Trois semaines se sont écoulées depuis le dernier chapitre, et le moins qu'on puisse dire, c'est que l'ambiance a pris une sale tournure depuis. De mon coté, mes projets sont au point mort (formation suspendue, campagne Ulule reportée à un futur indéterminé...) mais je ne vais pas me plaindre parce que je sais que la situation est plus grave que ça. Tout ce que je peux faire pour l'instant, c'est tâcher de rester bien sagement dans ma tanière en prenant soin de ma santé, et me concentrer sur mes histoires. Comme mes projets pros sont en stand-by, je pense que je vais m'octroyer du temps pour terminer les illustrations de Stray cat, avancer dans l'écriture de Bras de fer, et me fixer le défi de poster un dessin cosy par jour, dans la lignée de mon calendrier de l'avent. ça peut pas faire de mal de partager quelques dessins plein d'amour, nan ? Vous le retrouverez sur Mangadraft sous le nom "Calendrier de tendresse"

Si vous vous ennuyez chez vous, n'oubliez pas que j'ai posté plein d'histoires sur internet (mes fanfictions honteuses datant d'il y a plus de dix ans que vous pouvez explorer à vos risques et périls, mais aussi plusieurs one-shot au format BD sur Mangadraft) Tout ça est gratuit et libre d'accès, profitez-en ! ;)

Pour le reste, prenez soin, ne sortez que pour le strict nécessaire, lavez-vous les mains aussi souvent que possible en chantant deux fois de suite "Joyeux anniversaire", NE PRENEZ SURTOUT PAS D'IBUPROPHENE si vous commencez à avoir des symptômes suspects, c'est un facteur aggravant. Préférez le doliprane, plus safe. Ne passez pas trop de temps sur internet au risque de céder à la psychose, tâchez plutôt de vous distraire, lisez, dessinez, tricotez, faites du sport, installez-vous un coin cosy, mangez des légumes et tâchez de bien dormir. Courage et patience à tout pour cette période qui s'annonce difficile, et sachez que je ferai de mon mieux pour vous distraire 3

Et ça commence maintenant, j'ai fini ma liste de conseils façon mère poule, je vous laisse enfin lire ^^°


Chapitre 60 (1) : Jours de fête (Edward)

L'ambiance était animée. Mercredi, c'était la soirée coquine, et ça attirait du monde — même si j'avais toujours autant de mal à trouver de l'intérêt dans ces numéros que je trouvais pour ma part extrêmement gênants. Pourtant, en servant des clients que je reconnaissais pour les avoir déjà vus plus d'une fois et qui me saluèrent en m'appelant par mon surnom, je me sentis sourire, fière de me dire que les lieux et mon travail commençaient à m'être familiers.

Sourire qui s'évanouit en voyant arriver l'équipe de Mustang au complet.

Oh merde… pas ce soir !

Je dissimulai de mon mieux ma panique en approchant de la bande pour les accueillir.

- Bonsoir ! Je ne pensais pas vous voir aujourd'hui !

- On a eu envie de se changer les idées, avoua Roy. Notre enquête piétine, alors on s'est dit qu'une soirée ici nous ferait du bien. En plus on n'est jamais venu le mercredi.

- Ah… Ahahaha, fis-je nerveusement. C'est que le mercredi, c'est les spectacles pour adultes…

- Il y aura des strip-teases ? demanda Breda.

- Pas qu'un peu, fis-je, en haussant des sourcils face à la catastrophe qui s'annonçait.

Je le savais, Roxane n'avait pas trouvé l'occasion de dire à Havoc que ce soir, c'était la première de son numéro d'effeuillage. Pas sûr que le grand blond apprécie de voir sa petite amie se déshabiller sous les yeux de ses collègues.

- Où est-ce que je pourrai vous installer… ?

- Il y a du monde ce soir, on se croirait un samedi ! commenta Havoc, encore la clope au bec.

- Aïna, on peut rapprocher les deux tables là-bas pour eux ? fis-je en attrapant l'épaule de la rouquine qui repartait vers les cuisines.

- Pas de soucis, elles ne sont pas réservées !

- Vous avez de la chance, fis-je en les y amenant avec un sourire crispé, regrettant que ça ne soit pas le cas.

Je replaçai les tables et ils attrapèrent les sièges pour s'installer confortablement autour, m'annonçant déjà ce qu'ils voudraient boire. Je notai fébrilement, puis repartis vers le bar, arrivant avec la note de leur commande et adressant à Neil un sobre :

- C'est la merde.

- Qu'est-ce qui se passe ? Encore des soucis avec ton haut gradé ?

- Pas de soucis avec Mustang, corrigeai-je d'un ton agacé. Tout va très bien depuis qu'on s'est mis d'accord sur le fait que notre relation était purement amicale. Non, ce soir, c'est pour Roxane que je m'inquiète.

- Oh… elle n'en a pas parlé à Havoc ?

Je secouai négativement la tête.

- Qu'est-ce qu'on fait ? On la prévient ?

- La prévenir de quoi ? demanda Claudine en apportant un plateau de verres vides.

Je désignai la tablée des militaires et elle ouvrit des grands yeux édifiés.

- Effectivement, c'est embêtant. Mais je viens des coulisses, si on lui dit maintenant, elle va devenir folle. Elle est déjà morte de trac, alors…

- On peut pas trouver un moyen de les virer ? fis-je d'un ton désespéré.

- Ce n'est pas très commerçant comme démarche, commenta Neil.

- Hm… Je ne sais pas comment Havoc va le prendre… il faudrait en parler à Maï, elle le connaît mieux que nous.

- Bah, il est gentil, commençai-je, mais…

Je repensai à son expression choquée quand il avait découvert le changement qu'avait subi mon corps, et son malaise palpable en me voyant. Il avait duré des jours. Il n'était pas méchant, mais facilement perturbé. Et puis, les autres étaient du genre à traquer les potins et à lui tirer dans les pattes à la moindre occasion. Même si lui-même arrivait à accepter l'idée que Roxane était strip-teaseuse, Breda, Falman et Fuery risquaient de lui faire passer un fichu quart d'heure en se moquant de lui, et personne n'aimait ce genre d'humiliation. Il risquait de se retourner vers mon amie et de lui reprocher de l'avoir mis dans cette situation et… je n'avais pas envie de me retrouver au milieu de tout ça, j'avais déjà assez à faire avec mes propres soucis.

Et puis… je n'avais pas envie de voir ces deux-là se rendre malheureux.

- Il faut la prévenir, insistai-je. Si elle arrive sur scène et qu'elle les voit, ça sera encore pire.

- Je t'assure qu'avec le contre-jour des projecteurs, elle ne verra rien du tout. Il sont assez loin, en plus. On lui dira après le spectacle, fit Claudine d'un ton rassurant.

- Ce n'est pas encore un mauvais plan de ta part ? fis-je d'un ton méfiant en me rappelant qu'elle m'avait piégé en me faisant chanter une chanson paillarde à mon insu.

