L'heure du nouveau chapitre est arrivé ! Je ne sais pas sur qui vous aviez parié, mais ce qui est sûr, c'est que c'est Jean Havoc qui prend la parole ce soir pour un chapitre assez... énergique. J'espère que vous prendrez autant plaisir à le lire que j'en ai eu à l'écrire.
Pas d'illustration pour l'instant, pas que je ne veuille pas illustrer ces derniers chapitres (au contraire, je n'ai pas oublié que je vous dois une illu d'Ed habillé en meringue rose ! xD ) mais je déménage dans 15 jours, et OMG ! Il me reste tellement de cartons à faire ! . Pour couronner le tout, dans 3 semaines, je serai à Fugu Chaulnes. C'est une petite convention en Picardie (une heure au nord de Paris) à l'ambiance très sympathique, qui aura lieu le weekend du 11/12 mai. Si vous êtes dans le coin, n'hésitez pas à passer me voir, je suis toujours ravie de papoter IRL !
Sinon, une campagne Ulule se prépare pour un recueil de BD sur le thème de la musique, auquel j'ai participé avec un one-shot de 24 pages de BD couleur... mais ça, je vous en parlerai la prochaine fois, quand elle sera en cours ! ;)
Je vous laisse lire et vous dit à dans 3 semaines pour la suite des aventures ! ;)
Chapitre 48 : Partir à l'assaut (Jean)
Le train fusait sur les rails dont les irrégularités nous faisaient bringuebaler. En jetant des coups d'œil par la fenêtre, je constatai que le temps ne semblait pas se découvrir. Allions-nous devoir nous battre demain sous une pluie torrentielle ? L'idée ne réjouissait personne.
En route pour East city en prévision de l'attaque du front de l'Est, nous voyagions en civil pour ne pas trop attirer l'attention, et ces vacances qui n'en étaient pas me laissait une impression de flottement désagréable. Falman, Fuery et Breda jouaient au cartes, tandis que je m'étais calé pour faire une sieste, bercé par le roulis du wagon mais incapable de m'endormir complètement.
La porte de notre compartiment s'ouvrit, laissant passer une brunette que je finissais par bien connaître.
- Oh, bonjour Hayles ! fis-je en la voyant.
- Bonjour Havoc, Breda, Falman, Fuey, Allan… Byers…
Alors qu'elle nous avait salué plutôt chaleureusement, son ton était devenu glacial quand son regard était tombé sur le militaire.
Celui-ci releva la tête et répondit avec un sourire un tantinet moqueur.
- Bonjour la miss.
- Vous savez ou est le Lieutenant Kramer ? fit-elle en l'ignorant. J'ai un message à lui transmettre.
- Ça… Il doit être en première classe, avec Hawkeye, Mustang et compagnie ! répondit Breda. Vers les wagons quatre ou cinq, je pense.
- Merci, fit-elle en filant dans la direction indiquée.
Elle avait refermé la porte aussi brutalement qu'elle avait clos la conversation, et je regardai la vitre donnant sur le couloir en clignant des yeux deux ou trois fois.
- Hé bien…
- Elle est carrément plus bavarde d'habitude, commenta Breda.
- Oui, fit Fuery d'un ton un peu triste. Je pensais qu'elle allait rester discuter avec nous.
- Il faut croire qu'elle était pressée, répondit Falman d'un ton un peu indifférent.
- Rhoh, toi tu l'aimes pas, de toute façon, marmonna le gros rouquin qui lui faisait face.
- Ce n'est pas que je l'aime pas. C'est juste que contrairement à d'autres, je ne deviens pas complètement niais en sa présence.
- Tu vises quelqu'un en particulier ? demandai-je en me sentant rougir.
Je devais admettre que la jolie brunette ne me laissait pas totalement indifférent.
- Pas Fuery je suppose, il est tout le temps niais ! commenta Breda tout en pensant sans doute la même chose que moi.
- Hé ! se rebiffa le petit binoclard.
- Bah, c'est pas faux, mister Chouquette !
- Eh, toi aussi tu l'aimes bien Hayles !
- Hé bien, Havoc, je ne te savais pas comme ça, taquina Breda. Déjà que tu cours après Hawkeye…
- Je ne cours pas après Hawkeye, grognai-je entre mes dents.
En me voyant rougir jusqu'aux oreilles, Fuery et les autres partirent en franc fou rire.
- C'est tellement facile de te charrier, commenta Breda. En même temps, si tu ne tentes pas de la draguer, pourquoi tu passes autant à lui parler ?
- Ça ne vous vient pas à l'idée que je peux juste apprécier de lui parler ?
J'avais grommelé ces derniers mots sans trop d'espoir, mais l'argument sembla suffisant puisque les autres cessèrent provisoirement de se moquer pour reporter l'attention sur leur partie de cartes.
En vérité, ce n'était pas pour cette raison que je parlais à Hawkeye, nous n'avions pas tant de sujets communs en réalité… mais nous en avions un qui suffisait largement : il s'appelait Edward Elric. Elle avait mangé avec lui, ou elle, pas plus tard qu'hier, et j'étais curieux de savoir ce que devenait ce gamin qui avait réveillé mon amour fraternel.
Elle m'avait avoué qu'elle était méconnaissable. Si je connaissais son secret, pour avoir vu de mes yeux les bouleversements apportés à son corps, j'avais encore du mal à m'habituer à l'idée. J'avais fait beaucoup d'efforts pour mettre ce fait de côté et le considérer comme la personne qu'il était toujours, et maintenant, je devais me faire à sa nouvelle identité, celle de Bérangère Ladeuil, cousine de Riza, aspirante danseuse de vingt-et-un ans. En essayant d'imaginer ce à quoi Edward pourrait ressembler une fois travesti, je devais admettre que la ressemblance avec Hawkeye devait être assez convaincante.
- Quand même, elle est mignonne Hayles, commenta Fuery.
- Carrément mignonne… je ne sais pas à combien de personnes elle a fichu un râteau depuis son arrivée dans l'armée, mais doit y en avoir un paquet ! ajouta un des militaires qui s'étaient joints à nous le temps du trajet.
- Elle a un copain ? demandai-je un peu précipitamment.
- Je crois pas, non… en tout cas on en a jamais entendu parler.
- Tout n'est pas perdu alors !
Il y eu un éclat de rire, auquel j'eus du mal à participer. Le regard qu'elle avait jeté à Byers lui ressemblait si peu qu'il m'avait laissé mal à l'aise. Je ne l'avais jamais vu agir aussi froidement, et je me souviens que Hawkeye avait eu la même défiance envers lui pendant l'enquête sur Mary Fisher. Qu'avait-il fait que j'ignorais ?
- Bon, j'attends de voir qui sera le prochain à tenter sa chance avec elle, pour donner du grain à moudre pendants les repas du réfectoire.
- Oh, en parlant de potins ! s'exclama un soldat. J'en ai un qui vaut le détour !
- Ah ! fit Fuery en se retournant.
- T'es sûr que c'est pas un truc tout moisi comme la dernière fois, Allan ? fit son collègue d'un ton moqueur.
- Non, c'est du lourd, ça s'est passé pendant l'enterrement de vie de garçon de Kramer.
- Ouh, c'était sale comme soirée, non ?
- Je ne sais pas, je n'y étais pas, mais il paraît que les trois quarts des invités on finit par vomir tellement ils avaient forcé sur l'alcool.
- Erk, commenta Fury avec une grimace. Charmant.
- Et du coup, il s'est passé quoi pendant l'enterrement de vie de garçon de Kramer ?
- Beaucoup de choses, j'imagine.
- Alors, c'est le Sergent-chef Maxence qui me l'a raconté. Vous savez, le Colonel Mustang était invité par Kramer…
J'eus un demi-sourire en entendant Allan prononcer le nom de Mustang avec autant de déférence. Moi qui avais travaillé avec lui, je pouvais dire qu'il n'avait pas toujours cette aura de respect qu'ils lui attribuaient. Surtout ce dernier mois ou il avait globalement été d'une humeur de chien. Il nous en avait fait voir des vertes et des pas mûres, au point que nous avions pris l'habitude de l'éviter autant que possible. Même si je comprenais, en partie au moins, les raisons de sa mauvaise humeur, ce n'était pas une raison pour qu'il se fasse les nerfs sur son équipe !
