Un. Nouveau. Chapitre !
Enfin ! Je sais pas pour vous, mais Dieu que le temps me paraît long de mon côté entre deux publications ! :') Vos reviews me manquent ! XD
Plus sérieusement, je suis vraiment contente de pouvoir poster ce chapitre, j'espère qu'il vous plaira ! Pour l'occasion vous allez pouvoir découvrir, non pas une, mais deux illustrations ! :D Et oui, j'ai fait celle du chapitre précédent ET celle de ce chapitre, elles sont toutes les deux sur Deviantart ou vous pourrez les découvrir. Ce ne sont pas des choses très abouties, mais je voulais avoir un petit quelque chose en attendant la fameuse illustration du chapitre 43, que je n'oublie toujours pas, promis ! XD
Je ne l'ai pas encore attaquée parce que j'ai beaucoup d'autres projets : Déjà, je serai présente comme exposante à Art to play, à Nantes, les 16 et 17 novembre (c'est bientôt) et j'ai avancé dans les préparatifs de Stray Cat, dont je devrais publier les premières pages demain (c'est TRÈS bientôt ! ;) ) Pour vous en dire un peu plus, c'est un projet de Lightnovel (roman court illustré) yaoi, totalement perso, que j'ai à la fois écrit et illustré. Vous allez pouvoir le découvrir dès demain sur Mangadraft et Wattpad (je vais mettre les liens en profil) et je publierai le contenu en avant première sur Tipeee (dont il faut aussi que je vous partage le lien ! ça va en faire, des travaux dans ma page de profil ! :') )
Et bien sûr, c'est une tradition associée à Bras de fer, je fais le Nanowrimo en continuant l'écriture de bras de fer, avec l'espoir un peu fou d'écrire 100 000 mots ce mois-ci. Je ne pense pas que vous vous en plaindriez, ça me permettrait de reprendre de l'avance sur la publication, ce dont j'ai cruellement besoin ! :')
Bref, c'est un peu Noël en avance cette semaine, j'espère que vous apprécierez ! Sur ce, je vous laisse lire !
Chapitre 55 : En toute amitié (Roy)
- Dites-moi, Colonel, vous m'évitez ?
Cette phrase, lancée de but en blanc, me pétrifia. Hawkeye était entrée dans le bureau pour me rapporter les dossiers à traiter. Et en voyant son regard planté sur moi, je sentis que la discussion allait avoir lieu.
- Je… non, mentis-je en tâchant d'avoir l'air plus serein que je ne l'étais réellement. Pourquoi dites-vous ça ?
J'avais l'entraînement, avec mes discussions avec les supérieurs et mes trop nombreuses commissions d'enquête, mais Hawkeye me connaissait si bien que je pouvais difficilement être sûr qu'elle soit dupe.
- Je m'attendais à ce que vous me reparliez de la journée de dimanche, mais vous n'en avez pas pipé un mot alors qu'on est déjà jeudi. Je pensais que… vous réagiriez davantage.
Dimanche. Angie. Nous y étions. Je sentis mes entrailles se nouer en sentant peser le regard attentif d'Hawkeye.
Sans aucun doute, cette journée avait été marquante. Se retrouver en tête à tête avec une personne qui s'était enfui en courant les deux premières fois où elle nous avait vu, c'était un peu inhabituel. Ce qui l'avait été davantage, c'est que l'ambiance n'ait finalement pas été si étrange. Angie était bavarde, et avait une légèreté rafraîchissante. Parler avec elle avait quelque chose d'évident, comme si, d'une certaine manière, elle me connaissait déjà. Elle ne s'était pas laissée désarçonner par l'arrivée de Kramer et de sa fiancée, et en la regardant discuter et sourire, je m'étais un peu laissé gagner par sa joie de vivre, amusé par sa maladresse quand on abordait certains sujets et son appétit inhabituel.
Je m'étais surpris à parler de mon passé, ce que j'évitais le plus souvent, mais en en apprenant un peu plus sur elle à mon tour, je n'étais pas parvenu à le regretter. Si mes parents étaient un sujet sur lequel je m'étais refermé sèchement, la manière dont elle avait voulu m'offrir des châtaignes tout à trac pour se faire pardonner avait été beaucoup trop attendrissante pour que j'en ai gardé la moindre rancune.
Puis était venu le moment où elle avait tenté de m'avouer quelque chose, avec un ton inquiet, des phrases pleines de précautions. En la voyant peiner et rougir, j'étais arrivé à la conclusion qui me paraissait la plus logique. Après tout, pourquoi Hawkeye nous avait laissés seuls ensemble, si ce n'était pas avec ce genre d'arrières pensées ? Si l'aveu avait été avorté par un gamin maladroit, les sourires qu'elle m'avait adressés avaient été des plus engageants, et les manœuvres d'Hawkeye m'avaient semblé être une agréable surprise. Je n'aurais jamais pensé finir mon dimanche après-midi à faire des concours de ricochets avec des personnes que je connaissais à peine, je n'avais pas pensé que je pourrais cesser de me soucier de mon rôle de Colonel, abandonner la prestance qu'imposait l'uniforme, pour juste retomber en enfance et m'amuser. C'était un sentiment de liberté grisant d'être à côté de cette jeune femme oscillant entre retenue et spontanéité, entre sollicitude et rires.
Angie était mignonne, drôle et de bonne compagnie. Son sourire était éclatant quand nous dansions ensemble, et elle m'avait mené par la main dans le jardin, dans un moment de pénombre pleine d'intimité. Cela me paraissait naturel, parfaitement dans la continuité, d'avoir voulu l'embrasser.
Pourtant, elle m'avait repoussé à pleines mains. Sans violence, mais d'un geste ferme et sans équivoque. Ce n'était pas ce qu'elle voulait, son expression outrée ne m'avait laissé aucun doute là-dessus.
Je m'étais excusé lamentablement et j'étais parti, la laissant seule plutôt que de lui faire subir ma présence une seconde de plus après cette situation monstrueusement gênante. Humilié et un tantinet blessé par la situation, je m'étais demandé comment j'avais pu me fourvoyer comme ça. Plus exactement, je me demandais quand je m'étais trompé, alors que dans ma longue expérience de dragues passées, tous ces signes étaient toujours arrivés à la même conclusion, à savoir un très bon moment passé au creux des draps. Alors que cette fois-ci, non seulement j'avais oublié ma veste d'uniforme, que j'avais heureusement en triple, mais en plus, je redoutais la prochaine fois que je la recroiserais.
Hawkeye toussota, me ramenant à la réalité.
- C'était une très bonne journée, répondis-je évasivement, ne voulant pas trop développer mon erreur. Votre cousine est adorable.
- Je… Vous n'avez pas parlé ?
- Si, de beaucoup de choses, bredouillai-je. Mais… je crois que je me suis fourvoyé sur ses intentions.
Les yeux d'Hawkeye semblèrent se rétrécir.
- Que voulez-vous dire par là ?
Je soupirai. Personne n'avait envie de raconter son dernier râteau, surtout à une personne qui semblait déjà agacée. Mais je sentais qu'elle ne me lâcherait pas, donc je pris mon courage à deux mains avec l'idée d'en finir vite.
- Hé bien, je suis revenu au cabaret mardi soir, et comme l'ambiance semblait plutôt romantique, j'ai cru que…
- Non, Colonel, vous n'avez quand même pas…
L'indignation qui perçait dans sa voix me sembla excessive.
- J'ai essayé de l'embrasser, avouai-je d'un ton contrit Et, vous l'aurez sans doute compris, elle n'avait pas la même idée en tête.
- Vous avez essayé de l'embrasser ?! s'étrangla-t-elle, scandalisée.
- Quoi, vous êtes surprise ? répondis-je d'une voix plus forte, sans pouvoir dissimuler mon agacement. C'est pourtant vous qui me l'avez présentée en m'amenant au cabaret, puis en organisant ce rendez-vous dont vous vous êtes éclipsée en prétextant une fuite d'eau pour nous laisser en tête-à-tête.
- Mais ce n'était pas un prétexte, j'avais réellement une fuite d'eau ! s'exclama-t-elle, la voix déraillant dans les aigus. Ce n'était pas pour que vous la draguiez enfin, vous me prenez pour qui ?!
Jamais je ne l'avais entendue s'étrangler comme ça, elle qui était toujours si posée et imperturbable, mais sur le coup, sa réaction ne fit que m'agacer encore plus.
- Avouez que coup sur coup, ça prêtait à confusion ! Surtout avec la manière dont elle s'est comportée avec moi, je n'avais pas de raison d'imaginer autre chose.
- Vous auriez dû ! lâcha-t-elle d'un ton sec.
Elle s'étouffait encore dans son indignation, mais faisait beaucoup d'efforts pour retrouver une voix normale. Si je n'avais pas été directement concerné par la situation, j'aurais sans doute trouvé le spectacle assez drôle.
- Vous avez raison, je n'aurais pas dû, soupirai-je. Elle était pétrifiée, et vraiment, ce n'était pas le but. Je ne sais plus où me mettre après ça, je n'ai même pas eu le courage de récupérer ma veste d'uniforme.
- Votre veste d'uniforme ?
- Je lui avais posée sur les épaules parce qu'elle avait froid, marmonnai-je en sentant le poids de son jugement.
Elle devait se douter que c'était une des techniques de drague les plus basiques du monde, car l'envie qu'elle avait de donner des claques transpirait sur son visage.
- Sérieusement ?! Colonel…
- Quoi ?
- Vous êtes un abruti.
J'ouvris une bouche scandalisée. Ce n'était pas dans ses habitudes d'injurier quelqu'un, surtout pas un futur Général, et une partie de moi avait envie de répondre "outrage à supérieur"… mais je savais bien que le problème était ailleurs, et que sa volonté de défendre Angie du pire coureur de jupon du pays était parfaitement légitime.
Si j'avais été à sa place, j'aurais fait pareil, et si j'avais vraiment réfléchi à la situation au lieu de suivre l'impulsion du moment, je n'aurais sans doute pas tenté de l'embrasser.