- Je joue des tours uniquement quand ça ne prête pas à conséquence, rassura-t-elle avec un clin d'oeil. Je ne suis pas aussi bête qu'Andy.

J'eus un rire à ces mots. Il fallait avouer que de toute la bande, c'était la dernière personne à qui j'aurai demandé comment régler un problème de manière diplomate… avec Lia, qui s'échauffait très facilement. J'attrapai le plateau de boissons et revins rapidement à la table pour les servir.

- Un souci ? me demanda Roy en me voyant arriver.

- Non, j'avais juste une question à poser à Neil. Vous avez décidé ce que vous preniez pour manger ?

- J'hésite encore, avoua Breda. Tout à l'air tellement bon !

- J'hésitais aussi, si tu veux, on en prend un plat chacun et on partage ? proposa Fuery avec sa gentillesse habituelle.

- Tu prends des risques ! commenta Havoc en riant. Il ne te laissera rien !

Je profitai de la chamaillerie pour me pencher et souffler la situation à l'oreille de Mustang.

- Roxane fait la première de son strip-tease ce soir.

- Oh, répondit simplement, prenant immédiatement conscience de l'inconfort de la situation.

- Comme tu dis.

Je me redressai.

- Alors, vous prendrez quoi ?

Je notai les commandes et les amenai en cuisine, confiant le papier à Maï qui s'activait en cuisine aux côtés de Lily Rose.

- Ça ne va pas Angie ? Des soucis avec Mustang ?

- Non ! Pourquoi tout le monde me demande ça ?

- Parce que vous êtes "allés voir les étoiles", fit la militaire avec un sourire moqueur.

- Puisque je dis qu'il ne s'est rien passé, vous allez arrêter avec ça ? répondis-je en rougissant tout de même.

En vérité, quand je repensais à cette soirée, mon ventre me chatouillait d'un sentiment qui aurait pu être agréable si je n'avais pas l'immense culpabilité de ne pas avoir profité d'un moment seul à seul pour enfin lui avouer qui j'étais. Rétrospectivement, je n'arrivais pas à trouver la moindre justification à ma lâcheté, et je me maudissais pour ça. Si j'avais tâché — avec un succès relatif — de faire profil bas pendant la soirée, de peur d'attirer l'attention de Bradley, ennemi assis à quelques mètres de moi, cette fin de soirée était juste la meilleure situation imaginable pour en parler, et je ne lui avais pas dit la vérité. Je n'avais aucune excuse. Je me détestais d'autant plus que je ne pouvais pas m'empêcher de repenser aux multiples bons moments de cette soirée. À quel point était-ce immoral ?

- Non, le problème, c'est que Roxane fait sa première ce soir, et devinez qui est arrivé ?

- Havoc ? supposa Maï.

- Havoc, Breda, Falman, Fuery, Roy et Riza.

- Oh, parce que tu l'appelles Roy maintenant ? se moqua la brunette.

- On s'en fiche de ça, on un problème ! Je ne sais pas ce qu'on va faire des militaires. Havoc risque déjà d'être mal de découvrir que Roxane fait des strip-teases, si en plus ses collègues se moquent de lui…

- S'ils se moquent de Roxy, je les tape ! répondit Maïwenn en serrant le poing.

- On va éviter de se battre dans le cabaret, ça ne ferait pas bonne presse, commenta Lily Rose d'un ton placide.

- Mais on fait quoi ? gémis-je d'un ton inquiet. Je ne sais pas gérer les humains, moi !

Je pensai à mon frère dans un flash. S'il avait été là, il aurait sûrement trouvé une solution. Mais il était absent et je n'avais pas son talent.

- Amène-moi Havoc, je vais lui dire, répondit Lily-Rose tout en cassant un oeuf.

Elle avait l'air détachée et sereine, comme si ce problème était aussi facile à résoudre qu'une simple addition.

- Je lui dis quoi ?

- Je peux le faire venir, proposa Maï. Après tout, je le connais mieux qu'Angie, ça paraîtra moins bizarre.

- Hé, Angie, tu te bouges le fion ? Y'a plus que Claudine et moi en salle ! s'exclama Natacha en entrant dans la cuisine avec sa délicatesse habituelle.

- Ah, désolé ! m'exclamai-je. Je me remets au boulot.

- Tiens, prends ces assiettes, pour la table 6.

- Oui ! fis-je d'un ton contrit.

Hayles me tint la porte et m'accompagna en salle. Je distribuai les assiettes à la table voisine pendant qu'elle demandait à Havoc de le suivre, ce qu'il accepta sans sourciller.

- Hé beh, il court tous les lièvres décidément.

- Arrête avec ça, Breda, reprocha Falman. Tu sais bien qu'une fois casé, il est d'une loyauté à toute épreuve.

- N'empêche, entre Roxane, Hayles et Hawkeye…

- Riza ?! m'étranglai-je. Qu'est-ce que tu racontes ?

- Breda s'était mis en tête qu'Havoc essayait de me draguer et depuis il l'a harcelé avec ça, expliqua la blonde d'un ton las.

- Mais…

- Oui, c'est absurde.

Je lançai un regard courroucé à Breda. J'avais la confirmation qu'il risquait de poser problème.

- C'est gratuit de se moquer de son ami comme ça, bredouillai-je un peu maladroitement. Il n'est pas parti pour draguer, il a rejoint Lily Rose qui devait lui parler.

- Lui parler de quoi ? Il la connaît même pas ?

- On sait juste que c'est l'amie de Hayles… et qu'elle s'y connaît en poison.

- Parce que ce soir, Roxane fait la première de son numéro.

- Ah ? Et ?

- … Et c'est un strip-tease, lançai-je maladroitement.

- Oh merde… bredouilla Breda. Il nous a pas parlé de ça.

- Il n'était pas au courant, répondis-je. Roxane était terrifiée à l'idée de lui en parler. Elle a peur qu'il la juge. Elle la peur que vous la jugiez tous, en fait…

Je pris une grande inspiration, me sentant rougir, mortellement gêné.

- Elle a travaillé dur pour le spectacle. Et c'est difficile, et courageux. Moi je pourrai pas faire ça. Alors s'il vous plaît, ne vous moquez pas.

Il y eut un silence gêné, et j'eus le sentiment que Breda était sur le fil, tenté de faire un bon mot. Je le connaissais après tout.

- S… si vous vous moquez, je vous frappe, bredouillai-je. Et Hayles aussi, devinant que la menace n'était pas suffisamment crédible pour des gens qui ignoraient qui j'étais réellement.

- Je… ok, soupira Breda à contrecoeur. Je me moquerai pas de Roxane.

- Ni d'Havoc.

- Ni d'Havoc.

- Parfait, répondis-je, soulagé. Bon je vais m'occuper des autres clients, il y a du monde ce soir ! À tout à l'heure !

Je repris mon travail notant les commandes, apportant les boissons, les plats, tandis que le spectacle défilait. Je doutais de pouvoir m'habituer un jour à voir mes collègues de travail cul nul, mais paradoxalement, j'appréciais l'ambiance de la soirée, une ambiance de joyeux chahut et de légèreté. Havoc sembla mettre un temps infini à revenir, mais vint s'asseoir à la table avant que Roxanne ne passe sur scène. En le regardant de loin, il me sembla d'un calme étonnant.