Je lui en voulais encore pour la manière dont il m'avait ordonné d'enquêter sur le Lys d'Or, m'obligeant à me rendre au bordel, à… Je ne voulais pas y penser, pour un romantique que moi, cette idée était humiliante, et la situation m'avait laissé un trou dans l'estomac. Face à Edelyn, la fille des photos, une gamine aussi jolie que désespérée, je m'était senti impuissant, monstrueux. Je lui avais donné de l'espoir, et à présent, je devais l'abandonner, la laisser là, pour qui, pour quoi ? Parce que Mustang avait décidé que c'était la meilleure décision.
- Les témoins, pour l'occasion, il avaient fait venir une cake dancer.
Je repris pied avec la conversation, réalisant à quel point j'avais dérivé.
- De quoi tu parles ?
- Tu sais, c'est les filles qui arrivent planquées dans des gâteaux géants et sortent par surprise.
- Oh mon dieu, ça a un nom ça ? ! m'exclamai-je, déja bien étonné par l'idée.
- Ouais, ça se fait en tout cas !
- Je pensais même pas que ça existait…
- J'aimerai bien, tiens… une petite brunette qui jailli d'un gâteau…
- Une brunette genre Hayles c'est ça ?
- Bref, il s'est passé quoi du coup ? demandai-je, curieux malgré moi.
- Bah la fille est sortie et a fait sa choré, comme prévu. De ce que j'ai pu en entendre elle était plutôt mignonne ! Et quand elle a fini de danser, les lumières se sont rallumées, elle a vu Mustang, et direct, elle s'est taillée en courant !
- Sérieux ?
- Mustang qui fait fuir les filles, c'est une première !
- Une de ses exs, peut-être… Il en a tellement !
- Je sais pas, pour celles que je connais, il a l'air de garder de bonnes relations avec elles, fit remarquer Falman en se grattant le menton.
- Ah bon ? Je pensais qu'un tombeur pareil était du genre à se les taper et à ne jamais rappeler après ?
- Tout le monde n'est pas comme toi Byers ! répliqua Allan en riant.
- Je suppose que c'est pas pour rien qu'il continue à tomber les filles… s'il se comportait trop en connard avec elles, ça finirait par se savoir et elles ne voudraient plus ne serait-ce que l'approcher.
- Bah, c'est peut-être ce qui est en train d'arriver, justement, fit remarquer Breda.
- Ça m'étonnerait, répondit Fuery. Mustang est un bon gars.
- Je… je n'aurai jamais pensé à utiliser ces mots là pour parler de lui, commentai-je, arrachant des rires à mes collègues.
Le train ralenti pour s'arrêter à la gare d'Awbuth, annonçant deux minutes d'arrêt.
- Quelqu'un pour se dégourdir les jambes et en griller une avec moi ? demandai-je en m'étirant.
- Seulement si tu m'en files une, répondit moqueusement Byers.
- Profiteur !
Bon camarade, je lui tendis tout de même une cigarette en descendant sur le quai. Nous passâmes la pause à partager mon parapluie en discutant vaguement de nos techniques d'entrainement, puis nous éteignîmes nos cigarettes pour remonter à la hâte quand le train siffla pour annoncer son départ. En passant dans le couloir, je croisai Hawkeye qui se dirigeait vers l'avant du train.
- Ah, Lieutenant, je voulais vous parler, m'exclamai-je en la voyant.
Elle hocha la tête en guise de réponse, et jeta un regard glacial à Byers. Celui-ci ne se départit pas de son sourire et passa dans le couloir d'un pas fier qui avait un je-ne-savais-quoi de provoquant, pas plus inquiet de ça d'être fixé par ses yeux ambrés. Si c'était moi qu'elle avait regardé comme ça, je me serais ratatiné d'angoisse. Finalement, la porte du compartiment se referma derrière le militaire et la blonde tourna la tête vers moi.
- J'ai loupé quelque chose avec Byers ?
- … Non, fit-elle d'un ton plus raide que d'habitude.
Même le nigaud que j'étais compris qu'elle mentait, mais je ne me voyais pas insister.
- Vous vouliez me parler ? rappela-t-elle.
- Oui… En fait, je me demandais, vous pensez qu'il y aurait moyen de revoir E… votre cousine ?
Elle m'adressa un regard franchement surpris.
- Me regardez pas comme ça, moi aussi je l'aime bien. Je me demande ce qu… ce qu'elle devient depuis le temps.
- Je ne sais pas si c'est très raisonnable, fit-elle en s'appuyant à la paroi des compartiments pour ne pas perdre l'équilibre. Ça attirerait beaucoup l'attention.
- Oh, je ne veux pas lui attirer des problèmes, hein ? Je pensais juste que ça pourrait être sympa…
- Je ne sais pas… Elle a un peu de mal à assumer tous ces changements… J'ai déjà mis du temps ne serait-ce que pour la revoir, alors…
- Je comprends, j'aurais sans doute du mal à sa place aussi, admis-je en me grattant l'arrière du crâne. Laissez tomber, c'était une mauvaise idée.
- … Je lui en parlerai, répondit-elle. On verra ce qu'elle en dit.
- D'accord ! Merci ! fis-je avec un sourire réconforté. En tout cas, vous pourrez lui dire que j'espère qu'elle va bien.
Comme je n'avais rien de plus à dire, et qu'elle non plus, nous continuâmes nos chemins respectifs. Quand je poussai la porte du wagon, je fus accueilli par une nuée de sifflements et de rires gras et poussai un soupir las.
- Alors, ta stratégie progresse ?
- Je ne drague pas Hawkeye, soupirai-je avec lassitude, bien conscient que répéter cette phrase ne ferait pas cesser les moqueries.
- Ouais, on dit ça.
- Ne t'inquiètes pas, on te soutient à cent pour cent !
- Si tu veux, je peux aller lui raconter à quel point tu es un mec sympa, fit Allan avec un sourire moqueur qui démentait l'apparente gentillesse de la proposition.
- Non merci, ça ira, soupirai-je.
Le trajet promettait d'être encore long.
Allongé de tout mon long sur le canapé, je regardais le plafond dans l'obscurité du salon de Bryan, qui me logeait pour la nuit. L'éclat d'une bouteille explosée dans la rue m'avait réveillé, et depuis, je n'arrivais pas à fermer l'œil.
Ça y est, nous étions le mercredi 28 novembre, ce jour attendu et redouté.
Celui ou le Front de l'Est allait monter à l'assaut du QG régional pour prendre le contrôle. Mustang, Hawkeye et tous les autres avaient travaillé d'arrache-pied pour organiser l'affaire. La livraison des masques de protection était arrivée la veille, nous libérant d'un grand poids dans la poitrine. Elle n'avait fait que passer à Central pour être apportée là où on en avait réellement besoin, puis de la gare, les caisses les contenant avaient été dispatchées ici et là. Une partie était arrivée au quartier général pour équiper les militaires qui seraient présents sur place, d'autres avaient été livrées aux alentours, quelques uns dans un hôtel, d'autres dans un entrepôt ou dans les réserves d'un des laboratoires de la ville. Le but était d'être discret, une livraison de cent caisses de masques à gaz risquaient d'éveiller la méfiance des terroristes. Le but de la manœuvre était simple. Les laisser attaquer les bâtiments après avoir soigneusement équipé et barricadé les postes stratégiques, et les prendre en étau entre les forces armées locales et nous, les renforts venus spécialement pour les encercler et les empêcher de fuir. Pas de quartier pour l'ennemi, pas de fuyards.