J'étais effectivement un abruti.
- Ne vous inquiétez pas, j'ai bien compris la leçon, je ne tenterai plus rien de ce genre, promis-je pour l'apaiser, tout en le pensant sincèrement.
- J'espère bien…
Il y eut un long silence, et je baissai les yeux vers les dossiers, me sentant honteux comme un adolescent. La vérité, c'était que j'étais tellement habitué à ce que les choses se passent suivant mes intuitions que cette affaire me laissait terriblement vexé. Je n'étais pas censé être le genre de personne qu'on repoussait. Je n'étais pas censé être le genre de personne qui se trompait sur ce genre de sujets. Et surtout, je n'étais pas censé être le genre de personne qui s'émouvait d'un refus.
- Si vous vous en tenez à une relation purement amicale, vous n'aurez pas de problème, fit Hawkeye en se radoucissant.
- Je suppose, mais c'est un peu tard…
- Il faudra que vous posiez la question pour le savoir.
- Je suppose, marmonnai-je en passant une main sur mon visage. Je ne sais pas comment je fais, chaque entrevue avec elle devient plus embarrassante que la précédente.
- Je vous rassure, vous n'êtes pas le seul responsable.
Ces mots me touchèrent, même s'ils étaient prononcés d'un ton acide. Hawkeye, était en colère, mais plus contre moi, ou en tout cas, plus uniquement. Je supposai qu'elle allait avoir quelques mots avec sa cousine.
- Je ne sais pas si je dois être rassuré, soupirai-je. Enfin, en tout cas, vous lui avez suffisamment parlé de moi pour qu'elle sache que je n'étais pas une personne fréquentable, fis-je avec un rire un peu forcé.
- Je n'ai pas eu besoin de le lui dire, répondit-elle.
Il y eut un long silence. Je ne savais pas quoi répondre à ça, et elle ne savait sans doute pas quoi ajouter.
- Il faudra éclaircir les choses, conclut Hawkeye. Je compte sur vous pour ne pas réagir trop impulsivement quand vous la reverrez.
- Ne vous inquiétez pas pour ça, répondis-je.
La lueur de panique que j'avais surprise dans le regard d'Angie après avoir essayé de l'embrasser me dissuadait de m'aventurer sur ce terrain que je savais maintenant glissant. Ce qui me frustrait le plus, c'était de m'être fourvoyé en la pensant intéressée, en croyant lire de l'attirance dans son comportement, dans ses regards. Je n'étais pourtant pas du genre à me faire des idées à ce sujet.
Je m'ébrouai, chassant ces pensées dans un coin, et levai le regard vers Hawkeye, surprenant une expression de sollicitude inhabituelle de sa part. Cela ne me disait rien qui vaille.
- On se retrouve à 18 h 30 pour une leçon de tir ? proposa-t-elle. Nous ne nous sommes pas encore entraînés cette semaine.
- Ça me va, je n'avais rien de prévu.
- Bon, maintenant que j'en sais plus, je vais retourner travailler.
- Je pense qu'on sera tous heureux le jour où on pourra officiellement clore le dossier "Front de l'Est".
- Oui.
Elle m'adressa un sourire qui ne dissimulait pas pleinement son inquiétude et repartit, me laissant seul avec une appréhension indéfinissable. Si j'avais su, si j'avais compris à ce moment-là, les événements qui allaient suivre auraient pris une tournure tellement différente…
Je profitai de sortir d'une réunion pour faire un crochet à la bibliothèque. Il y avait quelqu'un en particulier que je devais voir, en espérant qu'elle travaillerait à ce moment-là. Je me faufilai entre les rayons, et en croisant un bibliothécaire, lui demandai s'il savait où était Shiezcka. Il hocha la tête et désigna le bureau des réserves sans troubler le silence des lieux. J'avançai à pas rapides dans cette direction, et arrivai face à deux femmes assises à l'accueil, en train de discuter à mi-voix. Je toussotai pour attirer mon attention et clore la conversation et elles levèrent vers moi des visages contrits en découvrant qu'elles avaient fait attendre un haut gradé.
- Désolé Colonel, nous nous sommes laissées distraire. Que désirez-vous ? fit l'une des femmes, prête à plonger dans le catalogue à la recherche de la référence que je demanderai.
- J'aurais une question à poser à Shiezcka.
- Ha, Shiezcka ? Elle travaille dans les réserves actuellement. Tu peux aller la chercher s'il te plaît ? Dis-lui que le Colonel Mustang voudrait lui parler.
La deuxième bibliothécaire se leva et partit dans la réserve après m'avoir jeté un dernier coup d'oeil. Je restai à côté du bureau, lançant un sourire machinal à sa collègue qui piqua un fard. Je m'accoudai au bureau pour engager un peu plus la conversation en attendant l'arrivée des autres.
- Cela fait longtemps que vous travaillez ici ?
- Cinq ans, répondit-elle, visiblement flattée qu'un Colonel lui manifeste de l'intérêt.
- Merci pour votre travail, il est extrêmement utile à l'armée.
- Merci à vous de prendre le temps de nous le dire. Il faut avouer qu'avec les dégâts qu'a faits Mary Fisher, les militaires se sont vraiment rendu compte de notre rôle dans le QG.
- C'est un peu dommage qu'il faille attendre que le travail ne puisse plus être fait correctement pour qu'on se réalise sa valeur, fis-je d'un ton compatissant.
- Comme vous dites. On a essuyé plus d'une réaction cinglante au cours des derniers mois. Les militaires qui veulent un dossier ne sont pas toujours un modèle de diplomatie.
J'eus un sourire contrit à ses mots. Moi-même, je n'avais pas toujours eu un comportement exemplaire, et maintenant que je n'avais plus l'excuse de stresser pour l'assaut du QG Est, je me sentais coupable.
- J'en suis désolé. Nous sommes parfois des mufles.
- Oh, on a l'habitude, fit-elle avant de réaliser que je m'étais inclus dans le lot et prendre une mine catastrophée qui me fit rire, désamorçant ses inquiétudes.
- Enfin, repris-je, maintenant que les choses sont rentrées dans l'ordre, vous devez pouvoir souffler un peu, je suppose.
- Oui, c'est un sacré soulagement. Certains travaillent ici depuis vingt ans, ils n'avaient jamais vu un chaos pareil.
- Il y a quand même eu l'incendie de la cinquième bibliothèque.
- Oui, soupira-t-elle, c'était une sacré perte… Heureusement que Shiezcka travaillait là-bas, sans quoi nous aurions absolument tout perdu !
- Bonjour, vous vouliez me voir ? demanda celle-ci en sortant de la réserve.
- Oui, j'aurais quelques questions à vous poser.
- À votre service, Colonel !
Je lui fis signe de me rejoindre et nous nous installâmes à une table un peu à l'écart. Une fois assis, je lui sortis une liste de documents.
- J'avais demandé la liste des dossiers disparus à la bibliothèque, la voici.
Elle la prit et la lut avec précaution, avant de relever la tête vers moi.
- Qu'attendez-vous de moi ?
- Je voulais savoir si vous aviez eu l'occasion de consulter ces dossiers disparus. Hugues m'avait vanté votre mémoire phénoménale, et je me disais que peut-être, vous auriez pu retranscrire les textes que vous aviez déjà lu.
À ces mots, la jeune bibliothèque soupira.
- J'ai déjà recopié tout ce que je pouvais après cette affaire. Vous n'êtes pas le premier à m'avoir posé la question, vous savez.
- J'aurais dû m'en douter.
- N'ayez pas l'air aussi dépité, j'en ai déjà reproduit deux d'entre eux que j'ai transmis au service de Kramer. Je peux vous en donner les références exactes pour que vous puissiez les récupérer, et vous sortir les autres dossiers liés à ces affaires.
- Cela m'aiderait beaucoup, oui.
- Je vais faire ça, donc, fit-elle en tirant un crayon de sa poche pour annoter la liste que je lui avais tendue.
- Merci.
- Vous enquêtez sur quelque chose ?
- Je ne sais pas encore quoi exactement.
- Vous pensez que ça a un apport avec… Eux ?
- Je ne pense pas, mais ça reste possible.
Elle hocha la tête.
- Vous l'avez bien reçue ?
- Oui, je vous remercie de me l'avoir transmise.
Nous n'avions pas besoin d'entrer plus en détail pour savoir que nous parlions de cette fameuse carte.
- Bien, fit-elle en gardant les yeux baissés, l'expression sérieuse.
Son regard me donna un étrange pressentiment. Je pensais qu'elle serait soulagée après la dernière carte qu'elle m'avait transmise. Elle avait une loyauté teintée d'affection envers Hugues, qui lui avait pourtant fait vivre un enfer en lui faisant recopier des textes nuit et jour après l'incendie du cinquième laboratoire. Heureusement que Shiezcka n'était pas d'un caractère rancunier.
- Je ne vous retiens pas plus longtemps, nous avons l'un et l'autre du travail.
Elle hocha la tête et se releva pour repartir en réserve, tandis que j'allais demander les documents qu'elle m'avait signalés. Je ne savais pas ce que j'allais y trouver, mais j'espérais ne pas me retrouver aussi bloqué que la dernière fois. Je passai au bureau de Kramer et ressortis avec deux dossiers sous le bras qu'il m'avait confiés avec plaisir. J'étais résolu à tirer l'affaire au clair.
Je traversai le complexe sportif du QG sous une neige molle qui flamboyait comme des escarbilles sous l'éclairage des réverbères. Il faisait nuit, il faisait froid et je n'avais absolument pas envie d'aller cavaler dans les complexes d'entraînement pour le tir en mouvement, comme l'avait prévu Hawkeye. J'étais las à cette simple idée.
J'arrivai à la porte du hangar en question et retrouvai le Lieutenant qui était déjà passé chercher mon arme.
- J'espère que vous êtes en forme, commenta-t-elle en me tendant le pistolet.