Louvoyant entre les tables pour ramasser les verres vides, rapporter carafes et bouteilles, je pris quand même quelques secondes pour observer Roxane durant son spectacle.

Elle avait travaillé d'arrache-pied, et si nous avions pu partager les repas et les moments de ménage, nous passions beaucoup moins de temps seules ensemble ces derniers temps. L'affection que j'avais ne s'était pas distendue pour autant, et j'espérais vraiment qu'elle réussirait son numéro, qu'il plairait au public.

En la voyant dans sa robe bleue étincelante de sequins, qu'elle retirait en dansant, je me découvris le pouvoir de regarder en face. Peu importait qu'elle soit en sous-vêtements, c'était juste beau de la voir danser. Il émanait d'elle une confiance et une grâce qui n'avaient rien d'inné. Il lui avait fallu travailler, douter et angoisser avant de monter sur scène. Tous ces efforts invisibles, moi, je les connaissais.

Je savais que malgré son assurance apparente, elle n'était pas fière de son corps, de son poids, des plis de sa peau. Danser nue, se laisser voir était d'autant plus courageux. Je sentis mon coeur se gonfler de fierté pour elle, moi qui étais bien incapable d'en faire autant.

Quand son numéro s'acheva, ce fut sous les applaudissements du public, et les miens. Je rejoignis furtivement la table, attendant nerveusement leur verdict.

- C'était beau, commenta simplement Fuery avant de recommencer à manger.

- Havoc ?

- … Je suis fier d'elle, répondit-il en regardant la scène d'un air un peu vague, le sourire aux lèvres.

Je restai les bras ballants. Je m'attendais à de la gène, de la honte, de la colère, de la jalousie ? Breda aussi, il fixait le grand blond d'un air étonné. Qu'avait bien pu dire Lily Rose pour qu'il soit aussi serein et décomplexé ? Je n'en savais rien, mais elle était très forte.

- Et toi Angie, tu feras un strip-tease aussi ? me demanda Breda en souriant de toutes ses dents.

Je me sentis rougir violemment sous le coup de l'embarras et Hawkeye recracha le verre de vin qu'elle était en train de boire.

- J-jamais de la vie, bredouillai-je d'un ton indigné.

- Bah pourquoi pas ? Après tout, comme tu le dis, ça n'a rien d'honteux, il n'y a pas à juger.

- J… Je ne m'en sens pas capable. Je n'ai pas envie de montrer mon corps à des inconnus. Je ne suis pas comme Roxane, Angie et les autres…

L'idée d'imiter Roxane me troua instantanément les entrailles. Indépendamment de mes automails qui pourraient me démasquer si je les montrais trop, j'étais bien incapable de porter ces seins et les hanches trop larges de ce corps dont je m'accommodais faute d'options. Je n'aurai pas supporté de montrer ces cicatrices, ces changements que je n'avais jamais voulu et dans lesquels je ne me reconnaissais pas.

Mon malaise était tellement palpable que Roy prit ma défense avant de changer le sujet de conversation.

- Chacun a le droit de disposer de son corps comme il l'entend, ça me paraît bien normal. Vous feriez un strip-tease, vous ? fit-il remarquer.

- Ah mais sans problème ! répondit le rouquin en riant. C'est vous qui ne voulez pas voir ça !

- Je confirme, fit Hawkeye d'un ton placide.

- Tu l'as cherché ! Commenta Havoc en riant grassement face à la mine de son collègue.

Je recommençai à respirer. En vérité, personne ne me demandait de me déshabiller, je n'avais pas de raison de m'angoisser pour un événement qui n'arriverait pas.

- Je vais aller voir Roxane en coulisses, je reviens.

Je me faufilai entre les tables, le coeur battant, fis demi-tour pour rapporter du bar une carafe d'eau qu'on m'avait demandé en passant, puis je prévins Neil avant de m'engouffrer dans les coulisses en passant par la porte de la verrière. Je retrouvai Roxane qui s'était hâtivement rhabillée d'une robe de chambre et retirai précautionneusement ses faux cils.

- Hééé, Roxane ! Ça va ?

- Oui ! Pfiou, je suis tellement soulagée d'avoir réussi.

- Allons, tu te sous-estimes, c'était évident que tu allais nous faire une bonne performance.

- Merci ma belle, répondit la rouquine en m'ébouriffant les cheveux.

- Aaah arrête, ma mèche va ressortir, grommelai-je.

- Râle pas pour ça, au pire Tallulah se fera un plaisir de te recoiffer, rappela-t-elle avec un clin d'oeil.

- Même ! répondis-je en aplatissant mes cheveux de mon front. Bon, en tout cas, ton numéro a l'air d'avoir bien plu, les gens étaient contents en salle !

- Super ! s'exclama-t-elle en détachant le diadème de métal et de perles que Maï avait fabriqué pour assortir son costume.

- Par contre, je devrais te prévenir.

- Quoi ?

- Havoc était là.

- QUOI ? ! Oh mon Dieu non ! Qu'est-ce qu'il a dit ?!

- Qu'il était fier de toi, répondis-je d'un ton satisfait.

- …Hein ?

Elle me regarda d'un air ahuri, peinant visiblement à croire que les choses se soient passées aussi simplement.

- Sérieusement ? C'est tout ? Il n'a pas fait la gueule ?

- Ça, je sais pas. J'en ai parlé à d'autres gens du Bigarré pour savoir quoi faire, et Lily Rose l'a fait venir en cuisine avant ton spectacle pour parler avec lui. Je ne sais pas ce qu'ils se sont dit, mais manifestement, elle a su comment lui faire comprendre que c'était ta liberté et que ça ne remettait pas en question votre couple.

- Elle est magique, cette fille, soupira Roxane en me serrant dans ses bras dans un élan de joie.

- Bon il y avait toute l'équipe, en fait, avouai-je, en la sentant sursauter. Mais ne t'inquiète pas, ils m'ont promis de ne pas se moquer de vous.

- Comment t'as fait ?

- Je leur ai dit que Hayles et moi, on le tabasseraient s'ils osaient.

- Ahaha. Tu as été obligée de rajouter Hayles pour qu'ils prennent le truc au sérieux ?

- Hé oui, ils me sous-estiment, fis-je avec un sourire désabusé. Mais bon, l'important c'est que ça marche.

- Merci, ma belle, tu as sans doute sauvé la soirée.

- J'en sais rien, lâchai-je en toute honnêteté. J'ai fait de mon mieux.

- Tu es meilleure pour t'occuper des problèmes des autres que les tiens.

- … Je retourne en salle.

- Boude paaaas !

- Je boude pas, répondis-je avec un sourire rassurant. Y'a du monde à servir !

- Ok, je me rhabille et j'arrive pour remplacer Natacha.

- Ça marche !

