pour raser les bâtiments à 700 mètres à la ronde !
- Sérieusement ?! fis-je, estomaqué, avant de baisser les yeux vers mon frère, réalisant à quel point il avait été exposé au danger.
- C'est ce qui est dit aux infos, en tout cas. Bon, on va commencer par une petite piqûre !
- Non, pas de piqûre ! s'exclama Edward, se réveillant en sursaut.
- Ahaha, ça marche toujours aussi bien ! fit l'infirmière d'un ton taquin en lui ébouriffant les cheveux.
- Oh. Bonjour, Joyce ! fit-il en la reconnaissant. …C'était une blague, la piqûre, hein ? ajouta-t-il d'un ton vaguement inquiet. J'en ai pas besoin, hein ?
- Nonon, ça va. C'est juste la méthode la plus efficace que je connaisse pour te réveiller. Alors comme ça tu ne peux tellement pas te passer de nous que tu traverses toute la ville pour être soigné ici ?
- J'aime autant que le secret de mon corps ne soit pas connu par tout le corps médical de Central-City.
- Ça, c'est un bon argument, admit-elle tout en prenant sa tension.
Malgré son air fatigué, les examens étaient très bons, et elle s'étonna même qu'il soit en aussi bonne forme après les événements, lui annonçant que cette fois encore, il cicatrisait très vite et semblait n'avoir aucune séquelle de sa chute. Elle chahuta un peu avec nous, puis repartit, nous laissant seuls tous les deux. Edward tint sa promesse de tout me dire, et me raconta par le détail les événements de la veille, depuis son arrivée au quartier général, jusqu'à nos retrouvailles à l'hôpital Quand il me raconta comment Mustang l'avait tiré en arrière pour le protéger des balles, je me sentis irrité. Edward était rouge, un peu penaud, et m'avoua avec inquiétude qu'il avait peur que son supérieur ait senti que quelque chose clochait, ou même l'ait démasqué.
- C'est grave qu'il le sache ? Je veux dire, Ross, Hawkeye et Havoc sont déjà au courant…
- Oui mais… Je n'ai pas envie qu'il y en ait d'autres. Surtout pas lui.
- Pourquoi lui particulièrement ?
- Comment dire… Tu l'as vu me faire tourner en bourrique. S'il apprenait un truc pareil, il serait bien capable de s'en servir pour se foutre de moi. Et honnêtement, je n'ai pas envie de découvrir comment il réagirait s'il apprenait que j'ai un corps de fille.
Il avait dit ça d'un ton léger, mais la manière dont il s'était machinalement mordu la lèvre inférieure avant de répondre me donna le sentiment qu'il ne disait pas toute la vérité.
- Comment tu fais pour côtoyer quelqu'un que tu détestes comme ça ? demandai-je avec perplexité.
- Je ne sais pas si je le déteste vraiment… Tu vois, Winry nous balance des clés à molette dans la tête quand elle est de mauvaise humeur, on ne peut pas dire que j'aime ça… mais je ne la déteste pas pour autant. Les gens ont des défauts, ils sont comme ça.
- Mhmm… je crois que je vois ce que tu veux dire… répondis-je d'un ton songeur.
Il y eut un silence, et je le sentit un peu fébrile, avant qu'il ne reprenne son récit. Il évoqua les plans, Fuery, l'escalade sur les toits, puis l'assaut, et enfin, le moment où il avait sauté pour empêcher l'homme d'actionner le détonateur.
- Mais, le coupai-je sans pouvoir dissimuler son étonnement, pourquoi tu ne l'as pas arrêté avec une transmutation plutôt que de sauter ?
A ces mots, Edward ouvrit grand la bouche pour répondre et resta bloqué quelques secondes. Je compris que l'idée ne lui avait pas effleuré l'esprit une seconde, et en le voyant avec cette mine stupide, je ne pus m'empêcher de rire malgré la gravité de la situation. Il se masqua le visage d'une main affligée et marmonna en rougissant.
- Tu as raison, il vaudrait mieux pour tout le monde que tu sois à mes côtés.
Sa phrase me fit sourire malgré moi dans une bouffée de fierté, et sur ces entrefaites, le repas de midi arriva sur un plateau porté par Daisy, une autre infirmière qui s'était occupée de nous la dernière fois. Elle nous accueillit avec un grand sourire, contente de nous revoir, mais nous souffla quand même de ne pas en faire une habitude. La journée continua son train-train habituel d'hôpital, et dans l'après-midi, Havoc vint nous rendre visite. En entrant dans la pièce, il eut un moment d'arrêt en réalisant que la poitrine d'Edward n'était pas aplatie par des bandages, mais comme mon frère le salua d'un air détendu, il se reprit et s'approcha d'un pas énergique.
- Alors Edward ? Pas trop amoché ?
- Ça va Havoc, je n'ai que des écorchures, comme tu vois !
- Quand je pense que tu as sauté du toit de l'immeuble… comment tu fais ? fit-il en secouant la tête d'un air désabusé.
- Les automails, ça aide !
- Je vois… Tu n'es pas tout à fait humain, avoue… Enfin, vu que tu es hospitalisé, on est en train de te chercher un remplaçant pour le transfert de Bald à East-city, donc tu peux te reposer tranquille.
- Oh mais ne vous inquiétez pas, je vais sûrement sortir ce soir, je pourrai m'en occuper sans problème !
- Tu plaisantes, j'espère ? ! Tu sors d'une attaque terroriste, tu as été blessé, et tu refuses de laisser quelqu'un te remplacer ? Tu as un prétexte en or pour te reposer, profites-en nom d'un chien !
Comme je découvrais en même temps que lui qu'Edward avait l'intention d'enchaîner sur sa mission suivante, je pouvais difficilement lui donner tort.
- Ne t'inquiète pas pour moi. J'ai déjà affronté Bald, il ne me fait pas peur. Et puis, une fois à East-city, Resembool ne sera plus très loin, et je pourrai prendre mes vacances chez les Rockbell. J'aurai tout le temps de me reposer là-bas…
- … Dans ce cas, je vais demander à t'accompagner durant la mission. Étant donné la situation, il y aura sans doute du renfort.
- Ce n'est pas la peine, ça ne sera pas long, je peux gérer...
- Edward, tu as mal compris, je pense, fit-il d'un ton plus sévère. Il y a eu un attentat à Central, des morts, des dizaines de blessés. On ne sait pas encore comment c'est arrivé, ni si le transfert de Bald n'est pas menacé. L'armée ne voudra de toute façon pas que tu t'acquittes seul de cette mission. Il y aura une escorte, que tu le veuilles ou non, alors autant que tu sois avec quelqu'un que tu connais et avec qui tu n'auras pas l'angoisse de devoir cacher des choses.
- … Tu as envie d'aller à East-city, avoue, fit Edward après l'avoir scruté durant son discours, brisant tout le sérieux dont il avait fait preuve.
- Je... Non, ça n'a rien à voir ! bafouilla-t-il en rougissant tout de même. Mes envies personnelles n'ont rien à voir avec la situation du pays !