En réalisant que je me prenais pas l'arme qu'elle me tendait, elle tourna la tête et vit à mon expression qu'il y avait un problème.
- Que se passe-t-il ?
- Je suis inquiet.
- À cause de qui ?
Je poussai un soupir et tirai de ma poche une enveloppe, celle-là même que Shiezcka avait glissée dans les dossiers qu'elle m'avait confiés. Dedans, une carte avec la même écriture maladroite de Hugues.
Sauf que cette fois, son courrier m'inquiétait plus qu'il me soulageait. D'un côté, deux simples mots : "Contacte-moi.". De l'autre, une photo de chouette blanche prenant son envol. Je montrai cette face à Hawkeye qui fronça aussitôt les sourcils.
- Je crains qu'il soit menacé.
- Menacé par ceux qui ont un lien avec Mary Fisher et le Lys Rouge ?
- Oui.
- Je comprends que vous ne soyez pas rassuré. Mais dites-vous que s'il a pu envoyer ce courrier, la situation n'est pas si critique. En attendant de pouvoir y faire quelque chose, je compte sur vous pour vous entraîner comme si les cibles étaient cette fameuse chouette Harfang.
- Bien.
Dans le cadre de mon entraînement, Hawkeye pouvait me donner des ordres. J'étais élève, et elle, instructrice.
- Prenez garde à votre tête, fit-elle sobrement avant que je me lance dans le circuit.
Je ne compris pourquoi que cinq minutes après, quand un mécanisme - heureusement bien rembourré - me tomba dessus et me fit bouler dans le couloir d'entraînement. Je me relevai avec un grincement de douleur et continuai l'exercice dans un certain état de rage. Hawkeye ne me ménageait pas. Une fois parvenu au bout, je m'affalai sur les bancs qui se trouvaient à côté de la porte de sortie, vaguement essoufflé et déçu de ma prestation. Hawkeye me rejoignit quelques minutes plus tard, mes cibles à la main, et je grimaçai.
- Vous êtes tombé dans le piège, commenta-t-elle. Toujours garder un oeil sur vos arrières.
À ses mots, je m'affalai contre le mur avec un soupir qui devait plus tenir de l'adolescent agacé que du militaire aguerri.
- Mais vous vous êtes repris assez rapidement c'est un bon point. Même si vous seriez probablement mort sur un véritable champ de bataille.
- … Et mes tirs ?
- Médiocres, fit-elle. Les deux premiers sont corrects, mais après, vous avez perdu toute précision, fit-elle en me donnant les cibles.
Je feuilletai les feuilles cartonnées avec une grimace. Moi qui commençais à toucher le centre quand je m'entrainais dans les couloirs de tir, je recommençais à partir n'importe où dès que j'avais fait le moindre effort physique. J'avais envie de jeter les cartons au feu et d'abandonner sans autre forme de procès. Trouvant un moyen terme, je jetai la liasse au sol avec lassitude.
- Allez, achevez-moi et dites-moi combien de temps vous mettez à sortir d'un circuit de ce genre ?
- entre 7 et 10 minutes avec un sans-faute . Havoc aurait mi minutes avec une moyenne de tir à 8. Il est moins précis sur les tirs mais beaucoup plus rapide.
- Et moi, j'ai mis combien de temps ?
- 16 minutes et vingt secondes.
Je grimaçai.
- Peut-être que Lanyon a raison, et que je suis incompétent, soupira-t-il.
- C'est une question d'entraînement avant tout. C'est déjà honorable de votre part de continuer à vous entraîner alors que vous n'allez presque plus sur le terrain. Surtout qu'avec votre promotion de Général de Brigade, vous n'êtes pas près de remettre les pieds sur un champ de bataille.
- Ça, ce n'est pas si sûr, répondis-je en pensant aux Homonculus, la mine sombre.
Hawkeye soupira et s'assit à côté de moi pour tracer mon trajet sur un plan du circuit et expliquer mes erreurs tactiques et techniques. Je me sentais vraiment le pire des crétins, à croire que mon instinct m'avait complètement quitté. Je n'avais même pas le réconfort d'avoir tiré correctement pour rattraper ma lenteur. Sentant sans doute à quel point j'étais dépité, la lieutenant prit un ton moins sévère et rappela que c'était normal que mon niveau de tir en mouvement dégringole par rapport à un tir de précision.
- Vous n'êtes pas du tout dans les mêmes conditions : Entre le positionnement des cibles qui n'est pas en face-à-face, l'angle d'attaque, le fait que vous devez tirer rapidement et l'effort physique, c'est normal que la précision diminue.
- Mais comment vous faites, Lieutenant, pour arriver à tirer aussi bien dans des situations pareilles ? Je vous ai déjà vu sur le terrain, vous auriez fait mouche à chaque tir, là où je peine à toucher la cible.
- Colonel, je m'entraîne au tir depuis aussi longtemps que vous faites de l'alchimie. Cette discipline, c'est toute ma vie, heureusement que je suis devenue compétente dans ce domaine.
Ce petit rappel restaura un peu mon honneur blessé, et après être passé par deux autres circuits d'entraînements qui achevèrent de m'épuiser et de me mettre face à mes limites sur le terrain, elle me libéra. Je ne pensais plus qu'à une chose en arpentant les rues trempées de neige à moitié fondue, rentrer chez moi pour m'effondrer dans mon lit.
Je n'osais pas espérer un appel d'Edward, je n'en avais eu qu'un au cours du mois passé, et étant donné la raideur de nos échanges, il n'avait sans doute pas l'intention de me rappeler avant longtemps. J'avais été tenté de me passer les nerfs sur lui pour m'avoir snobé tout ce temps, mais ne pouvions pas nous permettre le luxe de nous disputer. Alors je lui avais parlé avec une distance sans rapport avec le soulagement que j'avais ressenti en entendant sa voix et que j'avais regrettée après coup.
Il me manquait, je m'inquiétais pour lui, et cela faisait tellement longtemps que je ne l'avais pas revu en chair et en os que j'avais l'impression que même les traits de son visage se brouillaient dans ma mémoire. Comme si son existence même s'évanouissait.
Heureusement que Hawkeye parvenait à me donner de ses nouvelles pour faire taire ce sentiment désagréable.
J'espérais qu'une fois allongé sur mon canapé, les yeux fixés au plafond, je parviendrais à penser à autre chose qu'au silence d'Edward, à la lettre inquiétante de Hugues, et à la situation humiliante dans laquelle je m'étais retrouvé avec Angie. À choisir, cette dernière était sans doute la moins pire des trois.
Seulement, je savais qu'en dépit de mes efforts, la chouette blanche resterait au premier plan de mes pensées, que je verrais les rémiges courbées par le mouvement se refermer sur Hugues, sur Edelyn, sur Edward. Je n'avais toujours pas d'identité, toujours pas d'indice pour retrouver cette entité mystérieuse. Seulement une image, celle d'un prédateur imposant et inaccessible.
Celle d'une chouette harfang.
- Colonel ? m'interpella Breda alors que je revenais de ma réunion avec Lewis.
- Oui ?
- Je me demandais, qu'est-ce qui va arriver à notre équipe ?
Les autres membres du bureau se figèrent, comme pendus à mes lèvres. Nous n'en avions pas parlé, je ne voulais pas les inquiéter inutilement, mais la question était délicate et ils s'en étaient rendu compte. À moins que quelqu'un d'un autre service leur ait posé la question. Je passai la main dans mes cheveux, m'accordant quelques instants de plus pour préparer ma réponse.
- Pour l'instant, rien ne va notablement changer. Étant donné notre rôle dans la résolution de l'affaire du front de l'Est, notre équipe reste en l'état jusqu'à la clôture de l'affaire, ce qui va nous prendre encore un bout de temps.
- Et après ?
- … Après, un autre dossier nous attend… Mais je vous en parlerai plus en détail quand les choses seront actées.
Je n'en dis pas davantage avant de retourner dans mon bureau, les laissant avec cette ébauche de réponse.
J'en avais déjà parlé à Hawkeye, pas encore au reste de l'équipe. Cela avait été mon principal argument pour maintenir notre groupe en l'état. J'avais besoin d'eux pour résoudre l'enquête à propos de la Chouette Blanche. Une équipe petite, soudée, qui fonctionnait bien et envers qui j'avais une confiance absolue. L'affaire était grave, sachant que les généraux Doyle et Wilson pouvaient être manipulés par l'ennemi et que d'autres étaient soupçonnés de l'être. Il n'y avait guère que le Général de Division Lewis à qui j'avais parlé de l'affaire. C'était un bon ami de Grumman, et tous deux partageaient un certain sens de l'éthique. L'honnêteté laissait peu de place au chantage. Je m'étais donc résolu à lui confier ces informations sensibles.
J'avais discuté seul à seul avec celui qui allait être mon supérieur direct, officiellement pour définir mes nouvelles responsabilités, officieusement, pour discuter de l'affaire. J'avais trouvé une solution somme toute idéale : faire monter Hawkeye au rang de Colonel pour qu'elle prenne la tête du bureau à ma place. Elle avait les compétences nécessaires, et avait accompli quelques coups d'éclat qui justifiaient sa promotion. Lewis l'admettait, mais hésitait à faire tourner une équipe entière sur cette enquête, alors que les pistes étaient floues et les implications indéterminées. Si je pouvais apporter une preuve plus concrète de la gravité de l'affaire, le budget que je demandais me serait sans doute alloué. Mais en attendant…
Assis à mon bureau, je ruminais tout ça, jetant un coup d'oeil au monceau d'informations que j'avais accumulées et qui restaient désespérément opaques, puis ouvris le dossier que Lewis m'avait confié. J'allais prendre la relève du Général Erwing, qui s'était préparé à démissionner après l'arrestation de Fisher. Ne pas avoir identifié que sa secrétaire était la taupe avait bien entaché sa carrière. Il était resté pour assurer l'intendance le temps que quelqu'un, en l'occurrence moi, prenne la relève. Si les frasques d'Edward ne m'avaient pas fait passer en commission, remettant en question mon dossier, il serait déjà parti depuis un mois.
