Le nouveau chapitre est arrivé, et c'est le trentième ! C'est que ça finit par faire un paquet ! Merci à vous de continuer à lire cette histoire au long cours, chaque commentaire que je reçois me touche énormément ! L'illustration est prête et visible sur deviantart. Elle est moins ambitieuse que d'autres fois, mais j'en suis tout de même assez contente. Il faut dire qu'entre les recherches pour mon nouveau projet de BD et le fait que je commence à préparer la réédition de Sweet Suicide (un doujin Royed de 8 chapitres qui se passe après le film Conqueror of Shamballa), je suis pas mal occupée. Je vous raconterai tout ça plus en détail je moment venu, pour l'heure, revenons-en à la fic, c'est pour ça que vous êtes là après tout ! XD Cette fois on retrouve le point de vue d'Alphonse, qui n'a pas finit de se faire du soucis... Mais je n'en dis pas plus et je vous le découvrir !
Bonne soirée à vous, et bonne lecture !
Chapitre 30 : Amertume (Al)
Je n'arrivais pas à croire que j'avais échappé à une nouvelle rouée de coups après avoir quitté la maison en pleine nuit pour rejoindre mon frère sur l'île. Cette simple bonne surprise suffisait à me laisser étonnamment joyeux. Winry semblait soulagée qu'Edward soit revenu parmi nous. Il faut dire que le spectacle de la colère d'Izumi était terrifiant quand on ne s'y attendait pas… et même quand on s'y attendait, pour être honnête.
Pour l'heure, nous étions tous attablés dans l'arrière-boutique de la boucherie que tenaient ensemble les Curtis. Une fois rentrés, le couple avait sorti de sa réserve d'énormes morceaux de viande qu'il avait commencé à cuisiner, bien décidé à préparer un pot-au-feu. Avant d'avoir compris, Ed, Winry et moi nous étions retrouvés avec un couteau et un légume à la main, sommés d'éplucher carottes et pommes de terres pour le repas du soir. Seul le nouvel arrivant avait été exempté de cette tâche. Ed le suivait des yeux avec une méfiance un tantinet jalouse, et j'esquissai un sourire. Je doutais que le gamin sache ne serait-ce que tenir un couteau. Il semblait ne rien connaître de la civilisation, et ouvrait des yeux ahuri sur le moindre objet qui passait dans son champ de vision, à un point que c'était presque attendrissant.
Izumi s'était chargée de faire prendre un bain au sauvageon que nous avions trouvé, et quand je lui avais rapporté les serviettes qu'elle m'avait demandées, je l'avais trouvé assis en tailleur dans une baignoire remplie d'eau chaude et débordante de mousse, complètement bienheureux tandis qu'Izumi lui shampouinait la tête. On aurait dit un chien en train de se faire gratouiller derrière les oreilles, comblé de bien-être et d'affection.
La réaction de rejet épidermique de mon frère me paraissait dérisoire. Ce garçon ne semblait jamais avoir rien connu d'autre que cette île, à se demander comment il savait parler. Et il nous accordait sa confiance avec la candeur d'un petit enfant. Je comprenais qu'Ed soit méfiant, il n'était pas le seul à avoir remarqué le signe sous son pied droit… mais si ce gamin était réellement un Homonculus, cela en faisait-il un ennemi pour autant ? Je n'étais pas sûr que les choses soient aussi simples que ça, et j'avais tout de même une conviction : dans le doute, il était toujours mieux de ne pas se faire haïr de quelqu'un quand on pouvait l'éviter. S'il n'était pas encore notre ennemi, il pourrait le devenir en étant maltraité. C'était dans cet état d'esprit que je lui avais tendu la main.
Mais ça, mon frère n'était manifestement pas prêt à en faire autant. Comme j'attrapais une nouvelle carotte, je croisai son regard et y perçus une certaine rancune. Je lui répondis par un vague sourire. Nous n'allions pas en parler maintenant, avec Winry assise en face de nous, et le gamin en question en train d'observer avec curiosité les gestes assurés de Sig qui coupait la viande pendant qu'Izumi lavait et taillait le chou… mais je ne doutais pas que mon frère laisserait échapper sa colère une fois que nous serions seuls tous les deux. A cette pensée, je laissai échapper un soupir. Pourquoi diable avait-il aussi mauvais caractère ?
Le repas se déroula dans une atmosphère étrange, comme on pouvait s'y attendre quand les personnes attablées avaient des états d'esprit si contradictoires. Après cela, Izumi dirigea tout le monde pour la vaisselle et le rangement de la cuisine, puis partit avec son mari discuter des commandes de la boutique. Quand elle revint nous parler, elle nous trouva tous les quatre assis, inactifs et silencieux. Seul l'enfant trouvé tournait la tête ici et là, observant chaque objet avec attention, papillonnant sans sembler sentir la tension que créait sa présence parmi nous. Pourtant, j'avais remarqué qu'il lançait par moment des petits coups d'oeil inquiets à Edward.
- Bon, vous deux, venez, fit-elle d'un ton autoritaire, repartant déjà dans le couloir.
Edward se leva et je quittai mon tabouret pour la suivre, dans le couloir, puis à l'étage, jusqu'à ce qu'elle nous ouvre la porte de son bureau en nous faisant signe d'entrer, puis de nous asseoir.
Je m'installai à côté d'Edward, face à notre Maître, après avoir fermé la porte derrière moi.
- Je vous écoute, annonça Izumi d'un ton sérieux. Pourquoi vous êtes venus ?
- Hé bien, pour plusieurs raisons… commença mon frère d'un ton hésitant. J'avoue que j'ai tellement de questions à vous poser que je ne sais pas par où commencer.
- Commence par le début, alors. Pourquoi avez-vous bafoué une loi d'alchimie aussi fondamentale ?
- Nous voulions faire revivre notre mère. C'est pour ça que nous vous avions demandé de nous prendre en apprentissage, pour devenir assez bon pour y arriver.
- Bande d'imbéciles… Vous n'avez pas réussi, n'est-ce pas ? lança-t-elle en baissant vers nous des yeux à la fois compatissants et remplis de colère.
- Non. Il y avait bien quelque chose, mais ça n'avait rien d'humain… alors croire que c'était Maman… c'était impossible. Ça nous a coûté cher : J'ai perdu ma jambe, et Al a disparu. En échange de mon bras, j'ai réussi à le ramener et à fixer son âme dans une des armures du laboratoire de notre père…
Je ne pouvais pas raconter ça aussi précisément que lui, puisque je n'en avais aucun souvenir. Aussi me contentai-je d'écouter attentivement en épiant les réactions de notre Maître, qui avait serré les dents en entendant ce que disait mon frère. Elle devait déjà avoir envie de nous frapper pour avoir bafoué son enseignement en tentant une transmutation interdite. Et pourtant, l'histoire commençait à peine.