- Non mais c'est bon, j'ai compris. Ça me va très bien que tu nous accompagnes, rassura mon frère. Tu as sans doute raison sur toute la ligne.
- Bon, je te tiens au courant de l'évolution de la mission, alors. Ça va venir très vite, par contre.
- Je sais.
- Je vais peut-être retourner bosser, Hawkeye va me passer un savon si je traîne trop, vu toute la paperasse qui nous attend. D'ailleurs, il faudra que tu fasses un rapport, toi aussi.
- MERDE, MON RAPPORT ! s'exclama Ed, nous faisant bondir tous les deux.
- Quoi, ton rapport ?
- Le rapport de mon enquête sur Barry le Boucher, je l'avais avec moi hier, j'ai dû le laisser dans la voiture… J'espère qu'il n'est pas perdu !
- Hawkeye l'a récupéré hier et l'a apporté au bureau ce matin, tout va bien, lui apprit Havoc, lui faisant pousser un soupir de soulagement. De toute façon, comme le Colonel est à l'hôpital aussi, le bureau tourne au ralenti pour le moment. Aucun dossier ne remontera sans sa signa…
- Mustang est à l'hôpital ? coupa mon frère d'un ton qui ne laissait pas d'autre choix que de donner plus de détails.
- Il a été admis hier soir. Il avait reçu une balle au bras gauche. C'est sans gravité, il a juste besoin de soins et d'un peu de repos… C'est juste que ce n'est pas un monstre comme toi qui guérit en deux jours !
- Je vois… répondit mon frère, la mine sombre.
Il est… inquiet, non ? pensai-je en cherchant à comprendre son expression. La manière dont il avait levé la tête en entendant Havoc lui annoncer ça… Je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir jaloux. Oui, j'étais mortellement jaloux, en fait mais je n'étais pas obligé de le montrer.
- Bon, je vais quand même filer, reprit Havoc d'un ton énergique. Mustang n'est pas là, mais Hawkeye est en pleine forme.
- Oui, ne t'embête pas pour moi, en plus, je suis bien accompagné, répondit Edward en m'adressant un clin d'œil.
- Et puis, on se reverra bientôt, ajouta le grand blond en souriant.
- Ça marche !
Un dernier signe de main, et il était parti. Je me retournai vers mon frère. Une fois encore, je n'avais pas décroché un mot lors de sa discussion avec le militaire. Mais cela me gênait moins qu'avant, sans que je ne sache pourquoi. Edward me lança un sourire.
- J'aime bien Havoc, commentai-je d'un ton un peu buté malgré moi, ne pouvant pas m'empêcher d'ajouter intérieurement « contrairement à Mustang ».
- Oui, c'est vraiment un mec gentil. Tu sais, quand il a appris que j'étais blessé, il est directement venu me voir pour rester avec moi jusqu'à l'arrivée de secours. Il m'a aidé à monter dans l'ambulance. Tu vois, il s'est tout de suite dit qu'il valait mieux que je sois avec quelqu'un qui connaissait mon secret, pour qu'il n'y ai pas de problème, si je perdais connaissance par exemple.
- C'est gentil.
- Oui. Alors que bon, quand il m'a démasqué, je n'ai pas été très sympa.
- Tu avais fait quoi ?
- Je lui avais dit que s'il disait quoi que ce soit à quelqu'un d'autre, je le tuerais.
- Ahaha, oui, rien que ça ! m'exclamai-je en riant. Il ne t'a pas cru, quand même ?
- Riza m'a raconté que le lendemain, il sursautait au moindre bruit et devenait blême dès qu'on parlait de moi, donc je suppose qu'il m'a quand même un peu pris au sérieux.
- Ohla, le pauvre, tu l'as traumatisé.
- Bah… Pas autant que moi. Et puis, il s'en est remis maintenant. J'avoue, sur le coup, j'avais un peu paniqué.
- Bah il faut dire que tu t'es fait griller de manière particulièrement stupide, aussi, répondis-je avec un grand sourire.
Je me pris un oreiller en pleine tête, et quand Joyce revint pour de nouveaux examens, elle arriva au milieu d'un beau chahut. On se fit engueuler copieusement, elle s'indignait de nous voir nous battre en plein hôpital.
- Mais on se bat pas vraiment, on n'a même pas mis de coups de poing !
- Ni de coups de pied !
La réponse ne lui plut pas, et elle menaça de me mettre dehors si on continuait à faire n'importe quoi. La menace était assez crédible pour qu'on lui promette de ne plus se battre dans les chambres – même si le terme « se battre » nous paraissait très exagéré.
Joyce me traitait comme un enfant, mais… Elle en faisait autant avec Edward. Cette équité et cette volonté de prendre soin de nous le mieux possible faisait que je vivais bien ses ordres. Je songeai en souriant qu'elle en faisait probablement autant avec les adultes.
La journée passa finalement assez vite, et comme l'avait prédit mon frère, le docteur Ross repassa et lui annonça qu'il l'autorisait à ressortir.
- Je te connais assez maintenant pour savoir que si on te retient trop longtemps, tu t'échapperas par tes propres moyens, alors ça ne sert à rien d'insister. En plus, non seulement tes blessures sont bénignes, mais en plus, tu guéris à une vitesse ahurissante. J'avoue que je n'ai jamais vu ça, tu es un cas à toi seul…
Mon frère hocha la tête, content des nouvelles, mais un peu soucieux en même temps. Pour être resté dans la chambre pendant au moins une partie des soins, j'avais vu une nette évolution entre ses blessures le soir, et le lendemain matin. Je me souvenais assez nettement des nombreuses blessures que nous nous étions faites dans son enfance… Il ne guérissait pas si vite à l'époque. Personne ne guérit aussi vite que ça.
Une fois le docteur parti, nous échangeâmes un regard. Nous pensions probablement à la même chose, mais aucun de nous deux n'osa aborder le sujet.
- Bon, Al, je me prépare, et on y va ? fit mon frère en se levant du lit.
- Ça marche !
Le temps de prendre une douche et de s'habiller pour lui, puis d'aller au bureau gérant les sorties d'hôpital récupérer le papier d'autorisation, nous étions dehors.
- Au fait, on va où ? demandai-je alors, réalisant que nous n'avions rien décidé.
- Mhm, déjà, on va récupérer mes affaires chez Hawkeye… Après, on verra où on va.
Finalement, nous n'allâmes pas plus loin et passâmes la nuit chez Hawkeye, qui sous ses airs froids, était manifestement contente de nous garder chez elle. Edward la tutoyait et l'appelait par son prénom, parlant naturellement avec elle à bâtons rompus. Pour ma part, malgré la gentillesse dont elle faisait preuve avec moi, elle m'intimidait beaucoup trop pour ça.
Hawkeye était passée visiter le Colonel avant d'arriver au travail, et mon frère et moi, après avoir fait faire une longue promenade à Black Hayatte, étions arrivés avant elle dans le bureau, retrouvant le reste de l'équipe. Effectivement, en l'absence de leurs supérieurs, Havoc, Breda et Fuery, et même Falman étaient de sacrés cossards. En poussant la porte, un cri étouffé nous accueillit.