Je ressortis des coulisses en souriant largement, heureuse de voir que la situation s'était bien arrangée. En voyant la salle animée, les clients qui levaient le bras pour attirer mon attention, Andy, qui saluait le public sous les applaudissements et les rires, visiblement pas gêné d'être complètement nu devant l'assemblée. Je détournai les yeux, reportant mon attention sur la table des militaires, et laissai un sourire traverser ma cage thoracique pour s'épanouir sur mon visage. Je le savais, j'aurais du dire la vérité à Mustang samedi dernier, mais Riza, Havoc et Roxane s'étaient contentés d'un soupir désabusé en comprenant que ça n'avait pas été le cas, et j'étais resté dans cet équilibre délicat. Voir leurs visages familiers me rendait profondément heureux, et la compagnie des membres du Bigarré, bien que souvent tapageuse et envahissante, était aussi profondément bienveillante.

J'avais de la chance d'être aussi bien entouré.


- Qu'est-ce que vous avez au prrrrogrrramme de cette aprrrès-midi ? demanda Aïna.

- J'ai rendez-vous en ville avec ma cousine, répondit Andy en repoussant son assiette.

- Oh, elle va bien ? demanda Jess. Tu lui diras bonjour de notre part hein ?

- Bien sûr !

- Tu pourras la remercier pour les plumes de paon, c'est grâce à elle qu'on a pu transformer Angie en princesse, fit Lily Rose.

- Et qu'elle a pu "voir les étoiles", ajouta Natacha, non sans emphase.

Je posai bruyamment mon couteau et corrigeai en rougissant.

- Fiche-moi la paix avec ça, puisque je te dis qu'il ne s'est rien passé !

- Arrête ton char, t'es rentrée à six heures et demie ! On se doute bien que vous êtes passés chez lui pour…

- MAIS NON ! beuglai-je pour l'interrompre sous les rires des autres. On est VRAIMENT allés voir le ciel !

- Sérieux, qui fait ça ?

- Bah, moi.

- Ça existe vraiment, des gens assez couillons pour aller se peler le cul dans un champ à cinq heures du matin, en plein hiver, juste pour aller voir les étoiles ?

J'étendis les bras pour me désigner, trop gonflée d'indignation pour répondre à voix haute.

- Tu es vraiment un être fascinant, Angie !

Mel passa à côté de moi en apportant la cafetière, m'ébouriffant les cheveux de l'autre main dans un geste affectueux, et je râlai pour la forme tandis que les autres reprenaient leur conversation sur leur programmes respectifs. J'avais déjà ma propre idée sur ce que je voulais faire cette après-midi. Depuis que j'avais découvert les cartons de vieux journaux dans le grenier, je les consultais minutieusement, en quête d'informations sur King Bradley et d'autres pistes sur les Homonculus.

J'avais déniché un vieil article datant de plus de quarante ans, un de ceux dont les journaux avaient disparu depuis longtemps des bibliothèques publiques. J'y avais appris le mystérieux drame qu'avait traversé la famille Bradley. Alors que le fils héritier était mort d'un tragique accident d'équitation peu de temps auparavant, il était raconté qu'on avait retrouvé son cadet, ensanglanté et en larmes, au milieu d'un cercle de transmutation. Son père, alchimiste de renom, avait disparu sans laisser de traces, et l'enfant, témoin supposé du drame, était resté mutique pendant plusieurs semaines avant qu'une amie de la famille ne le reprenne progressivement en main. Même avec le récit partiel et truffé de suppositions du journaliste, les événements décrits puaient la transmutation humaine à des kilomètres.

Dans n'importe quel contexte, une histoire de ce genre m'aurait alerté, mais quand on savait que l'enfant dont ils parlaient était ensuite devenu King Bradley, et que sa sauveuse n'était autre que Dante, il y avait de quoi en avoir la chair de poule.

Je n'avais pas besoin de recherches plus poussées pour dresser mon hypothèse.

Il était probable que King Bradley père ait tenté de ressusciter son fils aîné en utilisant le corps de son fils cadet, et qu'il ait été la première victime de sa transmutation. Cette situation ferait de King Bradley un Homonculus d'un genre peu courant, et pourrait expliquer pourquoi il semblait tout de même vieillir.

Ce n'était pas une preuve, mais l'information était quand même essentielle. Je comptais bien partager mon hypothèse avec Riza et donc Roy de manière indirecte.

- Aïna, J'ai vu un vieil article de journal qui pourrait intéresser ma cousine, est-ce que tu penses que je peux lui passer le numéro ?

- Pas de soucis, tant qu'elle le rrrrrend aprrrrès ! J'ai déjà mis de côté ceux utiles à mon rrroman.

- Ça marche, merci !

- Angie ? Angie !

- Ah, quoi ? fis-je en tournant la tête découvrant en sentant qu'on tenait mes cheveux que Tallulah s'était manifestement mise en tête de me recoiffer.

A force que j'accepte à chaque fois, elle finissait par ne plus me poser la question… de la même manière que Roxane me serrait dans ses bras sans préambule, et que d'autres membres du cabaret démontraient leur affection de diverses manière.

- Cette après-midi, tu es dispo pour l'essayage de ta tenue pour ton prochain numéro ? demanda Lily-Rose.

- Euh… je suppose, oui, bredouillai-je avec une pointe d'inquiétude.

- Ne fais pas cette tête-là, je ne vais pas te manger, fit-elle en riant.

- Ça va, Angie, ton costume est tout à fait décent, tu as vu le mien ?

- Et le mien ?

- Quel costume ? répliquai-je en posant un regard emprunt de jugement sur Andy.

- C'est juste un corps, tu sais !

- Et mignonne comme tu es, tu n'as vraiment rien à cacher, ajouta Natacha en me caressant le menton, me faisant bondir en arrière.

- Mais arrête !

- Ah, je vais devoir recommencer le chignon…

- Laissez-là, soupira Claudine.

À ma grande surprise, sa demande fonctionna et je pus boire mon café sans me faire asticoter. Cela fait, je rejoignis Lily Rose dans son atelier de couture, le ventre noué. Ce n'était pas que je manquais de confiance en son talent, elle l'avait bien montré en me bricolant une robe fabuleuse en quelques jours. Pour l'occasion, elle avait ressorti une tenue de scène de Tallulah, à laquelle elle avait ajouté des manches de soie et une jupe gonflé comme un duvet. Elle et Maï s'étaient échinées à broder à la main des dizaines de plumes de paon, et avoir porté cette tenue samedi dernier tenait à la fois de l'immense honneur et de la malédiction. Quand j'étais rentrée au petit matin, j'avais senti l'inquiétude de Lily Rose sans savoir si c'était pour moi ou pour la robe qu'elle s'était fait le plus de soucis.

- Tiens, je te laisse l'enfiler ? fit-elle en me tendant le vêtement encore bourré d'épingles à nourrice et de bouts de tissus effilochés qui dépassaient. Tu m'appelles si tu as besoin d'aide.

Je hochai la tête en songeant que je préférerai mettre une heure à l'enfiler que de la laisser me voir cul nu, puis me faufilai derrière le paravent.