Malgré les circonstances lamentables de son départ, Erwing semblait plutôt confiant et soulagé de me voir reprendre son poste. Certes, je l'avais arrêté et interrogé, mais j'avais prouvé mon intégrité en ne me laissant pas arrêter par son grade et je ne le traitais pas de manière irrespectueuse pour autant. N'importe qui pouvait commettre l'erreur de se laisser aveugler, même si j'espérais que ça ne serait jamais mon cas.
Je passai les mains sur mon visage pour me forcer à me concentrer de nouveau sur le dossier qu'on m'avait confié. J'allais avoir encore plus de responsabilités qu'avant, et un paquet de travail m'attendait. Avec ma réputation actuelle, il fallait que je sois irréprochable pour échapper aux bruits de couloir à mon sujet, mais aussi pour avoir les moyens de mener mon enquête et de conserver mon équipe.
J'en étais là de mes réflexions quand on toqua à la porte. À la fois agacé et soulagé d'être interrompu, j'invitai Hawkeye à entrer. Elle avait l'air sérieux, et bien qu'elle ait une liasse de dossiers sous le bras, je sentais qu'ils n'étaient qu'un prétexte.
- Colonel, vous n'avez pas tout dit.
- En effet, répondis-je posément.
- L'affaire dont vous parliez… C'est l'enquête sur la Chouette Blanche ?
- Tout à fait. J'attends que le Général Lewis me donne la latitude nécessaire pour en parler au reste de l'équipe.
- Et notre bureau ? L'armée n'acceptera pas l'exception d'une équipe de Lieutenants gérée directement pour un général. Même s'il acceptent de ne pas dissoudre l'équipe en nous replaçant dans différents services, ils vont sûrement vouloir quelqu'un de plus gradé à sa tête…
- Tout à fait.
- Cela ne vous inquiète pas ?
- Pas spécialement, puisque ce sera très probablement vous.
À ces mots, sa bouche s'arrondit de surprise. Manifestement, elle n'avait pas prévu cette hypothèse.
- Vous comptez me faire monter en grade ?
- Vous le méritez largement, fis-je remarquer. C'est vous qui avez neutralisé Mary Fisher, vous aussi qui avez trouvé les microfilms. Et soyons honnêtes, c'est déjà vous qui gérez cette équipe.
Elle resta figée quelques secondes, assimilant l'information. Elle semblait n'avoir jamais envisagé l'hypothèse d'être aussi haut gradée, mais sembla finalement l'accepter avec un haussement de sourcil.
- En tant que bras droit, c'est effectivement logique que je prenne votre suite.
- Je peux prendre ça pour un oui ?
- Bien sûr, Colonel-et-bientôt-Général.
- Vous aurez beaucoup de responsabilités, encore plus de travail…
- Je le sais.
- Cela risque d'être difficile…
- Arrêtez ça, fit-elle d'un ton sec et je me tus alors qu'elle plantait dans les yeux un regard à l'agacement parfaitement maîtrisé. Vous provoquez ma promotion pour ensuite me parler comme si vous vouliez que je la refuse. Mettez votre esprit au clair avant de vous exprimer. Vous espérez vraiment que je prendrai votre suite, ou non ? Vous doutez de mes compétences ? De ma résistance ?
Je restai bouche bée en réalisant ce que mon discours avait pu avoir d'insultant à ses yeux.
- Je suis désolé, je sais que vous êtes brillante et apte à ce poste, plus que moi par certains côtés. Je ne remets absolument cela en doute. Seulement…
- Seulement ? fit-elle du ton de la personne qui attendait de savoir si elle devait exploser ou non.
- Seulement, à force de jouer les stratèges et d'échafauder des plans, je finissais par oublier de vous demander si vous aviez seulement envie d'endosser ce rôle-là, avouai-je en baissant les yeux. Peut-être avez-vous d'autres objectifs, d'autres aspirations. Je vous estime trop pour vous traiter comme un pion, et je n'ai pas envie de ruiner votre vie.
Il y eut un silence qui me mit mal à l'aise, puis elle posa les dossiers sur mon bureau d'un geste agacé avant de répondre.
- Colonel, J'ai choisi de venir sous vos ordres pour une raison précise. Ne m'insultez pas en m'imaginant être inconséquente et fragile, je sais ce que cela implique et je ne compte pas dévier de la voie que nous nous sommes fixée. La seule raison que j'aurais de me retourner contre vous, ça serait si vous trahissiez cette promesse. Je savais en rentrant dans l'armée que je serais un pion, mais je préfère être une pièce maîtresse à vos côtés. Alors ne soyez pas idiot et n'essayez pas de m'épargner.
Je toussotai, gêné, et passai la main sur mon visage comme pour retrouver une contenance.
- Je…Désolé. Je fais sans doute preuve de faiblesse.
- Vous faites preuve d'humanité. Au fond, c'est une bonne chose, mais avec nos objectifs, c'est un luxe qu'on ne peut pas se permettre. Sur ce, si vous n'avez pas d'autres questions, je propose que nous nous remettions au travail.
Après un silence, elle repartit, me laissant soufflé. Je n'avais pas prévu de me faire remonter les bretelles par ma propre subordonnée. Passé la stupéfaction, je sentis un sourire remonter, et me remis au travail, résolu à mettre du coeur à l'ouvrage. Avec une alliée pareille derrière moi, je n'avais pas d'autre choix que d'aller loin. Si je n'avançais pas de mon propre chef, elle me propulserait en avant à grands coups de pied au cul.
J'avais oublié de lui demander de m'accompagner à la réception de ma promotion, qui aurait lieu samedi prochain, mais cela pouvait bien attendre. Cette soirée allait avoir son importance, mais cela restait des mondanités. C'était bien moins sérieux que les ennemis que nous devions abattre.
Je sortis de la poche de ma veste les cartes que Maes m'avait envoyées et les étudiai sous toutes les coutures, pour la millième fois au moins. J'avais bien tenté de chauffer le papier au cas où il aurait utilisé de l'encre sympathique, mais sans résultat, et je n'avais pas insisté de peur de les brûler.
J'avais commencé hier à faire des recherches à partir de ces indices, sans trop savoir par où commencer cependant. Tout ce que je savais, c'est qu'il était parti dans le nord du pays… Si j'avais eu moins de choses à faire, j'aurais ouvert des atlas en fouillant à la recherche d'un lieu concordant avec les indices, sans savoir quoi chercher précisément, supposant que je le saurais quand je le trouverais. Mais voila, je ne pouvais pas me payer le luxe de gâcher des après-midi entières à examiner des cartes en quadrillant patiemment des kilomètres carrés alors que je croulais déjà sous le travail. Cela aurait en plus attiré l'attention. Si je pouvais déléguer cette tâche ingrate à mon équipe, cela m'arrangerait… Je ne savais pas trop comment présenter la chose de manière à éviter d'ébruiter l'affaire.
Tournant l'une des cartes sous mes doigts, je restai songeur. Peut-être était-t-il temps d'en dire un peu plus à l'équipe. À part Hawkeye, et dans une moindre mesure, Shiezcka, personne ne se doutait de ce qui se tramait dans l'armée. C'était une erreur tactique de ma part. S'il nous arrivait malheur, nous emporterions avec nous toutes ces informations si précieuses, que Hugues avait arrachées au péril de sa vie. Je pris une grande inspiration. Havoc n'était pas le plus discret des hommes, je ne me voyais pas lui annoncer une nouvelle pareille, il ne saurait pas dissimuler son trouble et son inquiétude face à l'ampleur du danger. Mais si j'informais Breda, il faudrait que je le mette aussi dans la confidence, ces deux-là traînaient trop ensemble pour que j'informe l'un sans l'autre. Fuery était un bon technicien, mais avait-il la carrure de porter un tel secret ? Par certains côtés, il était aussi enfantin qu'Edward.
Je poussai un soupir, puis souris, réalisant à quel point j'étais stupide. J'avais déjà l'allié idéal pour cette mission, en la personne de Falman. Un rat de bibliothèque pareil, personne ne s'étonnerait qu'il fasse des recherches, tout le monde savait qu'il aimait ça. Quant à la confiance que je pouvais lui accorder… Il m'avait supplié de le prendre dans mon équipe dans l'espoir de venger Hugues, il n'y avait aucun doute quant au fait qu'il ferait des efforts pour le protéger. Et avec son caractère studieux et introverti, il était un peu à la marge du reste de la bande, il saurait plus facilement rester discret. C'était l'idéal.
Bien décidé à agir sur le champ, je me levai et ouvris la porte.
- Falman, vous pouvez venir quelques instants ?
- Bien sûr, Colonel ! fit-il en se levant, curieux ce que je m'apprêtais à lui dire.
Il entra et je refermai la porte derrière lui, l'invitant à s'asseoir. J'avais laissé les cartes sur la table, je remarquai son regard glisser sur elles, avant qu'il regarde le chaos étalé au sol d'un oeil observateur.
- Falman, avez vous un atlas chez vous ?
- Bien sûr, Colonel.
- J'aurais une mission très sensible à vous confier. Je peux compter sur votre discrétion ?
- Vous me connaissez.
- Pourriez-vous faire une recherche pour moi ? Je cherche à localiser un lieu au nord du pays, mais mes indices sont maigres… Si je vous les confie, pourrez-vous fouiller pour moi ?
- Je suppose que oui, fit-il.
Je repris les quatre cartes et les rassemblai en un petit tas que je lui tendis.
- Elles sont extrêmement précieuses, je compte sur vous pour ne les montrer à personne.
- Des cartes postales ? Qu'ont-elles de si spé…
Le militaire avait parlé d'un ton tranquille mais sa voix s'était évanouie quand il avait tourné le dos de la première carte et vu ce qui était écrit au dos. Je vis passer des émotions que je connaissais bien. Hawkeye avait eu à peu près la même réaction en découvrant la vérité.