Pour la même raison, on nous avait demandé de voyager en civil par convois successifs, et si possible, d'éviter de loger à la caserne. J'en avais donc profité pour retrouver Bryan, ancien collègue et ami, qui avait accepté de me loger avec plaisir. On était entré dans l'armée en même temps, et étions restés bons amis, même quand l'administration nous avait envoyé dans des services distincts. Nous avions partagé des entraînements, des repas et des beuveries que je n'étais pas près d'oublier. En retrouvant ce grand brun barbu avec qui j'avais fait les quatre cents coups, j'avais senti un sourire s'accrocher à mes lèvres. Il m'avait accueilli avec un repas très copieux et autant de bière que je pouvais en boire, et nous avions refait le monde jusqu'à minuit, complices comme si nous nous étions quittés la veille. J'avais pu le remercier d'avoir tenu bon face à ma mère, lui avouant que Joyce, mon ex, lui avait vendu la mèche. On avait disserté sur les femmes, en bon célibataires endurcis, puis la raison nous avait rattrapés et nous nous étions couchés à contrecœur.
S'en était suivi pour moi une nuit entrecoupée. Malgré la joie que j'avais toujours en revenant à East-city et en retrouvant des têtes connues, je ne pouvais pas dormir paisiblement en pensant à la journée à venir. Monter à l'assaut, se battre, tuer, mourir peut-être, ce n'était pas vraiment apaisant… et l'idée que demain soir, nous ne serions peut-être plus là pour boire un verre de bière et bouffer son reste de ragoût me hantait.
Au bout du compte, je préfère quand on est pas prévenus et qu'il faut agir sur le coup. Il n'y a rien de pire que l'attente.
Je me retournai pour me rouler en boule dans le canapé. Je n'aimais pas vraiment combattre. Contrairement à mon frère, je n'avais pas le goût de la violence. J'étais juste grand, sportif et un peu trop bête pour être autre chose que militaire de terrain. Il suffisait de voir la catastrophe que c'était quand on me collait au bureau à traiter des dossiers.
Je restai allongé dans le noir, ressassant les moments passés et à venir. Je repensais au regard vide d'Edelyn, la petite prostituée qui nous avait aidé dans notre enquête, et dont Mustang avait dit que nous ne pourrions être d'aucune aide. Cette impuissance me faisait enrager, mais le pire, c'est que je savais au fond qu'il avait sans doute raison. Si on l'avait libérée avant l'assaut, les personnes que le Lys d'Or faisait chanter auraient su qu'il se tramait quelque chose, et cela aurait attiré l'attention des militaires. C'était parfaitement logique. Horrible, mais logique. Il avait toujours été infiniment plus intelligent que moi, capable de se détacher de ses émotions. Ce n'était pas pour rien qu'il avait été promu Colonel à moins de trente ans.
Je pensais au combat à venir, le danger, les ennemis, la mort, sentant une boule au ventre à l'idée de faire face à Will sur le champ de bataille. Si cela arrivait, serai-je vraiment capable de presser la détente ? Lui le ferait, sans doute. Je me demandais s'il pensait aussi à ce genre de choses.
Sans doute pas, il ne savait même pas que je serai là. Il ne savait pas qu'aujourd'hui signerait probablement la fin du Front de l'Est. Il ne savait pas le bain de sang qui s'annonçait.
Je repensai à Edward, au passage Floriane. Cela faisait longtemps à ce moment-là que nous ne nous étions pas retrouvés sur un champ de bataille. Le pauvre était mal en point après son combat, et visiblement sous le choc. Comment se serait-il senti s'il avait eu l'ordre de combattre à nos côtés aujourd'hui ? Pour le coup, j'étais heureux qu'il soit en cavale s'il pouvait échapper à ça. En dépit de son talent et de son intelligence, c'était encore un gamin.
Hawkeye m'en avait parlé, elle l'avait vu le temps d'un repas. Elle m'avait dit que sa cousine allait bien, qu'elle était en pleine forme et vraiment méconnaissable. Si Edward avait endossé une identité féminine, il devait effectivement être insoupçonnable. C'était une bonne chose. Il était tellement tête brûlée, personne dans l'équipe ne se serait senti tranquille s'il avait été avec nous aujourd'hui. Pas même Mustang… Surtout Mustang.
J'entendis le réveil sonner à travers la cloison. Un peu de remue-ménage, et Bryan poussa doucement la porte de sa chambre. Je me levai péniblement.
- Ah, pardon, je t'ai réveillé ?
- Pas vraiment, ça fait un moment que je n'arrive plus à dormir, grommelai-je en me grattant la tête.
- Tu m'étonnes… J'ai eu une sale nuit aussi. Café ?
- Double dose.
Bryan traversa la pièce et alluma la cuisine pour commencer à préparer le café. Dans quelques minutes, quand il serait assez réveillé pour parler davantage, il ferait des blagues morbides pour cacher son inquiétude de la journée à venir, et me ferait rire à gorge déployé, évacuant mon stress. Mais pour l'instant, je regardais sa silhouette avec une émotion inquiète.
Serons-nous encore là ce soir ?
Il était dix heures quand je me présentai au point de rendez-vous pour être équipé, et Bryan avait rejoint son bureau au QG depuis bien longtemps. Mustang et le Général Erwing avaient organisé le barrage avec le général Grumann en installant huit points de rendez-vous autour du QG, dans des lieux qui attirerait peu l'attention. Qui s'étonnerait de voir de l'animation dans un hôtel ou un entrepôt ? En attendant, ces points de rencontre étaient des barrières prêtes à se déployer pour couper la fuite de nos ennemis. Pour ma part, j'avais rendez-vous au premier étage d'un hôtel plutôt chic qui grouillait de monde, en uniforme ou encore en civil, portant des cartons, notant les arrivées, distribuant les masques à gaz et les munitions, désignant la suite qui avait été provisoirement transformée en armurerie. Je m'avançai pour me changer et croisai Breda et Falman qui avaient déjà renfilé leurs uniformes. Hawkeye, elle, était restée en civil, portant des vêtements utilitaires qui parvenaient à avoir une apparence élégante sur sa silhouette inflexible.
- Hé, vous voila ! m'exclamai-je. Ça va ?
- Bon, nous voila au complet, commenta Hawkeye.
- Et Fuery ?
- Pas la peine de le chercher, on ne le verra pas aujourd'hui, fit Breda. Il est au service communication, en train de tester le réseau pour vérifier que toutes les ligne fixes fonctionnent bien. Une véritable araignée sur sa toile !
- Les lignes fixes ? Je croyais qu'on aurait des radios ? m'étonnai-je.
- On en aura aussi. Mais elle seront utilisées sur les courtes portées, les échanges d'un point de défense à l'autre passeront par le téléphone.
- Sinon ce serait un beau bordel, vu la quantité d'infos qui va fuser.
- Ah, ok. Il faudra tester que les radios marchent, quand même, nan ?
- Elles ont été testées hier après midi.
Je poussai un soupir un peu tremblant. Breda le remarqua et m'asséna une claque dans le dos
- Tout va bien se passer, va !
Je lui lâchai un pauvre sourire, puis un soldat passa dans le couloir en annonçant à la cantonade qu'on était attendu dans la salle à manger dans dix minutes pour un point sur la situation. Je me précipitai dans les vestiaires improvisés pour me changer et arrivai un peu débraillé dans la pièce. Au milieu de cette marée de silhouettes vêtues de bleu roi, je compris bien vite que je ne trouverai pas de place assise. La silhouette familière de Mustang se détachait sur l'immense carte de la ville qu'il avait fixé au miroir pour les besoin de sa démonstration. Il attendit encore quelques minutes que les retardataires comme moi trouvent un coin où se ranger. Je vis arriver de l'autre bout de la pièce la petite silhouette de Fuery, et le saluai d'un geste de main, mais il ne me remarqua même pas, le nez dans ses notes, un crayon sur l'oreille, visiblement très concentré sur la tâche qu'on lui avait confiée. Il faut dire que beaucoup reposait sur lui, et sous ses airs d'éternel gamin, il avait conscience de ces responsabilités. Il se figea à côté du Colonel et leva les yeux vers lui pour échanger quelque mots que je n'entendis pas dans le brouhaha ambiant.