- Al était avec moi, dans une armure vide, il ne pouvait ni manger, ni dormir. Ça a duré plus de trois ans. Sa particularité nous a tirés de bien des mauvais pas... Enfin, ça, c'était plus tard. Juste après la transmutation, nous étions tous les deux effondrés par la situation, nous sommes restés chez les Rockbell jusqu'à ce que le Colonel Mustang arrive chez nous, ayant entendu parler de deux frères alchimistes. Bon, il ne savait pas que nous n'avions que dix et onze ans, l'armée avait dû faire une erreur… mais en nous voyant, il nous a quand même expliqué la raison de sa venue : Nous proposer d'être Alchimiste d'État.
Izumi serra tellement les dents à ces mots qu'elle aurait brisé sans peine une noix.
- En échange de notre loyauté, continua mon frère, l'armée allait nos prodiguer un salaire conséquent et l'accès à des bibliothèques riches en documents sur l'alchimie. Avec cela, nous allions avoir toutes les cartes en main pour retrouver nos corps d'origine. Du moins c'est ce que nous pensions à l'époque. Nous n'avions plus d'espoir à ce moment-là, alors nous nous sommes raccrochés à celui-là. Une fois mes blessures guéries, Winry m'a fabriqué des automails pour que je puisse de nouveau marcher et me battre, et nous sommes partis à East-city.
Mon attention se perdit un peu quand il raconta par le détail les étapes du concours pour devenir Alchimiste d'Etat. Je savais qu'en étant une armure vide à l'époque, j'avais été obligé de renoncer à entrer dans l'armée face à la menace du contrôle médical. Il avait fini seul les dernières épreuves et était entré dans l'armée sous le nom de Fullmetal Alchemist, à l'âge record de douze ans, ce qui avait fait grand bruit à l'époque.
- Nous avons ensuite commencé à accomplir des missions que nous donnaient l'armée, puis suivi la piste de la pierre philosophale, cet artefact qui permettrait d'ignorer le principe de base d'Alchimie, à savoir le principe de l'équivalence.
Rien ne se perd, rien en se crée, tout se transforme. C'était le mantra de l'Alchimie : pour obtenir quelque chose, il fallait donner quelque chose d'équivalent. Nous ne pouvions pas créer à partir de rien, c'était la limite de l'Alchimie. Et c'était, sans doute, la raison pour laquelle nous n'avions pas pu ramener Maman.
Il avait prononcé ces mots d'une voix voilée. Les années avaient passé, mais cette idée était toujours douloureuse.
- La pierre philosophale permet des miracles : tourner l'eau en vin, multiplier des objets, et même ressusciter de petits animaux… Nous en avons vu des démonstrations de nos propres yeux, et même si certaines étaient des fraudes, cela restait très impressionnant… mais à chaque fois, nous sommes tombés sur des ersatz, des pierres incomplètes, et pourtant capables de grands pouvoirs. A chaque fois, elles étaient tombées entre de mauvaises mains, et nous avons eu beaucoup de démêlées avec leurs détenteurs. Je dois dire que j'ai fait quelques dégâts.
En nous entendant parler de la pierre philosophale, elle avait carrément croisé les bras, comme si, en les coinçant de la sorte, elle arriverait à retenir cette envie presque réflexe de nous frapper. La seule raison pour laquelle elle nous laissait continuer, c'était parce qu'elle sentait bien que l'affaire qui nous amenait était particulièrement sérieuse et qu'il fallait nous laisser parler jusqu'au bout avant de réagir. Je pressentais que sa réaction allait être à la mesure de l'attente, et je devinais au ton peu assuré de mon frère qu'il n'en menait pas large, lui non plus.
- Au fil de nos enquêtes, nous avons croisé à plusieurs reprises des personnages mystérieux, qui semblaient être liés à la pierre philosophale. Une femme aux cheveux noirs, portant un tatouage d'Ouroboros sur la poitrine, souvent accompagné d'un homme petit et gros, assez difforme pour être honnête, et une troisième personne… Nous les avons rencontrés plusieurs fois sans se rendre compte de l'importance qu'ils avaient.
Moi, de ces ennemis-ci, je n'avais qu'une image postérieure à mon amnésie. Celle de mon frère, le visage en sang après un combat inégal, et de la silhouette de Hugues effondrée au pied de la cabine téléphonique. Dans le chaos de la situation, j'avais juste entrevu une silhouette fine et nerveuse aux longs cheveux sombres, qui s'était enfuie quand Winry, Ross et moi avions rejoint Edward en catastrophe, guidés par le coup de feu. C'était mon seul souvenir tangible d'Envy, et ce n'était vraiment pas un bon moment.
- Et puis, nous nous sommes intéressés aux notes du Docteur Marcoh, qui a travaillé sur la pierre philosophale durant la guerre d'Ishbal. Nous avons appris des choses…
La voix de mon frère avait chancelé. Je le savais déjà, il me l'avait déjà dit, mais cette idée me donnait toujours autant la nausée.
- Les pierres philosophales incomplètes, celles que nous avions déjà rencontrées… Elles sont composées… de vies humaines. L'énergie hors du commun qu'elles possèdent vient de dizaines, de centaines, même, de morts. Et elles ont été produites et utilisées par l'armée pour mater la rébellion ishbale.
J'avais du mal à me représenter parfaitement l'horreur de cette situation, mais pour être honnête, je n'avais pas envie. Edward et moi étions encore enfants quand l'insurrection avait eu lieu, et même si je savais que certains des militaires que je connaissais avaient participé à la guerre et, sans doute commis des atrocités, jamais il ne me serait venu à l'idée de leur demander de m'en parler. Tandis que je sentais mes entrailles se nouer à cette idée, je vis mon frère, bafouillant pour continuer son récit, cherchant à décrire l'événement, franchir la grande hérésie dont nous avions été témoins. Il releva les yeux vers notre Maître.