Avec un sourire léger, je le regardai écarquiller les yeux, scruter la carte, regarder les autres, se frotter les yeux, repasser les cartes comme pour vérifier et secouer la tête, une main plaqué sur la bouche, comme pour empêcher l'émotion d'exploser.
- Je… je rêve ou c'est ce que je pense ?
- Vous ne rêvez pas.
- Il est vivant ?! Comment… ?
- C'est une longue histoire.
- Depuis quand… ?
- Depuis quand je le sais ? Depuis le début.
- Et vous ne nous n'en avez pas parlé ?
- Il fallait être le plus discret possible pour que ça marche. Le moindre détail aurait pu le trahir.
- Oh bon sang… marmonna-t-il au creux de sa main. Vous vous rendez compte de l'effet que ça fait d'apprendre ça ?
- Je comprends très bien.
- … Mais pourquoi l'avoir caché aussi soigneusement ? Pourquoi avoir disparu comme ça ?
- Il est toujours en danger. Nous avons des ennemis qui contrôlent l'armée. Des personnes qui ignorent que nous connaissons la vérité à leur sujet, et c'est pour nous un avantage précieux. Je pense que vous comprenez à quel point c'est important.
À ces mots, l'expression de joie sincère s'effaça de son visage, remplacé par un sérieux teinté d'inquiétude.
- Des personnes haut gradées ?
- Très haut gradées, confirmai-je.
Je n'avais pas besoin d'en dire plus. À ces mots, il avait compris que je parlais du Généralissime lui-même, et pris conscience de la gravité de la situation.
- Je serai une tombe, Colonel.
- Je compte sur vous.
- … Merci de m'avoir confié cette mission.
- Vous ne me remercierez pas quand vous aurez passé des jours à vous user les yeux sur un atlas, répondis-je avec un sourire cynique.
Une nouvelle semaine de travail s'était achevée, et nous n'étions plus que trois dans le bureau. Las de traiter des dossiers, je m'étais changé les idées en commençant à coder le message que je comptais transmettre à Maes, une fois que Falman serait parvenu à le localiser. Mon plan était simple : le publier sous forme d'énigme parmi les annonces du journal qu'il serait le plus susceptible de trouver là où il était. Pour éviter que n'importe qui puisse le décoder, je comptais utiliser deux clés. J'avais confiance en ses capacités à comprendre le code que j'allais employer. Il tâtonnerait peut-être un peu mais finirait par trouver tout de même, et il valait mieux cela que de prendre le risque que le message puisse être compris par l'ennemi.
Pendant que je m'échinais à raccourcir le texte que je voulais transmettre et choisir un processus trouvable sans être trop facile, Hawkeye et Havoc avaient prétexté un travail à finir pour laisser filer le reste de l'équipe. Je devais avouer que ne pas les avoir dans les pattes quand j'irais présenter mes excuses à Bérangère me soulageait. Je connaissais leur capacité à diffuser des potins, et j'aimais autant éviter. Hawkeye finit par toquer à la porte de mon bureau, me demandant si j'étais prêt à partir, et je brûlai les notes que j'avais faites, ne tenant pas à laisser la moindre trace de mon processus. L'important, c'était que l'idée que j'avais en tête progresse, je finirais ma tâche chez moi, au calme, un autre jour.
Havoc nous accompagnait, mais je savais qu'il avait ses propres raisons, et que c'était une serveuse répondant au nom de Roxane, avec qui il avait eu une fin de soirée débridée. Les bruits de couloirs avaient cavalé au cours de la semaine, bien sûr, mais je n'avais même pas eu besoin de ça pour le deviner. Il avait suffit de voir sa tête béate le lendemain de la fête pour savoir qu'il avait tiré son coup. En revanche, une fois l'euphorie retombée, il avait peu à peu retrouvé ses questionnements habituels, sombrant dans une profonde inquiétude, plus nerveux chaque jour à l'idée de la revoir et que ce souvenir soit terni par un désagréable revirement de situation.
C'est ainsi que nous quittâmes le QG, suivant Hawkeye qui nous guidait avec la fermeté d'un adulte traînant deux gosses par les oreilles. Heureusement pour notre dignité, c'était métaphorique. La nuit était déjà tombée, nappée d'un épais brouillard qui dessinait un halo autour des éclairages. Je remontai le col de mon manteau pour échapper à l'humidité qui s'immisçait et refroidissait tout. Le silence embarrassé finit par me peser, aussi engageai-je la conversation.
- Vous marchez de mieux en mieux, Havoc, commentai-je en constatant que s'il avait toujours sa béquille, il s'appuyait beaucoup moins dessus.
- N'est-ce pas ? Ça va bien mieux, même si j'ai encore mal.
- J'espère que vous serez bientôt complètement guéri.
- Et moi donc ! J'ai tellement hâte de recommencer à cavaler dans les salles d'entraînement. Je n'en peux déjà plus des paperasses. Je sais pas comment vous faites pour supporter toute l'administration que vous avez à gérer !
- Je n'ai pas le choix, répondis-je avec un sourire.
Le tram qui arrivait était bondé, nous faisant renoncer à discuter, puis la fin du trajet passa rapidement. Un peu trop vite, même, car une fois arrivé devant la porte du Bigarré, je réalisai avec une bouffée d'appréhension que je ne savais toujours pas comment réengager la conversation après le quiproquo de la dernière fois. Hawkeye et Havoc entrèrent en premier, et après avoir soupiré nerveusement, je les suivis.
L'une de filles du Cabaret, la grande noire à l'afro florissante, encaissa nos places avec un large sourire et mit nos manteaux au vestiaire, et nous n'eûmes pas d'autre choix que de rentrer dans la salle. Un concert se préparait, et il y avait bien plus de monde que les autres fois. Je me rappelai que nous étions samedi soir, et que plus que jamais, les gens sortaient faire la fête. Cette idée m'agaça plus qu'autre chose tandis que je cherchais Bérangère des yeux au milieu de la foule.
Je reconnus bientôt sa petite silhouette tandis qu'elle apportait des verres à une table. Elle portait la même robe rouge que lors de notre première venue au cabaret, et quand nos regard se croisèrent, son visage prit la même couleur. Elle détourna les yeux et repartit vers le bar un peu précipitamment. J'ouvris la bouche comme pour parler, conscient qu'elle ne pouvait pas m'entendre, et renonçai.
- Oh mon dieu… Souhaitez-moi bon courage ! murmura Havoc, qui devait avoir repéré Roxane à son tour.
- Arrêtez de fuir vos responsabilités, fit Hawkeye avec une inflexion agacée.
Elle avait accompagné sa phrase de deux petites claques entre les omoplates qui nous forcèrent à faire un pas en avant. À ce moment-là, une des serveuses avec qui aucun de nous trois avait eu d'expérience embarrassante nous repéra et s'approcha. C'était une grande rousse, un peu trop maigre mais très élégante. Elle demanda avec un sourire.
- Bonsoirrr ! On ne vous a pas encorre installés ?
Je secouai la tête et elle nous amena à une table basse entourée de trois fauteuils dépareillés.
- Vous êtes venus voirrr Angie ?
- Oui, répondit sobrement Hayweye.
- Je vais la prrrévenirrr, comme ça elle pourrrra s'occuper de vous comme ça.
- Merci !
- Et j'aimerais p-parler à Roxane, ajouta maladroitement Havoc.
Ses yeux vert pâle se plissèrent dans un sourire et elle repartit avec un hochement de tête entendu. Havoc poussa un soupir de soulagement, et si je fus plus discret, je n'en pensais pas moins. Je suivais du regard la silhouette rouge avec un sentiment de frustration croissant. J'avais beau réfléchir, je ne voyais pas ce que j'avais loupé. Que ce soit lors de la première soirée au Bigarré, lors de notre rendez-vous de dimanche dernier ou de ma dernière venue, tout dans son comportement me poussait à croire qu'elle avait des arrière-pensées envers moi. Tout… sauf la conclusion.
Quand Angie arriva à notre table, ce fut avec trois cartes et un sourire guindé.
- Bonjour, vous mangerez ici ?
- Oui, s'il te plaît.
- Vous prendrez quelque chose à boire en attendant ?
Havoc commanda une pression, et Hawkeye et moi nous partageâmes une bouteille de vin de l'Est. Angie repartit après nous avoir présenté les plats du jour. Ses cheveux blonds étaient remontés dans un chignon haut retenu par une barrette dorée. En voyant le décolleté de son dos et sa nuque, je ne pus m'empêcher de laisser mon regard s'attarder sur ses lignes épurées, avant de me taper mentalement sur les doigts.
Une relation purement amicale, on a dit.
- Eh, Hayles est là ! s'exclama Havoc.
- Bien sûr que je suis là, j'habite ici, je vous rappelle, apostropha la jeune militaire d'un ton affectueux en passant à côté de notre table. Vous allez bien ?
- On fait aller, grimaça Havoc. Et vous ?
- Je ne vais pas me plaindre. Demain, c'est grasse matinée, et ce soir, ça va danser sec ! fit-elle avec un petit entrechat, avant de repartir servir.
Je regardai partir la brunette qui était devenue la coqueluche de mon équipe. Curieusement, j'avais beau admettre qu'elle était très mignonne, elle ne m'intéressait pas plus que ça. Ce n'était pas plus mal, elle avait déjà assez de prétendants comme ça, et j'avais d'autres soucis en tête.
Angie revint avec nos boissons et prit nos commandes tandis que le spectacle commençait. Elle transpirait toujours la gêne, et son embarras ne faisait qu'empirer le mien. Comme elle était partie pour filer aussitôt les plats notés, je me levai un peu précipitamment pour partir à sa suite. Je la rejoignis au bar alors qu'elle venait de transmettre les commandes.
- Bérangère !
Elle se retourna, mortifiée en entendant son nom complet. Tout le monde l'appelait par son surnom, peut-être qu'elle ne l'aimait pas — je pourrais le comprendre — mais c'était le seul moyen que j'avais trouvé pour formaliser la distance que me devais d'avoir.