Mustang s'éclaircit la gorge et la salle se tut comme par magie, puis il commença à présenter la situation. Depuis des jours que je le voyais travailler dessus, je ne découvris pas grand-chose de son exposé sur le plan d'attaque de l'ennemi. Leur objectif était de prendre en tenaille le QG Est à l'heure du repas, en profitant de la désorganisation pour mener une opération éclair et prendre rapidement le contrôle des points à défendre et tenir un siège. Au sein du QG, l'armurerie et la centrale téléphonique étaient deux équipement cruciaux. Ils fileraient donc droit au but sans s'embarrasser de détails, en profitant de grenades lacrymogènes pour créer la confusion et s'y frayer un chemin.
Bien sûr, ils ne savaient pas que nous serions au moins aussi bien équipés qu'eux, et que leur attaque n'avait rien d'une surprise. Notre but était de les laisser s'enfoncer suffisamment pour qu'ils soient pris au piège avant de riposter et les réduire au silence. Une fois qu'ils seraient montés à l'assaut, le centre-ville tout entier allait se refermer tout entier sur eux comme un piège à rats, rendant toute fuite impossible. Ils seraient en situation de faiblesse, mais cela n'allait sans doute être qu'un piètre réconfort pour les militaires qui allaient devoir faire front et les empêcher de prendre possession du QG Est. Je n'étais pas très rassuré par mon propre sort, mais ce qui m'attendait n'était sans doute rien comparé à ce qui allait se jouer dans les locaux de l'armée. Je n'aurais pas aimé être à la place de mes anciens collègues.
- Je superviserai les opérations d'ici pour coordonner les attaques et donner les ordres, et nous communiquerons avec les autres bases en temps réel via les lignes téléphoniques. Les unités auront du matériel radio à ondes courtes pour communiquer. Pour ceux qui auront la responsabilité des radios, ce sera le code 11 pour contacter la base, s'il n'y en a qu'un à retenir, c'est celui-ci. Vous aurez des canaux secondaires pour communiquer à l'intérieur d'un bataillon, mais je vais laisser Fuery vous présenter ça en détail après avoir résumé l'organisation générale. Section 1, vous avez les snipers, sous la direction du Lieutenant-Colonel Hawkeye. Vous serez répartis sur le toit de l'hôtel et de quatre bâtiments alentours. Votre mission sera de couvrir la place en faisant un maximum de dégâts dans les rangs ennemis, ainsi que de nous tenir informés en temps réel de l'évolution de les différentes forces afin de coordonner le tout.
Hawkeye, avec sa perfection habituelle, avait trouvé une place à proximité de notre supérieur et s'était levée en entendant son nom, permettant à tout un chacun de la reconnaître. Contrairement aux autres, les snipers étaient dispensés de porter l'uniforme, afin de pouvoir se rendre à leurs postes de tir sans être remarqués. Son regard s'attarda sur les soldats encore habillés en civil. La connaissant, elle avait déjà du prendre connaissance du gros de l'équipe qu'elle aurait sous sa responsabilité.
- La Section 2, continua Mustang, sera chargée des barrages et véhicules, sous la direction du Lieutenant Breda. Votre rôle sera de couper la fuite aux attaquants une fois la riposte déclenchée. Pour cela vous disposerez d'une partie des véhicules banalisés du QG ainsi que de camions réquisitionnés. Il faudra agir vite pour être efficace, mais avec les véhicules et les barrières d'urgences, vous devrez bloquer toutes les issues sur les cinq cents mètres qui sont sous notre responsabilité en moins de dix minutes.
La mer d'uniforme frémit dans une série de mouvements individuels de ceux qui étaient conscient de l'exigence du timing.
- Vous verrez, ce sera amplement suffisant si vous suivez les ordres sans traîner le moment venu. La vraie difficulté sera de maintenir le front s'ils battent en retraite avant d'être affaiblis par la riposte de l'équipe Centrale. Autour du QG, on a le fleuve au sud et sud-est qui forme une barrière naturelle, dont les ponts seront défendus par l'équipe du belvédère, et les restes des fortifications au nord-est qui vont compliquer leur retraite. Au sud-ouest, la marge de manœuvre est faible entre les docks et la gare, il sera difficile pour eux de briser l'encerclement en passant par là… autrement dit, c'est dans le quart nord-ouest qu'ils choisiront sans doute de se replier. Il est crucial pour la réussite de l'opération de tenir la position sur notre secteur, coûte que coûte. Compris ?
Il appuya son dernier mot en faisant claquer sa baguette de bois sur le bastion qui nous représentait, en plein milieu de la zone en question.
- Selon l'évolution de la situation, mission de la section 3 sera soit de soutenir les lignes de défense, soit de partir à l'assaut afin de prendre l'ennemi en étau et le maîtriser le plus vite possible. En cas de retraite rapide de leur part, la priorité sera d'empêcher la fuite des terroristes. Même s'ils jouent leur va-tout aujourd'hui, il reste des complices à arrêter, notamment des organisateurs et leurs fournisseurs. Plus l'information leur arrivera tard, plus le travail d'arrestation du Général de Division Lewis sera efficace.
Je déglutis. Je le savais déjà, la section 3 allait être sous ma responsabilité. Je commençais à être expérimenté, et j'avais tout de même survécu à Ishbal, mais la perspective de devoir mener les autres au front lors d'une mission de cet ampleur ne me rassurait pas vraiment. Toutefois, quand Mustang me désigna avec son regard droit, si sombre qu'il en semblait vide, je me redressai et fis un salut militaire avec une expression sévère pour ne pas faire transparaître cette inquiétude. Les soldat que j'aurai sous mes ordres ne devaient pas douter de moi.
- Votre mission sera de monter à l'assaut du QG et de faire un maximum de dégâts en prenant l'ennemi en tenaille avec les points de résistance du QG. Vous êtes l'équipe mobile, j'attends de vous adaptabilité et réactivité aux ordres, votre placement sur le champ de bataille dépendra de la tournure du combat.
Je gardai mon expression sévère, je ne voulais pas laisser transparaître ce que je savais, à savoir que nous étions sans doute ceux qui allions courir le plus de risques parmi les personnes présentes dans la pièce.
- Enfin, la section 4, dirigée par Sous-lieutenant Vato Falman, aura la charge de la défense du bastion lui-même, la protection des civils et des blessés. Une infirmerie est en cours d'aménagement au rez-de-chaussée, avec une capacité d'une centaine de lits et la possibilité de transférer des personnes en huit minutes à l'hôpital le plus proche. La salle de réception fera usage de prison provisoire afin d'isoler les terroristes que nous pourrons emprisonner, et le deuxième étage est aménagé en infirmerie. Le plan blanc est mis en place, nous serons donc bien soutenus par le corps médical.
Il continua ses explications, décrivant les différents scénarios supposés et le comportement à tenir en fonction de chacun. Tandis que l'extrémité de son réglet glissait le long des ruelles, il donnait des informations sur la ville, les voies sans issues, les canaux, les allées les plus larges, les ruelles peu connues que les terroristes seraient sans doute tentés d'emprunter. Lui qui connaissait East-city comme sa poche, tâchait de condenser cette connaissance pour la transmettre aux militaires de Central. Je l'écoutai avec attention, conscient que ce serait mon équipe qui serait la plus mobile, et qui devrait circuler dans les ruelles en question. Heureusement que moi aussi, j'avais vécu ici assez longtemps pour bien connaître les rues, je saurai sans peine circuler dans ce quartier ou j'avais habité.
Puis ce fut au tour de Fuery de parler, et d'informer les uns et les autres des codes à utiliser pour la radio. Malgré sa voix fluette, il était si sérieux que personne n'osa montrer la moindre méfiance face aux compétences du militaire aux traits enfantins. Après son passage, Mustang repris la parole pour la conclusion de la réunion. Il nous parla en posant sur nous un regard perçant de résolution, et, malgré l'angoisse palpable de ceux qui allaient monter au front dans l'heure, trouva les mots pour nous concentrer, faisant frissonner mon échine à l'idée du rôle essentiel que nous avions à jouer. Je jetai quelques regards à la dérobé, constatant que les militaires alentours étaient subjugués. Moi qui le fréquentais au quotidien, je m'y étais habitué, mais je ne pouvais pas nier que quand il s'y mettait, il débordait de charisme. En l'écoutant parler, il fallait admettre qu'il avait assez de prestance pour être plus gradé qu'il ne l'était actuellement. Ce n'était pas étonnant que des bruits courent à propos d'une promotion à venir.