- Nous voulions en savoir plus sur tout ça, alors nous sommes rentrés par effraction dans le cinquième laboratoire. Un lieu secret, officiellement désaffecté, où avaient lieu des expériences alchimiques sur les vies humaines… Ce que nous avons vu là-bas…
Il s'était figé dans un frisson. Je me souvenais de ce qu'il m'avait raconté, la voix rauque, pendant cette après-midi passée chez Hawkeye, et ces ombres cauchemardesques hantaient les coins de mon esprit depuis. D'autres hommes en armure vide, des anciens criminels supposés morts… Shou Tucker, un homme monstrueux qui avait été soi-disant exécuté pour avoir transformé son chien et sa propre fille en chimère… Des chimères, difformes aberrations ne demandant qu'à mourir, et surtout, des litres de pierre philosophale incomplète. Cette simple idée, avec la conscience de ce qu'elle contenait, suffisait à me révulser.
- Nous avons rencontré de nouveau ces personnes qui semblaient liées à la pierre philosophale. Elles avaient rassemblé de grandes quantités de pierre incomplète, et voulaient que je transmute pour eux une pierre parfaite, en me faisant le pire des chantages. Eux qui ne peuvent pas pratiquer l'alchimie, mais qui ont d'autres pouvoirs démentiels… Eux qui ne meurent pas, peu importe combien de fois on les frappe à mort… Ils se font appeler les Homonculus.
Izumi décroisa les bras, une vague de surprise horrifiée avait lavé la colère de son visage. Comme Edward n'osait pas reprendre son récit, elle demanda d'une voix dont la sévérité cachait mal l'appréhension :
- Et comment cela a-t-il fini ?
- Je… Je n'ai pas pu accepter de faire ça. Je serais probablement mort si une autre personne n'était pas entrée en même temps que nous. Je ne sais pas si vous avez entendu parler de Scar ?
- Non, les histoires du Nord arrivent rarement jusqu'ici.
- C'est un Ishbal possédant une force hors du commun. Ses bras sont tatoués de cercles d'Alchimie destinés à tout détruire. Il a juré de venger les siens et traque les Alchimistes d'Etat pour les tuer de ses propres mains.
- Dont toi.
- Ce n'est pas aussi simple, murmura-t-il. Mais je vais tâcher de vous raconter les choses dans l'ordre, comme vous le disiez. Cet homme est arrivé et a tout détruit sur son passage. Les contenants de sont brisés et la pierre rouge a déferlé sur moi. Et là… Je… ne me souviens plus très bien, mais j'ai été débordé par la puissance qui m'envahissait, je ne contenais plus mon pouvoir. J'ai transmuté sans le vouloir, presque sans le comprendre. C'était une sensation… grisante et terrifiante à la fois. C'est là que… Je j'ai ramené le corps d'Al, fit-il en tournant la tête vers moi. Et je crois que j'ai essayé de retrouver mes membres, mais ça n'a pas marché, et sans que je sache pourquoi… Comment dire… Il s'est passé autre chose à la place.
Voilà le moment qu'il redoutait sans doute, plus encore que le récit qu'il venait de faire. Le moment où il devrait avouer à notre Maître le secret qu'il dissimulait soigneusement sous ses vêtements, ses bandages et sa voix un peu forcée.
- J'ai… je ne sais pas comment le dire, tellement ça me paraît absurde moi-même, aujourd'hui encore, mais… j'ai… changé de sexe.
Ça y est, c'était dit. De manière abrupte, mais je ne sais pas si j'aurais pu faire mieux à sa place. Izumi ouvrit des yeux ronds avant de tâcher de retrouver une expression neutre.
- Si c'est une blague, c'est de très mauvais goût, commenta-t-elle.
- Ce n'est pas une blague… murmura-t-il, les yeux rivés à la carafe d'eau qui semblait soudainement très intéressante. Pour être honnête, j'aurais préféré.
Je le sentais mourir de honte. Je l'aurais bien pris dans mes bras pour le réconforter s'il n'y avait pas eu une bombe à retardement assise en face de nous.
- Je ne vois pas comment c'est possible, murmura-t-elle en fronçant les sourcils.
- J'ai vu beaucoup trop de choses impossibles des derniers mois : des âmes sans corps, des corps sans âmes, des chimères, des êtres immortels… Et malheureusement, c'est aussi réel que tout le reste. Je n'ai pas fini, ajouta-t-il d'une voix morne en voyant notre Maître ouvrir la bouche. Il s'est passé d'autres choses, à ce moment-là… Al ?
- Oui, fis-je en comprenant immédiatement pourquoi il m'avait donné la parole. Quand je me suis réveillé, je ne me souvenais de rien depuis la transmutation de Maman… et c'est toujours le cas. Vous avez sans doute remarqué que je n'ai pas beaucoup changé depuis notre rencontre. Il semblerait que je sois tel que j'étais au moment de la transmutation, il y a quatre ans.
Izumi se pinça les lèvres, les sourcils froncés dans un mélange de colère et de réflexion intense.
- Pendant notre rétablissement à l'hôpital, Hugues, un militaire et ami, a enquêté plus avant sur le cinquième laboratoire et les Homonculus… Il a découvert une information cruciale. Jusque-là, nous connaissions trois Homunculus, qui se font nommer Lust, Wrath, et Envy. Il en existe un quatrième, qui porte le nom de Juliet Douglas, et qui n'est rien de moins que la secrétaire du Généralissime. Il a payé cette information de sa vie.
Mon frère fit une pause, croisa les doigts et s'autorisa un sourire, le premier depuis le début de cette discussion.
- Enfin, ça, c'est la version officielle. La vérité, c'est que j'étais présent au moment de l'attaque, et qu'avec la complicité du médecin qui s'était chargé de moi, on l'a sauvé de justesse. Pour protéger sa famille et laisser croire à nos ennemis que leur secret était bien gardé, nous avons falsifié sa mort. Il est en réalité en cavale à l'heure qu'il est, quelque part dans le Nord du pays, portant sans doute un faux nom. J'ai passé un marché avec Scar, qui a aussi eu des démêlées avec les Homonculus : celui de mettre en commun leurs connaissances. Hugues était là durant la révolte ishbale, il en a vu les tenants et aboutissants. Et ses recherches ont mis à jour que les Homonculus ont directement envenimé le conflit qui a abouti à la guerre que l'on connaît. Quant à Scar… Il semble en savoir plus que nous sur Lust et la pierre philosophale.
- Quelle alliance improbable… murmura-t-elle. Militaire et Ishbal contre un même ennemi. Tu n'as pas peur pour lui ?
- Bien sûr que si, à chaque instant, répondit-il honnêtement. C'est une alliance risquée et on ne peut pas dire que les Ishbals aient un quotidien tranquille… Je crains qu'il soit perpétuellement en danger de mort… Mais il sait se défendre, et c'était la seule solution pour qu'il leur échappe de manière durable tout en gardant sa famille en sécurité.