- Tu voudras du thé ? J'ai acheté un petit thé noir fraise-rhubarbe la semaine dernière, il est délicieux.

- Je veux bien, oui, répondis-je en tiraillant l'amas de bandes que j'avais dans les mains, peinant à distinguer le haut du bas et comprendre comment l'enfiler le tout.

Bon, on va supposer que ça c'est le bas, pensai-je en voyant deux grands pans. Hé, mais il est super transparent ce tissu ! C'était pas prévu !

Je posai le costume sur la chaise avec une grimace d'appréhension avant de déboutonner ma robe, puis de l'enlever avec une sensation de vulnérabilité immense.

- Il faut vraiment que j'enlève mes sous-vêtements ?

- Je ne vais pas t'y obliger, mais ce serait quand même plus pratique, sinon je risque de les épingler avec. Et puis, ce n'est pas prévu pour être porté avec à la fin.

- Je vois… fis-je avant de détacher mon soutien-gorge.

Il ne faisait même pas froid, mais la sensation des courants d'air sur mon dos nu m'angoissait. Dire qu'il y a quelques années, je m'en contrefichais… les temps avaient bien changé.

J'enfilai le vêtement, peinant un peu à trouver ou passer les jambes et les bras dans cette assemblage de bandes de cuir noir et de tissus trop légers, cachai mes seins, enfilai les bretelles, et compris en essayant de fermer dans mon dos qu'il n'y avait ni boutons, ni fermeture éclair.

- Lily Rose ? Je crois que j'ai besoin de ton aide, finalement…

- J'arrive, fit la rouquine avant de me rejoindre pour épingler le tissu dans mon dos d'un geste assuré.

J'étais à peu près décente, tout en me sentant vulnérable comme jamais. C'était ridicule de se sentir aussi dépendant de simples bouts de tissu.

- Alors, voyons ça… Viens par ici, fit-elle en me tendant la main pour m'inviter à sortir.

Je la suivis à contrecoeur pour me retrouver au centre de la pièce, face à un miroir que je n'osais pas regarder.

- Alors, alors, alors, fit Lily Rose en m'observant d'un oeil affûté et dépourvu de jugement. Qu'est-ce que ça donne ?

C'était le même regard que celui du prothésiste qui avait fabriqué le recouvrement de mes automails. Un regard purement technique, intéressé par le corps uniquement en tant que problème à résoudre, sans voyeurisme ni dégoût. Elle fureta autour de moi en marmonnant des choses qui n'avait de sens que pour elle, et commença à épingler, ici et là, resserrant les bandes, faisant sauter des points pour décaler des morceaux de tissus.

- Comment tu te sens ?

- Pas assez couverte, avouai-je avec un rire gêné.

- Pour un mercredi, tu es plutôt habillée… On n'allait pas te mettre en col roulé non plus !

- Pourquoi pas ?

- Tu as vu ce que tu chantes ? Ça ne serait pas assorti.

Les oreilles me chauffèrent à ces mots. Force était d'avouer que les paroles avaient pris une tournure beaucoup plus sensuelle que ce à quoi je m'attendais… Le pire, c'est que ne pouvais pas reprocher à Wilhelm de faire preuve de malice, c'était nos discussions qui, je ne sais comment, avaient abouti à ça.

- Attends, je vais déplacer la bretelle pour qu'elle passe bien sur ta cicatrice, fit Lily-Rose d'un ton tranquille.

Ce qu'elle appelait ma "cicatrice", c'était en réalité la démarcation de la peau de latex, que je devais régulièrement décoller, nettoyer et recoller à ma peau. Je ne pouvais pas tout faire seule, et c'était tantôt Roxane, tantôt Lily-Rose, qui m'aidaient à remettre en place ma prothèse. À force de produits chimiques, ma peau rougissait et me démangeait de plus en plus, mais quel choix avais-je ? Cela restait négligeable par rapport à d'autres douleurs subies par le passé.

- La poitrine est un peu lâche, je pense qu'on peut arranger ça. Est-ce que tu peux remettre tes seins en place, pour que la bande du bas passe bien en dessous ? demanda-t-elle en mimant le geste.

J'obéis, appréciant qu'elle ait la délicatesse de demander plutôt que de les toucher elle-même, puis elle lissa la bande vers l'arrière pour l'épingler plus serré.

- Tu te sens mieux ?

- Oui.

- Bien !

L'essayage dura encore un moment, et je sirotai le thé qu'elle m'avait préparé, répondant à ses questions et obéissant quand elle me demandait de redresser, de lever les bras ou bomber le torse. Je sentis peu à peu ces bandes de tissus se tendre sur moi et épouser mon corps. Je n'étais pas nue, et cette pensée me rassura. Au bout d'un moment, je trouvai le courage de me regarder dans le miroir.

J'éprouvais toujours la même sensation d'anomalie. Je sentais confusément que ce corps aurait pu me paraître normal si c'était celui de quelqu'un d'autre, mais le fait de savoir que c'était moi rendait cette image difficilement supportable. Me voir avec ces seins, cette taille, ces hanches, avec cette peau factice sur mon bras et ma jambe, avec ce maquillage et ces lunettes, c'était absurde, faux et dégoûtant. Personne d'autre que moi ne semblait percevoir ce que cela avait de monstrueux, et j'essayais d'oublier ce sentiment en évitant les miroirs.

De temps en temps cette idée me revenait en pleine face. Je voulais redevenir "moi". Je voulais être de nouveau normal. Et plus je m'amusais, plus je passais de bons moments avec les membres du cabaret, plus violente était la culpabilité quand elle me rattrapait et me rappelais que Bérangère n'était qu'un tissu de mensonges incarnés.

- Ça ne va pas ? Tu veux t'asseoir ?

- … Je veux bien.

Elle me désigna un tabouret et je m'y assis avec un soupir de soulagement, réalisant que je me sentais réellement mal, tandis qu'elle me resservait du thé et me sortit des gâteaux. Puis elle s'assit à côté de moi, laissant passer un silence.

- Est-ce que c'est à cause de tes automails que tu es aussi mal à l'aise avec ton corps ?

- … en partie, avouai-je après un moment d'hésitation. Mais ce n'est pas que ça.

Elle hocha la tête, prête à écouter comme elle le faisait si bien.

- Je… mon corps a beaucoup changé, et je n'arrive pas à accepter que ce soit moi qui… c'est comme si c'était un déguisement. Comme si j'étais un déguisement que je ne pouvais plus enlever, que je n'étais plus que ça.

- Tu veux annuler ton numéro ?

- Je… ne sais pas.

Affronter la scène ne me faisait pas peur, je le savais, c'était avec moi-même que j'avais un problème. Je sentais confusément qu'annuler mon numéro, en plus de bouleverser les plans du Cabaret et mettre mes collègues et amis dans une situation inconfortable, ne résoudrait rien au bout du compte.

J'entendais la radio diffuser un morceau joyeux dans la salle à manger et les gens rire en travaillant à je-ne-savais quoi. L'atmosphère paisible de l'atelier me poussait à me confier.