En l'écoutant, il me vint un vague sourire. Il avait beau avoir été infect après la disparition d'Edward, il avait beau m'avoir envoyé enquêter dans un bordel, même quand j'étais furieux contre lui, cela n'avait jamais vraiment entamé ma loyauté. Je le connaissais depuis longtemps, et même s'il exigeait beaucoup, il se sacrifiait tout autant. C''était juste de manière moins visible. S'il devait monter en grade dans les années à venir, c'était le pire que je puisse lui souhaiter. Il était agaçant, manipulateur et d'un charisme presque humiliant pour le reste du monde, mais c'était un dirigeant talentueux et je savais que même s'il prétendait vouloir monter en grade pour imposer la minijupe à l'uniforme des femmes, ses ambitions étaient en réalité bien plus généreuses et clairvoyantes que cela.
En d'autres termes, je lui vouais une confiance absolue.
Une nouvelle explosion se fit entendre. Je serrai les dents et répétai en beuglant dans ma radio.
- Bataillon 1 appelle bataillon 3, bataillon 1 appelle bataillon 3. Répondez !
Je secouai ma tête comme si ça pouvait empêcher mes oreilles de siffler et collai la radio à mon oreille dans l'espoir d'entendre une réponse dans le vacarme. Mais je n'entendis rien que le grésillement et les claquements secs des tirs de fusils aux alentours.
- MERDE ! criai-je dans un accès de rage.
- Lieutenant ? s'inquiéta le soldat à côté de moi, adossé aux arches de l'immeuble pour rester à couvert.
Nous nous étions provisoirement réfugiés avec mes hommes pour défendre la rue Viviane qui donnait sur la place d'un coté, sur la barricade, et les terroristes refluaient d'un QG pour tenter une percée. Quand Mustang avait dit que nous allions devoir nous battre chèrement, il n'avait pas menti.
- On a perdu contact avec le bataillon 3.
- Merde ! Vous pensez que c'est eux qui ont pris la grenade ?
- J'espère que non ! Je vais avertir la base.
Je composai le 11 sur la radio et la calait contre mon oreille en rechargeant mon fusil.
- Ici bataillon 1 ! Avons perdu contact avec le bataillon 3 ! Ils ont du être sévèrement touchés par une grenade !
J'entendais parler les gens entre eux à l'autre bout du fil, mais les tirs incessants et le cris empêchaient de comprendre ce qui se disait. Ma poche de munitions se vidait, et l'ennemi semblait en avoir des quantités infinies. Je vis des terroristes courir vers les barricades et attirai l'attention des soldats présents avec moi pour qu'ils m'aident à les neutraliser. Les hommes tombaient les uns après les autres, s'ajoutant à la longue liste des morts, et un instant, je crus que c'était bon, que nous avions réussi cette fois encore.
À ce moment-là, la barricade sauta à deux mètres au dessus du sol, soufflée par l'explosion d'une grenade qu'un des fuyards avait jeté avant de mourir.
- Bataillon 1, quelle est votre situation ?
Je regardai le grillage de tôle tordu par le choc retomber sur les pavés et clignai des yeux.
- Je répète, bataillon 1, quelle est votre situation ? fit l'homme encore plus fort.
- … Nous tenons la défense rue Viviane, mais l'assaut est violent.
Comme pour me confirmer mes dires, un des soldats s'effondra à côté de moi, touché par une balle. Je me collai davantage à la paroi et ajoutait l'information la plus importante.
- Ils ont des grenades, ils ont fait exploser la barrière rue Viviane. Le barrage est endommagé, je répète ! Le barrage est endommagé !
- Ils ont traversé ?
- Pas encore… mais maintenant ils peuvent !
J'avais crié ces mots d'une voix étranglée en voyant le troupeau qui fonçait maintenant vers nous.
Dans un moment de panique, je lâchai la radio et remis en joue les ennemis. Les fusils claquaient, les fulmigènes fusaient, et au milieu de ce chaos, les terroristes étaient devenus de terribles ombres noires se faufilant à couvert derrière les arches de la rue et les voitures pour atteindre la sortie. Au fond, cela permettait de leur tirer dessus sans trop penser au fait que c'était des humains que nous tuions. Le feu était nourri des deux côtés et ils tombaient les uns après les autres, mais certains parvinrent à passer ce qui restait du barrage. Je clignai des yeux pour essayer de voir malgré la poussière s'ils parvenaient vraiment à fuir. Je vis une silhouette s'effondrer, et je supposai que les soldats de la section 2 parvenaient à prendre le relais. De toute façon, on ne pouvait pas faire mieux, une nouvelle vague d'ennemis arrivait déjà. Je rechargeai mon fusil et mis en joue, sentant mes mains trembler, et mon pouls pulser dans ma gorge. L'effectif se réduisait, et il semblait que ces terroristes n'en finissaient pas jaillir. Comment pouvaient-ils être aussi nombreux ?!
Je réalisai que la radio était tombée sur mes genoux et la repris.
- Ici bataillon 1, les assauts s'enchaînent, nous ne pouvons plus tous les repousser ! Nous n'avons plus le soutien du bataillon 3 en amont, nous sommes en sous-effectifs !
- Tenez votre position, nous envoyons des renforts dans votre zone.
- ON TIENT LA POSITION LES GARS ! ILS ENVOIENT DES RENFORTS !
Je en savais même pas si mes subordonnés m'avaient entendu, trop occupés à survivre. Je dégluti et lâchai de nouveau la radio pour recommencer à tirer. Un silhouette effondrée de plus. Je ne savais même plus ou je l'avais touché. Mes mains en sueur étaient poisseuses et tremblantes, je peinais de plus en plus à recharger mon arme. Je respirais la poussière, la poudre, tout était sale et sentait le sang. La situation était difficile, mais nous y arrivions encore à limiter les dégâts. Pour combien de temps encore ?
Un amas de grenades attachées tomba contre un pilier avec un bruit sourd. J'eus une seconde pour voir le projectile meurtrier et me recroquevillai par réflexe. L'ensemble explosa au milieu de nos rangs, brisant le pilier de bois et de brique déjà mal en point et projetant violemment mon voisin sur moi. Le souffle avait repoussé les corps alentours et criblé les murs de fragments. Après une microseconde de flottement ou je restai choqué d'être encore entier, je levai les yeux et vis le plafond se voûter. Le pilier avait cédé, et tout le poids du bâtiment était sur le point de nous tomber dessus.
- RECULEZ ! ÇA VA S'EFFONDRER !
J'avais hurlé de tous mes poumons, mais après la violence de la déflagration, je n'entendais plus ma propre voix, plus rien qu'un tintement terrifiant. Je pris à bras-le-corps Vermont, le soldat qui était tombé sur moi et hurla de douleur quand, pour le tirer en arrière, j'appuyai sur sa peau ravagée. Au moins il était en vie. Si j'étais indemne, c'était parce qu'il avait pris le choc à ma place, je n'allais pas le lâcher comme ça !
Le sol grouilla de silhouettes bleues refluant dans la panique tandis que le pilier brisé s'effondrait, emportant avec lui le toit de l'allée couverte qui s'effondra sur une demi-douzaine d'arches. J'avais rampé en arrière dans la panique, voyant les autres partir en courant. Deux d'entre eux s'effondrèrent à côté de moi, touchés par des tirs ennemis, mais, parce que je rampais peut-être, je fus miraculeusement épargné. Finalement, l'effondrement cessa à mes pieds, me laissant adossé à une arche, pantelant, toussant dans un nuage de pierre et de plâtre.