J'avais attrapé la carafe d'eau pour nous servir un verre chacun, toujours aussi silencieux. Mon frère m'avait raconté toutes ces choses, et même d'autres, mais l'entendre retracer ces dernières années à notre maître me donnait une vue d'ensemble et m'éclaircissait les idées. Entendre son résumé me faisait réaliser quel chemin chaotique nous avions emprunté ces dernières années. Je m'étais vraiment laissé embarquer là dedans ? J'avais du mal à croire que j'avais su encaisser toutes ces horreurs… Peut-être que vivre dans une armure m'avait endurci, d'une manière ou d'une autre ?
Edward m'adressa un sourire de remerciement en prenant son verre pour boire à grand traits, avant de reprendre son récit. J'avais cru surprendre de la culpabilité dans son regard, une fois de plus.
- Après ça, le Colonel Mustang, dont je dépends depuis mon entrée dans l'armée, a été muté à Central. J'ai fait une dernière mission pour le compte du QG Est, à Lacosta,
- Lacosta ? s'étonna-t-elle. Ils t'ont envoyé là-bas ?
- Oui, répondit-il d'une voix haché. Ce n'était pas une partie de plaisir mais j'ai réussi à régler l'affaire qui m'y avait amené, et je suis revenu à la capitale. J'ai été embarqué dans une ou deux missions assez… énergiques, on va dire. L'une d'entre elle a été d'arrêter Barry le Boucher. Je voulais le neutraliser et l'interroger pour en savoir plus sur le cinquième laboratoire, mais… je n'ai pas pu.
Il but quelques gorgés, le visage sombre. Je retrouvais dans son regard ce je-ne-sais-quoi qui le faisait paraître tellement plus vieux, et qui me faisait un peu peur.
- Je l'ai tué, murmura-t-il.
Izumi blêmit dans un mélange d'horreur et de compassion face à l'aveu. Elle ne nous avait pas enseigné l'alchimie pour que nous finissions comme ça.
Et moi, je ne voulais pas m'habituer à cette idée qu'il avait ôté la vie à d'autres personnes. Ce n'était pas un assassin, il n'avait fait que se défendre, chercher à survivre. Mais tout de même… Cette idée me glaçait. Même si nous n'en avions pas parlé, je sentais que ces évènements avaient jeté une zone d'ombre en lui, qu'il ne retrouverait jamais son innocence après ça. Et si moi, je devais tuer pour survivre, en serai-je capable ? Je ne savais pas, et j'étais incapable de dire laquelle des deux options me terrifiait le plus. Edward reprit la parole, chassant cette douloureuse question.
- Quand j'ai pu parler de nouveau de la situation à mon supérieur, il avait fait rassembler en secret des documents sur Juliet Douglas… Je les ai tous avec moi, fis-je en tapotant le sac en bandoulière qui ne le quittait plus. Mais je ne pense pas avoir besoin de tous vous les montrer en détail… Il suffit que… je…
Sa voix avait progressivement perdu toute son assurance, et il avait prononcé ces derniers mots en se tournant vers moi. Je compris à son expression bouleversée que ce qu'il s'apprêtait à annoncer à Izumi, il ne me l'avait pas encore dit. Je sentis mon cœur se serrer dans un mélange d'angoisse et de colère. Il m'avait encore caché quelque chose. À quoi bon faire des promesses s'il était incapable de les tenir ? Était-ce ce dont il voulait parler sur le toit, à Rush Valley, et que l'averse avait chassé ? Il ne l'avait plus évoqué par la suite, absorbé par ses rapports, renfermé, amer… Et il se décidait seulement maintenant à aborder de nouveau le sujet ?
- Pardon, Al… Je ne trouvais pas comment t'en parler, mais…
Je le toisai sans répondre, incapable de ne pas ressentir de rancune. Briser une promesse juste après l'avoir faite demandait plus qu'un petit mea culpa, surtout que je pressentais que ce qui allait suivre était important. Edward se pencha sur son sac pour l'ouvrir, me laissant suffocant sous le coup de l'attente. Le silence qui s'était abattu dans la pièce pendant ces quelques secondes pesait lourd sur mes épaules.
Je le fixai tandis qu'il glissait les mains dans la besace, en extirpant le carnet de Maman que je lui avais prêté. Il l'ouvrit à la fin et en tira quelque chose. Laissant le sac ouvert sur ses genoux, il nous tendit des papiers, un pour Izumi, un pour moi. Je tendis la main machinalement pour prendre l'image qu'il me donnait, les entrailles nouées par le malaise. Je baissai les yeux sur ce qu'il m'avait donné, une coupure de journal un peu jaunie qui titrait « Juliet Douglas promue secrétaire du Généralissime. En dessous, une photo. Mes yeux l'avaient à peine effleuré que le papier m'échappa des mains et tomba sur la table comme une feuille morte.
C'était comme un coup dans la poitrine. Je la reconnaissais, cette femme qui posait, en uniforme de l'armée aux côtés du Généralissime. C'était Maman. C'était impossible que quelqu'un d'autre ait un visage qui ressemble aussi parfaitement au sien. Je m'en souvenais trop bien pour en douter, et les photos qui parsemaient ses carnets étaient là pour me le garder en mémoire.
Si Juliet Douglas était un Homonculus, et si elle avait le visage de Maman, cela voulait dire que…
C'était de notre faute ?
Le choc était tel que j'en eus les larmes aux yeux. J'avais l'impression de me noyer, je n'arrivais plus à respirer. Et savoir qu'Izumi était juste en face de moi et me voyait m'empêtrer dans ma confusion ne m'aida pas à me calmer. Je sentis plus que je vis Edward poser sa main gauche sur mon épaule dans un geste de compassion. Sans complètement le vouloir, je m'écartai pour rompre le contact.
Son silence était une trahison que je n'arrivais pas à accepter pour le moment. En même temps que la tristesse et l'angoisse qui m'envahissaient, je sentis une profonde colère enfler en moi. Tous ces sentiments contradictoires me coupèrent le souffle et m'empêchèrent de penser.
- Je suis désolé, murmura-t-il de nouveau d'une voix rauque.
Les yeux fermés pour ne pas voir mes propres larmes couler, je sentis qu'il faisait un mouvement. Il avait sans doute pris la coupure de journal pour la placer en vue de notre Maître. Elle pourrait remarquer à son tour la similitude entre Maman et la secrétaire du généralissime. Je compris que c'était ça, la véritable raison pour laquelle il nous avait pressés d'aller à Dublith.
Et moi, pendant ce temps, je sanglotais comme un con dans le silence de mort de la pièce.