- Vite, Havoc !
En entrant, je vis le grand blond tenter de cacher précipitamment ce qui se trouvait sur son bureau. Dans son geste maladroit, l'un des magazines s'ouvrit, laissant voir une photo de femme en petite tenue.
- Ça va, c'est juste Ed et Al, fit remarquer Fuery avec un sourire.
Tout le monde se détendit immédiatement.
- Sérieusement, les gars ? soupira Edward d'un ton profondément désabusé. Hawkeye n'est pas là, et tout ce que vous faites, c'est regarder des revues de cul ? Vous n'êtes pas censés bosser, là ?
- C'est bon, Ed, fais pas ton rabat-joie, on est entre mecs, on peut bien rigoler un peu ! répondit Breda d'un ton un peu potache. T'inquiètes pas, on te laisse voir, si tu veux !
- Ça m'intéresse pas, répondit mon frère d'un ton froid tout en rougissant jusqu'aux oreilles.
La situation avait de quoi le mettre mal à l'aise. Havoc savait que, pour mon frère coincé dans son corps de fille, la proposition de Breda était quelque part entre l'embarrassant et l'humiliant, mais pour les autres, sa réaction était juste décevante.
Et moi, j'en avais un peu honte, mais je ne pouvais pas m'empêcher de me sentir un peu curieux. J'étais partagé entre l'envie de rejoindre mon frère qui s'était installé dans le coin le plus à l'écart du bureau et avait attrapé un journal qui traînait pour le lire, et celui de me joindre au groupe de militaires qui avait déjà ressorti les revues. En fait, j'étais TRES curieux.
- Et moi, je peux voir ? demandai-je en rougissant.
Les militaires relevèrent la tête et ouvrirent des yeux ronds, et j'entendis le froissement du papier journal que mon frère avait baissé pour me regarder d'un air presque choqué. Il y eut un silence épaté, où les militaires semblaient coincés entre l'admiration et la gêne. Je réalisai qu'à dix ans, pour eux, j'étais un gamin, et qu'ils n'étaient pas sûrs de pouvoir accepter. Leur regard glissa vers Edward, demandant implicitement son avis. Il réalisa qu'il était de nouveau au centre de l'attention, et se mit à rougir de plus en plus, gêné et furieux à la fois.
- Oh et puis merde, s'il a envie, marmonna-t-il en replongeant le nez dans son journal. Faites ce que vous voulez.
Je m'approchai du bureau d'Havoc et des autres adultes qui me lançaient des coups d'œil goguenards et complices. Je réalisai que de manière improbable, j'avais gagné des points aux yeux de l'équipe avec ma requête saugrenue. Ce n'était pas la raison pour laquelle j'avais posé la question, et à l'idée de pouvoir voir des femmes nues ou presque, mon imaginaire inexpérimenté s'échauffait déjà. Malheureusement, la porte s'ouvrit brutalement, laissant passer une Hawkeye encore plus inflexible que d'habitude, et mes espoirs furent déçus. Les magazines retombèrent dans le tiroir du bureau d'Havoc pour ne plus en ressortir.
- Havoc, Edward, j'ai vu le Colonel ce matin, il soupçonne le Front de Libération de l'Est d'avoir une taupe dans le QG de Central, et donc, le transfert d'être la cible d'une nouvelle attaque. Il a ordonné d'avancer le départ de quatre heures et de changer d'itinéraire.
- Quoi ? ! s'exclama Havoc.
- En changeant le programme au dernier moment, on coupe court à toute attaque planifiée.
- On coupe court à toute planification tout court !
Je tournai la tête vers Edward, ne sachant pas quoi penser de l'annonce. J'avais vu Edward se faire ballotter de mission en mission, alors ce revirement de dernière minute ne m'étonnait pas vraiment de la part de son supérieur. Mon frère scrutait attentivement Hawkeye, la jaugeant manifestement.
C'est vrai… Les Homonculus, les terroristes… il faut se méfier de tout.
- Bon, ben allons-y ! répondit mon frère, posant le journal et reprenant sa besace.
- Quoi ? Mais… bredouilla-t-il d'un ton un peu déçu.
- Ne t'inquiète pas, lança Breda d'un ton solennel en lui posant une main sur l'épaule. On va s'occuper de tes dossiers en ton absence.
Je crois qu'il y a un sous-entendu dans cette phrase, pensai-je avec hésitation en repensant aux revues érotiques que le militaire avait dissimulé dans le tiroir de son bureau.
C'est ainsi que je me retrouvai embarqué dans ma première mission au sein de l'armée. Nous étions tous les quatre allés au bureau où étaient les subordonnés que le Colonel avait désignés pour la mission, arrachant les militaires à leurs dossiers. Hawkeye nous accompagna jusqu'à la prison où elle présenta un papier signé de la main de Mustang stipulant que le transfert devait avoir lieu en avance. La présence d'Edward, son autorité naturelle et l'aval de son supérieur eurent raison de la méfiance des gardiens, et peu de temps après, Bald nous fut livré, les pieds menottés, un bras plié et couvert de cordes. Je réalisai alors qu'il était manchot.
- Ou est son automail ? demanda Edward.
- Il est là, dans la valise, expliqua l'un des gardiens. Il passait son temps à essayer de nous tuer avec, alors on a fini par le lui retirer.
Edward hocha la tête d'un air compréhensif, mais posa la valise sur la table pour l'ouvrir. Il y trouva un bras métallique qui tenait plus de l'arme que de la prothèse, le souleva, le plia pour l'observer soigneusement sous toutes les coutures, démonta le support pour vérifier qu'il n'y avait rien d'autre que l'automail dans la valise, sous l'œil noir du prisonnier. Puis il chargea de nouveau la mallette et la referma, avant de me la tendre.
- Tiens, Alphonse, je te confie ça.
Tout le monde sembla surpris, à juste titre, de le voir confier un objet aussi important à un enfant. Mais je pris la valise avec une expression résolue, touché qu'il me donne une responsabilité digne de ce nom, en public en plus. Il avait pris en compte ce que je lui avais dit l'autre jour… je n'avais plus qu'à être à la hauteur.
C'est entouré d'une sévère escorte que le terroriste fut amené jusqu'à la voiture. Havoc le fit entrer dans la fourgonnette. Havoc et l'un des militaires que ne connaissais pas s'installèrent à l'avant, et tous les autres, moi y compris, rejoignirent le prisonnier à l'arrière. L'ambiance était assez sévère, entre la haine qui perçait le regard de Bald et la tension des militaires prêts à lui sauter au cou à la moindre incartade. Seule Hawkeye restée hors du fourgeon, semblait être épargnée par cette tension. Elle se retourna en faisant claquer ses talons dans un réflexe de salut militaire.
- Le Colonel m'avait demandé de vous accompagner au lancement de la mission, mais partir de là, je pense que vous pouvez vous débrouiller sans moi. Edward, je te confie l'ordre, lança-t-elle en lui tendant le papier officiel. Quant à vous, n'oubliez pas qu'en qualité d'Alchimiste d'Etat, Edward Elric a un grade équivalent à celui de Commandant. Ne vous avisez pas de disputer ses ordres.