L'homme que j'avais tiré avec moi leva des yeux flous vers moi et tenta d'articuler quelque chose. Je lui tapotai machinalement l'épaule, je n'entendais de toute façon plus rien avec mes oreilles sifflantes. Je fis signe aux soldats de reprendre leur position, parce que pendant notre débandade, ils avaient pu progresser de leur côté. Je ne savais pas combien de personnes avaient atteint la brèche, encore moins combien l'avait passé, mais une chose était sûre : nous n'allions pas tenir beaucoup plus longtemps comme ça.
Les tirs reprirent, et je repris la radio.
- Ici bataillon 1, situation critique ! Lourdes pertes à cause de grenades, on a subit un effondrement. Demandons renfort !
- Combien de pertes ?
Je levai les yeux et regardai les soldats rescapés en essayant de pas trop penser à l'état de ceux qui n'avaient pas pu se dégager des blocs de pierre. Les rangs s'étaient clairsemés, et les survivants avaient les traits tirés.
- Trente pour cent, je dirais, annonçai-je d'une voix cassée. Nous ne sommes plus assez nombreux pour repousser les terroristes.
Je n'exagérais sans doute pas, nous n'étions plus qu'une poignée d'hommes valides.
- Demandons renforts immédiats !
- Ils sont en chemin.
Je lâchai la radio et criai aux autres.
- Tenez bon, les renforts sont en chemin. Faites de votre mieux !
Il ne fallait pas qu'ils se découragent, même si je l'étais moi-même. Je recommençai à tirer.
- Concentrez vous sur la droite de la rue ! Ils ne faut pas qu'ils s'échappent !
Je repris mes tirs, vidai mon chargeur, fouillai dans ma sacoche, horrifié de sentir qu'il ne me restait plus que trois recharges. À ce compte-là, nous allions bientôt être à sec.
- Lieutenant, je n'ai plus de munitions ! cria un des hommes.
- Qui a plus de 6 chargeurs ? Cinq ? Quatre ?
Un homme me fit signe.
- Passe lui-en un ! Et privilégiez la qualité à la quantité !
- Facile à dire chef !
- Quand est-ce que les renforts arrivent ?
- Bientôt ! Tenez bon !
En disant ça, j'avais la gorge sèche. Je commençais à me dire que peut-être, ils n'arriveraient jamais. Allions-nous tous mourir avant ? Au milieu de ces ruines, nous étions comme coupés du monde dans un enfer infini.
En me redressant, je me pris une balle dans la jambe qui le fit hurler de douleur.
- Lieutenant !
- Restez à couvert ! C'est rien de grave ! Je peux encore tirer !
Je remis mon fusil en joue en sentant que je mentais. La blessure n'était pas létale, mais la douleur était brûlante, me brouillant la vue et m'empêchant de viser correctement, et mes mains tremblaient encore plus qu'avant. J'avais de plus en plus de mal à toucher ma cible. Si les autres étaient dans le même état, nous n'allions plus tenir longtemps. Chaque homme qui passait le barrage était comme une défaite, mais je n'avais même plus le courage de les compter. Je résistai, sans réfléchir, sans compter, sans savoir, luttant comme un animal acculé.
Et pourtant, les coups de feu se firent plus rares.
J'entendis un cri de victoire d'un des hommes et tournai la tête.
- Les renforts !
Je crus que j'allais m'effondrer de soulagement. Un camion venait de jaillir du barrage, repoussant les terroristes vers nous sans même leur laisser le temps de se mettre à couvert. Je tirai de nouveau, prêt à user mes dernières cartouches. Quand je me retournai vers la poche de résistance qui nous avait donné tant de peine, je vis des silhouettes en uniforme arriver en courant. Les tirs avaient cessés.
Les terroristes encore vivants avaient renoncé à résister.
Ça y est, le combat était terminé.
Je laissai ma tête buter contre la pierre du pilier, bien tenté de pleurer de soulagement.
J'étais encore vivant.
J'étais à genoux, littéralement, couvert de terre, de sang et de sueur. Je puais la poudre, je puais la peur. Les oreilles sonnant encore après les explosions et la violente fusillade qui venait de cesser, le coeur tambourinant comme pour s'enfuir, je restai affalé sur le pilier qui m'avait protégé, effondré, pantelant. Mes tempes et ma gorge battaient beaucoup trop fort, j'arrivais à peine à respirer, les mains crispées, tremblant sur mon arme vidée de ses munitions. Des cartouches vides jonchaient le sol sale. Mais j'étais vivant.
Mon cerveau survolté refusait d'accepter l'idée que je puisse maintenant me lever et me mettre à découvert sans être tiré comme un lapin. Ma jambe ensanglantée ne me le permettait pas de toute façon.
Après d'interminables secondes, je parvins à déglutir entre deux inspirations chaotiques. Il n'y avait plus de tir, cela ressemblait à un silence assourdissant. Nous étions les derniers. C'était fini. Je n'arrivais pas à le croire, je n'osais pas le croire, après cette horreur. Alors, je me contentai de me dévisser la tête pour observer ce qui se dessinait de l'autre côté sans sortir de ma cachette
Des silhouettes bleu vif mettaient à terre les hommes, les désarmant, les menottant. L'Armée avait le dessus. Nous étions face à la dernière poche de résistance, et nous avions résisté. Nous avions gagné.
Enfin…
En voyant le désastre, le bâtiment effondré, les corps de mes collègues alentours, j'avais vraiment du mal à me dire ça. Combien de soldats étaient morts sous mes ordres ? Mes yeux se posèrent sur Allan, avec qui j'avais discuté la veille, et dont les yeux verts étaient maintenant vides comme des globes de verre, le visage déformé par la douleur. Le sang teintait son uniforme sur sa poitrine. Une balle en plein coeur, ça ne pardonnait pas. C'était lui qui avait couru pour échapper à l'éboulement. Les autres soldats, hébétés, se penchaient sur les corps de leurs camarades, tâchant de voir s'ils étaient blessés ou morts, pendant que je recommençais à mettre des noms sur les silhouettes qui m'entouraient. À côté de moi, Vermont que j'avais tiré en arrière respirait tellement fort que je ne savais plus si c'était un souffle ou une suite de cris horrifiés. Je pris sa main et la serrai pour qu'il sente ma présence.
Le sang. Les corps désarticulés. Des cris. Des ordres, ou des hurlements de douleur.
Peut-être que moi aussi j'avais besoin de me raccrocher à quelque chose.
Cela faisait de longues minutes qu'il n'y avait plus eu le moindre coup de feu, mais je n'arrivais pas à trouver le courage de sortir de ma planque. Mes jambes tremblaient trop pour ça. Ce fut finalement mes subordonnés qui me rejoignirent en titubant.
- Lieutenant ! Ça va ?
- Je me suis pris une balle dans la jambe, mais rien de grave. Vermont, par contre, c'est autre chose. Il s'est pris le souffle de la grenade de plein fouet. Il faut le soigner au plus vite Si vous pouvez vous signaler pour qu'il soit soigner, et aider à déblayer. Il y a peut-être d'autres…
- Oui chef !
L'un d'eux se précipita, tombant à moitié vers les soldats qui rapatriaient les prisonniers et finissaient de sécuriser la zone, les hélant pour avoir leur aide, pendant que les autres commençaient déjà à déblayer à main nues pour dégager le corps de leurs camarades. J'aurais dû les aider, mais je n'arrivais même pas à me traîner avec ma jambe, dont le sang avait imbibé mon uniforme et qui pulsait d'une douleur sourde, alors je restais là, serrant la main de Vermont. Je n'entendais plus que ses gémissements de douleur, ses sanglots. Tout son flanc gauche était brûlé, déchiqueté par l'explosion. Si ma blessure à la jambe me faisait un mal de chien, lui devait véritablement souffrir le martyre. Il n'arrivait pas à parler, mais sa main accrochée à la mienne voulait tout dire. La sirène d'une ambulance résonna au loin et s'approcha, trop vite pour qu'elle ai attendu qu'on la réclame.
- Tiens bon Vermont. On va t'amener à l'hôpital, on va te soigner. Ça va aller. Accroche-toi, d'accord.