- Quand nous étions à Resembool, repris Edward d'une voix nouée mais ferme, Pinako nous a avoué ne jamais avoir enterré la chose que nous avions créée, pensant que nous l'avions fait disparaître par nous-mêmes… Alors, comme de tous les Alchimistes que je connais, vous êtes celle qui a le plus de chances de pouvoir répondre à cette question, je vous le demande : Comment naissent les Homonculus ?
J'avais la nausée. Je n'arrivais même pas à regarder cette idée en face : Est-ce que Edward et moi, nous avions créé un Homonculus ? Difficile de ne pas arriver à cette conclusion avec les preuves qui s'empilaient sous notre nez. Mais de là… à accepter cette idée… Non, je ne pouvais pas le croire.
Mais je savais que c'était vrai. Je n'arrivais pas à prendre toute la mesure de tout ce que cela représentait, mais l'interdiction officielle de tenter l'alchimie sur le vivant prit une dimension nouvelle. Ce n'était pas juste perdre un bras, une jambe, ou même tout son corps. C'était aussi créer un monstre.
Avec mon frère, j'avais créé un monstre.
Si choquant que cela puisse être, même si ça me révulsait, il fallait queje fasse face à cette idée, si je voulais qu'un jour on me traite en adulte. Alors je reniflai, essuyai mes larmes, ravalai ma colère pour Edward et écrasai ma peur pour lever les yeux vers notre Maître.
Alors, seulement, je réalisai qu'elle n'avait pas répondu à la question qu'avait posée mon frère. Je vis dans son regard qu'elle était aussi bouleversée que moi, et je ne compris pas tout de suite pourquoi.
Il fallut que je fasse rouler de nouveau dans ma tête les mots qu'avaient prononcés Edward pour comprendre.
« De tous les Alchimistes que je connais, vous êtes celle qui a le plus de chances de pouvoir répondre à cette question. »
La vérité me frappa. Comment avais-je pu ne pas le réaliser plus tôt ? Elle qui, comme Edward, transmutait à mains nues. Elle qui s'arrêtait quelquefois de nous frapper pour cracher du sang. Elle qui, derrière sa force et sa sévérité, avait toujours caché une profonde tristesse…
Elle aussi.
La surprise balaya ma tristesse, et j'ouvris la bouche malgré moi. Tout semblait si limpide. Je la regardai droit dans les yeux, trouvant le reflet des miens. Colère, choc, culpabilité. Comprendre aussi bien celle qui m'avait terrifié des années durant avait quelque chose de perturbant.
La suite logique de ma découverte découlait d'elle-même. Je tournai la tête vers la porte fermée derrière nous. Izumi avait eu le même geste.
Si Juliet Douglas était le résultat de notre tentative de faire revivre Maman…
…Qui était cet Homonculus que nous avions recueilli ?
Les bouleversements auxquels nous faisions face n'avaient pas troublé le silence de la pièce. Edward, lui, scrutait le visage de notre Maître, les lèvres serrées, sans rien ajouter. Je compris qu'Edward avait terminé de raconter ce qu'il avait à dire. Je compris aussi qu'Izumi ne nous frapperait pas aujourd'hui, même si elle en avait eu envie à plusieurs reprises durant le récit d'Edward. Maintenant qu'elle faisait face à l'ensemble de la situation, la colère qu'elle avait envers nous s'était évanouie. Elle prit trois inspirations très profondes, comme pour compter les secondes qu'elle se donnait avant de se jeter à l'eau.
- Tu confirmes mes pires craintes. J'aimerais pouvoir t'expliquer précisément ce qui s'est passé, et ce que nous devons faire, mais je dois être honnête… Tout cela me dépasse.
Je ne m'attendais pas à cette réponse. Cette adulte en qui j'avais parfaitement confiance, voilà qu'elle se révélait aussi impuissante, aussi ignorante que nous. Un pan de ma vie s'effondra avec cette découverte. Edward, à côté, devait se dire la même chose.
- J'ai un recours, malgré tout… C'est celui d'en parler à mon propre Maître.
Edward et moi nous redressâmes, étonnés de l'entendre en parler, qu'elle n'avait évoqué que de temps à autre. A son expression, je compris que ça ne l'enthousiasmait pas.
- L'idée a l'air de vous déplaire, murmurai-je.
Elle sursauta, visiblement surprise de se savoir aussi lisible tout à coup, et tourna la tête vers moi.
- Honnêtement, Dante est une personne de talent, et je ne regrette pas d'avoir suivi son enseignement… mais la dernière fois que je l'ai vue, je suis partie de chez elle en claquant la porte. Certains choix qu'elle a fait me déplaisent fortement.
J'échangeai un coup d'œil avec Edward. Quel genre de personnage pouvait être cette Dante ? Le portrait qu'en dressait Izumi à demi-mot n'était pas vraiment flatteur… D'un autre côté, nous étions bien placés pour savoir qu'Izumi pouvait parfois être rigide dans ses principes.
- Si vous pensez qu'il est possible de reprendre contact avec elle, fit Edward d'une voix hésitante, cela pourrait beaucoup nous aider. A titre personnel, pour ce qui concerne mon corps, et la mémoire d'Al, mais aussi pour mieux comprendre les tenants et aboutissants de ce qui se passe dans le pays…et qui pourrait avoir de lourdes conséquences.
Notre Maître avait les sourcils froncés, et hocha la tête à contrecœur.
- Je ne promets rien, étant donné la manière dont s'est passé notre dernière discussion, mais je peux essayer de la revoir…
Quelqu'un toqua à la porte, coupant notre discussion. Izumi appela à entrer, et Winry passa sa tête dans l'entrebâillement.
- Monsieur Curtis ne retrouve pas le rôti réservé pour Madame Green et m'a demandé de vous demander si vous saviez ou il était.
Izumi soupira avec une expression qui mêlait lassitude et satisfaction. Après une conversation pareille, gérer les choses triviales du quotidien avait quelque chose de réconfortant.
- Ahlala, mon cher mari ne peut donc pas se passer de moi, lança-t-elle d'un ton taquin qui dissimulait bien l'impact qu'avait eu notre discussion. Il sait pourtant où sont rangées les commandes !
Comme elle se levait, elle croisa nos regards interrogateurs. La conversation prenait fin de manière un peu abrupte, et nos questions restaient sans réponse… Mais je devais avouer que j'étais encore un peu trop choqué pour y réfléchir posément.
- Je crois qu'on a tous besoin de mettre un peu nos idées au clair avant de continuer cette discussion. Faites-vous une petite séance d'entraînement tant que la nuit n'est pas tombée, et on en reparlera après le repas, d'accord ?