- Je suis sincèrement désolé pour l'autre jour.
- Je suis désolée aussi, répondit-elle en se frottant machinalement l'épaule, évitant mon regard. On ne s'est pas bien compris.
- Sans aucun doute, marmonnai-je en me grattant la tête.
Nous étions plantés au milieu du passage, sans doute assez ridicules. Heureusement, ce qui se déroulait sur scène était bien plus intéressant aux yeux des personnes qui nous entouraient.
- J'ai discuté avec Hawkeye, elle m'a tout expliqué…
À ces mots, la petite blonde sursauta et devint livide.
- Elle vous a tout expliqué quoi ? bafouilla-t-elle d'un ton précipité.
- Que ce tête-à-tête n'était pas prévu et qu'elle n'avait absolument pas eu l'intention d'arranger un rendez-vous entre nous.
Elle expira, comme soulagée, et reprit la parole.
- Oui, ce n'était pas l'idée. Je suis désolée pour cette incompréhension, et ma réaction…
- Ne vous excusez pas, je n'aurais pas dû agir de la sorte.
Même si sur le coup, je pensais vraiment bien faire, pensai-je avec une pointe d'amertume.
- On m'a expliqué à quel point mon comportement prêtait à confusion. J'avoue que je me sens tellement peu concernée par les relations amoureuses que… ça ne m'était même pas venu à l'esprit…
- … Vous ne m'en voulez pas alors ?
- Je… non, je ne vous en veux pas, bredouilla-t-elle.
- Ah, je suis soulagé, alors, fis-je en souriant.
Elle prit une grande inspiration, manifestement embarrassée mais contente tout de même. Il y eut quelques secondes de flottement couvert par le brouhaha des discussions et la musique, quand le barman l'apostropha.
- Angie, n'oublie pas que tu es de service.
- Ah, désolé Neil, je file en cuisine ! s'exclama-t-elle dans un sursaut avant de disparaître.
Je me retrouvai seul à côté du bar, l'homme qui lui avait parlé m'observait avec une attention amusée en remplissant des pintes de bière. Je me sentis rougir à l'idée que cette conversation ait été suivie de bout en bout.
- Vous, ne dites rien.
- Je ne dis jamais rien, répondit le barman d'un ton tranquille.
N'ayant aucun moyen de savoir s'il disait la vérité, je dus me contenter de cette réponse et revenir à table. Havoc avait disparu, remplacé par le sergent Hayles qui discutait avec animation avec Hawkeye.
- Hé bien, qu'est-ce que vous avez fait de Havoc ?
Hayles désigna un coin de la pièce avec un sourire en coin, et je vis le Lieutenant debout en train de discuter avec la rouquine de l'autre fois. Je souris, pris d'une affection moqueuse pour le grand blond qui rougissait et se grattait l'arrière du crâne avec des airs d'adolescent maladroit, avant de réaliser que je devais avoir eu l'air aussi ridicule quelques minutes auparavant.
- Ils sont mignons, commenta Hayles d'un ton amusé. J'espère que ça marchera entre eux.
- J'espère aussi, ça lui ferait le plus grand bien.
- Et vous, avec Angie ?
Je restai bouche bée, pas du tout préparé à ce qu'une subordonnée me pose la question de manière aussi frontale.
- Je… nous n'avons pas ce genre de relations, bafouillai-je.
- C'est purement amical, confirma Hawkeye d'un ton froid
La petite brune haussa un sourcil en tâchant de dissimuler sa surprise, et je compris que tout le monde dans le cabaret devait être plus ou moins au courant de l'affaire. Je noyai ma gêne dans mon verre de vin et fus soulagé de voir revenir Havoc, qui en plus, avait un sourire niais vissé au visage.
- Je vous laisse, il y a du service à faire, annonça Hayles en se levant.
- Bon courage ! fit Havoc avant de s'asseoir. Il en faut, du courage, pour enchaîner les soirées comme ça en plus de son boulot, ajouta-t-il. Comment elle fait pour tenir ?
- Ces moments passés au cabaret sont pour elle une source d'énergie, pas de fatigue, fit Hawkeye d'une voix assez basse.
- Voici vos plats ! s'exclama Angie, les bras chargés d'assiettes qu'elle commença à distribuer à la tablée.
- Tu arrives bien à porter tout ça, comment tu fais ? s'étonna Havoc.
- Il y a des techniques pour ça, Jess et Nat' m'ont montré, c'est assez facile quand on sait s'y prendre ! Je suis sûre que tu pourrais aussi le faire.
- Je ne vais pas prendre le risque, on me traite toujours de maladroit ! En plus, j'ai encore besoin d'une main pour me servir de ma canne.
- Raison de plus pour apprendre à tout porter d'une main ! répliqua-t-elle aussitôt avec un large sourire. Je vais vous laisser, il y a des clients qui me font signe. Bon appétit !
- A tout à l'heure alors, répondit Hawkeye avant de se pencher sur son assiette.
Un silence appréciateur retomba à notre table tandis que chacun se mit à manger, et mon attention se reporta sur le spectacle. C'était le genre de musique que j'aimais, et les instrumentistes étaient meilleurs que ce à quoi je m'attendais de la part d'une salle méconnue. Quant aux chanteuses et danseuses, elles avaient une personnalité qui ressortait sur scène, leur donnant une grande vivacité. Andy, le jeune danseur de claquettes, commença son numéro, et je sentis une bouffée d'agacement en le voyant. J'étais trop civilisé pour le montrer, mais la manière dont il avait kidnappé Angie en coupant notre conversation pour la faire danser m'était restée en travers de la gorge. Heureusement, je parvins à ne pas me bloquer sur cette idée et profiter du repas et de la soirée.
Le plat était bon, simple peut-être, mais avec des produits de qualité. Bientôt, je me sentis joyeux et détendu. Il y avait quelque chose dans ce lieu qui poussait à être heureux, et l'appréciais d'autant plus que c'était une sensation plutôt rare. Comme le coup de feu semblait passé, Roxane rejoignit la table, s'accoudant à la chaise d'Havoc faute d'avoir une place assise.
- Vous restez après le spectacle ? Le samedi soir, c'est spéciale danse, en général on s'amuse bien !
- Avec plaisir, répondis-je, ça me fera du bien de me changer les idées.
- De mon côté, je ne suis pas encore en état pour ça.
- C'est pas grave, Jean, on boira des coups à la place.
La réponse de celle qui semblait être devenue sa petite amie nous amena un sourire, et Angie revint pour débarrasser les plats.
- Vous voudrez des desserts ?
- Je prendrais bien un café gourmand, si possible.
- Oh, bonne idée !
- Trois cafés gourmands, acheva Hawkeye.
- C'est noté ! fit-elle. Je vous amène ça, je vous rejoins après !
Je répondis par un sourire et un hochement de tête et la regardai partir, me demandant par quel mystère je pouvais apprécier sa compagnie alors que j'étais noyé d'embarras à pratiquement chaque rencontre. Force était d'admettre qu'elle avait un je-ne-sais-quoi de terriblement attachant qui compensait tout à fait ce désagrément.
- Vous savez que vous ne pouvez pas la draguer, hein Colonel ? fit remarquer Havoc en suivant mon regard.
Sa remarque m'irrita aussitôt.
- De quoi je me mêle, Lieutenant ?
- Il a raison, elle est bien trop pure pour ça, confirma Roxane.
- J'ai bien compris, hein, soufflai-je, mais je ne vois pas en quoi ça vous regarde ! Elle est bien capable de le dire elle-même.
La manière dont le reste de la tablée s'entre-regarda n'arrangea rien à mon agacement.
- Qu'est-ce que vous avez, tous ? pestai-je.
- Dites-moi, où vous vous êtes rencontrées avec Angie ? demanda Hawkeye à Roxane en ignorant ma réaction.
- On a fait connaissance pendant une audition, on a tout de suite accroché ! Bon, c'est parce qu'on s'est toutes les deux fait refouler et qu'on s'est remonté le moral en mangeant ensemble… mais au moins ça nous a permis de trouver une coloc.
- Et ça se passait bien ?
- Ahaha, Angie était une catastrophe pour les tâches ménagères ! Mais mis à part ça, ça se passait bien, et puis elle est marrante.
- Vous parlez de quoi ? demanda la principale intéressée en déboulant dans la conversation.
- On dit du mal de toi, répliqua Roxane du tac au tac.
- Saleté ! grommela-t-elle tout en rougissant.
Son expression me rappela Edward. Cette pensée m'avait déjà effleuré l'esprit, mais l'idée de voir des points communs entre elle et le pire des subordonnés suicidaires était tellement absurde qu'elle en devenait dérangeante.
C'est juste parce qu'il me manque, je le vois partout. Parce qu'il ne donne pas de nouvelles, ce petit con, pestai-je intérieurement.
- Bon appétit ! s'exclama joyeusement Havoc avant de s'attaquer aux desserts qu'Angie avait apportés avec nos cafés.
Je l'imitai en goûtant une tarte au citron meringuée et poussai un soupir bienheureux.
- Cette tarte est excellente ! La meringue est parfaite, commentai-je.
- Merci, fit Roxane, je transmettrai à Lily-Rose, ça lui fera plaisir. Et je veux bien votre avis sur la mousse au chocolat, j'ai aidé à sa fabrication.
- Et toi, Angie, tu as participé aux préparatifs du repas ? demanda Havoc.
- Non, je répétais avec les filles pour notre numéro de claquettes. La première est prévue pour mardi prochain.
- Ça va, je peux manger, alors !
- Mais… !
Personne ne put s'empêcher de rire face à l'indignation d'Angie.
- Je viendrai voir ça, fis-je après avoir retrouvé mon sérieux. En toute amitié, ajoutai-je en sentant le poids des regards sur moi.
- Ça me ferait plaisir ! répondit-elle en souriant largement avant de se lever pour entonner la chanson clôturant les numéros.
J'avais compris que c'était une tradition des lieux, et cette chanson joyeuse me plaisait bien. Elle s'acheva dans une pluie d'applaudissements, puis Andy remonta sur scène pour prendre la parole.