Il hocha la tête avec une expression de douleur hébété. Du sang coulait de son oreille gauche, et je savais que ce n'était pas bon signe. À quel point ses blessures étaient-elles graves ? Je me sentis l'estomac noué. Maintenant que le combat était terminé, mon cerveau pouvait ralentir sa cadence infernale et prendre progressivement conscience du charnier ou je me trouvais. Combien de morts ? Combien de soldats étaient morts sous mes ordres ?
Je regardais les autres creuser avec l'énergie du désespoir pour déterrer leurs collègues, leurs amis pour certains, sachant qu'ils devaient se préparer au pire. Ils n'étaient plus que quinze à être encore valides. Dix-sept avec moi et Vermont qui avait l'air au bord de la mort. Nous étions quarante dans le bataillon 1, autant dans les deux autres. Toutes ces vies réduites à néant. Tout ça pour quoi ? L'assaut, les terroristes, l'armée, tout ça me sembla soudainement vide de sens.
Les ambulanciers se dirigèrent vers nous après qu'on leur ai fait signe et embarquèrent Vermont avec un empressement plein de prévenance pour sa chair à vif, détachant sa main tremblante de la mienne.
- Ça va aller, répétais-je une dernière fois, autant pour moi que pour lui.
Je n'en savais rien en réalité, et cette idée me labourait le ventre. Un peu plus loin deux autres ambulancier s'affairaient à soulever les autres victimes, guidés par les soldats. Des corps inconscients sur laquelle la mort n'avait pas eu le temps de refermer ses griffes. Cette idée me soulageait un peu.
- Et vous ?
- Je ne suis pas la première urgence, répondis-je avec une fausse légèreté. J'ai juste pris une balle dans le mollet, rien de grave.
- Ce n'est pas rien ! Vous n'avez pas l'air bien…
- Personne n'est bien, là, fis-je avec un sourire cynique.
- Louis respire ! Louis respire !
Je tournai la tête vers le soldat qui avait crié, et vis deux autres se précipitaient pour l'aider à déterrer le rescapé. L'ambulancier qui m'avait parlé se précipita avec eux et commença à l'ausculter tandis que les autres finissaient de dégager ses membres. Il fut rapidement mis sur un brancard, et même s'il ne semblait pas en bon état, le fait qu'il respire était déjà une victoire. Les blessés les moins graves étaient embarqués dans des camions de l'armée tandis que les ambulances arrivaient les unes après les autres.
Je me sentais détaché du monde, perdu, vidé. Je baissai les yeux vers mes mains ensanglantées d'avoir tenu Vermont contre moi, sur mon fusil qui avait tiré tant de balles, me rappelant que moi aussi, j'avais tué. D'un geste machinal, je remis la sécurité de mon arme et vidai les munitions qui restaient pour les remettre dans ma besace
Je regardai la radio qui me semblait tellement inutile. Je la pris et la passait d'une main à l'autre, songeant au combats, aux morts. Si j'avais été meilleur stratège, meilleur tireur, plus intelligent, aurais-je pu sauver plus de monde ? Sans trop réfléchir, j'appuyai sur le bouton.
- Allô ? Il y a quelqu'un ?
- … Oui ?
Je ne savais pas qui c'était, mais la voix était plutôt jeune, comme si la plupart des gens avaient déserté le poste après la fin du combat en laissant la garde à un débutant.
- Ici Lieutenant Havoc, du premier bataillon. Le rapatriement des blessés est en cours, il reste quinze hommes valides. 5 blessés graves ont déjà été évacués, et nous avons au moins quatre morts, sans doute plus. Pour les autres, on ne sait pas. On est encore en train de faire l'état des lieux. Vous avez des informations sur les bataillons 2 et 3 ?
- Alors… fit la voix en fouillant probablement dans les notes. Ils sont en cours d'évacuation.
- Il reste des gens de la section 3 ? fis-je dans un sursaut d'espoir. On a perdu contact avec eux, je pensais qu'ils étaient tous morts…
- Une grenade a mis leur radio en miettes et a fait plusieurs morts, mais plusieurs soldats s'en sont sortis. Il reste une demi douzaine d'homme valides, et beaucoup de blessés à cause de l'explosion, mais la plupart devraient guérir…
- Merci… Mon dieu merci…
Je me laissai retomber contre le pilier, me relâchant sous l'effet du soulagement. J'avais l'impression de lâcher prise, comme si le fait de savoir qu'il y avait eu plus de rescapés que prévu me libérait d'un poids. Puis je compris que cette sensation était trop forte pour être normale, et que j'étais en train de m'évanouir.
J'avais été trop présomptueux, la blessure était plus grave que ce que je pensais. Dans un dernier sursaut de conscience, je me laissai tomber sur le côté plutôt que rester affalé contre le pilier, pensant que ce mouvement anormal attirerait peut-être l'attention.
Je n'avais aucune idée du temps qui s'était écoulé quand je me réveillai dans un lit d'hôpital, un peu nauséeux. Une infirmière était debout à côté de moi, en train de finir de faire mon pansement. Je poussai un vague grognement.
- Ah, vous êtes réveillé, fit la jeune femme à mi-voix en tournant la tête vers moi.
J'émis un son qui était censé être un "oui" et me elle sourit d'un air rassurant.
- Votre blessure n'est pas très grave, chuchota-t-elle, mais comme vous avez tardé à être soigné, vous avez perdu beaucoup de sang, on a du vous transfuser.
- Ah…
Je me sentis comme le dernier des imbéciles. Je n'aurais pas dû négliger ma blessure après la bataille. D'un autre côté, celles de mes collègues étaient pires encore…
- Vous avez de la chance que la balle n'ai touché ni l'os, ni l'artère, vous vous en remettrez sans séquelles.
Je hochai la tête, sentant mon crâne douloureux. J'avais la langue pâteuse.
- J'ai soif, croassai-je. Et mal.
- J'imagine ! Je vous amène de l'eau et un antidouleur, fit-elle en partant en chercher.
Je me rendis compte à ce moment-là que j'étais resté dans un des nombreux couloirs de l'hôpital. De loin en loin, d'autres lits occupés étaient installés de manière à ne pas trop gêner le passage. Je supposai que toutes les chambres étaient pleines de blessés et grimaçai à cette idée. Nous avions été des centaines sur le terrain aujourd'hui, le corps médical devait crouler sous le travail.
- Merci, murmurai-je après avoir vidé d'un trait le verre qu'elle m'avait apporté.
- De rien.
- Comment vont les autres ?
- Ça dépend des autres, fit-elle avec un sourire un peu triste.
- J'imagine.
- Je dois filer, il y a encore du monde à soigner aux urgences, soupira-t-elle, mais on vous apportera à manger dans une heure à peu près.
- Merci. Et courage !
Elle s'effaça avec un sourire rassurant et je me retrouvai seul dans le couloir. Les autres blessés semblaient endormis ou inconscients, je n'allais pas les héler alors que je n'étais pas loin de sombrer de nouveau.
Je restai allongé en fixant le plafond et sa lumière en sourdine, attendant, trop vaseux pour faire quoi que ce soit, trop endolori pour vraiment me rendormir. Je sentais ma plaie me brûler, j'entendais vaguement les allées et venues des infirmiers dans les couloirs adjacents. Le calme industrieux de l'hôpital résonnait bizarrement après le combat.
Les images qui s'étaient succédées trop vite sur le coup me revirent à l'esprit avec un précision glaçante. Je repensai à Allan qui était mort juste à côté de moi, à Vermont, à ceux qui avaient pris la grenade de plein fouet. Je repensai aux silhouettes sur lesquelles j'avais tiré, humaines elles aussi, et je repensais à Will. Vu la violence de l'affrontement et connaissant son caractère, je doutais qu'il ait survécu à cette journée. Je ne savais pas si cette pensée me soulageait ou me désespérait. C'était mon ennemi, et il avait commis des horreurs, mais c'était aussi mon frère. Si ça se trouve, c'était moi qui lui avait tiré dessus sans le savoir. Dans le chaos du champ de bataille, je ne distinguais plus les visages. Cette idée me donnait la nausée.
Je pensai à ma mère, à sa réaction si elle apprenait que Will était mort. Elle l'avait toujours préféré à moi, je savais que ça l'affecterait. Le pire, c'était que plus elle se sentait mal, plus elle était insupportable.