Ce n'était pas vraiment une question. La silhouette vêtue de blanc d'Izumi quitta la pièce d'un pas naturel, nous laissant seuls avec Winry qui nous regarda avec une curiosité attentive. Comme elle croisait mon regard, je compris que j'avais encore les yeux rouges, et que cela m'avait sûrement trahi.
- Pas de passage à tabac ? demanda-t-elle simplement.
- Pas cette fois-ci, il faut croire, répondit mon frère avec un soupir de soulagement mal dissimulé.
- Tant mieux. Je risquais de ne plus être capable de vous reconnaître si elle vous avait encore frappés. Vous allez en profiter pour vous reposer un peu, du coup ?
- Hum…
Nous échangeâmes un regard. Nous reposer, ça ne nous faisait pas vraiment envie. Il fallait bien évacuer la tension qu'avait fait naître cette discussion quelque part, et rester inactif risquait de me faire ressasser cette désagréable découverte durant des heures. L'idée de combattre un petit peu dans le jardin des Curtis ne paraissait pas si mauvaise certes, j'étais plus petit, et sans membres en métal, le combat promettait d'être salement déséquilibré… Mais pour être tout à fait honnête, j'avais vraiment envie de frapper mon frère en cet instant précis.
- Du coup… on s'entraîne ? proposa Edward, sans doute pas tout à fait conscient de ce qui se passait dans ma tête.
- Izumi a raison, il ne faut pas se ramollir, hein ? fis-je en fermant les yeux d'un air faussement tranquille.
Je me levai en dissimulant mon impatience, suivit de près par Ed, qui passa devant Winry. Celle-ci aplatit une main désabusée sur son front.
- Vous ne pouvez pas passer une journée sans baston ou quoi ? lança-t-elle d'un ton dépité.
Edward ne répondit pas en poussant la porte donnant sur le jardin, et je me tournai vers elle, conscient que ne pas lui répondre du tout serait un peu vexant.
- Il ne faut pas perdre l'entraînement !
- Je ne vous comprendrai jamais, vous savez ça ? demanda Winry d'un ton agacé.
Elle avait fini de me soigner et s'occupait maintenant d'Edward, qui serrait les dents tandis qu'elle appliquait du désinfectant sur une plaie de son coude. Elle avait été le témoin désabusé de notre combat, et même si j'avais eu la fierté de réussir à prendre le dessus par moments sur mon frère, malgré sa taille et ses automails, elle me jetait des regards las et totalement dépourvus d'admiration.
- Il faut bien qu'on s'entraîne, non ? On ne sait pas quelle est la prochaine fois où on sera confrontés à nos ennemis, il ne faut pas perdre la main.
- C'est vrai ! En plus, j'ai perdu l'entraînement, il faut que je recommence à le battre, ajoutai-je d'un ton résolu en le montrant du doigt.
Je ne lui avais pas pardonné sa dernière cachotterie, mais je devais admettre qu'une séance de combat en plein air m'avait remis les idées en place. Malgré les contusions et le mal de tête, je me sentais mieux. J'avais sans doute réussi à évacuer une partie de mes sentiments les plus négatifs durant le combat de tout à l'heure.
C'était sans doute très mesquin, mais quand mon regard tomba sur sa lèvre fendue, je ne parvins pas à éprouver les remords que j'avais habituellement après avoir frappé mon frère. Il avait rompu sa promesse. De nouveau. En croisant son regard, je compris qu'il l'avait bien senti, et qu'il n'avait pas non plus retenu ses coups, sans doute à cause de mon comportement avec le garçon retrouvé sur l'île. Bref, il y avait de la rancune dans l'air.
- Si vous êtes épuisés et à moitié morts le jour où les Homonculus débarqueront, ils ne feront qu'une bouchée de vous… Vous y avez pensé, à ça ? soupira la blonde en posant un dernier morceau de sparadrap. Edward, après tout ce que tu as subi pendant ton séjour à Central, tu ne voudrais pas plutôt te reposer ?
- Je suis déjà en pleine forme, grinça mon frère en se redressant. Mais si tu tiens tant à ce que je me repose, je vais aller faire un tour dans la bibliothèque d'Izumi en attendant le dîner. A plus !
Il traversa la pièce d'un pas un peu boiteux qui laissait deviner qu'il avait plus mal qu'il ne voulait le montrer, puis ferma la porte derrière lui, me laissant seul avec Winry.
- Quelle mouche vous pique ? demanda-t-elle en tournant vers moi un visage mécontent.
- Je ne vois pas de quoi tu parles, mentis-je. Tu sais bien qu'on se bat tout le temps.
- Je sais que vous vous battez souvent. Mais pas comme ça.
La réponse avait fusé du tac au tac. Et moi, je ne savais pas quoi répondre. Elle nous connaissait sans doute trop bien, malgré nos longues périodes d'absence, pour que je puisse la berner.
- Tu veux la version courte ou la version longue ?
- La version courte me suffira, je pense, fit-elle occupée à ranger la trousse de premiers secours qu'elle avait empruntée à Izumi.
- Tu devrais prendre une chaise quand même, suggérai-je.
Elle tourna la tête vers moi, comprenant à travers cette phrase à quel point que ce que j'avais à lui dire était sérieux, puis obéit et s'assit en face de moi, prête à m'écouter. Qu'elle me prenne un peu au sérieux me faisait du bien.
- Tu as raison, ça ne va pas fort entre nous. Il m'en veut parce que je me suis comporté de manière trop amicale envers le garçon qu'on a rencontré sur l'île.
- Il n'a pas passé l'âge des crises de jalousie ? s'indigna Winry en fronçant les sourcils.
- Ce n'est pas de la jalousie, c'est un peu plus sérieux que ça. Je ne crois pas que tu l'as remarqué, mais il a un tatouage d'Ouroboros sous le pied droit.
La blonde écarquilla des yeux ahuris. Manifestement, elle ne l'avait pas remarqué.
- Vous pensez que c'est un Homonculus ? chuchota-t-elle en lançant un coup d'œil vers la porte, soudainement angoissée de le savoir ici avec nous.
- Oui. J'en suis même sûr. Mais ce dont je ne suis pas convaincu, c'est que ce soit un ennemi.
- Oh… Je vois. Et Edward n'est pas d'accord avec toi ?
- Exactement.
- Ça explique pourquoi il t'en veut, mais toi… ?
J'esquissai un sourire sans joie en me disant qu'elle nous connaissait vraiment trop bien. Elle avait compris que ce n'était pas une raison suffisante pour que je sois réellement en colère contre Edward.