Les hommes firent un salut militaire à Hawkeye avant qu'elle referme le véhicule. Jean Havoc se proposa pour reprendre le volant, et le trajet s'engagea ainsi. J'étais assis, presque pelotonné à côté de mon frère, couvant la mallette que j'avais sur les genoux. Dans le silence pesant du fourgon, je compris assez rapidement que le trajet promettait d'être long et ennuyeux.
L'atmosphère s'était détendue au fur et à mesure que le fourgon avait avalé les kilomètres de route. A travers les vitres grillagées, j'avais pu voir la plaine remplacer progressivement la ville. Des kilomètres de terre lisse et monotone que les forêts et bocages n'arrivaient pas à égayer, perdues au milieu de la lande. Je me sentais un peu au milieu de nulle part... et en même temps, la perspective de retrouver mon pays natal me rendait joyeux et impatient.
Nous parlâmes alchimie, Edward et moi. Durant mes moments d'ennui, j'avais eu tout le temps de lire ou relire des livres traitant de techniques de transmutation, consolidant un peu plus mes bases. Il me félicita de me souvenir de tant de choses et m'encouragea à continuer, comme il l'aurait fait pour un enfant. Je m'en étais senti un peu blessé, mais je pouvais difficilement faire une scène dans un fourgon de l'armée, avec pour témoins un terroriste et des militaires. Alors plutôt que me plaindre, je me résolus à travailler dur, pour l'impressionner, jusqu'à ce qu'il me regarde d'égal à égal.
Comme nous discutions à mi-voix, l'ambiance sinistre des lieux s'égaya un peu. Le militaire qui était assis à côté de nous s'immisça timidement dans la conversation, posant quelques questions sur l'alchimie. Il se présenta davantage, nous apprenant qu'il s'appelait Martin Jayme et était rentré à l'armée cinq ans auparavant, à l'âge de seize ans. Comme Edward lui répondait d'un ton souriant, il se détendit un peu et laissa échapper qu'il était un grand fan du Fullmetal Alchemist. Ses collègues commencèrent à se moquer gentiment de lui tandis qu'il rougissait pourtant, lorsqu'ils se joignirent à la discussion, avouant que cette mission les prenaient au dépourvu, mais qu'ils avaient accepté avec plaisir à l'idée de travailler avec lui.
Comme d'habitude, j'écoutais. Je n'en finissais pas de découvrir la célébrité de mon frère. C'était un héros, au moins. Il n'était pas seulement connu à East-City, mais aussi à Central, et même au-delà, si on en croyait ce que disait un grand brun qui avait obtenu sa mutation à Central depuis le QG Sud.
On apprend à l'école les noms de grands hommes, comme Nicolas Flamel, le premier alchimiste à compiler ses découvertes sur l'alchimie. Pour des milliers de gens normaux, il existe quelques personnes extraordinaires. Je me demande si Edward en fait partie… Est-ce qu'il sera dans les livres d'histoire dans quelques siècles ?
Ça ne me paraissait pas si absurde, en y réfléchissant bien. Autour des génies, il y avait bien des gens ordinaires… Etais-je destiné à être une personne ordinaire, un éternel faire-valoir de mon frère ? Après tout, il avait toujours été plus doué que moi, il n'y avait pas de raison pour que cela s'arrête aujourd'hui...
Mais cette idée était quand même un peu humiliante.
Je vais devenir plus fort je vais devenir le plus fort possible.
A force de réfléchir, j'avais complètement décroché de la conversation qui se déroulait autour de moi. Le son des voix d'Edward et des militaires rebondissaient dans ma tête sans vraiment m'atteindre, et je regardais autour de moi d'un œil vague. Mon regard tomba sur le visage de Bald, et l'expression qu'il avait me fit l'effet d'une douche froide. Au milieu des rires des militaires, je le fixai, reconnaissant le regard du prédateur qui s'apprêtait à attaquer.
Et il se rua sur Edward. Enfin, il essaya. J'avais bondi en même temps que lui et mon pied jaillit en travers de son chemin, s'écrasant sur son visage, l'arrêtant dans son élan. Avec une seconde de retard, les autres militaires s'étaient levés pour le plaquer au sol malgré ses tentatives de se relever et les insultes qu'il nous crachait. Ayant sans doute entendu qu'il se passait quelque chose, Havoc ralentit et ouvrit la fenêtre qui séparait l'avant de l'arrière du fourgon.
- Ça va ? !
- Ouais, c'est bon ! répondit mon frère.
- Qu'est-ce qu'il s'est passé ?
- Rien de très grave… Bald a essayé de m'attaquer, mais il avait sous-estimé Al.
Malgré tous les efforts que put faire le prisonnier pour échapper aux prises des militaires, il fut rassis de force sur la banquette, et cette fois-ci, attaché à grand renfort de chaînes, bien serré contre la paroi du véhicule, qui repartit quelques minutes plus tard. Comme j'étais assis face à lui, il avait tout le loisir de me toiser d'un œil assassin. Même si intérieurement, je n'en menais pas large, je me redressai sur le siège et soutins fièrement son regard. J'avais été le premier à l'arrêter. C'était une victoire contre moi-même avant même d'être contre lui.
Les heures passées dans le fourgon parurent interminables. Il y eut une pause pour se dégourdir les jambes et changer de conducteur, où je pus prendre l'air au milieu des herbes folles qui bordaient la route. Celle-ci était large mais peu fréquentée, il n'y eut qu'une demi-douzaine de voitures pour y passer pendant notre escale. Edward s'approcha d'Havoc pour discuter avec lui quelques instants, et je me retrouvai seul avec les militaires. Avant d'avoir le temps de les rejoindre, L'un des militaires m'apostropha.
- Dis-moi, tu es le frère du Fullmetal, en fait ?
- Oui, c'est ça, répondis-je en bredouillant un peu.
- Je me demandais pourquoi il y avait un enfant avec nous, mais maintenant, je comprends mieux… Tu es vraiment balaise.
- Ah bon ? fis-je, un peu surpris d'avoir impressionné l'homme avec un simple coup de pied bien placé.
- Ça va, ne fait pas ton modeste, tout le monde sait que les frères Elric sont tous les deux très forts, même si on parle plus du Fullmetal Alchemist, intervint Jayme en souriant de toutes ses dents. Sans doute parce qu'il est Alchimiste d'Etat en plus.
- C'est vrai, tu n'es pas Alchimiste d'Etat, toi ? s'étonna l'autre militaire En même temps, c'est vrai que tu as l'air vraiment jeune pour passer cet examen, même si tu en es sûrement capable…
- Tu as quel âge, au fait ? demanda Jayme.
Je regrettai bien vite ce débordement d'attention. Je ne savais pas quoi répondre : théoriquement, j'avais quatorze ans, bientôt quinze, mais en pratique, je n'avais que dix ans… Si je disais ça, les trois ans qu'Edward avait passé à sillonner les routes avec moi paraîtraient délirants. Je ne savais plus très bien moi-même quel âge je pensais avoir. Edward revint à ce moment-là, me sauvant de ces questions épineuses.