Je passai une main sur mon visage et réalisai à quel point j'étais poisseux et sale. On avait soigné ma plaie, on m'avait sans doute examiné à la hâte, mais avec l'afflux de blessés, ils n'avait pas eu le temps de prendre soin de chaque patient comme ils auraient plus le faire en d'autres circonstances. J'avais des écorchures et des brûlures sur mon front, mes mains, rincées et désinfectées à la hâte. Rien de grave au regard de ma jambe, mais quand je m'en sentirai en état, j'allais devoir me récurer de fond en comble. Je ne m'inquiétais pas vraiment pour ces écorchures, j'avais un organisme plutôt robuste, mais la sensation d'être sale et écorché restait désagréable.
Je fermai les yeux et restai je ne sais combien de temps dans un demi-sommeil, hanté de morts, de cris et de larmes, jusqu'à ce qu'une main pleine de douceur se pose sur mon épaule.
Je sortis de ma léthargie et ouvrit des yeux vers un visage rond, avenant et familier.
- Hayles ? Bredouillai-je, stupéfait.
- Bonsoir Havoc.
- Qu'est-ce que vous fichez là ?
- Je donne un coup de main, fit-elle avec un sourire qui n'effaçait pas ses traits tirés.
- Vous ne devriez pas être en train de dormir à la caserne ?
- J'étais un peu blessée, et comme je me suis salement cognée la tête, ils voulaient vérifier que je n'avais pas de commotion, donc je suis restée sur place au cas où j'aurai un malaise. On m'a fait le pansement pour mon bras il y a une demi-heure seulement, et quand j'ai vu à quel point les infirmières étaient sur les rotules, j'ai proposé de les aider à distribuer les repas.
- C'est généreux de votre part.
- Je pouvais pas les laisser comme ça. Et vous, qu'est-ce qui s'est passé ?
- Une balle dans la jambe, répondis-je sobrement en installant le plateau sur mes genoux.
- Aïe, fit-elle avec un grimace. J'espère que ça va bien se remettre.
- Ce sont les risques du métier. Et après tout, j'ai eu de la chance.
Elle hocha la tête en se mordant les lèvres, et ses cheveux se balancèrent dans un mouvement gracieux. Elle était vraiment jolie, même dans son uniforme crasseux, avec les yeux pochés par la fatigue.
- … Ça va ? demandai-je d'un ton prévenant.
À ces mots, je vis son visage se crisper, comme si elle allait pleurer, et lâchai un petit soupir. Je tapotai le lit pour lui faire signe de s'asseoir, faisant comprendre que j'étais prêt à l'écouter. Elle s'assit en faisant attention à ne pas s'appuyer sur ma jambe blessée et pris trois grandes inspirations.
- … C'était mon premier champ de bataille, avoua-t-elle d'une voix fragile.
Je hochai la tête.
- J'avais déjà vu des choses difficiles, je n'ai pas peur du sang, je chassais quand j'étais môme, je me suis battue plus d'une fois... Mais ça… Ce que j'ai vu aujourd'hui, c'était… c'était vraiment horrible.
- Je sais.
- Si je suis restée pour aider, c'est aussi parce que je savais que je n'arriverai pas à dormir cette nuit.
- Je comprends… j'ai un peu de mal, moi aussi.
- … Ça fait longtemps que vous êtes dans l'armée ?
- depuis 1907.
Elle leva les yeux, comptant intérieurement.
- … Sept ans. Depuis le temps, vous avez réussi à vous habituer ?
- … Pas vraiment, avouai-je. J'ai commencé à la dure, sur le front d'Ishbal. Le conflit était sur la fin, et certains soldats à moitié fous d'avoir vécu trop d'horreurs. Quand cette guerre a pris fin, j'ai prié pour qu'aucune autre n'arrive. Il y a eu d'autres conflits, moins graves… mais ce n'est jamais facile de prendre son arme pour tuer et risquer d'être tué.
- Je ne sais pas si j'aurai le courage de rester dans l'armée si c'est pour devoir vivre ça de nouveau.
- Je comprends… ça fait combien de temps que vous êtes devenue militaire ?
- Un an et demi… Jusque-là, j'avais été bien épargnée.
- … Vous pouvez demander à être muté au secrétariat ou à la bibliothèque ? Je pense qu'ils vous l'accorderaient.
- … Non, ce n'est pas pour moi ce genre de travail, avoua-t-elle avec un sourire. Je déteste rester enfermée, au moins, en tant que soldat, on bouge, on fait des patrouilles, des entraînements… Rester toute la journée dans un bureau me rendrait folle.
- Ahaha, je peux comprendre, je suis pareil. Mon cauchemar, c'est les paperasses.
Elle rit de bon cœur, et cela sonnait comme un chant d'oiseau dans le couloir silencieux. Tandis que je mangeai mon plateau, nous tâchions de parler à mi-voix pour ne pas déranger les autres, mais ils ne bougeaient pas d'un iota, sans doute profondément endormis. Elle continua à parler encore un peu, m'avoua qu'elle n'avait jamais su trouver de métier qui la passionnait vraiment.
- Ma meilleure amie est passionnée par ce qu'elle fait, parfois elle en oublie de dormir, de manger... Je n'ai jamais été comme ça. Je me prenais d'intérêt pour une activité, et un mois plus tard, elle était oubliée. J'ai commencé des études de photographie, travaillé dans un haras, comme pompier, mais finalement… le travail me lassait, et je m'amourachais d'autre chose.
- … Pourquoi vous êtes entrée dans l'armée ?
- … J'habite dans un endroit que je trouve magique, avec des gens que j'estime beaucoup… Mais c'était vraiment difficile financièrement, et j'ai voulu trouver un travail qui payait assez bien pour aider les lieux à perdurer. Quand j'ai vu qu'ils engageaient dans l'armée, je suis rentrée un peu sur un coup de tête.
- Ce n'est pas par vocation, donc…
Elle hocha la tête, et je regardai son profil doux avec une sensation étrange au ventre. Étais-je en train de tomber amoureux ?
- Vous le regrettez ?
- Jusqu'à aujourd'hui, non…
Je lui fis un sourire encourageant.
- Laissez-vous le temps de penser, vous êtes éprouvée et sous le choc, c'est difficile d'être lucide dans ces conditions. Quoi que vous décidiez, il n'y a pas de honte à suivre ses convictions. La mienne est que si seules les brutes restent dans l'armée, elle ne sera bientôt plus qu'une machine sanguinaire qui écrasera les civils au lieu de les protéger. Alors, c'est parfois dur, mais je reste, et je resterai.
À ces mots, elle m'adressa un sourire absolument magnifique.
- … Vous êtes quelqu'un de bien, Jean Havoc. Vous avez raison, il faudrait plus de gens comme vous dans l'armée.
Un bruit résonna au loin, nous faisant sursauter. Elle pris soudainement conscience du temps qu'elle avait passé à parler avec moi et se redressa.
- J'ai trop traîné, ils vont finir par s'inquiéter pour moi. Je vais leur dire que j'ai fini la distribution et voir si je peux me rendre utile.
Je hochai la tête. Je n'avais pas spécialement envie qu'elle parte, mais elle avait sans doute raison.
- Merci de m'avoir écoutée, fit-elle.
- Merci de m'avoir tenu compagnie, répondis-je tout aussi poliment.
Elle me sourit de nouveau et parti vers l'entrée. Je regardai sa petite silhouette dans le couloir, le cœur un peu plus léger. Je me souvins de la froideur qu'elle adressait à Byers, et réalisai que j'avais oublié de lui demander pourquoi elle et Hawkeye étaient aussi distantes avec lui. Cela aurait sans doute été un bon moment pour poser cette question.
Tant pis. Une autre fois peut-être, pensai-je en sombrant dans un demi-sommeil, incapable d'oublier complètement la douleur de ma jambe maintenant que Hayles ne me distrayait plus de sa présence chaleureuse. En tout cas, je suis content d'avoir passé du temps seul avec elle…