- Et moi, je lui en veux, parce qu'il m'a dissimulé des preuves que notre transmutation a eu d'importantes conséquences.
Elle planta ses grands yeux bleus dans les miens, attendant plus de détails. Mais en ouvrant la bouche pour lui expliquer que nous avions effectivement créé un Homonculus ayant l'apparence de notre mère, ma bouche devint pâteuse, et je me rendis compte que j'étais incapable de dire cela à voix haute. J'avais la gorge trop nouée.
- Pour que ça vous mette dans cet état, je ne suis pas sûre de vouloir le savoir, murmura Winry d'une voix douce.
- Juliet Douglas, murmurai-je. Elle a… l'ap - l'apparence de Maman, murmurai-je d'une voix sourde.
Je n'allais pas pleurer de nouveau. Pas devant Winry. Je n'avais pas envie d'être traité comme un gamin par mon amie d'enfance. Je serrai les dents, et cette fois-ci, je tins bon. Elle mit quelques secondes à prendre la mesure que je disais, mais elle devina la direction qu'avaient prise nos pensées et porta à sa bouche une main horrifiée. En regardant sa mine choquée, je songeai qu'Edward lui aurait sûrement caché la vérité s'il l'avait pu. Eh bien, trop tard. Au moins, elle aussi, elle savait.
Je ne m'attendais pas à ce qu'elle se lève et me serre contre elle. Sentir ses bras m'enlacer fit aussitôt disparaître le froid qui m'envahissait quand je pensais à Juliet Douglas, et je fermai les yeux pour nicher ma tête au creux de son cou, bercé par sa chaleur, son odeur et ses cheveux qui me chatouillaient le nez. Mon cœur battit un peu plus fort contre mes côtes, et c'est d'une main un peu tremblante que je me raccrochai à elle. Sa présence était profondément apaisante, et je me dis avec une pointe de tristesse que j'aimerais avoir plus souvent l'occasion d'être dans ses bras.
Je sentis qu'elle me tapotait le dos de sa main libre, et demanda :
- Ça va mieux ?
- Oui, murmurai-je.
La sentir contre moi avait fait s'envoler tous mes soucis. J'aurais voulu que le temps s'arrête mais à l'instant même où je formulai ces mots dans ma tête, elle me relâcha en me jetant un sourire.
- Tant mieux. Je n'aime pas vous voir comme ça, tous les deux.
Je hochai la tête, tâchant de masquer ma déception.
- Je me demande ce que fait notre « invité », fit-elle pour elle-même à voix haute. Tu veux bien voir ou il est ? Je vais voir Edward, je suppose qu'il a autant besoin que toi de parler.
Je m'étais déjà levé, et me mordis la lèvre à ses mots. Soudainement, j'avais l'impression d'avoir été expédié. A l'idée qu'elle fasse preuve de la même douceur envers lui, je sentis une nouvelle bouffée de colère remonter. Je tâchai de ne rien en laisser paraître.
Comme il me paraissait important à moi aussi de savoir ce que devenait l'Homonculus, je traversai le couloir en regardant ici et là où il pouvait être.
Est-ce que j'étais jaloux ?
Il n'était pas dans la pièce où nous avions parlé avec Izumi tout à l'heure, pas dans la cuisine, ni dans la chambre froide…
Ou plutôt, de qui j'étais jaloux ?
Entre l'idée qu'Edward annonce spontanément à Winry les choses qu'il m'avait cachée, et celle que Winry le serre dans ses bras comme elle l'avait fait avec moi à l'instant, je ne savais pas ce qui m'irritait le plus.
J'arrivai finalement dans l'arrière-boutique, et trouvai le garçon aux cheveux noirs assis, en train de couper une guirlande de saucisses pour les mettre soigneusement dans une boîte sous l'œil attentif de Sig Curtis.
L'homme était grand, barbu, massif, et taciturne. Il donnait une première impression de sévérité qui était en fait assez trompeuse. C'était quelqu'un de profondément gentil, un peu timide, sans doute. En les regardant côte à côte, observant l'enfant levant de grands yeux en quête d'approbation, l'adulte hochant la tête, je ne pus m'empêcher d'avoir cette pensée.
« On dirait un père et son fils. »
- Hé, tu as vu ? Je travaille !
C'était à moi qu'il s'était adressé avec un large sourire, remarquant ma présence. L'exclamation était pleine de fierté, comme l'aurait fait un petit enfant. Je compris qu'en disant cela, il le prenait comme un jeu qu'il s'appliquait pourtant à faire. J'avais beau essayer, je n'arrivais pourtant pas à voir en lui un monstre. Il était mystérieux, et je savais qu'il était logique de s'en méfier, mais… sans doute parce que, contrairement à Edward, je n'avais pas les souvenirs du cinquième laboratoire pour distiller la peur chez moi, je n'arrivais pas à le voir comme un ennemi. Je me laissais prendre à rêver, peut-être, que cet Homonculus, puisque tout laissait à croire qu'il en était réellement un, pourrait au contraire compter parmi nos alliés.
Izumi arriva derrière moi, et je me poussai pour la laisser entrer dans la pièce.
- Alors, tout va bien ? demanda-t-elle à Sig.
- Oui. Il se rend utile, bougonna-t-il.
C'était déjà une longue phrase de sa part.
- Al, tu peux aller chercher les autres ? demanda Izumi. On va se mettre à table.
- Oui, répondis-je d'un ton obéissant avant de quitter la pièce sous son regard un peu trop appuyé.
C'est vrai.
Edward avait la lèvre fendue, mais moi, j'étais bien parti pour avoir un nouvel œil au beurre noir. Même si elle nous avait bien maltraités, elle n'était pas responsable de ces marques-là.
En montant les marches, je me demandai si elle avait remarqué notre dispute. Sans doute, oui. C'était une personne attentive, et elle nous connaissait depuis assez longtemps pour voir quand quelque chose clochait. En arrivant sur le pallier, je me demandai si j'allais trouver mon frère dans les bras de Winry. Je serrai la mâchoire la mâchoire et les poings. Pourquoi cette idée me nouait autant la gorge ?
Arrivant devant la bibliothèque, je toquai à la porte avec une pointe d'inquiétude. La voix d'Edward me répondit. Je passai le seuil et le trouvai assis par terre, adossé à un étagère, lisant, les sourcils froncés. Winry n'était pas là.
- On va se mettre à table, annonçai-je froidement.
- Ok, lâcha-t-il machinalement sans lever les yeux de son ouvrage, le visage fermé.