- La première partie de la soirée est maintenant terminée. J'espère que vous avez bien mangé et que maintenant vous voulez boire et danser, parce que c'est l'heure de faire la fête ! Avec notre superbe bande de musiciens et notre pile de disques, on a de quoi danser toute la nuit pour mettre le feu à la piste. On compte sur vous pour faire le show !
Le regard pétillant que me lança Angie me rassura. J'avais peut-être perdu un flirt, mais pas ma partenaire de danse. Le sourire aux lèvres, j'abandonnai la table pour la rejoindre au centre du parquet. Les premières notes de saxophone résonnèrent, puis le piano, la guitare, le violoncelle, nous embarquant dans un swing endiablé. Instantanément, toutes mes questions et inquiétudes s'effacèrent. Ce n'était que du bonheur de danser avec Angie. Elle bondissait avec énergie, suivant mes intentions avec un naturel dont je n'avais pas souvent fait l'expérience, un sourire dévorant son visage, ses cheveux s'échappant de sa coiffure, son corps fin se perdant dans les plis amples de sa robe au rouge intense.
J'aurais pu regretter de ne pas pouvoir espérer plus, parce que décidément, elle était jolie, et même ses lunettes ne pouvaient pas le cacher… mais voilà, j'avais la chance d'avoir quelqu'un avec qui rire et danser, c'était au moins aussi plaisant. Je me contenterais de l'amitié qu'elle voudrait partager avec moi, et si le reste me manquait, je le chercherais ailleurs, comme je l'avais toujours fait. Je n'étais pas du genre à courir après les femmes si elles me disaient non, et de toute façon, Hawkeye m'étriperait si je tentais quoi que ce soit. Affaire classée.
Le rythme était endiablé, et au milieu de la foule des danseurs, je me perdis dans un déluge de sensations visuelles et sonores. C'était l'adrénaline sans le danger. Je faisais virevolter Angie du bout des doigts avant d'entamer une passe, quand elle eut un mouvement imprévu. Nos mains se croisèrent sans s'attraper, et, emportée par l'élan, elle s'effondra de tout son long sur la piste.
Oh merde !
Je sentis mon visage se décomposer et bondis à côté d'elle.
- Angie, ça va ? ! Tu n'es pas blessée ?
Elle fixait le plafond d'un air hébété, faisant monter en moi une bouffée de terreur. Est-ce que c'était grave ? Elle tourna un regard un peu absent vers moi, puis pouffa avant d'éclater de rire, me laissant complètement désarçonné.
- Tu verrais ta tête !
- Je suis désolé, bredouillai-je. Tu n'as pas trop mal ?
- Mais non ! C'est rien du tout !
Elle était morte de rire, et je ne m'attendais pas à ça. Même les musiciens s'étaient arrêtés en voyant sa chute. Au bout de longues secondes embarrassantes où les personnes autour de nous s'inquiétaient avant de comprendre que ses soubresauts n'étaient pas dûs à des larmes, elle prit la main que je lui tendais pour l'aider à se relever tout en continuant à rire. Elle adressa un signe aux personnes sur la scène pour les rassurer sans parvenir à retrouver son sérieux. Sa réaction, si absurde qu'elle soit, me rassurait, et la spontanéité avec laquelle elle m'avait tutoyée était aussi inattendue que plaisante.
- Je suis vraiment désolé, je ne l'avais pas vu venir.
- C'est ma faute, j'ai trop anticipé en fonçant dans le tas.
Elle n'avait pas tout à fait tord, mais je me sentais quand même coupable.
- Pour la peine, je t'offre à boire ! Tu veux quoi ?
- Mh… je vais éviter de prendre de l'alcool, alors un diabolo violette ?
- D'accord. Je te laisse t'asseoir avec les autres, je vais commander ça au bar.
- Euh… c'est que normalement c'est à moi de faire le service…
Je ne répondis pas mais lui lançai un regard qui lui fit renoncer à m'empêcher d'être serviable. Je payai une bière et un diabolo violette avant de revenir à la table où elle discutait avec animation avec Hawkeye, Havoc et Roxane.
- J'aimerais vous y voir, aussi ! Vous croyez que c'est facile ? s'exclama la petite blonde, couvrant le brouhaha.
- En même temps, si tu y avais réfléchi avant… fit remarquer Hawkeye.
- Sérieusement, dis-le, ça devient lourd, soupira Havoc.
- Je confirme !
- C'est bon, je vais le faire, marmonna la petite blonde, dos à moi. Dès que je peux….
- Angie, souffla Hawkeye.
Je n'avais écouté que d'une oreille, fixant la silhouette de la petite blonde avec une expression choquée. Les autres levèrent vers moi un regard inquiet et en le remarquant, Angie suivit leur regard et tourna la tête, provoquant un sursaut dans la tablée.
- Putain Angie, tu pisses le sang ! s'exclama le lieutenant d'un ton horrifié.
- Ah ?
Elle retira son gant gauche et tâta son chignon qui s'était teinté de rouge, laissant un peu de sang sur ses doigts.
- Ah, oui, constata-t-elle d'un ton indifférent.
- Je suis vraiment désolé… bredouillai-je en réalisant qu'en dépit de ce qu'elle disait, je l'avais réellement blessée en ne parvenant pas à la rattraper.
- Vous voulez bien m'aider à désinfecter ça ? fit-elle en levant les yeux vers moi.
Je me serais plutôt attendu à ce qu'elle demande à Roxane ou à Hawkeye, mais comment pouvais-je refuser ?
- Bien sûr, c'est de ma faute en plus, répondis-je avant de la suivre.
Nous nous faufilâmes entre les danseurs pleins d'énergie et atteignîmes le bar.
- Neil, tu sais si on a une trousse de premiers soins ?
- Pourquoi, il y un problème ?
- Je me suis un peu esquintée, avoua la blonde en montrant sa main ensanglantée.
- Aoutch. La pharmacie est à l'étage, dans le placard à l'entrée de la salle de bain, mais il y a de quoi dépanner dans les coulisses si tu préfères.
- On peut y aller ?
- Ca dépend de ce que vous comptez y faire.
- … POUR QUI TU ME PRENDS ?! s'exclama-t-elle en rougissant après quelques secondes de latence. Je suis pas une tordue comme d'autres !
Neil eut un petit rire, ayant visiblement obtenu l'effet recherché, mais ça ne l'empêcha pas de me regarder d'un oeil attentif, comme si j'étais une personne à surveiller.
- Je vais chercher la trousse et on ira dans la cuisine plutôt, décida Angie. Ce sera mieux d'avoir de l'eau.
Je hochai la tête et la blonde fila dans la verrière, passant sans doute par une entrée que je n'avais pas remarquée, puis revint quelque secondes après avec une trousse blanche sous le bras, avant de me mener vers une des nombreuses portes de la salle. Angie toqua et ouvrit, et j'entrai à sa suite dans la cuisine. La pièce, assez spacieuse, était occupée par une femme aussi grande que maigre qui faisait la plonge, voûtée au dessus de l'évier, une tasse de thé posée à côté d'elle, les cheveux bouclés s'échappant d'un chignon chaotique. Elle nous regarda entrer d'un air surpris.
- À qui ai-je l'honneur ?
- Ah, Roy Mustang, fis-je en lui tendant la main.
- Oh, je connais ce nom, vous êtes un collègue de Maï. Maïwenn Hayles, fit-elle en la serrant avec énergie.
- Tout à fait.
- C'est ma meilleure amie. Lily Rose, je suis la costumière de la bande, et je m'occupe de la plupart des repas.
- C'est à vous que je dois de m'être régalé, alors, répondis-je avec un sourire.
- Merci ! Pourquoi vous êtes là ?
- Ah, parce que je saigne, fit Angie en désignant sa tête. Je me suis un peu écorchée en tombant.
- Oh, mince. Installe-toi, je vais chercher de quoi te faire une petite tisane si tu veux !
- Ahahah, merci, je veux bien !
Lily-Rose quitta la pièce, nous laissant seuls. Angie s'assit à la table et détacha son chignon, ne gardant que la tresse plaquée qui rabattait en arrière des mèches qui autrement, lui seraient retombées sur le front. J'observai sa silhouette, un peu plus remué que je l'aurais voulu. Pour ne pas m'attarder sur cette idée, je pris un saladier propre que je remplis d'eau tiède et le posai sur la table, avec un chiffon. Le sang avait imbibé une mèche de rouge et s'était coagulé. J'écartai ses cheveux dorés et tâchai de laver la plaie.
- Je ne te fais pas mal ? soufflai-je.
- Non.
Un silence feutré retomba. Je la sentais tellement gênée que je commençais à l'être aussi.
- Ça donne quoi ?
- C'est assez spectaculaire mais la blessure n'a pas l'air grave. C'est juste que le cuir chevelu saigne beaucoup.
- Oui, je m'en doutais.
On entendait filtrer la musique et les rires de la salle de spectacle, mais la pièce, malgré le chaos laissé par les plats préparés dans l'urgence, avait une atmosphère paisible.
- Je suis désolée de vous avoir tutoyé tout à l'heure, murmura-t-elle.
- Ne t'en excuse pas, j'en étais ravi.
- Ah…
- En toute amitié, bien sûr, ajoutai-je.
- Ahahah, oui, fit-elle avec un rire un peu mécanique. En toute amitié, il faudra que je… te rende ta veste d'uniforme…
- Ah oui, c'est vrai. J'en ai en réserve, mais bon, ce serait mieux que je la récupère.
- Et je dois te faire un aveu…
Elle avait baissé la tête et ses mèches blondes glissèrent entre mes doigts. En entendant sa voix se nouer, j'eus une bouffé d'inquiétude. Quelle était cette chose si grave qu'elle devait me dire ? Elle avait essayé plusieurs fois de me parler depuis notre rencontre. J'avais cru pendant un moment qu'il s'agissait de me faire part de sentiments sur lesquels je m'étais fourvoyé, mais je savais maintenant que c'était autre chose.