Tout le monde remonta en voiture. Le trajet continua, discussion des militaires, Edward et moi, injures de Bald qui faisait tinter en vain les chaînes qui le retenaient assis sur la banquette. La faim nous poussa à nous arrêter de nouveau dans un village choisi au hasard. Le militaire qui conduisait à ce moment-là partit en expédition et ramena de l'épicerie du coin de quoi faire un sérieux pique-nique. Pain de seigle, fromage, jambon fumé, saucisson, ainsi que des noix et des reines-claudes. Il nous annonça qu'il avait aussi acheté une bouteille de vin, recevant une clameur enthousiaste de la part de ses camarades.
Le repas se fit donc le long de la route, à la sortie du village, Edward et moi assis sur le rebord du fourgon, les pieds pendants, les autres dans les herbes hautes. La bouteille ne faisait pas un litre, et son partage fut surveillé attentivement, aucun des adultes ne voulant être lésé. Edward, grand prince, passa son tour, moi aussi évidemment. Ce fut l'occasion de quelques fous rires. Je me tournai vers Bald, témoin sans doute frustré de notre festin.
- Vous devez avoir faim aussi… Vous voulez que je vous fasse un sandwich ou que je vous aide à boire ? demandai-je d'un ton poli, ne sachant pas comment poser la question autrement.
Sa seule réponse fut un crachat sur ma joue qui fit disparaître l'ambiance champêtre du repas. Edward se releva, montant dans le coffre, toisa silencieusement Bald, et lui lança une bonne grosse gifle.
Aoutch… main droite, automail, pensai-je en grimaçant malgré moi.
Il attrapa l'homme par le col et le souleva d'une main de fer, tirant sur les chaînes qui enserraient son corps et l'étouffaient à moitié, le fixant d'un regard froid.
- Toi… ne manque pas de respect à mon frère, fit-il d'un ton tellement glacial que même moi, j'eus un frisson.
Il le laissa retomber contre les parois de métal, et revint se rasseoir à côté de moi comme si de rien n'était. Mais l'espace d'un instant, j'avais vu quelque chose dans ses yeux qui m'avait glacé. Le regard d'un tueur.
- Al, tu es sans doute trop gentil pour devenir Alchimiste d'Etat, commenta-t-il simplement. Mais ça, j'espère que ça ne changera jamais.
C'est vrai. Il avait tué Barry le Boucher. Et peut-être d'autres gens... Penser à mon frère de cette manière me fit vaciller intérieurement.
- Allez, resservez-moi du saucisson ! s'exclama mon frère d'un ton joyeux, passant tout à coup à autre chose.
La fin du repas retrouva son ambiance presque festive, puis Edward, constatant l'heure, donna le signal du départ. Il était déjà tard, nous risquions d'arriver à la nuit tombée si nous traînions trop. Pour la suite du trajet, la fenêtre grillagée qui séparait le conducteur du reste de la camionnette resta ouvert. Se retrouvant un peu à cours au bout de plusieurs heures supplémentaires de trajet, la discussion fut remplacée par des chants guerriers. Puis des chansons à boire. Puis des chansons paillardes, tandis que le jour déclinait. Les deux devant ne participaient pas, Havoc conduisant, l'autre guidant avec sa carte routière et scrutant alentour le moindre signe d'une attaque potentielle. Edward ne chantait pas non plus, et avait malgré lui la mine sombre. S'il pouvait forcer sa voix à paraître plus grave quand il parlait, chanter risquait vraiment de le trahir. Pourtant, je sentais qu'il en avait envie. Il avait toujours aimé ça, même si nous avions arrêté à la mort de Maman. Après avoir entonné quelques refrains avec les autres, je cessai de chanter, et dans l'intimité du vacarme des chants, je repris avec lui une discussion à mi-voix. Ni lui ni moi ne quittions des yeux Bald, qui nous couvait d'un œil noir, ignorant presque les autres militaires tant sa haine était concentrée sur nous.
- Il nous hait, hein ?
- C'est nous qui l'avions arrêté, tu sais ? fit Edward. Dans le train pour New Optain.
- Ah, oui, tu m'en avais parlé. Il avait essayé de prendre en otage un haut gradé, mais on leur avait mis la pâté. Les terroristes t'avaient réveillé parce qu'ils t'avaient traité de n… m'arrêtant avant de prononcer le mot fatidique.
- Oui, et toi, les terroristes te tiraient dessus, mais les balles rebondissaient sur ton armure, et ils se blessaient comme des cons, répondit Edward en souriant.
- Vraiment ? fis-je en me retenant de rire, un peu outré et amusé en même temps par cette idée.
- C'était là qu'on a rencontré Hugues pour la première fois. Il était dans le wagon techniqune du train et faisait des tests de radio militaire, et nous avait prêté main-forte.
- Oh… Hugues… on le connaissait depuis si longtemps que ça ?
- Oui, répondit simplement mon frère.
Je me tus, et l'espace laissé par notre silence disparut immédiatement, comblé par les voix fortes de ceux qui chantaient Fanchon. Edward se leva et avança vers la fenêtre, sans doute pour demander à Havoc combien de temps il restait avant notre arrivée.
- Resemboooooool ! s'exclama mon frère avec enthousiasme alors que nous arrivions au quai du train qui allait nous ramener dans notre village natal.
- Hé bien, quel enthousiasme, commenta Havoc, qui était lui aussi venu à la gare, pour rentrer à Central, lui.
- Un peu de vacances, ça va me faire du bien ! Ça fait depuis la fois où Scar m'a explosé l'automail que je n'ai pas pu me mettre au vert, alors je compte bien en profiter !
- C'est vrai que là, tu les as enchaînées ces derniers temps. Heureusement que cette dernière mission était plutôt tranquille... Avec un peu de chance, Mustang devrait te foutre la paix un moment.
- Bah, même s'il appelait chez les Rockbell pour me filer une mission, je ne lui répondrais pas.
C'est faux, pensai-je, un peu acerbe. Tu lui obéirais, comme d'habitude.
- Tu vas avoir le temps de guérir de tes blessures, du coup, commenta le grand blond.
- Les blessures ?
- Bah, les plaies que tu t'es fait en sautant à travers la verrière. Tu t'étais quand même bien amoché...
- Non, mais ça, je saigne plus du tout depuis deux jours, hein ! Regarde celle-là, elle est déjà bien cicatrisée, commenta-t-il en désignant l'estafilade qui lui barrait la joue gauche.
- C'est vrai... admit Havoc en se penchant pour examiner la coupure. Tu guéris vraiment super vite, toi !
- Eh ouais ! C'est la jeunesse !
- Traite-moi de vieux tant que t'y es, s'indigna-t-il faussement.
- Je m'en prive pas, comme tu vois !
Le chahut dura encore quelques minutes. Je regardais la scène en souriant, tristement conscient de faire partie des meubles, une fois encore. Puis il nous quitta pour aller à son propre quai, et je suivis Edward dans le wagon.
- Enfin une mission sans complications, soupira Edward, visiblement soulagé de la manière dont s'étaient déroulées les choses.