- Tu viens ? insistai-je.
- J'arrive, répondit-il d'une voix plus grave, presque grondante.
On aurait dit un chat sauvage. Je savais que tôt ou tard, nous devrions avoir une discussion, mais je sentis que le moment était mal choisi. Je repartis sur mes pas et me retournai au moment de sortir.
- Où est Winry ?
Il haussa les épaules.
- J'sais pas. Dans sa chambre, je suppose.
Je ressortis dans le couloir, comprenant que je n'obtiendrais rien de plus. Chaque syllabe qu'il avait lâchée faisait sentir à quel point il était de mauvaise humeur. Quoi qu'ils se soient dit, ça n'avait rien arrangé. Je n'étais pas arrivé au bout du couloir que j'entendis des sanglots étouffés filtrer de la porte entrouverte.
- Winry ?
J'entrai dans la pièce à pas hésitants. Elle était allongée sur son lit, dos à la porte.
- Ça ne va pas ? demandai-je maladroitement.
Bien sûr que ça ne va pas, ça se voit imbécile ! pensai-je aussitôt.
- Non, murmura-t-elle d'une voix étouffée, sans faire un geste vers moi.
- Je peux faire quelque chose ?
- Toi, non, répondit-elle d'une voix sourde.
Cette phrase fut comme un petit coup de poing dans les côtes. Pourtant, je m'approchai et m'assis sur le rebord du lit, résolu à essayer de la réconforter. Abattu de tristesse de la voir dans cet état, je posai une main compatissante sur son épaule. Je ne savais pas ce qui s'était passé quand elle avait parlé avec Edward, mais le résultat n'était pas glorieux. Ils s'étaient disputés ? A cause de quoi ? De moi ?
- Il n'a rien voulu dire, bredouilla-t-elle. Je veux l'aider, le soutenir, et il ne me dit rien. Je m'échine à me surpasser pour lui offrir les meilleurs automails possibles, et il me traite d'emmerdeuse. Je me demande si je sers vraiment à quelque chose dans tout ça…
- Tu n'es pas une machine, tu n'es pas là pour servir à quelque chose, murmurai-je, la gorge serrée, tout en sachant que cette phrase ne lui apporterait aucun réconfort.
La main que j'avais posée sur son épaule s'égara à caresser ses cheveux blonds qui cascadaient sur le lit.
- Je suis là pour quoi, alors ?
- Je sais pas, vivre ?
Je l'entendis pouffer de rire ironiquement dans les plis de son oreiller.
- C'est un peu vague, non ?
- Tu aides beaucoup de monde. Toutes les personnes pour qui tu as fait des automails, tu as changé leur vie. Quand tu as fabriqué des nouveaux membres pour Edward, tu l'as sauvé. Il est trop fier pour te l'avouer, mais tu l'as sauvé. Et moi… Moi aussi, tu m'aides, murmurai-je.
J'avais envie de l'embrasser. Cette pensée, limpide et inattendue, me tomba dessus comme un coup de massue. Je clignai des yeux, chassant cette idée envahissante pour écouter ce qu'elle avait à dire. Il serait toujours temps pour moi d'y penser plus tard. Pour l'instant, seule Winry importait.
- Ce n'est pas… murmura-t-elle. Je voudrais tellement… qu'il… retrouve son corps…
- Tu n'es pas la seule, répondis-je en souriant tristement.
- Je sais. Mais moi, c'est parce que je… C'est que… ça fait longtemps que j'espère… qu'il…
Il y eut un long silence, à peine troublé par le souffle du vent à l'extérieur. Je lisais entre les lignes de ce qu'elle ne disait pas, tâchant de faire taire des pensées qui me troublaient un peu trop.
- … Laisse tomber, fit-elle finalement après ce moment suspendu. C'est stupide de ma part.
Je hochai la tête, reposai sagement sur mes genoux la main qui s'était égarée dans ses cheveux. J'avais honte.
- Non, chuchotai-je. Je comprends.
En fait, je le comprenais trop bien. J'y avais déjà pensé, en la voyant, et je m'étais posé la question un paquet de fois… mais maintenant, c'était devenu une certitude.
Elle était amoureuse d'Edward.
Et moi, j'étais amoureux d'elle.
Si j'étais jaloux, ce n'était pas que de mon frère.
Pour mon malheur.
Parce que je savais que face à Edward, je n'avais aucune chance. Moi, l'éternel second, le gamin, j'étais et je resterais dans l'ombre de mon frère. Même avec la barrière de son apparence féminine, je ne valais rien à côté de lui. Winry ne me regarderait même pas. Elle ne me remarquait jamais. J'étais et je resterais bloqué en arrière, et mon corps enfantin n'arrangerait rien.
Je m'accoudai à mes genoux, encaissant péniblement la réalité. Elle n'avait rien eu besoin de dire pour que je me sente comme le dernier des crétins. Comme si elle pouvait me considérer autrement que le petit frère… J'en avais presque oublié pourquoi j'étais venu en premier lieu. Cette pensée me revint et le sens du devoir m'aida à ne pas perdre complètement la face.
- En fait… on va manger, annonçai-je d'une voix la plus neutre possible. Je vais redescendre devant, pour te laisser le temps de… te ressaisir. Mais tu viendras, hein ?
- Oui.
J'esquissai un pauvre sourire. « Courage », avais-je envie de dire, mais je ne savais plus trop si ce mot s'adressait à elle ou à moi-même. Je me relevai délicatement et quittai la pièce à pas de loup, les lèvres tremblantes, les yeux humides de larmes retenues. Mon frère me faisant la gueule, Winry en larmes, et un Homonculus dans la maison… que pouvait-il se passer de pire ?
Ironiquement, beaucoup de choses… Cette réalité me poussa à me raffermir, et j'essuyai mes yeux d'un revers de manche en tâchant de retrouver mon aplomb. En descendant machinalement les marches de l'escalier, j'essayai de faire le point sur la situation en prenant un peu de distance. On dirait bien que j'étais amoureux de Winry, ce qui n'était pas vraiment surprenant quand on y réfléchissait. Mais Winry était manifestement amoureuse d'Edward. Et Edward…
J'arrivai dans la cuisine où la discussion était animée. Izumi se moquait de mon frère qui tempêtait comme à son habitude, sous les rires de l'Homonculus qui devaient l'agacer encore plus. J'observai mon frère, son visage écorché, sa lèvre fendue, son regard brillant d'indignation, avec une espèce de flottement distant.
Et Edward, comment se situait-il par rapport à tout ça, au juste ?