- Je… j'ai le sentiment de mentir sans arrêt. Les gens ici sont adorables, mais il y a tout un tas de choses qu'ils ignorent à mon sujet, et j'ai honte… parce que vous êtes tellement honnêtes, tellement gentils avec moi et Roxane… J'ai l'impression de vous trahir.

- Mais non, c'est normal de ne pas tout dire… Tu ignores plein de choses à propos de nous aussi, et personne ne se livre complètement aux autres. On se protège tous, on a tous nos zones d'ombres, nos peurs… On se dit tous que si une personne qu'on aime découvrait qui on est réellement, si on ouvrait grand la porte, elle nous fuirait et nous détesterait.

Un visage se dessina aussitôt dans ma tête, illustrant cette phrase qui tapait trop juste.

Pourquoi avais-je pensé à Roy en entendant ces mots ?

Je me sentis rougir.

Peut-être parce qu'elle avait mis des mots sur ma plus grande peur : que Roy Mustang découvre qui j'étais réellement, et qu'il me déteste pour ça. Est-ce que cela voulait dire que je l'aimais ? Je refusais de donner raison aux commérages, je refusais de me laisser dominer par ce corps dont je n'avais pas voulu au point d'avoir ses sentiments illogiques.

Je réalisai qu'encore plus que d'avoir de la poitrine, des règles ou des regards insistants, c'était cette pensée que je rejetais. Celle que ce changement puisse m'altérer encore plus profondément.

- Qu'est-ce qu'on doit faire, alors ?

- Accepter de s'ouvrir quand même, à son rythme… Et comprendre qu'en face, l'autre est sans doute tout aussi terrifié et vulnérable.

Vulnérable ? Jamais je n'aurais pensé à utiliser ce mot pour désigner Roy. Il était plus âgé, plus assuré, stratège, bon combattant, et plutôt meilleur psychologue que moi. En réalité, il n'avait aucune faiblesse, pas même celle de mépriser les autres. Sa noirceur, c'était ses souvenirs d'Ishbals, mais, sans qu'il ne me l'ait raconté en détail, ce n'était pas un secret. Il n'avait pas cette gigantesque zone d'ombre qu'étaient ma fausse identité et mes mensonges.

- Tu penses à Mustang, hein ?

Je m'étranglai dans ma tasse, recrachant le thé, toussant, cramoisie, puis repris laborieusement mon calme sans cesser d'avoir les joues brûlantes. Comment pouvait-elle lancer ce genre de choses d'un ton si tranquille ?

- Tu vas me dire que j'ai beau nier, je suis amoureuse de lui, c'est ça ? grommelai-je d'un ton méfiant.

- Non… je ne vais pas dire ça, je ne suis pas dans ta tête et je n'ai pas à te dicter quoi penser.

Je m'attendais à ce qu'elle me force, à devoir me défendre et nier, et sa réponse me prit tellement au dépourvu que j'en restai muette. Peu à peu, je réalisai le piège.

Je pouvais bien nier à voix haute, contredire les autres… mais ce qui se passait dans ma tête, j'aurais beau dire, je ne pouvais pas me le cacher éternellement.

Je pouvais dire ce que je voulais, d'une certaine manière, j'aimais Roy Mustang.

Parce qu'il était important pour moi, parce qu'il avait toujours été là, parce qu'il m'avait protégé, rassuré, engueulé parfois.

Pas de de manière romantique, quoi qu'ils en disent, je ne pouvais pas désirer un homme alors que j'en étais un moi-même. Et je ne pouvais pas non plus accepter d'être devenu quelqu'un d'autre à ce point, je refusais d'être gouverné par un corps qui n'était pas vraiment le mien. Mais j'aurais beau nier, tout le monde avait compris que je tenais à lui.

Je pouvais toujours mentir, personne n'était dupe. Si je n'avais pas apprécié sa compagnie, je n'aurais pas accepté son invitation à la soirée, je n'aurais pas voulu partager avec lui le souvenir magique d'un ciel étoilé, je ne serai pas rentré au petit matin en souriant d'avoir été serrée dans ses bras.

C'était une part de mon monde, et je ne voulais pas que ça s'arrête.

Cette pensée me donnait le vertige.


Le lendemain, malgré mes questionnements à son sujet, j'avais retrouvé Roy sur la place du QG pour une escapade. Nous nous étions promis de trouver des boules de gui pour décorer le Bigarré pour la fête du nouvel an. Cette tradition de l'Est du pays, était arrivé dans la conversion quand Clara et Claudine avaient discuté avec la tablée des militaires, et la plupart des habitants du Cabaret avaient été enthousiasmés par l'idée.

Il faisait un froid de canard, aussi m'étais-je pelotonné dans mon manteau et mon écharpe, le béret bien enfoncé sur les oreilles. Heureusement, je n'eus pas à attendre longtemps pour voir Mustang arriver. Il me salua, avoua sans rentrer dans les détails que depuis sa promotion, il croulait sous le travail et était bien heureux de pouvoir se changer les idées. Je ne pouvais que vaguement imaginer ce que représentait les obligations d'un Général. Nous discutions de tout et de rien en remontant la rue, prêts à rejoindre le fleuve et les arbres mal entretenus qui poussaient sur ses rives. Au fil de mes promenades, j'avais remarqué une rangé de peupliers chargés de gui. Un lieu parfait pour notre récolte et un service à rendre aux arbres infestés.

- Cela faisait un moment que je ne m'étais pas simplement baladé, avoua Roy avec un soupir. Quand je ne m'offre pas une pause au Bigarré, je reste jusqu'à pas d'heure au bureau…

- N'oublie pas de dormir, quand même !

- Dormir ? C'est surfait, fit-il avec un rire cynique. Plus sérieusement, ne t'inquiète pas pour moi, je connais mes limites. C'est simplement que je travaille sur une affaire particulièrement difficile en ce moment.

- Pire que le Front de l'Est ?

Roy haussa les épaules, le regard fixé devant lui.

- Différente.

- Mh, je suppose que ce n'est pas à une simple danseuse de cabaret qu'on va raconter ce genre de choses, soupirai-je en fourrant le nez dans mon écharpe.

- Cela ne t'apporterait rien, à part du soucis peut-être.

- Mh…

Si j'avais été Edward Elric, m'aurait-il dit sur quoi il travaillait ? J'étais tenté de le croire, mais Hawkeye m'avait appris qu'il était passé en commission quelques mois auparavant, après avoir ordonné des changements dans le transfert de Bald. J'avais eu l'occasion de passer des heures au téléphone avec lui avant l'affaire Cub, et pourtant il n'en avait jamais fait mention. Après avoir renoncé à lui dire la vérité alors que nous étions seuls au milieu de nulle part, je m'étais doucement fait à l'idée que je n'étais tout simplement pas capable de l'avouer. Je ne l'avais pas dit aux autres, Roxane, Riza et Havoc, de peur qu'ils prennent les choses en main à ma place, mais j'avais au moins admis intérieurement que je ne voulais pas lui en parler. C'était lâche de ma part, et j'en avais terriblement honte, mais d'une certaine manière, c'était plus simple comme ça.