C'était vrai. Nous avions roulé, nous étions arrivés en fin d'après-midi à la prison. Entre temps, ils avaient été prévenus que nous serions en avance. Le directeur nous attendait, contrarié par l'imprévu, mais soulagé de nous voir arriver. Nous lui avions montré l'ordre du Colonel, puis il avait pris en main les choses. Le prisonnier fut installé dans sa cellule, et devait être entendu dans les semaines à suivre pour une autre affaire que les histoires de terrorismes du Front de l'Est. Libéré de nos obligations, nous avions mangé et dormi dans le premier hôtel qui s'offrait à nous. J'avais ouvert des yeux ahuris en voyant le genre d'endroit où Edward avait l'habitude de loger. À Resembool comme à Dublith, je n'avais pas été habitué à ce genre de luxe. Mais en tant que Fullmetal Alchemist, Edward gagnait de l'argent. Beaucoup d'argent.
Je devrais peut-être commencer par ça, songeai-je en m'accoudant pensivement à la fenêtre du train. Être indépendant.
- Ça va, Al ? Tu ne parles pas beaucoup, en ce moment, demanda mon frère d'une voix douce.
- Je n'ai pas grand-chose d'intelligent à dire, répondis-je.
Il eut l'air peiné. Mais lui qui était au cœur des événements, qui voyait chaque jour le pouvoir qu'il avait d'influencer le cours des choses, il ne pouvait pas comprendre à quel point ça pouvait être désespérant d'être celui qui n'est que témoin, et dont la présence ne change jamais la donne. Pourtant, il sembla deviner qu'en lançant que je n'avais pas grand-chose à dire, je voulais dire que j'étais conscient de ne servir à rien. Il vient s'asseoir à côté de moi, et passa son bras sur mes épaules.
- Al... Tu sais que tu es une personne hors du commun ?
- Pffff... C'est toi qui dis ça, marmonnai-je d'un ton ironique, en rougissant tout de même.
- Je te le dis parce que tu ne t'en rends pas compte toi-même. Il n'y a pas grand-monde qui à ton âge maîtrise aussi bien l'alchimie. Et tu progresseras encore. En plus, tu as des qualités que je n'ai pas, celle d'être attentif aux gens, et profondément bon.
- Est-ce que la bonté n'est pas une forme de faiblesse ? murmurai-je en posant la tête sur son épaule, repensant au moment où Bald m'avait craché au visage.
- Je pense que certaines faiblesses peuvent devenir des forces.
- Je ne sais pas. Et je ne suis pas sûr d'être aussi bon que tu le dis.
- Oh, moi, j'en suis convaincu.
Je restai silencieux, ruminant sa phrase avec un peu de culpabilité. Je supposai qu'Edward disait des choses un peu sans queue ni tête dans l'espoir de me remonter le moral. Mais rien n'y faisait, je me sentais mélancolique. Pourtant, la perspective de se retrouver avec Edward et Winry à Resembool aurait dû me réjouir, au contraire. J'allais rester avec les gens auxquels je tenais le plus au monde.
Alors que nous arrivions sur le chemin gravillonné de la maison des Rockbell, Den vint nous accueillir en courant, aboyant et quêtant des caresses. Nous entendîmes de grands cris en nous approchant, puis soudainement, une clé à molette vola avant de rebondir sur le front d'Edward, l'envoyant au tapis.
- C'est à cette heure-ci que tu rentres ? ! Je me suis fait un sang d'encre ! hurla la furie qui nous servait d'amie d'enfance depuis le balcon de la maison.
- Bon sang, Winry, il faut que tu te calmes ! beugla Edward en se redressant, sa main gauche lui frottant le front. Tu vas me tuer à force de me balancer des trucs à la tête !
- Pas moyen, tu as le crâne trop épais pour que je te fasse vraiment mal, répondit-elle avec un grand sourire. Quand à toi, Al...
Après ce premier lancer, je m'étais mis sur mes gardes, mais quand elle m'envoya une deuxième clé à molette, je ne parvins pas complètement à l'esquiver et me la pris dans l'épaule.
- Qui se casse à cinq heures du matin sans prévenir ?! Sérieusement, tu n'as pas honte de nous avoir laissées en plan comme ça ? !
A ces mots, je jetai un coup d'œil à mon frère, et le regard qu'il me rendit raffermit notre fraternité malmenée. Nous étions unis dans l'adversité.
- Winry, arrête de les bombarder, lança Pinako en passant le seuil. Ce sont de bons clients, un jour, Edward se fera entretenir ailleurs si tu continues !
- Bonjour Pinako, m'exclamai-je en même temps que mon frère.
- Bonjour vous deux. Alors, Ed, qu'est-ce que tu as fait à tes automails pour les casser, cette fois ?
- Rien, je n'ai pas spécialement besoin de réparations.
- Tu as quand même sauté du toit d'un immeuble, tu devrais peut-être te faire examiner, non ? fis-je remarquer.
- Le Fullmetal Alchemist nous ferait l'honneur de sa présence sans raison particulière ? Ça serait du jamais vu, ironisa la vieille dame avec un sourire sardonique.
- Mamie Pinako, crois-le ou non, j'ai décidé de prendre des vacances, répondit Edward en rougissant, un peu piqué par la remarque.
- Alors, qu'est-ce que tu as cassé encore ?! s'exclama Winry, lui sautant dessus à bras raccourcis après avoir dévalé les escaliers.
- Mais... rien !
- Ouais, c'est ça, vient là que je t'examine, fit-elle en le tirant par le col.
- Winry, laisse-moi me poser, steupléé ! gémit-il sans succès.
- Non, je ne sais pas combien de temps tu vas rester, j'ai besoin de savoir rapidement le travail qui m'attends. Et puis, j'ai un cadeau pour toi !
- Je crains le pire…
Je regardai la blonde traîner mon frère jusque dans son atelier, sans autre forme de procès. C'était fascinant de voir comme Edward, qui pouvait être impitoyable avec ses ennemis, était impuissant face à Winry. Il y avait des gens contre lesquels on ne pouvait pas lutter.
Je me retrouvai seul face à Pinako. La vieille dame, mâchant sa pipe comme à son habitude, leva la tête vers moi et plissa les yeux en me fixant attentivement. Je sentis toute la culpabilité de les avoir quittés sans prévenir remonter, et j'eus tout à coup très envie de pouvoir disparaître sous terre.
- Ça va, toi ?
- Ah ? Euh, oui, bredouillai-je, surpris de ne pas recevoir de critique pour mon départ.
- J'ai appris qu'il y avait eu une prise d'otage à Central, on s'est toutes les deux demandées si vous étiez impliqués.
- Edward a participé à l'assaut de l'armée, il était en première ligne, mais n'a pas été gravement blessé fis-je d'un ton incertain. Moi... j'étais occupé ailleurs à ce moment-là.
- Je vois, fit-elle avec un demi-sourire. Tant mieux.
Si Winry nous avait accueillis avec autant de colère, était-ce parce qu'elle était soulagée de nous voir ? Je n'osai pas poser la question à Pinako. Il y a des choses qui ne se disent pas.