Malchanceuse comme elle était, je ne pus m'empêcher de supposer que Lily-Rose reviendrait dans la pièce pour l'interrompre une fois de plus, et cette idée me fit sourire malgré moi.
- Je t'écoute, fis-je d'un ton encourageant.
- Je… je suis…
Une violente explosion résonna dehors et un éclat lumineux traversa les vitres, faisant trembler toute la pièce autour de nous. Je sursautai, sentant mes instincts de combattant se réveiller face au danger.
- C'était quoi… ça ? bredouilla Angie d'un ton inquiet.
- Je ne sais pas, mais ça n'est pas normal.
- Vous avez entendu ça ? s'exclama Lily-Rose en revenant dans la pièce dans un nuages de châles, de volants et de boucles. Qu'est-ce que c'était ? Vous avez vu quelque chose ?
- Je vais voir ce qui s'est passé avec mon équipe fis-je en me dirigeant vers la salle de spectacle.
- Je vous accompagne, s'exclama Angie en se levant.
- Non, reste en sécurité, soufflai-je. C'est à des militaires de gérer ça.
Ma réponse ne sembla pas lui plaire. Elle leva vers moi un regard résolu, s'apprêtant à parler, et tourna les yeux vers la costumière. Elle bafouilla un début de phrase silencieuse, avant de refermer la bouche comme on abandonne le combat.
- Faites attention, lâcha-t-elle du bout des lèvres, comme victime d'une humiliation qui m'échappait.
Je ne savais pas quoi répondre, alors je posai une main que j'espérais rassurante sur sa tête, ébouriffant brièvement la tresse qui dégageait son front avant de repartir vers la salle. La porte s'ouvrit avant que je l'atteigne, laissant passer Hawkeye, talonnée par Havoc et Hayles.
- Colonel ! Vous avez entendu ça ?
- Oui. L'explosion venait de cette direction, fis-je en désignant la fenêtre.
- Je peux vous ouvrir la porte de service, fit Lily-Rose, tout en mettant sa proposition à exécution.
Je m'engouffrai dehors avec les autres, sentant déjà monter la gêne d'avoir eu un geste trop affectueux. Ce n'était pas le moment de penser à ça. La neige avait fondu et regelé, rendant les trottoirs glissants, il fallait être prudent en cavalant dans la lumière sale des réverbères. Je vis qu'aux alentours des dizaines de fenêtres s'étaient rallumées. L'explosion avait réveillé tout le quartier. Une fuite de gaz ? Un attentat ? Que s'était-il passé ? Y avait-il eu des morts ?
Je bifurquai au carrefour et me figeai en découvrant la raison de ce vacarme.
Au milieu de la route salie par le sel gisait une carcasse de voiture encore en flammes. L'explosion avait projeté des éclats fumants partout aux alentours, et la chaleur du brasier avait fait fondre la neige à proximité. Le bitume formait un cercle noir autour du véhicule, accentuant l'aura dramatique de la scène. J'avais du mal à respirer en voyant la carcasse en feu qui me projetait des années en arrière, quand s'était terminée la guerre d'Ishbal. Je ne voulais pas repenser à ça, je ne voulais pas me noyer dans cette noirceur-là.
- Colonel !
La voix d'Hawkeye me ramena à la réalité et je pris une grande inspiration avant de rejoindre le reste de l'équipe qui m'avait doublé et était déjà en train d'étudier la scène de crime et d'écarter les civils curieux qui s'approchaient de trop près.
- Des victimes ? demandai-je sèchement en arrivant à leur hauteur.
- Deux corps, le conducteur et une personne assise à l'arrière. Vu leur état, leur identification risque de prendre du temps.
Approchant malgré la chaleur intense qu'émettait le brasier, je jetai un bref coup d'oeil à l'habitacle. Deux cadavres déformés par l'explosion gisaient là, calcinés, méconnaissables. C'était le genre d'images que j'avais trop vues, mais elles me donnèrent tout de même la nausée. Elles n'avaient pas leur place ici, elles appartenaient à la guerre, pas aux beaux quartiers de la capitale. Il se passait quelque chose de grave ici, ça ne faisait aucun doute.
- Des blessés ? Des témoins ?
- Un passant était à côté de la voiture au moment de l'explosion, il s'est pris des éclats et est un peu sonné, mais ses blessures ont l'air superficielles. Hayles est en train de l'examiner.
Je jetai des coups d'oeil alentour. Hawkeye venait de rendre compte du peu d'information que nous avions à l'heure actuelle, Havoc rassemblait les passants pour savoir qui avait été témoin et renvoyer les autres, Hayles s'était assise sur le perron d'une maison et étudiait le visage du témoin en lui parlant d'un ton rassurant.
- Est-ce que quelqu'un peut me passer une couverture, des serviettes et de la glace ? demanda la brunette à la ronde.
- Je m'en occupe ! s'exclama une civile avant d'entrer dans l'immeuble où elle habitait sans doute.
Approchant du témoin, je m'agenouillai pour me mettre à sa hauteur et lui parlai d'une voix aussi douce que possible.
- Ça va ?
- J'entends pas bien, j'ai les oreilles qui sifflent, bredouilla l'homme dont le visage et les vêtements avaient été noircis de fumée et brûlés par endroits.
- C'est normal, c'est le contrecoup de l'explosion, expliquai-je. Je l'ai vécu aussi. Votre ouïe va revenir. On va vous emmener à l'hôpital pour vérifier que vous allez bien, mais votre état n'est pas anormal.
- Je vais les appeler, fit Hayles d'une voix douce en lui tapotant l'épaule. Je vous laisse parler avec le Colonel Mustang, dites-lui ce que vous m'avez raconté, d'accord ?
- Oui, fit-il d'une voix rauque en suivant du regard la jeune militaire qui était sans doute bien plus rassurante que moi.
- Alors, qu'avez-vous vu ? demandai-je en sortant de ma poche mon carnet et un crayon.
- J'étais en train de marcher sur le trottoir, juste là, fit-il en désignant la direction. La voiture roulait vers moi, comme ça, et d'un coup, comme ça, elle a explosé. Ça m'a… j'étais juste à côté. C'était horrible.
Je hochai la tête. Je pouvais bien imaginer le choc.
- C'était tellement inattendu. Elle roulait tranquillement, tout avait l'air normal, et d'un coup… D'un coup… Elle a explosé. Comme une boule de feu. Je suis tombé en arrière sous le souffle, et je suis resté là, sous le choc.
- Vous n'avez rien remarqué d'anormal ?
- Rien, il n'y avait personne, je rentrais d'une soirée entre amis… Et la voiture roulait tranquillement, elle ne zigzaguait pas, elle n'allait pas spécialement vite…
- Je vois, fis-je en prenant des notes, le yeux rivés sur mon carnet. Merci pour votre aide.
- J'ai appelé l'hôpital de la gare, ils seront là dans quelques minutes pour s'occuper de vous, fit Hayles en revenant à nos côtés.
- Qu'est-ce que vous pensez qui s'est passé ? C'est un accident ? Un attentat ?
J'échangeai un coup d'oeil à Hayles qui se tenait debout à côté de moi. Une chose était sûre, ce n'était pas un accident : aucune voiture ne pouvait exploser spontanément comme ça. Elle avait dû être piégée. Un attentat, c'était peu probable, l'attaque n'aurait pas eu lieu ici et maintenant, ne faisant que deux morts et un blessé. Je penchais pour un règlement de comptes.
- Nous savons déjà que ce n'est pas un accident. Pour le reste, il est trop tôt pour le dire, nous allons enquêter plus en détail pour mettre l'affaire au clair.
- D'accord.
- Je vous laisse avec le sergent Hayles, n'hésitez pas si vous avez d'autres choses qui vous viennent à l'esprit, dites-nous tout ce que vous savez, même si les détails peuvent vous paraître insignifiants, on ne sait jamais.
L'homme hocha la tête en tremblant tandis que la jeune femme l'enveloppait dans la couverture. Il était en état de choc et je pouvais le comprendre. Un peu plus près, il aurait pu être gravement blessé. Je me relevai, mon carnet à la main, et rejoignis Hawkeye qui était accroupie, notant le numéro de la plaque d'immatriculation.
- C'était une attaque ciblée, murmura-t-elle. On en saura plus quand on aura trouvé à qui appartient cette voiture.
- Pourquoi faut-il que ça arrive un samedi soir ? La plupart des services seront fermés demain… soupirai-je.
- Mais pas le nôtre, n'est-ce pas ?
- Je peux compter sur vous ?
- Bien sûr. Je pense qu'Havoc pourra tirer du lit Breda et Fuery pour qu'ils nous aident. Falman sera plus compliqué à contacter, mais on devrait avoir l'équipe au complet.
- Parfait. Il faut prendre en photo la scène du crime avant de déplacer le véhicule. On le rapportera au QG pour pouvoir l'étudier au calme.
- Hayles a une formation en photographie, elle pourra nous aider à documenter le dossier.
- De nuit, ça va être difficile d'avoir des photos exploitables. Il faut délimiter les lieux et organiser une déviation jusqu'à demain pour qu'on puisse étudier ça à la lumière du jour. On déplacera la voiture après.
- Bien, Colonel.
Je hochai la tête et regardai la carcasse de la voiture en laissant mes pensées tourbillonner avec angoisse, le ventre noué. L'événement était anormal. C'était une attaque violente, précise, impitoyable. Cela n'aurait pas dû se passer, pas dans la capitale, pas maintenant. On menaçait des civils dans la ville où l'armée était la plus présente, et personne n'avait pu empêcher ça, pire, personne ne l'avait vu venir. Quelle était la cible, quelle en était la raison ? Je cherchais déjà les implications de cet incident, son niveau de gravité, ses causes, ses conséquences, ses liens. Le cerveau noyé de pensées, de questions et d'incertitudes, je devais bien admettre que rien de ce qui me venait à l'esprit ne me plaisait.