Je pensais à cela quand nous quittâmes la lumière des réverbères pour arriver au pieds des arbres. Roy leva les yeux vers leurs cimes.

- Et maintenant, on fait quoi ?

- J'escalade et tu fais le guet ? proposai-je en lui tendant le sac de voyage en cuir que Wilhelm m'avait prêté pour l'occasion.

- … Tu as l'air sûre de toi.

Je hochai la tête avec un sourire et commençai à escalader le peuplier. Ce n'était pas spécialement difficile pour l'ancien sauvageon que j'étais, même avec une robe et des bottines à talons. Il ne me fallu pas longtemps pour atteindre la première boule de gui et tirer un sécateur de ma poche pour la couper. Je dégringolai ensuite pour la tendre au militaire qui s'était adossé à l'arbre et sursauta en me voyant jaillir sous son nez, tête en bas.

- Et d'une !

Il la rangea dans le sac et me regarda remonter. J'en cueillis d'autres, renonçant à celles qui étaient trop haut ou trop loin dans les branches. Je ne tenais pas à tomber bêtement et finir à l'hôpital, au risque d'être découvert. Je redescendis, prêt à m'attaquer à un autre arbre.

- Tu es un vrai petit écureuil ma parole ! Je n'aurais pas imaginé que tu étais aussi agile !

Je tiquai au mot petit, serrant les dents. Par la force des choses, j'avais appris à ne plus beugler en entendant le mot honni, mais je ne l'aimais pas pour autant. Je tâchai de me raisonner en me rappelant que c'était plutôt un compliment.

- J'ai grandi comme une sauvage, répondis-je avec un rire nerveux.

- Je vois ça… je ne vais pas essayer de grimper aux arbres, je me rendrais ridicule.

- Tu as passé l'âge.

- Hé, je ne suis pas si vieux.

- Mais tu es Général… a-t-on déjà vu des généraux grimper aux arbres ?

- Pas à ma connaissance, admit-il avec un sourire.

Je remontai, piochant ici et là, et m'apprêtais à redescendre quand j'entendis des voix en contrebas. Il y avait quelqu'un d'autre, avec une lampe de torche, qui parlai à Mustang.

Je me plaquai contre le tronc et restai immobile, prise d'une bouffée de stress. Qui était-ce ? Que lui voulait-il ? Etais-je en danger ?

Finalement, l'inconnu repartit, et je redescendis, deux boules de gui à la main.

- Qu'est-ce qui s'est passé ?

- Un gardien, apparemment, il me demandait ce que je fichais là. Je lui ai répondu que j'étais là dans le cadre d'un enquête et que je comptais sur lui pour rester discret.

- Le privilège de l'uniforme ! commentai-je en riant. Bon, est-ce que j'en cueille d'autres ?

- Je pense que ça ira, le sac est déjà bien plein.

- En effet… C'est encombrant ces bêtes-là.

Finalement, faute de pouvoir fourrer la dernière boule de gui dans le sac, c'est en la tenant à la main que je partis vers le cabaret aux côtés de Mustang, parlant de tout et de rien. En arrivant, nous en étions à parler du cresson qui poussait dans les plans d'eau de ma région natale.

- La plupart des gens évitent d'en manger, parce que ça peut transmettre la grande douve du foie. Donc s'il y a des pâturages en amont de la rivière, c'est dangereux de le consommer. Mais nous, on était tout près de la source, donc on ne risquait rien. Maman nous en préparait souvent en soupe !

Je poussai la porte de la cuisine tandis qu'il me répondait très sérieusement.

- C'est vrai qu'il ne faut pas prendre ce genre de choses à la légère, on a vite fait d'attraper des infections en mangeant des produits mal préparés…

- Ah, bonsoir Général ! fit Lily Rose en le voyant entrer.

Après avoir sauvé la soirée d'anniversaire d'Aurèle en refaisant le gâteau à l'identique, Mustang avait acquis un statut privilégié qui lui donnait le droit de débarquer par la porte de service quand il le voulait.

- Bonsoir. Nous avons fait notre récolte de décorations !

- Je vois ça, c'est superbe ! Mais vous serez gentil de ne pas poser de gui dans la cuisine, je vous rappelle que c'est toxique !

- Bien sûr, bien sûr… on va l'accrocher dès maintenant, comme ça ça ne sera plus un souci.

Je passai la porte menant vers la grande salle, la trouvant vide. Pour une fois, tout était prêt bien avant l'heure, et le plupart des gens devaient être en coulisses, en train de se costumer pour leur numéro.

- C'est étrangement calme, commenta Mustang.

- N'est-ce pas ? Rassure-toi, ça ne va pas durer. Je vais voir si je peux emprunter un escabeau.

Je laissai Mustang dans la pièce principale pour me faufiler dans l'atelier, où je trouvais Ray, comme je le l'espérais. Le rouquin leva la tête en me voyant entrer et m'adressa un sourire.

- Hello, j'aurais une question pour toi, tu sais où je peux avoir un escabeau assez haut ? C'est pour accrocher les boules de gui au dessus des portes.

Il désigna un coin de la pièce où trônait un escabeau qui semblait n'attendre que moi, et je le remerciai en m'attrapant pour caler sur mon épaule. Il se précipita pour m'aider.

- Ne t'inquiète pas, c'est pas si lourd que ça, je peux me débrouiller seule ! fis-je en le voyant s'inquiéter. Sisi, je te jure, regarde ! ajoutai-je en faisant sautiller la charge sur mon épaule.

Il hocha la tête et fit une suite de gestes que j'interprétais comme "fais attention à toi", et je ressortis.

Au début, j'avais cru que, de la même manière que Neil et Wilhelm, Ray était peu bavard, mais j'avais fini par comprendre qu'il était en réalité muet. À force de le voir échanger en langage des signes avec Tallulah et les autres j'avais appris quelques rudiments, tout en étant un peu triste de ne pas comprendre tout ce qu'il disait de ses mains.

En me voyant arriver, Roy s'empressa de me retirer l'escabeau des mains.

- Quelle idée de le porter seule !

- Ça va, ce n'est pas si lourd ! soupirai-je.

Autant il y avait beaucoup de choses que j'appréciais en sa compagnie, autant être considéré comme une petite chose fragile m'agaçait prodigieusement. Il dut le sentir car il n'insista pas. Après une brève discussion pour savoir au dessus de quelles portes les installer, nous nous attaquâmes à la tâche. Le cabaret ouvrirait bientôt ses portes, il fallait éviter d'avoir une échelle en train de traîner quand les clients arriveraient. Je montai, une boule de gui à la main, une ficelle dans la poche, et m'attelai à l'accrocher au haut-relief qui décorait le sommet de l'arche, tout en continuant à discuter.

- Je me suis rendue compte que tu te débrouillais pour ne presque jamais parler de toi.