- Alors, comment c'était, Central-city ?
- Je n'en ai pas vu grand-chose. J'ai revu l'équipe avec qui Edward travaille, la plupart d'entre eux sont vraiment gentils.
- La plupart ?
- Eh bien... fis-je en rougissant, hésitant à l'avouer. Je n'aime pas trop le Colonel Mustang. Je le trouve très froid, presque méchant.
- Le Colonel Mustang, hein ? fit-elle d'un ton songeur en me tendant un verre d'eau qu'elle venait de verser du broc de terre cuite.
- Oui, murmurai-je, honteux de mon aveu. Il passe son temps à casser Edward, et pourtant il le respecte et lui obéit toujours.
- C'est son supérieur, en même temps, répondit Pinako en s'attablant.
Cette réponse revenait toujours. Mais non, ça ne justifiait pas à mes yeux qu'il accepte d'être traité comme ça. Je m'assis à mon tour, silencieux, l'œil sombre.
- Tu sais, c'est le Colonel Mustang qui a redonné un but à ton frère. Tu ne t'en souviens pas, puisque c'était peu de temps après la transmutation. Ses blessures étaient profondes et son regard s'était éteint. Il avait perdu tout espoir et portait la culpabilité de t'avoir fait perdre ton corps.
- Et qu'est-ce qui s'est passé ?
- Le Colonel Mustang passait dans la région parce que vos exploits alchimiques avaient commencé à remonter jusqu'à l'armée, et qu'il devait recruter de nouveaux Alchimistes d'Etat. Il a tenu à vous rencontrer malgré votre jeune âge, et a parlé de l'armée. Il a eu des mots très durs, j'avoue avoir eu envie de le foutre dehors. Mais il a secoué Edward et lui a redonné de l'espoir. En lui disant qu'autre chose était possible, il lui a donné le cran de se faire poser des automails, d'étudier et de passer l'examen d'Alchimiste d'Etat dans l'espoir de retrouver ton corps. Sans lui, je ne sais pas où vous en seriez aujourd'hui.
Je restai silencieux. J'imaginais très bien la scène, paradoxalement. Je me souvenais de l'expression d'Edward dans ses premiers jours d'hospitalisation après le cinquième laboratoire, quand il avait pris de plein fouet le choc d'avoir un corps féminin. Il avait sombré dans une profonde apathie, et même ses yeux semblaient avoir perdu tout éclat. En projetant ce souvenir avec son récit, j'arrivais à me représenter dans quel était de détresse il devait être à ce moment-là, et à quel point j'avais pu me sentir impuissant.
- Je comprends que tu aies des sentiments mitigés pour cet homme, moi-même, je ne lui porte aucune affection. Mais le fait est que c'est une personne importante pour Edward, énonça-t-elle en me pointant du bec de sa pipe pour bien marteler ses mots. Et par conséquent, pour toi aussi.
Je hochai la tête. Cela ne me plaisait pas, mais au moins je comprenais un peu mieux. C'était une réponse qui me paraissait plus valable qu'un simple « c'est son supérieur hiérarchique ». Je bus mon verre d'eau, pendant que Pinako tournait la tête, entendant des éclats de voix.
- Qu'est-ce qu'ils font, encore, ces deux-là ?
Winry avait effectivement fait un cadeau à mon frère, et pour le coup, c'était plutôt une bonne idée : pour remplacer ses bandages dont il se plaignait régulièrement, elle avait cousu une large bande élastique fendue d'une fermeture éclair qui se portait devant. Le tissu, épais et solide, aplatissait efficacement les seins. L'idée était excellente, mais entre les grommellements gênés d'Edward et ma stupéfaction de l'imaginer attablée face à une machine à coudre, elle n'eut pas toute la reconnaissance qu'elle espérait. Elle s'était donc contentée d'un soupir rageur, face à notre manque d'enthousiasme.
Le temps avait finalement passé vite. Entre les disputes d'Edward et Winry qui se bouffaient le nez pour des broutilles, les repas et leur préparations, les discussions que faisaient naître la lecture du journal intime de Maman, les séances de réparations de l'automail de mon frère, qui, quoi qu'il en dise, avait quand même un peu déformé certaines pièces dans sa chute, on était bien loin des journées mornes qui avaient été les miennes en son absence. La première soirée avait été mémorable, puisqu'il s'était retrouvé contraint et forcé de raconter par le menu comment il en était arrivé à devenir danseuse de cabaret pour appâter un proxénète, récit improbable, que nous avions trouvé hilarant. Sans doute était-il en réalité très gêné par cette histoire, mais il avait décidé de jouer la carte de l'autodérision pour mettre de la distance entre lui et cette histoire.
- Tu veux dire que tu t'es de nouveau travesti ? s'était étonné Winry Tu n'avais pas dit en revenant de ton entrevue avec Scar le mois dernier, que tu préférerais mourir que recommencer à t'habiller en femme ?
- Je m'étais fait draguer par un gros lourd alors que j'attendais l'heure du rendez-vous, et je ne voyais pas comment m'en débarrasser sans lui faire manger le bitume, ça aurait trop attiré l'attention... avait-il grimacé, encore échaudé par ce souvenir.
- Mais du coup tu t'es travesti régulièrement, pendant plusieurs jours ? Peut-être que tu aimes ça, en fait... railla la blonde avec un sourire moqueur.
- PAS DU TOUT ! C'était juste pour pouvoir conclure la mission sans y passer des mois, avait alors répondu mon frère en virant au cramoisi.
Il eut beau nier de toutes ses forces, le mal était fait. Winry avait acquis la conviction que mon frère, sinon, aimait se travestir, du moins, en avait souvent l'utilité. La conclusion coulait de source : il fallait qu'elle réfléchisse à un nouvel automail, plus discret, pour qu'il puisse faire une femme convaincante.
Si Edward était buté, Winry était peut-être la seule personne que je connaissais qui l'était encore plus. Alors, tout en apportant les réparations mineures que nécessitaient le bras et la jambe d'Edward, elle papillonnait intérieurement de vérins en alliage, dangereusement enthousiaste face au challenge qu'elle s'était elle-même trouvé, au grand désespoir de mon frère.
Pinako avait épilogué en glissant qu'elles avaient eu peu de travail ces derniers temps, et que Winry devait vraiment s'ennuyer à Resembool.
Mais ce soir, la discussion était plus sérieuse. Edward avait donné plus de détails sur l'assaut du passage Floriane, dont Winry et sa grand-mère n'avaient pas réalisé l'ampleur à travers le peu d'informations qui arrivaient jusqu'ici. Notre amie d'enfance lui demanda aussi des détails sur l'affaire Barry le Boucher, car l'idée de le savoir encore vivant l'avait vraiment secouée et angoissée. Le visage de mon frère s'était assombrit, mais au moins, il pouvait lui jurer que cette fois, l'homme qui l'avait attaqué était mort : il l'avait tué de ses mains.
- C'était la première fois que je tuais volontairement quelqu'un, avoua-t-il en reprenant un verre du cidre que Pinako avait sorti.