- Il n'y a rien d'intéressant à raconter, répondit Roy.

- J'ai dû mal à croire ça… Tu as bien des souvenirs d'enfance, ou même des choses plus récentes… Comment tu es entré dans l'armée ? Comment tu as appris l'alchimie ?

Il soupira et céda tandis que je continuai ma tâche.

- J'ai peu de souvenirs d'enfance, j'ai grandi en ville à East-city, j'avais peu d'occasions de sortir. Pour l'alchimie, c'était un visiteur qui m'avait un peu parlé d'alchimie et m'avait montré comment faire une transmutation. J'ai eu le coup de chance de la réussir très vite, ce qui a attiré son attention. Après, je suis devenu l'élève du père de Hawkeye. Il était extrêmement sévère, je n'aurais pas aimé être son fils pour être honnête.

- Oui, je m'étais dit la même chose à son sujet, répondis-je en descendant.

- C'est lui qui a développé l'alchimie des flammes. Cela aurait dû être l'héritage de Hawkeye, mais… cela ne s'est jamais très bien passé.

- Elle a pratiqué l'alchimie ? m'étonnai-je.

- Pas vraiment… elle un peu étudié la théorie mais n'a jamais aimé ça, et son père… C'était compliqué. Nos rapports se sont distendus quand j'ai tenté le concours d'alchimiste d'Etat.

- Vous êtes rentrés dans l'armée directement comme alchimiste d'Etat ?

- Oui, à dix-sept ans. À l'époque j'étais le plus jeune… Avant de me faire détrôner par un petit con de douze ans.

Je restai figé. Un petit con, c'était sans doute ce que j'étais, et je pouvais difficilement lui en vouloir de me désigner comme ça. Je m'appliquai à attacher la dernière boule de gui d'une main tremblante, serrant bien le noeud pour éviter qu'elle ne tombe. En redescendant de l'escabeau, je trouvai Mustang adossé à la porte, fixant les lampions d'un oeil vide. Je m'appuyai sur la barre de l'escabeau qui était à sa hauteur et me penchai vers lui.

- Ça ne va pas ?

Il tourna la tête vers moi, avec un regard qui me noua l'estomac. Je réalisai que les derniers mots qu'il avait prononcé me concernaient. Était-ce à cause de la disparition de mon autre moi qu'il avait perdu son expression joyeuse ? Je le scrutai avec une inquiétude coupable, mon visage à hauteur du sien.

- Ce n'est rien, je pensais juste à autre chose, fit-il en me souriant sans parvenir à effacer ma culpabilité.

- Du travail ?

- Plus ou moins… Mais je ne peux rien y faire, donc ça sert à rien de se morfondre.

- J'espère que cette soirée te changera les idées, alors, soufflai-je en tâchant d'étouffer la honte mêlée d'émotion à l'idée qu'Edward reste présent dans son esprit. Ce soir on accueille une fanfare, j'ai rencontré les gens qui en font partie, ils sont super drôles.

- Ça va être bruyant !

- Ahaha, oui !

- J'avoue ne pas être fan du cor de chasse…

- Tu vas quand même rester à la soirée ?

- Pourquoi pas ? fit-il en d'un ton moqueur. Mais il faudra se décider à retirer cet escabeau, si tu restes plantée là, sous le gui, je vais finir par être obligé de t'embrasser.

Je sentis mon coeur dérailler. J'avais soudain conscience de tout, mon visage penché vers le sien, tellement près, ses yeux noirs sur lesquels retombaient ses cheveux, l'odeur de menthe poivrée que j'aimais tant et une terrible envie de retrouver la sensation de son bras enveloppant mes épaules, de sentir sa chaleur. Noyée d'embarras, je restai figée, foudroyée par cette pensée incontrôlable.

La sensation de ses lèvres contre les miennes.

Cette idée aurait dû me dégoûter, ou du moins me mettre mal à l'aise, alors pourquoi avais-je envie de me pencher vers lui ? D'où sortait cette subite envie de l'embrasser ?

Pourquoi, alors que j'aurais dû m'écarter, m'offusquer, je restais immobile, fixant ses yeux noirs, le souffle court, les joues brûlantes ?

Roy, qui s'attendait sans doute à ce que je me rebiffe ou que je rétorque par une pique moqueuse, me fixa, figé par la surprise, comme pris à son propre piège.

Il y eut quelques secondes d'embarras infini, alors que nos fronts se frôlaient presque et que je n'entendais plus que le sang pulsant à mes oreilles. Allais-je vraiment franchir cet espace ? C'était une pensée dangereuse, séduisante, terrifiante.

- LE CABARET OUVRE DANS CINQ MINUTES, EST-CE QUE VOUS ÊTES PRÊTS ? s'exclama Mel d'une voix sonore.

Je sursautai, me raccrochant maladroitement après un mouvement de recul instinctif qui avait manqué de me faire tomber. J'avais l'impression que chaque cellule de mon corps était sur le point d'exploser, mais je parvins à sauter à bas de l'escabeau, tandis que des cris provenaient des coulisses, répondant à l'appel de notre tenancière qui campait fièrement au milieu de la salle.

- Je vais ranger l'escabeau et je suis prête à prendre le service ! annonçai-je en joignant le geste à la parole.

- Et moi, je vais payer ma place, répondit Mustang d'une voix tranquille en se dirigeant vers l'entrée.

J'arrivai dans l'atelier, cramoisie, le souffle court, la gorge nouée. C'était quoi ça ? Mon corps qui déraillait ? Est-ce que j'étais en train de devenir fou ? L'instant s'était envolé, mais l'espace de quelques secondes, j'avais eu l'impression qu'il était à ma portée, et que j'allais…

Je ne peux pas vouloir faire ça, c'est complètement insensé ! pensai-je en gardant les mains crispées sur l'escabeau que j'avais reposé contre le mur, très tenté de me cogner la tête dessus.

J'entendis la porte grincer et vis Tallulah entrer. En voyant mon expression, elle eut une mine inquiète et traversa la pièce pour me serrer dans ses bras avec la spontanéité qui la caractérisait. Elle ne savait pourquoi je faisais cette tête et ne pouvait pas vraiment me conseiller, mais ses bras plein de chaleur et sa voix douce m'apaisèrent comme par magie. Elle était toujours comme ça, flottant comme une bulle de paix intérieure un peu contagieuse.

- … Merci Tallulah.

- De rien, répondit-elle avec son sourire aux joues pleines et son regard pétillant. Tu m'aides au service, ce soir ?

- Bien sûr.

Quand je ressortis des espaces privés aux côtés de la danseuse, je vis Mustang revenir de l'entrée, et me saluer avec un simple sourire, comme si rien n'avait eu lieu.

Peut-être que rien n'avait eu lieu ?

En tout cas, je parvins à lui sourire comme d'habitude, et je sentis que je saurais travailler, bavarder et rire comme d'habitude, que je pourrais danser, savourer la soirée, et nier ces quelques secondes comme j'avais su nier tout le reste.

Juste pour pouvoir passer un bon moment à ses côtés.