La phrase plongea tout le monde dans un silence gêné. Que pouvait-on répondre à cela ? Edward soupira, contemplant le contenu de son verre d'un air pensif.
- Je me suis senti très mal sur le coup, mais... j'ai compris que malgré tout, c'était la chose à faire. Au moins, toi, moi, et beaucoup d'autres, n'avons plus à craindre de lui.
- Merci, murmura Winry. Je ne peux pas vraiment me réjouir de la mort de quelqu'un, mais je dois avouer que je suis soulagée.
- Moi aussi, avoua-t-il.
Lui aussi avait eu peur de Barry le Boucher. J'avais un vague souvenir du récit qui m'en était fait, comment Edward s'était retrouvé assommé et kidnappé, se réveillant sans son bras métallique, dans une chambre froide aux côtés de notre amie. Tous les deux avaient été menacés d'être mis en pièces à coups de hachoir, et Winry avait eu, très littéralement, la peur de sa vie.
Ce jour-là, je n'étais pas présent. Je ne me souvenais pas pourquoi, je n'étais même pas sûr qu'on me l'ait dit. Mais au moins, ce n'était pas un souvenir qui m'avait été volé.
- Après que vous ayez tenté de faire revivre votre mère... commença la blonde d'un ton incertain qui capta toute notre attention. Alors que toi, tu avais fait de la fièvre à cause de ta blessure, j'étais sortie prendre l'air parce que j'avais du mal à supporter tout ça... J'avoue que j'ai eu la curiosité de pousser la porte de votre maison et d'aller voir. C'était le chaos dans l'atelier, je m'en souviens encore très bien, il y avait des fioles cassés, des livres, des papiers, et… du sang partout. Il ne restait que ça, le cercle de transmutation encore tracé sur le sol, et des traces de sang. En pensant que vous aviez fait tout ça, perdu autant, pour rien... ça m'avait vraiment mise en rage.
- Heureusement que tu n'as pas vu le résultat de la transmutation, alors, murmura Edward. Pinako pourra sûrement te dire que c'était infâme.
- Je ne l'ai pas vu non plus, fit Pinako en fronçant les sourcils, jetant un regard surpris à Edward.
Mon frère se redressa, ouvrant de grands yeux.
- Comment ça ? Pinako, tu ne l'avais pas enterré sur la butte ?
- Jamais de la vie, tu as dû mélanger les délires que t'avaient donnés la fièvre et la réalité. Quand je suis venu voir chez vous, tout était comme l'a décrit Winry. J'ai nettoyé et rangé la pièce pour qu'on ne voie plus les traces de votre tentative de transmuter un humain.
- Mais... je... bredouilla mon frère, comme si le monde qu'il connaissait s'écrouler. Tu l'avais enterré... j'en étais sûr...
- Et moi, j'étais sûr que tu avais fait disparaître le corps de ta transmutation, que tu l'avais « rendu », comme tu le disais dans tes délires.
- Justement, j'aurais voulu le faire... Mais quand j'ai repris conscience et que je t'ai dit qu'il fallait s'en occuper, tu m'avais dit que c'était bon, qu'elle n'était plus là.
- Et elle n'était plus là, c'est vrai.
Il y eut un long silence, un de ses silences qui se nourrit de peur, de grincements et de souffles dans le dos. Ce moment où la logique vacille et où l'on bascule dans l'irrationnel avec la peur au ventre. Si ni Edward, ni Pinako ne s'étaient chargés de faire disparaître le résultat de notre échec, qu'est-ce qui s'était passé, alors ? Les regards convergèrent vers moi.
- Je ne me souviens de rien... murmurai-je sur un ton d'excuse.
Cette réponse que je devais donner, encore, et encore, me mettait en rage. Si seulement je pouvais me rappeler tout ça... Si seulement, je pouvais comprendre. Si seulement, je pouvais aider. Mais je ne savais rien, je ne pouvais rien faire. Face à ce genre de questionnements sur l'Alchimie, j'étais juste totalement dépassé.
- On devrait retourner à Central faire des recherches et en avertir le Colonel, murmurai-je.
Edward se tourna vers moi, comme surpris de m'entendre dire ce qui paraissait pourtant logique. Sans doute parce qu'il sentait que je ne portais pas son supérieur dans mon cœur.
- Tu as raison, Al. Mamie Pinako, Winry, je suis désolé, mais nous devons repartir demain.
- Quoi ?! s'indigna Winry. Tu te fiches de moi ? Tu viens à peine d'arriver !
- Winry, tu étais à Central quand Hugues s'est fait attaquer, tu sais ce qui se trame avec les Homonculus. Tu dois comprendre que la disparition d'une transmutation humaine, même ratée, n'a vraiment rien d'anodin !
- Et alors, tu repars, c'est ça ?
- Oui. Je n'ai pas le choix, il faut qu'on tire au clair cette histoire, Al et moi.
- Alors je viens avec vous.
- Hein ? balbutia mon frère en ouvrant des yeux ronds.
- Tu passes ton temps à chercher la bagarre et à te blesser... Tu crois que je n'ai pas vu tes plaies quand j'ai réparé ton bras et ta jambe ? Si tu t'embarques là-dedans, tu risques d'avoir besoin de moi encore plus souvent.
- Mais... je... bafouilla-t-il, incapable de trouver quoi répondre.
Je savais ce qu'il pensait. Winry pouvait être envahissante, mais ce n'était même pas ça le problème. Si j'étais suffisamment bon combattant pour me défendre à peu près, ce n'était pas son cas. En la regardant froncer résolument son regard bleu, je compris soudainement le sentiment d'impuissance que je devais donner à Edward quand je lui disais que je voulais l'accompagner à tout prix. Si elle venait avec nous, si elle était blessée, ou enlevée à cause de nous...
- Reste ici, Winry, s'il t'arrive quelque chose, je ne me le pardonnerais pas.
- Et s'il t'arrive quelque chose parce que ton automail ne fonctionne plus, je ne me le pardonnerais pas non plus. Honnêtement, les gens n'ont plus vraiment besoin de moi ici.
- Winry... fit mon frère d'un ton presque suppliant.
Nous sentions déjà que c'était peine perdue. Pinako observait la scène en sirotant son infusion, peu surprise.
- Pinako, tu ne dis rien ? s'exclama Edward, en désespoir de cause. Tu ne vas quand même pas la laisser se mettre en danger comme ça ?
- Edward, Winry voulait de toute façon quitter Resembool pour parfaire son apprentissage de mécanique. J'ai respecté votre choix d'aller apprendre l'Alchimie à Dublith alors que vous aviez une dizaine d'années, je ne vais pas interdire à Winry de partir avec vous aujourd'hui.
- De toute façon, on te protégera, répondis-je d'un ton résolu.
Tout le monde tourna la tête vers moi, surpris, et je me sentis rougir. Je n'avais pourtant rien dit d'autre que la vérité. En même temps, je parlais si peu... Pour un peu, ils pourraient être étonnés du simple fait que j'ouvre la bouche. Je lançai un sourire maladroit. Je n'étais peut-être qu'un gamin, mais je continuerais à faire de mon mieux.
